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La forêt dans l'aménagement du territoire et l'utilisation des terres

PERSONNEL DE LA FAO

L'une des préoccupations principales du Groupe de travail du boisement et du reboisement de la Commission européenne des forêts de la FAO a été de formuler des arguments convaincants en faveur de l'application générale de politiques d'extension et de restauration forestières. Avec l'aide du rapporteur, M. J. A. de Vaissière (France), le Secrétariat de la FAO a préparé une étude sur la question; il y a été amené en partie par le Projet de développement méditerranéen. Aux divers stades de la préparation, cette étude a été soumise à l'examen du Groupe de travail: la dernière session, tenue en Turquie en 1959, a décidé que l'introduction en serait publiée sous forme de «manifeste» dans Unasylva. Elle est reproduite ici, dans sa version originale française.

La forêt primitive a d'abord été soumise à une économie de cueillette, toute sa production, fruits, feuilles et bois, participant à la satisfaction des besoins de l'homme et de son troupeau.

Avec l'apparition puis l'extension de la culture sédentaire, la forêt est devenue le prolongement des activités de l'exploitation agricole: lieux de parcours pour le bétail, source de litière et de fourrage, matières premières pour la construction et le chauffage, dans le cadre d'une économie de subsistance qui prédomine lorsque l'insuffisance des transports et des voies de communication ne permet pas de larges échanges. La forêt paysanne ou collective demeure une nécessité pour l'exploitation agricole. Le bois, matériau lourd et encombrant, est utilisé sur place par l'agriculteur lui-même ou par des artisans locaux. En Europe, la châtaigneraie «à tout faire» est un exemple typique d'une telle situation.

Pendant les périodes de paix sociale, l'augmentation de la population qui demeure, pour sa majeure partie, attachée au sol provoque souvent des défrichements sans que toujours les conséquences en soient exactement mesurées. L'homme, en s'appropriant des terres qu'il défriche et cultive sans le souci de la conservation des sols et des eaux, entraîne parfois sa propre perte. La décadence de nombreuses collectivités et le retour aux activités pastorales ne sont souvent que la conséquence d'abus de jouissance qui n'ont pas été compensés, surtout dans les régions où les conditions de sol et de climat rendent la culture marginale, par les travaux correspondants de conservation ou de restauration des sols.

Avec les premiers développements industriels, la forêt a encore accentué son rôle comme source de combustible, tout en participant activement à la fourniture de bois d'oeuvre, de service et d'industrie. Les forges, les verreries, les salines se sont installées à proximité des sources de matières premières, mais aussi près des forêts, sources d'énergie, alors que le développement des mines, des chemins de fer, etc., demandait des quantités croissantes de bois de service et d'industrie.

Ainsi tendent à s'établir au cours des siècles, à des moments différents de l'histoire suivant les pays, en fonction des conditions économiques et sociales, certaines relations entre la forêt, l'agriculture et l'élevage d'une part, et la forêt et l'industrie d'autre part.

Puis, dans certaines régions et; notamment en Europe à la fin du XIXe siècle, le développement des communications, les progrès techniques en matière agricole et l'apparition des produits de substitution du bois ont eu pour résultat de modifier ces relations bien établies. C'est ainsi que la ferme, par suite de l'élargissement de l'économie des marchés résultant du développement des communications, devient moins tributaire de la forêt pour le chauffage, la construction des bâtiments et l'alimentation du bétail; que certaines régions de basse montagne ou de haute montagne à vocation principalement agro-pastorale ou sylvo-pastorale sont abandonnées par la population qui s'installe dans les plaines en faveur desquelles a joué le progrès technique et où elle trouve un niveau de vie plus élevé avec un travail moins pénible; et que le bois, qui perdait ses débouchés traditionnels concurrencés par de nouvelles sources d'énergie ou par des produits de substitution, est devenu la matière première de base d'industries qui exigent au début de très importants investissements et doivent en contrepartie être assurées d'un approvisionnement régulier pour être sûres de garantir le plein emploi à une main-d'œuvre qualifiée et de pouvoir amortir régulièrement et rapidement le capital social.

En présence d'une telle évolution, que l'on constate surtout en Europe et en Amérique du Nord mais qui apparaîtra certainement ailleurs, se trouvent remises en cause la place de la forêt dans une utilisation rationnelle des terres et l'orientation à donner à la production forestière. La politique forestière étant toujours à long terme, des solutions seront à rechercher immédiatement, même si elles ne s'imposent pas dans une perspective immédiate. Leur recherche s'imposera toutefois avec encore plus d'acuité dans certaines régions naturelles où l'inadaptation des économies locales risquerait d'amener des déséquilibres d'ordre social et économique très graves à l'intérieur d'une nation.

Aménagement du territoire et utilisation rationnelle des terres

La question de la place à donner à la forêt se pose d'abord sur le plan national dans le cadre de l'aménagement du territoire, qui se propose de répartir l'espace national entre:

1. La production animale ou végétale, y compris la production forestière;
2. L'installation des hommes (habitat) et de dépendances (usines, routes, etc.);
3. La constitution de réserves (parcs nationaux, forêts suburbaines, réserves).

L'aménagement du territoire fixe les principes de développement des villes (urbanisme), de l'aménagement des infrastructures de base (notamment des grands axes de circulation et de transport, de la production et distribution de l'énergie), de l'implantation des «pôles de croissances» (zones industrielles), de la mise en valeur du terroir rural (utilisation par l'agriculture, la forêt et l'élevage), de l'organisation des loisirs' (espaces verts, tourisme). Il vise à assurer le meilleur emploi des facteurs de production, c'est-à-dire à éviter dans toute la mesure du possible les compétitions entre branches d'activité d'un même secteur, ou les conflits entre différents secteurs.

C'est ainsi que les villes, dont le développement est un des traits marquants de l'évolution des économies modernes, tendent à entrer en conflit avec l'agriculture au double point de vue de l'utilisation de l'espace national (surface de plus en plus vaste exigée par la ville et ses annexes) et de l'utilisation de la main-d'œuvre (exode rural). L'agriculteur et le forestier sont ainsi amenés, pour la mise en valeur des terres qui leur sont affectées, à tenir compte des impératifs de l'aménagement, du territoire. Ils ne peuvent pas ignorer la nécessité de l'urbanisme, de même que l'urbaniste ne saurait ignorer la nécessité de conserver à proximité des grandes agglomérations certains espaces verts ou même certaines cultures maraîchères.

L'aménagement du territoire peut, et même doit, être complété par l'aménagement de certaines grandes régions naturelles: aménagements régionaux délimités à l'intérieur d'un espace national ou de plusieurs espaces nationaux voisins. L'aménagement du bassin d'un grand fleuve est un exemple d'un tel aménagement régional. Les études dans un certain nombre de cas peuvent être limitées aux seuls aménagements régionaux.

Si le forestier et l'agriculteur ont donc à intervenir dans l'aménagement du territoire, leur rôle sera encore plus immédiat et plus direct dans l'utilisation rationnelle des terres, c'est-à-dire dans l'utilisation la plus convenable des terroirs laissés à l'agriculture, à la forêt et à , l'élevage. L'utilisation rationnelle des terres est celle qui combine les modes d'utilisation des terres (agricoles, forestières, pastorales) pour utiliser au mieux les facteurs de production (terre, main-d'œuvre et capital), compte tenu des circonstances existantes ou à créer, pour atteindre un ou plusieurs objectifs donnés. Ces objectifs sont fixés en fonction des valeurs attribuées à la conservation des sols et des eaux, au niveau de consommation et au niveau de vie dans le cadre d'une poli tique nationale d'ensemble admise. Des décisions politiques sont donc à la base de l'utilisation des terres.

L'agriculture, la forêt et l'élevage pris chacun dans leur ensemble sont des modes d'utilisation des terres qui peuvent revendiquer chacun un rôle physique (protection et conservation des sols et des eaux), un rôle de production (production d'aliments ou de matières premières) et un rôle social (emploi et amélioration, en général, du niveau de vie) pour contribuer à l'effet total désiré.

En ce qui concerne la forêt, son triple rôle, correspondant aux trois critères précités, a fait l'objet de nombreuses études. C'est la reconnaissance de ces trois critères qui permet de fixer les objectifs à atteindre par la forêt. Par contre, les mesures, à prendre pour faciliter la mise en œuvre des facteurs de production et atteindre les objectifs définis devront tenir compte des circonstances techniques, économiques et institutionnelles, qui montrent les possibilités et les limites. Les circonstances techniques; sont celles relatives à l'état des sols., au degré de la technique et de la formation professionnelle et à la perméabilité des populations à la vulgarisation; les circonstances économiques sont celles relatives à l'organisation des marchés, à la structure financière et économique, à l'infrastructure de base et aux possibilités d'investissement; les circonstances institutionnelles sont celles qui résultent de la législation, des droits coutumiers et des droits d'usage.

Il convient de rappeler ici la nature particulière des facteurs de production en matières forestières.

En général, l'agriculture laisse à la forêt des terres plus ou moins marginales. Les forêts de haute productivité ne se sont formées ou ne se formeront que grâce à des soins attentifs et continus que toute erreur de gestion risque de compromettre. Une plus forte intervention humaine permettant une transformation du milieu et utilisant au maximum les progrès techniques permettra d'obtenir des peuplements d'une valeur supérieure à celles résultant du seul jeu des forces naturelles, mais une telle intervention ne se justifiera le plus souvent que dans les terres les meilleures.

Les investissements en forêts ne donnant des revenus qu'à très long terme et les immobilisations de capitaux y étant très importantes, les travaux forestiers demandant le plus souvent des c édits publics à long terme et à faible intérêt. Par ailleurs, le transport des produits de la forêt à l'usine nécessite également des investissements importants, auxquels doivent participer des capitaux publics. Quant aux usines de transformation, elles nécessitent d'autant plus de capitaux que la mécanisation et la pleine utilisation des progrès techniques nécessitent des unités plus grandes. Enfin la constitution des stocks et le rythme des saisons, notamment dans les pays nordiques, nécessitent également d'importants capitaux circulants. La nécessité de ces capitaux: circulants est encore plus accrue quand il y a exportation et qu'il faut faire alors souvent appel au crédit.

Enfin, bien qu'une tendance apparaisse pour assurer le plein emploi à une main-d'œuvre qualifiée ayant des salaires voisins de l'industrie, une grande partie de la, main-d'oeuvre forestière est encore recrutée parmi les agriculteurs, dont la formation professionnelle en matière forestière est le plus souvent peu développée.

L'aménagement du territoire, aussi bien que l'utilisation rationnelle des terres, se traduit à l'échelon local, selon la dominance donnée à l'un des trois rôles, et sans d'ailleurs exclure les deux autres rôles:

1. Par l'aménagement des bassins versants qui, prenant comme unité de travail une région naturelle suffisamment homogène, constituée par le bassin d'une rivière ou d'un de ses tributaires, se propose d'obtenir la meilleure conservation et la meilleure utilisation des sols et des eaux (prédominance du rôle physique).

2. Par l'aménagement foncier qui, dans le cadre d'une circonscription administrative, se propose de constituer des unités de gestion agricole ou forestière rentable (prédominance du rôle de production).

3 Par l'aménagement des collectivités locales qui a pour but surtout d'élever le niveau de vie et de consommation d'une communauté (prédominance du rôle social) tout en la faisant participer au développement économique de la nation.

Relations forêt-agriculture et forêt-industrie

Cette articulation générale entre l'aménagement du territoire et l'utilisation rationnelle des terres, ainsi que leur application à l'échelon national, régional et local étant rappelée, il convient d'examiner les relations entre les différents éléments qui participent au développement économique et social. En attendant que l'application des méthodes «entrée-sortie» illustre ces relations d'une façon plus précise, les paragraphes suivants montrent ce que peuvent être dans leurs grandes lignes, par exemple en Europe et au Proche-Orient, les relations entre la forêt, l'agriculture et l'élevage d'une part, et la forêt et l'industrie d'autre part.

Relations forêt-agriculture

Dans les régions de plaine, de caractère agricole, les relations forêt-agriculture ne rencontrent pas d'obstacles majeurs. Les cultures d'arbres comme le peuplier, associées avec des spéculations agricoles, les brise-vent, les bandes-abris et les bois de ferme, montrent d'une façon évidente le bénéfice que l'agriculteur tire du rôle protecteur de l'arbre et de la haute rentabilité des essences à croissance rapide, favorisés par des façons culturales, l'apport d'engrais et d'amendement, et même l'irrigation. Dans ces régions où le problème de la conservation des sols ne se pose pas, et où les transports sont faciles, l'arbre a sa place fixée par des considérations de simple rentabilité et la production doit être intégrée à des industries utilisatrices installées souvent à proximité des centres de consommation. Il faut toutefois insister sur le caractère particulier des bandes-abris principales, dont la permanence devra être assurée soit par la législation, soit en les rattachant au domaine de l'Etat.

Par contre, ces relations agriculture-forêt soulèvent des difficultés plus sérieuses dans les régions pauvres où une agriculture, souvent encore nomade, empiète sur la forêt, qu'il s'agisse de la montagne, des zones arides ou semi-arides. Les cas de la montagne et de la steppe seront seuls examinés ici.

Dans les pays de montagne d'ancienne polyculture vivrière en voie d'abandon par les populations agricoles par suite du développement de l'économie de marché, ou dans les régions de pâturage extensif non contrôlé où l'homme et le troupeau continuent à vivre de la disparition de la forêt, l'évolution des relations entre la forêt et l'agriculture ou le parcours extensif risque d'aboutir soit à l'apparition de véritables déserts humains, conséquence de l'abandon total de la montagne, soit à une dégradation des sols, si profonde que leur reconstitution exigerait des investissements hors de proportion avec les disponibilités, tout au moins dans la situation actuelle.

La remise en ordre de la vie rurale en montagne doit se faire parallèlement à la mise en valeur de la plaine voisine, mais sur la base d'une gestion beaucoup plus extensive. A mesure que la population excédentaire de la montagne sera absorbée par la plaine en voie de développement, la montagne pourra passer de l'économie de subsistance à l'économie de marché en faisant une reconversion à partir de trois activités de base: l'élevage sur les meilleures terres pour la production animale; la forêt sur les autres terres pour la fourniture de bois à l'industrie, et notamment à celle des pâtes et papiers, et pour assurer éventuellement un complément de parcours si sa nature ne lui permet pas de fournir les bois demandés par l'industrie mais par contre les feuilles et les fruits acceptés par le troupeau, le tourisme pour la satisfaction des besoins des populations citadines dont l'importance croît avec le développement de l'économie de marché. Ces activités établiront des liens avec l'économie de plaine, qui trouvera les pâturages d'été nécessaires à son troupeau, la matière première nécessaire à ses industries, et les distractions pour ses habitants.

Bien entendu, selon les circonstances et notamment quand la montagne occupera de grandes surfaces ou sera d'accès difficile, elle devra faire l'objet d'un aménagement selon les lignes indiquées ci-dessus mais prévoyant une plus grande autarcie: polyculture vivrière sur les meilleures terres (éventuellement sur les zones pare-feu), industrie légère et artisanat groupés près des villages forestiers, etc. Cet aménagement devra toutefois être conçu de façon à maintenir ou à n'installer sur place que l'effectif humain nécessaire à l'entretien et l'exploitation de la forêt, à la gestion du troupeau, et à l'entretien de barrages pour l'énergie ou l'irrigation. Si la montagne devait continuer à être surpeuplée, il faudrait alors, pour obtenir un niveau de vie convenable, la faire «subventionner» par les autres collectivités nationales plus favorisées, soit en protégeant les prix de ses produits, soit en y appliquant une politique de travaux publics, notamment pour l'infrastructure.

De toute façon, quel que soit le degré d'autarcie laissé à la montagne, son aménagement devra toujours être conduit de façon à protéger la plaine de l'érosion, à la ravitailler en eau et à lui fournir les produits dont l'importance augmente avec le niveau de vie: produits animaux comme le lait et la viande, et produits du bois.

Dans la basse montagne, la surpopulation et l'érosion ne permettront peut-être pas immédiatement cette reconversion, à partir de la forêt notamment On pourra alors envisager l'installation de terrasses et de banquettes pour l'agriculture et l'arboriculture. Cette solution pourra être définitive, dans les cas de faible relief où la mécanisation est facile et où les produits obtenus seront ainsi concurrentiels.

Dans les cas de reliefs plus accentués, lorsque ces techniques ne permettront pas d'entrer dans la voie d'une économie concurrentielle, la solution proposée a l'avantage d'arrêter l'érosion et d'employer une main-d'œuvre abondante, avec l'aide de capitaux publics bien entendu. Elle doit préparer la voie à la forêt, qui s'installera plus facilement sur un sol bien préparé.

En ce qui concerne la steppe, il faut passer du libre parcours à l'élevage, que cet élevage soit organisé de façon autonome ou qu'il soit associé à l'élevage des zones plus favorisées où existe une agriculture bien établie. Dans ce dernier cas la steppe est un lieu de reproduction, alors que la prairie irriguée constitue un lieu d'embouche par excellence.

Cet aménagement du parcours, basé sur la rotation, la constitution de points d'eau et le contrôle, devra prendre comme base les communautés existantes, et pourra atteindre une ampleur considérable dans les régions où la densité du peuplement est très faible. La forêt ou plutôt l'arbre peut y avoir sa place, sous réserve que la garderie soit bien faite. L'arbre sera un producteur de bois pour les populations, un protecteur de l'herbe et même un producteur de fourrage d'émonde susceptible de constituer un fourrage d'appoint, et un abri pour le bétail.

Relations forêt-industrie

La forêt, en cessant d'être la seule source de combustible et de matière première pour la construction, doit profondément évoluer. Il s'agit maintenant de produire soit des bois dits de «qualité», dont les prix de vente élevés compensent les soins et le temps à apporter à leur éducation, soit des bois répondant à certaines spécifications assez larges, mais dont les caractéristiques essentielles sont la polyvalence, l'abondance, l'homogénéité et l'accessibilité.

Ces derniers bois peuvent être produits soit sur de vastes surfaces non soumises à la concurrence de l'agriculture et de l'élevage, mais cependant facilement accessibles, soit sur des sols voisins des sols agricoles, ou même agricoles, où l'on peut, en raison des possibilités d'utilisation de certaines techniques, avoir des croissances très rapides et se contenter de surfaces très limitées.

Cette reconversion de la forêt exige l'application d'une sylviculture de plus en plus intensive, c'est-à-dire faisant appel à des interventions humaines de plus en plus fréquentes et exigeant généralement d'importants investissements: boisement des terrains abandonnés par l'agriculture, substitution d'essences de valeur, notamment résineuses, à certaines essences spontanées, plantations hors forêt, aménagement de routes et de voies de vidange pour la sortie des bois, défense de la forêt contre ses ennemis naturels: incendies, insectes, maladies, dangers d'autant plus pressants que la sylviculture intensive a souvent pour effet de substituer à la forêt naturelle des forêts plus homogènes, plus équiennes, donc plus vulnérables.

La forêt feuillue doit progressivement s'adapter aux exigences d'un marché qui n'utilise que quelques essences à caractéristiques technologiques bien définies. Les progrès de la technique permettront peut-être d'utiliser, notamment pour l'industrie des pâtes, des bois en mélange, mais le forestier s'efforcera de favoriser systématiquement les meilleures essences, par voie de plantations, si nécessaire, plantations qui seront localisées en fonction des facilités de transport.

L'application d'une sylviculture intensive peut conduire à une véritable culture de l'arbre, où seront utilisée, des méthodes voisines de celles de l'agriculture et permettant d'augmenter la production par la sélection non seulement des races, mais des individus, et de conserver la fertilité du sol malgré les emprunts qui lui sont faits, en modifiant le relief et en utilisant des façons culturales et des engrais.

A l'opposé, sur les sols les plus dégradés, la reconstitution d'une forêt de valeur économique peut exiger des investissements d'un volume tel qu'il est préférable de conserver la végétation naturelle, malgré sa rentabilité faible ou nulle, si cette couverture vivante, arbres ou arbrisseaux, est suffisante pour enrayer l'érosion.

Ainsi donc, aux deux extrémités de la chaîne se situeraient, d'une façon théorique d'ailleurs, la forêt économique à haute rentabilité et la forêt de protection, de valeur purement physique, conservée sans souci du revenu, mais essentielle par le bénéfice indirect qu'on en tire grâce au maintien des sols en place et à la conservation des eaux.

Plans d'extension et de restauration forestières

La place de la forêt dans l'aménagement du territoire et l'utilisation rationnelle des terres, ainsi que les relations avec les secteurs d'activités voisines, avant été ainsi rappelées, il est alors possible d'aborder l'examen des plans d'extension et de restauration forestières, dont le but est la mise en ordre de l'économie forestière.

Les objectifs de ces plans sont fixés, comme il a été dit, en fonction des rôles physique, productif et social joués par la forêt, et la politique générale suivie pourra être amenée à donner un poids différent à chaque rôle ou même à donner une nette priorité à l'un d'eux.

Leur mise en œuvre, qui tiendra compte des circonstances techniques, économiques et institutionnelles existantes ou à créer, nécessitera un certain nombre de mesures techniques, administratives, législatives ou réglementaires qui ont été mises en évidence par les pays ayant effectué de grands programmes de boisement. Elle repose également sur la propagande, l'éducation, et l'adhésion des populations.

Parmi les mesures techniques à promouvoir., celles concernant l'organisation des recherches forestières et la diffusion des résultats acquis parmi tous les échelons d'exécution sont des plus importantes. Les programmes des instituts de recherche forestière doivent être établis, et ces instituts doté, de moyens personnels et matériels adéquats, pour des périodes de plusieurs armées, en fonction des objectifs économiques et sociaux adoptés. Par raison d'économie, ils doivent être coordonnés à un échelon international, et porter aussi bien sur l'utilisation des produits forestiers que sur la foresterie, sur les sciences forestières proprement dites (accroissements ligneux, techniques de reboisements, etc.), sur les applications forestières des sciences naturelles et biologiques (pédologie, génétique forestières, etc.) ou même des sciences économiques et humaines.

La propagande et l'éducation sont en outre essentielles pour la mise en oeuvre d'un programme de boisement. Il importe que non seulement le public mais encore les administrations non forestières soient parfaitement convaincus de l'utilité de l'œuvre entreprise et des résultats à escompter.

Les plans d'extension et de restauration forestières se différencient des autres plans de développement pal leur aspect à long terme et par la rentabilité nettement différée des travaux. La mobilisation des moyens nécessaires à leur mise en œuvre exige en général des délais incompatibles avec la durée normale des plans de développement économique et social, nationaux ou régionaux. Ces caractéristiques particulières justifient d'ailleurs le choix de sources, Le financement indépendant.

Mais, sous cette réserve, les plans d'extension et de restauration forestières ne doivent pas être dissociés des plans de remise en ordre de l'agriculture, notamment dans la perspective de l'utilisation rationnelle des terres, et de même les plans d'amélioration agricole ne devraient pas être conçus sans tenir compte des développements possibles en matière forestière. Le développement des forêts ne signifie en aucune façon une diminution de la production agricole, et peut souvent avoir un effet opposé. Dans bien des cas aucune amélioration agricole n'est possible sans une amélioration préalable des forêts.

Comme, par ailleurs, ces plans d'extension et de restauration forestières doivent être liés aux plans d'industrialisation, au développement des communications, à la distribution de l'énergie, etc., ils feront l'objet de tranches de programmes qui constitueront les éléments de plans de développement économiques et sociaux successifs, à plus court terme, tant dans le cadre de la nation que de la région naturelle.

Un plan national d'extension et de restauration forestières constitue donc en définitive un modèle sectoriel détaillé, qui vise à dégager solutions les meilleures pour obtenir l'expansion la plus souhaitable de l'économie forestière. Mais il importe d'en vérifier les cohérences d'une part avec les autres plans d'utilisation des terres et d'autre part avec les plans de développement économique et social, tout au moins en ce qui concerne la tranche de programme intéressée.

Le plan pourra lui-même faire l'objet de programmes successifs correspondant à des périodes plus courtes, ou de programmes régionaux correspondant à des régions naturelles. Dans ce cas, l'importance relative donnée à chacun des rôles de la forêt pourra être différente de celle retenue sur le plan national pour fixer les objectifs. Ce changement dans le choix des critères principaux à retenir peut amener soit une diversification des sources de financement, ou une modification dans l'ordre de priorité de réalisation des projets sur le plan général, soit un changement des modes d'action sur le plan local: aménagement des bassins versants, aménagement foncier ou aménagement des collectivités locales.

En conclusion, qu'il s'agisse de l'aménagement, du territoire ou de l'utilisation rationnelle des terres, il faut à tous les échelons, national, régional et local, remplacer une compétition existante, ou en puissance, par une coexistence ordonnée entre les divers secteurs de l'économie ou entre les éléments d'un même secteur. Cela suppose la définition et la reconnaissance, compte tenu des impératifs de la conservation des sols et des eaux, de certains objectifs par les autorités politiques, la mise au point et la coordination des mesures pour atteindre ces objectifs par les administrations responsables et l'acceptation de ces mesures par un public bien préparé.

Le problème du bois de feu

Dans un grande nombre de pays d'Asie, du Proche-Orient, d'Afrique et d'Amérique latine, le bois de feu est souvent extrêmement rare et relativement très cher. L'adoption d'une série de mesures vigoureuses permettrait de remédier à cette situation, et ce sera là un des objectifs de la Campagne mondiale contre la faim.


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