6.1 - Le rôle et les limites du droit dans lanalyse des SADA
6.2 - Les droits sectoriels des SADA
6.3 - Le droit des SADA au niveau opérationnel
Les activités qui se déroulent à lintérieur des SADA, aussi bien que celles qui les entourent, font référence à un cadre de règles. Quelles soient écrites ou coutumières, elles ont des effets plus ou moins importants sur les SADA, dans le sens quelles contribuent à leur structuration et à leur fonctionnement, donc, à leur efficacité. Ce cadre fait lobjet détude de la discipline juridique et définit les règles du jeu valables pour les acteurs.
Du point de vue juridique, les SADA sont un objet très articulé et complexe qui échappe à une définition simpliste. En fait:
«Lapprovisionnement des villes nest pas une problématique juridique mais une problématique socio-économique. Les régimes juridiques impliqués (...) sont de toutes natures: droit administratif, droit civil, droit pénal, droit commercial, droit de lentreprise, droit fiscal et des finances publiques, droit de la consommation, droit des transports, droit de lenvironnement, droits spéciaux de lhygiène, de la santé publique et de lalimentation, droit de lurbanisme, libertés publiques, droit des douanes, etc.» (Ferro, 1996).Cela pose des problèmes du point de vue de lanalyse, qui nécessite au préalable la délimitation du domaine de pertinence juridique des SADA, tâche qui savère plus difficile en raison de linformalité (normes non codifiées mais efficaces dans les faits) qui caractérise une grande partie des relations sociales et économiques en milieu africain. Du point de vue scientifique et méthodologique, il vaut mieux accepter cette complexité et considérer le droit des SADA comme un droit composite et ouvert qui remplit son rôle à côté des domaines disciplinaires intéressés à lanalyse du domaine social, et comme outil opérationnel de la décision politique. Cela nentraîne pas lindétermination du domaine en observation, mais la nécessité de se doter doutils danalyse plus articulés. On fera alors appel à dautres disciplines, en particulier à la sociologie et à lanthropologie, dans le cadre dune approche interdisciplinaire.
Lanalyse de la matière première de lapproche juridique (les lois, les règles) donne un élément de connaissance indispensable de lenvironnement dans lequel lactivité des SADA se déroule. Elle porte sur lensemble des règles socialement acceptées et reconnues auxquelles les acteurs se rapportent, de manière positive ou négative. Mais le droit est aussi loutil technique qui concrétise la volonté publique dagir et de poursuivre des objectifs par la modification des règles établies.
Lapplication de la méthodologie juridique aux SADA consiste alors à identifier dabord les sources du cadre réglementaire (au sens large) en vigueur, puis à reconnaître les différents droits sectoriels qui participent aux SADA eux-mêmes.
Pour repérer les sources du cadre global qui organise les rapports généraux entre la société civile et les pouvoirs publics, il faut prendre en considération:
Les éléments de ce cadre ne sont pas forcément en accord. Le fonctionnement du système demande la solution de situations de conflit, qui à leur tour, demandent des pratiques de réglementation entre les centres de pouvoir, officiels et non officiels, même au niveau de la vie quotidienne. Cette contradiction donne lieu à des relations spécifiques qui sont aussi des phénomènes bien connus dans la réalité africaine. Les SADA plongent à lintérieur de cet environnement qui a un pouvoir de structuration très important sur les relations marchandes:
«Les SADA sinsèrent dans un milieu social qui nobéit quimparfaitement au droit formel. Linteraction entre droit officiel et pratiques informelles relève dès lors dune logique dialectique.» (Ferro, 1996).Cette situation est bien sûr une source dinefficacité. Du point de vue juridique, on pourrait dire en fait que linformel est le signe de linefficacité de lofficiel34. La production exagérée de normes saccompagne souvent aussi dune source additionnelle dinefficacité et de coûts (par exemple, à travers la corruption).
Comme il a été dit précédemment, le droit est porteur dindications sur la société qui la produit, sur sa représentation sociale et sur les projets quelle se donne. Il est donc un point dobservation privilegié du social et, en même temps, un de ses produits, un document vivant de lanalyse sociale, mais il nest pas son explication. Au niveau technique, il donne forme aux décisions politiques erga omnes. Mais, au niveau méthodologique, lapproche juridique ne dispose pas des outils pour comprendre la société dont il relève et quil contribue à façonner:
«Au-delà de lobjectif politique auquel est astreinte lintervention juridique, le droit ne vient pas réguler des terres vierges de toute organisation sociale ou juridique. Il doit sadapter aux situations pour pouvoir espérer simmiscer dans le jeu social. Bien que les institutions juridiques soient un observatoire privilégié des échanges sociaux et économiques, la discipline juridique en soi ne possède pas doutils méthodologiques fiables permettant dobserver et de mesurer ce qui se noue dans la sphère du droit.» (Ferro, 1996).Pour accomplir au mieux sa tâche, le droit doit utiliser dautres disciplines, telles la sociologie et lanthropologie juridiques, qui disposent des outils danalyse et dinterprétation nécessaires pour comprendre la logique de fonctionnement des sociétés et des individus dans les sociétés: leurs règles originaires, pourquoi et comment elles se sont formées et affirmées, de quelle manière ils (lindividu, les sociétés) perçoivent les règles innovatrices relevant dautres héritages culturels et historiques35, et les comportements qui sétablissent par rapport à lappareil juridique écrit.
Deux aspects sont à retenir qui concernent en particulier les SADA:
Ces deux aspects structurent en fait les relations commerciales et sociales dans les SADA en dehors des règles écrites et peuvent être cause dinefficacité et des surcoûts sociaux ou individuels36.
Les activités typiques des SADA sont soumises à nombre de réglementations qui concernent des domaines normatifs différenciés. Selon Ferro, ils peuvent être regroupés en trois catégories:
On pourrait élargir cette liste, surtout au niveau du second point relatifs aux politiques économiques sectorielles de portée macro-économique qui ont force de règle pour les acteurs des SADA et une influence (directe ou indirecte) sur les SADA: politique agricole, politique commerciale, politique monétaire, etc. Elles font aussi partie de lenvironnement des SADA, agissent de manière efficace sur certains aspects de lapprovisionnement et de la distribution alimentaires des villes, même si lespace de compétence concerné sétend au-delà des limites géographiques de la ville.
De toutes manière, lensemble de ces règles doit prévoir une marge variable dévasion à laquelle on ne peut pas échapper dans la réalité, pour les raisons déjà mentionnées.
Une fois défini le statut scientifique du droit, ses atouts et ses limites, il sagit maintenant de voir le rôle quil joue en tant quélément dynamique dans les faits.
«Dans cette acception, le droit est un ensemble de règles formulé en référence à une observation de la réalité sociale et établi pour répondre à une volonté politique de transformation sociale.» (Ferro, 1996).A ce niveau, on rentre dans la démarche pragmatique de la formalisation des normes innovatrices dans un milieu juridique donné, dans un système spécifique, tel que les SADA. De manière générale, on peut reconnaître trois étapes fondamentales dans ce processus:
La démarche qui aboutit à cette méthodologie sur le plan technique entraîne lidentification des structures, des régimes juridiques et des acteurs qui agissent dans les SADA. Il est cependant souvent difficile de trouver les sources juridiques qui structurent les relations aux différents niveaux (institutionnels, individuels, des associations, etc.) pour obtenir le cadre de normes efficaces dans le système. Cette recherche vise justement différents niveaux et fonctions qui, à partir des aspects les plus généraux (quon pourrait appeler macro-juridiques) porte à la caractérisation des statuts juridiques des individus et des acteurs particuliers (le côté micro-juridique), cest-à-dire lorganisation du droit au niveau constitutionnel, lorganisation judiciaire, le cadre des responsabilités ministérielles et des compétences administratives, les règles de police, les statuts des acteurs et des biens impliqués dans les SADA, ainsi que les régimes fiscaux et contractuels.
Linsertion dune éventuelle norme innovatrice dans le cadre préexistant dessine le rôle technique du juriste:
«Dune manière générale, la finalité du travail technique juridique est de justifier lensemble des décisions prises par le politique. A ce titre, il nexiste pas une formulation justificative, «un«régime de droit, mais «des«régimes de droit susceptibles de répondre à un même objectif. Le juriste ne décide pas de «la «formule juridique mais il propose un éventail de solutions. Il appartient au décideur (...) dadopter la formule juridique la mieux adaptée à ses contraintes et à ses objectifs.» (Ferro, 1996).
Synthèse Lapproche juridique revêt une place particulière dans léventail des disciplines entraînées dans létude des SADA. Lanalyse du cadre réglementaire qui préside aux relations économiques et sociales révèle limage de la société, sa représentation en tant que telle, aussi bien que son projet de développement. Mais la loi est loutil technique qui permet à la volonté sociale de sexprimer, à travers la décision publique. Au niveau juridique, la société africaine est encore assez complexe, elle ne manque pas de contradictions et de conflits relevant de la coexistence dhéritages culturels et institutionnels très différents. Nimporte quelle innovation juridique doit prendre en charge cette complexité, doit comprendre le milieu visé, sintégrer dans le corps juridique existant, faute defficacité de lappareil juridique. Cette démarche est possible à laide dune vision interdisciplinaire, qui relève des apports scientifiques de la sociologie, de lanthropologie et de lhistoire. Dès que le cadre interprétatif est dessiné, lapproche juridique utilise cette base scientifique pour esquisser (concevoir, améliorer) la structure juridique et réglementaire. Cela ne se fait pas sans laide dune politique discriminante, cest-à-dire lidentification et la hiérarchisation des objectifs à atteindre par la société. La matière juridique des SADA est bien sûr très articulée. Elle se prête à une analyse juridique visant lefficacité des normes existantes, leur degré de cohérence, soit interne, soit par rapport aux objectifs propres aux SADA (par exemple, lefficacité dans lalimentation). Lintégration de la vision juridique avec celles sociologique et anthropologique peut contribuer à la compréhension des aspects apparemment pervers qui se nouent au sein des relations sociales et économiques des SADA (activités informelles, phénomènes de corruption, illégalité répandue, inefficacité des institutions, etc.) et qui ont des répercussions sur lefficacité des pratiques commerciales. De plus, les nouvelles données de lenvironnement économique africain (telles que, par exemple, le libéralisme économique) remettent en discussion non seulement lancien cadre politique mais également les objectis et les moyens dintervention. Le cadre juridique est appelé en cause dans le contexte de la transition. La fonction outil du droit mène
nécessairement, sur le plan méthodologique, à
lintégration de lapproche juridique aux autres approches
scientifiques qui gardent, elles, une fonction beaucoup plus explicative par
rapport aux SADA. |