L'évaluation de la sécurité des aliments dérivés d'animaux génétiquement modifiés doit être fondée sur une connaissance des méthodes de transgenèse, les applications attendues et les résultats possibles de l'intégration et de l'expression des transgènes. Dans ce contexte, la Consultation a examiné les dangers possibles de l'expression de transgènes sur l'animal et sur les questions environnementales touchant à la santé humaine. La Consultation a aussi examiné les perspectives ultérieures de développement, d'utilisation et de surveillance de la transgenèse pour la production d'animaux destinés à la consommation.
La Consultation a aussi noté que des insectes génétiquement modifiés étaient produits, bien que ce ne soit pas, au stade actuel, pour la production alimentaire. Les questions posées par les insectes génétiquement modifiés devaient être examinées, mais elles n'entraient pas dans le champ des travaux de cette consultation d'experts.
4.2.1 Techniques
Plusieurs techniques peuvent être appliquées pour transférer des gènes dans un animal (Houdebine, 2003). Elles se différencient par leur plus ou moins bonne adaptation aux différentes catégories d'animaux, par l'efficacité de la transformation et par leurs conséquences pour l'évaluation des risques.
La méthode de transfert de gènes utilisée dépend de l'existence connue d'un gène codant pour un produit conférant une propriété intéressante. Le gène à transférer est incorporé dans un vecteur d'expression qui contient également des éléments génétiques régulateurs de son expression. L'utilisation de types de vecteurs d'expression différents offre des avantages méthodologiques selon les catégories d'animaux et influe aussi sur la probabilité d'apparition de risques génétiques ou immunologiques. Les biotechnologistes peuvent transférer délibérément dans un hôte:
un gène de fusion, gène codant pour un produit intéressant, associé à un élément régulateur de son expression dans l'hôte;
un transposon, élément d'ADN capable de s'extraire d'un emplacement dans le génome et de s'insérer à un autre emplacement, et qui a été modifié de manière à contenir le gène de fusion
un rétrovirus, virus capable de s'intégrer dans le génome et d'être exprimé sous l'action des processus de réplication de la cellule hôte, et qui a été modifié de manière à contenir le gène de fusion.
De nombreux vecteurs d'expression contiennent des gènes marqueurs. Certains gènes marqueurs sont de simples indicateurs de la réussite du transfert de gènes, mais d'autres codent pour des produits géniques, ce qui permet de détecter les individus transgéniques, par exemple en employant des antibiotiques.
Les méthodes courantes d'introduction d'un vecteur d'expression dans l'hôte sont:
la micro-injection, c'est-à-dire l'introduction directe du vecteur d'expression dans des ovocytes fécondés ou des cellules hôtes à l'aide d'une fine aiguille de verre;
l'électroporation, qui consiste à introduire le vecteur d'expression dans les ovules fécondés ou les cellules hôtes à l'aide d'impulsions électriques provoquant l'ouverture passagère de pores dans la membrane des cellules hôtes;
le bombardement de particules: des particules d'or sont enduites du vecteur d'expression qui est introduit dans les cellules hôtes par bombardement des particules;
la transformation cellulaire, suivie du clonage. Étant donné qu'il est plus simple d'ajouter ou de supprimer des gènes avec des cellules en culture qu'avec des ovules fécondés, les noyaux de cellules dont la transformation a réussi peuvent être transférés dans des ovocytes énucléés et implantés chez des mères porteuses pour produire des animaux clonés par cellules somatiques, qui sont aussi des animaux transgéniques;
la transformation de gamètes: des gènes peuvent être introduits dans des ovocytes ou des spermatocytes et les gamètes transformés utilisés pour la fécondation, engendrant un animal entier.
L'application de l'une ou l'autre de ces méthodes permettra de réussir la transformation d'un faible pourcentage des animaux ainsi produits. Les individus transgéniques peuvent ensuite être repérés et reproduits pour donner une lignée transgénique.
4.2.2 Les applications et leurs avantages potentiels
Des animaux transgéniques exprimant un gène transféré ont été créés, ou sont susceptibles de l'être, pour diverses applications offrant toute une série d'avantages possibles en matière de production alimentaire ou de santé humaine (tableau 1). Les animaux de ce type en sont à différents stades de développement. Les premières demandes d'agrément pour des animaux transgéniques destinés à la production alimentaire concernent plusieurs espèces de poissons possédant des gènes supplémentaires d'hormone de croissance exprimés.
La production de mammifères d'élevage transgéniques est difficile et coûteuse, en particulier à cause du faible taux de reproduction et de fécondation et de développement internes de ces animaux. Parmi les premiers individus transgéniques d'une lignée, bon nombre sont des animaux mosaïques en ce qui concerne le transgène, c'est-à-dire qu'ils en sont porteurs dans certaines cellules et pas dans d'autres. Pour ces raisons, le développement de mammifères d'élevage transgéniques n'a guère avancé. Pourtant, des noyaux de cellules mises en culture ou de cellules transformées issues d'un animal mosaïque peuvent être utilisées comme matériel de donneur pour réaliser des clonages de cellules somatiques par transfert de noyaux permettant d'obtenir des individus transgéniques dans toutes leurs cellules. Cette méthode pourrait en fin de compte être utilisée pour produire des lignées transgéniques destinées à la production alimentaire, comme cela se fait déjà avec la création de porcs destinés à la xénotransplantation; dans ce cas, plusieurs transgènes devront être exprimés et plusieurs gènes endogènes désactivés.
Nous examinerons, dans le texte qui suit, les dangers liés aux méthodes de transgenèse et à l'introduction dans l'environnement d'animaux génétiquement modifiés ayant une influence sur la sécurité sanitaire des aliments. Les dangers possibles de la transgenèse exposés ci-dessous doivent être mis en perspective en examinant leur probabilité relative et le degré de nocivité qu'ils représentent. On remarquera que ces dangers ne sont pas propres à la transgenèse.
4.3.1. La transgénétique
L'introduction d'un transgène dans un animal n'est pas un processus maîtrisé avec précision et elle peut aboutir à différents résultats en ce qui concerne l'intégration, l'expression et la stabilité du transgène dans l'hôte.
Le résultat recherché est généralement l'intégration stable d'une copie unique du transgène en un seul emplacement du génome qui ne soit pas un gène fonctionnel ou un élément de régulation. Or, on observe fréquemment d'autres résultats, que ce soit l'intégration de copies multiples du transgène en un même site, ou l'insertion du transgène en de multiples emplacements du génome. L'insertion du transgène dans un gène hôte peut éteindre ce gène, mettant parfois en péril la viabilité ou la santé de l'hôte. L'insertion d'un transgène peut parfois influer sur l'expression d'un ou de plusieurs autres gènes. Un transgène peut être réarrangé avant l'intégration et devenir ainsi non fonctionnel. Durant le processus de transgenèse, des séquences indésirées d'ADN peuvent s'insérer dans le génome, telles que des gènes marqueurs ou des marqueurs détectables provenant du vecteur d'expression ou de l'ADN bactérien de contamination restant de la production du vecteur. Les dangers résultant d'incidents d'insertion ou d'une instabilité génétique peuvent être identifiés par dépistage et éliminés par l'abattage des individus présentant des effets indésirables pendant le développement de la lignée transgénique.
L'expression du transgène devrait, dans l'idéal, n'avoir aucun effet indésirable sur l'expression d'autres gènes hôtes ou sur la santé de l'hôte. Ce n'est pas toujours le cas. Le transgène peut être rendu muet par méthylation ou par d'autres mécanismes. Du fait que l'expression du transgène est souvent commandée par des éléments de régulation nouveaux en dehors des mécanismes normaux de rétroaction homéostatique de l'hôte, l'expression du transgène peut avoir des effets pléiotropiques, c'est-à-dire des effets sur de multiples propriétés de l'hôte. Des pléiotropies notables ont été observées chez les animaux exprimant des gènes d'hormone de croissance introduits, notamment chez des porcs, des ovins et des poissons présentant toute une série d'anomalies morphologiques ou métaboliques. D'autres pléiotropies telles qu'un accroissement du rendement de carcasse peuvent être positives. Une expression ectopique du transgène peut se produire dans des tissus, chez un animal d'un sexe ou à un âge de la vie auxquels on ne l'attend pas et peut être préjudiciable à la santé de l'hôte et à la sécurité des aliments que celui-ci sert à produire. Les dangers provenant de l'expression du transgène peuvent être repérés par dépistage et éliminés par l'abattage des individus présentant des phénotypes d'expression indésirables au cours du développement de la lignée transgénique.
L'utilisation de virus ou de transposons comme vecteurs présente le danger d'un déplacement ultérieur du transgène dans le génome. Les travaux menés sur la drosophile permettent de penser qu'il existe, avec les transposons, une probabilité accrue de déplacement à la suite de l'hybridation dans une nouvelle souche. Bien que les vecteurs aient été conçus de manière à être exempts de toutes les séquences d'ADN nécessaires pour prendre la forme de virions ou pour transposer, il est théoriquement possible qu'ils se recombinent avec d'autres séquences d'ADN dans le génome, par exemple avec des éléments endogènes transposables ou avec des virus ou des transposons exogènes pour devenir contagieux ou mobiles. La mise au point et l'utilisation de vecteurs bien conçus permettra de réduire la probabilité de ces dangers.
La création de porcs destinés à la xénotransplantation consiste à supprimer l'expression de molécules qui suscitent une réponse immunitaire chez l'homme et à introduire des molécules qui rendent la surface des cellules porcines plus semblable à celle des cellules humaines. De ce fait, les porcs risquent de devenir plus vulnérables face aux virus humains. Ils constitueraient un deuxième hôte susceptible de transmettre des maladies humaines, et ainsi s'ouvrirait une nouvelle voie d'évolution des virus porcins permettant leur adaptation à l'homme. Ce danger pourrait théoriquement être minimisé en utilisant des races porcines portant peu d'endovirus connus pour créer des lignées destinées à la xénotransplantation et en maintenant ces lignées en stricte quarantaine.
4.3.2 Clonage
Le clonage, qui peut être utilisé pour multiplier des animaux génétiquement modifiés, pose des problèmes qui lui sont propres. La Consultation ne s'est toutefois pas penchée sur les risques associés au clonage proprement dit (en particulier le transfert nucléaire de cellules somatiques).
Le clonage par transfert nucléaire de cellules somatiques nécessite de reprogrammer le génome à partir d'une cellule différenciée pour lui permettre d'effectuer l'embryogenèse. Cela provoque une altération plus ou moins importante de l'expression des gènes, surtout dans les premiers temps de la vie du clone. Les effets de l'altération de l'expression des gènes et des manipulations reproductives nécessaires au processus de clonage peuvent induire des taux élevés de mortalité prénatale et post-natale et des anomalies morphologiques et physiologiques chez l'individu cloné, qui peuvent être préjudiciables à la santé de l'animal et à la sécurité sanitaire des aliments (National Research Council, 2002). L'observation du nombre limité de descendants d'animaux clonés produits à ce jour permet de penser qu'ils ont des chances d'être normaux du point de vue phénotypique.
4.3.3 Considérations écologiques susceptibles d'influer sur la sécurité sanitaire des aliments
Les avantages et les risques que peuvent comporter pour l'environnement les animaux génétiquement modifiés diffèrent selon les animaux (National Research Council, 2002; Pew Initiative on Food and Biotechnology, 2003; Scientists' Working Group on Biosafety, 1998). Nous n'aborderons pas, dans le présent exposé, l'ensemble des questions touchant à l'environnement, mais nous concentrerons plutôt sur le lien entre l'introduction dans l'environnement d'animaux génétiquement modifiés et la sécurité sanitaire des aliments. La possibilité de dispersion d'animaux génétiquement modifiés ou de leurs transgènes dans l'environnement représente un danger écologique créant une voie de pénétration dans l'alimentation humaine.
La pénétration possible d'animaux génétiquement modifiés dans les aliments par le biais de l'environnement varie en fonction de la propension des animaux à pénétrer et à se propager dans l'environnement, des moyens utilisés par les systèmes agricoles pour réduire la fuite des animaux, et du fait de savoir si les hommes chassent et pêchent ou non les mêmes espèces. Certains animaux d'élevage sont souvent transportés et vendus vivants, ce qui représente des voies supplémentaires de pénétration accidentelle dans l'environnement. Des poissons ou crustacés génétiquement modifiés qui se sont échappés ou leurs descendants pourraient être pêchés sans être détectés comme tels et consommés par l'homme. L'état actuel du développement d'animaux génétiquement modifiés laisse penser que ce problème pourrait se poser aux responsables de la sécurité sanitaire des aliments dans un premier temps avec les poissons et crustacés, puis avec certains types de volailles génétiquement modifiées tels que les canards et les cailles.
Les espèces clés, ou taxons, d'animaux génétiquement modifiés peuvent être classées selon leur aptitude à retourner à l'état sauvage, la probabilité qu'elles ont d'échapper à la captivité, leur mobilité et leurs antécédents de perturbation des communautés écologiques. Un tel classement en ordre décroissant donnerait, pour l'Amérique du Nord (National Research Council, 2002) les insectes, les crustacés, les poissons, les rats et souris, les chats, les porcs, les chèvres, les chevaux, les lapins, les chiens, les poulets, les moutons et les bovins. À l'échelle régionale, la pertinence de ce classement pour la sécurité sanitaire des aliments dépend de l'importance de la consommation de ces animaux par l'homme. Par ailleurs, la place dans le classement varie d'une région à une autre en raison des différences de conditions du milieu, mais les mêmes facteurs de risque sont applicables.
L'évaluation du passage possible dans l'environnement d'animaux génétiquement modifiés ou de leurs transgènes devrait être réalisée cas par cas pour chaque combinaison de l'événement d'intégration (c'est-à-dire la lignée transgénique) et des conditions du milieu environnant. Il faudrait comparer l'animal génétiquement modifié avec l'animal traditionnel de référence, c'est-à-dire l'animal non modifié issu de la même source génétique, et estimer la probabilité de déplacement de l'animal génétiquement modifié ou de son ou ses transgène(s) dans l'environnement à partir du risque estimé d'échappement. Pour cela, il convient de déterminer si:
par rapport à l'animal traditionnel de référence, l'animal génétiquement modifié présente une possibilité plus faible, égale ou supérieure de transmission de gènes à des animaux apparentés sauvages ou retournés à l'état sauvage dans l'écosystème d'arrivée. Des études récentes montrent que le transgène pourrait disparaître spontanément en l'espace de quelques générations ou qu'il pourrait se propager dans la population naturelle et, éventuellement, en affecter l'effectif (Muir et Howard, 2001, 2002). Pour ce qui concerne la pénétration dans l'alimentation, la disparition spontanée serait l'issue la plus sûre, mais ces animaux pourraient malgré tout parvenir dans les aliments du fait que le processus de disparition risque de prendre une ou plusieurs générations;
par rapport à l'animal traditionnel de référence, l'animal génétiquement modifié a des possibilités plus faibles, égales ou supérieures d'envahir un écosystème et de s'y implanter en tant qu'espèce exotique, surtout si cet écosystème compte peu ou pas d'animaux apparentés sauvages ou retournés à l'état sauvage.
4.3.3.1 État des méthodes permettant d'estimer la pénétration possible dans l'environnement
Les méthodes permettant de caractériser de la manière la plus fiable la pénétration possible dans l'environnement n'ont pas encore été uniformisées. La méthode de l'aptitude nette à la reproduction (net-fitness) (Muir et Howard, 2001, 2002) est une approche systématique et complète fondée sur la biologie contemporaine de l'évolution et des populations (National Research Council, 2002; Pew Initiative on Food and Biotechnology, 2003). Le processus comporte deux étapes: 1) mesurer les caractères composant l'aptitude nette à la reproduction tout au long du cycle de vie de l'animal génétiquement modifié, de l'animal traditionnel de référence ou d'animaux sauvages apparentés et des croisements entre les deux; et 2) intégrer les données obtenues à l'étape 1 dans un modèle de simulation permettant de prédire le sort du transgène pendant plusieurs générations. Les prédictions obtenues par cette méthode doivent être validées, et les premières expériences sont en cours pour ce faire. Un projet, par exemple, étudie sur des poissons transgéniques la validité des prédictions du modèle d'aptitude à la reproduction (on en trouvera un résumé à l'adresse suivante: www.reeusda.gov/crgam/biotechrisk/biot00ls.htm). Il conviendra par ailleurs de développer la stochasticité du modèle, d'augmenter le nombre de ses paramètres et de le rendre plus convivial à utiliser. Les données nécessaires pour appliquer cette méthode manquent encore pour la plupart des animaux génétiquement modifiés, et des efforts ont été engagés récemment pour recueillir celles qui existent concernant certains poissons génétiquement modifiés.
4.3.3.2 Confinement des animaux génétiquement modifiés
Si les conclusions qui ressortent à la fois de la caractérisation des risques pour l'environnement (examinés plus haut) et de l'évaluation de la sécurité sanitaire (examinée à la section 5) sont que les animaux génétiquement modifiés ou leurs transgènes se disperseront dans l'environnement au point de constituer un risque pour l'approvisionnement alimentaire de l'homme, les responsables de la gestion des risques devront envisager d'appliquer des mesures de confinement pour empêcher ou réduire la fuite d'animaux génétiquement modifiés ou de leurs gamètes viables dans l'environnement. Le but premier de ces mesures devrait être d'empêcher toute dispersion. À défaut de pouvoir le faire, elles devront être complétées par d'autres méthodes garantissant que les individus qui réussiraient à s'échapper ne pourront se reproduire.
Différents systèmes d'aquaculture prévoient des mesures biologiques, mécaniques et physico-chimiques de confinement des poissons et crustacés qu'ils produisent (Agricultural Biotechnology Research Advisory Committee, 1995; Scientist's Working Group on Biosafety, 1998; Kapuscinski, 2003). Les mesures de confinement biologique consistent normalement à perturber la capacité de reproduction de l'animal, par exemple en stérilisant les poissons ou les crustacés en induisant une triploïdie, c'est-à-dire que les individus obtenus ont trois jeux de chromosomes au lieu des deux normaux. Le confinement mécanique consiste à utiliser un instrument pour empêcher les animaux de s'échapper du système d'aquaculture (par exemple les grillages dans les canalisations d'évacuation des bassins ou des étangs de pisciculture à terre) ou pour limiter le phénomène. Les mesures de confinement physiques consistent à rendre mortelle une voie de fuite en modifiant l'attribut physique de l'eau (par exemple en chauffant l'eau d'évacuation à une température létale, puis en la refroidissant avant de la rejeter). D'autres systèmes de confinement pourraient être créés pour les animaux terrestres génétiquement modifiés.
Dans de nombreux cas, il faut recourir à des mesures de confinement multiples, aucune mesure utilisée seule n'étant d'une efficacité totale. On peut, par exemple, recourir à des populations de saumons triploïdes entièrement femelles pour s'assurer que tout individu susceptible de s'échapper du confinement physique est incapable de se reproduire dans la nature. Il faut par ailleurs contrôler strictement les mesures de confinement.
Il sera nécessaire de créer et de valider des méthodes plus fiables pour rendre stériles les animaux génétiquement modifiés, en particulier les poissons et les crustacés. L'amélioration des méthodes pourrait consister à intégrer des protocoles reproductibles pour induire la triploïdie (qui s'appliqueraient aux animaux autres que les oiseaux et les mammifères), et de nouvelles méthodes pourraient être créées pour induire la stérilité par des traitements chimiques ou des transferts de gènes, par exemple en insérant des gènes anti-sens qui perturberaient les étapes essentielles des voies endocrines contrôlant le développement reproducteur.
4.3.3.3 Surveillance de la pénétration et de la dispersion dans l'environnement
À l'avenir, la production à grande échelle de certains animaux génétiquement modifiés pourrait être subordonnée à l'obtention d'une autorisation, comportant ou non l'autorisation d'introduire ces animaux dans la filière de l'alimentation humaine. En pareille situation, il importera d'étudier s'il faut exercer une surveillance après commercialisation pour détecter tout passage imprévu dans l'environnement d'animaux génétiquement modifiés et de leurs transgènes représentant des dangers pour la sécurité sanitaire des aliments. La détection de ces animaux et de leurs transgènes dans l'environnement consistera probablement à appliquer deux catégories bien établies de méthodes scientifiques: 1) des marqueurs d'ADN à visée diagnostique, et 2) des protocoles de prélèvement qui soient adaptés en termes d'efficacité statistique et en termes de coût. Il faudra cependant développer pleinement des protocoles d'application de ces méthodes à la détection, après leur commercialisation, des animaux génétiquement modifiés et de leurs transgènes dispersés dans l'environnement. La surveillance peut également être utile pour garantir le confinement d'animaux génétiquement modifiés pendant les activités de recherche et de développement.
La concrétisation de tous les avantages pouvant résulter de l'utilisation d'animaux génétiquement modifiés dépendra des avancées qui seront réalisées dans les aspects techniques de leur production. Il faudra, par exemple, recourir à des méthodes moléculaires innovantes pour remédier aux limitations auxquelles on se heurte actuellement avec les intégrations peu fréquentes et aléatoires, l'extinction de gènes ou les effets épistatiques et pléiotropiques des transgènes. L'innovation pourrait consister à utiliser de meilleurs vecteurs d'expression pour cibler précisément l'emplacement des transgènes dans le génome hôte, ou à incorporer les transgènes sur des chromosomes artificiels de bactéries ou de levures pour les introduire dans l'hôte. Avec l'expérience, les techniques d'expression de gènes antisens et d'inactivation de gènes par recombinaison homologue permettront l'extinction de gènes ciblés. D'autres avancées, en particulier le développement de cellules souches embryonnaires ou de cellules germinales primordiales d'autres espèces animales permettra d'effectuer des manipulations génétiques plus nombreuses sur ces espèces. L'identification et le transfert de gènes favoriseront des usages alimentaires bénéfiques, mais il faudra évaluer leur incidence sur la sécurité sanitaire des aliments et leurs effets sur l'environnement (par exemple les insectes, tels les abeilles, ayant un rôle dans la sécurité sanitaire des aliments). Le transfert de nouveaux gènes et les progrès des techniques de transfert et de clonage ouvriront de nouvelles possibilités pour la santé humaine grâce à la création de modèles animaux de maladies humaines, à l'expression de protéines pharmaceutiques et à la création de lignées génétiques destinées à la xénotransplantation. Bien que l'on puisse prévoir de nombreuses retombées de la transformation génétique des animaux, celle-ci exigera des conditions plus rigoureuses d'évaluation et de gestion des risques et de communication sur les risques.
TABLEAU 1. Exemples d'applications du transfert génétique aux animaux
Application |
Résultat recherché |
Exemple |
Observations |
Amélioration de la production animale |
Augmentation du rendement par l'accélération du rythme de croissance ou l'amélioration de l'efficacité alimentaire |
Gène de l'hormone de croissance dans le saumon de l'Atlantique, la carpe commune et le tilapia du Nil |
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Résistance accrue aux maladies |
Gène de la lactoferrine dans la carpe, gène de la cécropine dans le poisson chat |
|
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Tolérance accrue aux conditions du milieu, par exemple aux basses températures |
Protéine antigel dans le saumon de l'Atlantique et le poisson rouge |
La tolérance au froid s'améliore chez le poisson rouge mais non chez le saumon |
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Plus grande digestibilité des ingrédients alimentaires |
Gène de la phytase dans le porc |
La même approche pourrait être utilisée pour adapter les poissons carnivores à une alimentation végétale |
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Amélioration de la qualité des produits |
Modification des profils nutritionnels |
Teneur réduite en lactose dans le lait |
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Suppression des agents allergènes des aliments |
Supprimer le gène de la protéine allergène chez la crevette |
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Animaux d'ornement nouveaux |
Gènes de protéines fluorescentes exprimés chez le poisson zèbre |
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Produits nouveaux |
Produits pharmaceutiques à usage humain et vétérinaire |
Gènes d'anticorps monoclonaux, de la lysozyme, de l'hormone de croissance, de l'insuline, etc., exprimés dans le lait ou le sang d'animaux d'élevage |
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Produits industriels |
Fil d'araignée exprimé dans le lait de chèvre |
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Indicateurs biologiques |
Détecteurs de pollution |
Expression de gènes indicateurs liés au promoteur de la métallothionéine chez les vairons exposés à des métaux lourds |
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Santé humaine |
Cellules, tissus et organes pour la xénotransplantation |
Inactivation de la galactosyltransférase chez le porc |
Le clonage peut aussi être nécessaire |
Médecine vétérinaire |
Prévention des encéphalopathies spongiformes transmissibles |
Inactivation du gène Prn-p chez les bovins et les ovins |
Prévention de la maladie de la vache folle et de la tremblante du mouton |
Lutte biologique |
Insectes utiles résistant aux pesticides |
Introduction d'un gène de résistance aux pesticides chez les prédateurs et les parasitoïdes |
Possibilité d'utiliser à la fois des moyens chimiques et des moyens biologiques de lutte contre les insectes nuisibles |
Lutte contre la contagion |
Introduire des gènes de résistance au parasite Plasmodium chez le moustique Anopheles |
Susceptible de réduire la transmission de la malaria |
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Maîtrise de la reproduction et du sexage |
Introduire un gène antisens pour la GnRH ou aromatase |
Susceptible d'être utilisée pour contenir les espèces exotiques invasives |
Sources: NRC, 2002; Kapuscinski, 2003.