5. Planification réalisation d'un recensement de l'agriculture
5.1 Planification du recensement
5.2 Coopération entre utilisateurs et producteurs de données
La présente section traite de l'effet possible de certains aspects pratiques du recensement sur la production de données concernant les spécificités de chaque sexe.
L'organisation des systèmes, politiques et normes statistiques concernant la production et l'exploitation de données varie considérablement d'un pays à l'autre. Toutefois, certaines procédures de base utilisées pour la planification et l'exécution des recensements de l'agriculture sont communs à tous les pays et posent des problèmes analogues dans toutes les régions du monde.
Lorsqu'on planifie un recensement de l'agriculture, il faut prévoir plusieurs étapes fondamentales:
- identification des besoins de données en fonction des problèmes et des objectifs du pays;
- sélection des données qui peuvent être réunies grâce au recensement;
- définition des liens entre le recensement de la population et les autres types de recensement et d'enquêtes;
- intégration du recensement de l'agriculture dans le système statistique;
- mise en place du comité technique chargé de superviser le recensement;
- délimitation du champ d'application et de la portée du recensement;
- établissement du plan de travail détaillé.
De la première étape - identification des besoins en matière de données - dépend la production de données utiles décomposées d'après le sexe. Il convient de définir en premier lieu les domaines où les femmes sont victimes d'inégalités et où des améliorations s'imposent. Les objectifs - atténuation de la pauvreté et amélioration de la productivité - appellent des mesures et des stratégies spécifiques et la collecte des données doit contribuer à leur réalisation.
Une fois définis les besoins en matière de données, il convient de planifier le recensement en tenant compte de tous les autres éléments du système statistique (autres recensements et enquêtes, archives, etc.) et donc notamment de procéder à une analyse des données existantes.
Les statistiques de l'alimentation et de l'agriculture ne proviennent pas uniquement des recensements de l'agriculture. La Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural (CMRADR) de 1979 a instamment invité les pays à établir des statistiques pour élaborer, suivre et évaluer les programmes de réforme agraire et de développement rural, imposant ainsi une charge de travail accrue aux services statistiques nationaux. C'est pourquoi la FAO a conçu une nouvelle méthode centrée sur un système national d'information au sein duquel le recensement agricole s'intègre aux autres sources de données.
A cet égard, il est indispensable de coordonner les différentes opérations pour utiliser le plus efficacement possible les ressources. En particulier, il faut veiller à appliquer les mêmes notions, définitions et classifications à toutes les composantes du programme. Il faut notamment porter une grande attention à la coordination du recensement de l'agriculture et du recensement de la population car il en va de la définition du cadre et du dénombrement des différents types d'exploitation (voir sections 2 et 3).
L'une des principales étapes de la planification du recensement est la mise en place du comité technique. Celui-ci doit veiller à ce que les données nécessaires soient réunies et convenablement mises en tableaux et présentées sous une forme utilisable par les responsables, planificateurs et autres utilisateurs.
Idéalement, le comité technique doit comprendre les personnes suivantes:
- spécialistes des statistiques de l'agriculture;
- spécialistes des statistiques de l'économie;
- spécialistes des statistiques sociales;
- universitaires et chercheurs experts en agriculture et développement rural;
- spécialistes de l'analyse des données;
- représentants des principales administrations responsables des questions liées aux spécificités de chaque sexe et/ou au rôle des femmes dans le développement;
- représentants des administrations chargées de définir les orientations et responsables de la planification;
- autres utilisateurs de données concernés.
Entre autres fonctions, le comité doit examiner les moyens de diffuser les résultats et veiller à ce qu'ils soient utilisés au mieux. Il s'agira notamment d'organiser des réunions et des ateliers et d'informer toutes les catégories d'utilisateurs. Les organisations de femmes s'occupant de recherche ou d'autres activités nécessitant des statistiques devraient être représentées, en tant qu'utilisatrices ou comme conseillères. Dans toute la mesure possible, des statisticiennes devront faire partie du comité.
Lors de l'organisation du recensement, il faudra se préoccuper tout particulièrement de la communication et de la coopération entre utilisateurs et producteurs de données. Celle-ci joue un rôle important tant pour la production que pour la diffusion et l'utilisation de l'information.
Il faut sensibiliser les producteurs de statistiques aux problèmes spécifiques de chaque sexe. Les statisticiens doivent avoir à coeur de coopérer avec les utilisateurs potentiels, de déterminer leurs besoins et de concevoir et présenter les statistiques en conséquence. Ils doivent être informés des objectifs, des plans et des problèmes concernant les besoins des femmes et les traduire sous forme de données.
Il convient également d'améliorer l'utilisation des statistiques concernant les spécificités de chaque sexe dans les systèmes chargés de formuler des orientations, de planifier et de prendre des décisions. Les responsables doivent travailler plus étroitement avec les services nationaux de statistiques pour apprendre à mieux maîtriser l'utilisation de statistiques et d'indicateurs pour la fixation d'orientations et la planification. Les séminaires de formation, ateliers et réunions avec les producteurs ont montré qu'ils aidaient considérablement à améliorer la sensibilisation à ce problème et les communications entre utilisateurs et producteurs de données.
La qualité des données recueillies dépend dans une grande mesure des questionnaires et des recenseurs chargés de l'enquête. L'ordre des questions, la façon dont elles sont formulées, le vocabulaire employé et le choix des mots clés ont une incidence sur les réponses fournies et sur la qualité de l'information recueillie.
Le vocabulaire utilisé dans les questionnaires doit être aussi neutre que possible. Les mots conditionnent à la fois les enquêteurs et les déclarants. Ainsi, lorsque le questionnaire parle de pécheur ou d'heures-homme les recenseurs ont tendance à exclure des questions les femmes, quand ce ne sont pas les femmes elles-mêmes qui s'excluent. On peut en dire autant de l'expression femme au foyer, qui exclut automatiquement les hommes, même si ceux-ci s'occupent exclusivement de tâches ménagères. Un vocabulaire neutre peut lui-même être associé par tradition culturelle avec l'un ou l'autre sexe. Ainsi, dans certains pays, paysan, cultivateur ou agriculteur seront réservés aux hommes alors que dans d'autres ils s'appliquent à toute personne travaillant la terre.
Parfois, les problèmes naissent d'une mauvaise traduction du vocabulaire officiel dans le langage parlé. Des questions et des mots neutres dans le vocabulaire d'origine peuvent se traduire par des questions et des mots où le sexe est précisé et qui exclut l'un de deux sexes.
L'emploi d'un vocabulaire technique désavantage souvent les femmes. Les hommes, qui ont davantage l'occasion d'être exposés aux contacts, aux médias et à la formation sont souvent mieux familiarisés avec les termes techniques que les femmes. Il leur est donc plus facile de comprendre certaines questions contenant des termes techniques. Cette remarque vaut particulièrement pour les mots utilisés dans l'agriculture.
Dans nombre de cultures, les femmes sont moins accoutumées que les hommes à parler à des étrangers et la présence des recenseurs peut les gêner. En outre, elles ne sont pas habituées à parler d'elles-mêmes et de leurs activités.
Par ailleurs, dans certains pays, les femmes ne parlent pas la langue officielle mais seulement le dialecte local. Ailleurs, quand elles comprennent la langue officielle elles peuvent néanmoins avoir davantage de difficultés à comprendre les questions posées dans cette langue que dans leur dialecte, notamment lorsqu'il s'agit des sujets qui ne leur sont pas familiers.
Lors de la préparation et de la traduction du questionnaire, il faut prêter attention à tous les points susmentionnés, en optant toujours pour un langage simple et compréhensible. Les questionnaires doivent être testés et les traductions revues par des femmes connaissant bien le vocabulaire utilisé par les femmes dans le dialecte local.
La façon dont les questions sont posées influe sur les réponses, surtout en ce qui concerne les femmes et les problèmes d'activité économique. Plus souvent que les hommes, les femmes sont victimes de stéréotypes et de préjugés. Le dénombrement de leurs activités risque de s'en ressentir. Les femmes ont tendance à sous-évaluer leurs activités ou à ne les considérer que comme des tâches ménagères. Les recenseurs ont tendance à ne pas modifier leur perception du travail des femmes et à sous-évaluer la contribution de celles-ci.
La façon dont les questions sont formulées et le choix des mots peuvent influer considérablement sur les réponses obtenues. Les questions tournent habituellement autour de ce qu'on pourrait appeler des mots clés (Anker, 1983 et Dixon-Mueller et Anker, 1988). On peut donner les exemples suivants: "quel est votre travail?" ou "quelle est votre activité principale? Les autres termes clés généralement utilisés sont: métier, occupation, activité principale ou secondaire, travail pour obtenir un salaire ou réaliser un profit, qui prêtent à confusion. Des études ont montré que les taux d'activité des femmes dépendaient des termes clés utilisés dans les questions (Dixon-Mueller et Anker, 1988).
Des études ont également fait apparaître que l'on pouvait remplacer utilement les questions à base de mots ou d'expressions clés par des listes d'activités adaptées aux conditions locales (Anker, 1983, et Dixon-Mueller et Anker, 1988) et il est demandé aux femmes et aux hommes s'ils exercent ces activités. De cette manière, l'appréciation de la réalité du travail n'est pas laissée à la subjectivité de l'individu. L'inconvénient de cette formule est la durée et le coût de la collecte et de l'analyse des données. On peut penser qu'il est préférable de la réserver aux enquêtes par sondage plutôt qu'aux recensements.
Toutefois, le meilleur moyen pour les recenseurs d'obtenir des informations sur les activités économiques des femmes et des hommes est de proposer des exemples lorsqu'ils formulent des questions. Si les recenseurs se contentent de demander: "avez-vous travaillé sur l'exploitation?", ils s'exposent à recevoir une réponse négative des personnes ayant effectivement exercé des activités agricoles. En posant des questions du type "avez-vous exercé une activité agricole telle que l'aviculture, le sarclage, la moisson, le battage, etc.", en donnant des exemples pour expliquer avec des phrases simples ce qu'il faut entendre par activité, on pourra se faire une idée plus précise desdites activités.
La formation des recenseurs et la conception de manuels contribuent à limiter sensiblement l'expression de préjugés sexuels dans les activités de collecte de données.
Un bon programme de formation permet de sensibiliser les recenseurs aux objectifs du recensement et à l'importance de leur rôle en ce qui concerne la qualité des données recueillies.
Les modules de formation doivent traiter des problèmes liés à la collecte des données concernant les spécificités de chaque sexe. L'un des manuels des Nations Unies sur la production et l'analyse des statistiques concernant les femmes, recommande une formation en plusieurs étapes (Nations Unies, 1988):
a) expliquer pourquoi il est important de disposer de données de qualité sur les femmes et sur les hommes;
b) former les recenseurs à penser dans un langage neutre et à utiliser un tel langage (en évitant par exemple des mots tels que semaine-homme, pécheur et des phrases ou le pronom "il" est employé pour faire référence à l'exploitant ou au chef du ménage);
c) expliquer aux stagiaires les notions et définitions qui conditionnent le plus la qualité des informations relatives aux spécificités de chaque sexe (activité économique, chômeur, chef de ménage, etc.);
d) veiller à ce que les stagiaires aient la possibilité d'interroger des personnes des deux sexes et soient conscients des éventuelles différences d'approche requises;
e) Fournir des manuels où les exemples (dessins par exemple) portent autant sur les hommes que sur les femmes et présentent les femmes dans des rôles non traditionnels;
f) parler avec les stagiaires des difficultés rencontrées pour mesurer le travail des femmes et les stéréotypes existants;
g.) faire réaliser par les stagiaires des interviews d'un nombre égal d'hommes et de femmes et les faire s'exprimer par écrit ou oralement sur les différences rencontrées.
Enfin, il faut veiller à ce qu'il existe autant de recenseurs de deux sexes. Dans les pays où les facteurs culturels et religieux ne permettent pas que les femmes soient interrogées par les hommes, il conviendra de toujours prévoir des recenseurs de sexe féminin.
La sélection du déclarant conditionne la qualité des données obtenues, notamment quant aux spécificités de chaque sexe. Lorsqu'on interroge un homme sur les activités économiques des membres féminins du ménage, une sous-évaluation de ces activités est très à craindre. Si quelqu'un répond à la place de quelqu'un d'autre, il faut s'attendre à une déformation de la réalité, le déclarant connaissant mal la situation de celui au nom duquel il s'exprime. En outre, quand des hommes répondent à des questions concernant le travail des femmes, des préjugés culturels liés au statut social ou à la religion peuvent se manifester dans de nombreuses cultures, le travail des femmes est associé à un statut social inférieur). Les hommes ont davantage tendance que les femmes à percevoir le travail de celles-ci comme de nature exclusivement ménagère.