WFS:fyl 2002/Inf/4
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DISCOURS DU DIRECTEUR GÉNÉRAL À L'OCCASION DE L'OUVERTURE
DU SOMMET MONDIAL DE L'ALIMENTATION: CINQ ANS APRÈS
Monsieur le Président Ciampi,
Permettez-moi tout d'abord de remercier les participants à cette importante rencontre internationale, et surtout les Chefs d'Etat et de Gouvernement qui ont estimé que le sort de ceux qui souffrent de la faim dans le monde méritait le sacrifice d'un déplacement, parfois ultra-marin et exténuant, pour être avec nous, aujourd'hui à Rome. Je voudrais aussi exprimer ma gratitude au Gouvernement italien, sans lequel cette conférence n'aurait pas pu avoir lieu dans d'aussi bonnes conditions. Ma reconnaissance va également à tous ceux qui ont apporté des contributions volontaires pour compenser l'inexistence de budget pour le Sommet. Excellence, Mesdames et Messieurs, A l'heure de vérité, six ans après le Sommet mondial de l'alimentation de 1996, le glas sonne toujours pour la multitude des affamés de la planète Terre. Les promesses n'ont pas été tenues. Pire, les actes contredisent les paroles. L'engagement solennel avait été pris de ramener à 400 millions en 2015, celles et ceux dont le sommeil agité tient lieu de repas. Hélas, la volonté politique et les ressources financières n'ont pas été au rendez-vous de la solidarité humaine. Au cours des dernières années, de grandes rencontres internationales ont été organisées : sur les crises économiques et financières, le blanchissement d'argent et les paradis fiscaux, l'immigration clandestine et la police des frontières, le trafic de drogues et le terrorisme ; les technologies modernes et le fossé digital. Mais c'est seulement l'année dernière à Gênes que, pour la première fois, un Sommet du G8 a mis l'accent sur la sécurité alimentaire. Les famines provoquées par la sécheresse, les inondations ou les conflits émeuvent à juste titre, et provoquent des élans de fraternité dans les opinions publiques. La faim chronique ne rencontre que l'indifférence, car elle a le tort de ne pas faire de bruit et de ne pas produire d'images choc de télévision. Pourtant, elle dégrade biologiquement et intellectuellement, excluant les sous-alimentés des opportunités de la vie. La faim a un impact négatif considérable sur les économies des pays touchés par ce fléau et provoque environ un pour cent, par an, de pertes de taux de croissance économique, du fait de la baisse de productivité et des maladies nutritionnelles. Après le Sommet de 1996, d'importants efforts ont été faits pour mettre en uvre les décisions des Chefs d'Etat et de Gouvernement:
En outre, des progrès ont été réalisés dans la concrétisation du droit à l'alimentation. Excellences, Mesdames, Messieurs, Dans l'histoire de la pensée économique, aucune des écoles, pourtant nombreuses, n'a soutenu que l'on pouvait développer un secteur en diminuant les investissements qui lui sont affectés. Pourtant, de 1990 à 2000, l'aide concessionnelle des pays développés, ainsi que les prêts des institutions financières internationales, ont diminué de 50 pour cent pour l'agriculture, moyen d'existence de 70 pour cent des pauvres du monde, car source d'emplois et de revenus. En conséquence, le nombre des personnes mal-nourries a baissé seulement de 6 millions par an, au lieu des 22 qui seraient nécessaires pour atteindre en 2015 l'objectif assigné en 1996. A ce rythme, c'est avec 45 ans de retard que le but fixé serait atteint. Dans le même temps, le marché mondial des produits agricoles continue d'être un défi à l'équité. Le transfert total à l'agriculture dans les pays de l'OCDE s'élève à plus de 300 milliards de dollars, se traduisant par un soutien direct par agriculteur de 12 000 dollars par an. En revanche, ces mêmes pays apportent un soutien annuel aux pays en développement d'environ 8 milliards, équivalant à 6 dollars par agriculteur. De plus, l'accès aux marchés des pays développés se heurte aux droits de douanes qui, pour les produits agricoles primaires, s'élèvent à environ 60 pour cent en moyenne, contre environ 4 pour cent pour les produits industriels. Les droits sur les produits agricoles transformés sont encore plus élevés, et freinent le développement d'agro-industries dans le tiers monde. Si on ajoute à ces facteurs limitants, les barrières sanitaires et techniques, on mesure le chemin qui reste à parcourir sur la voie de relations agricoles moins défavorables aux pays les plus pauvres. Le programme de Doha pour le développement a suscité un espoir certain de redressement. Espérons qu'en 2005, les négociations auront abouti à des règles de concurrence loyale dans le commerce agricole mondial. Eliminer la faim est un impératif éthique, reposant sur le droit humain le plus fondamental, le droit à l'existence. Pour vivre, il faut respirer, boire et manger. Mais éliminer la faim est aussi dans l'intérêt des puissants et des possesseurs. Quel vaste marché si 800 millions d'affamés devenaient des consommateurs, avec un réel pouvoir d'achat. Quel monde plus paisible s'il y avait moins de cette pauvreté qui a comme corollaire l'injustice et le désespoir ! Les sociétés d'abondance de ce nouveau millénaire, avec leurs ressources et leurs technologies, peuvent éliminer le spectre insoutenable des famines cycliques et la déchéance inexorable de la faim chronique. Dans la perspective plus vaste de l'éradication de la pauvreté, les programmes doivent reposer sur le socle que constitue la trilogie: nourriture, santé, éducation. Nous savons lutter contre la faim. Pour cela il faut aider les petits agriculteurs à sécuriser leur production contre les aléas climatiques, en contrôlant notamment l'eau, source de vie, grâce à de petits ouvrages de collecte, d'irrigation et de drainage, réalisés avec le concours de la main-d'uvre locale. Il faut leur transférer des technologies simples, peu coûteuses et plus efficaces, pour accroître leur productivité avec le concours d'une masse critique d'experts, en particulier ceux de la coopération sud-sud, travaillant sur le terrain. Il faut leur permettre d'avoir accès aux intrants et au crédit, de pouvoir conserver et vendre leurs produits. En résumé, il faut les aider à pêcher plutôt que de leur donner du poisson. Il faut donc leur permettre d'avoir un emploi et un revenu assurant de manière durable leur bien-être et leur contribution effective à l'économie nationale. Des exemples probants de succès, dans la lutte contre la faim, existent sur tous les continents. Il faut pouvoir les étendre aux exclus du banquet planétaire. Pour atteindre ces résultats, il faut des dépenses publiques annuelles supplémentaires de 24 milliards de dollars. Si on exclut les prêts aux conditions du marché et l'assistance à l'alimentation, il restera à trouver un financement public additionnel de 16 milliards de dollars. Les pays en voie de développement devront augmenter de 20 pour cent leurs ressources publiques nationales, affectées au secteur rural, pour contribuer à la moitié de ce montant. Les pays développés et les institutions financières internationales devront apporter l'autre moitié de ce montant, en portant la part de l'agriculture dans leur concours au niveau où il était en 1990. Ce qui serait conforme à l'engagement de doubler le montant des concours concessionnels, pris à la Conférence sur le financement du développement. Le «Programme de lutte contre la faim» a été diffusé il y a quelques jours. Cette première ébauche constitue une base de travail et de dialogue entre partenaires, pour mobiliser les ressources qui font défaut aujourd'hui. C'est aussi une contribution supplémentaire, aux efforts d'hier à Monterrey et de demain à Johannesbourg, pour atteindre les objectifs de développement du Millenium. La mobilisation d'une «Alliance internationale contre la faim» permettrait de ressusciter la volonté politique indispensable, afin que le sort des affamés du monde revienne au centre des préoccupations et des priorités d'action des gouvernements, des parlements, des collectivités locales et de la société civile. Ensemble nous pouvons vaincre la faim. Faisons-le maintenant et partout, grâce à votre solidarité agissante et fraternelle, à votre soutien franc et ardent. Je vous remercie de votre aimable attention. |