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Chapitre 5: L’APPROCHE NUTRITIONNELLE


5.1 - L’état actuel des théories et méthodologies
5.2 - L’analyse de l’état nutritionnel
5.3 - L’étude de la consommation alimentaire en milieu urbain
5.4 - Le contrôle de la qualité des aliments
5.5 - Le rapport de la discipline avec les autres disciplines

La relation entre nutrition et SADA est évidente, étant la consommation alimentaire le but propre aux SADA et un déterminant essentiel de l’état nutritionnel. De plus, toute politique d’intérêt alimentaire (agricole, de sécurité alimentaire ou de distribution) ne saurait faire abstraction des modèles de consommation et de leur adéquation aux exigence nutritionnelles de la population. Mais, en parlant des SADA, il est indispensable de bien limiter les domaines de pertinence à deux aspects, celui de l’approvisionnement/commercialisation et celui de l’état nutritionnel souhaitable pour la population. En croisant ces deux domaines, on cherchera d’abord à décrire les statuts scientifique et méthodologique de l’approche nutritionnelle, donc la relation de pertinence entre ce point de vue et les fonctions des SADA31.

Tout d’abord, les aliments consommés en zone urbaine sont pour la plupart achetés. Un SADA plus performant et une meilleure information du consommateur urbain peuvent donc contribuer à améliorer la nutrition et la qualité de vie de la population urbaine. Un premier aspect, propre au point de vue nutritionniste, implique donc que le SADA soit bien sûr analysé en termes de performance économique, mais aussi en termes de service rendu au consommateur, à savoir la capacité à mettre à disposition de tous et à tout moment, une variété d’aliments sains et utilisables à un prix abordable (une telle définition inclut bien sûr les systèmes de distribution alimentaire non commerciale).

Différentes branches de la nutrition peuvent contribuer à l’analyse des SADA. Toutefois, la prise en compte des aspects nutritionnels est encore à l’état embryonnaire, à l’exception, du moins, des aspects de contrôle de qualité. Dans une perspective un peu différente, il peut toutefois être utile de rappeler que les nutritionnistes ont été et sont impliqués ou consultés dans différents programmes d’aide aux consommateurs (rationnement alimentaire de la population en cas de guerre, programmes de bons alimentaires ou allocations d’achat pour les groupes sociaux défavorisés et subventions de certains aliments de consommation courante).

L’évolution historique de la pensée dans ce domaine n’offre qu’un intérêt limité, dans la mesure où il n’existe pas vraiment d’écoles de pensées différentes comme, par exemple, en économie.

Ce chapitre décrira brièvement les différentes méthodologies d’analyse de la situation alimentaire et nutritionnelle qui sont applicables à l’étude des SADA. En ce qui concerne les analyses de la situation alimentaire et nutritionnelle urbaine, les nutritionnistes se sont pour l’instant intéressés en priorité:

5.1 - L’état actuel des théories et méthodologies

Le nutritionniste est confronté au dernier résultat du fonctionnement des SADA, c’est-à-dire l’effet de la nourriture et de l’alimentation sur la population. On se trouve donc au point qui suit la demande alimentaire et les réseaux commerciaux, officiels ou informels, dans un domaine qui tient aussi bien des sciences médicales que, par exemple, des sciences sociales (économie, sociologie), où se synthétisent les effets qui relèvent de toutes les filières des produits participant à la préparation des produits (y compris la préparation elle-même, qu’elle soit ménagère ou collective).

5.2 - L’analyse de l’état nutritionnel

Le nutritionniste a pour principal objectif de récolter des données concernant l’état nutritionnel de la population, dans ce cas urbaine. Des méthodologies bien rodées (tel que l’IMC)32 sont utilisées comme indicateurs de vulnérabilité pour la population urbaine. Ces indices fournissent aussi une information indirecte de l’état de performance des SADA, dans la mesure où le consommateur urbain dépend essentiellement du système de distribution pour son approvisionnement alimentaire. La prévalence de signes cliniques de malnutrition, et notamment de carences en micronutriments (diagnostiquées au cours d’études nutritionnelles ou, plus couramment, par les centres de santé) justifie une étude même sommaire du régime alimentaire des groupes de population concernés et de leurs connaissances, attitudes et pratiques en matière alimentaire. Une telle étude permet aussi d’identifier les produits alimentaires déficitaires dont la consommation - et donc la disponibilité et l’accessibilité financière - devra être encouragée. Toutes les données concernant l’état nutritionnel de la population peuvent en fait contribuer au ciblage de l’étude des SADA ainsi qu’au suivi et à l’évaluation ultérieurs d’un programme d’amélioration de ces derniers.

5.3 - L’étude de la consommation alimentaire en milieu urbain

L’étude de la consommation permet de mieux caractériser la demande. Le nutritionniste s’attachera à préciser la consommation des différents groupes de population, les variations saisonnières et les grandes tendances de la consommation, ainsi que ses déterminants. Dans ce domaine, le nutritionniste se sert de méthodologies souvent utilisées par d’autres disciplines (l’économie par exemple).

Les enquêtes de «budget-consommation «combinées aux «tables de composition des aliments «peuvent permettre de préciser et de qualifier le régime alimentaire de la population urbaine. Le plus souvent, cette analyse est réalisée par des équipes multidisciplinaires (économistes, nutritionnistes, statisticiens) en fonction des grandes catégories socio-économiques. De telles enquêtes sont en général lourdes en termes de temps et de coûts (personnel pour les enquêtes, saisie et analyse). Il faut donc savoir s’il est justifié ou non de les entreprendre dans le cadre de l’analyse des SADA. Si elles sont entreprises, elles constitueront un élément d’information secondaire important et devront être revues par le nutritionniste pour en extraire les informations pertinentes à l’analyse des SADA.

L’étude des connaissances, attitudes et pratiques (CAP) en matière alimentaire et nutritionnelle des consommateurs urbains peut permettre d’identifier les déterminants des choix alimentaires et donc des comportements d’achat des consommateurs. Une telle étude devra être basée sur une typologie de la population en fonction de critères socioculturels (par exemple la région d’origine).

L’étude du comportement des consommateurs défavorisés (identifiés entre autres par un IMC insuffisant) en termes d’approvisionnement alimentaire est particulièrement importante: analyse rapide des modes de consommation (Combien de repas par jour? Où? Quoi?), du processus de sélection et des modes d’acquisition des aliments (Lesquels? Pourquoi? Où? Comment?) et des contraintes rencontrées (à l’achat, au stockage, à la préparation, et à la distribution intra-familiale).

Ces études seront essentiellement qualitatives dans la mesure où il s’agit de mieux appréhender des mécanismes complexes. L’accent est de plus en plus mis sur des méthodes d’analyse thématique participative (de type MARP) combinant une variété de techniques (entretiens semi-structurés avec des groupes focalisés, exercices collectifs basés sur des techniques de visualisation, etc.) et faisant intervenir des équipes multidisciplinaires comprenant des intervenants locaux. Ces méthodes peuvent fournir la base pour des études quantitatives ultérieures sur les points retenus les plus pertinents.

5.4 - Le contrôle de la qualité des aliments

Les études dans ce domaine s’attachent à identifier les diverses causes de contamination ou d’adultération des denrées agro-alimentaires entrant dans les SADA.

Les programmes de surveillance de la contamination des aliments, développés au niveau national ou ponctuellement pour une région, apportent les éléments essentiels à l’évaluation de la qualité des denrées alimentaires, y compris celles prises en compte dans les SADA. De tels programmes permettent non seulement d’identifier le type d’aliment, de contaminant ou de fraude, mais aussi son origine dans la chaîne alimentaire (production, stockage, transport, distribution, commercialisation, etc.).

Le plus souvent, ces programmes sont conduits par les services de contrôle de qualité des aliments dans le cadre d’une politique plus générale de la qualité dans le pays. Ils impliquent une structure d’administration centrale, d’inspection, d’échantillonnage et d’analyse, ainsi que du personnel qualifié, en particulier des inspecteurs, des microbiologistes et des chimistes. Etant donné leur coût, il est difficile de pouvoir recommander la réalisation de telles enquêtes de contamination dans l’étude des SADA. Cependant, l’utilisation des données déjà existantes peut fournir de bonnes indications sur les tendances de la qualité dans les SADA du pays concerné. Les études sur la qualité peuvent par contre être appliquées à l’étude spécifique d’une filière ou d’un aliment.

Les rapports des services de contrôle sur les inspections systématiques qui déterminent comment les aliments sont manipulés, fabriqués, entreposés, y compris dans les SADA, ainsi que les rapports des inspections spéciales qui se déroulent après un accident dû à la consommation d’un aliment contaminé, après un cataclysme pouvant entraîner la contamination des approvisionnements alimentaires, ou après la réclamation de consommateurs ou de professionnels de la filière considérée, etc., peuvent donner des indications fort utiles sur les contaminants et les fraudes touchant divers aliments des SADA.

Les rapports de surveillance des maladies transmissibles par les aliments qui collectent et analysent les informations sur les maladies, les contaminants associés, les aliments incriminés, l’incidence saisonnière, etc., sont aussi de quelque utilité dans l’analyse de la qualité des aliments impliqués dans les SADA.

5.5 - Le rapport de la discipline avec les autres disciplines

Il est difficile d’entrer dans les détails des rapports du nutritionniste avec les autres disciplines dans le cadre de l’analyse des SADA, dans la mesure où ceux-ci dépendront des ressources humaines et du contexte institutionnel dans les villes considérées et devront donc être définis de façon pragmatique. Il est important que le nutritionniste travaille avec l’ensemble des disciplines pour assurer la prise en compte des considérations nutritionnelles dans l’analyse des SADA. Il est vraisemblable que le nutritionniste sera amené, dans la plupart des cas, à collaborer étroitement avec les économistes (analyse de la demande alimentaire et de son évolution), les sociologues (analyse des comportements d’achat et de leurs déterminants), les urbanistes (détermination de l’emplacement des points de vente), les législateurs (analyse des problèmes de qualité) et le technologue alimentaire.

Encadré 3

L’évolution méthodologique dans l’analyse de la qualité des aliments

L’évolution des approches d’analyse des problèmes de qualité dans l’alimentation de rue fournit un bon exemple de l’évolution récente de la pensée dans ce domaine. Le but de ces études était d’identifier des mesures concrètes visant à améliorer la qualité de l’alimentation de rue afin de protéger la santé des consommateurs.

En ce qui concerne la première approche, il a été décidé de faire un échantillonnage représentatif pour analyser les éventuelles contaminations microbiologiques ainsi qu’une possible contamination par des agents chimiques, en particulier les métaux lourds, les additifs alimentaires ou les aflatoxines. Cette approche a permis de cerner les contaminants les plus courants et les aliments les plus susceptibles de contamination ou d’adultération. Les limites de cette approche tenaient principalement aux budgets qui limitaient d’autant la taille de l’échantillon et, partant, la représentativité de certaines études.

La deuxième approche a consisté à affiner les résultats obtenus précédemment en limitant les études de la contamination aux aliments identifiés comme les plus susceptibles d’être contaminés ainsi qu’aux contaminants les plus retrouvés, en particulier les micro-organismes. On a ainsi pu obtenir, avec des budgets semblables, des indications plus représentatives des contaminations sur tel ou tel type d’aliment. Cependant, il n’était pas possible, d’après ces études, d’identifier l’origine de la contamination.

La troisième approche s’est donc concentrée sur un type d’aliment en étudiant toutes les étapes de la filière (achat des matières premières, transformation, cuisson, stockage, conservation, transport, vente, etc.), ce qui a permis d’identifier des étapes à risque où les contaminants peuvent être introduits ou n’ont pas pu être éliminés par le processus de préparation de l’aliment. Une telle approche permet d’identifier plus aisément les bonnes pratiques de préparation à appliquer dans le secteur de l’alimentation de rue, les innovations technologiques réplicables et les pratiques d’hygiène des aliments à mettre en œuvre. Cependant, là encore, cette approche s’est avérée limitée dans la mesure où les méthodes permettant l’amélioration de la qualité dans la filière étaient peu appliquées par des opérateurs non motivés et, en général, mal comprises par les consommateurs.

La quatrième approche a donc incorporé des méthodes de type participatif avec les opérateurs du secteur et des enquêtes auprès des consommateurs afin d’identifier les contraintes des préparateurs/vendeurs et de mieux comprendre l’attitude du consommateur et ses attentes.

Ces diverses approches ont aidé à faire évoluer les concepts de qualité dans le secteur de l’alimentation de rue, un des secteurs importants du SADA en Afrique. Parties de considérations purement scientifiques et techniques sur les contaminants et la préparation des aliments, les études couvrent aujourd’hui des aspects culturels, juridiques, fonciers, réglementaires, socio-économiques, urbanistiques, etc. Là encore, la nécessité d’une approche multidisciplinaire s’est avérée incontournable.

Synthèse

Le travail du nutritionniste s’applique d’abord à la constatation de l’état nutritionnel de la population. Les informations qui proviennent de cette analyse permettent de donner un jugement général sur les besoins alimentaires de la population, de caractériser le déficit nutritionnel ou le manque de certains apports nutritionnels. A partir de ce constat, d’autres analyses sont possibles. Elles visent, soit à compléter le diagnostic de l’état nutritionnel, soit à décrire, pour des besoins de connaissance plus généraux, les habitudes alimentaires des populations et la manière de les satisfaire. On rencontre alors des méthodes d’enquête qui relèvent de la recherche économique sur la consommation (analyse de la demande alimentaire) et dont les suppléments d’information concernent la composition des aliments. Le coût élevé de cette méthodologie et l’exigence de connaître des situations critiques avec des moyens limités a conduit à substituer cette démarche par des analyses rapides. Le contrôle de qualité pose aussi des problèmes qui sont dans ce cas liés à son coût direct ou à l’existence d’une organisation technique et administrative ad hoc. Contrôle de qualité et analyse de l’état nutritionnel sont des indicateurs indirects et partiaux de l’efficacité alimentaire des SADA.

La relation entre l’aspect nutritionnel et l’efficacité des SADA peut être ramenée à deux questions:

  • le décalage entre ce qui est consommé à un moment donné et ce qui devrait l’être, pour répondre le mieux aux besoins nutritionnels;
  • les conditions de l’approvisionnement et de la distribution qui, dans la normalité, permettent d’acquérir les aliments indispensables d’un point de vue nutritionnel.

Le premier aspect est plus général, et porte l’attention sur les règles de bonne nutrition à adopter; le deuxième nous amène à considérer plutôt la question de la sécurité alimentaire par rapport à des couches ou phénomènes sociaux particuliers, voire structurés dans la société (pauvreté, structure démographique, détérioration du pouvoir d’achat, etc.). Dans les deux cas, il faut se demander de quelle manière les SADA, confrontés à des problèmes d’efficacité économique, peuvent véhiculer des messages nutritionnels à travers les structures qui sont propres à leur logique de fonctionnement, entièrement commerciale.

Au niveau des actions d’amélioration, l’attention se porte sur la possibilité de repérer des synergies entre le développement des SADA et celui de l’état nutritionnel. On peut distinguer à ce propos des situations différentes en se référant aux domaines que l’analyse nutritionnelle favorise, c’est-à-dire l’état nutritionnel et le contrôle de qualité. Le premier retombe sur les SADA de manière indirecte par le biais de la demande, plus directement à travers les signaux d’inefficacité structurelle (voir le second point ci-dessus). Le deuxième peut de même indiquer des inefficacités dans les filières (problèmes de stockage, conservation, transformation, d’hygiène, etc.) dont il faut analyser la relation structurelle avec les SADA et la possibilité d’y intervenir.

Selon les hypothèses données, l’aspect nutritionnel peut être considéré l’une des dimensions de l’efficacité des SADA.


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