Les forêts – et leur gestion durable – peuvent grandement contribuer à la transition vers une bioéconomie grâce à la production de matériaux renouvelables et à la fourniture de services écosystémiques, tout en renforçant la biodiversité et en soutenant les moyens d’existence et la création de revenus. Il est probable que le bois jouera un rôle essentiel à cet égard.
L’édition 2022 de La Situation des forêts du monde comprenait une analyse du rôle futur potentiel du bois dans la bioéconomie. Depuis, le Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) a effectué de nouvelles projections de la demande mondiale de bois rond et de produits forestiers en appliquant le modèle FOROM (Forest Resource Outlook Model, modèle d’évolution des ressources forestières). Les projections sont réalisées pour quatre scénarios de réchauffement climatique et de croissance économique – 1) ralentissement du réchauffement et croissance modérée; 2) réchauffement important et croissance faible; 3) réchauffement important et croissance modérée; 4) réchauffement important et croissance élevée – fondés sur les quatre «profils communs d’évolution socioéconomique54» du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui retiennent comme hypothèse de départ différentes politiques climatiques.
La figure 5 illustre la demande mondiale de bois rond prévue à partir des projections du Département de l’agriculture des États-Unis et des projections des tendances (telles qu’estimées pour le présent rapport – voir la note de la figure 5) jusqu’en 2030 et 205055. Dans les projections des tendances, il est supposé que l’évolution de la demande future de bois rond correspondra aux tendances estimées à partir des données recueillies pour 2012-2022 et peut être considérée comme un scénario de maintien du statu quo.
FIGURE 5Projections de la demande mondiale de bois rond pour 2030 et 2050

SOURCES: Les projections des tendances pour le présent rapport ont été estimées par L. Hetemäki de l’Université d’Helsinki à partir de données concernant la période 2012-2023; les données utilisées dans les projections effectuées par le Département de l’agriculture des États-Unis (2023) sont tirées de Johnston, C. M. T., Guo, J. et Prestemon, J. P. 2023. RPA forest products market data for U.S. RPA Regions and the world, 2015-2070, historical (1990-2015), and projected (2020-2070) using the Forest Resource Outlook Model (FOROM). Deuxième édition. Dans: Forest Service Research Data Archive. https://doi.org/10.2737/RDS-2022-0073-2
D’après les projections, la production mondiale de bois rond augmentera de 4 à 8 pour cent entre 2022 et 2030 selon les scénarios; la croissance devrait donc être modérée dans un avenir proche. La production pourrait croître de 6 à 32 pour cent entre 2022 et 2050, le degré d’incertitude augmentant de manière notable au fil du temps. En volume, l’augmentation projetée jusqu’en 2050 est comprise entre 240 millions de m3 et 1 200 millions de m3 selon les scénarios.
Il convient de noter que les projections mentionnées à la figure 5 s’appuient sur des données qui décrivent des marchés existants. Elles n’intègrent donc pas les produits nouveaux ni la demande future de produits qui en sont parfois aux premiers stades de leur développement. En outre, les principaux facteurs utilisés dans les estimations du Département de l’agriculture des États-Unis fondées sur le modèle FOROM sont la croissance économique et l’accroissement de la population; la substitution des produits forestiers et des produits d’origine fossile, par exemple, n’est pas considérée de manière explicite comme un facteur. Parmi les autres limites du modèle figurent les délais d’incorporation des nouvelles données et le regroupement de certaines catégories de produits (produits en bois d’ingénierie, combustibles ligneux et produits chimiques, par exemple).
La FAO a réalisé des estimations supplémentaires pour prendre en compte les incidences potentielles de trois nouveaux produits forestiers considérés comme étant les produits ligneux les plus prometteurs pour remplacer à grande échelle les matériaux non renouvelables: 1) le bois massif/bois lamellé-croisé pour la constructiono; 2) les fibres cellulosiques artificielles issues de la dissolution de la pâte de bois, qui sont utilisées principalement dans le secteur textile; 3) les combustibles ligneux destinés à la bioénergie56. D’après les estimations, la demande de ces produits pourrait accroître la consommation de bois rond de 272 millions de m³ par an d’ici à 2050 par rapport à 2020, soit une augmentation totale (base + nouveaux produits) de la consommation (production) mondiale de bois rond de 49 pour cent environ sur cette période. Il est à noter que cette projection concerne la demande de produits ligneux. Plusieurs solutions associant l’accroissement de l’efficience de la récolte et de la transformation, le recyclage et la plantation de forêts et d’arbres, notamment dans le cadre de systèmes d’agroforesterie et en s’appuyant sur les activités de restauration, peuvent procurer de manière durable des volumes de bois suffisants pour répondre à l’augmentation de la demande, et appuyer le passage à la bioéconomie57.
Conformément aux études prospectives classiques du secteur forestier, la discussion ci-dessus porte avant tout sur des projections fondées sur les volumes de produits forestiers et de bois rond. Pour les économies nationales et les recettes du secteur forestier, toutefois, la valeur de ces produits peut être plus pertinente que leurs volumes (encadré 4).
ENCADRÉ 4AJOUT DE VALEUR POUR AUGMENTER LES AVANTAGES ÉCONOMIQUES DES FORÊTS
Il ressort d’une analyse récente58 que l’Union européenne représente seulement 3,9 pour cent de la superficie forestière mondiale totale, mais 43 pour cent des exportations mondiales de produits forestiers (chiffrées à 127 milliards de dollars en 2022)17. À l’inverse, l’Afrique possède près de 16 pour cent de la superficie forestière mondiale, mais représente moins de 2 pour cent des exportations mondiales de produits forestiers en valeur. Cette différence s’explique par le fait que l’Afrique utilise environ 90 pour cent du bois récolté comme combustible pour le chauffage ou la cuisson, et que la majeure partie du bois qu’elle exporte n’est pas transformé (bois rond). Par voie de conséquence, l’Afrique perçoit moins de 10 pour cent de la valeur de son bois d’œuvre, et son secteur du bois crée moins de 10 pour cent des emplois qu’il pourrait générer si une plus grande proportion de produits finis et semi-finis était produite et exportée59.
Certains pays africains commencent à ajouter de la valeur à leurs exportations de bois. Le Gabon, par exemple, interdit les exportations de grumes depuis 2010 afin d’encourager la transformation du bois dans le pays. Résultat, la production de sciages a presque quadruplé entre 2009 et 2022 (passant de 2,8 millions de m3 à 10,3 millions de m3), et le pays n’exporte presque plus de bois rond, les exportations de ce produit étant passées de 1,7 million de m3 en 2009 à 0,01 million de m3 en 2022. Le Gouvernement du Gabon a mis en place diverses autres mesures pour développer le secteur forestier du pays60.
Diminution probable de la demande de combustibles ligneux
Les projections récapitulées à la figure 5 semblent indiquer que la consommation de combustibles ligneux augmentera modérément, voire diminuera légèrement, selon le scénario de croissance économique et d’accroissement de la population retenu parmi les cinq envisagés. Une synthèse des simulations de modélisation réalisée par la FAO a fait apparaître diverses estimations de consommation, qui dépendent principalement des hypothèses sous-jacentes relatives à l’utilisation traditionnelle des combustibles ligneux dans les économies en développement et au rôle futur du bois dans l’offre mondiale d’énergie56. Dans cette synthèse, la consommation mondiale estimée de combustibles ligneux provenant des forêts en 2050 variait entre 2,3 milliards de m3 et 2,7 milliards de m3, soit une augmentation de 17 pour cent et 37 pour cent respectivement par rapport à la consommation de 2022. Plusieurs grandes tendances influeront sur la consommation future de combustibles ligneux: l’accroissement démographique, en particulier en Afrique et en Asie du Sud; le développement des formes alternatives d’énergie, telles que le solaire et l’éolien; l’adoption de technologies plus efficaces, comme des fourneaux modernes; et les politiques qui restreignent ou encouragent l’utilisation de ces combustibles.
Augmentation probable de la demande de bois rond industriel
Certaines tendances, telles que la transition vers une bioéconomie et la mise au point de nouveaux produits, vont probablement augmenter la demande de bois rond d’ici à 2050 et au-delà. La demande de certains produits existants, comme le papier d’emballage, le bois de sciage et le contreplaqué, devrait également augmenter. À l’inverse, la production de certains produits ligneux importants jusqu’ici est en recul actuellement, ce qui réduit la demande de bois rond industriel destiné à ces usages. C’est, par exemple, le cas du papier journal et des papiers d’impression et d’écriture, dont la production diminue en raison du passage à la communication numérique. Ainsi, d’après une estimation réalisée pour le présent rapportp, si la production de papier graphique devait continuer de diminuer au rythme actuel, cela réduirait la demande de bois rond pour cet usage de 133 millions de m3 d’ici à 2030.
Efficacité de l’utilisation du bois
La figure 6 montre que le volume de bois rond industriel nécessaire pour produire une unité de volume de bois de sciage fini, de panneau en bois et de papier et de carton a diminué de 15 pour cent environ entre 1961 et 2022q , et notamment de 5,7 pour cent approximativement depuis 2000. En d’autres termes, pour le même volume de bois rond, il est possible de produire 15 pour cent de produits finis de plus en 2022 qu’en 1961. Si cette tendance à la hausse de l’efficacité se poursuit au cours des 20 prochaines années, il sera possible de produire en 2040 le même volume de produits qu’aujourd’hui en utilisant 116 millions de m3 de bois rond industriel en moins.
FIGURE 6Efficacité de l’utilisation des ressources pour le bois rond industriel, 1961-2022

Incertitudes entourant l’offre future de bois
L’offre future de bois rond soulève des incertitudes liées, par exemple, à l’intervention des pouvoirs publics, aux incitations économiques, au développement des forêts plantées et, plus récemment, aux perturbations forestières dues au changement climatique. La plus forte concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et l’élévation des températures associée au changement climatique pourraient augmenter la croissance nette des forêts lorsque l’eau et l’azote sont disponibles en quantités suffisantes. Le changement climatique risque en revanche d’entraîner une augmentation de la fréquence, de l’intensité, de l’étendue spatiale et de la durée de perturbations telles que celles provoquées par les incendies de forêt, les organismes nuisibles, les tempêtes et les sécheresses62, et de causer des pertes considérables de biomasse récoltable. De surcroît, il pourrait entraîner une évolution à long terme de l’exploitation des forêts boréales, qui se traduirait par le remplacement des résineux par des feuillus63, 64.
Les effets du changement climatique dépendront en grande partie de la proportion dans laquelle les pays pourront renforcer la résilience de leurs forêts face à l’évolution du climat. Et la capacité d’action des pays à cet égard dépendra à son tour des décisions d’orientation prises pour atténuer le changement climatique et s’adapter à ses effets et endiguer l’appauvrissement de la biodiversité. Ainsi, les politiques relatives au carbone des forêts, à la biodiversité et à d’autres aspects pourraient limiter la production de bois d’œuvre, certains scénarios indiquant une diminution des volumes de bois si la priorité était donnée aux avantages procurés par les produits non ligneux56.
L’un des autres facteurs influant sur l’offre future de bois rond est la superficie forestière disponible pour la production (superficie plantée et naturellement régénérée). En 2020, les forêts tempérées et boréales naturellement régénérées fournissaient environ 44 pour cent de la production de bois rond industriel, et les forêts plantées 46 pour cent56. L’agroforesterie et les plantations d’hévéas produisent également du bois rond (correspondant vraisemblablement aux 10 pour cent restants)56, bien que cette proportion n’ait pas été analysée de manière méthodique41. La superficie et le volume sur pied des forêts tempérées et boréales naturellement régénérées devraient augmenter, ce qui laisse penser qu’une hausse de la production de bois d’œuvre issu de ces forêts est possible (sous réserve des incertitudes évoquées plus haut)65.
Certaines études estiment que la superficie des plantations forestières pourrait passer de 20 millions à 40 millions d’hectares d’ici à 2050, ce qui offrirait un autre moyen de répondre à la demande croissante de bois66, même si leur capacité de production dépendra de multiples facteurs, tels que leur ancienneté, le régime climatique, les essences utilisées et les pratiques de gestion appliquées.