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Chapitre 4: L’APPROCHE GEOGRAPHIQUE


4.1 - La croissance urbaine: ville et métropole
4.2 - Le malaise urbain
4.3 - La ville et l’alimentation

Parmi les autres disciplines, la géographie tient une place très importante dans l’analyse des phénomènes liés à l’approvisionnement et à la distribution alimentaires. De plus, selon Franqueville:

«Le ravitaillement urbain constitue dans la théorie géographique l’une des composantes de l’organisation fonctionnelle de l’espace qui a retenu l’attention des géographes dès la constitution de leur discipline comme science autonome au XIXe siècle.» (Franqueville, 1996).
Comme pour d’autres approches, comme par exemple l’approche économique, il faut aussi en géographie;

Il est évidemment très simple de dire que la dimension de la réalité concernée par la géographie relève de l’espace. Mais quand on parle d’espace, on n’entend pas simplement son ampleur physique. En géographie, le concept d’espace revêt un sens scientifique et analytique dès le moment où il se différencie et se concrétise en structures articulées, en formes, fonctions et relations enracinées dans un espace physique. La différenciation de l’espace, le processus de différenciation et ses dérivés font donc l’objet privilégié de l’observation du géographe. Etant donné l’objet de cette étude, c’est dans le domaine des fonctions d’approvisionnement et de distribution alimentaires en milieu urbain qu’on cherchera à décrypter le langage géographique et ses spécificités.

On peut ensuite délimiter des domaines d’étude privilégiés. Dans notre cas, ce sont les relations entre l’espace urbain et le ravitaillement des populations urbaines qui font l’intérêt de l’approche géographique. Il s’agit donc de montrer schématiquement l’enjeu entre:

Toutes les fonctions des SADA se confrontent et se heurtent à des logiques et à des contraintes qui sont aussi bien économiques que géographiques.

On ne saurait donc parler de relations économiques sans prendre en considération leur dimension spatiale. On parle d’espace de production, d’échange, de communication et de la façon dont ces espaces s’affirment, changent, entrent en relation les uns avec les autres. On parle d’un espace rural et d’un espace urbain, des fonctions qu’ils recouvrent, des complémentarités et des conflits entre leurs éventuelles utilisations. Parler d’espace signifie parler d’une ressource rare et limitée. Le géographe en explique les modalités d’organisation, les logiques propres et spécifiques et la manière d’en optimiser l’utilisation en relation avec multiples besoins des populations.

Au fur et à mesure que la ville s’accroît, ses fonctions augmentent, se différencient et se compliquent à tous les niveaux du fait de sa dynamique démographique, économique et sociale. Le rôle politique peut aussi changer: des questions se posent quant à l’influence urbaine face à un territoire de plus en plus vaste et différencié, quant au rôle de la ville dans la région et l’Etat, dans les rapports avec l’étranger, et quant au contrôle de la ville elle-même. Les espaces consacrés, par tradition ou par calcul, aux différentes fonctions changent sous la pression (résultant de forces très variées) de cette croissance.

L’approvisionnement et la distribution alimentaires, et les nombreux services qui y sont liés, ont besoin d’espaces qui ne sont pas anonymes et indifférenciés, en raison de leur dimension, de leur quantité, de leur équipement et de leur localisation. La croissance de la ville impose donc une ré-affectation de ces espaces aux nouvelles exigences, sous faute d’inefficacités très lourdes qui sont très vite ressenties par les populations. A ce niveau se pose donc le problème de la connaissance de l’appareil urbain et des relations espaces/fonctions, domaines qui demeurent vastes et riches même s’ils ne s’attachent qu’à un seul aspect, celui de la satisfaction des besoins alimentaires.

Ainsi, la géographie dispose d’un appareil conceptuel articulé, qu’on essaiera de définir du point de vue très spécifique du ravitaillement urbain.

4.1 - La croissance urbaine: ville et métropole

Avant de parler de croissance urbaine, il faut définir la ville en tant qu’entité géographique. Bien que lié à un vécu quotidien très étendu, le concept de ville en géographie n’est ni univoque ni constant. A un niveau presque intuitif mais tout à fait efficace, la ville, du point de vue géographique, est un ensemble, une succession ou une stratification de produits manufacturés aux finalités multiples: logement, production, échange, transport, administration, loisirs etc., où des relations se nouent entre individus, groupes, institutions, et pouvoir. La ville n’est pas «un hasard»: elle se produit et change dans le temps selon des critères que les géographes ont essayé de rationaliser. Il s’agit là de principes classiques d’organisation économique et spatiale tels que:

Les principes qui contribuent à façonner la ville donnent lieu à des structures urbaines typiques. On fait alors référence à des modèles urbains (modèle centre-périphérie, multipolaire, réticulaire) qui diffèrent selon le mode dont des espaces physiques et fonctionnels se distribuent et sont mis en relation. Ils ont une signification descriptive et interprétative de l’espace et représentent un produit spécifique du travail conceptuel et théorique du géographe.

D’après Prezioso, le modèle est pour le géographe un point d’arrivée, un outil d’interprétation de la a posteriori, sans le but de prédiction, qui est propre à d’autres sciences25. Ses fonctions, en géographie, sont donc différentes du rôle qu’il joue en économie, où il est un a priori, une forme et une méthode de connaissance en soi, qui se superpose ou s’impose parfois à la réalité elle-même (Prezioso, 1996). Franqueville décrit le modèle comme étant:

«Un essai de formalisation et d’interprétation des situations concrètes variées dont on cherche à établir les points communs (...); [il] ne se rencontre bien sûr jamais tel quel dans la réalité, chaque espace géographique étant particulier. Il n’est en rien statique: il décrit une sort d’état d’équilibre atteint à un moment donné, mais reste ouvert, évolutif.» (Franqueville, 1996).
Le modèle se retrouve aussi au niveau de la planification urbaine et, dans ce cas, avec une fonction normative. Les essais d’application de ces schémas dans de nombreuses villes africaines et la confrontation avec des environnements tout à fait différents ont contribué à l’évolution de la pensée dans ce domaine. Ainsi, tant les modèles que les indicateurs démographiques, urbanistiques et économiques qui forment la ville ont changé.

Cette évolution a été remarquable lorsque les géographes ont cherché à comprendre le passage de la dimension de «ville» à celle de «métropole». L’interprétation de ce phénomène en Afrique s’est tout d’abord basé (dans les années 50) sur des paramètres relevant de l’expérience occidentale, modifiés pour prendre en compte certaines spécificités locales26, et sur le concept de conurbation, qui dénote le phénomène par lequel, à l’intérieur d’une zone urbanisée, on constate une continuité spatiale de structures de logement, de production, de services, d’échanges, etc., sans inclusion de terrains agricoles. A cette définition s’est substituée, au cours des années 60, celle basée sur le concept de continuum entre zone urbaine et zones limitrophes, ces dernières ressentant l’effet de diffusion de la première, selon une relation hiérarchique ou gravitationnelle. Entre 1960 et 1970, ces conceptions de l’espace métropolitain ont été dépassées par des modèles de type géométrique dans lesquels l’utilisation de l’espace se fonde sur le mécanisme de formation de la rente (modèle applicable aussi à l’optimisation économique des espaces au niveau de la planification urbaine).

Plus récemment, un centre métropolitain en Afrique a été défini:

«Une agrégation complexe, exprimant une dotation de services de haut niveau (universités, hôpitaux, centres commerciaux et de direction); un système d’interdépendances productives dans la zone limitrophe; des fonctions «rares» ou «de pointe» (organisation de rapports internationaux) qui ont une influence dans une région plus vaste que celle limitrophe (à cause de la présence de holdings internationaux); point d’arrivée de flux migratoires en provenance de la zone d’influence.» (Prezioso, 1996).
Au niveau théorique, les modèles métropolitains sont expliqués à l’aide de concepts spécifiques, relevant aussi du domaine économique, tels que les temps et les coûts de transport, les coûts d’installation, la présence d’infrastructures, etc. Ces mêmes modèles et concepts ont été utilisés au niveau de la planification pour aboutir à des plans urbains optimisant les fonctions du centre métropolitain27.

4.2 - Le malaise urbain

La croissance urbaine et le passage éventuel de centre urbain à centre métropolitain est un processus critique dans le développement de la ville. Ce phénomène (dont le principal indicateur est la démographie) a des aspects et des dynamiques spéciales dans les villes africaines par rapport aux phénomènes du même type dans les villes des pays industrialisés. Dans ces pays, il se manifeste par des exigences physiologiques et représente la cause/effet de l’affirmation de tous les secteurs économiques. Dans les pays économiquement en retard, il a des aspects pathologiques, et procède indépendamment de l’évolution des activités productives (ce qui a aussi donné lieu aux secteurs informels). Le dessin de la ville porte les signes de cette pathologie. Tandis que dans les pays économiquement évolués le modèle d’expansion urbaine s’adapte de manière fonctionnelle aux exigences nouvelles, dans les pays en retard, les vieux schémas d’organisation demeurent inchangés, héritage des anciens régimes politiques mais aussi façonnés par des dynamiques récentes, chaotiques et incontrôlables. On parle à juste titre dans ces cas de «malaise urbain». Pour identifier et interpréter ces réalités, il est indispensable de faire appel à d’autres concepts, typiquement géographiques.

Les modèles urbains, ainsi que leurs fondements, se sont heurtés en Afrique à des réalités particulières. Une fois la spécificité de la croissance des villes africaines posée, il est important de caractériser des méthodes d’analyse et des indicateurs qui soient à même de restituer la complexité du processus et des facteurs en cause. L’analyse des «phénomènes significatifs» permet une interprétation de la structure urbaine métropolitaine. Prezioso a esquissé cette démarche de la manière suivante:

«Une innovation méthodologique pour lire la structure urbaine de type métropolitain en Afrique francophone est liée au repérage des phénomènes significatifs qu’il faut prendre en considération pour sélectionner les indicateurs utiles aux fins de l’évaluation. Le point de départ est le repérage des situations de malaise urbain: aliénation, délocalisation, saturation. Si, dans le premier cas, on peut ramener les phénomènes liés à la différenciation selon des zones fonctionnelles (monofonctionnalité), dans le deuxième, on peut associer les effets de la perte de dimension physique de la ville. Le concept de proximité n’est plus physique, sans pour autant aboutir à un équilibre dans l’utilisation de tous les moyens de communication qui sont en mesure de transformer la proximité fonctionnelle en proximité réelle, mais en créant des situations de malaise. Cet effet semble relever en Afrique de la globalisation des marchés internationaux, qui risque de replacer la ville au service de sujets extérieurs. Cependant, c’est de la troisième condition, la saturation, que relèvent les phénomènes avec le plus grand impact sur l’environnement physique et sur la capacité du système entier.» (Prezioso, 1996).
Les indicateurs capables de décrire les transformations structurales urbaines sont appliqués aux systèmes naturel, socio-économique, d’établissement et relationnel de la ville (qui comprend à son tour la relation alimentaire). Cette démarche ne concerne pas simplement la distribution des espaces et leur utilisation, mais prend en charge les multiples événements et relations qui se dégagent à l’intérieur de la ville. Elle se rapproche ainsi du concept d’analyse de système, tout au moins du point de vue géographique. L’historique, ou plutôt l’histoire de la ville, joue un rôle important à ce niveau. Au fil de l’histoire, en fait, on peut expliquer:

De même que l’histoire, l’analyse conjointe des relations économiques, des aspects sociaux, des formes de gouvernement et d’administration, des interventions de planification tant urbaine que rurale, se prête à décrire et à expliquer dans sa complexité la part géographique des relations alimentaires urbaines.

4.3 - La ville et l’alimentation

Après la description très synthétique de certains concepts et moyens de la recherche géographique en milieu urbain, quelles sont les conséquences de la structure urbaine sur les modalités d’approvisionnement de la ville? Les réponses sont très nombreuses et variées. On se limitera donc à donner quelques exemples pour montrer de manière synthétique les démarches cause/effet dans ce domaine.

En reprenant le processus de ségrégation, on constate par exemple que:

«La première caractéristique de l’espace d’approvisionnement urbain en Afrique est sa constitution en aires disjointes et souvent autonomes quant à leurs relations avec le marché. Il s’agit moins d’un espace ou d’une aire d’approvisionnement, que d’îlots, ou parfois de zones relativement étendues mais sans connexions, dont une partie de la production agricole est acheminée pour les besoins de la consommation urbaine.» (Franqueville, 1996).
Ainsi, à l’intérieur de la ville africaine on retrouve d’autres villes, relativement isolées les unes des autres, à un point tel qu’on pourrait affirmer que chaque habitant a sa ville (Balbo, 1989)29. On peut rattacher cette situation à la croissance de la ville, par l’immigration, qui dégage de nombreux effets intéressants au niveau spatial, avec des retombées sur l’approvisionnement alimentaire. L’immigration produit souvent en ville un phénomène très évident: le bidonville. Loin d’être provisoire, le bidonville devient une forme d’installation permanente, indice d’un processus typique de ségrégation urbaine, mais aussi indice du comportement des immigrés face aux modes de vie urbains30. Les habitudes alimentaires changent au fur et à mesure de la diversification et de l’élargissement du bassin de recrutement des immigrés (Franqueville, 1996). La diversification des habitudes alimentaires entraîne aussi la différenciation des produits demandés, des modes et des lieux d’achat: en un mot, des marchés (qui, du point de vue géographique, sont les espaces attachés aux échanges), de leur nombre, ampleur, spécialisation (selon les produits mais aussi selon le type de clientèle), localisation (centreville, zone intermédiaire, banlieue, axes routiers), etc.

L’agriculture urbaine et périurbaine est un autre phénomène typique des villes africaines. Elle peut se situer aussi bien au centre de la ville qu’à ses alentours (parfois très éloignés), pouvant à l’extrême aboutir à des formes de production «intra-muros» (Franqueville, 1996). Elle sert surtout à approvisionner la ville en produits verts (agriculture maraîchère), à un coût raisonnable. Cette pratique a dessiné un paysage urbain particulier, avec une affectation d’espaces dont l’importance est évidente: pour les agriculteurs urbains, qui y gagnent travail et argent, pour le consommateur moyen, qui a accès à un produit cher mais moins cher que le même d’importation et, du point de vue nutritionnel, en procurant une intégration alimentaire très importante. Mais du point de vue dynamique, quel est l’avenir de cette pratique et à quelles conséquences peut-on s’attendre du côté géographique et alimentaire?

«L’entreprise [d’agriculture urbaine] se heurte, au fil du temps, à deux types de difficultés, les unes locales, les autres d’ordre général. A mesure de l’avancée de l’urbanisation, la plus-value progressivement acquise par les terrains suburbains, et plus encore intra-urbains (...) ne peut laisser longtemps persister une activité agricole dont la rentabilité relative va naturellement en diminuant. (...) L’autre obstacle, plus récent, rencontré par cette agriculture spécialisée dans des productions relativement chères, est la crise et l’ajustement structurel, dont l’effet immédiat fut la baisse du pouvoir d’achat de la majorité des ménages urbains.» (Franqueville, 1996).
On pourrait continuer sur cette ligne de raisonnement en mentionnant par exemple le secteur informel dans la distribution alimentaire et l’alimentation, souvent complété de manière séquentielle par le circuit de production urbaine sensible aux changements de revenus et de style de vie urbaine. Le circuit de production garde lui aussi une dimension spatiale vitale.

On se contentera ici de déplacer l’attention sur le problème qui se pose donc au niveau de la planification urbaine: toute intervention au niveau urbain se confronte avec l’espace et ses fonctions, où l’on peut imaginer non seulement des complémentarités, mais aussi des conflits (par exemple entre logement et agriculture urbaine) dont la résolution ne manque pas d’avoir des conséquences sur la relation alimentaire de la ville.

Encadré 1

Les principaux auteurs et théories urbanistiques

Le ravitaillement urbain constitue, dans la théorie géographique, l’une des composantes de l’organisation fonctionnelle de l’espace qui a retenu l’attention des géographes dès la constitution de leur discipline comme science autonome au XIXe siècle. Il s’agissait déjà de la question de l’approvisionnement urbain, mais posée à l’envers, c’est-à-dire celui de la recherche des meilleures localisations agricoles en fonction des marchés de consommation. Partant de l’existence d’un marché central, Von Thunen (1826) propose alors un modèle composé de couronnes concentriques de largeurs inégales dont l’étendue obéit à deux sortes de contraintes: le revenu maximum par hectare en fonction des prix du marché et le coût des transports, deux variables qui permettent le calcul d’une distance maximale de transport pour chaque produit, au-delà de laquelle le revenu que l’on peut en attendre se trouve annulé. Ainsi peut-on construire autour de chaque marché un polygone de maximisation des revenus, lequel peut néanmoins subir des distorsions diverses en fonction de l’existence de voies de transports plus ou moins onéreuses, telle la voie fluviale. Ce polygone peut donc être considéré comme l’espace idéal d’approvisionnement du marché central, celui dans lequel les agriculteurs trouvent intérêt à commercialiser leur production, et les citadins à se ravitailler.

Nombre d’auteurs ont, par la suite, cherché à perfectionner ce premier modèle, spécialement en le compliquant de façon à tenir le plus grand compte des complexités de la réalité, en particulier de la présence de plusieurs marchés centraux concurrents. Le plus célèbre est Christaller (1933), avec sa théorie des places centrales selon laquelle l’organisation de l’espace est régie par les relations existant entre trois ensembles: l’ensemble des distances, l’ensemble des populations et l’ensemble des fonctions, ces dernières étant les plus importantes dans la construction du système. Le principe du marché, selon lequel tout point du territoire théorique doit être également accessible à ses habitants, entraîne le développement d’une structure triangulaire de l’espace, la juxtaposition des triangles constituant une trame d’hexagones emboîtés et hiérarchisés selon l’importance des fonctions de chaque centre.

On aboutit ainsi à une sorte de géométrie de l’espace géographique basée sur trois principes et qui concerne directement l’analyse des SADA:

  • le principe de centralité (ou de marché): cette notion, inhérente à celle de marché d’échanges, veut que chaque point du territoire soit accessible à tous les biens et services possibles. Tous les centres devant être équidistants, le triangle équilatéral constitue la figure de base du système et la région complémentaire de chaque place centrale doit être hexagonale. D’autre part, les biens et services n’ont pas tous une importance égale, de sorte que s’établit une hiérarchie des places centrales ainsi que des aires d’influence correspondantes. Mais, quel que soit leur rang, les aires d’influence gardent une forme hexagonale. Les places centrales du haut de la hiérarchie sont plus espacées et leur aire d’influence plus vaste que celles du bas de la hiérarchie. Chaque place centrale commande un nombre «k» de places inférieur égal à 3;
  • le principe de transport, liaison la plus économique entre les places centrales qui se fait selon des routes rectilignes réunissant le plus possible de centres de haut niveau hiérarchique qui recoupent la trame hexagonale. Ce regroupement des places centrales se fait sur la base de k = 4;
  • le principe de hiérarchie administrative qui délimite des étendues de juridictions aboutissant à un cloisonnement en cellules, Christaller estimant que k = 7 constitue la base de ce regroupement.

Losch (1943) reprend et élargit cette théorie, Berry et Garrison introduisent deux nouveaux concepts (1958): celui de seuil et celui de portée d’un bien. Le seuil est une limite de population ou de production qui permet l’apparition d’une nouvelle fonction de la place centrale; la portée d’un bien décrit la taille de son aire de vente ou d’influence (Franqueville, 1996).


Encadré 2

Les réseaux urbains

La théorie géographique détermine au minimum trois types de réseaux urbains:

  • les réseaux à hiérarchie déterminée: formalisés dans les modèles de Christaller (1933) et Losch (1954), ils cherchent à représenter des systèmes d’installation fermés en équilibre dans une région dominée par la place centrale de rang plus élevé (en général, la métropole). Dans la place centrale, les relations sont dissymétriques car elles représentent des rapports de domination à l’intérieur d’une échelle de rangs très rigides. Ces modèles se fondent sur les «principes de seuil et de portée» des productions offertes à une demande diffusée de manière spatiale et uniforme. Le réseau qui en résulte est basé sur une aire. En particulier, la théorie de Christaller naît du concept du «Daily Urban System» (DUS). Le DUS, en délimitant des systèmes individuels sur la base des flux quotidiens de déplacement en ville, se prête, s’il est bien mis à jour, à décrire les flux migratoires temporaires dans les banlieues urbaines;
  • les réseaux multipolaires (agglomérations de Weber, pôles de Perroux): en vertu des externalités de l’agglomération, les activités productives urbaines se distribuent parmi les différents nœuds. Ils forment des combinaisons variées, pas tout à fait fortuites, qui décrivent des relations de complémentarité entre périphérie et centre. Les relations à l’intérieur d’une région sont asymétriques, en raison de la force économique des secteurs actifs et du poids des infrastructures. La dimension du réseau n’est pas prédéterminée et on le voit en Afrique dans le cas où des projets de développement rural intégré ont été achevés;
  • les réseaux équipotentiels: ils servent à expliquer la distribution fortuite des fonctions urbaines en supposant que les activités économiques dominantes ne sont pas sensibles aux facteurs d’établissement et/ou dans le cas où ces facteurs sont distribués de manière uniforme. Par rapport aux modèles précédents, on n’a pas ici de synergies (...) car on garde un niveau élevé de mobilité et les relations sont de type symétriques (Prezioso, 1996).


Synthèse

L’approvisionnement alimentaire urbain est un sujet depuis longtemps au cœur de la géographie. L’approche géographique se base sur la notion d’espace dont elle vise à interpréter les modes d’organisation et de différenciation par rapport aux fonctions qui s’y déroulent. L’alimentation de la ville, du point de vue géographique, porte à s’interroger sur les phénomènes de croissance urbaine, qui sont souvent à l’origine de problèmes d’approvisionnement et de distribution, et sur les relations entre le devenir de la ville et l’accomplissement de la fonction alimentaire.

Le concept de ville, bien qu’intuitif, est sujet à une élaboration théorique complexe qui cherche à décrire et interpréter les processus de différenciation de l’espace à l’intérieur de celle-ci. Des concepts spécifiques ont été élaborés (agglomération, accessibilité, interaction, hiérarchie, compétitivité) pour caractériser les facteurs de localisation des activités humaines en ville (spécialement celles d’intérêt économique) et les relations qui s’y établissent. L’action de ces facteurs se trouve théorisée à l’intérieur des modèles urbains qui concrétisent, par ailleurs, l’effort scientifique du géographe.

La dimension de métropole est atteinte par différentes voies. Le poids démographique détermine la métropole, ainsi que de nombreux facteurs et situations qui contribuent à former son caractère. Cet aspect de la croissance urbaine est, dans la ville africaine, très original et s’éloigne beaucoup des paramètres occidentaux. La géographie a reconnu cette originalité et a changé et enrichi ses schémas d’interprétation ainsi que les méthodologies mises au point pour sa compréhension.

En fait, la croissance des villes/métropoles africaines révèle des malaises dont l’origine et la dynamique peuvent être expliquées par des moyens d’analyse tenant compte des systèmes naturel, socio-économique, d’établissement et relationnel. Dans ce cadre, l’approche historique de la ville semble indispensable pour connaître sa structure actuelle.

Les relations entre la ville et sa fonction alimentaire sont multiples. Toute fonction des SADA se confronte et se heurte à des logiques d’utilisation de l’espace, à des contraintes géographiques qui conduisent à une ré-affectation dynamique des espaces et à des nouveaux processus de différenciation.

Si les concepts et les méthodes utilisés par le géographe pour décrypter les logiques d’organisation de l’espace sont spécifiquement du domaine géographique, d’autres disciplines y sont également importantes. On pourrait citer quelques exemples de l’interférence des concepts économiques avec le domaine géographique et de la place qu’ils occupent à la base des modèles urbains:

  • l’utilisation de la rente foncière dans le modèle de Von Thunen sur la localisation des activités productives qui indique une relation conceptuelle évidente (et nécessaire) avec l’économie;
  • le recours aux coûts de transport et d’établissement (productif ou de logement) dans le modèle urbain de Burgess;
  • le concept de seuil et de portée.

Mais l’histoire appliquée à l’interprétation de la structure urbaine des villes africaines peut expliquer les situations actuelles et les forces qui ont contribué à les produire. Ce point est surtout évident dès le moment où on conçoit l’espace comme générant des actions qui relèvent d’exigences autres que celles purement économiques, et dont l’explication se situe au niveau de la politique (gestion du pouvoir, encadrement administratif, contrôle du territoire, dynamiques sociales dont l’interprétation de l’héritage colonial sur la structure urbaine).

Enfin, un rappel très utile vient de la géographie au niveau méthodologique: en effet, la ville et son influence doivent être analysées au niveau territorial. La ville et la métropole sont des espaces dont les limites sont parfois difficiles à tracer, soit parce qu’elles sont dynamiques, soit parce qu’on ne peut pas se borner à les considérer de manière purement physique (par exemple en considérant la seule continuité des établissements). La ville est, surtout du point de vue de l’approvisionnement, beaucoup plus que cela. Il faut donc adopter la région comme une unité de connaissance (concept qui à son tour doit être précisé). Cette considération relève de plusieurs circonstances qui sont étroitement liées aux SADA, par exemple: le rôle que la ville joue géographiquement sur ses alentours (rôle de domination ou de hiérarchie) aux niveaux social, économique et démographique; les relations entre ville et campagne; l’importance de l’aménagement rural sur les conditions de vie en ville, etc. A ce propos citons encore une fois Franqueville et Prezioso, selon lesquels:

«Le qualificatif de périurbain reste imprécis; c’est l’hinterland, l’arrière-pays, la zone sur laquelle s’étend l’influence de la ville. La distance jusqu’à laquelle celle-ci s’exerce peut être variable, principalement en fonction du volume démographique de la ville et des activités qu’elle déploie. Dans les pays de petite dimension, la zone d’approvisionnement de la capitale peut même se confondre avec le territoire national.» (Franqueville, 1996).
«C’est à l’échelle régionale, d’autre part, qu’à notre avis on reconnaît l’originalité des contributions géographiques à l’étude de phénomènes complexes, tels que ceux de l’alimentation car, malgré la dimension non négligeable des villes africaines, en 1994, seulement 28 d’entre elles avaient une amplitude de un à cinq millions d’habitants.» (Prezioso, 1996).


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