Page précédente Table des matières Page suivante


Aménagement des forêts naturelles en Côte d'Ivoire.

H.F. Maitre

H.F. Maitre est chef de la Division inventaires et aménagement, Centre technique forestier tropical (Département du CIRAD), France. Cet article a été tiré d'un document présenté au Congrès mondial de l'Union Internationale des instituts de recherches forestières (1986) à Ljubljana (Yougoslavie).

La réaction de la forêt dense tropicale à différentes interventions sylvicoles exploitation et éclaircie a été testée dans trois massifs forestiers de Côte d'Ivoire. Trois campagnes d'observation, étalées sur quatre ans, ont permis de suivre la croissance en diamètre de plus de 50 espèces d'intérêt commercial, apportant ainsi des renseignements inédits sur les exigences et le tempérament de ces essences. En considérant la croissance, la mortalité et la régénération de l'ensemble du peuplement, la production annuelle fait ressortir l'intérêt d'une intervention sylvicole, qui entraîne souvent un doublement de cette production tout en favorisant le recrutement des essences les plus intéressantes.

UN BEAU SUJET D'ACAJOU (KHAYA IVORENSIS) - l'enlèvement des essences aboutit à un fort accroissement en diamètre

Les espèces étudiées (appelées «principales») comprennent les essences destinées à la production de bois d'œuvre, activement commercialisées ou peu connues, mais technologiquement valables.

Depuis deux décennies, le devenir de la forêt tropicale est une des préoccupations majeures De nombreuses mises en garde ont été lancées en ce qui concerne les conséquences socio-économiques et écologiques de la destruction incontrôlée de la forêt tropicale.

Cette régression des surfaces couvertes par la forêt tropicale, et plus particulièrement par la forêt humide de l'Afrique de l'Ouest, est habituellement la conséquence directe de la course aux terres agricoles. Les forêts constituent en effet des réservoirs de sols rapidement disponibles pour l'agriculture par simple défrichement, quelle que soit leur fragilité ou leur valeur.

Comme M. Schmidt le faisait récemment remarquer (Schmidt, 1987), gérer les forêts tropicales en vue d'une production économique est un élément important dans leur conservation. Une double question se pose pour le responsable de l'aménagement forestier et le chercheur: «Quelles sont les possibilités de reconstitution du potentiel sur pied des peuplements écrémés par les premiers passages en exploitation? Et quelles seront les mesures simples et peu coûteuses à mettre en œuvre pour pouvoir exploiter au maximum des espèces de valeur et assurer ainsi un potentiel de production suffisant en bois d'œuvre?».

Ces questions se sont particulièrement posées en Côte d'Ivoire. où des défrichements considérables ont eu lieu depuis une trentaine d'années. En 1983, par exemple, la surface totale estimée du massif forestier ivoirien était de 3,5 millions d'ha, alors qu'elle était de l'ordre de 14,5 millions d'ha 40 ans plus tôt. Entre 1973 et 1982, les défrichements ont porté sur approximativement 3 millions d'ha de forêt, soit un rythme de destruction de 300000 ha par an.

Face à cette situation, le Gouvernement de Côte d'Ivoire. a créé un «domaine forestier permanent» regroupant 2,5 millions d'ha de forêts classées relativement indemnes. Ce domaine forestier permanent doit recevoir de la part du Service forestier ivoirien toute l'attention nécessaire, afin non seulement de le protéger contre les défrichements, mais également d'assurer une production soutenue et améliorée, grâce à une gestion continue et réaliste, appuyée sur des règles simples d'aménagement.

Pour atteindre ces objectifs, un triple dispositif d'essais sylvicoles a été mis sur place en 1976 par la Société pour le développement des plantations forestières (SO.DE.FOR.), avec l'assistance technique du Centre technique forestier tropical (CTFT).

Le présent article décrit le principe et les premiers résultats issus de ce dispositif de recherche en forêt dense naturelle.

Principes de recherche en forêt naturelle

Les premières recherches entreprises par divers organismes en ce qui concerne l'aménagement de la forêt naturelle ont été menées sans aucune coordination, et les moyens n'ont jamais été à la hauteur des objectifs fixés.

De multiples parcelles d'essais (presque toujours de trop petite taille) ont été étudiées dans la plupart des régions forestières tropicales, et il existe une abondante documentation faisant état d'une foule de données partielles, mais souvent interprétées. Les notions concrètes et les doctrines pour l'aménagement forestier sont finalement très rares.

Devant un tel état de fait, un effort de réflexion a été fait depuis le début des années 70 pour aboutir, lors de la conception des dispositifs d'étude de la forêt naturelle, aux trois principes fondamentaux suivants:

· n'utiliser que des parcelles unitaires de grande taille (plusieurs hectares) avec le plus grand nombre possible de répétitions dans l'espace;

· mesurer des paramètres simples (diamètre et localisation des arbres);

· se donner les moyens de stockage et d'interprétation des données (informatique).

C'est à partir des précédentes recommandations en matière de recherches en forêt qu'a été conçu, dès 1976, le dispositif matérialisé par la SO.DE.FOR. en Côte d'Ivoire.

Dispositif expérimental de Côte d'Ivoire

La définition des objectifs de l'étude a été fondée essentiellement sur les principes précédents, mais aussi sur les échecs et les réussites antérieurement enregistrés un peu partout en Afrique (Ghana, Nigéria, Gabon, Côte d'Ivoire. en ce qui concerne les travaux d'amélioration des peuplements naturels, qui se sont principalement déroulés entre 1945 et 1965. En général, ces travaux avaient pour but primordial d'homogénéiser la forêt en modifiant directement la régénération naturelle par ouverture plus ou moins brutale du couvert. Ils se sont partout heurtés au problème de la prolifération de lianes héliophiles, ainsi qu'à celui du coût élevé des interventions trop nombreuses et étalées dans le temps, difficiles à justifier techniquement et économiquement.

L'étude de la SO.DE.FOR. s'intéresse principalement au peuplement supérieur constitué par les tiges et les arbres de plus de 10 cm de diamètre (à 1,30 m, ou au-dessus des contreforts) pour établir leur dynamique en fonction de traitements simples et peu coûteux réalisables à grande échelle.

Par ailleurs, la régénération au sol étant, par expérience, difficile à maîtriser, aucun traitement particulier n'a été prévu pour tenter de la favoriser, en considérant que cette régénération est obligatoirement infléchie dans un sens favorable ou défavorable par l'intensité et la modalité des traitements sylvicoles au niveau de l'étage supérieur et qu'elle doit donc se fonder davantage sur l'observation que sur l'induction.

Les principaux thèmes de l'étude sont donc les suivants:

· tester et mettre au point des techniques d'intervention sylvicole simples; éclaircie et exploitation;

· étudier le comportement et la croissance des arbres (par espèce) en fonction de ces traitements sylvicoles;

· établir l'évolution des peuplements dans leur ensemble (mortalité induite, recrutement naturel en jeunes tiges, effet sur les lianes et le recru) toujours en fonction de ces traitements;

· vérifier l'évolution favorable ou défavorable des jeunes tiges et des plantules (régénération);

· quantifier l'effet des différentes interventions sur la production, définir le traitement le mieux adapté aux contraintes de terrain et de production et, enfin, comparer les gains obtenus par rapport à la non-intervention.

Description succincte du dispositif

Le même type d'essai a été répété trois fois, une fois pour chaque type de forêt rencontrée en Côte d'Ivoire.

· forêt sempervirente (massif d'Irobo)
· forêt semi-décidue (massif de La Téné)
· forêt de transition (massif de Mopri)

Le dispositif est donc constitué de trois périmètres d'essais éloignés mais identiques, de même surface et de même nature. Chaque périmètre représente sur le terrain un carré de 2 km de côté, soit 400 ha, subdivisé en 25 parcelles de 16 ha; l'emprise globale du dispositif étant donc de 1200 ha (voir figure 1).

Les espèces étudiées (appelées «principales») comprennent les essences destinées à la production de bois d'œuvre, activement commercialisées ou peu connues, mais technologiquement valables. Leur nombre dépasse 70 en Côte d'Ivoire. et une cinquantaine sont valablement représentées au sein des périmètres. Les autres espèces arborées sont également étudiées et suivies, mais sans identification botanique et toutes confondues en tant qu'espèces secondaires.

FIGURE 1. Périmètre d'essais (numération identique pour les trois périmètres): 900 ha au total, comprenant la zone tampon et 400 ha do parcelles d'essais

L'aspect pragmatique des interventions sylvicoles, telles l'éclaircie et l'exploitation, ainsi que le gain de production qu'elles entraînent sont actuellement bien établis.

En fonction de l'abondance des espèces et de l'exploitation antérieure des trois massifs forestiers, les traitements ont eu lieu comme suit pour les 75 parcelles:

· 30 parcelles n'ont pas été touchées (10 dans chaque périmètre) pour jouer le rôle de «témoins»;

· 35 parcelles ont fait l'objet d'éclaircies par élimination sur pied d'espèces secondaires. Cette élimination a été faite par dévitalisation, suivant la technique bien connue d'entailles malaises avec pulvérisation d'arboricide. Elle a été menée suivant deux intensités par suppression soit de 40 pour cent, soit de 30 pour cent de la surface terrière, de façon systématique et en commençant par les plus grosses tiges d'espèces secondaires jusqu'à obtention du pourcentage d'élimination souhaité;

· 10 parcelles (exclusivement à La Téné) ont été exploitées commercialement par abattage, débardage et vente de toutes les espèces principales de diamètre égal ou supérieur à 80 cm (prélèvement moyen: 53 m³/ha).

L'application des traitements a coïncidé avec la première série de mesures générales marquant le démarrage de l'expérimentation.

Mesures effectuées

La parcelle unitaire de 16 ha a fait l'objet du traitement prévu sur toute sa surface, mais seuls les 4 ha centraux sont observés et suivis pour éviter l'effet de bordure. Toutes les tiges de plus de 10 cm de diamètre ont été numérotées et tous les arbres appartenant aux espèces principales ont été localisés avec exactitude au sein de chaque parcelle, suivant le système classique de coordonnées rectangulaires (axes formés par les bordures de parcelle mesurée).

Les mesures périodiques concernent la circonférence de tous les arbres (espèces principales et secondaires) à 1,30 m, ou au-dessus des contreforts. Ces mesures sont effectuées manuellement tous les deux ans: à la mise en place du dispositif des traitements (année 0), deux années plus tard (année 2), quatre années plus tard (année 4), et ainsi de suite. Elles concernent plus de 48000 arbres. En outre, un sous-échantillon d'espèces principales comprenant 3750 individus est suivi et mesuré tous les six mois avec précision, grâce à des rubans dendrométriques (métalliques) posés à titre permanent sur ces arbres.

Ces mesures ont donc permis de suivre l'accroissement individuel et général du diamètre, de la surface terrière et du volume (les tarifs de cubage ayant été préalablement établis) et également:

· la croissance des jeunes tiges ayant atteint 10 cm de diamètre entre deux mesures;

· la mortalité ou disparition naturelle d'arbres (autrement que par exploitation ou éclaircie) intervenue entre deux mesures.

L'analyse et le décompte des populations d'arbres de 2 à 10 cm de diamètre, correspondant aux différents stades de régénération préalablement acquise ou récente, ont été effectués sur des placeaux de 100 m² systématiquement délimités au sein des parcelles de 4 ha (40 placeaux par parcelle).

Une telle masse d'informations a, bien entendu, imposé un stockage et un dépouillement des données par informatique (il serait impensable d'agir autrement).

Les résultats exposés ci-après proviennent de la troisième campagne générale de mesures (soit quatre années après traitement sylvicole) pour le peuplement supérieur, dont les tiges mesurent au moins 10 cm de diamètre, et du sondage par placeaux sept ans après traitement, en ce qui concerne les plantules et les jeunes tiges comprises entre 2 et 10 cm de diamètre.

Principaux résultats: Evolution visuelle des peuplements

Quelques mois après l'intervention sylvicole (d'empoisonnement d'espèces secondaires ou d'exploitation d'espèces principales), la vision des peuplements était saisissante du fait des chablis, des arbres morts ou cassés, et des trouées provoquées soit par un prélèvement de 50 m³ de bois commercialisé à l'hectare, soit par une élimination de l'ordre de 30 à 40 pour cent de la surface terrière totale.

FIGURE 2. Traitement combinant exploitations commerciale et éclaircie

Ces trouées en apparence très importantes étaient moins bien réparties au sein des peuplements dans le cas des parcelles exploitées, où les vides occasionnés par l'abattage et le débardage des arbres côtoyaient des bouquets parfaitement indemnes. L'impact de l'exploitation est désordonné par rapport à celui de l'éclaircie par empoisonnement dont la répartition sur l'ensemble du peuplement concerné est plus homogène.

En fait, l'exploitation commerciale laisse certains arbres quasiment isolés et des groupements intacts d'individus à proximité des parcelles témoins.

Pourtant, quatre années après traitement, l'aspect de la forêt est redevenu «normal»: les chandelles résultant d'arbres morts ont pour la plupart disparu, et le peuplement est constitué d'arbres sains, sans lianes et ne présentant pas de descentes de cimes. L'étage supérieur est simplement passé à un état plus ouvert avec une abondance manifeste d'espèces de valeur, notamment après les traitements par éclaircie (voir figure 2)

En outre, de nombreuses tiges de petit diamètre, mises en lumière par cette ouverture partielle de l'étage dominant se dégagent nettement du sous-étage. Enfin, dans les trouées une régénération importante est souvent constatée.

Ces comparaisons sont d'autant plus visibles que les parcelles témoins et les parcelles traitées se juxtaposent au sein des périmètres d'essais.

Aux craintes de départ préjugeant une destruction irréversible du peuplement dense, succède donc, rapidement la certitude d'avoir favorablement dynamisé l'évolution de la forêt.

Réponse de huit espèces bien connues au traitement

 

Parcelles

Nombre d'arbres mesures

Accroissement moyen annuel (on cm) du diamètre des tiges comprises entre:

Pourcentage de tiges ayant atteint 10 cm (recrutement)

Pourcentage de mortalité do tiges de diamètre

10 cm et 25 cm

25 cm et 65 cm

10 cm à 25 cm

supérieur à 25 cm

Khaya anthotheca

Témoin

198

0,20

0,61

+6,0

-4,1

-2,3

Eclaircie

308

0,37

0,97

+10,4

-5,4

-1,4

Exploitation

104

0,22

-

+2,3

-2,8

-

Gambeya delevoyi

Témoin

741

0,29

0,32

+3,5

-4,4

-12,2

Eclaircie

637

0,59

0,64

+10,4

-5,1

-8,3

Exploitation

253

0,21

0,38

+2,4

-4,8

-11,2

Scotellia sp. pl.

Témoin

812

0,12

0,28

+3,1

-4,1

-4,4

Eclaircie

910

0,29

0,42

+3,2

-4,1

-6,0

Exploitation

240

0,16

0,42

+3,5

-4,5

-3,7

Aningeria robusta

Témoin

341

0,20

0,41

+4,5

-3,9

-3,1

Eclaircie

371

0,39

0,58

+9,9

-4,2

-5,3

Guarea cedrata

Témoin

325

0,25

0,31

+7,0

-5,5

-3,1

Eclaircie

566

0,47

0,53

+16,5

-8,3

-6,7

Nesogordonia papaverifera

Témoin

1082

0,27

0,23

+5,5

-2,0

-1,8

Eclaircie

790

0,51

0,32

+12,5

-3,2

-2,2

Exploitation

644

0,25

0,19

+2,6

-3,7

-1,9

Tarrietia utilis

Témoin

1280

0,28

0,57

+2,9

-2,8

-2,6

Eclaircie

1942

0,58

0,91

+6,0

-3,9

-3,3

Triplochiton scleroxylon

Témoin

640

0,60

0,79

+5,7

-2,8

-1,4

Eclaircie

359

1,53

1,48

+15,6

-2,5

-1,4

Exploitation

511

0,87

1,13

+7,2

-5,7

-2,8

Comportement et réaction des espèces principales

La réaction des arbres de huit espèces bien connues aux traitements est résumée dans le tableau ci-contre. Les résultats obtenus, au bout de quatre années d'étude, sont présentés sous forme de moyennes annuelles tant pour la croissance en diamètre que pour le pourcentage de recrutement ou de mortalité, et cela en fonction des types de traitement (les deux intensités d'éclaircie étant regroupées) et pour deux catégories de taille des arbres.

La lecture de ce tableau montre bien ce qui a été généralement observé pour la plupart des espèces de valeur.

Le traitement par éclaircie (par élimination d'espèces secondaires) entraîne une réaction très favorable des espèces principales. En effet, l'éclaircie provoque une forte augmentation de l'accroissement en diamètre (de 50 à 100 pour cent) et plus particulièrement en ce qui concerne les tiges de taille modeste. En outre, elle accélère considérablement l'apparition de jeunes tiges de valeur dans la catégorie supérieure à 10 cm de diamètre, ce qui met en évidence que la dynamique de ces petites tiges de valeur est fortement favorisée par l'ouverture partielle et homogène du couvert forestier, constituant ainsi une «pompe aspirante» pour la régénération naturelle.

Pour le traitement par simple exploitation commerciale, les gains de croissance et de recrutement sont systématiquement inférieurs à ceux de l'éclaircie, mais souvent plus importants que ceux des parcelles témoins intouchées. Le traitement «exploitation» se traduit par un fort prélèvement en surface terrière, du même ordre de grandeur que l'éclaircie, mais il ne privilégie pas les espèces principales par rapport aux secondaires. Cela explique son impact relativement modeste au niveau de la croissance d'espèces de valeur.

Quant au phénomène de mortalité (chablis et dépérissements naturels des espèces principales), il n'est pas d'une interprétation aisée: aucune liaison franche et directe entre l'ouverture du peuplement et une augmentation de la mortalité n'a pu être établie. La notion essentielle à retenir est celle de l'importance des pertes en volume qu'entraîne la mortalité naturelle: pour un hectare de forêt la disparition subite d'une ou deux tiges de taille moyenne représente une diminution du volume sur pied souvent plus importante que le gain annuel en volume résultant de la croissance de l'ensemble du peuplement. Le bilan de production peut ainsi s'avérer nul, voire négatif.

Enfin, il est possible d'avancer que l'effet des traitements sylvicoles devrait se prolonger sur une période de plus de 10 ans, étant donné que les mesures précises et à intervalles réguliers (semestrielles) par rubans dendrométriques permanents ont montré que l'accélération de croissance en diamètre provoquée par ces traitements s'est amplifiée au fil du temps. Les écarts moyens de croissance sont de plus en plus grands à chaque nouvelle mesure, au cours des quatre années d'observation.

Régénération au sol

L'étude des différents stades de la régénération a été tardivement démarrée; elle est encore trop récente pour pouvoir être concluante. Toutefois, des notions importantes sont déjà apparues:

· Par rapport aux parcelles non touchées, l'intervention sylvicole ne modifie guère la composition floristique du sous-étage constitué par les plantules, les brins et les petites tiges ayant entre 2 et 10 cm de diamètre à 1,30 m. Ce sous-étage, qui correspond aux stades successifs de la régénération, a été par ailleurs favorisé dans sa dynamique, à savoir la fréquence d'apparition de jeunes individus. Les lianes et le recrû n'ont en aucune manière entravé l'évolution «normale» de la régénération.

· La représentation d'espèces d'avenir à ce niveau «inférieur» du peuplement s'est avérée très modeste, et seulement 16 pour cent des effectifs comptés appartiennent, en forêt sempervirente (Irobo), à des espèces pouvant atteindre et dépasser une taille de 40 cm de diamètre à 1,30 mètre.

Aux craintes de départ préjugeant une destruction irréversible du peuplement dense, succède rapidement la certitude d'avoir favorablement dynamisé l'évolution de la forêt.

Bilan et gains de production

L'estimation de l'évolution du volume sur pied par espèce ou par groupe d'espèces confondues (soit principales, soit secondaires) a permis de vérifier qu'effectivement les peuplements forestiers laissés à eux-mêmes, sans intervention sylvicole, ont tendance à maintenir un volume de bois sur pied à peu près constant, car la mortalité naturelle compense en grande partie la croissance de l'ensemble du peuplement, et le bilan de production est modeste dans les parcelles laissées intactes.

Plus précisément, chaque espèce a son propre comportement et une dynamique bien définie, et certaines essences manifestent une très forte propension à faire des chablis et des dépérissements sur pied, et cela indépendamment des traitements sylvicoles. Ce phénomène est d'autant plus grave qu'il peut concerner des arbres de taille importante, et les pertes en volume sur pied qui s'ensuivent peuvent annihiler la production globale du peuplement environnant. Aussi, une exploitation commerciale dirigée, tenant compte du comportement de chaque espèce, est nécessaire pour atténuer les pertes en bois d'œuvre.

Par ailleurs, il s'avère que la simple éclaircie crée un déséquilibre bénéfique à la productivité du peuplement, donc des essences de bois d'œuvre, ce qui est le but recherché.

Le traitement par simple exploitation entraîne lui aussi une augmentation de la production en volume des arbres par rapport aux parcelles non touchées. Cette augmentation est néanmoins inférieure à celle provoquée par l'éclaircie (malgré un prélèvement de même importance). Cela s'explique par le fait que l'impact de l'exploitation est très hétérogène, qu'il entraîne de grandes trouées mal réparties sur le terrain et que seuls les arbres occasionnellement bien placés (et sans blessures d'abattage) peuvent bénéficier de l'intervention. Cette irrégularité du traitement n'entraîne d'ailleurs pas un essor plus vigoureux des jeunes brins issus des récentes régénérations.

En fait, l'ouverture du couvert entraîne surtout une meilleure dynamique des petites et moyennes tiges sur lesquelles les phénomènes de concurrence s'exercent intensément.

La production des espèces secondaires est négligeable aussi bien dans les parcelles témoins que dans les parcelles traitées, alors qu'elle est stable et relativement importante pour les espèces principales. Le taux de productivité annuelle de ces dernières est compris entre 0,5 et 2 pour cent du volume sur pied dans les parcelles non touchées; il atteint 1,5 pour cent dans les parcelles exploitées et varie entre 2 et 3,5 pour cent dans les parcelles éclaircies. Pour les seules espèces commercialisables, les accroissements annuels en volume ont été les suivants (à partir de 10 cm de diamètre):

· 0,7-1,8 m³/ha/an pour les peuplements laissés intacts;
· environ 2,5 m³/ha/an pour les peuplements exploités;
· 2,2 à 3,6 m³/ha/an pour les peuplements éclaircis.

Ces valeurs, qui mettent en évidence un doublement de la production, correspondent approximativement à la production d'un peuplement d'environ 270 m³ sur pied à l'hectare, dont la part du volume en espèces principales de valeur serait de l'ordre de 100 à 150 m³ à l'hectare.

La production des peuplements naturels améliorés par intervention sylvicole supporte parfaitement la comparaison avec celle des peuplements artificiels d'essences de bois d'œuvre en Côte d'Ivoire.

· 4-5 m³/ha/an pour le teck (Tectona grandis);
· 7-8 m³/ha/an pour le framiré (Terminalia ivorensis).

Paradoxalement, l'hétérogénéité de la forêt dense peut aussi constituer un atout, car la multiplicité des espèces de bois d'œuvre est à même d'assurer un large éventail de produits de commercialisation.

Conclusions

Ce qui précède constitue un premier bilan fournissant sur la forêt naturelle des données précises, alors qu'elles étaient auparavant mal connues ou déduites d'observations trop ponctuelles.

Les résultats chiffrés obtenus au cours de cette première phase de l'étude ont permis d'établir une évolution comparée des peuplements en fonction de traitements sylvicoles simples, dont l'effet bénéfique sur la croissance des espèces de valeur s'avère déjà très encourageant.

Ces données, aussi précises soient-elles, n'en restent pas moins provisoires, et ce n'est qu'avec un recul dans le temps suffisant et à la suite de nouvelles mesures et observations qu'elles pourront acquérir le degré de fiabilité indispensable permettant une connaissance approfondie des peuplements de forêt dense.

La plupart des objectifs de recherche assignés aux essais ont été atteints, et notamment l'objectif essentiel qu'est la mise en évidence quantifiée de la production des populations d'arbres pour les différentes espèces de valeur ou pour l'ensemble du peuplement sur pied.

L'aspect pragmatique des interventions sylvicoles, telles l'éclaircie et l'exploitation, ainsi que le gain de production qu'elles entraînent, sont actuellement bien établis et ont permis à la SO.DE.FOR. de démarrer un programme pilote d'aménagement forestier au sein du massif de Yapo, couvrant une superficie de 10000 ha de forêt sempervirente; y sont combinés les deux types de traitements (abattage et dévitalisation d'arbres) qui ont été séparément testés dans le triple dispositif de recherche. Cette combinaison de l'exploitation commerciale et de l'éclaircie doit permettre d'atteindre les meilleures possibilités de valorisation et de production des peuplements naturels de ce massif (voir schéma).

Il reste à préciser la durée de l'effet des traitements sylvicoles et à fixer l'opportunité d'interventions ultérieures, ainsi qu'à mieux cerner l'effet direct des traitements sur la régénération. L'estimation du coût des opérations d'aménagement, leur rentabilité économique et les possibilités d'application à grande échelle sont les domaines auxquels le Service forestier de Yapo doit apporter des connaissances nouvelles.

Vue d'ensemble et recommandations

Cette action de recherche a été, par ailleurs, riche en enseignements non techniques mais essentiels pour la réussite de futures actions à entreprendre en faveur de l'écosystème forestier.

Les autorités ivoiriennes, alertées par les forestiers, ont pris le parti, au milieu des années 70, de délimiter un domaine forestier permanent et d'en entreprendre l'aménagement en vue du maintien de la production ligneuse et surtout de sa protection effective, en partant du principe que seules sont respectées les forêts «travaillées».

Cette volonté gouvernementale s'est tout d'abord concrétisée par la mise à disposition de moyens suffisants, sur financement national, pour réaliser une étude d'envergure sur la réaction de la forêt dense aux différentes actions sylvicoles envisageables en pratique.

Cette expérimentation menée avec rigueur par la SO.DE.FOR., avec l'appui technique du CTFT, vient de fournir des premiers résultats prometteurs: des traitements sylvicoles simples et peu coûteux en forêt naturelle permettent de maintenir, voire d'accélérer, la production ligneuse de valeur, et cela avec une rentabilité financière supérieure à celle des plantations.

Sur la base de ces premiers résultats, l'aménagement pilote de la forêt de Yapo est actuellement entrepris. D'autres opérations sont prévues sur des superficies de plus en plus importantes. La détermination de la Côte d'Ivoire. et les premiers résultats de la recherche ont été convaincants pour les bailleurs de fonds internationaux, qui contribuent déjà au financement de ces actions.

D'une manière générale, l'expérience a montré que la réussite de l'aménagement de la forêt dense dépend en premier lieu d'un engagement au niveau national. Il doit ensuite être mis en œuvre par une institution stable disposant de moyens et de personnel formé et motivé pour le travail en forêt. Viennent enfin les aspects techniques à résoudre et, sur ce plan, il est indispensable de progresser par paliers: recherche pratique très minutieuse, opérations pilotes de démonstration, puis actions de plus grande envergure.

Bibliographie

BERTAULT, J.G. 1986

Etude de l'effet d'interventions sylvicoles sur la régénération naturelle au sein d'un périmètre expérimental d'aménagement en forêt dense humide de Côte d'Ivoire. Univ. Nancy. CTFT/SO.DE.FOR.

MAITRE, H.G. & HERMELINE. M. 1985

Dispositifs d'étude de l'évolution de la forêt dense ivoirienne suivant différentes modalités d'intervention sylvicole. CTFT/SO.DE.FOR.

SCHMIDT, R. 1987

Où en est. l'aménagement des forêts tropicales humides? Unasylva, 156(39): 2-17.


Page précédente Début de page Page suivante