4. IMPORTANCE ET REPARTITION ACTUELLE DES FORMATIONS FORESTIERES
Le diagnostic fait à l’occasion de l’élaboration du PDDF en 1980, avait abouti aux principales conclusions suivantes :
des potentialités forestières limitées et mal réparties : sur un potentiel total estimé alors à 139,2 millions de mc de bois sur pied, les régions de l’Ouest (Diourbel, Thiès et Dakar) disposent de 0,5 millions de mètres cubes, celle de Tambacounda de 68,3 millions de mc et celles du Sud (Ziguinchor et Kolda) de 60,6 millions de mc. Ainsi si les régions de l’Ouest concentrent 45 % de la population pour seulement 1 % du potentiel ligneux sur pied, celles du Sud et du Sud-Est du pays concentrent 93 % du potentiel sur 45 % du territoire national.
une déforestation de plus en plus rapide : l’augmentation de la pression exercée sur les ressources forestières par une population en croissance rapide et tendant à s’urbaniser de plus en plus, l’action nocive des feux de brousse et la persistance de la sécheresse ont accéléré la dégradation du couvert ligneux dans des proportions inquiétantes.
des besoins en croissance rapide : la consommation de bois (combustibles ligneux notamment charbon de bois), étroitement liée à la croissance de la population (population urbaine surtout), augmente à un taux assimilé à celui de croissance de la population.
une mauvaise utilisation des ressources : les importants gaspillages à la coupe et les faibles rendements à la transformation et à l’utilisation des combustibles ligneux augmentent d’autant le taux de déboisement dû à l’exploitation.
A l’issue de ces conclusions, le scénario tendanciel qui se dégageait était la régression du bilan global Ressources forestières/Besoins, pour devenir négatif à terme.
4.1 Etat général des ressources forestières
D’une manière générale, la tendance qui se dégageait à l’évaluation de 1980 s’est confirmée pendant les deux décennies écoulées. Les formations naturelles ont continué à se dégrader et à régresser sous l’action de facteurs climatiques (sécheresse) et de facteurs anthopiques (coupes abusives, défrichements et feux de brousse). La nappe phréatique continuant à baisser, la mortalité a continué à frapper les formations forestières. L’amélioration des conditions climatiques à partir de 1985 n’a pas eu d’impact perceptible sur l’état général de la végétation. En outre, la situation socio-politique dans certains pays de la sous-région a entraîné une immigration importante vers les zones limitrophes du Sud et du Nord, et par la suite des défrichements dont l’ampleur a largement dépassé les projections initiales (soit, au Sud dans les formations naturelles mixtes forestières et graminéénnes, et au Nord, au niveau des peuplements purs de Gonakié situés le long du fleuve Sénégal).
Le potentiel ligneux actuel a ainsi confirmé la tendance annoncée par le PDDF en accusant une baisse de 18 millions de mc entre 1981 et 1990 (soit 1,8 millions de mc/an). Les déficits sont par conséquent allés crescendo, aucune des actions entreprises n’ayant pu freiner de façon significative le processus de déboisement.
S’agissant des ressources fauniques, la dégradation et le rétrécissement continuels de l’habitat se sont traduits par un repli de la faune sauvage dans les derniers refuges que sont les parcs, les forêts classées et les formations forestières d’accès difficile du Sud et du Sud-Est.
Enfin le potentiel halieutique des milieux fluviaux et lacustres qui avait baissé de façon drastique suite aux sécheresses des années 70, ne s’est que très faiblement reconstitué.
4.2 Répartition des formations forestières
Les formations végétales naturelles du pays seront présentées ci-après suivant leur localisation dans les six grandes zones éco-géographiques.
4.2.1 Le Delta et la Vallée du fleuve Sénégal
Cette zone occupe la position la plus septentrionale du pays, avec une superficie de 11.500 km², soit 5,85 % du territoire national, et couvre, sur une bande de 10 à 15 km de large en moyenne, un ensemble de plaines alluviales et de hautes terres sableuses s’étendant sur la rive gauche du fleuve, de Bakel à l’embouchure. Cet ensemble se décompose en trois sous-zones distinctes :
Le Walo, partie inondable caractérisée par des sols lourds avec un potentiel de rendement très élevé. Au point de vue végétation, la strate arborée est très nettement dominée par Acacia nilotica var.tomentosa (Gonakié) qui constituait une vaste forêt ripicole dont seuls quelques vestiges subsistent encore dans les dépressions "Hollaldés" et dans certaines zones classées. Le tapis herbacé a quasiment disparu, surtout dans les "Fondés", sous l’effet des sécheresses persistantes, laissant le sol exposé à l’action érosive de vents forts et constants. Le Walo est aussi la partie où se situent les grands aménagements hydro-agricoles sur l’extension desquels les autorités placent de grands espoirs pour la résorption du déficit alimentaire. Les peuplements naturels purs de Gonakié, dont certains, par leur densité, présentaient un potentiel sur pied de plus de 200 mc/ha (forêts de Khaïré, Guidackar, Lam-nadié et Ngaoulé), avaient fait l’objet d’un programme d’aménagement forestier de 1963 à 1974, pour la production de combustibles ligneux (bois de chauffe et charbon), programme qui a été arrêté en 1974, avec la forte mortalité relevée dans les peuplements avec l'avènement du cycle de sécheresse amorcé depuis lors.
Le Delta, partie se distinguant nettement du reste de la vallée par la présence de sols glaiseux alluviaux, souvent salins, et un climat fortement influencé par la proximité de la mer. En fonction de la salinité des sols et de la topographie, plusieurs types de végétation se sont implantés : mangrove dans les zones accessibles à la marée, avec trois espèces Rhyzophora racemosa, Rhyzophora mangle et Avicennia nitida, prairies herbeuses entrecoupées de larges plages dénudées ou parsemées d’espèces halophiles (Tamarix senegalensis) dans les zones basses intermédiaires, et steppes arborées sur les hautes terres sableuses où dominent Acacia tortilis et A. senegal. C’est encore le domaine des aménagements hydro-agricoles, mais aussi l’habitat d’une avifaune variée et d’une importante faune aquatique (Parc national des oiseaux du Djouj).
Le proche Diéri, zone des hautes terres bordant le lit majeur du fleuve. Par ses sols sablonneux et sa végétation de type steppe arbustive à arborée, le Diéri est nettement différent de la zone avec lequel il forme un système agro-sylvo-pastoral cohérent. La strate supérieure de la végétation est dominée par Acacia senegal (Gommier) et A. tortilis (Seing) sur les parties dunaires en aval de Kaédi et par A. nilotica var. adansonii (Nep-nep), A. seyal (Sourour) et Combretum glutinosum (Ratt), sur le bas glacis du Continental Terminal en amont. C’est aussi la zone des cultures pluviales (en régression cependant du fait des pluies aléatoires) et du pastoralisme.
4.2.2 La zone Sylvo-Pastorale
Elle est située au Sud de la Vallée et couvre sensiblement tout le bassin du fleuve Sénégal, avec une superficie de 54.380 km², soit 27,64 % du territoire national. Elle se subdivise en deux parties relativement distinctes : une partie Nord-Ouest (Ferlo sableux) caractérisée par des sols bruns-rouges et des sols ferrugineux, et une partie Sud-Est (Ferlo latéritique) où les dépôts sableux disparaissent au profit de sols gravillonnaires avec, par endroits des affleurements latéritiques.
Le Ferlo sableux est marqué, sur le plan physionomique, par une végétation de type pseudo-steppe arbustive à Acacia tortilis et Balanites aegyptiaca, fortement affectée par l’homme. Suivant les sols et la topographie, des espèces telles que Acacia senegal, Commiphora glutinosum apparaissent, pouvant même prédominer. Les graminées les plus communes y sont Cenchrus biflorus, Schœnefeldia gracilis et Dactylostenium aegyptium. En saison des pluies, les dépressions dans les zones basses collectent les eaux de ruissellement et forment des mares temporaires autour desquelles s’organise la vie pastorale. En saison sèche par contre, l’activité est polarisée par les forages qui restent les seuls points d’eau ; cette polarisation , très souvent mal gérée, a conduit à une forte dégradation de la végétation sur un rayon de 3 à 5 km autour des dits forages.
Le Ferlo latéritique est caractérisé par une strate ligneuse relativement dense, dominée par Pterocarpus lucens, souvent rencontrés en formations assez pures. Selon la topographie et le type de sol, d’autres espèces comme Acacia seyal, Combretum micrathum, C. nigricans, …. lui sont associées. La strate inférieure, moins consistante qu’au Nord, est dominée par Loudetia togœnsis sur les sols gravillonnaires.
Les sécheresses successives et les feux ravageant la zone chaque année ont accéléré la dégradation de la couverture végétale, créant de vastes plages de mortalité dans la strate arborée et appauvrissant les pâturages.
Le système rural de production est essentiellement pastoral, avec une agriculture vivrière très limitée ; la récolte de la gomme arabique et du fourrage ligneux met à rude contribution les ressources forestières qui constituent ainsi un élément important dans la stabilité du système.
4.2.3 La zone du Bassin Arachidier
Elle couvre l’Ouest et le centre du pays, incluant les régions administratives de Louga, Thiès, Diourbel, Fatick et Kaolack. Elle concentre environ la moitié de la population totale du pays et 60 % de la population rurale sur le quart de sa superficie (25,16 %).
L’intense activité agricole, dominée par la culture de l’arachide et des cultures vivrières (mil et maïs), et la densité de la population (50 à 140 hbts/km²) ont fortement perturbé l’environnement et donné au paysage son aspect typique de savane parc à Acacia au Nord et au Centre, à Borassus et Adansonia à l’Ouest, et à Cordyla et Sterculia au Sud et à l’Est.
Les sols légers, de type brun, brun rouge et ferrugineux, continuent à se dégrader sous l’effet combiné des sécheresses, de l’érosion et de l’abandon de la jachère forestière. Dans les régions de Fatick et de Kaolack, la salinisation affecte de plus en plus les sols du bassin inférieur du Sine et du Saloum.
4.2.4 La zone Littorale des "Niayes"
La zone occupe une bande d’environ 5 km de large longeant le littoral de Dakar à l’embouchure du fleuve Sénégal (200 km), et couvre une superficie de 2.130 km², soit 1,08 % du territoire national. Elle est caractérisée par une succession de dunes et de dépressions interdunaires au fond desquelles apparaissent souvent des mares liées aux fluctuations de la nappe phréatique. Elle se singularise également du reste du pays par un climat maritime doux et humide et des vents forts et relativement constants.
Les dunes, stériles et vives au bord de la mer (dunes blanches), se stabilisent progressivement vers l’intérieur (dunes rouges) avec l’installation d’une végétation très fragile.
Dans les dépressions interdunaires, les sols sont riches et constituent un milieu idéal pour les cultures maraîchères et fruitières, largement dominantes dans le système de production, lequel intégre la pêche, l’élevage et les cultures pluviales.
La végétation, d’origine sub-guinéenne dans la partie Sud, a partout été fortement dégradée par l’action anthopique et par les sécheresses qui ont notamment entraîné la baisse de la nappe phréatique, la salinisation progressive et l’accélération du processus d’envahissement des bas-fonds par les dunes vives.
Cette zone renferme l’une des plus belles réussites du Service forestier en matière de reboisement, avec les plantations côtières de Casuarina equisetifolia (Filao), sous forme de bande discontinue de 200 à 500 m de large, de Cayar (Thiès) à Sag (Ndar-St Louis), sur une longueur de 182 km.
4.2.5 La zone du Sud-Est
Elle correspond à la région administrative de Tambacounda, et se caractérise par une végétation de type soudano-sahélien et des sols peu profonds sur cuirasse latéritique. Elle couvre une superficie de 51.210 km², soit 26,03 % du territoire national ; le climat, soudanien sur les deux tiers Nord de la zone, devient soudano-guinéen dans le tiers Sud.
Elle est principalement une zone de culture et d’élevage, mais constitue avec la Casamance, la principale région d’exploitation forestière des produits ligneux (bois d’énergie, bois d’œuvre, …) et produits et services non ligneux (fruits, exsudats, chase, plantes médicinales,...).
L’exploitation forestière ligneuse de type minier, les défrichements agricoles, les feux de brousse et les pratiques pastorales destructrices, ont entraîné une dégradation accélérée de la végétation et des sols, notamment le long des voies de communication et des vallées dans les deux tiers Nord.
Le potentiel agro-sylvo-pastoral est relativement élevé alors que la population reste faible.
Le Parc National du Niokolo-Koba (914.000 ha), occupe une bonne partie du tiers Sud, non encore touché par le front charbonnier, et constitue actuellement la plus grande réserve faunique nationale.
Le couvert végétal est formé d’espèces ligneuses soudaniennes, généralement dominées par Bombax costatum (Kapokier), Pterocarpus erinaceus (Venn), Daniellia oliveri (Santan) et Sterculia setigera (Mbepp), et d’un sous-bois à combrétacées et hautes graminées.
4.2.6 La zone Sud ou Casamance
L’originalité de cette zone réside dans son écologie particulière qui se distingue nettement de celle du reste du Sénégal par une plus grande humidité et une végétation plus dense.
D’une superficie de 28.000 km², cette zone constituée par le bassin hydrogéographique du fleuve Casamance, se subdivise en trois sous-zones relativement distinctes, se présentant comme suit.
La Basse Casamance, correspondant à la région administrative de Ziguinchor, englobant le bassin versant inférieur et l’estuaire du fleuve Casamance.
Sur les plateaux et terrasses qui forment le bassin versant, les sols sont principaleme nt ferralitiques tandis que dans l’estuaire, ils sont hydromorphes ou salins.
La végétation est de type forêt demi-sèche dense dans sa majeure partie. Elle est caractérisée par des espèces sub-guinéennes dont les plus représentatives sont Khaya senegalensis (Caïlcédrat), Afzelia africana (Linké), Parinari excelsa (Mampato), Ceiba pentandra (Fromager), Chlorophora regia (Iroko), Antiaris africana (Tomboiro), Detarium senegalense (Detah) et Erythrophleum guineense (Tali). Dans l’estuaire, la mangrove à Rhyzophora et à Avicennia prend le relais sur une superficie d’environ 100.000 ha. La végétation y est également en régression depuis au moins deux décennies, sous l’effet des défrichements, des coupes anarchiques, des feux de brousse et de la sécheresse. Un programme de plantations forestières a été initié dans cette sous-zone depuis la fin des années 50, pour la production de bois d’œuvre, avec deux espèces exotiques, soit Tectonia grandis (2.400 ha) et Gmelina arborea (1.500 ha).
Le système rural de production comprend essentiellement (i) une agriculture avec une forte composante de riziculture aquatique dans les vallées, (ii) un élevage à base de bovins, de type sédentaire semi-extensif, (iii) une exploitation traditionnelle des ressources forestières, portant essentiellement sur le bois de feu, les fruits et les exsudats, et (iv) sur une exploitation des ressources halieutiques. Ce système, relativement homogène et stable, a été perturbé par les sécheresses et l’exploitation forestière commerciale.
La Moyenne Casamance, qui comprend le département de Sédhiou, couvre le bassin versant moyen du fleuve Casamance et le bassin du Soungrougrou.
Au point de vue sol, les hautes terres sont essentiellement formées de sols ferrugineux et ferralitiques.
La végétation est caractérisée par des formations de type soudano-guinéen où dominent Daniellia oliveri, Pterocarpus erinaceus et Bombax costatum. Elle est aussi très affectée par la sécheresse (disparition de la mangrove, mortalité dans la palmeraie, …), l’intensification des coupes et les feux de brousse.
Le système rural de production est à peu près du même type que celui de la Basse Casamance, mais avec un cheptel plus important et des cultures pluviales plus variées et plus extensives.
La Haute Casamance (Fouladou) qui couvre les départements de Kolda et de Vélingara.
Les sols, essentiellement ferrugineux, recouvrent une cuirasse latéritique qui affleure par endroits.
La végétation est marquée par des peuplements à affinité soudano-guinéenne qui s’éclaircissent au fur et à mesure qu’on progresse vers l’Est. Quatre espèces prédominent dans la strate arborée Bombax costatum, Pterocarpus erinaceus, Daniellia oliveri et Cordyla pinnata, avec un sous-bois composé de combrétacées et de Terminalia macroptera (Wolosa). Le tapis herbacé, plus consistant que dans le reste de la zone, est essentiellement composé de hautes graminées.
Le système rural de production est dominé par les cultures pluviales (arachide, mil, maïs et coton), un élevage semi-extensif et l’exploitation forestière (notamment les produits non ligneux). La mise en valeur de la vallée de l’Anambé a permis d’étendre et de moderniser l’exploitation agricole de façon notable, mais a aussi contribué, par la même occasion, à une forte diminution de la couverture forestière.
L’autre principal facteur de la régression de la couverture forestière observé depuis 1980, est constitué par les défrichements agricoles manuels : si durant la période 1981-90, ces défrichements étaient une conséquence de l’arrivée massive d’immigrés bissao-guinéens fuyant le conflit opposant le PAIGC à l’armée d’occupation portugaise, durant la dernière décennie (1991-99), les défrichements sont le fait de nationaux en provenance du Centre-Nord, à la recherche de nouvelles terres de cultures.