Jean-Marc Boffa est un consultant en agroforesterie et en conservation et utilisation durable des ressources génétiques forestières, pour le compte de la FAO et de l'Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI).
Le développement du potentiel économique des produits des arbres et la modification des politiques prohibitives peuvent contribuer au maintien du système traditionnel d'utilisation des terres associant l'arbre aux cultures.
Dans les régions semi-arides d'Afrique de l'Ouest, la plupart des agriculteurs de subsistance considèrent les arbres comme une partie intégrante du système de culture. Ils ont maintenu au cours des siècles le système traditionnel d'utilisation des terres, celui des «parcs agroforestiers» où des arbres parsèment les champs cultivés ou récemment labourés.
Grâce à une sélection attentive des essences, les cultivateurs ont délibé rément adapté la production arboricole à leurs besoins spécifiques, sur leurs terres. Les arbres des parcs agroforestiers procurent aussi bien des médicaments traditionnels que des produits vivriers de base, notamment une grande variété de gommes, d'huiles, de protéines, de fruits et de boissons, ayant une fonction nutritionnelle importante pour bon nombre de personnes, en particulier dans les zones rurales. Les parcs agroforestiers constituent également une source non négligeable de produits ligneux et non ligneux, dont les ménages tirent une bonne partie de leur revenu et qui s'avèrent appréciables pour les économies locales. Certains de ces produits - comme la gomme arabique (Acacia senegal) et la noix de karité (Vitellaria paradoxa) - fournissent à plusieurs nations du Sahel leurs principales recettes d'exportation. Dans certaines régions d'Afrique de l'Ouest, jusqu'à 75 pour cent de la ré colte totale de produits ligneux et non ligneux proviennent des parcs agroforestiers.
Vue aérienne d'un parc agroforestier à Faidherbia albida aux environs du village de Dolekaha (Côte d'Ivoire) - D. LOUPPE
Les ressources des parcs agroforestiers revêtent une importance sociale et culturelle considérable. Certains groupes sociaux, notamment les femmes, les pauvres, les immigrants et les jeunes adultes, tendent plus particuliè rement à se consacrer aux activités de ramassage, voire parfois de transformation des produits des parcs agroforestiers, celles-ci ne requérant aucun investissement en espèces. La commercialisation de ces produits est elle aussi une activité essentiellement féminine. Elle tend à constituer une source de revenus proportionnellement plus importante pour les femmes que pour les hommes, ce qui pourrait avoir un impact positif sur la situation nutritionnelle des enfants.
Bien qu'une ou quelques espèces y soient généralement prépondérantes, les parcs agroforestiers ont contribué à la conservation d'un grand nombre d'essences, souvent entre 40 et 50 dans le seul cycle cultural. Les arbres disséminés jouent une fonction écologique fondamentale pour la conservation du sol et de l'eau et pour la protection de l'environnement. Dans les zones habitées du Sahel, la production agricole se déroule essentiellement sous un couvert arboré discontinu. Aussi la gestion améliorée des systèmes agroforestiers a-t-elle un impact potentiel pour l'ensemble de la région sahélienne.
Cet article fait un tour d'horizon des principaux paramètres sur lesquels repose la gestion des parcs, et donne un aperçu des stratégies de recherche-développement à mettre enuvre pour leur conservation et leur gestion améliorée (voir Boffa, 1999, pour une analyse plus approfondie).
Parc agroforestier à Adansonia digitata, au Sénégal - R. FAIDUTTI
Malgré l'importance des parcs agroforestiers, les données quantitatives dont on dispose pour é valuer l'évolution de ces systèmes du point de vue de la densité, de la composition par âge et de l'extension dans l'espace, sont limitées. La densité a généralement diminué de façon importante dans les paysages ruraux et parfois même dans les parcs agrofore-stiers, au cours des dernières décennies, en particulier depuis les sécheresses des années 70, avec aujourd'hui une prépondérance d'arbres âgés et une absence de régénération parfois alarmante.
Par exemple, dans le village de Petit Samba, au Burkina Faso, la densité de grands arbres a chuté à un taux annuel de 0,15 arbre par hectare entre 1957 et 1984, mais presque quatre fois plus rapidement - au rythme de 0,57 arbre par hectare et par an - entre 1984 et 1988 (Gijsbers, Kessler et Knevel, 1994). Ce déclin particulièrement accéléré est probablement imputable à une augmentation de la demande de terres arables et de produits forestiers sous l'effet d'une pression démographique croissante; à la sécheresse; et à un raccourcissement des périodes de jachère qui dé termine un affaiblissement de la régénération des arbres. Dans le village de Sob, au Sén& eacute;gal, la densité d'arbres dans les champs est passée de 10,7 arbres par hectare en 1965 à 8,3 arbres par hectare en 1985 (Lericollais, 1989). Considérant les temps de génération des arbres, l'absence d'arbres jeunes et le net fléchissement de la densité dans les parcs agroforestiers devraient être le signal d'alarme d'un grave risque de dégradation de ces systèmes.
Toutefois, dans les régions semi-arides d'Afrique de l'Ouest, la diminution du couvert arboré dans les parcs agro-forestiers n'est en aucune façon uniforme et masque des îlots de régé nération active. Ces systèmes, tout comme les sociétés rurales qui sont responsables de leur implantation et de leur maintien, sont dynamiques et font preuve d'un degré de résistance élevé. Un bon exemple en est la région à forte densité de population (200 personnes au kilomètre carré) de Kano (Nigéria), où entre 1972 et 1981, la densité dans les parcs est passée de 12,9 à 15,2 arbres par hectare sur un site, et de 6,1 à 6,7 arbres par hectare sur un autre (Cline-Cole et al., 1990). Malgré une forte demande pour les produits des arbres et la pression exercée sur les ressources naturelles par les graves sécheresses des années 70, la végétation ligneuse n'a pas été fortement appauvrie, comme on aurait pu s'y attendre. Au contraire, les nombreux arbres de faible diamètre observés constituaient la preuve que les agriculteurs s'étaient spontanément efforcés de conserver, régénérer et planter des arbres du fait de l'existence de débouchés commerciaux pour le bois de feu et autres produits des arbres.
Les interactions biophysiques des arbres et des cultures ont modelé la configuration physique des parcs agroforestiers et constituent l'un des facteurs déterminants de la gestion des arbres de la part des cultivateurs. Faidherbia albida, l'une des essences des parcs agroforestiers les plus étudiées, présente un cycle inversé, avec perte du feuillage en saison des pluies, et favorise géné ralement une augmentation notable des rendements en céréales sous son couvert (CIRAD-Forêt, 1996). En revanche, en présence d'espèces au cycle plus typique, comme Vitellaria paradoxa et Parkia biglobosa, la productivité des cultures apparaît sensiblement réduite. Cela étant, il existe également des preuves du contraire, sans doute grâce aux effets positifs de l'ombre sur le microclimat, venant compenser la diminution de la photosynthèse (Jonsson, 1995).
Les écarts de rendement entre les cultures, selon la taille et la forme de la couronne des arbres, sont révélateurs d'un effet de compétition pour la lumière entre les cultures et les arbres (Kater, Kante et Budelman, 1992). La possibilité d'accroître le rendement des cultures en augmentant leur exposition à la lumière du soleil est un solide argument en faveur de l'élagage des arbres. Des expérien-ces effectuées sur Cordyla pinnata, au Sénégal (Samba, 1997) et sur Azadirachta indica au Burkina Faso (Zoungrana, Yélémou et Hien, 1993), montrent que le rendement des cultures est en général plus élevé lorsque les arbres sont élagués, et parfois même supérieur au rendement obtenu sur des parcelles témoins non boisées. Toutefois, les sols sous couvert arboré arrivé à maturité, dans les parcs agroforestiers, sont d'ordinaire plus fertiles que les terroirs non boisés. L'influence de l'élagage annuel sur la fertilité à long terme du sol sous couvert arboré, et sur la production végétale, de fruits, de feuillage et de bois des différentes espèces, devra être étudiée avant de recommander l'application de cette technique sur une vaste échelle, technique par ailleurs déjà mise en pratique, dans une certaine mesure, à l'échelon local. La façon dont l'interaction culture-arbre-sol, tant en surface que sous terre, affecte la productivité de systèmes agroforestiers spécifiques n'est pas encore bien comprise et il reste d'importantes lacunes à combler dans ce domaine (Boffa, 1999). Pour pouvoir définir des prescriptions plus précises sur la gestion des parcs, des recherches devront au préalable clariier le rôle et les interactions de facteurs tels que l'espèce, la taille de l'arbre, la densité de peuplement, la latitude et la variabilité annuelle des précipitations.
Bien que les effets positifs des arbres pour l'ensemble du système cultural soient le principal facteur déterminant le maintien et la plantation des arbres dans les parcs agroforestiers, il est prouvé que lorsque les exploitants réalisent que les arbres et leurs produits se valorisent par suite d'une augmentation de leur valeur d'échange, d'un renforcement de la demande ou d'une diminution des disponibilités, ils sont plus enclins à investir activement dans la protection et la reproduction des parcs agroforestiers. Ainsi, dans le village de Wolokonto, au Burkina Faso, les parcs agroforestiers à Borassus aethiopum se développent aussi bien dans l'espace qu'en densité en raison du revenu élevé que produit le vin de palme; dans ces parcs agroforestiers, 90 pour cent des arbres B. aethiopum en sont à un stade de développement initial (J. Cassou, D. Depommier et S.J. Ouédraogo, ouvra-ge non publié, 1997).
Expansion des parcs agroforestiers à Borassus aethiopium grâce à une régénération active - R. FAIDUTTI
À l'opposé, les cultivateurs peuvent négliger leurs ressources arborées au profit d'autres pratiques, parfois concurrentes, de produits de consommation et d'activités rémuné ratrices lorsque leur rentabilité s'avère supérieure à celle des arbres des parcs agroforestiers. Les paramètres externes, tels que les marchés, la pression extérieure sur les ressources du village, la migration et les relations avec les centres urbains, semblent avoir une forte influence sur la valeur relative des arbres dans les parcs agroforestiers. Dans le nord de la Côte d'Ivoire, la densité de peuplement du karité (Vitellaria para-doxa) est sensible aux variations de prix des produits de cet arbre. L'augmentation du prix de vente des noix ou du beurre de Vitellaria favorise la régénération. En revanche, si le prix du bois de feu est supérieur à celui des autres produits de l'arbre, les arbres tendent alors à être abattus et vendus sur le marché du bois de feu (Louppe et Ouattara, 1997). Dans certaines zones du nord de l'Ouganda, le karité est abattu pour la production de charbon de bois malgré son importance économique comme source d'huile de cuisson. Toutefois, lorsqu'il existe des mesures d'incitation économiques et une tradition de conservation de cette espèce, les arbres sont conservés et utilisés pour la production d'huile (E.T. Masters et A. Puga, ouvrage non publié, 1994).
Lorsque les produits traditionnels des arbres des parcs agroforestiers peuvent être remplacés par des produits cultivés ou achetés sur le marché, il est possible que les exploitants soient moins motivés à régénérer les parcs agroforestiers. Ainsi, le beurre de karité est souvent remplacé par du beurre d'origine animale dans les zones d'élevage, ou par des huiles végétales comme l'huile d'arachides ou de palme, que certains groupes préfèrent pour leur rendement annuel moins variable, leur relative facilité de traitement et leur goût plus apprécié. De même, les graines fermentées de Parkia biglobosa, utilisées pour la production d'un condiment épicé traditionnel, le nététou, sont concurrencées par les condiments industriels en cubes qui se sont rapidement diffusés dans les zones urbaines du Sahel grâce à de vastes campagnes de publicité.
Un goulet d'étranglement majeur dans la production du beurre de karité et du nététou est sa forte intensité de main-d'uvre et la faible efficacité des techniques traditionnellement employées pour la transformation de la matière première en produits comestibles, ainsi que les grandes quantités d'eau et de bois de feu nécessaires. Améliorer les techniques d'extraction et de transformation a donc été le principal objectif de divers projets de recherche appliquée et de dévelop-pement centrés sur ces systèmes.
Femmes occupées au concassage et au broyage des amandes de Vitellaria (karité), un processus à forte intensité de main-d'uvre - J.-M. BOFFA
Plusieurs pressoirs ont été réalisés par des projets sur le karité. En Ouganda, par exemple, le pressoir mis au point par le Projet Karité du Cooperative Office for Voluntary Organizations, à l'intention de groupements féminins locaux, a permis de renforcer considé rablement leur capacité de produire du beurre de qualité supérieure, avec des temps de production raccourcis.
Implications de la politique macroéconomique sur la gestion des parcs agroforestiers: un exemple venant de l'Ouest sénégalaisDans les parcs à Faidherbia albida de l'ouest du Sénégal, la superficie consacrée aux arachides, une culture de rente introduite pendant la période coloniale, s'est étendue à partir des années 60 et jusqu'au milieu des années 80, au dé triment de celle qui était destinée à l'association traditionnelle céréales, niébé et F. albida (Seyler, 1993). Les cultivateurs utilisaient les engrais à faible coût fourni par l'État au secteur agricole, au lieu de recourir aux techniques de fertilisation traditionnelles, en particulier à l'agroforesterie à F. albida et à la fumure. Lorsque les prix des intrants ont augmenté à la suite de la suppression des subventions et du contrôle des prix dans le cadre du processus de désengagement de l'État, à la fin des années 80, les agriculteurs ont commencé à réaffecter des terres à la production céré alière et à régénérer F. albida et d'autres ressources arborées de valeur implantées dans les exploitations agricoles. Bien qu'elle soit souvent strictement localisée et non généralisable, la recherche sur ce type de relations peut offrir des intuitions positives pour l'élaboration de décisions et de politiques éclairées et équilibrées pour une production agricole qui repose sur une gestion durable des ressources naturelles. |
De la même façon, un partenariat entre le Département des systèmes agroalimen-taires et ruraux du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD-SAR), l'Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) et un comité local de dé veloppement réunissant 45 groupements villageois de la zone de Fogny, en Basse Casamance, au Séné gal, a permis de mettre au point une technologie pour mécaniser les étapes de décorticage et de nettoyage des graines du processus de fabrication du nététou.
Toutefois, parallèlement aux améliorations techniques, il s'agit également de créer des débouchés commerciaux et des systèmes de marché pour les produits des parcs agroforestiers, ou de les développer, afin d'assurer une participation durable des agriculteurs à la conservation et à la régénération des parcs. Cette tâche a été abordée de différentes façons. Par exemple, le Projet Karité mis enuvre en Ouganda, et qui se fondait sur les effets positifs du beurre de karité sur le plan social et écologique, et sur ses qualités cosmétiques uniques, a permis de nouer des relations commerciales avec un dé taillant en produits cosmétiques naturels de Californie, ouvrant ainsi un débouché exté rieur durable. Cette société offre au projet un prix élevé (le double du prix local) pour l'achat de beurre de karité de qualité supérieure, emballé. Cela permet aux groupements féminins d'en tirer rapidement des profits une fois que le coût de la presse a été couvert. Le projet fait aussi une large place au développement de débouchés commerciaux sur le marché intérieur, l'huile de karité étant une huile de cuisson traditionnelle populaire. Une des activités mises enuvre prévoit la commercialisation de l'huile de karité, contenue dans des récipients à l'emballage attrayant, dans les principales villes du nord de l'Ouganda ainsi que dans la capitale, Kampala. Le développement du marché intérieur réduira le risque potentiel d'un engorgement des marchés locaux sous l'effet d'un accroissement de la production. Cette expansion s'accompagnera d'un transfert progressif, du projet au secteur privé, de la transformation, de l'emballage, de la commercialisation et de la distribution des produits du karité (Kisakye et al., 1997).
Au Sénégal, le projet sur le nététou a également mené une étude sur les produits visant à renforcer le pouvoir de négociation des femmes. Des accords de vente directe ont été passés entre des groupements de producteurs de Fogny et des associations de dé taillants à Dakar, tandis que des liens ont été noués avec d'autres organisations rurales de la région. En outre, le projet a mis au point plusieurs produits nouveaux à base de nété tou, confectionnés de manière à rassurer la clientèle des villes doutant de l'hygiè ne du processus de préparation traditionnel. La commercialisation du nététou, en pâte, en poudre et en tablettes, confectionné dans des sachets fermés en plastique transparent, devrait permettre de relancer la consommation de ce produit traditionnel (Ferre, 1993). Les parcs agroforestiers renferment une grande variété d'espèces, dont la plupart sont à plusieurs usages et donnent des produits qui font l'objet d'un commerce à des degrés divers. Le développement de marchés spé cifiques pour les produits des parcs agroforestiers peut donc avoir un important effet de levier sur la gestion durable des systèmes. Il convient également de noter que la valeur des arbres dans les systèmes agroforestiers n'est pas uniquement commerciale; il ne faut pas sousestimer les valeurs d'usage indirectes (fonctions environnementales) et les valeurs de non-usage (valeurs culturelles, religieuses et d'existence).
Le processus de développement du marché devra être induit par la demande, encouragé étape par étape et orienté en fonction des besoins spécifiques et de la valeur de chaque produit. L'aide des gouvernements, du monde des affaires et des donateurs internationaux sera nécessaire. Il faudra intervenir dans plusieurs directions, et notamment améliorer la qualité des produits, établir des systèmes de classement pour la plupart des produits des parcs agroforestiers, mettre en place et soutenir des systèmes d'échange d'informations pour pouvoir répondre aux signaux du marché, mettre au point des techniques de fabrication efficaces et permettant d'économiser la main-d'uvre, et en assurer le transfert, promouvoir l'utilisation locale, améliorer le traitement et l'emballage des produits des parcs agroforestiers, et renforcer les capacités des groupements locaux de producteurs.
Le cadre politique agricole a fortement influé sur l'évolution des parcs agroforestiers en Afrique de l'Ouest. Les premiers modèles de développement agricole promus par les institutions parapu-bliques de recherche, de vulgarisation, de développement et de produits, préconisaient la monoculture dans des champs de forme géométrique, dépourvus de tout couvert arboré. Les arbres, sur tout ceux d'origine locale, étaient ignorés ou considérés comme des obstacles soit à la traction animale et à la mécanisation, soit au développement de systèmes de production intensive. Dans certaines régions, le crédit financier à l'agriculture n'était accordé que si les champs avaient été dégagés de tous leurs arbres.
La promotion des cultures de rente telles que le coton, les arachides et le maïs, a souvent abouti à une dégradation des parcs agroforestiers. Ces cultures ont supplanté les cultures de base comme le sorgho, le mil et le niébé, tandis que les engrais chimiques ont été préfér& eacute;s à la méthode traditionnelle de fertilisation du sol par la jachère. Dans certains endroits, comme à Dolekaha, dans le nord de la Côte d'Ivoire, le développement de la production de coton et de maïs et l'usage associé d'engrais chimiques auraient permis des intervalles de culture plus importants et favorisé ainsi la croissance de parcs agroforestiers locaux à Vitellaria paradoxa et à Parkia biglobosa (Bernard, Ouattara et Peltier, 1996). Toutefois, la principale méthode de régénération des arbres étant la jachère, sa substitution par des engrais chimiques a généralement été préjudiciable aux parcs agroforestiers.
De surcroît, les arbres sont d'ordinaire éliminés des parcelles consacrées aux cultures de rente, soit délibérément, soit par la traction animale. Bien que les animaux de trait aient besoin d'un espace de manuvre suffisant et que les racines superficielles des arbres puissent empêcher l'avanc& eacute;e des charrues, la traction animale n'est pas nécessairement incompatible avec l'agroforesterie dans les parcs agroforestiers. Les densités d'arbres sont habituellement inférieures dans les exploitations agricoles utilisant la traction animale, mais peuvent néanmoins être relativement élevées. Ainsi, dans les parcs agroforestiers à Vitellaria parado-xa de Thiougou, un village frontalier dans le sud du Burkina Faso, la densité moyenne dans les exploitations, selon que les cultivateurs pratiquaient la culture manuelle ou utilisaient la traction par âne ou la traction bovine, était respectivement de 31, 25 et 21 arbres par hectare (Boffa, 1995).
Il est donc essentiel pour la durabilité des systèmes agroforestiers, que l'ordre du jour des institutions s'occupant des produits agricoles, de la recherche et de la vulgarisation réserve une plus grande place à l'agroforesterie. Avec la prise de conscience croissante dans les années 80 du rôle des arbres dans les systèmes agricoles durables, les institutions de vulgarisation et de développement agricoles ont commencé àuvrer pour le maintien et la régéné ration des arbres dans les champs. Toutefois, l'agro-foresterie n'occupe pas encore une place suffisamment importante à l'ordre du jour des institutions qui s'occupent de produits agricoles.
Souvent, les politiques forestières nationales des pays du Sahel ne favorisent pas la mise en application optimale de méthodes de gestion traditionnelles améliorées. Les administrations forestières coloniales, et celles qui ont suivi, ont en général limité l'influence des autorités traditionnellement responsables de la gestion des ressources naturelles à l'échelon du village et imposé le contrôle centralisé de l'État sur la gestion des ressources. L'une des principales limitations des codes forestiers sahéliens concernant la gestion des parcs agroforestiers est que toutes les terres agricoles boisées appartiennent au domaine forestier national sous contrôle de l'État, à moins que le bien-fonds ne soit enregistré (McLain, 1992). Dans la pratique, toutefois, les agriculteurs n'enregistrent quasiment jamais leurs terres, parce qu'ils sont généralement mal informés et que les frais d'enregistrement sont élevés. De ce fait, une bonne partie des restrictions visant à protéger les arbres forestiers sont improprement appliquées à des arbres situés sur des terres cultivées et des jachères. Les cultivateurs doivent par exemple obtenir une autorisation pour pouvoir abattre et élaguer des arbres dans les parcs agroforestiers ou pour en transporter les produits. Les services forestiers tiennent également une liste des espèces protégées, dont la plupart se trouvent habituellement dans les parcs agroforestiers et qui de ce fait ne peuvent être abattues, dessouchées ou ébranchées. On empêche ainsi les exploitants d'effectuer des travaux d'aménagement de base comme la coupe d'éclaircie, l'élimination des arbres âgés ou morts, la lutte contre les parasites, le traitement en taillis et l'élagage, qui sont essentiels pour qu'ils puissent optimiser leurs systèmes d'utilisation du sol. Dans l'incapacité de les gérer, les agriculteurs peuvent être peu enclins à planter des arbres et juger préférable de les éliminer au fur et à mesure de leur régénération. En outre, les codes forestiers sont souvent mal compris, et ce autant par les ruraux que par les agents forestiers. Dotés de ressources humaines et financières insuffisantes, la plupart des services forestiers ne sont pas en mesure d'assurer une application correcte des règlements, tandis que de leur coté les agents tendent souvent à interpréter à leur avantage personnel les dispositions obscures en matière d'autorisations, et à compléter ainsi leurs maigres salaires. Bien que plusieurs des politiques récemment révisées tendent à mieux reconnaître les droits des cultivateurs sur les terres agricoles dont ils ont traditionnellement la gestion, de profonds changements doivent encore être apportés à l'administration et à la lé gislation forestières.
Les politiques forestières nationales ont été superposées aux systèmes fonciers locaux qui régissaient traditionnellement l'accès aux parcs et aux ressources forestières, et leur utilisation, aussi bien au niveau communautaire qu'individuel, en particulier pour ce qui est des ressources de valeur. Par exemple, au Burkina Faso, la coutume ganlegre appliquée par les prêtres fonciers (figures religieuses traditionnelles chargées des questions foncières) interdit la récolte des noix de Vitellaria paradoxa avant leur maturité complète, tandis que des céré monies traditionnelles ouvrent, sous la conduite des chefs de village, la saison de la récolte des gousses de Parkia biglobosa. Les arrangements coutumiers de ce type contribuent à garantir l'égalité d'accès, à réduire les coûts de protection, à minimiser les conflits entre les communautés et à favoriser une utilisation durable. Certaines institutions de gestion traditionnelles, menacées par de nouvelles influences socioéconomiques, ont cédé le pas, mais d'autres résistent et se sont adaptées aux conditions actuelles. Les capacités institutionnelles des communautés pour le maintien, l'adoption et la mise enuvre des arrangements fonciers, offrent une excellente raison d'être optimistes quant à l'avenir des parcs agroforestiers et devraient être plus largement reconnues et soutenues.
Dans le cadre de ces régimes de gestion communautaire, les systèmes plus individuels qui ré gissent la propriété des arbres et sont basés le plus souvent sur les droits à la terre des cultivateurs, vont plus loin dans la réglementation de l'accès aux ressources des parcs agroforestiers, et de leur utilisation. Ces systèmes comportent parfois des limitations - par exemple, il peut être difficile pour les détenteurs de droits indirects de planter des arbres sur une terre prêtée - mais ils ont une grande souplesse et peuvent être renégociés selon l'évolution des besoins économiques et sociaux.
C'est lorsque les arrangements fonciers sont solides et sans ambiguïté, que les parcs agroforestiers ont les meilleures chances de reproduction. Pour cela il faut que les agents de vulgarisation et de dé veloppement forestiers aient une connaissance approfondie des dynamiques locales qui régissant le ré gime foncier des terres et des arbres, et qu'ils aident les populations locales à négocier des accords clairement articulés et mutuellement appropriés touchant les droits à la terre et aux arbres.
Les recherches conduites sur les parcs agroforestiers ont montré qu'il s'agit d'un système rationnel d'utilisation des terres mis au point par les cultivateurs au fil des générations à la fois pour diversifier leur production dans un objectif de subsistance et de production de revenus, et pour réduire les risques écologiques associés à la forte variabilité climatique de la région. Leur importance pour la durabilité des moyens d'existence, surtout ceux des groupes vulnérables de la société, et tant que réservoirs de diversité génétique, est de plus en plus largement reconnue par les décideurs et par le monde de la recherche, d'où un intérêt croissant pour promouvoir leur conservation et améliorer davantage leur gestion afin d'accroître leurs effets positifs pour les communautés rurales. Pour des progrès significatifs dans la gestion des parcs agroforesters, il faudra accorder plus d'attention à la dévolution des responsabilités de gestion à l'échelon local, entreprendre des recherches biophysiques orientées vers la gestion, donner une place plus importante à l'agroforesterie dans la politique agricole et au niveau des services de vulgarisation, promouvoir les marchés et améliorer le traitement des produits agroforestiers.
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