C. Konijnendijk
Cecil Konijnendijk, étudiant en foresterie à l'Université agricole de Wageningen (Pays-Bas), est Président de l'Association internationale des étudiants forestiers.
La foresterie et l'éducation forestière contemporaines vues par un étudiant. Il faut s'intéresser davantage aux liens étroits entre la population et la forêt et intensifier les contacts et les échanges internationaux entre étudiants forestiers. A cet égard, l'Association internationale des étudiants forestiers (AIEF) peut jouer un rôle significatif.
Qu'en est-il de notre belle profession? Nous nous posons parfois la question, à nous-mêmes, ou entre collègues forestiers. La foresterie n'est plus ce qu'elle était. Autrefois, les forestiers étaient des hommes - exceptionnellement des femmes - habillés en vert militaire, travaillant dans des forêts sombres et lointaines. La production de bois d'oeuvre était leur principal objectif. Ils ne voyaient guère que leur famille et leurs collègues et ils étaient pratiquement libres de ce qu'ils voulaient. Cette image romantique a dû pousser plus d'un parmi nous vers des études forestières.
Mais la profession a changé. Tout d'abord, les forêts ont été sacrifiées au développement urbain et font maintenant partie intégrante d'une société humaine dont l'expansion est plus dynamique que jamais. Les forestiers sont de plus en plus en contact avec des représentants de groupements urbains dont le rôle est devenu prédominant dans notre société. Ces groupements ont leur propre opinion sur la manière d'utiliser les forêts. Il est devenu évident que les forêts qui ont survécu aux attaques de l'homme et celles qui ont été plantées par l'homme devront être gérées de manière à pouvoir offrir divers avantages à la société. Aujourd'hui, la production de bois d'oeuvre reste importante, mais la conservation de la nature, l'environnement, les loisirs et d'autres fonctions occupent une place croissante dans l'éventail des services offerts par la forêt.
Les forestiers d'aujourd'hui - y compris les scientifiques - ont dû réviser radicalement leurs opinions et leur façon de faire. Sans doute étaient-ils déjà conscients de l'importance de ces autres fonctions et de la complexité des écosystèmes forestiers dans lesquels tous les éléments, isolés et interdépendants, doivent être pris en compte, mais c'est autre chose qui a rendu le changement nécessaire: les forestiers ont dû commencer à traiter avec les gens - avec des milliards d'entre eux.
De nouveaux domaines d'intérêt sont ainsi nés au sein du secteur forestier. Les "mots de passe" sont aujourd'hui: foresterie sociale, foresterie communautaire et foresterie urbaine, ainsi que tous ceux qui mettent en lumière la nouvelle image de la foresterie: gestion de l'écosystème, approche globaliste, systèmes d'utilisation des sols.
Les changements ont toujours mis longtemps à prendre pied dans le monde de la foresterie. Sans doute est-ce la conséquence négative du long terme qui caractérise la foresterie et la façon plutôt conservatrice de penser et d'agir des forestiers. On a toujours appris aux forestiers à opposer leurs principes à long terme aux idées à court terme de la société urbaine et de ses représentants politiques et industriels. Cette attitude a probablement permis de sauver les dernières forêts encore "vierges". Mais, dans une ère de changements frénétiques, il faut trouver le meilleur compromis entre long et court termes.
L'ÉDUCATION FORESTIERE A LA CROISÉE DES CHEMINS
Comme c'est presque toujours le cas, les jeunes générations s'adaptent plus aisément aux changements, car elles n'ont pas la tête pleine de pensées et de concepts traditionnels. C'est une bonne chose car, dans quelques années, ce sont elles qui constitueront l'establishment et qui s'empareront des nouvelles idées pour les mettre en pratique. Jack Westoby, ancien forestier de la FAO aujourd'hui décédé, était pleinement conscient de cette réalité:
"Depuis longtemps, les jeunes forestiers éprouvent le besoin d'élargir le concept de foresterie et de s'attaquer aux nouveaux problèmes résultant du changement de notre société. Les étudiants ont poussé à modifier les programmes de foresterie, pour accorder une importance croissante aux sciences sociales et freiner le besoin incessant de détails technologiques. Les femmes et les hommes qui sortent aujourd'hui des écoles forestières en savent sans doute un peu moins sur la physiologie de l'arbre et l'anatomie du bois que les générations qui les ont précédés, mais ils comprennent bien mieux ce que la société attend de ses forêts et comment ses désirs peuvent être satisfaits. Lorsque les programmes des écoles forestières se seront adaptés aux changements, l'éducation forestière pourra devenir une préparation valable à la vie dans la société moderne, avec ses liens étroits entre la population, les ressources naturelles dont elle dépend, et les technologies" (Westoby, 1989)
Bref, les étudiants forestiers qui seront les forestiers professionnels du XXIe siècle, seront ceux qui devront répondre aux nouveaux besoins que leur impose la société. Pour pouvoir satisfaire des demandes nouvelles, pressantes et variées, les étudiants forestiers doivent recevoir une éducation qui les préparera à leurs futures tâches.
Il faut donc s'intéresser à l'enseignement forestier conventionnel, tel qu'il est aujourd'hui. Les programmes d'enseignement forestier dans le monde répondent-ils aux besoins modernes? Incorporent-ils suffisamment les changements qui interviennent dans le secteur de la foresterie et des sciences forestières?
LES PROGRAMMES D'ÉDUCATION FORESTIERE
A l'Université agricole de Wageningen, le programme forestier a beaucoup changé depuis quelques dizaines d'années. En 1958, il incluait des cours de techniques sylvicoles, de science du bois, d'exploitation forestière, de géologie, de science du sol et d'entomologie, alors que l'aspect social de la foresterie était pratiquement absent (van der Bosch, 1986). Aujourd'hui, une bonne partie du programme porte sur des thèmes sociaux; les programmes incluent des cours de politique forestière, foresterie et développement rural, forêts d'agrément, foresterie et utilisation des terres, et bien d'autres. La modification du contenu des programmes d'étude des licences et maîtrises en foresterie ne prend que quelques mois, et non pas des années. L'intégration avec d'autres programmes - sciences de la conservation de la nature et de l'utilisation des terres - est une option logique suivie par de nombreuses universités dans le monde. De ce point de vue, la fin des études forestières traditionnelles semble proche.
Les étudiants en foresterie vivent une époque intéressante mais quelque peu déstabilisante. De nouvelles matières peuvent être introduites et disparaître au bout de quelques années. Beaucoup d'étudiants estiment que l'évolution de l'enseignement forestier est mal structurée, pas assez radicale. Nos professeurs font généralement partie d'un establishment forestier qui a du mal à affronter les changements que la société attend de leur profession. C'est pourquoi, les modifications et les adaptations nécessaires se font au coup par coup ou sont renvoyées à une date ultérieure. Nos diplômés de fraîche date ont donc logiquement un problème d'"identité": ils ne sont pas qualifiés pour s'occuper de la foresterie traditionnelle et ne sont pas à même de répondre aux besoins contemporains. Dans certains pays d'Europe, on constate qu'un nombre décroissant de forestiers diplômés travaillent dans le secteur forestier. Leurs situations sont occupées par des planificateurs, des architectes paysagistes, des sociologues et même des diplômés en droit. Les taux de chômage sont plus élevés qu'ils ne l'ont jamais été parmi ces forestiers diplômés au cursus traditionnel.
Un enseignement nouveau
Que peut-on faire pour mieux préparer les forestiers du XXIe siècle à leurs futures tâches? Quels nouveaux programmes pourraient accroître nos chances de trouver un travail correspondant à nos compétences une fois diplômés?
Premièrement, il faut apporter des changements structurels aux programmes d'enseignement forestier. Comme on l'a vu plus haut, les aspects sociaux doivent occuper une large place dans les programmes de foresterie contemporaine, aux côtés de matières traditionnelles mais non moins essentielles comme la sylviculture, la physiologie de l'arbre, la science du bois, etc. Il faut enseigner aux forestiers à traiter avec les divers représentants de la société (population locale, hommes politiques, professionnels d'autres disciplines). Des sujets tels que sociologie, psychologie de l'environnement, relations publiques, législation et politiques doivent retenir davantage l'attention.
La seconde modification est étroitement liée à la première. Le "saut dans la société" des forestiers doit être intégré au programme d'enseignement qui portera sur les zones urbaines autant que rurales. Aux Etats-Unis et au Canada, la foresterie urbaine a été acceptée par le secteur forestier comme une discipline "nouvelle" prometteuse. La foresterie ne s'arrête pas aux frontières des villes.
AMÉLIORER LA COMMUNICATION ENTRE ÉTUDIANTS FORESTIERS
Un autre domaine de changement essentiel, qui est au centre du présent article, est celui de la communication internationale entre étudiants forestiers. Il faut accroître cette communication en vue d'établir une coopération internationale et d'"ouvrir" les esprits aux différentes manières d'aborder des problèmes comparables.
La foresterie est de plus en plus une affaire mondiale. Pas plus qu'elles ne s'arrêtent à la frontière des villes, les forêts ne finissent aux frontières des pays. On a pu voir ces dernières décennies que de nombreux problèmes mondiaux - tels que l'effet de serre et les dangers qui menacent la diversité biologique - concernent de près les forêts mondiales. Il est important aussi de comprendre que les difficultés auxquelles les forestiers doivent faire face partout dans le monde ont souvent des coûts et des solutions similaires.
La coopération internationale fait à présent partie intégrante du travail des forestiers professionnels. Les gouvernements de même que les organisations internationales comme la FAO, l'Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO), l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) et le Fonds mondial pour la nature (WWF), encouragent les contacts internationaux et les échanges d'informations, d'expériences et de points de vue. Les progrès spectaculaires des technologies de communication ont facilité cet échange d'informations.
Pour ce qui est des étudiants forestiers, les contacts internationaux sont parfois intégrés dans leur programme d'étude. Ainsi, en Europe, le réseau SILVA, faisant partie du programme ERASMUS de la Communauté européenne, incite les étudiants en foresterie à faire un stage à l'étranger. Par ailleurs, les projets de recherche dans des pays étrangers sont une part capitale des programmes d'étude. Partout dans le monde, des étudiants doués bénéficient de bourses pour pouvoir effectuer une partie de leurs études à l'étranger. De plus, beaucoup d'étudiants forestiers ont maintenant accès aux réseaux de courrier électronique leur permettant de joindre, par ordinateur, d'autres étudiants forestiers, ailleurs.
Toutefois, ces programmes et ces techniques ne sont qu'un premier pas vers l'établissement d'un réseau international d'étudiants forestiers. Ces échanges sont souvent bilatéraux, à l'initiative de professionnels de la foresterie, et beaucoup d'étudiants (ceux venant de pays pauvres ou ceux dont les résultats scolaires sont médiocres) n'ont pas la possibilité d'en profiter. Les technologies de communications ne sont pas à la portée de tous les étudiants. C'est pourquoi le réseau international est incomplet, centré sur des régions précises du monde et réservé à un petit groupe d'étudiants aisés.
L'Association internationale des étudiants forestiers
C'est l'envie d'entrer en contact avec des étudiants d'autres pays - pour échanger des idées, des expériences et des points de vue - qui est à l'origine de la création de l'Atelier international des étudiants forestiers en Europe. La première réunion a eu lieu au Royaume-Uni en 1973. Au bout de quelques années, l'Atelier s'est déplacé sur le continent, en Belgique, en Allemagne, en Norvège et en Pologne. Lors du 18e Atelier, à Lisbonne (Portugal) en 1990, les étudiants forestiers d'Europe, d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et d'Amérique du Sud ont décidé de resserrer leur coopération, au-delà de cette réunion annuelle. Il leur fallait une organisation qui mette en place plusieurs réunions comme celles de l'Atelier, qui encourage les échanges d'informations et qui représente les étudiants forestiers au niveau international. Cette décision a abouti à la création de l'Association internationale des étudiants forestiers (AIEF).
Depuis cinq ans, l'AIEF a réuni des centaines d'étudiants forestiers en ateliers, séminaires, journées d'échanges, etc. Au départ, l'organisation était surtout centrée sur l'Europe, et c'est encore le cas dans une certaine mesure. Heureusement, la participation d'étudiants d'autres continents s'est accrue, en partie grâce au soutien financier des gouvernements et des ONG. Par ailleurs, beaucoup de représentants et d'organisations au sein du monde de la foresterie ont reconnu l'importance de cette association et cherchent le moyen d'y participer.
Qu'apporte à un étudiant en foresterie sa participation à l'AIEF? Quant à moi, ma participation à l'AIEF a eu une incidence considérable sur mes études et sur la manière dont j'envisage la foresterie. J'ai contribué à organiser la 19e réunion de l'AIEF à Wageningen. Durant le symposium, je me suis intéressé à la foresterie urbaine. Participant à un atelier spécialisé, je me suis entretenu de cette question avec des étudiants d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Europe. Cela a stimulé davantage encore mon intérêt pour ce sujet et m'a amené à écrire une thèse sur les forêts urbaines en Hollande et à entreprendre, dès août 1995, une recherche de doctorat sur la foresterie urbaine.
L'AIEF n'a pas influé sur ma vie "professionnelle" uniquement de cette façon. Mes contacts avec des étudiants forestiers venant d'une cinquantaine de pays ont changé radicalement mes idées sur la foresterie et sur ses liens avec la société. Je suis devenu membre, en outre, d'un réseau international d'étudiants forestiers et de jeunes diplômés. Je suis certain que cela me sera d'une grande utilité dans un avenir proche.
L'"optique internationale" que j'ai adoptée, après quatre années à l'AIEF (les deux dernières en tant que président), est celle de centaines d'étudiants qui ont participé à un atelier international d'étudiants forestiers et à d'autres manifestations de l'AIEF. D'une certaine manière, nous nous enseignons à nous-mêmes de nouvelles façons d'aborder les forêts et la foresterie, ainsi que la coopération internationale. L'AIEF a enrichi notre formation scolaire traditionnelle.
CONCLUSION
A une époque où la foresterie doit changer pour répondre aux besoins de la société moderne, il faut en priorité améliorer l'enseignement forestier dans le monde. Les étudiants en foresterie doivent apprendre à traiter avec la population, en milieu urbain aussi bien que rural. Pour suivre le pas de la mondialisation de notre profession, il faut que l'on nous offre davantage de possibilités de communiquer avec les étudiants forestiers d'autres pays.
Pour l'ensemble de la profession, le concept de base de l'AIEF peut s'avérer un moyen vraiment économique d'améliorer l'enseignement forestier traditionnel. Nous admettons tous que chaque étudiant en foresterie doit avoir la possibilité de participer à une, ou plusieurs, des activités de l'AIEF, ou à d'autres initiatives internationales. Un des premiers soucis des étudiants qui s'occupent de l'Association est celui de son financement. Notre enthousiasme et notre engagement nous ont permis de faire vivre cette association, non sans succès. Cependant, comme toujours, on ne va pas bien loin sans argent. L'AIEF compte donc sur l'appui financier de tout le secteur forestier: universités, industries et organisations internationales. Nous espérons aussi que nos idées, nos opinions et nos actions seront accueillies favorablement. Nous sommes les forestiers du XXIe siècle, mais nous ne pouvons survivre sans l'aide des générations qui nous ont précédés - tout comme les jeunes arbres qui pointent vigoureusement leur cime vers le soleil, protégés par les frondaisons de leurs aînés.
Bibliographie
Salleh, M.N. 1992. Tropical forests, a growing concern. In J.A. Hummel, et M.P.E. Parren (éds), Forests, a growing concern. Proceedings of the 19th International Forestry Students Symposium, Wageningen, Pays-Bas. Wageningen-Gland-Cambridge, IFSS Foundation/UICN.
van der Bosch, J. 1986. Landbouwscholen in Wageningen [écoles agricoles de Wageningen]. Wageningen, Pays-Bas, Université agricole de Wageningen.
Westoby, J. 1989. Introduction to world forestry. Oxford, Royaume-Uni, Blackwell.