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Comment gérer le pluralisme: Subsidiarité et médiation patrimoniale

D. Babin et A. Bertrand

Didier Babin travaille auprès du CIRAD-Forêt de Montpellier (France).

Alain Bertrand travaille auprès du CIRAD-TERA d'Antananarivo (Madagascar).

Comment planifier des stratégies pour faire intervenir des partenaires multiples dans la gestion durable des forêts: plusieurs exemples en Afrique.

Comment concilier les intérêts multiples au Niger: un forestier rencontre des éleveurs du village

Dans la période précoloniale en Afrique sahélienne, le contrôle habituel des ressources et des espaces forestiers était le plus souvent entre les mains des pasteurs. Avec l'instauration de colonies, les usages coutumiers s'en trouvent bouleversés et le droit forestier colonial se modèle sur le code forestier des colonisateurs. Le principe de domanialité sur «les terres vacantes et sans propriétaire» a abouti à une sorte d'expropriation des populations rurales et à une déresponsabilisation de la gestion de leurs terroirs et de leurs ressources. L'Etat institue alors des services forestiers chargés de la surveillance et de la gestion des espaces forestiers.

Les attitudes administratives sont encore fortement influencées par ce postulat et chaque forestier se sent investi de la mission d'exploiter la forêt - et d'assurer un rendement soutenu en bois - tout en la préservant des agressions extérieures.

Cela s'est traduit par l'élaboration et l'adaptation d'un modèle de gestion forestière qui considère un seul acteur dans la gestion forestière (l'Etat), et qui met l'accent sur la gestion de la ressource ligneuse, et ce malgré le fait que le pâturage, le gibier, la récolte des graminées, etc., sont explicitement mentionnés comme produits de la forêt dans les codes forestiers sahéliens.

La redécouverte d'un pluralisme à propos des forêts

Au cours de ces dernières décennies, les services forestiers africains n'ont plus eu les moyens de maintenir cette politique qui empêchait certains groupes d'utiliser les forêts et punissait les contrevenants. De là est née l'idée que la gestion pourrait impliquer de nouveaux acteurs outre les agents de l'administration forestière. Cette situation, conjuguée à une meilleure perception des liens étroits et multiples entre la population rurale et les forêts, a contribué au développement de la foresterie communautaire et, plus généralement, à la participation des populations locales à la gestion des forêts (FAO, 1991).

Les multiples usages des forêts ont été de plus en plus reconnus. S'il est vrai que le gibier, les pâturages et le bois nécessaire pour satisfaire la demande en bois d'œuvre et de feu sont les produits les plus connus si ce n'est les plus importants - l'usage des ressources forestières dans les zones tropicales est très varié (perches, piquets, fourrages bas et aériens, miel, pharmacopée, viande de chasse, fruits, noix, feuilles, gomme, chaume, nattes, vannerie, etc.) (FAO/CIRAD/SLU/ASDI, 1997). Ces usages multiples se traduisent par des conflits entre les divers utilisateurs, qui ont des modes de vie et des façons de voir la forêt différents. La notion de forêt recouvre des réalités différentes d'un peuple à l'autre, d'une catégorie d'individus à l'autre, parfois au même endroit.

A part l'existence de toute une série d'utilisations des forêts, les groupes humains liés à la forêt possèdent aussi une vaste gamme de référentiels, et tous voient la forêt différemment.

La diversité des situations locales est donc le résultat à la fois et non seulement de cette complexité - pluralité des opérateurs économiques et sociaux dans la vie locale et diversité des conditions physiques du milieu naturel et climat - mais aussi de la diversité des ressources existantes et des usages qui en sont faits. Il est très rare qu'un espace ne soit destiné qu'à un seul usage ou qu'à un seul usager, ou qu'il ne soit utilisé que durant une partie seulement de l'année. En règle générale, il s'agit plutôt de l'inverse: celle de la pluralité combinée des usages simultanés et/ou successifs par des utilisateurs différents ayant chacun des règles précises d'accès et d'utilisation et disposant ou non de pouvoir de gestion ou de décision quant aux ressources de l'espace considéré. La complexité des modes d'utilisation et des règles d'accès aux ressources pour chacun de ces usagers exige, pour que chacun puisse exercer ses activités, l'acceptation par tous de règles définissant les pouvoirs, les responsabilités et les droits de chaque individu ou groupe. La réalité est très éloignée du simplisme d'une distinction qui se contenterait d'opposer propriété privée et propriété commune, ou qui confondrait propriété commune et accès libre. De tels systèmes de règles ne semblent pouvoir être adoptés sans que soit menée une véritable négociation entre toutes les parties concernées. Toute la difficulté tient alors à la diversité des objectifs et des stratégies souvent concurrentes des parties prenantes. Lorsque ces différentes logiques se heurtent à propos des ressources forestières renouvelables, on assiste souvent à une «tragédie de l'accès libre» (Weber, 1994).

Les forêts ne peuvent pas être isolées du reste de la société. Les espaces forestiers sont particulièrement frappés par les politiques d'utilisation de la terre, comme on l'a vu dans le passé (colonisation, indépendance), et comme on le voit actuellement avec les politiques de démocratisation ou de décentralisation dans de nombreux pays.

Gérer le pluralisme

Comment gérer, sur un même espace, le grand nombre d'acteurs, d'usages et d'intérêts souvent contradictoires et incompatibles? Il ne s'agit plus de donner les clefs techniques pour prendre la bonne décision, mais de faciliter la coordination de ces acteurs à travers un processus de décision partagé et le développement d'un mode de gestion décentralisée soutenue par ces acteurs. La gestion de la pluralité peut alors consister à établir en commun des choix d'objectifs et les règles du jeu.

Redéfinir les rôles respectifs de l'Etat et de la société civile dans la gestion des ressources renouvelables forestières

Dans de nombreux pays, les efforts déployés pour que les populations participent activement à la gestion des espaces boisés viennent aussi du constat d'incapacité de la part des services de l'Etat d'assurer la surveillance des forêts. Le contrôle effectué par la population peut être plus économique et efficace que le contrôle effectué par le gouvernement. La gestion locale des ressources renouvelables forestières apparaît comme une des solutions à la faiblesse des services de l'administration forestière, et une des conséquences des changements politiques en cours (redéfinition du rôle de l'Etat). Cependant, il ne semble pas possible de mettre en œuvre de façon réaliste une véritable politique de décentralisation avec un Etat exsangue. Les politiques de gestion locale des ressources renouvelables forestières et de décentralisation impliquent que l'Etat doit assumer toutes ses fonctions d'arbitre, de maître de jeu économique, de contrôleur des interventions et de leurs effets et de planificateur des actions dans un souci d'aménagement du territoire. Mettre en œuvre une gestion locale des ressources renouvelables, en particulier les ressources forestières, revient à dire que l'Etat met en place les instruments structurels d'orientation et de développement indispensables pour que la population rurale puisse assumer ses nouvelles responsabilités.

Adopter la formule «moins et mieux d'Etat» en limitant ses interventions à des fonctions de régulation, d'orientation, de pilotage, de contrôle et de maintien de l'ordre, implique peut-être le recours au principe de subsidiarité. En termes économiques, le principe de subsidiarité vise l'exécution efficace des tâches imposées par une politique donnée et un niveau hiérarchique d'exécution minimisant les coûts économiques et maximisant le bien-être social (Mors, 1993). Les responsabilités devraient être assumées et les décisions prises à un niveau très bas mais viable du point de vue économique et opérationnel. Le principe de subsidiarité s'appuie aussi sur la société civile pour l'accomplissement de certaines tâches d'intérêt général.

De plus, en période d'ajustement structurel et de réduction drastique des ressources des gouvernements africains, les politiques de gestion locale des ressources renouvelables forestières ne peuvent être mises en œuvre que dans le cadre de solutions (institutionnelles, organisationnelles, techniques, etc.) de très faible coût. Cela implique qu'il faut rendre les populations rurales concernées officiellement responsables d'une partie du coût et du bénéfice des fonctions essentielles de la gestion locale des ressources.

La médiation patrimoniale

Pour donner un rôle majeur aux populations locales, il faut les faire participer dès le départ à l'élaboration des objectifs de la gestion et au processus de décision. Il est nécessaire d'«inventer des stratégies permettant à chacun, et notamment aux plus humbles des acteurs sociaux, de négocier son propre avenir» (Olivier de Sardan et Jaffré, 1991). La médiation patrimoniale se situe dans cette perspective. La «médiation» est une méthode de négociation qui fait intervenir une tierce personne neutre pour mettre d'accord les parties prenantes; la médiation recourt à la traduction entre ces parties de leur représentations respectives de la question ou du problème Le «patrimoine» est constitué selon la définition donnée par Ollagnon (1991) de «l'ensemble des éléments matériels et immatériels qui contribuent à maintenir et à développer l'identité et l'autonomie de son titulaire dans le temps et l'espace par adaptation en milieu évolutif»

Initialisation

L'initialisation suppose une identification des groupes réellement dans la médiation Chacun doit alors avoir la possibilité d'exprimer son propre point de vue et d'écouter celui des autres sur la situation actuelle et sur les développements futurs Il est particulièrement important de prendre en considération les groupes dont le rôle est crucial dans le devenir de l'écosystème, mais qui se considèrent extérieurs au problème local Il s'agit bel et bien, ici, de communication, non de «connaissances»

Construire des objectifs «patrimoniaux» de très long terme

L'enjeu premier de la médiation patrimoniale réside dans l'établissement de «choix constitutionnels», selon l'expression de Ostrom (1990), choix qui seront par la suite considérés comme sacro-saints et comme points de référence permanents pour l'action Ces objectifs de très long terme seront institutionnalisés, engageant les autres ainsi que ceux ayant généré cet accord de très long terme Ce détour par le futur a comme vertu de rendre caducs une bonne partie des conflits et de déplacer ceux qui persistent Parce qu'ils doivent être «patrimoniaux», non négociables, sacro-saints et «constitutionnels», les objectifs de très long terme nécessitent une légitimation forte et une ritualisation

La légitimation est la procédure par laquelle un accord entre un nombre donné de personnes est accepté comme engageant l'ensemble des acteurs, présents et absents La ritualisation (qui se fait par une cérémonie qui varie selon l'endroit et la culture) inscrit l'accord de très long terme dans l'ordre symbolique ce faisant, il le rend inaliénable, non négociable et difficile à transgresser.

L'exemple de la nouvelle politique forestière au Niger

La réforme réglementaire a permis le transfert de la responsabilité de la gestion (et non la propriété) des ressources forestières, de l'Etat à la population rurale. Ce transfert confère une très forte autonomie locale en fonction d'un contrat négocié entre l'Etat et une structure locale de gestion qui fixe les limites de l'espace géré localement et un quota annuel de prélèvement. La création d'une institution dénommée «marché rural de bois-énergie» permet une gestion autonome de l'exploitation, de la commercialisation et de la régénération des ressources. Plutôt que de proposer des solutions toutes faites à des problèmes, le projet favorise l'émergence de solutions possibles et l'autoorganisation. Les revenus engendrés aident ceux qui sont concernés à développer le sens des responsabilités pour ce qui est de la gestion des ressources. L'objectif est de donner aux arbres sur pied une valeur qui puisse permettre aux ruraux de les protéger, de les élever et de les exploiter à leur profit. La répartition des revenus entre bûcherons-exploitants, gestionnaires et caisses villageoises, la mise en place d'un système de recouvrement des taxes aux niveaux des marchés, et les contrôles forestiers à l'entrée des villes permettent le financement d'actions de développement forestier local et d'initiatives locales diverses. Un système de taxe différencié favorise le bois d'énergie provenant des marchés ruraux.

Les principaux résultats et difficultés observés sont (Montagne, Ichaou et Ada, 1997):

· la fiscalité est fonctionnelle depuis 1994;

· 150 000 ha de forêts sont sous aménagement,

· 100 marchés ruraux de bois d'énergie sont opérationnels;

· le fonctionnement commercial et technique est adapté (quotas et modes de coupe);

· le niveau de prélèvement des taxes est bon et le reversement à l'Etat et aux collectivités est effectif;

· 15 à 20 pour cent des besoins de Niamey sont couverts par le bois des marchés ruraux (15 000 à 20 000 tonnes par an);

· les producteurs ont un chiffre d'affaires de 100 millions de FCFA par an;

· augmentation de la valeur du bois sur pied de 5 à 8 FCFA par kg de 1989 à 1995;

· développement des capacités de suivi de l'administration (compte de dépôt alimenté par les taxes);

· coûts de mise en place estimés à moins de 10 dollars EU par ha;

· actions de développements forestiers générées par le commerce du bois (minipépinières, pare-feux, plantations, etc.);

· actions d'investissements libres (constructions de salles de classe, achat de charrettes, achat de céréales, réparation de mosquées, etc.).

Mais:

· la stratégie entre en conflit avec de multiples intérêts et pouvoirs établis;

· le nouveau système est souvent incompris par les commerçants-transporteurs ou les agents forestiers, ce qui fait que des efforts d'information et de vulgarisation sont nécessaires;

· les acquis restent fragiles notamment pour la résolution des problèmes fonciers et en matière de sylviculture.

La nouvelle politique forestière du Niger souligne trois principes qui pourraient, non pas être généralisés à d'autres pays mais, tout au moins, les inspirer:

· une politique globale où l'Etat planifie et gère aux niveaux national et régional les ressources forestières laissant aux populations le soin de la gestion locale;

· la confirmation du fait que la forêt, par le bois et les revenus qu'elle procure, est un élément déterminant du fonctionnement des systèmes agraires;

· la baisse des coûts d'aménagement permet au système d'être viable à long terme grâce à la réforme réglementaire et fiscale.

Aménagement local des ressources forestières au Niger

Elaboration de scénarios de gestion L'étape suivante de la médiation réside en l'établissement de stratégies de moyen terme permettant d'atteindre les objectifs de très long terme. C'est à ce stade qu'intervient l'expertise scientifique, notamment économique. On peut faire recours à des experts extérieurs, non pour dire ce qui doit être fait, mais pour évaluer la faisabilité comparée des stratégies proposées par les participants directs. «Les connaissances élaborées doivent permettre de discuter tout autant des points de vue scientifiques que populaires. Le non-savoir (des acteurs) devient alors productif en ce sens qu'il permet l'émergence d'une demande au sein d'une négociation» (Olivier de Sardan et Jaffré, 1991).

Elaboration d'une structure de gestion

La structure de gestion est purement exécutive, mettant en œuvre les stratégies approuvées. En outre, elle doit pouvoir être transformée en cas de besoin. Ses tâches sont d'appliquer les décisions prises quant au contrôle de l'accès, à l'exclusion des outsiders, à l'indication des violations à l'autorité chargée de l'application des sanctions et à la perception des taxes sur tout ce qui est prélevé dans la zone en question. La structure de gestion pourra différer d'une communauté à l'autre, autour de fonctions communes à toutes.

La médiation patrimoniale est assez éloignée de l'approche participative classique puisqu'elle implique une action basée sur un contrat et qu'elle va au-delà des solutions consensuelles de court et moyen termes.

Etapes d'une médiation patrimoniale

· Initialisation:

- identification des acteurs
- débat sur les tendances
- débat sur leur acceptabilité

· (Re)construction de choix constitutionnels:

- discussion sur des objectifs de très long terme (25-30 ans)
- processus de légitimation
- ritualisation

· Elaboration de scénarios de gestion:

- élaboration par les parties prenantes de scénarios pour atteindre les objectifs de très long terme

- choix des outils de gestion

- légitimation des résultats (sans ritualisation)

· Instauration d'une structure locale de gestion

Les contrats GELOSE et les médiateurs environnementaux à Madagascar

A Madagascar, la politique de transfert contractuel de la gestion des ressources renouvelables aux communautés rurales est régie, depuis octobre 1996, par la Loi 96-025 sur la gestion locale des ressources renouvelables. La gestion des ressources renouvelables (forêts, faune et flore sauvages aquatiques et terrestres, eaux, territoires de parcours) relevant du domaine de l'Etat ou des collectivités territoriales est transférable.

La Loi 96-025 fixe le cadre réglementaire des contrats GELOSE (Gestion locale sécurisée) passés entre l'Etat, la commune et la communauté rurale de base. Ces contrats couvrent:

· le transfert contractuel de la gestion d'une ressource renouvelable sur un espace communautaire spécifique; et

· la sécurisation foncière relative, c'est-à-dire la constatation publique et contradictoire des occupations foncières individuelles ou collectives de l'ensemble de la zone en question.

L'objectif est de mettre fin à l'accès libre tout en permettant aux communautés rurales d'assumer leurs responsabilités quant aux ressources sur leurs propres terres. Ces contrats ne peuvent être conclus qu'à la demande volontaire des communautés rurales, et doivent permettre une exploitation et une valorisation des ressources au profit des communautés rurales et de la collectivité. Ce genre de contrat implique une négociation entre le gouvernement central, la collectivité territoriale (commune) et la communauté locale sur la base d'une médiation patrimoniale. Le but de cette dernière est d'éviter que des contrats ne soient conclus de manière trop hâtive ou bâclée à cause d'un déséquilibre flagrant entre les parties contractantes. Une assistance est fournie par un médiateur environnemental agréé choisi par les parties concernées, et aucun acteur de la vie sociale ou économique locale n'est exclu à priori. Ce processus induit forcément une réflexion collective sur l'affectation et l'utilisation à long terme des différentes sections des terres de la communauté. Les contrats sont conclus pour une durée probatoire de trois ans, et sont prorogeables, après un suivi administratif, pour une période de 10 ans.

La commune, cosignataire du contrat, veille à l'exécution des obligations contractuelles. Toutefois, elle doit aussi assurer la protection du monopole d'accès en faveur des membres de la communauté rurale gestionnaire. La GELOSE entérine le droit de jouissance et de gestion de la communauté rurale en qualité d'usufruitier, rendant ainsi légal le légitime. Elle permet aux membres de la communauté rurale de devenir les premiers bénéficiaires et d'agir en tant que forces dynamiques dans le développement local. Elle cherche à faciliter les initiatives locales et à redonner assurance et responsabilités aux acteurs locaux.

Un médiateur villageois tient une session de travail à Madagascar

Le médiateur environnemental malgache est choisi par la communauté rurale (fokon'olona) ayant demandé un contrat GELOSE. Les médiateurs ont pour mission d'assister les communautés locales dans la préparation des projets de contrat de gestion des ressources naturelles renouvelables, et ils sont donc appelés à faciliter la négociation et l'élaboration des contrats en rapprochant les perceptions et les objectifs des différents acteurs concernés. Ils facilitent donc les négociations et les discussions entre toutes les parties engagées dans le processus de transfert de gestion. «Pour pouvoir remplir sa mission, le médiateur doit avant tout savoir écouter... Les notions de confiance et de complicité conduisent à la notion malgache de Ray amandreny. Le Ray amandreny est un médiateur par excellence: c'est un sage et un réconciliateur, il sait écouter et, de ce fait, on peut se fier à lui (se confier)» (Andriatahiana et al., 1996). Bien qu'il suscite une certaine confiance grâce à sa capacité d'écoute, il n'exerce aucun pouvoir sur les parties concernées. Contrairement à un juge appelé à trancher entre les parties, le médiateur ne peut que les interroger pour essayer de trouver des solutions concrètes pour le contrat. Son unique pouvoir - et il n'est pas des moindres - est d'être le seul à même de décider de l'achèvement du processus de négociation lorsqu'il juge qu'un accord avec une viabilité à long terme a été conclu.

Le recours à la médiation patrimoniale pour la conclusion des contrats GELOSE à Madagascar n'ira pas, bien entendu, sans risques, sans expériences douloureuses et sans dérapages. Néanmoins, il y a certains avantages: i) la participation renforcée au processus de décision; ii) la responsabilisation des bénéficiaires; iii) la redéfinition du rôle de l'Etat, de ses représentants et des différents acteurs concernés; et iv) la possibilité d'une internalisation des coûts de contrôle sur les ressources et les espaces. La gestion locale sécurisée est l'une des composantes transversales du Plan environnemental de Madagascar (Banque mondiale, 1996), et est associée à un Appui à la gestion régionalisée et à l'approche spatiale (AGERAS). Cette autre composante est censée contribuer à la planification négociée à l'échelle régionale d'actions de développement.

Tenir compte de la pluralité oblige que l'on innove en termes d'organisation, et le développement des outils de gestion doit suivre le rythme. Rien n'est immuable et il est nécessaire d'offrir de nouveaux types de procédures sur de nombreux points. C'est aussi un défi technique qui doit être relevé dans de nombreux domaines. La loi malgache sur la gestion communautaire locale prévoit l'utilisation d'instruments visant une meilleure exploitation des ressources renouvelables au profit des communautés rurales qui les gèrent et des producteurs ou collecteurs. Ces instruments revêtront sans doute bien souvent des aspects à la fois économiques, institutionnels, réglementaires et fiscaux. La combinaison précise et les modalités d'application de ces différents instruments devront être définies clairement pour chaque ressource en fonction de la structuration économique de chaque filière commerciale.

Conclusions et perspectives

Dans bien des cas, les méthodes ou les instruments de gestion des ressources envisagés par les différentes parties seront porteurs implicitement des représentations sociales de chaque partie. Dans l'exemple des marchés ruraux de bois d'énergie au Niger, les techniques forestières préconisées au départ par le service forestier étaient formulées pratiquement comme des dogmes incontournables: seul le service forestier pouvait être le détenteur d'un savoir technique, et les connaissances et les pratiques traditionnelles des populations rurales ne méritaient aucune considération. Pourtant, une analyse et un examen attentifs de ces pratiques démontrent qu'elles aussi témoignent d'une rationalité technique.

L'acceptation du pluralisme passe aussi par une reconnaissance des compétences ou limitations de chaque partie - élément capital dans l'application du principe de subsidiarité. Toutefois, cela pose un gros problème de subjectivité qui devient ensuite un enjeu de pouvoir. Celui qui juge de la compétence doit être en dehors de cet enjeu de pouvoir.

La redécouverte du pluralisme en foresterie place l'écosystème forestier au centre des enjeux du développement rural, le réintégrant ainsi dans la société. Cet écosystème concerne donc de multiples acteurs, ainsi que de multiples ressources ou usages. Il s'agit désormais de coordonner ces usages et les usagers. Les préoccupations se portent sur: i) la coviabilité possible dans une perspective de long terme entre l'écosystème et les usagers; ii) les conditions pour une efficience visant davantage à contrôler, piloter et responsabiliser plutôt qu'interdire; et iii) l'enjeu d'une certaine équité entre les acteurs aux niveaux économique, social et politique.

Vouloir gérer le pluralisme pour une foresterie et un développement rural durables c'est donc, en quelque sorte, une révolution! Cela veut dire premièrement remettre en question la notion de décideur omnipotent et omniscient. Deuxièmement, cela veut dire reconsidérer le rôle et les sphères de responsabilité des différents acteurs concernés par les espaces forestiers et leurs ressources. Troisièmement, il s'agit d'une perspective qui va bien au-delà de l'espace forestier dans une approche intersectorielle d'aménagement du territoire et de développement rural.

Certains pays en développement s'orientent vers une gestion de plus en plus locale des ressources forestières et de l'environnement. Au Niger et, plus récemment, au Mali, une nouvelle politique forestière base la gestion locale des ressources en bois de feu sur le transfert de gestion forestière à des structures locales de gestion qui valorisent directement la production par l'intermédiaire de marchés ruraux. Le contrôle administratif de ce transfert est effectué à posteriori sur la base du respect par ces structures locales d'un quota de bois négocié et des directives simples d'exploitation.

A Madagascar, il existe un mouvement encore plus ample qui vise à transférer la gestion de l'ensemble des ressources renouvelables à des communautés locales, et ce, dans le cadre d'une véritable politique de décentralisation.

Il est trop tôt pour observer ces exemples dans une perspective historique, mais il est incontestable que l'ampleur des bouleversements est telle que des dangers sont forcément inévitables. Un premier type de danger concerne l'utilisation de solutions potentiellement universelles (décentralisation, développement économique, etc.) sans se soucier de les adapter aux situations locales. Un deuxième type tient à la viabilité des solutions entreprises. Les travaux en cours ne sont cependant pas de simples expérimentations sociales; ils tentent, en fait, de concilier la nécessité d'action avec le principe de précaution.

La révolution introduite par la prise en compte du pluralisme est difficilement évaluable. Il s'agit en réalité d'une innovation importante dans des systèmes complexes touchant autant à des dimensions culturelles, écologiques que politiques. Rien ne permet d'être certain que la gestion de ce pluralisme débouchera sur une gestion viable des forêts. Toutefois, les projets qui sont en place font tout leur possible en créant les conditions réalistes pour atteindre cet objectif. Leur suivi attentif permettra de voir si et comment un tel défi peut être relevé.

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