P. Bhattacharya, R. Prasad, R. Bhattacharyya et A. Asokan
Prodyut Bhattacharya, Ram Prasad, Rajasri Bhattacharyya et Aparna Asokan travaillent au Centre international de foresterie communautaire, Institut indien de gestion forestière, Nehru Nagar, Bhopal, Madhya Pradesh (Inde).
Un essai novateur de concevoir une norme pour la certification des plantes médicinales et aromatiques forestières en adaptant les règles mondiales à la mise en œuvre nationale.
Une étude publiée récemment par l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED) et la FAO, Fuelling exclusion? The biofuels boom and poor people’s access to land (L. Cotula, N. Dyer et S. Vermeulen, 2008), examine les retombées de l’extension des plantations industrielles destinées à la production de biocombustibles sur l’utilisation des terres et leur accès dans les pays producteurs. Les auteurs observent que des rendements agricoles plus élevés par unité de superficie et une transformation plus efficace ne peuvent à eux seuls répondre à la demande rapidement croissante des matières premières servant à la production de biocombustibles. Suivent quelques-unes des observations formulées ou citées dans l’étude.
On prévoit une conversion à grande échelle des forêts et des aires de conservation à la production de biocombustibles. En effet, d’importants changements d’affectation des terres favorisant les cultures de rente au détriment des forêts se sont déjà avérés. Les auteurs citent l’extension des plantations de palmiers à huile en Indonésie, qui a abouti au défrichement de 18 millions d’hectares de forêts au cours des 25 dernières années, bien que 6 millions d’hectares seulement aient été plantés en palmiers à huile jusqu’en 2006.
D’après l’Agence internationale de l’énergie, il est estimé que 14 millions d’hectares de terres étaient exploités en 2006 pour la production de biocombustibles et de leurs sous-produits, soit environ 1 pour cent de la totalité des terres cultivables disponibles. Au niveau mondial, la croissance prévue de la production de biocombustibles à l’horizon 2030 pourrait exiger de 35 à 54 millions d’hectares de terres (de 2,5 à 3,8 pour cent des terres cultivables disponibles) en fonction des politiques en vigueur. Il a également été prédit que, même avec de modestes réglementations concernant les émissions de gaz à effet de serre, 1,5 milliard d’hectares, soit l’équivalent du total actuel des terres agricoles mondiales, pourraient se trouver sous cultures bioénergétiques d’ici à 2050.
Quelles sont les étendues de terres disponibles pour répondre à ces besoins? Une grande proportion des superficies terrestres du monde n’est pas adaptée à l’agriculture (terrains trop arides, froids, escarpés et/ou pauvres en éléments nutritifs). L’Évaluation agro-écologique mondiale a estimé qu’à l’échelle mondiale 2,5 milliards d’hectares sont «très adaptés» ou «adaptés» à l’agriculture, et 784 millions d’hectares additionnels sont «modérément adaptés». En Amérique du Nord, Asie et Europe, la quasi-totalité des terres arables sont cultivées, ou bien recouvertes de forêts où l’agriculture provoquerait de «graves impacts environnementaux». Dans ces régions, l’expansion des cultures bioénergétiques ne peut se réaliser qu’en remplaçant d’autres cultures ou en empiétant sur les forêts.
C’est ainsi que 80 pour cent environ des réserves de terres agricoles mondiales se trouvent en Afrique et en Amérique du Sud, où la totalité des terres arables est estimée à respectivement 807 millions et 552 millions d’hectares (les trois catégories de terres adaptées moins les terres sous couvert forestier). Environ 227 millions et 183 millions d’hectares de ces terres, respectivement, sont déjà cultivées. Cependant, les auteurs remarquent que, si les terres sous culture itinérante et en jachère ne sont pas déjà incluses dans ces chiffres, la totalité des terres «cultivées» d’Afrique pourrait s’élever à 1,135 milliard d’hectares – superficie bien supérieure aux réserves disponibles présumées. Malgré les niveaux élevés d’incertitude, il est clair que les réserves de terres ayant un fort potentiel agricole sont extrêmement limitées. Environ la moitié des réserves de terres arables se situent dans six pays seulement: Angola, Argentine, Bolivie, Colombie, République démocratique du Congo et Soudan.
La plupart des politiques préconisent la plantation de cultures bioénergétiques sur des terres «marginales». Si l’on considère comme marginales les terres «modérément adaptées» citées plus haut, le monde possède 610 millions d’hectares de terres marginales non boisées. D’après une autre estimation, la totalité de la superficie mondiale de terres dégradées, définies comme terres tropicales jadis boisées non exploitées actuellement à des fins agricoles ou autres, s’élève à 500 millions d’hectares (100 millions en Asie, 100 millions en Amérique du Sud et 300 millions en Afrique). Les terres agricoles actuellement abandonnées pourraient atteindre, au niveau mondial, 386 millions d’hectares.
Plusieurs gouvernements ont pris des mesures pour identifier les terres en friche, sous-utilisées, marginales ou abandonnées, et pour les affecter à la production commerciale de biocombustibles. En Indonésie, par exemple, le Département de l’agriculture a signalé qu’il existe environ 27 millions d’hectares de «terres forestières improductives» qui pourraient être offertes aux investisseurs pour être transformées en plantations. Toutefois, d’importants obstacles pourraient s’opposer à la production commerciale de biocombustibles sur des terres marginales, et la surexploitation de ces terres pourrait entraîner des dommages écologiques à long terme ou permanents, comme la salinisation ou une forte érosion. L’utilisation de ces terres a aussi des répercussions sociales. Dans de nombreux cas, les moyens d’existence des pauvres et des groupes vulnérables dépendent de terres considérées par les gouvernements ou les entrepreneurs privés comme marginales (pour la petite agriculture, la garde des troupeaux et la récolte de produits sauvages). En Inde, par exemple, le jatropha est largement planté sur des terres «incultes» dont les ruraux se servent pour la récolte de bois de feu, les aliments, le fourrage, le bois de construction et le chaume.
Le régime foncier de ces terres pourrait être complexe, les gouvernements revendiquant leur propriété mais exerçant peu de contrôle au niveau local, et les populations locales réclamant leur droit aux ressources en vertu de systèmes de propriété coutumiers qui pourraient ne pas être juridiquement applicables. Dans le sud-ouest de la Chine, par exemple, où les gouvernements provinciaux envisagent d’étendre les plantations de jatropha jusqu’à 1 million d’hectares sur des terres «stériles» au cours des 15 prochaines années, il est possible que les trois quarts de ces terres appartiennent non pas à l’État mais à des collectivités villageoises dont les droits d’usage sont détenus par des ménages individuels. La majorité de l’investissement privé en biocombustibles a été jusqu’ici limitée aux terres étatiques, mais les plans ambitieux d’extension de la production de jatropha sont susceptibles d’entraîner la limitation des terres disponibles et l’empiètement de la culture sur les terres collectives.
Outre les impacts directs sur le régime foncier, la production de cultures bioénergétiques pourrait avoir des effets plus subtils sur l’accès aux ressources foncières. Le remplacement d’une culture vivrière par une culture bioénergétique pourrait empêcher les paysans sans terre de glaner les résidus des récoltes; les époux pourraient s’approprier des terres appartenant à leurs épouses, si ces terres sont affectées à la production de cultures de rente plutôt que de subsistance; et les périodes de jachère risquent de se raccourcir, ce qui réduirait les terres destinées au pâturage communautaire.
Dans une large mesure, l’impact des biocombustibles sur l’accès à la terre consistera probablement en une augmentation de la valeur de la terre et des possibilités de revenus économiques accrues. Selon les auteurs, bien que l’impact soit essentiellement limitatif et négatif, la production de biocombustibles pourrait aussi renforcer l’accès à la terre pour certains utilisateurs pauvres, en réveillant l’intérêt des gens pour la terre et les investissements fonciers et en encourageant les petits agriculteurs à se procurer des droits de propriété plus sûrs. En Afrique du Sud, par exemple, les femmes ont planté des arbres destinés à la production de biocombustibles pour affirmer leur droit à des terres dont la propriété leur a été contestée par les familles de leurs maris décédés.
Une série de politiques et de processus peuvent influencer les liens entre les biocombustibles et l’accès à la terre – internationaux (cours internationaux des produits, barrières commerciales pour les biocombustibles), nationaux (cadres juridiques et de décision relatifs aux biocombustibles et aux régimes fonciers) et locaux (parité des droits fonciers coutumiers et officiels). Certains d’entre eux (politiques nationales visant à promouvoir l’expansion des plantations produisant des matières premières à des fins d’exportation ou dissymétrie des pouvoirs entre les petits exploitants actuels et les grands intérêts commerciaux potentiels) pourraient aggraver la perte d’accès à la terre pour les pauvres et les petits agriculteurs. Cependant, un ensemble croissant de bonnes pratiques et de démarches commerciales novatrices tente de promouvoir une gestion plus équitable et viable des terres. La société civile a aussi un rôle à jouer dans la protection de l’environnement et des droits fonciers et humains contre d’éventuelles utilisations abusives associées aux biocombustibles. En Ouganda, l’assignation des réserves forestières nationales de Bugala et de Mabira à des entreprises étrangères pour l’établissement de plantations de palmiers à huile et de canne à sucre a provoqué des manifestations à Kampala, des menaces de procès par des organisations non gouvernementales, le boycottage du sucre, des pétitions et une campagne de messages transmis par téléphone cellulaire. Le Gouvernement ougandais a retiré par la suite les plans préparés pour convertir la réserve forestière de Bugala en plantations de canne à sucre.
Pour les sources d’information citées dans cet article, voir le texte complet de Fuelling exclusion? The biofuels boom and poor people’s access to land, disponible à l’adresse: www.iied.org/pubs/pdfs/12551IIED.pdf
Test des paramètres de qualité de plantes médicinales par une entreprise phytopharmaceutique à Indore, Madhya Pradesh; l’un des avantages directs de la certification des plantes médicinales et aromatiques est l’amélioration de la qualité permettant d’augmenter les prix |
ICCF, IIFM |
Interview avec des cueilleuses de PFNL concernant les pratiques de collecte, Chhattisgarh |
ICCF, IIFM |
Les pratiques appliquées dans chacun des quatre États ont été examinées conformément aux paramètres suivants: cadre juridique et stratégique existant, activités de conservation, pratiques prédominantes de collecte et de commerce, partage des avantages et sécurité des moyens d’existence. Ces paramètres sont ensuite devenus les principes de la norme provisoire.
Les données ont été collectées et vérifiées par une enquête de terrain et des entrevues avec différentes parties prenantes, comme les cueilleurs, commerçants, forestiers et organisations non gouvernementales locales (ONG). Les principaux résultats (ICCF, 2007) sont décrits ci-après.
Bien que, du point de vue financier et du développement, l’importance des plantes médicinales et aromatiques soit reconnue, il n’existe pas encore de cadre juridique et stratégique les concernant. Les politiques relatives aux PFNL et à ces plantes varient largement entre les États (Sahu, 2002; IIFM, 2007).
Les droits d’utilisation à des fins de subsistance accordés aux villageois, par exemple, diffèrent aussi entre les États. La législation nationale promulguée en 1996 pour faciliter la démocratie participative dans les zones tribales autorise les villages à gérer et à contrôler leurs propres ressources, y compris les PFNL. Cependant, deux lois connexes promulguées au Madhya Pradesh ne mentionnent pas les PFNL (Ojha, 2004).
Conformément à la politique forestière étatique du Chhattisgarh, mise en vigueur en 2001, l’État prendra des mesures appropriées par le truchement de la Chhattisgarh State Minor Forest Produce (Trade and Development) Co-operative Federation Ltd (CG MFP Federation) pour l’utilisation durable et la conservation à long terme de tous les PFNL présents dans les forêts de l’État. Le projet de loi sur les plantes médicinales de 2007, proposé récemment, établit que seuls les résidents villageois authentiques pourront cueillir des plantes médicinales dans la zone du village. Toutefois, le texte n’indique pas ce qu’il faut faire dans le cas d’introduction ou de collecte illégale de plantes. Ni le Madhya Pradesh ni le Chhattisgarh ne contrôlent la récolte commerciale organisée par les commerçants ou leurs agents.
Dans l’Uttarakhand, les villageois peuvent exploiter les produits forestiers communautaires, mais l’utilisation commerciale relève du département des forêts de l’État. Cependant, dans l’Orissa, les conseils villageois sont autorisés à réglementer l’achat (auprès des premiers cueilleurs) et le commerce de 69 PFNL (appelés «produits forestiers secondaires»). Les personnes qui entreprennent ces activités doivent s’inscrire auprès du conseil villageois; mais la qualité et la quantité des produits collectés ne sont normalement pas réglementées (Orissa Gazette, 2002).
En ce qui concerne la conservation, le Madhya Pradesh et le Chhattisgarh ont adopté une approche axée sur les aires protégées populaires pour faire participer les populations locales à la protection et la conservation de ressources forestières de valeur dans des zones qui en sont richement dotées, et au partage des avantages qui en découlent (Chhattisgarh Forest Department, 2007). Dans le Madhya Pradesh, une interdiction frappe à tour de rôle différents produits dans différentes zones pour promouvoir la conservation de la ressource. Toutefois, la façon dont ces dispositions sont appliquées au niveau du terrain n’est pas claire, car on ne dispose pas des résultats de la surveillance. L’Uttarakhand a adopté une stratégie particulière pour la gestion scientifique des plantes médicinales et aromatiques, qui consiste en un inventaire rapide et la cartographie de ces plantes moyennant la division de chaque zone forestière en trois unités de gestion pour la conservation (aucune extraction commerciale n’y est autorisée), la mise en valeur (gestion et culture intensives) et la récolte durable (Planning Commission, Gouvernement indien, 2006).
Le Madhya Pradesh, l’Orissa et le Chhattisgarh ont élaboré des systèmes d’enregistrement des cueilleurs. L’un des districts du Chhattisgarh a tenté de distribuer des cartes d’identité aux cueilleurs de plantes médicinales et aromatiques par l’entremise des comités villageois de gestion forestière collective (Katiyar, 2007).
La plupart des États ont institué un système de permis de passage. Les permis aident les départements des forêts à enregistrer les produits forestiers sortants et à percevoir des impôts sur les revenus des commerçants. Ils contribuent aussi à la gestion forestière durable en fournissant des informations utiles sur la collecte et la commercialisation des produits forestiers. Cependant, au Madhya Pradesh, les minéraux, la faune sauvage, les feuilles de tendu patta (Diospyros melanoxylon ou feuilles d’ébène indiennes), les graines de sal (Shorea robusta) et la résine de kullu (Sterculia urens) sont les seuls PFNL qui exigent des permis de passage (Madhya Pradesh Gazette, 2005).
Évaluation participative d’un arbre producteur de résine médicinale, Madhya Pradesh |
ICCF, IIFM |
Dans la plupart des plans de gestion, des plans de travail ou des microplans, les ressources forestières sont considérées comme un tout. Bien que les plantes médicinales et aromatiques représentent généralement une catégorie, leur planification spécifique est rare (Misra et Jain, 2003) – même si le gouvernement national a récemment entrepris une démarche visant à incorporer ces espèces dans le code du plan de travail forestier pour améliorer la gestion au niveau de l’unité de gestion forestière (Bhattacharya, 2008).
Les organisations étatiques et locales ont répertorié des ressources dans certaines zones dotées d’abondantes plantes médicinales et aromatiques; toutefois, rares sont les études qui appliquent des techniques améliorées de cartographie terrestre ou aérienne et de documentation, et très peu d’entre elles laissent intervenir les communautés locales de manière réellement participative. Bien que la biodiversité et la végétation aient été cartographiées par télédétection dans les quatre États, les cartes ne sont pas utilisées pour la planification stratégique ou la mise en œuvre des activités de conservation des plantes médicinales et aromatiques (Bhattacharya, 2006).
L’évaluation des dangers qui menacent les espèces prioritaires a été communiquée par le Madhya Pradesh et le Chhattisgarh (Ved et al., 2003), mais l’étude de l’écologie des espèces médicinales et aromatiques, et l’impact de leur surexploitation, n’a pas été assez approfondie pour fournir des informations utiles à la planification de la conservation et de la gestion.
Les départements des forêts étatiques et les commissions des plantes médicinales ont un rôle important à jouer dans la conservation et la gestion de ces plantes dans les zones forestières, et ils entreprennent à ces fins des projets in situ et ex situ. Des organisations étatiques et locales ont lancé des initiatives de conservation axées sur la plantation, telles que le développement des pépinières et la culture des simples, mais elles devront être renforcées par la sensibilisation accrue de l’opinion publique, par des incitations et par la constitution de liens avec les marchés. Les initiatives de l’État tendent à être compromises par les déficiences de la gestion et du personnel, ainsi que par l’absence de surveillance et d’évaluation de leurs résultats.
Tout en reconnaissant l’importance d’une récolte durable, de nombreux cueilleurs adoptent des méthodes destructives dues à la précarité de leur situation économique, à la pression démographique qui entraîne l’utilisation concurrentielle des ressources et à la demande des marchés. Les organisations de recherche – par exemple, l’Institut de recherche forestière tropicale et l’Institut de recherche forestière de l’État, Jabalpur; la Foundation for Revitalising Local Health Traditions, Bangalore; et l’Institut indien de gestion forestière (Indian Institute of Forest Management, IIFM), Bhopal –, ainsi que des organisations locales, s’emploient à systématiser les techniques et méthodes de récolte durable, grâce à la recherche sur le terrain et aux programmes de renforcement des capacités des cueilleurs, des commerçants et du personnel de terrain forestier, mais les résultats de leurs recherches sont peu diffusés et ne sont dès lors que faiblement appliqués (Prasad, Kotwal et Mishra, 2002; Bhattacharya et Hyat, 2004; Lawrence, 2006). Bien que les organisations gouvernementales et non gouvernementales préparent régulièrement des ateliers de sensibilisation et de formation en matière de récolte durable des plantes médicinales et aromatiques, ces efforts ne paraissent pas s’être traduits par des pratiques durables sur le terrain.
Les cueilleurs ne prêtent guère d’attention à la qualité et continuent à récolter les plantes prématurément, car le système de classement actuellement en vigueur (contrôlé dans une large mesure par les commerçants) et les marchés autorisent l’achat même de matériel de qualité médiocre (Durst et al., 2006). Le contrôle de la qualité dans les marchés locaux et régionaux est faible; il repose surtout sur l’expérience personnelle et n’exclut pas toujours l’adultération. Bien que l’analyse chimique de la matière première fasse l’objet d’une acceptation croissante, le manque de laboratoires locaux réduit la mise en œuvre au niveau du terrain. Les manuels ou règlements normalisés pour le contrôle de la qualité font défaut presque partout.
L’éloignement des entrepôts force les cueilleurs à vendre leurs matériels directement aux agents ou commerçants locaux, et des pratiques d’entretien impropres pendant l’entreposage raccourcissent la durée de conservation, risquant de compromettre la qualité du matériel. Cependant, dans certaines zones du Chhattisgarh et du Madhya Pradesh, des entrepôts locaux ont été construits, améliorant ainsi les revenus économiques des cueilleurs.
La documentation relative à la collecte, à l’entreposage et à la traçabilité des plantes médicinales et aromatiques est encore rare.
Une stratégie de commercialisation efficace est fondamentale pour le développement du secteur des plantes médicinales et aromatiques en Inde. Des réseaux de commerçants privés influents entravent souvent le développement dans ce domaine. Le manque de soutien de la part de l’État ou d’un système organisé permet à ces commerçants d’exercer leur influence même dans les zones reculées. La plupart des parties prenantes préféreraient voir ce problème affronté par la création d’un milieu commercial propice, plutôt que par la réglementation. Plusieurs organisations (telles que la Madhya Pradesh Minor Forest Produce Federation, le département des forêts du Madhya Pradesh, la Forest Development Corporation de l’Uttarakhand, la CG MFP Federation et le département des forêts du Chhattisgarh) ont lancé des initiatives pour faciliter l’accès aux marchés, en constituant par exemple des coopératives et en organisant des occasions de rencontre entre vendeurs et acheteurs, comme les foires et les expositions. Les parties prenantes ont aussi proposé la création d’un système de commercialisation et d’information électronique, concept qui a été adopté par la Commission nationale des plantes médicinales.
Bien que les individus soient encore les principaux cueilleurs dans de nombreuses zones, les coopératives et les fédérations gagnent maintenant en importance au niveau de l’État et facilitent le partage des avantages. Un bon exemple en est le comité villageois du satawar, dans le district de Sheopur du Madhya Pradesh, où le satawar (Asparagus racemosus) est l’une des principales sources de revenu pour les villageois. Au comité incombe la responsabilité de la collecte, de l’entreposage et de la commercialisation de cette espèce, et les bénéfices sont répartis entre les cueilleurs (Bhattacharya, 2006).
La stratégie de fixation des prix des plantes médicinales et aromatiques est un autre motif de préoccupation, en raison de l’instabilité de l’offre basée sur la demande, de la qualité et de la disponibilité du matériel. À l’heure actuelle, la plupart des prix sont contrôlés par les commerçants qui ne s’intéressent pas au partage des avantages. Certains produits (comme les feuilles de tendu patta) sont nationalisés, ce qui veut dire que l’État détient le monopole de la récolte et du commerce; le gouvernement organise des ventes aux enchères compétitives, et les bénéfices sont répartis entre les cueilleurs. L’Uttarakhand a entrepris récemment la collecte organisée et la vente aux enchères ouvertes de certaines plantes médicinales non nationalisées, offrant 94 pour cent des gains à titre de redevance à l’organisation des cueilleurs. Dans l’Orissa, les conseils villageois sont autorisés à fixer le prix d’achat minimal pour les 69 PFNL enregistrés. Les parties prenantes craignent que le monopole du gouvernement puisse nuire aux cueilleurs et entreprises locaux (FGLG-India, 2008).
L’information sur les marchés et la documentation manquent de fiabilité, car les commerçants ne sont pas tenus légalement à fournir des informations commerciales aux départements des forêts étatiques et aux communautés forestières. L’absence d’un système transparent et accessible d’information empêche les cueilleurs d’obtenir des prix plus avantageux (Karki et Rawat, 2004). Bien qu’ait été suggéré un système de communication volontaire, au titre duquel les commerçants et l’industrie fournissent au département des forêts étatique des informations commerciales (y compris la source de la matière première et les prix d’achat et de vente), il risque de ne pas s’avérer réalisable dans les conditions socioéconomiques de l’Inde. Certaines interventions ont permis récemment de surveiller l’entrée des produits sur le marché:
Plusieurs organisations gouvernementales et non gouvernementales au Chhattisgarh et au Madhya Pradesh organisent des activités de formation pour améliorer les compétences des participants en matière de conservation, gestion durable, transformation et valeur ajoutée.
Les pratiques traditionnelles de collecte, transformation et emmagasinage ont visé la qualité des produits phytopharmaceutiques, mais le perfectionnement de ces compétences assurera aux populations locales une part des revenus commerciaux (transformation des fruits du groseillier indien par les communautés locales, Chhattisgarh) |
CHHATTISGARH FOREST DEPARTMENT |
Pendant la décennie écoulée, un grand nombre d’organisations se sont attachées à élaborer des normes et bonnes pratiques pour la récolte de plantes médicinales et aromatiques. Les Directives sur les bonnes pratiques agricoles et de récolte (BPAR) relatives aux plantes médicinales, publiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2003) offrent un modèle pour leur transformation en directives nationales et régionales. Les exemples comprennent les directives élaborées par le Swiss Import Promotion Programme (SIPPO) pour la collecte de plantes sauvages commercialisées sous la mention «biologiques», qui fournissent des détails sur la collecte, le séchage et la transformation des matériels sauvages, ainsi que sur certains aspects de l’achat, de la transformation et de la commercialisation (Muller et Durbeck, 2005); et les directives de l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments (EMEA, 2006) relatives à la production agricole et la collecte de plantes médicinales ou d’ingrédients tirés d’herbes sauvages, qui mettent l’accent sur la culture, les bonnes pratiques de récolte, l’assurance de la qualité, les pratiques de transformation primaire et d’emballage et la documentation. Le Botanical Raw Material Committee de l’American Herbal Products Association, en collaboration avec l’American Herbal Pharmacopoeia, a produit récemment un guide provisoire des bonnes pratiques agricoles et de collecte, à l’intention des cueilleurs et des producteurs d’herbes, pour vérifier l’identité de la matière première utilisée dans les médicaments et d’autres produits, et pour minimiser l’adultération (AHPA et AHP, 2006).
En 2004, un groupe d’experts, convoqué par le Fonds mondial pour la nature (WWF), le réseau de surveillance du commerce de la faune sauvage TRAFFIC et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), a élaboré un ensemble de quatre normes provisoires sur la gestion de l’écosystème et des plantes médicinales et aromatiques; la collecte dans les espaces naturels; la domestication, la culture et la production améliorée in situ; et les droits. En 2005, une deuxième version provisoire a regroupé ces quatre normes en une seule comprenant 10 principes, des critères connexes et des indicateurs proposés. La version la plus récente, qui tient compte de l’évaluation sur le terrain et de l’opinion des parties prenantes et des experts, ainsi que d’autres directives et règlements internationaux pertinents, comprend 6 principes, 18 critères et 105 indicateurs couvrant des domaines allant des questions environnementales, sociales et de gestion à des problèmes de développement économique et commercial. La norme serait utilisée pour certifier la collecte de plantes médicinales et aromatiques à l’état naturel (Medicinal Plant Specialist Group, 2007).
Il n’existe pas de programme exclusif pour la certification des plantes médicinales. Bien que le Forest Stewardship Council (FSC) s’occupe principalement de la certification du bois, il est également habilité à certifier les plantes médicinales et d’autres PFNL. Actuellement, le FSC fournit une certification pour les PFNL et les plantes médicinales au cas par cas, du fait que la variété et la complexité des critères de gestion sont beaucoup plus grandes que pour le bois (Brown, Robinson et Karman, 2002). Le Programme de ratification des projets de certification forestière a publié récemment un document technique sur la certification de la chaîne de responsabilité relative aux PFNL (Brunori, 2007).
Les normes de qualité du produit telles que les bonnes pratiques de fabrication, la série de normes ISO 9000 pour les systèmes de gestion et la série ISO 14000 pour la gestion de l’environnement de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) s’appliquent aussi aux plantes médicinales. Les normes internationales et nationales de certification biologique, comme celles de la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique et, en Inde, du programme national pour la production biologique, sont applicables aux plantes médicinales aussi bien cultivées que sauvages. Pour réaliser les objectifs socioéconomiques, la certification des échanges commerciaux équitables peut aussi jouer un rôle important (Jain, 2004). Toutefois, aucun programme existant n’est suffisamment complet pour couvrir les domaines de la collecte, de l’entreposage, de la qualité et de la commercialisation des plantes médicinales sauvages, en même temps que les aspects environnementaux, sociaux et économiques. Ces domaines peuvent être traités en associant différents programmes, mais il s’agit d’une tâche complexe qui pourrait ne pas être rentable (Wenban-Smith et al., 2006).
En Inde, les essais menés pour certifier les plantes médicinales et aromatiques n’ont démarré que récemment. En 2001, le Fonds mondial pour la nature en Inde a entrepris une étude sur trois plantes médicinales présentes dans les forêts de l’Himachal Pradesh pour évaluer l’applicabilité des principes du FSC (Rastogi et Pant, 2004). L’État du Chhattisgarh a institué la Société de certification du Chhattisgarh, qui s’occupe d’une série de PFNL mais donne la priorité à l’abondance de plantes médicinales et aromatiques et à leur potentiel économique pour l’État (CG MFP Federation et Chhattisgarh Forest Department, 2003). Un projet réalisé récemment et parrainé par la Commission nationale des plantes médicinales et le Centre de recherche pour le développement international (CRDI) dans un district du Chhattisgarh a élaboré un ensemble de normes génériques pour la récolte rationnelle et d’autres pratiques, ainsi qu’un groupe de normes spécifiques pour 10 espèces (Katiyar, 2007). De même, dans l’Uttarakhand, Winrock International étudie à l’heure actuelle la certification de cinq espèces végétales médicinales (y compris le lichen), dans le but de mettre au point des normes propres à l’espèce (Winrock India, 2007). Vu le scénario actuel, la certification des plantes médicinales et aromatiques pourrait paraître trop ambitieuse pour l’Inde, mais les bonnes pratiques peuvent être adoptées progressivement.
Atelier de certification des PFNL au niveau du terrain, Madhya Pradesh |
ICCF, IIFM |
Affiche servant à sensibiliser les communautés au processus de certification des PFNL |
ICCF, IIFM |
Le cadre normalisé mis au point par le projet du Centre international de foresterie communautaire est formé de quatre volets consistant en quatre principes et les critères, indicateurs et vérificateurs connexes. Les critères et indicateurs de la version la plus récente figurent dans le tableau.
La norme a été élaborée en plusieurs étapes. D’abord, au cours d’une série de réunions et de consultations, les décideurs intéressés, spécialistes forestiers, institutions universitaires, ONG, commerçants et représentants de l’industrie ont examiné les différents systèmes de certification internationaux, évalué leur applicabilité et proposé des adaptations. En deuxième lieu, la norme provisoire modifiée a été mise à l’essai sur le terrain à l’aide d’une démarche participative à laquelle ont pris part des cueilleurs, des forestiers de terrain, des commerçants locaux, des chercheurs et des ONG. Troisièmement, le système a été perfectionné lors d’ateliers régionaux. Il est désormais mis en œuvre sur le terrain dans différentes parties de l’Inde, y compris les quatre États qui font l’objet du projet.
Cette norme servirait à certifier aussi bien les pratiques de collecte durable que la zone où les ressources sont extraites durablement. La certification serait effectuée par des organisations indépendantes pour mieux profiter du marché, mais les communautés locales (comités de gestion forestière collective et autorités villageoises) et les unités locales du département des forêts devront prouver qu’elles répondent aux exigences de la gestion durable des plantes médicinales et aromatiques comprises dans les prescriptions du plan de travail.
Le Ministère de l’environnement et des forêts, le Gouvernement indien et la Commission nationale des plantes médicinales ont lancé une initiative pour faire en sorte que la certification puisse être effectuée dans le contexte indien, et ont présenté des options pour des améliorations et un développement ultérieurs. De nombreuses consultations avec les parties prenantes et leur sensibilisation aux aspects positifs et négatifs de la certification des plantes médicinales et aromatiques sont nécessaires avant sa mise en œuvre. Les différents intéressés devraient fournir des informations sur l’applicabilité des éléments de la norme provisoire en fonction des données disponibles sur le terrain, et donner des détails de la collecte pour prouver sa conformité avec la norme.
La plupart des parties prenantes ont estimé que les coûts de la certification et l’exigence d’une documentation sont les principales contraintes. L’étude a donc conclu qu’un système de certification devrait mettre l’accent sur l’inspection et la vérification au niveau du terrain, plutôt que sur l’obligation de fournir une documentation encombrante.
Les auteurs du présent article invitent les lecteurs à leur fournir des commentaires constructifs.
La certification des plantes médicinales et aromatiques est un concept nouveau, qui prend progressivement corps en Inde. Malgré l’utilisation traditionnelle profondément ancrée de ces plantes, il est nécessaire d’améliorer les pratiques conformément à des paramètres environnementaux et sociaux bien définis ainsi qu’à des normes internationales. Les fabricants et exportateurs de médicaments sont les principaux consommateurs des matériels à l’état naturel; le gouvernement devra prendre des mesures pour les encourager à utiliser du matériel certifié qui pourrait leur conférer la réputation de bons gestionnaires des ressources.
Étant donné les divers intérêts de multiples parties prenantes, les institutions établies pour organiser le secteur des plantes médicinales et aromatiques devront adopter une approche pluridimensionnelle de la planification et de la gestion, des stratégies compétitives de commercialisation et des politiques souples. La collecte légale, la gestion des ressources, la qualité de la matière première, la facilitation de l’accès aux marchés, la traçabilité et la transparence devraient être les principaux domaines de la recherche et du développement futurs. Les pratiques traditionnelles sont d’une importance cruciale pour l’élaboration et l’acceptation des normes. La certification est un processus participatif de même que l’établissement des normes. Les cueilleurs aussi bien que les utilisateurs sont tenus de mettre au point des normes et de les appliquer.
L’élaboration et l’application de normes à des fins de certification sont des questions bien différentes. La certification collective ou par étapes est recommandée pour aider les parties prenantes à répondre à ses exigences et à fournir la documentation détaillée nécessaire. L’écart entre les pratiques existantes et l’utilisation de paramètres normalisés peut paraître profond, mais l’adoption progressive de bonnes pratiques permettra de le réduire.
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