K. NOWAK ET A. POLYCARPOU
K. NOWAK, est un spécialiste suédois des communications et des relations publiques; ANDRÉAS POLYCARPOU, actuellement directeur du département des forêts à Chypre a travaillé à la Division des forêts et des industries forestières de la FAO,
Un séminaire sur les relations sociales dans le secteur forestier a été organisé en septembre/octobre 1969 sous les auspices de l'Agence suédoise pour le développement international, de la FAO et du gouvernement de Chypre' à l'intention de participants des pays d'Asie. Au début de 1969, une mission d'étude préparatoire a visité certains pays de la région.
ON PEUT REPRÉSENTER LES PROBLÈMES que pose le développement forestier en Asie par trois cercles concentriques: au centre, les problèmes techniques inhérents à l'aménagement d'une forêt comprenant de nombreuses essences; puis les problèmes économiques complexes des industries et du commerce forestiers; enfin les problèmes institutionnels auxquels on se heurte lorsque l'on cherche à utiliser au maximum la forêt et les produits forestiers au profit de l'effort d'ensemble de croissance économique et de progrès social.
C'est le troisième cercle, dans lequel s'inscrivent les autres, que nous étudierons surtout ici. La plupart des problèmes sociaux du développement forestier y sont englobés. Et c'est là que l'on pourra, en organisant des relations publiques, aider les forestiers de la région à établir un équilibre harmonieux entre l'offre et la demande des biens, matériels ou intangibles, que l'homme doit à la forêt. Cet article se limitera donc essentiellement à une analyse des aspects sociaux du développement forestier.
Avertissons d'emblée que les auteurs n'ont pas voulu, et l'eussent-ils voulu, n'auraient pas pu, indiquer des solutions à ces problèmes, qui sont aussi vastes et complexes que l'Asie elle-même. Leur visite du monde asiatique, cadre du drame humain, a d'ailleurs été beaucoup trop rapide pour leur permettre autre chose qu'une simple identification des problèmes forestiers qu'un programme de relations publiques pourrait aider à résoudre à long terme.
On indique donc ci-dessous certains des principaux domaines qui appellent un surcroît d'efforts pour les relations publiques.
La tâche du forestier est de servir non pas les arbres, mais l'homme. La forêt est une communauté végétale vivante, un complexe biologique, qu'une intervention scientifique et rationnelle du forestier peut amener à produire des biens et des services utiles à la société humaine. Le forestier s'efforce d'assurer un équilibre harmonieux face aux besoins de l'homme qui ne cessent de s'accroître et d'évoluer, tout en augmentant le potentiel forestier au moyen d'un aménagement rationnel.
Le rapport homme/forêt n'est jamais statique. Il évolue avec la société humaine. Ainsi les premiers hommes considéraient-ils la forêt comme leur habitat; ils y trouvaient une protection contre les intempéries et en tiraient leurs aliments, fruits ou gibier. Puis, l'homme ayant appris à produire ses aliments en cultivant la terre et en domestiquant les animaux, la forêt a pris un nouveau rôle dans sa vie: elle est devenue un parcours naturel pour ses troupeaux, un terrain fertile pour ses récoltes. Quand les hommes ont cessé de se contenter des cavernes pour s'abriter et se protéger du froid, ils se sont aperçus que les arbres pouvaient leur fournir une excellente matière première pour construire des huttes et des cabanes et même, avec d'autres matériaux de construction, pierre ou torchis, des habitations plus perfectionnées. Le bois est en outre un excellent combustible pour cuisiner les aliments ou pour fondre les minerais avec lesquels l'homme fabrique les armes et outils indispensables à sa survie.
A l'époque moderne, la forêt est une source de matières premières précieuses pour des industries importantes telles que la papeterie, les panneaux dérivés du bois, les scieries. En outre, l'urbanisation, avec les concentrations humaines qui en résultent, confère aux forêts une importance croissante pour les sports et les loisirs, sans compter son rôle de couverture naturelle du sol et de régularisation du débit des eaux pour la consommation humaine, ainsi que pour les besoins de l'industrie et de l'agriculture.
Telle a été, en un mot, l'évolution des rapports entre l'homme et la forêt au cours de l'histoire dans la plupart des pays industrialisés d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord. Dans une large mesure, elle est alignée sur l'expansion démographique et sur le progrès économique et social. En d'autres termes, la liquidation des ressources forestières pour faire face aux besoins de l'homme s'est faite graduellement, et les produits de cette liquidation ont été utilisés de façon plus efficace pour entretenir le processus d'expansion économique.
Dans l'Asie d'aujourd'hui, tous les stades de l'évolution du rapport entre l'homme et la forêt coexistent dans chaque. Pour les aborigènes de Taïwan, pour les Kaingineros des Philippines, pour les tribus des collines de Thaïlande, pour les paysans indiens et les nomades de l'Iran, les forêts sont un don gratuit de Dieu à tous et chacun peut à sa guise les défricher, les cultiver, les utiliser comme parcours ou comme terrain de chasse. La nécessité de nourrir les individus et d'assurer leur existence prime toute autre considération et ne laisse pas de place au souci du bien commun.
Lorsque les économies et les structures sociales primitives ont dépassé le stade traditionnel, les gens n'acceptent plus de vivre dans la misère et demandent davantage de biens matériels et de possibilités de promotion. Ces exigences, jointes à l'expansion démographique, déterminent une pression énorme sur toutes les ressources naturelles. A cet égard, la ressource forestière par opposition aux minéraux et à l'eau est particulièrement vulnérable car elle peut être aisément liquidée, brûlée ou coupée pour obtenir des terres agricoles ou gagner de l'argent. Pour de nombreuses tribus d'Asie, il est aussi naturel de pratiquer l'agriculture itinérante ou de voler le bois qui peut être vendu que de boire l'eau d'une rivière.
Quand on essaie d'accroître la production d'animaux pour soulager la pression qui s'exerce sur les terres forestières, on se heurte au manque de capitaux et à une masse énorme de main-d'uvre agricole vivant dans une économie d'autoconsommation, qui cherche constamment à vivre mieux et qui souvent émigre vers les villes. S'il n'y a pas grand-chose à faire pour les nouveaux venus dans les villes, il faut bien constater que la situation est encore plus difficile à la campagne. Les logements de fortune surpeuplés que l'on observe aux environs de Bangkok, les baraques de Manille, les cabanes de torchis qui entourent les villes indiennes attestent le désir des populations rurales de participer aux avantages du progrès. Ces personnes déplacées représentent un des principaux problèmes auxquels se heurtent les gouvernements de nombreux pays d'Asie. Dans les villes, des hordes de squatters imposent de construire des logements à bon marché pour lesquels les forêts pourraient être mises à contribution, mais on dispose rarement des capitaux et de l'infrastructure nécessaires.
D'autre part, la concentration des revenus entre les mains d'une minorité relativement restreinte détermine une consommation superflue et excessive au détriment des investissements et des entreprises productives. C'est ainsi que des économies et des structures sociales fondamentalement différentes évoluent et existent côte à côte, ce qui est un nouveau facteur de diversification et de complication des rapports entre l'homme et la forêt dans chaque pays. Il y a l'économie urbaine avec une certaine spécialisation dans la division du travail et un système monétaire fonctionnel. A côté, il y a la société rurale primitive dont l'économie est fondée sur une agriculture d'autoconsommation et où la monnaie et l'échange n'ont guère de rôle.
Pour la société urbaine, la forêt est une source de matière première utile au développement industriel et à l'expansion du commerce. La plupart des entrepreneurs forestiers s'intéressent avant tout à l'accroissement de leurs profits. Ce qui importe pour eux est d'augmenter tout de suite, et autant que possible, leurs bénéfices en exploitant les forêts. L'économie nationale, la valeur ajoutée, l'emploi, la balance des paiements, l'utilisation rationnelle des ressources et le remplacement des forêts naturelles n'intéressent guère la plupart des industriels et négociants en bois dans ces pays. Dès lors qu'il est possible de réaliser de gros bénéfices aujourd'hui avec un investissement minimal, pourquoi s'occuperait-on des années 1980 ou de l'an 2000 ?
Aux yeux d'une société rurale sur qui pèse le souci d'accroître la production alimentaire, les lois et les règlements limitant ou interdisant le défrichement d'une jungle qui ne produit pas d'aliments et ne sert qu'à abriter les bêtes sauvages sont incompréhensibles. Quel mal y a-t-il à défricher des terres vierges pour y produire de la nourriture lorsque la fertilité des terrains déjà cultivés est épuisée? Quel mal y a-t-il à brûler quelques hectares de jungle pour permettre au bétail de brouter de l'herbe fraîche lorsque les superficies brûlées l'an dernier sont érodées ou couvertes d'herbe à éléphant inutilisable? Quel mal y a-t-il à couper quelques grumes de teck ou d'acajou pour acheter le poste à transistor ou le bijou désiré? Quel mal y a-t-il à tuer un cerf ou un rhinocéros pour se procurer de la viande ou les cornes si recherchées ? Quel mal y a-t-il à abattre quelques arbres et à brûler les branches pour préparer le repas du soir en attendant que le fumier mis à sécher soit prêt ?
Tels sont certains des problèmes sociaux que pose la foresterie et pour lesquels il faut trouver des solutions. Et lorsqu'ils cherchent à les résoudre, les forestiers d'Asie se trouvent impliqués dans la tâche de réformer l'ensemble du cadre social et économique.
Du fait que dans la plupart des pays d'Asie, les ressources forestières sont généralement de propriété publique, le secteur forestier a une importance particulière dans le cadre administratif de ces pays. Lorsque ces ressources représentent un capital gelé, il est d'autant plus facile pour les gouvernements de les liquider pour financer leur programme de développement global. Cependant, cela détermine certaines obligations, car le bien public à long terme doit primer l'intérêt à court terme ou la politique partisane.
Dans la plupart des pays visités, on sait bien que le secteur forestier peut être une importante source de capital pour le développement, mais malheureusement on ne tient pas suffisamment compte de la nécessité de réinvestir dans la forêt un montant suffisant pour ne pas tuer la poule aux ufs d'or.
Dans tous les pays étudiés, les crédits budgétaires affectés chaque année au développement forestier sont insuffisants pour remplacer le capital forestier, qui est liquidé à un rythme toujours plus rapide. Cela ne serait pas grave si les recettes provenant de cette liquidation étaient investies de façon profitable dans d'autres secteurs productifs de l'économie.
Les forestiers de la région ont une tâche essentielle, qui est de donner à ceux qu'ils servent la conscience du danger auquel ils s'exposent si la destruction des forêts se poursuit au rythme actuel. Renforcement des administrations forestières, meilleur statut hiérarchique, pouvoirs accrus, telles sont les conditions qui permettront d'appliquer la législation et de promouvoir des politiques rationnelles, tel doit être l'objectif prioritaire des programmes de relations publiques en matière de foresterie.
Il faut agir parallèlement pour promouvoir la compréhension de la foresterie dans les autres services gouvernementaux. Il faut resserrer la coopération entre les fonctionnaires chargés des forêts et ceux qui sont responsables du développement agricole et de l'irrigation. Ce n'est pas un problème de coordination seulement, mais très souvent de communication.
Dans les services des forêts eux-mêmes, il y a beaucoup à faire pour faire mieux connaître les politiques de façon à assurer l'harmonie entre l'élaboration et l'exécution des politiques. Charité bien ordonnée commence par soi-même; il vaut mieux d'abord améliorer les communications et les relations publiques à l'intérieur des services forestiers eux-mêmes avant de chercher à éduquer l'homme de la rue. Les écoles et facultés forestières peuvent beaucoup pour donner à leurs élèves des lumières sur les techniques modernes de communication des politiques et de relations personnelles. A cet égard, la série de conférences sur l'administration publique entreprise par le collège de foresterie de Dehra Dun en Inde, est un pas dans la bonne direction.
L'économie nationale des pays en voie de développement n'offre sans doute pas d'autre exemple de secteurs aussi étroitement liés et interdépendants que la foresterie et l'agriculture. L'une et l'autre sont basées sur la terre, principal atout de l'économie nationale et principal facteur d'emploi dans la plupart des pays en voie de développement.
Lorsqu'il y a coopération entre l'agriculture et la foresterie, l'effort commun d'expansion économique et de progrès social s'en trouve avantagé. Lorsqu'il y a antagonisme, le progrès en est non seulement freiné, mais souvent annulé. La plupart des problèmes sociaux du développement forestier en Asie proviennent d'un défaut de compréhension et de coopération entre la foresterie et l'agriculture.
Comme le dit Sir Henry Beresford-Peirse ¹: «Il ne s'agit plus, il ne doit plus s'agir pour l'agriculture et la sylviculture de se disputer l'utilisation des ressources naturelles indispensables à l'une et à l'autre, c'est-à-dire de la terre. Il s'agit de trouver les moyens d'en déterminer l'utilisation optimale pour atteindre l'objectif commun du relèvement des niveaux de vie et de nutrition.»
(¹ Sir Henry Beresford-teirse, Les forêts, l'alimentation et les hommes, CMCF Etude de base N° 20. FAO 1968. Rome. 82 pages.)
Le principal apport des forêts à la production alimentaire dérive non pas de la liquidation du couvert forestier pour libérer des terres pour l'agriculture, mais de la protection qu'assurent les forêts aux terres agricoles; de la prévention de l'érosion hydrique et éolienne; de la maîtrise des eaux et de la régularisation des débits des cours d'eau; de la production du combustible nécessaire aux communautés rurales, grâce auquel le fumier peut être utilisé comme engrais; de la production de matières premières pour le développement d'industries qui permettent d'économiser ou de gagner des devises.
On décrit ci-dessous certains des principaux problèmes du développement forestier qui résultent de la rivalité entre la foresterie et l'agriculture et dont la solution exige une coopération entre agriculteurs et forestiers.
AGRICULTURE ITINÉRANTE
«Il s'agit essentiellement d'une alternance agriculture-forêt; le processus se déroule sensiblement comme suit. Une famille paysanne s'installe dans une zone forestière, souvent sans aucun droit, coupe des arbres et construit des huttes. Elle vend du bois d'uvre ou du bois de feu si elle le peut, brûle le sous-étage, entreprend entre les souches des cultures rudimentaires et une diversité de production végétale destinée pour la plupart à la consommation domestique mais parfois également à la vente. Le sol dénudé et brûlé perd sa fertilité avec une rapidité étonnante et parfois, au bout de deux ou trois ans seulement, la famille se rend compte qu'elle ne peut plus cultiver car le sol n'a plus qu'une médiocre fertilité ou est envahi par des herbes nuisibles ou bien souffre des deux maux à la fois. La famille doit donc s'installer ailleurs, et ce cycle de deux ou trois ans recommence sur des emplacements nouveaux ².»
(² Sir Henry Beresford-Peirse, op. cit.)
L'agriculture itinérante est une coutume très répandue parmi les tribus des collines et provinces septentrionales de Thaïlande, et l'un des principaux problèmes forestiers de la région est le défrichement illégal des forêts par les villageois qui ont besoin de terres pour des cultures de rapport
Le gouvernement a créé en 1963 un comité spécial d'études et de recherches sur l'ethnologie, la sociologie, les coutumes et la culture des tribus de collines pour comprendre leur mode de vie et déterminer les moyens les plus appropriés d'assurer leur subsistance. Un centre de recherche a été établi à cet effet; des spécialistes des diverses disciplines, des agronomes, des sociologues et d'autres chercheurs y collaborent. Cependant le problème ne fait que s'aggraver et met désormais en jeu des questions politiques.
Les paragraphes qui suivent sont extraits d'une interview avec Donald F. Gienty3 sur le développement forestier de la Thaïlande:
(³ Donald Gienty est l'auteur de Thailand's development report and its effects on rural people.)
«Le principal problème reste le défrichement illégal des forêts pour établir une agriculture plus ou moins permanente sur les derniers terrains suffisamment favorables du point de vue de la topographie et du sol qui restent dans les réserves forestières légalement constituées Les efforts du service des forêts pour mettre fin à cet abus sont restés vains du fait que le service n'est pas soutenu par les autres institutions gouvernementales.
«Partout, pour protéger et aménager les forêts, il faut limiter tout de suite et définitivement certaines activités de la population locale qui n'avaient jusqu'à présent fait l'objet de pratiquement aucune intervention et qui étaient désormais considérées comme des droits, notamment l'empiètement de l'agriculture sur les terrains boisés, le prélèvement de bois pour la construction et la récolte de tous les autres produits de la forêt. On en est même venu à considérer comme un droit de prélever des produits en quantités supérieures aux besoins locaux, pour les vendre au dehors. Dans ces conditions, les efforts du service des forêts pour s'acquitter de sa fonction principale, qui est de protéger les forêts et de les aménager en tant qu'unités de production ou bien pour la protection des bassins de réception, sont nécessairement impopulaires parmi les habitants.
«La seule solution est de faire connaître bien clairement la loi à tous les intéressés et d'en assurer l'application par des contrôles efficaces pour lesquels le service des forêts doit bénéficier de l'appui inconditionné de l'administration et de la magistrature. Pour mitiger l'antagonisme des populations locales, il faudra des campagnes de publicité permanentes qui, pour avoir une efficacité maximale ou même une efficacité quelconque, devront être menées par des employés subalternes qualifiés, triés sur le volet, capables de bien comprendre les besoins et les attitudes des villageois, de leur inspirer confiance et de se faire comprendre par eux. Ce sera là un processus très lent, qui prendra des années mais que l'on doit entreprendre sans tarder. Il faut assurer un dosage intelligent entre l'éducation et la persuasion d'une part, la fermeté de l'autre.»
Aux Philippines, l'agriculture itinérante et l'installation abusive de colons dans les terres forestières sont aussi parmi les principaux problèmes du développement forestier. Malgré les amendements récents de la loi, qui aggravent les peines auxquelles s'exposent les colons illégaux, on continue à défricher les forêts. C'est que, malgré les vastes zones forestières qui ont été libérées pour des utilisations agricoles, les paysans continuent à exiger plus de terres à cultiver. Dans une allocution qu'il a adressée à l'association philippine des producteurs de bois et au club Hoo-Hoo de Manille, Tom Gill 4 a mentionné la ruée sur la terre aux Philippines: «Ainsi aux Philippines nous assistons à une ruée sur la terre qui pourrait devenir l'une des plus tristement célèbres de l'histoire: une nation est dépouillée de cela même qui rend son existence possible, le sol et la productivité de ce sol. Le principe profondément généreux qui consistait à donner la terre aux paysans pourra se traduire par une aliénation des terres par des gens sans foi ni loi.»
(4 Tom Gill est président de la Société internationale des forestiers tropicaux.)
Insistant sur la nécessité d'une campagne d'éducation publique pour faire bien comprendre le rôle économique et social des forêts, ainsi que d'une ferme résolution de la part des gouvernements de sauver les terres brûlées et abandonnées qui constituent le patrimoine national, Tom Gill a poursuivi en déclarant que les Philippines se trouvent littéralement à la merci d'une course entre l'éducation et le désastre. Si difficile que soit la tâche, il faut créer une volonté nationale, ce qui n'est possible que dans la mesure où la population comprend l'importance et l'ampleur du problème et les rapports qu'il a avec leur vie quotidienne.
A Taïwan, le problème de l'agriculture itinérante existe, mais il est moins grave que dans d'autres pays de la région. Le gouvernement a réussi à le circonscrire et prévoit de libérer 68 000 hectares des forêts nationales qui seront colonisées par des paysans sans terre et des soldats à la retraite.
En Inde, le problème de l'agriculture itinérante se pose de façon aiguë dans de nombreux Etats et en particulier dans les collines de l'Assam, du Manipur, du Tripura, dans les territoires qui dépendent de l'organisation de la frontière du Nord-Est, dans le Nagaland et dans l'Etat d'Orissa. On signale qu'environ 207 000 hectares dans l'Assam, 47 000 au Tripura et 22 000 au Manipur sont soumis à l'agriculture itinérante. Dans l'Etat d'Orissa, on estime que la superficie touchée par l'agriculture itinérante atteint 3,3 millions d'hectares.
Pour faire perdre aux populations tribales l'habitude séculaire de l'agriculture itinérante, il faut démontrer l'efficacité des méthodes agricoles améliorées. Dans la mesure où les crédits le permettent, on procède aux démonstrations voulues, on distribue des terres appropriées à coloniser aux populations tribales, on s'efforce d'introduire le système taungya. Il y a tout lieu de croire que l'effort de persuasion entrepris avec humanité a peu à peu l'effet souhaité.
«Ce système de culture itinérante est généralement condamné et par le forestier et par l'agronome; il est condamné par le forestier parce qu'il entraîne des gaspillages de bois et une dégradation régulière de la forêt; par l'agronome parce que la production alimentaire est médiocre par rapport à la superficie utilisée et à l'énergie déployée. Et cependant, il faut veiller spécialement ici à ce que tout système nouveau qui serait introduit se révèle à l'expérience plus efficace que le précédent. Car l'agriculture nomade est plus qu'une forme primitive d'agriculture: c'est un mode de vie des peuplades forestières qui remonte aux temps les plus reculés 5.»
(5 Sir Henry Beresford-Peirse, op. cit.)
Quel que puisse être le nouveau système, il faudra de la constance, de l'imagination et un gros effort de préparation pour mener des campagnes à long terme en vue de changer le mode de vie des agriculteurs nomades.
PÂTURAGE EN FORÊT
L'autre pratique agricole qui nuit au développement forestier et surtout à la conservation du sol est le pâturage nomade ou le libre parcours. La charge pastorale est le principal problème forestier qui se pose au Proche-Orient et dans le sud-ouest de l'Asie ainsi que dans la plupart des régions d'Asie méridionale, mais elle est moins inquiétante en Extrême-Orient.
Comme c'est le cas pour l'agriculture itinérante, le pâturage nomade existe depuis que l'homme primitif est devenu pasteur. Il est dicté non seulement par la nécessité économique (c'est une façon d'utiliser les terrains dégradés), mais aussi par la coutume et la religion qui empêchent le développement d'un élevage sédentaire plus productif en interdisant l'utilisation de certains animaux. Pour réformer l'élevage, il faudra non seulement des stimulants économiques mais aussi une réforme des habitudes alimentaires et des régimes traditionnels, ce qui complique énormément le problème.
La coupe illégale des arbres en forêt est un autre grave problème que doivent affronter de nombreux départements des forêts de la région. Le bois sert généralement à construire des maisons ou des charrettes et autre matériel agricole, ou bien comme bois de feu, ou encore il est vendu aux scieries.
Les services forestiers font appliquer la loi dans ces cas et les responsables, lorsqu'ils sont pris, sont généralement mis à l'amende. Mais cela détermine dans la population rurale une animosité qui aboutit souvent à des délits plus sérieux et parfois au meurtre des gardes forestiers.
En Thaïlande, de nombreux villageois se plaignent de ce que la procédure de délivrance des permis de coupe est si compliquée et coûteuse qu'il est plus rentable de voler le bois et de payer l'amende. Aux Philippines, le vol est également un problème sérieux; pour le résoudre il faut 761 gardes forestiers ordinaires et 500 gardes exceptionnels. En Iran, une police forestière spéciale, forte de 3 500 hommes, protège les forêts.
Le développement de l'économie asiatique dépendra à l'avenir dans une large mesure des sources d'énergie dont elle disposera.
Dans les sociétés rurales, le manque de combustibles minéraux et d'énergie électrique est à l'origine d'une réaction en chaîne qui a des conséquences néfastes non seulement pour le secteur forestier mais aussi pour l'ensemble de l'économie. La demande de bois de feu dépasse l'offre et l'on utilise couramment le fumier comme combustible d'appoint. L'agriculture est ainsi privée d'un engrais organique précieux et les rendements des cultures sont trop faibles pour nourrir la population toujours plus nombreuse. D'où le problème de la pénurie de terres. De nouvelles terres sont mises en culture pour accroître la production d'aliments et il ne reste plus de terrain pour des plantations de bois de feu. Mais la réaction en chaîne ne s'arrête pas là: des ressources de cellulose qui pourraient être de précieuses matières premières industrielles (pour la pâte, le papier, la rayonne) sont utilisées comme combustible, ce qui est un gaspillage. Ainsi, on estime que la zone de culture de la canne à sucre au nord de New Delhi produit suffisamment de bagasse pour alimenter une fabrique de pâte d'une capacité de 500 tonnes par jour. Mais toute la paille de la canne à sucre est brûlée pour raffiner le sucre. Là où on ne dispose même pas de fumier en quantité suffisante, on brûle le bois des plantations forestières commerciales. Des bassins versants entiers sont ainsi détruits, ce qui provoque des inondations et l'envasement des réservoirs hydro-électriques. C'est bien plus qu'une réaction en chaîne: c'est un cercle vicieux.
Dans les régions d'Asie et du Proche-Orient qui possèdent de riches gisements de pétrole, le manque de moyens de transport et d'infrastructures réduit les populations rurales à n'utiliser que le fumier et le bois de feu comme combustibles.
Peut-être n'est-il pas d'autre secteur dans lequel une intégration aussi étroite entre les différentes étapes, depuis la production de la matière première jusqu'à la commercialisation en passant par le transport et la transformation industrielle, soit aussi essentielle que dans le secteur forestier. Pourtant, dans de nombreux pays d'Asie, le rapport entre les responsables des diverses étapes, depuis la production jusqu'à la livraison des produits industriels aux consommateurs, n'est pas toujours harmonieux. Or, ce manque d'harmonie n'est pas dû à un conflit d'intérêts mais au manque de filières de communications appropriées.
Les objectifs politiques des administrations forestières, particulièrement en ce qui concerne les avantages sociaux de la forêt en dehors de la production de matières premières industrielles et commerciales, ne sont pas clairement exposés au public. En conséquence, de nombreux entrepreneurs considèrent les forestiers comme de petits bureaucrates et des obstructionnistes qui empêchent le secteur privé progressiste d'exploiter les ressources naturelles et d'accélérer ainsi l'expansion économique.
Une grande part de l'incompréhension qui caractérise actuellement les rapports entre les forestiers et les responsables des industries forestières en ce qui concerne les concessions, les droits de coupe, la fiscalité, le contrôle de l'exportation, aurait pu être résolue à l'avantage de tous par des discussions ou des relations publiques et une information adéquates. L'industrie et le commerce sont des éléments puissants de la structure sociale, et leur appui pourrait être très utile au secteur forestier.
Le besoin de loisirs est une autre source de pression sur les terres forestières et de conflit avec la production de bois. Des forêts adéquates, peuplées de faune ou particulièrement belles, devront être mises à part pour répondre à la demande de terrains de sports et de loisirs. Les parcs nationaux, les terrains de récréation, les camps forestiers, les refuges et les terrains de pique-nique sont parmi les meilleurs moyens publicitaires pour gagner le soutien du public à la foresterie.
Cependant l'affluence du public aux endroits intéressants provoque certains problèmes, des visiteurs trop nombreux et peu soigneux risquent de détruire les beautés mêmes qu'ils viennent admirer. Il y a presque tout à faire en matière de relations publiques forestières en ce qui concerne les parcs nationaux, les terrains de récréation et leur utilisation correcte.
Aucun problème ne se pose aussi régulièrement à tous les services forestiers que celui des incendies de forêt. Etant donné leur composition chimique, les arbres brûlent sous toutes les latitudes. Le danger d'incendie existe partout et il n'y a qu'une différence de degrés en fonction des facteurs climatiques.
Dans la plupart des cas, les incendies de forêts sont dus à des imprudences des hommes. Dans certains pays d'Asie, on brûle volontairement des forêts. Aux Philippines, on met le feu pour défricher des terres à cultiver. En Iran, les bergers mettent le feu pour produire de l'herbe neuve pour leur bétail. En Chine (Taïwan), on utilise le feu pour défricher ou pour chasser.
En Asie comme dans le reste du monde, il y a des campagnes de prévention des incendies de forêt. Ce qu'il y a à faire dans ce domaine est peut-être moins d'intensifier la publicité que d'évaluer l'effet des mesures de prévention déjà employées sur le public et sur l'incidence du feu dans chaque pays.