Table of Contents


CONSULTATION TECHNIQUE SUR LES CADRES JURIDIQUES ET LES INSTRUMENTS DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE POUR L'AQUACULTURE COMMERCIALE DURABLE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Arusha (Tanzanie), 4-7 décembre 2001

SITUATION ET POTENTIEL DE L'AQUACULTURE COMMERCIALE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

RÉSUMÉ

L'aquaculture commerciale se définit comme un système d'aquaculture dont l'objectif est la maximisation des profits. Ces dernières années en Afrique l'aquaculture en général et l'aquaculture commerciale en particulier ont été identifiées comme permettant le cas échéant de combler le décalage croissant entre les approvisionnements en poisson qui plafonnent, les pêches de capture atteignant les niveaux de production à ne pas dépasser pour rester durables, et la demande qui continue de croître avec la population. Or la promotion de l'aquaculture commerciale n'est pas une idée nouvelle, ce type d'exploitation ayant reçu des encouragements depuis les années 70. Mais bon nombre des premières tentatives ont été mal conçues ou ont été victimes de changements de cap des politiques économiques, de telle sorte qu'aujourd'hui seule une poignée de pays africains comptent des entreprises d'aquaculture commerciale fonctionnelles et viables. Néanmoins, la justification de l'aquaculture commerciale continue de s'affirmer à mesure que les approvisionnements en poisson diminuent et que les gouvernements recherchent les moyens de satisfaire la demande locale et de trouver des débouchés sur les marchés lucratifs d'exportation de produits de luxe. Pour stimuler une expansion rationnelle de l'aquaculture commerciale, il faut prendre en compte les enseignements du passé, et bien cibler les actions futures de développement. L'aquaculture commerciale ne peut pas être pratiquée n'importe où, car un ensemble bien particulier de conditions doit être réuni. Le premier impératif est de disposer d'un environnement physique approprié: sols acceptables et climat approprié, et bonnes disponibilités en eau. Le deuxième impératif est un environnement politique et économique favorable: stabilité gouvernementale et fiscale relative, combinée avec des marchés porteurs. Lorsque ces deux conditions essentielles sont satisfaites, les deux facteurs principaux restant à faire jouer sont l'accès au capital et l'accès aux produits d'alimentation. Le premier peut être facilité par des politiques appropriées et par la formation, tandis que le second repose sur des exigences plus rigoureuses pour que l'entreprise puisse à terme utiliser des produits d'alimentation d'origine locale. La production industrielle d'aliments complets pour le poisson suppose une certaine capacité technologique, un niveau relatif d'autosuffisance alimentaire et une disponibilité acceptable des intrants nécessaires à la fabrication des aliments (principalement des denrées riches en énergie et en protéines). Le processus d'identification de sites potentiels pour l'aquaculture commerciale revient en définitive à procéder par élimination. Si l'environnement physique et financier est approprié et si des produits d'alimentation sont potentiellement disponibles, alors il y a de bonnes raisons de penser que l'aquaculture commerciale pourra être une option viable de production. Compte tenu de la situation actuelle des économies de la région, ces critères se traduisent souvent en un scénario qui veut que les zones ou les pays propices à l'agriculture commerciale soient également propices à l'aquaculture commerciale.

I. INTRODUCTION

1. L'Afrique subsaharienne a été longtemps été citée comme une région à fort potentiel aquacole. En 1975, le premier atelier régional sur l'aquaculture concluait que "les exploitations expérimentales et de type pilote ont démontré que la petite pisciculture ou même la pisciculture à grande échelle utilisant des espèces et une alimentation indigènes peuvent être fortement productives et très rentables". Le rapport de l'atelier poursuivait ainsi "l'élevage de Tilapia nilotica en étangs, avec une alimentation à base de granulés réalisés à partir des déchets agricoles et industriels localement disponibles, donnant trois récoltes et une production de non moins de 5 000 kg/ha/an, a été déjà testée et s'est révélée être parfaitement faisable aux plans technique et économique dans les pays d'Afrique centrale." Enfin, l'atelier notait que "l'orientation principale de l'aquaculture [en Afrique] a jusqu'ici été la pisciculture de subsistance. L'évolution de ce stade vers une pisciculture commerciale de type artisanal est considérée comme réalisable en un laps de temps relativement bref si les services d'appui nécessaires peuvent être rendus disponibles par les gouvernements ".

2. Mais les progrès ont été lents. Plus de dix ans après, en 1988, la Consultation d'experts de la FAO sur la planification des projets de développement de l'aquaculture caractérisait l'aquaculture subsaharienne comme suit: "La production aquacole dans [la région subsaharienne] reste très faible. On estime que la production annuelle officiellement répertoriée est d'environ 10 000 tonnes, le Nigeria, la Côte-d'Ivoire, le Kenya et la Zambie étant les producteurs les plus importants. La production se caractérise par des activités rurales de petite taille plutôt que par des entreprises commerciales de production intensive. La majeure partie de la production provient d'élevages de subsistance et d'élevages semi-intensifs de tilapia dans des étangs d'eau douce. On peut supposer que telle continuera d'être l'orientation principale des activités de développement dans la région."

3. La Consultation indiquait également que: "dans les pays où il serait besoin que le secteur aquacole apporte une contribution significative aux approvisionnements en protéines animales et à l'économie nationale, une révision importante des politiques est nécessaire pour lui donner un rang de priorité plus élevé."

4. En 1993, le groupe de travail sur l'aquaculture du Comité des pêches continentales pour l'Afrique (CPCA) concluait ainsi: "L'aquaculture reste essentiellement une activité rurale, secondaire et à temps partiel, menée sur de petites exploitations agricoles dans de petits étangs d'eau douce. Les systèmes d'élevage extensif ou semi-intensif ont des rendements en poisson limités, et le poisson est la plupart du temps consommés directement, échangé ou vendu localement comme le produit d'une culture de rente." Il relevait en outre que: "les agriculteurs progressistes ont tendance à intensifier progressivement leur système de culture en étang pour passer à une gestion semi-intensive et à un niveau commercial intermédiaire, en fonction des marchés disponibles localement."

5. Le développement de l'aquaculture africaine se caractérise donc par une certaine ambivalence, la déception devant des résultats en deçà du possible étant tempérée par la quasi certitude de ce que pourrait avoir été. Récemment, un système d'information géographique a été utilisé pour évaluer le potentiel de la pisciculture en Afrique, avec pour résultat que 23 pour cent de la superficie de l'Afrique continentale se révélaient "très propices" à une aquaculture commerciale et 23 autres pour cent "propices"1; globalement, près de la moitié de la superficie continentale présenterait donc un potentiel positif pour l'aquaculture. Compte tenu de cela le CPCA, à sa onzième session, a suggéré de mettre davantage l'accent sur la recherche et les études dans ce secteur.

II. LA SITUATION

6. Le développement de l'aquaculture a considérablement évolué pour ce qui est de l'approche pratiquée en Afrique subsaharienne. Les citations faites dans les paragraphes qui précèdent mettent en évidence l'importance autrefois accordée aux services "de soutien" du secteur public et à la nécessité d'instruments politiques volontaristes. La philosophie générale était qu'un programme gouvernemental de soutien stimulerait une expansion rapide de l'aquaculture nationale, les producteurs évoluant individuellement dans un continuum conduisant à des niveaux de plus en plus élevés de productivité (et donc d'intensité).

7. Il est généralement admis que cette approche, si elle était applicable dans le contexte des politiques économiques des décennies précédentes, n'est plus appropriée aujourd'hui. Le modèle antérieur se fondait sur des niveaux élevés d'aide financière extérieure, entraînant une dépendance vis-à-vis des donateurs. Les réalités économiques d'aujourd'hui font que le soutien externe diminue et que les agences nationales ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts avec les seuls financements nationaux. Cette situation a pour effet une réduction des ambitions de pratiquement tous ces organismes, voire la marginalisation de certains. L'aquaculture, en tant que perspective relativement nouvelle, a une audience comparativement réduite, ce qui a eu pour effet le déclassement de cette activité dans les priorités de certains gouvernements et une baisse significative des aides dans d'autres pays.

8. S'ajoutent aux effets du changement macro-économique les observations empiriques des praticiens, lorsqu'ils évaluent plusieurs décennies de promotion de l'aquaculture. Le rétrécissement des soutiens a provoqué une réduction globale du nombre des pisciculteurs, mais la plupart des pays conservent un noyau actif qui a actuellement fait accéder la pisciculture au statut d'entreprise plus ou moins "traditionnelle" ou, pour le moins, a permis de faire reconnaître à la population agraire que l'aquaculture existe bel et bien. Mais ces pisciculteurs convaincus n'ont pas avancé en renforçant l'intensité technique dans le temps, se contentant de "stabiliser" leur activité, en pratiquant une forme d'aquaculture qui correspond à leurs besoins et à leurs attentes; celle-ci prend souvent une forme plutôt extensive qui peut paraître à l'observateur extérieur assez inefficace, ou inférieure aux normes. Cette observation a conduit d'aucuns à conclure que les pisciculteurs, pour la plupart, ne semblent pas évoluer, par étapes successives, d'une pratique extensive vers une pratique intensive, ni de petites superficies vers des superficies plus grandes. En effet, beaucoup de pisciculteurs ne modifient que très peu leurs systèmes d'aquaculture dans le temps, et ceux qui exploitent les plus grands établissements aujourd'hui ont très probablement commencé avec des établissements déjà de bonne superficie.

9. La conversion à un nouveau modèle de développement de l'aquaculture qui prenne en compte la perception actuelle des changements des politiques économiques de la région et la combine avec une appréciation plus complète de la population cible est une entreprise difficile, et elle n'est pas achevée. Ce processus a néanmoins été facilité par l'Examen régional de l'aquaculture en Afrique organisé par la FAO en 1999. Certaines des conclusions de cet examen sont présentées dans l'encadré I.

10. En ce qui concerne plus spécifiquement l'aquaculture commerciale, ces systèmes de production aquacole sont définis comme des entreprises qui cherchent la maximisation du profit, sans référence à leur échelle ou à leur intensité. Pourtant comme on l'a vu dans la section précédente, l'échelle et/ou l'intensité de l'entreprise sont souvent des descripteurs importants de l'entreprise proprement commerciale; et dans certains cas ces deux facteurs sont pris comme mesure du progrès. Ainsi, selon cette définition, il est peut être utile de définir un seuil pour mieux isoler les systèmes à analyser et pour centrer le débat. En se fondant sur l'observation pragmatique, les systèmes considérés comme "commerciaux" pourraient être ceux dont la base de production est de 5 hectares, ou ceux qui produisent au moins 5 tonnes de poisson par an, et où le critère fondamental est l'utilisation efficace des ressources. Ce sont là des paramètres quelque peu arbitraires, mais qui reflètent un point très important, à savoir qu'à partir d'une certaine échelle, les exploitations piscicoles ont besoin de quantités significatives d'intrants, tandis que les établissements plus modestes, même avec des objectifs de maximisation des profits, ont plus de souplesse parce que leurs besoins d'ensemble sont moindres.

11. Cette différentiation n'a nullement pour objet de minimiser l'intérêt des exploitations plus petites. En fait, plusieurs interventions en cours ou prévues en Côte d'Ivoire, au Nigeria et en Guinée visent intentionnellement les systèmes plus petits (par exemple ceux qui exploitent de 0,5 à 1,5 ha) pour éviter certains des obstacles auxquels peuvent se heurter les unités de production plus grandes.

12. Pourtant l'échelle et/ou l'intensité sont des considérations essentielles pour ceux qui envisagent d'investir dans l'aquaculture commerciale: quelle superficie et quel degré d'intensité viser? Les niveaux choisis devront être adaptés aux ressources physiques et économiques du site particulier de l'établissement. Bien que certaines entreprises exploitant des superficies importantes puissent ne pas subir les contraintes du facteur alimentation (par exemple les exploitations intégrées où les apports en nutriments sont produits sur place par une entreprise associée, ou les fermes très étendues ne visant que des niveaux de production proches de la productivité naturelle), les producteurs potentiels qui envisagent l'utilisation d'aliments de complément ou d'aliments complets seront confrontés à la question de l'approvisionnement en apports nutritifs; cet approvisionnement devra nécessairement croître avec toute augmentation d'échelle et/ou d'intensité.

13. Cette précision supplémentaire en ce qui concerne l'échelle et l'intensité étant faite, il est incontestable que l'Afrique subsaharienne a fait de nombreuses expériences de l'aquaculture commerciale au cours des trois dernières décennies. Les projets ont porté sur toute la gamme des systèmes de production: couloirs bétonnés (Kenya, Nigeria, République du Congo, Zimbabwe, Bénin, Burkina Faso, Afrique du Sud), élevage en cages (Gabon, Côte d'Ivoire, Niger, Zimbabwe), élevage en enclos (Côte d'Ivoire, Nigeria), mariculture (Gambie, Guinée, Kenya, Tanzanie, Afrique du Sud, Namibie, Mozambique, Nigeria, Madagascar) et élevage en étangs aménagés à même la terre (Nigeria, Côte d'Ivoire, Zambie, République démocratique du Congo, Rwanda, Malawi).

14. Or la plupart de ces entreprises se sont révélées non durables, souvent en raison de leur non-viabilité financière (l'encadré II illustre un scénario fréquent en aquaculture commerciale). Dans la gamme étendue des tentatives de pisciculture commerciale, les entreprises qui ont survécu et qui semblent avoir atteint un niveau correct de rentabilité sont notamment celles qui pratiquent l'élevage en enclos de Crysichthys en Côte d'Ivoire; l'élevage en étangs et en couloirs de Clarias et de Heterobranchus au Nigeria; l'élevage en étangs et en couloirs de tilapia (Oreochromis) au Nigeria, au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe; l'élevage en enclos de tilapia au Zimbabwe; la culture de mollusques et d'algues en Namibie, en Afrique du Sud et en Tanzanie; l'élevage de truites en couloirs au Kenya, au Zimbabwe, au Malawi et en Afrique du Sud; et l'élevage de crevettes à Madagascar et au Mozambique.

15. Plusieurs des activités d'aquaculture commerciale d'aujourd'hui sont en équilibre instable entre le succès et l'échec, fonctionnant sur des marchés volatils où les prix du poisson et des aliments pour poisson accusent des fluctuations brutales. Plusieurs des activités citées ci-dessus n'ont toujours pas fait la preuve de leur durabilité à long terme, les infrastructures n'étant pas encore amorties.

16. Bien souvent ces entreprises visent un marché ciblé qui évolue avec le temps. C'est ce que montre bien la déconvenue qu'est l'activité autrefois florissante d'élevage de Clarias en Afrique du Sud; d'autres établissements aquacoles produisant des articles de luxe ou de spécialité sont également exposés aux caprices des consommateurs et aux changements des procédures commerciales (par exemple évolution de la réglementation des importations et des exportations, etc.). Le secteur est par ailleurs étroitement surveillé en raison de son impact potentiel sur l'environnement, ce sujet étant d'autant plus sensible que l'on a vu les effets inattendus que pouvait produire l'aquaculture commerciale dans d'autres régions.

ENCADRÉ I. EXAMEN RÉGIONAL DE L'AQUACULTURE EN AFRIQUE

L'examen régional de l'aquaculture en Afrique a été organisé dans l'intention de faire le point de 30 années d'efforts de développement de l'aquaculture dans la région, d'identifier les éléments qui étaient durables et ceux qui ne l'étaient pas, d'en tirer des enseignements, de passer en revue la situation actuelle, d'identifier les tendances et de tracer les grandes lignes d'une stratégie de développement futur. Les grands axes de cette stratégie sont les suivants:

1) définir les politiques nationales de développement et un programme de développement de l'aquaculture en consultation avec les parties prenantes;

2) réduire la part des infrastructure coûteuses et non durables d'aquaculture, notamment en opérant une réduction d'au moins 50 pour cent des stations piscicoles étatiques dans un délai de cinq ans;

3) favoriser et faciliter la production l'aliments et d'alevins dans le secteur privé;

4) favoriser le crédit à l'intention des moyens et des grands producteurs;

5) remettre à jour la vulgarisation dans le secteur de l'aquaculture, en mettant en place une structure flexible et efficace capable de répondre aux besoins des producteurs;

6) plaider pour les technologies existantes faciles à pratiquer qui utilisent des espèces d'élevage aisément disponibles et des matériaux locaux;

7) favoriser la collaboration, la coordination et l'échange d'informations entre les institutions et les agences nationales et régionales d'aquaculture; enfin

8) faciliter la constitution d'associations de pisciculteurs.

17. Malgré tous les obstacles, effectifs ou redoutés, à la création d'entreprises d'aquaculture commerciale viables et durables, l'intérêt manifesté dans la région reste grand, et les entrepreneurs évaluent les manières d'entrer en production. Quand les conditions préalables d'environnement physique et de climat politique et économique appropriés sont réunies, y compris quand les études de marché pour les espèces à élever donnent des résultats positifs, le plus souvent les deux principales contraintes récurrentes à la création d'entreprises aquacoles commerciales viables sont l'accès au capital et aux produits d'alimentation, dans les quantités et de la qualité voulues.

18. Le capital est le facteur le plus déterminant pour les investisseurs potentiels d'échelle moyenne, qui ont besoin de prêts de banques commerciales (ou d'autres établissements de crédit). Les sociétés commerciales de plus grande ampleur ont en général accès aux capitaux nécessaires, mais les entrepreneurs privés se heurtent souvent à des obstacles quand ils sollicitent des prêts commerciaux pour la pisciculture.

19. Les réticences des bailleurs de fonds proviennent principalement de leur médiocre connaissance ou de leur mauvaise appréciation du secteur de la pisciculture. L'aquaculture est d'introduction relativement récente dans le milieu agricole et peu d'établissements bancaires disposent de l'expertise technique nécessaire pour pouvoir instruire de manière satisfaisante les demandes de prêts. Pour permettre un accès plus libéral au crédit, il conviendrait d'établir des mécanismes d'évaluation technique des propositions d'aquaculture commerciale.

ENCADRÉ II. MONOGRAPHIE SUR L'AQUACULTURE COMMERCIALE:

L'ÉTABLISSEMENT PISCICOLE D'AVIARA

L'établissement piscicole d'Aviara, situé dans la région du delta du Niger dans le sud-est du Nigeria, a fonctionné du milieu des années 70 jusqu'au début des années 80. Cet établissement s'intégrait dans un complexe agro-industriel centré sur les cultures céréalières d'une grosse exploitation associée, les activités piscicoles devant venir en complément et permettre de valoriser les résidus de récolte en les transformant en aliments pour poissons. L'eau devait provenir des couches aquifères du delta. Des étangs furent aménagés au moyen d'engins lourds, leur taille pouvant aller de un à près de dix hectares. L'établissement disposait au total de 100 ha d'étangs, en production ou en cours d'aménagement, avec des superficies additionnelles en réserve pour une expansion ultérieure. La technologie utilisée était celle qui avait été importée du delta du Mississippi, aux États-Unis, où la pisciculture était une activité en expansion rapide. Aviara, au début, concentrait son activité sur l'élevage de la carpe commune.

L'élevage de ces poissons sous le régime de températures relativement constantes du delta du Niger allait rapidement poser des problèmes de reproduction, cette espèce étant mieux adaptée aux climats tempérés, mais des techniques de production du frai furent mises au point et affinées, à tel effet que l'établissement allait par la suite produire un excédent net d'alevins.

Le poisson recevait pour alimentation des granulés du commerce, en deux distributions manuelles quotidiennes complétées par des distributeurs automatisés dans chaque étang. Les stocks initiaux de granulés avaient été importés en même temps qu'une grande partie du matériel d'exploitation, et les approvisionnements suivants devaient provenir des activités culturales intégrées. La consommation d'aliments pour poissons s'établissait en moyenne à une tonne par jour, la capacité de stockage étant de 30 tonnes de réserves pour couvrir une période prolongée de rupture d'approvisionnement.

La carpe étaient vendue vivante au poids moyen de 400-500 grammes et à un prix d'environ 3,30 dollars du kilo. Ce prix était supérieur au prix de revient pour couvrir d'éventuels impondérables. Les rendements étaient de l'ordre de 1 200 kg/ha.

L'activité de l'établissement piscicole allait par la suite être victime de bon nombre des maux qui ont freiné le développement de l'aquaculture commerciale dans toute la région. On retiendra notamment les suivants:

- absence d'une analyse complète du marché permettant de déterminer les préférences de la clientèle et de définir une structure de prix;

- dépendance vis-à-vis d'approvisionnements en aliments peu fiables; et

- sur-capitalisation.

L'hypothèse de départ des créateurs du projet était qu'il existait une forte demande de carpe fraîche (en particulier sur le marché de la restauration) et que l'alimentation du poisson serait assurée par la production céréalière de l'entreprise agricole associée. Mais le delta du Niger jouit d'approvisionnements abondants en poisson, avec même des périodes de surproduction à certaines saisons, tandis que l'unité de production d'aliments de la compagnie n'allait jamais être mise en route.

Des ajustements furent apportés à la stratégie de commercialisation, et la production fut diversifiée avec l'élevage de tilapia. Trois sources locales d'aliments de qualité acceptable furent identifiées, mais il arrivait que les livraisons d'aucun des trois fournisseurs simultanément ne puissent parvenir à destination en raison de problèmes logistiques. L'entreprise connut aussi des conflits avec les villages voisins relatifs à l'utilisation de la terre et de l'eau, et eut des difficultés à obtenir des pièces de rechange pour les machines importées.

Lorsque l'entreprise cessa ses activités, elle avait réussi à adapter des technologies importées aux conditions locales et à mettre au point des stratégies de commercialisation et de gestion lui permettant de s'approvisionner en intrants et d'écouler ses produits. Mais la précarité économique de l'activité, sous l'effet combiné de la forte concurrence que représentait l'importation de poisson congelé et la présence de poisson de capture meilleur marché, allait conduire à la fermeture finale de l'établissement piscicole.

20. L'approvisionnement en aliments pour poisson est un problème constant en termes de qualité, de prix et de disponibilité. Dans la plupart des cas, la pisciculture commerciale exige une alimentation complète (il existe de rares exceptions quand la production de poisson est étroitement intégrée avec d'autres systèmes tels que l'élevage de porcs ou de poulets, dont les sous-produits constituent les apports nutritifs importants pour le poisson). Ces aliments supposent la présence d'une activité de transformation alimentaire à proximité, donc un approvisionnement régulier et rentable en matières premières. Or dans beaucoup de pays les unités de production d'aliments pour animaux sont en concurrence directe avec la consommation humaine qui partage les mêmes matières premières (céréales et tourteaux oléagineux), de telle sorte qu'il est difficile de justifier la production d'aliments pour le poisson aux dépens des disponibilités pour la consommation humaine, sauf si l'on fait intervenir des considérations économiques et/ou nutritionnelles suffisamment puissantes.

21. À bien des égards, la disponibilité d'aliments appropriés pour le poisson est le facteur qui détermine le développement de l'aquaculture commerciale, car elle est directement liée à l'état de développement agricole relatif et à la sécurité alimentaire du pays.

III. PERSPECTIVES

22. Rares sont ceux qui pourraient contester le potentiel physique pour l'aquaculture commerciale que présente l'Afrique subsaharienne. Une grande partie de la région connaît un climat tropical chaud, avec des températures élevées et des précipitations abondantes (voir les cartes 1 et 2).

23. Outre ces ressources naturelles, la région dispose de superficies relativement vastes de terres inutilisées ou sous-utilisées, ainsi que d'une main d'_uvre bon marché. Si l'on ajoute à l'équation une forte demande de produits aquatiques, il peut sembler que l'on ait tout naturellement un environnement presque idéal pour l'aquaculture.

24. Pourtant le bilan est clair, et l'on compte plus d'échecs que de succès.

25. Pour tirer réellement avantage des conditions physiques, humaines et économiques présentes en pratiquant une aquaculture commerciale, il faut d'abord faire un choix rigoureux du site spécifique de l'établissement piscicole. Le débat quant à la nécessité de politiques publiques propices, d'une réglementation claire, d'infrastructures appropriées, de marchés fiables, de la disponibilité d'eau en suffisance et de conditions physiques acceptables (sols, température, etc.) a été nourri et instructif. Les sites convenables sont ceux qui se trouvent au point de convergence de tous ces facteurs. Une étude fondée sur un système d'information géographique a montré que la proportion de la superficie totale potentiellement appropriée pour l'aquaculture commerciale va de 21 pour cent du territoire en Tanzanie à 34 pour cent au Malawi. Approximativement 23 pour cent de la superficie terrestre de l'Afrique australe conviendraient à l'élevage commercial de tilapia et de poisson-chat africain, mais moins de 5 pour cent sont utilisés.

26. Comme il a précédemment été mentionné, la disponibilité de capital ou du crédit peut être déterminante pour certains entrepreneurs, et les méthodes d'évaluation des demandes de crédit pour l'aménagement d'établissements piscicoles doivent faire l'objet d'un examen critique et être modifiées comme il conviendra pour répondre aux attentes des entrepreneurs potentiels.

27. Mais le facteur déterminant qu'est l'alimentation du poisson demeure. Toutes les autres conditions étant réunies, si un approvisionnement fiable en aliments de qualité ne peut être garanti, le projet restera aventureux. Même si des aliments importés sont utilisés dans les étapes initiales, l'établissement doit par la suite avoir accès à des aliments de provenance locale, soit en les fabriquant lui-même à partir de matières premières disponibles sur place, soit en les achetant à des fabricants locaux.

28. Dans cette perspective, les pays dont l'autosuffisance alimentaire est très mal assurée auront du mal à dégager les approvisionnements nécessaires à l'alimentation du poisson. Il a été démontré que les régions centrales du continent sont les mieux placées pour ce qui est de la sécurité alimentaire; ce sont donc elles qui auraient le plus de chances de pouvoir dégager les ingrédients nécessaires à la fabrication d'aliments pour poisson (voir carte 3).

29. On peut faire la même analyse à partir des données réunies au Tableau 1, où la disponibilité par habitant en matières premières susceptibles d'entrer dans l'alimentation du poisson est comparée pour les pays en Afrique subsaharienne considérés comme exempts de contraintes en eau (par exemple où les précipitations annuelles moyennes sont supérieures à 450 millimètres).

30. Si l'on examine le tableau 1 et la carte 3, on notera que parmi les pays ayant des disponibilités par habitant comparativement élevées de produits de base pour l'alimentation du poisson, les meilleurs candidats pour l'aquaculture commerciale sont l'Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Malawi, le Nigeria, la Zambie, Madagascar et la Côte d'Ivoire - pays déjà cités comme ayant déjà des activités d'aquaculture commerciales. À ces sept pays on peut ajouter le Togo, le Bénin et la Guinée en tant que candidats possibles si l'on prend en compte les disponibilités par habitant de produits nécessaires à l'alimentation du poisson.

31. Le manque d'eau dans les pays "plus secs" tient principalement aux approvisionnements en eau (douce) dans l'intérieur. Les régions côtières de la Guinée-Bissau, de la Gambie et du Sénégal devraient en revanche être prises en compte dans ce type d'analyse, de même que les zones riveraines des cours d'eau et les plaines d'inondation du Burkina Faso et du Sénégal. Dans ce dernier groupe, il est probable que des systèmes d'aquaculture compatibles avec les conditions naturelles entrent dans la catégorie de la pratique intégrée de l'irrigation et de l'aquaculture, et pas nécessairement dans celle de l'aquaculture commerciale, bien que les dimensions commerciales de l'agri-aquaculture ne doivent pas être exclues.

IV. CONCLUSIONS

32. Il est indéniable que l'accroissement constant des populations et la raréfaction des captures favoriseront de plus en plus le recours à l'aquaculture pour combler le déficit de l'approvisionnement en poisson. Cela vaut tout particulièrement pour l'Afrique subsaharienne, qui compte de forts contingents de personnes sous-alimentées ou souffrant de malnutrition, et où le poisson occupe traditionnellement une place importante dans le régime alimentaire.

33. Il est tout aussi évident que doit s'opérer une prise en relais de l'appui du secteur public par le secteur privé, et que ce dernier doit s'investir dans l'aquaculture. Cette transformation vaut pour tous les systèmes de production aquacole, y compris les unités de production commerciales.

34. Pour que cette transformation se fasse, elle doit être appuyée par des politiques d'accompagnement qui permettent au secteur public de se charger de cette nouvelle fonction et de favoriser l'investissement privé nécessaire.

35. Avec des politiques d'appui appropriées, le terrain pourrait être préparé pour mettre en valeur les ressources naturelles en terre et en eau, en même temps que les ressources humaines et économiques, en vue du développement d'entreprises aquacoles commerciales bien comprises.

36. Pourtant les contraintes que représentent le capital ou le crédit et les intrants sont les facteurs essentiels qui déterminent le succès de toute entreprise commerciale. La première contrainte peut être levée dans la plupart des pays en ajustant les politiques de prêt, en formant les établissements de crédit et en fournissant une assistance technique; la deuxième contrainte est plus difficile à résoudre si les conditions ne sont pas réunies au niveau national. Les pays qui connaissent l'insécurité alimentaire ou qui sont purement et simplement déficitaires en vivres, ou même ceux qui n'ont que peu ou pas d'excédents agricoles, peu de sous-produits agricoles et où la concurrence est acharnée pour utiliser le peu qui est disponible auront du mal à produire en quantités régulière des aliments pour poisson de bonne qualité et à bon prix. C'est pourquoi le développement de l'aquaculture commerciale devra se concentrer sur les sites où une alimentation acceptable peut à terme être produite localement. Sans quoi les entreprises seront condamnées à des risque continuels. Toutefois cela ne signifie pas que l'aquaculture commerciale ne saurait prospérer dans les régions qui ne produisent pas d'excédents vivriers.

37. En dernière analyse, l'aquaculture commerciale est intrinsèquement liée à l'agriculture commerciale pour son approvisionnement en intrants alimentaires. L'existence d'une agriculture commerciale suppose un environnement politique propice à l'investissement. Ainsi, fondamentalement, les pays qui sont dotés d'un secteur agricole commercial viable doivent pouvoir appuyer l'aquaculture commerciale s'ils possèdent les ressources naturelles voulues.

38. La consultation technique est invitée à étudier les considérations qui précèdent sur le potentiel de l'aquaculture commerciale en Afrique subsaharienne, en recherchant en particulier en quelles manières pourraient être levées les contraintes relatives à la disponibilité de capitaux et d'intrants alimentaires, et comment les investisseurs intéressés par l'aquaculture commerciale peuvent évaluer l'impact éventuel de ces contraintes dans les terroirs qui sont les leurs.

Régime subtropical chaud (pluies d'été)

Régime subtropical frais (pluies d'été)

Régime subtropical frais (pluies d'hiver)

Régime subtropical froid (pluies d'hiver)

Régime tropical chaud

Régime tropical frais

Régime tropical froid

Undisplayed Graphic

Carte 1: La zone ombrée en clair correspond à la zone de climat tropical chaud d'Afrique

Undisplayed Graphic

Carte 2: Précipitations moyennes en Afrique subsaharienne, les zones en gris clair recevant des hauteurs comprises entre 474 et 2 474 mm/an.

Undisplayed Graphic

(kg/personne)

très faible densité de population

Zones protégées

Carte 3: Estimation de l'autosuffisance alimentaire exprimée en kilogrammes de vivres disponibles par personne. Les plages en vert indiquent plus de 500 kg/personne, les valeurs diminuant séquentiellement en passant par le brun, le rose et le rouge, les plages en jaune correspondant à des disponibilités de moins de 50 kg/personne. L'autosuffisance est la plus grande entre 10° de latitude Nord et 20° de latitude Sud. (Source ?)

Tableau 1:. Évaluation relative de la disponibilité éventuelle de matières premières pour la production d'aliments pour poisson, exprimée en poids (kg) de produits disponibles par personne pour les pays recevant des précipitations annuelles moyennes > 450 mm. Les ingrédients des aliments pour poisson, représentant les deux principaux groupes de nutriments (sources de protéines et d'énergie) les plus souvent utilisés pour la préparation de ces aliments, sont exprimés en production annuelle en tonnes, et la population est celle estimée pour 1999, en milliers d'habitants [L'irrigation en Afrique en chiffres, 1995 et FAOSTAT, 2001].

 

Pays

Céréales

Farine de poisson

Tourteaux d'oléagineux

Population

Céréales par personne

Tourteaux d'oléagineux par personne

1

Afrique du Sud

13 244 849

32 296

459 559

39 900

332,0

11,5

2

Zimbabwe

2 512 629

0

295 155

11 529

231,5

5,4

3

Malawi

2 463 000

0

57 738

10 640

217,9

25,6

4

Burkina Faso

2 453 000

0

177 565

11 616

211,1

15,3

5

Nigeria

22 405 000

0

2 027 190

108 945

205,7

18,6

6

Guinée-Bissau

211 552

0

16 917

1 187

178,2

14,2

7

Togo

759 376

0

68 975

4 512

167,4

30,6

8

Bénin

871 691

0

169 822

5 937

159,9

7,6

9

Zambie

1 435 200

0

68 015

8 976

158,7

1,9

10

Madagascar

2 459 900

242

29 503

15 497

146,8

28,6

11

Guinée

973 013

0

107 534

7 360

128,4

4,1

12

Côte d'Ivoire

1 826 536

4 000

163 682

14 526

114,0

22,0

13

Gambie

144 269

0

48 943

1 268

113,8

38,6

14

Éthiopie

7 844 509

0

252 480

61 095

108,4

4,6

15

Cameroun

1 489 400

0

175 353

14 693

104,2

35,4

16

Sénégal

963 090

4 718

326 769

9 240

104,2

35,4

17

Tanzanie

3 555 570

1 530

149 613

32 793

101,4

11,9

18

Ouganda

2 111 000

0

234 700

21 143

101,1

1,0

19

Ghana

1 685 990

0

130 210

19 678

82,3

1,1

20

Swaziland

73 000

0

10 690

980

76,5

5,8

21

Mozambique

1 475 772

0

112 667

19 286

74,5

10,9

22

Kenya

2 196 800

40

43 236

29 549

74,3

1,5

23

Rép. centrafricaine

175 550

0

90 058

3 550

70,5

0,0

24

Liberia

200 000

0

9 622

2 930

68,3

3,3

25

Lesotho

148 550

0

0

2 108

49,5

25,4

26

Sierra Leone

221 672

0

18 028

4 717

47,0

3,8

27

Angola

549 781

0

20 608

12 479

44,1

1,7

28

Burundi

245 173

0

4 855

6 565

37,3

0,7

29

Congo, RD du

1 621 485

0

218 740

50 335

33,1

1,4

30

Rwanda

239 705

0

9 783

7 235

32,3

1,6

31

Somalie

312 800

0

15 672

9 672

32,2

4,3

32

Gabon

31 800

0

8 562

1 197

26,6

7,2

33

Congo, Rép. du

2 300

0

12 173

2 864

0,8

4,3

34

Guinée Équatoriale

0

0

1 780

442

0,0

4,0

1
Le caractère "propice" est la résultante d'évaluations multi-critères prenant en considération des facteurs comme les besoins en eau, les caractéristiques du sol et du relief, la disponibilité d'intrants, les prix sortie exploitation et les infrastructures.