COMITE CFFSA/CEF/CFPO DES QUESTIONS

FORESTIERES MEDITERRANEENNES - SILVA MEDITERRANEA

Point 8 de l’ordre du jour

DIX-SEPTIEME SESSION

Antalya (Turquie), 10-13 octobre 1997

SCENARIOS POUR L’AVENIR DES FORETS MEDITERRANEENNES

Note du Sécretariat

 

 

LA DEMARCHE DU PLAN BLEU

1. Mis en place en 1977 dans le cadre du plan d’action pour la Méditerranée (PAM) sous l’égide du PNUE le Plan Bleu, composante prospective et systémique du PAM, s'est proposé de dégager les avenirs possibles du bassin méditerranéen tant au point de vue de l'économie que de l'écologie. Son nom pourrait prêter à confusion. Le Plan Bleu, en effet, n'a jamais été envisagé comme un instrument contraignant de planification économique mais plutôt comme un outil destiné à explorer et expliciter l'évolution des relations systémiques entre la population, les ressources naturelles, l'environnement et le développement.

2. En identifiant les perspectives de développement socio-économique et d'évolution de l'environnement à moyen et long terme (2000 et 2025) pour l'ensemble des pays riverains de la Méditerranée, le Plan Bleu ne prétend pas prédire ce qui va se passer. Il a pour objectif d'explorer les interactions entre les divers secteurs d'activité et les principaux milieux géographiques de la région et, à partir de bases de référence communes et cohérentes, d'aider les décideurs des différents pays dans la recherche d'un développement optimal sans dégradation de l'environnement.

 

lES SCENARIOS DU PLAN BLEU

3. L'exercice de prospective n'a pas pour objectif de préconiser tel ou tel type de développement mais de montrer l'influence que ceux-ci peuvent avoir sur l'environnement. Ces types de développement sont marqués dans les scénarios par l'évolution démographique, par la nature des relations économiques internationales qui s'établissent entre les pays (notamment par les formes de coopération entre les pays du nord et du sud, ou entre pays du sud) et, à l'échelle nationale, par les contraintes d'espace et de ressources naturelles et les choix de stratégies développement/environnement des pays.

4. Par rapport à une poursuite de l'évolution actuelle ("scénario tendanciel de référence T1"), trois types de développement relativement différents ont été envisagés :

5. Les scénarios du Plan Bleu ont étudié les évolutions possibles de la population, de l'urbanisation, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des transports et leurs impacts sur les sols, les eaux, les forêts, le littoral et la mer. Ces scénarios ne sont pas des prédictions et ils ne tiennent pas compte des ruptures brutales toujours possibles, telles que les catastrophes naturelles ou encore les risques de conflits armés. Ils comportent nécessairement toutes les incertitudes inhérentes à tout exercice de prospective, qui découlent du choix et de l'ouverture des hypothèses d'évolutions de caractère politique, social ou technologique, ou encore de mouvements d'opinion et de facteurs culturels pouvant affecter aussi bien le développement que l'environnement.

6. Mais, dans le champ prospectif ainsi fixé, les travaux du Plan Bleu permettent de dégager des résultats significatifs intéressant à la fois les enjeux majeurs du développement et les risques encourus par l'environnement et, en conséquence, pour les populations elles-mêmes.

 

LA PROSPECTIVE DE LA FORET MEDITERRANEENE

7. L'évolution des économies méditerranéennes conduit à une marginalisation progressive des zones dites défavorisées, sous-peuplées au Nord du bassin, surpeuplées à l'Est et au Sud. Au Nord, dans une économie industrialisée, la forêt gagne sur les terres agricoles abandonnées, mais elle n'est plus utilisée et sa gestion est négligée, faute de main d'oeuvre et de ressources financières (en particulier, de revenus forestiers). Au Sud et à l'Est, où des régions importantes dépendent encore d'une économie de cueillette et de subsistance pour faire face aux besoins vitaux, la surexploitation, par des populations croissantes et pauvres, détruit lentement les peuplements, qui ne peuvent se reconstituer (par suite de l'action du climat). S'y ajoutent des défrichements, organisés ou non, en vue de l'extension des terres agricoles. Dans les zones littorales, la forêt recule devant l'urbanisation, l'industrialisation, le tourisme, la fréquentation excessive, l'incendie.

8. D'une façon générale, on peut dire que les écosystèmes forestiers qui ont joué un rôle majeur dans l'évolution du bassin méditerranéen ne voient plus aujourd'hui leurs fonctions clairement définies ni vraiment hiérarchisées. La forêt méditerranéenne "normale", surtout dans les pays du Sud et de l'Est du bassin, est un espace boisé dont les fonctions, multiples, sont souvent concurrentes, parfois incompatibles, et, de plus, susceptibles de varier en importance relative et en priorité au cours même du plan de gestion, gestion dont le bilan financier est presque toujours déficitaire. Contrairement à la sylviculture spécifique des régions tempérées humides, l'aménagement sylvicole en zone méditerranéenne est indissociable de l'aménagement global des autres secteurs voisins et doit intégrer, en plus des considérations biologiques, des considérations sociales et économiques extérieures à la forêt.

 

LA FORET MEDITERRANEENNE DANS LES SCENARIOS

9. La complexité de la problématique forestière méditerranéenne est illustrée par la figure 1. Cette complexité, jointe à la faiblesse des statistiques et aux difficultés de quantification, font comprendre que l'approche prospective a dû rester essentiellement qualitative au niveau du bassin. En outre, en ce qui concerne les forêts, les horizons des scénarios macro-économiques du Plan Bleu apparaissent relativement courts, sinon pour les phénomènes de dégradation, du moins pour les effets réels qu'on peut attendre des mesures de protection et/ou de restauration qui seront éventuellement décidées et mises en application en fonction des divers scénarios.

10. Une chaîne environnementale simplifiée a été élaborée (figure 2), pour essayer de mieux comprendre en fonction des scénarios les influences ou pressions des facteurs les plus importants, notamment les incendies, les défrichements, le surpâturage, les prélèvements de bois de feu et les plantations, afin de cerner tentativement la part de la forêt disparaissant, la part de dégradation progressive et les compensations par efforts de plantation et contrôle des pressions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11. Cinq formations forestières naturelles ont été prises en compte : les forêts denses aménagées, les forêts denses non-aménagées, les forêts ouvertes, les jachères forestières et les formations buissonnantes, pour la plupart des pays forestiers méditerranéens. Par manque de données détaillées, pour un certain nombre de pays, les régions méditerranéennes n'ont pu être considérées isolément (tels que l'Espagne, les pays des Balkans et la Turquie, où les forêts non-méditerranéennes constituent un capital forestier important et moins fragile que les forêts situées sur la façade méditerranéenne). En plus d'indications étayant utilement la réflexion prospective, le modèle construit peut fournir des résultats intéressants pour des zones forestières où les pressions sont exactement connues, mais ne peut être appliqué de façon quantitative ni au niveau d'un pays où les hétérogénéités sont très accusées, ni a fortiori au niveau d'une région aussi vaste et diversifiée que le bassin méditerranéen.

 

Figure 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12. De cet examen on peut déduire que, quelque soit le type de scénario macro-économique et de protection de l'environnement, l'évolution prévisible des forêts méditerranéennes est plus qu'inquiétante -même en l'absence de toute "surprise" défavorable- et que les tendances négatives sont en cours d'accélération.

13. Une telle évolution pourra devenir vraiment catastrophique pour un certain nombre de pays, ou ne pourra y être contrecarrée que par un effort considérable et prolongé de ces pays, agissant soit individuellement, soit de préférence de manière coordonnée et collective, mais impérativement le plus tôt possible, sous risque de voir se multiplier les évolutions irréversibles. Même si l'infléchissement des évolutions défavorables se fait progressivement sentir, les véritables bénéfices de ces efforts éventuels ne se manifesteront au mieux qu'au cours de la deuxième période des scénarios du Plan Bleu, c'est à dire entre 2000 et 2025.

 

UNE GESTION FORESTIERE EN VUE D'UN DEVELOPPEMENT DURABLE

14. La gestion des terres forestières méditerranéennes doit être entreprise dans une optique de développement durable. Cette optique est bien plus large que la simple conservation à l'état intact de certains massifs, dans un but esthétique, naturaliste ou muséographique. Il s'agit, en effet, de prendre conscience du fait que la saine gestion des ressources naturelles, et en particulier le maintien de leurs potentialités de reproduction, est une des bases indispensables du développement à long terme des économies et des sociétés.

15. Les perspectives d'avenir à prendre en compte pour cette gestion se fondent sur l'analyse des évolutions passées et des situations présentes. Parmi les tendances "lourdes" à moyen et long terme, il est raisonnable d'envisager les suivantes:

- Les agro-sylvo systèmes : la pression des populations rurales sur les terres forestières restera forte pendant de nombreuses années encore, au Sud et à l'Est du bassin. Il faut donc aider ces populations à trouver et à mettre en oeuvre des modes de gestion multiusages de ces espaces: ceux-ci leur permettront à la fois d'en tirer le maximum de ressources (bois de feu, bois de construction, fourrages et pâturages, productions animales et végétales diverses) et de conserver, voire d'accroître, la productivité à long terme de ces ressources. Même si, à plus long terme, une déprise forestière analogue à celle de certaines régions du Nord du bassin est envisageable, la gestion patrimoniale et intégrée des espaces forestiers du Sud et de l'Est est une priorité.

- Le tourisme continuera à se développer fortement autour de la Méditerranée. Il constitue, et constituera de plus en plus, une des activités économiques essentielles des régions côtières. Or, la qualité des paysages et des espaces forestiers est de plus en plus appréciée par les touristes et peut devenir un "avantage comparatif" décisif: il importe donc de veiller à ce que les équipements touristiques ne les détériorent pas. Ce problème se pose au Sud et à l'Est comme au Nord.

- Le commerce mondial du bois et des produits dérivés tend de plus en plus à s'internationaliser et à s'homogénéiser. Du point de vue de la production de bois pour le marché mondial, la plupart des régions méditerranéennes sont défavorisées (croissances lentes, sols fragiles, conditions d'exploitations difficiles). Cependant la production de bois peut présenter un grand intérêt, soit pour un approvisionnement local (dans le cadre des usages multiples évoqués plus haut), soit sur des sites particuliers (stations forestières fertiles et conditions d'exploitation faciles).

- Les fonctions écologiques globales de la forêt (maintien de la biodiversité, protection des eaux et des sols, stockage du carbone en excès dans l'atmosphère, régulation du climat) prendront une importance de plus en plus grande. Or, les forêts méditerranéennes, accueillent une faune et une flore riches et diversifiées, et sont susceptibles de stocker une biomasse carbonée très importante si elles sont bien protégées contre l'incendie. Elles présentent donc une valeur écologique globale élevée. Ce fait pourrait être un argument puissant si un jour ont lieu des péréquations internationales d'écotaxes perçues en application du principe pollueur-payeur ; la valeur écologique globale de ces forêts pourrait alors se révéler bien supérieure à leur valeur de production de bois.

Voies et moyens des politiques à long terme :

16. Il n'existe pas une manière unique de conduire une politique forestière à long terme, et chaque pays a sa propre approche. Malgré cette diversité, on peut définir un certain nombre de traits communs aux politiques de développement durable des espaces forestiers méditerranéens :

- La fixation d'objectifs clairs. Ces objectifs seront fort variables selon les pays, et mêmes dans chaque pays, selon les régions et les massifs. Sans objectifs clairs, il n'est pas possible de mettre en oeuvre des politiques efficaces. En retour, la clarté des objectifs permet l'évaluation des politiques publiques, que les gouvernements cherchent de plus en plus à promouvoir.

- L'intégration de la forêt dans le territoire. Cette intégration est particulièrement nécessaire dans les zones rurales des pays du Sud et de l'Est, où les terrains cultivés, pâturés ou boisés doivent être considérés comme un territoire unique, fournissant des ressources variées et complémentaires à l'économie locale. Mais elle est tout aussi importante dans les zones touristiques ou urbanisées, où la forêt est partie intégrante d'un paysage global. L'intégration rend également nécessaire l'harmonisation des politiques forestières avec les autres politiques de développement, notamment agricole, rural et touristique.

- L'association des habitants et des acteurs locaux à la gestion. Le succès d'une politique de gestion durable de la ressource forestière implique d'y associer tous ceux qui par leur action quotidienne ont une influence sur le développement, ou la régression, de cette ressource. Il faut que ces personnes, et tout particulièrement les habitants des zones rurales, aient admis le bien-fondé et la légitimité de cette politique, et qu'ils aient personnellement intérêt à sa réussite plutôt qu'à son échec. Dans le cas contraire, les délits se multiplient, et la coercition ne parvient pas à imposer durablement une politique rejetée par les habitants. Cette association oblige en particulier à une prise en compte très attentive des droits de propriété et des droits d'usages locaux.

- Le développement des connaissances et la mise en place d’indicateurs appropriés pour un suivi/évaluation. Ce développement concerne à la fois: les connaissances scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers méditerranéens, et sur les impacts des activités humaines ; les connaissance technologiques pour améliorer les méthodes de gestion et d'utilisation des ressources naturelles ; les connaissances sur l'état actuel des territoires que peuvent fournir la télédétection ou les inventaires forestiers ; la formation individuelle des hommes à tous les niveaux de responsabilité. Ces domaines sont sans doute ceux où la coopération entre pays riverains peut être la plus fructueuse ; elle en a d'ailleurs déjà donné des preuves nombreuses.

- Le renforcement d'une administration agissant selon une "culture administrative" du développement durable, caractérisée notamment par les traits évoqués ci-dessus. Dans les pays méditerranéens, les administrations forestières possèdent généralement une forte culture scientifique et technique, et un sens aigu de l'importance du long terme ; en revanche il leur est parfois reproché de trop se limiter aux aspects strictement sylvicoles, et de perdre quelque peu de vue l'ensemble du territoire dont les forêts font partie, ainsi que les utilisateurs des usages multiples dont elles sont la source. Ces administrations sont donc conviées à renforcer leur action dans le sens d'une plus grande intégration des territoires et des usagers.

- La mise en place des moyens suffisants en personnel et en financement. Ces moyens ne sont pas nécessairement très onéreux, si les objectifs sont bien définis, si les connaissances appropriées sont disponibles, et surtout si l'adhésion des habitants et des acteurs locaux est acquise: cette adhésion peut en effet fournir à l'administration des relais très efficaces pour la réalisation concrète, sur le terrain, de ces objectifs de développement durable.

17. En conclusion, l'avenir des terres forestières méditerranéennes reste très préoccupant, surtout au Sud et à l'Est du bassin, mais les gouvernements et les administrations forestières y feront d'autant mieux face qu'ils sauront définir des objectifs clairs de développement durable, et entraîner l'adhésion des habitants et des usagers locaux. Cela renforce l’utilité d’un nouvel exercice de prospective forestière dans la région.

 

 

 

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