K. Keipi
Kari Keipi est Forestier principal à la Banque interaméricaine de développement
Une analyse de l'opportunité et du rôle des incitations gouvernementales en faveur des plantations forestières, en Amérique latine
La nécessité de préserver les forêts du monde et de les aménager pour les générations futures est fonction de l'appréciation de l'accroissement des demandes des biens et des services qu'elles procurent. Les projections mondiales de la FAO indiquent que d'ici à l'an 2010, la superficie totale de terres cultivées augmentera pour passer à 850 millions d'hectares, l'essentiel de l'expansion ayant lieu en Amérique latine et en Afrique subsaharienne. Dans le même temps, on prévoit qu'environ 85 millions d'hectares de terres sous forêts seront déboisées pour être mises en culture dans le monde (FAO, 1993). Entre 1990 et 2010, la consommation de produits à base de bois devrait continuer de s'accélérer aux rythmes annuels de 1.2 pour cent pour le bois de feu et le charbon de bois. 3 pour cent pour le papier et 4,3 pour cent pour les panneaux dérivés du bois. On observera aussi une augmentation de la demande de produits forestiers non ligneux indispensables pour les sociétés rurales, notamment de plantes médicinales: des activités d'agrément basées sur les forêts et la nature: en outre le rôle de protection des forêts gagnera en importance. Les ressources génétiques des forêts resteront d'une importance décisive. Ces tendances donnent une idée des pressions auxquelles les forêts seront soumises. Il faudra protéger et aménager les forêts existantes et créer des ressources forestières supplémentaires pour répondre à la demande croissante (ONU, 1995).
L'Amérique latine et les Caraïbes possèdent environ un quart des forêts du globe. Les forêts couvrent environ 970 millions d'hectares, dont 115 millions d'hectares en Amérique centrale, au Mexique et aux Caraïbes et 855 millions d'hectares en Amérique du Sud. Les quelque 52 millions d'hectares de forêts tempérées se trouvent en Argentine, au Chili et en Uruguay et dans les zones montagneuses des pays tropicaux de la région (WRI, 1994).
Le rythme de déforestation est rapide dans la région: quelque 7,5 millions d'hectares (0.77 pour cent) de forêts disparaissent chaque année. C'est en Amérique centrale et au Mexique que le taux de déboisement est le plus élevé du monde: 1.6 pour cent par an. Vient ensuite l'Asie continentale du Sud-Est, qui se place au deuxième rang mondial, pour la déforestation (1.5 pour cent) (WRI. 1994). Les pertes annuelles en biomasse dues à la déforestation s'élèvent à environ 1303 millions de tonnes, soit 40 pour cent des pertes totales dans les pays en développement, évaluées à 2671 millions de tonnes (FAO. 1995).
D'après l'Institut mondial pour les ressources (WRI, 1994), les plantations couvrent près de 8.6 millions d'hectares dans la zone tropicale d'Amérique latine et des Caraïbes, et quelque 2,5 millions d'hectares dans la zone tempérée de cette région. La surface sous forêts artificielles 11,1 millions d'hectares - représente donc seulement 1,1 pour cent de la superficie sous forêts naturelles. Alors que les forêts naturelles fournissent l'essentiel des ressources en bois de feu et en produits non ligneux et jouent un rôle majeur dans la protection de l'environnement, plus de 50 pour cent du bois d'uvre industriel est produit dans les plantations forestières.
Les plus grandes plantations se trouvent au Brésil, avec quelque 7 millions d'hectares dont 4,1 millions d'hectares de forêts artificielles exploitables à l'échelle industrielle. Le Chili possède 1,6 million d'hectares de terres reboisées, pratiquement toutes à des fins industrielles, l'Argentine 0.7 million d'hectares, le Venezuela 0.5 million d'hectares. Cuba 0.4 million d'hectares, le Pérou 0.3 million d'hectares, la Colombie, le Mexique et l'Uruguay 0.2 million d'hectares chacun. Dans les autres pays de la région Amérique latine et Caraïbes, la surface reboisée est de moins de 100000 ha. Les estimations du taux annuel actuel de reboisement varient de 460000 à 520000 ha (Haltia, 1995; WRI, 1994).
Pratiquement toutes les plantations ont été créées sur des terres agricoles abandonnées souvent affectées par l'érosion. Il est très rare que des forêts soient plantées sur des terres agricoles de première qualité. Cela a récemment été le cas au Chili où les plantations industrielles sont extrêmement rentables et encouragées par un système d'incitations.
Bien que la majorité des plantations existantes aient une vocation industrielle, l'agroforesterie et la foresterie sociale sont largement pratiquées dans la région. Ces plantations ont procuré d'importants avantages aux communautés locales et amélioré l'état de l'environnement. Par exemple, dans le cas de la Banque interaméricaine de développement (BID), environ la moitié de l'objectif de plantations (774600 ha) financé au cours des 15 dernières années appuyait la foresterie communautaire par le biais de quelque 33 projets de prêts ( Keipi, 1995). Les plantations à vocation essentiellement industrielle ont été établies uniquement dans le cadre de trois grands programmes.
Principales raisons justifiant le recours aux incitations
La plupart des pays d'Amérique latine fournissent aujourd'hui des incitations pour attirer des investissements privés dans le secteur de la foresterie. Les raisons alléguées pour justifier les subventions sont les suivantes (Beattie, 1995; McGaughey et Gregersen, 1988; Southgate, 1995):
· modifier la discrimination sociale à l'encontre des investissements forestiers parmi les agriculteurs qui considéraient habituellement les forêts comme un obstacle au développement agricole;· accroître le taux de rentabilité des investissements qui sont relativement peu rémunérateurs pour le secteur privé mais qui peuvent avoir des effets externes positifs pour la société dans son ensemble;
· réduire les risques et l'incertitude découlant principalement de la longue période de gestation des investissements de reboisement;
· atténuer les problèmes de trésorerie pendant les périodes souvent prolongées nécessaires pour amortir les dépenses de plantation et d'exploitation grâce aux recettes provenant de la récolte;
· établir une masse considérable de plantations indispensable pour mettre en place des industries forestières compétitives; ou
· accélérer («coup de pouce») la création de plantations forestières à vocation industrielle ou sociale.
Parmi les arguments classiques avancés au nom du développement pour justifier les subventions, on peut citer la substitution des importations ou la création d'une production exportable. Cependant, leur validité dépend de l'avantage comparatif du secteur forestier national par rapport à ceux d'autres pays ou à des activités relevant d'autres secteurs dans le pays même. Par ailleurs, les subventions aux plantations forestières peuvent se justifier au plan social par la création d'emplois et la réduction de la pauvreté rurale. Encore faut-il que les plantations offrent un avantage comparatif, du point de vue de l'intensité de main-d'uvre, par rapport à d'autres possibilités d'investissement dans les zones rurales. Il importe donc de comparer l'efficacité des investissements dans le secteur de la foresterie et dans d'autres secteurs.
On a parfois fait valoir que les incitations forestières pouvaient être considérées comme un investissement autofinancé dans la mesure où le revenu créé au fil du temps peut être largement supérieur à la subvention et où, si ce revenu est imposé, le gouvernement peut recouvrer au moins en partie sa contribution. Dans le cas du Chili, on a signalé que les subventions avaient été rentables pour l'Etat (Beattie, 1995).
La question des incitations et des subventions gouvernementales est extrêmement controversée. Vaughan (1995) cite deux points de vue différents. La «vieille» sagesse conventionnelle se reflète dans ce passage de l'étude de McGaughey et Gregersen ( 1988):
«Il importe de dépasser la controverse sur les divers arguments pour ou contre les subventions destinées à promouvoir les investissements forestiers, pour prendre acte du fait que le subventionnement est déjà largement admis et pratiqué par les gouvernements latino-américains. Les subventions sont désormais un instrument politiquement justifié et reconnu pour promouvoir l'investissement dans la foresterie et les industries forestières.»
La «nouvelle» sagesse conventionnelle ne préconise pas le recours aux subventions pour compenser les distorsions qui existent dans d'autres secteurs de l'économie, mais propose l'élimination directe de ces distorsions. Stewart et Gibson ( 1995 ) appuient fortement cet argument, en recommandant: i) la suppression des interdictions frappant les exportations des produits forestiers ainsi que des obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce international de tous les produits; ii) l'élimination des subventions à l'exportation; iii) la suppression de toutes les taxes sur la consommation des produits forestiers autres que les taxes générales sur les ventes. Ils soutiennent en outre qu'une fois que ces réformes seront en place, les incitations directes en faveur de la foresterie n'auront plus de raison d'être; en conséquence, les programmes de subventionnement à la plantation et à l'aménagement de forêts devraient être éliminés.
Conditions du succès des programmes de plantation, avec ou sans incitations
Le rôle des secteurs public et privé a subi une transformation radicale en Amérique latine au cours de ces dernières années. En effet, de nombreux pays, comme le Brésil et l'Uruguay, ont éliminé ou réduit les subventions à la foresterie dans le cadre de leurs politiques générales. Le problème crucial est d'identifier les conditions dans lesquelles les plantations d'arbres peuvent prospérer. Constantino (1995) cite des études réalisées au Chili qui identifient les facteurs de succès suivants: i) stabilité politique et macroéconomique; ii) libéralisation des échanges et ouverture aux investissements étrangers; iii) définition claire des droits de propriété sur les terres, recouvertes ou non d'arbres; iv) gouvernement crédible disposant d'une capacité institutionnelle adéquate pour mettre en application les lois et gérer d'éventuels programmes d'incitations; et v) conditions naturelles favorables pour la croissance de la végétation, disponibilité de technologies et d'infrastructures de base adéquates (routes, électricité, ports, etc.) pour faciliter l'application des décisions d'investissement.
Une plantation de pins au Honduras
Au Brésil et au Chili, où des incitations adéquates étaient en place pour favoriser l'établissement de plantations forestières, elles ont joué un rôle mineur dans la croissance de l'industrie forestière, après la création d'une masse initiale importante de plantations (Beattie, 1995). Par exemple, Wunder ( 1994) soutient que les subventions n'ont eu qu'un impact secondaire en matière de promotion des plantations au Chili. L'avantage comparatif et le cadre économique général favorable ont eu une incidence plus grande. Aujourd'hui, beaucoup de sociétés forestières chiliennes renoncent volontairement aux incitations afin d'éviter d'importants contrôles des pouvoirs publics (liaison de la terre à la foresterie pendant une longue période et restrictions sur l'aménagement des plantations et l'abattage des arbres). Il n'est donc pas étonnant que le Brésil ait supprimé bon nombre d'incitations et que leur utilisation permanente au Chili en faveur des grands propriétaires terriens et des grosses sociétés soit de plus en plus contestée. On envisage actuellement de réorienter les incitations vers les petits agriculteurs.
Pourtant, dans d'autres pays, de nouvelles subventions sont proposées. Ainsi, la Colombie et l'Equateur ont copié l'exemple chilien, mais en justifiant les incitations par des arguments différents. En Colombie, la justification était dans une large mesure écologique. En Equateur, les arguments traditionnels - relance du secteur des produits ligneux, création d'emplois et augmentation des exportations de produits forestiers - prédominent. Cependant, l'absence d'un avantage comparatif risque de limiter l'efficacité du programme public d'incitations aux investissements dans ce pays (voir Southgate, 1995).
Dans le choix des orientations possibles pour l'appui du gouvernement, il convient de renforcer les secteurs qui ont des avantages comparatifs potentiels manifestes dans le pays et au niveau international. Cependant, les subventions peuvent être superflues si le secteur est déjà susceptible d'attirer des capitaux ou si l'activité peut être promue plus efficacement par d'autres mesures.
Le propriétaire d'une plantation forestière peut s'attendre à percevoir des recettes économiques des ventes futures de bois d'uvre, de fruits, de latex et d'autres produits commercialisables. La rentabilité financière projetée, les risques encourus, et les fonds disponibles sont les principaux facteurs qui influencent les décisions d'investissement. La décision est aussi fonction des recettes que procurerait la terre si elle était utilisée autrement. En Amérique latine, l'alternative prédominante est l'élevage extensif de bétail. Le manque de liquidités pendant la longue période de gestation des plantations forestières est l'un des inconvénients majeurs.
Justification économique générale des incitations
Sur la base d'une analyse financière de la rentabilité de l'investissement de boisement pour le propriétaire terrien, on peut identifier trois cas, en ce qui concerne la justification des incitations. Premièrement, les incitations ne sont pas justifiées si la foresterie procure des valeurs actuelles nettes privées plus élevées que d'autres utilisations de la terre non subventionnées. Si, dans ce cas, la possibilité d'investir dans la plantation d'arbres n'est pas saisie, cela peut être dû à des imperfections du marché financier ou à des facteurs macroéconomiques. Ces facteurs peuvent être éliminés par des réformes autres que des incitations (Stewart et Gibson, 1995).
Eucalyptus dans une zone aride du Mexique
Deuxièmement, les incitations sont injustifiées si les valeurs actuelles nettes des investissements forestiers, externalités comprises, sont inférieures aux recettes obtenues grâce à d'autres utilisations de la terre. Cela peut être dû au fait que les effets externes de la foresterie sont positifs mais réduits (par rapport aux pertes privées), ou négatifs.
Enfin, les incitations deviennent appropriées dans le cas où les rendements nets privés sont plus faibles mais où les rendements de l'investissement, externalités comprises, dépassent ceux pouvant être retirés d'autres utilisations de la terre. Dans ce cas, les incitations pourraient être efficaces, car elles peuvent modifier le mode d'utilisation des sols dans un sens jugé plus souhaitable sur le plan social. La formulation des incitations devrait être guidée par des principes tels que l'efficience (Hueth, 1995) et le rapport coût-efficacité.
Définition et types d'incitations
La justification économique des incitations étant établie, il reste à identifier les différents types d'incitations et à les définir. Gregersen (1984) a donné la définition suivante:
«Les mécanismes d'incitations peuvent être définis comme des subventions publiques accordées sous des formes diverses au secteur privé afin d'encourager les entités privées à entreprendre des activités socialement souhaitables.»
La notion du socialement souhaitable est plutôt vague. Ce concept englobe normalement des objectifs de création de revenus en faveur de groupes à faible revenu et des avantages écologiques. L'argument est que la société tire généralement plus d'avantages des arbres plantés par le secteur privé que l'entité qui réalise l'investissement (McGaughey et Gregersen, 1988). Ces avantages sont des externalités pour le propriétaire terrien qui prend la décision de planter. En général, ce qui compte, c'est moins l'existence des externalités que leur évaluation et leur ampleur.
Gregersen et Houghtaling (1978) distinguent les incitations directes et indirectes. Les incitations directes comprennent la participation aux coûts (en nature ou en espèces), le crédit subventionné, les incitations fiscales, la réduction de l'incertitude par le biais de garanties des prêts, d'assurances, d'accords concernant la protection des forêts, de mesures visant à garantir la sécurité de jouissance des terres, etc. Les auteurs classent dans la catégorie des incitations indirectes les services d'information sur les marchés, de vulgarisation et d'éducation, la recherche, etc.
Hueth (1995) rend compte des résultats des recherches de Kaimowitz en 1994 qui ont établi que les subventions directes aux investissements forestiers dans 18 projets d'aménagement de bassins versants en Amérique centrale comprenaient le financement des intrants, les activités vivres-contre-travail, le paiement des salaires, le crédit orienté et les primes spéciales à la concurrence. Cependant, Kaimowitz n'a trouvé aucune étude sur l'efficacité des autres formes d'incitations.
Les subventions fiscales ont été très critiquées car elles peuvent ne pas tenir compte de l'objectif fondamental de l'incitation, qui devrait être le boisement et ses effets bénéfiques sur la production et l'environnement. Elles sont souvent mises en place sur la base de considérations techniques inappropriées (mauvais choix des essences et du site, etc.). Le bénéficiaire d'une incitation fiscale est souvent plus intéressé par l'allégement d'impôt immédiat, que par les avantages que procureront les arbres arrivés à l'âge d'exploitabilité. Elles sont donc souvent sans effet sur la plantation d'arbres. En outre, elles sont accaparées par de gros propriétaires terriens de type industriel, qui n'en ont pas toujours besoin, au détriment des petits exploitants qui ne connaissent pas leur existence et qui, bien souvent, ne paient pas les impôts sur le revenu ou les taxes foncières et ne peuvent donc pas en bénéficier (Levingston, 1983; Ugalde et Gregersen, 1987).
Le crédit subventionné n'est pas un bon mécanisme d'incitations car il conduit à la décapitalisation de l'institution financière qui accorde le prêt. Le crédit orienté peut être difficile à gérer. Les systèmes de garantie des prêts et les assurances subventionnées par l'État concernant les plantations sont difficiles à mettre en place dans la pratique. Hueth (1995) critique le recours aux activités vivres-contre-travail comme mécanisme de subvention.
Les autres mécanismes étant inefficaces, l'incitation directe la plus courante est le cofinancement par le gouvernement d'intrants, comme les plants, et la fourniture de services de vulgarisation. Les incitations indirectes - recherche et accès à l'information sur les marchés - comme structures permanentes au service des communautés, peuvent permettre aux gouvernements de soutenir efficacement les initiatives privées de boisement (McGaughey et Gregersen; 1988; Southgate, 1995).
L'Argentine utilise une procédure d'adjudication publique pour réduire les coûts des incitations au boisement pour le gouvernement. Si cette procédure peut être efficace avec les moyens et gros propriétaires terriens, elle est plus difficile à mettre en uvre avec les petits exploitants qui sont moins bien armés pour préparer les soumissions de boisement. Hueth (1995) propose une formule similaire pouvant être plus largement utilisée dans des programmes d'aménagement des bassins versants.
Selon les conclusions d'un atelier organisé par la BID, les incitations financières devraient être ciblées et temporaires. On entend par «ciblées» que les producteurs devraient recevoir suffisamment d'argent pour couvrir leurs coûts marginaux d'adoption. Cela peut être fait grâce à un système d'appel d'offres. Le terme «temporaires» signifie que les subventions devraient être payées en une seule fois de manière à éviter toute relation de dépendance entre le bénéficiaire et le gouvernement (BID, 1995).
Participation publique
Keipi et Laarman (1995) citent Gray et Jenkins (1982) à propos de l'évaluation des politiques d'incitations et des conditions qui doivent être réunies pour garantir l'efficacité des incitations. Du point de vue des politiques, les conditions préalables sont les suivantes: les mécanismes d'incitations doivent être appuyés par des hauts fonctionnaires du gouvernement, ce qui suppose que la plantation de forêts produise d'importants avantages à l'échelle de la nation. Du point de vue organisationnel, une politique d'incitations doit être gérée efficacement aux niveaux national et local, et intégrée dans les processus de prise de décisions et d'établissement des budgets.
Les facteurs culturels et sociaux doivent être pris en compte lorsque l'on examine l'opportunité d'une stratégie de financement par des dons (McGaughey et Gregersen, 1988). Les politiques concernant les mécanismes d'incitations ne devraient être adoptées qu'après consultation avec les groupes concernés. Ce principe devient peu à peu la règle en Amérique latine, depuis l'avancée des démocraties durant les années 80. Parmi les institutions donatrices internationales, par exemple, la BID a soumis sa politique forestière à une consultation (BID, 1992). Sa politique de divulgation des informations exige aussi, par exemple, que les résultats des études des impacts sur l'environnement des projets d'investissement qu'elle finance soient soumis à un examen attentif du public dans les pays concernés.
L'objectif général de la foresterie est de gérer les ressources existantes et de créer de nouvelles forêts de façon à pouvoir répondre aux différents besoins des générations présentes et futures, aux niveaux local, national et mondial. Ce qu'il faut, c'est créer des conditions favorables aux investissements privés (Mayers, 1995). C'est une tâche difficile qui requiert des stratégies à différents niveaux. Elle impose aussi des mécanismes d'incitations souples. C'est pourquoi, il n'est pas conseillé de les incorporer dans la législation forestière, mais de les introduire par le biais de décrets, ou de mesures administratives et budgétaires pouvant être réajustés en fonction de la situation, et décidés au niveau local, si nécessaire.
Les critères d'incitations ciblées et temporaires, que l'on a déjà analysés plus haut, indiquent aussi que les mécanismes doivent être flexibles. Si les pays en développement peuvent introduire des mesures pour encourager les investissements forestiers qui fournissent d'importants avantages aux niveaux local et national, ils ne sont pas toujours disposés à fournir des incitations pour les opérations de boisement dont les principaux avantages se feront sentir à l'échelle mondiale. Ces investissements-là devraient être financés par des dons appropriés de la communauté internationale.
Le rôle des secteurs public et privé a subi des transformations radicales en Amérique latine au cours des années récentes. Outre la progression de la démocratie, les pays ont réévalué les responsabilités du secteur public, qui assume de plus en plus un rôle normatif. Les investissements privés sont privilégiés et les subventions gouvernementales ne sont pas considérées comme l'instrument fondamental dans le processus de développement économique par la privatisation. Les incitations ne doivent pas être un mot vide de sens, comme cela a souvent été le cas dans la législation latino-américaine par le passé, mais un instrument concret, efficace et servant l'objectif pour lequel elles ont été conçues (McGaughey et Gregersen, 1988).
Les principaux véhicules permettant d'attirer des capitaux importants pour financer des plantations forestières sont sans doute les réformes macroéconomiques, politiques et institutionnelles, dont l'objectif principal est de créer un secteur privé prospère sans l'appui de subventions. Parallèlement, la prise de conscience de l'environnement s'accroît dans la région. Les investissements forestiers peuvent apporter des avantages importants pour la société dans les zones rurales où la prévalence de la pauvreté est élevée. Les programmes de boisement peuvent produire d'importantes externalités écologiques et sociales.
La justification des incitations doit être examinée au moyen d'analyses économiques appliquées fondées sur les externalités positives (BID, 1995). Outre le fait qu'elles améliorent le cadre économique général d'un pays et le rendent plus propice aux investissements privés, les incitations indirectes - sous la forme d'un appui à la recherche, à la formation et à la vulgarisation et, si possible, de services d'information sur les marchés peuvent permettre aux gouvernements de contribuer dans de bonnes conditions d'économie et d'efficacité à promouvoir des programmes de boisement dans le secteur privé.
Si l'on a aussi recours à des incitations financières directes, celles-ci doivent être efficaces par rapport aux coûts. Elles doivent être ciblées: des sommes d'argent suffisantes doivent être offertes aux producteurs pour qu'ils puissent couvrir leur coût marginal d'adoption. A cet effet, une procédure d'adjudication publique, au moins pour une partie des incitations envisagées, peut être une bonne solution. Les incitations doivent viser à réduire au minimum les placements axés sur la rente et à maximiser le nombre d'hectares boisés, dans la limite des budgets disponibles (Hueth, 1995). Les bénéficiaires visés peuvent comprendre ou non des groupes à faible revenu. L'efficacité des programmes de boisement en matière de réduction de la pauvreté rurale doit être évaluée par comparaison avec d'autres programmes de développement rural (Vaughan, 1995).
Quelques pays, qui ont un avantage comparatif dans le secteur forestier, peuvent avoir recours à des incitations dans le cadre de leurs politiques pour accélérer le rythme de boisement. Cependant, il n'est pas certain que les pouvoirs publics puissent résister aux pressions qui seront exercées pour que les subventions soient étendues à d'autres secteurs qui n'ont pas ces avantages comparatifs. Le Chili, qui est le pays d'Amérique latine où le système d'incitations est le plus efficace, a des difficultés à supprimer le programme de subventionnement, alors que l'investissement forestier (plantations) a déjà reçu l'impulsion initiale voulue, ce qui a déclenché des opérations massives de boisement dans le pays (Beattie, 1995; Constantino, 1995).
L'opportunité de la participation du gouvernement au financement de plantations de forêts sur des terres privées devrait être fondée sur une évaluation des avantages d'ordre commercial et non commercial (BID, 1995). Si cette participation est décidée, des mécanismes de récupération des coûts doivent être envisagés. On optera de préférence pour des mécanismes indirects, du type taxes ou redevances payées au gouvernement. Le recouvrement direct, par le biais de mécanismes de partage des bénéfices (coupe du bois, etc.), n'est pas toujours possible, compte tenu de la longue période de gestation des investissements de boisement. L'évolution constante des administrations et des réglementations du secteur public peut constituer un risque pour les investisseurs privés et les rendre moins enclins à se lier par des investissements à long terme avec le gouvernement.
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