Page précédente Table des matières Page suivante


Les aires protégées transfrontalières

Christian du Saussay

CHRISTIAN DU SAUSSAY enseigne le droit administratif à la faculté de droit de l'université de Nice. Il est spécialiste de la législation internationale en matière de parcs nationaux et de réserves naturelles.

Si l'on considère un planisphère sur lequel figurent les parcs et réserves naturels comme autant de points, on verra au premier coup d'œil que nombre d'entre eux se situent dans les zones frontalières, surtout en Europe et en Afrique.

Plusieurs raisons se conjuguent pour expliquer cette répartition. En premier lieu, les régions frontalières sont souvent les moins peuplées. C'est par conséquent là qu'il est le plus facile de restreindre la chasse, les activités économiques ou l'urbanisation pour protéger de vastes espaces naturels. En second lieu, les régions frontalières sont fréquemment celles qui offrent les domaines naturels les plus intéressants à conserver. Parce qu'elles ont moins subi les pressions démographiques millénaires, les espéces pourchassées partout ailleurs y ont trouvé refuge. Les paysans y ont moins souffert des transformations et agressions dues à l'activité humaine. De plus, lorsque les frontières suivent les lignes de faite de massifs montagneux, elles traversent un milieu particulier abritant une faune et une flore spécifiques qu'il convient de préserver.

Dés lors que les zones limitrophes apparaissent comme des lieux privilégiés pour la création de parcs ou de réserves, l'idée s'impose de rapprocher ceux-ci et de former de larges ensembles transfrontalièrs affectés à la protection de la nature.

En effet, il s'y attache plusieurs intérêts. Le premier concerne les relations internationales dans la mesure où la création d'aires transfrontalières offre une belle occasion de renforcer la coopération entre les Etats et leurs liens bilatéraux. Certes, cette considération n'est pas directement liée à notre propos, mais elle est exprimée avec force dans divers textes juridiques et mérite d'être mentionnée ici. On citera, à titre d'exemple, la recommandation du 22 janvier 1970 dans laquelle l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe affirme que la «multiplication de... parcs régionaux suprafrontaliers serait susceptible de renforcer l'esprit de coopération et de solidarité parmi les peuples européens»1. De même le Congrès des Etats-Unis, lorsqu'il autorise la création, en accord avec le Canada, du Waterton-Glacier International Peace Park déclare avoir eu dessein de rappeler de façon permanente les relations de paix et de bienveillance existant de longue date entre les peuples et les gouvernements du Canada et des Etats-Unis. Au demeurant le terme «peace» que l'on retrouve dans le nom d'une autre aire protégée contiguë: l'International Peace Garden, commun au Manitoba et au Dakota du Nord, est par lui-même éloquent.

1 Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, 21e session ordinaire, Recommandation 587 (1970) relative à la création de parcs naturels régionaux et de parcs naturels suprafrontaliers.

Sans quitter le domaine des relations internationales, tout en abordant celui de la conservation de la nature, on peut relever que la protection d'un parc frontalier sera d'autant mieux assurée que l'Etat voisin lui donnera un prolongement sur son propre sol. Certains pays, notamment en Afrique, ne disposent pas de moyens administratifs suffisants pour protéger la faune avec un égal succès sur l'ensemble de leur territoire. Ils sont donc amenés à concentrer leurs efforts sur telle ou telle zone. Dans ces conditions les aires frontalières sont exposées aux incursions des braconniers venus de l'extérieur sans que l'Etat dont ces derniers ressortissent tente grand-chose pour y parer. Si l'on veut inciter cet Etat à mettre en œuvre les forces de police nécessaires pour prévenir les exactions de ses nationaux, la voie la plus sûre semble être de l'amener à créer un parc contigu. On pourra espérer alors que les deux riverains y ayant un égal intérêt conjugueront leur action pour l'ensemble transfrontalier.

Ainsi, les Français en trouvent un exemple tout proche d'eux: leurs voisins italiens constatant que les bouquetins qu'ils protégeaient dans le Gran Paradiso étaient chassés ou braconnés dès qu'ils passaient en France, se sont efforcés pendant longtemps d'empêcher ces animaux de franchir la frontière. Ce problème n'a reçu une solution satisfaisante qu'avec l'institution en France du parc national de la Vanoise.

L'intérêt de parcs ou réserves contigus2 est évident chaque fois que la frontière partage artificiellement un massif montagneux, le territoire de parcours d'une espèce ou toute autre unité naturelle digne de protection.

² La contiguïté sera entendue ici comme s'appliquant à des aires situées de part et d'autre d'une frontière internationale.

Enfin la contiguïté présente l'avantage d'une plus grande rentabilité. Pour un minimum d'entraves aux activités humaines dans chaque Etat, un maximum d'espace est laissé à la nature qui ignore les frontières. Le parc national de la Vanoise couvre 53000 ha; avec les 62000 ha du parc italien, c'est un domaine de près de 120000 ha d'un seul tenant qui est affecté à la conservation de la nature.

Devant les perspectives qu'ouvrent les aires protégées transfrontalières, le juriste est tenté d'y transposer, sinon la notion d'établissement public international, du moins les arrangements régissant les portions de territoire d'intérêt commun entre deux Etats, telles que les pêcheries dans les cours d'eau frontaliers3.

3 Voir H.T. Adam. Les établissements publics internationaux. Paris, L.G.D.J., 1957. page 40 et seq.

En réalité, s'il est vrai que les Etats recherchent une contiguïté transfrontalière dans l'établissement des aires protégées, la coopération bilatérale dans l'organisation et la gestion de ces mêmes aires demeure le plus souvent très modeste.

Les différentes manières dont ont été établies les aires protégées transfrontalières vont de la simple succession de décisions unilatérales à l'application de traités bilatéraux en bonne et due forme. Pour simplifier nous ramènerons les divers degrés offerts par la pratique à quatre cas de figure.

La contiguïté, fruit de décisions unilatérales

Il suffit de rapprocher les dates de création des parcs contigus pour constater que fréquemment l'initiative d'un pays a précédé de plusieurs années celle de son voisin. Le premier a établi un parc frontalier de son propre mouvement, sans consultation aucune du riverain. Le second a complété l'œuvre d'une manière tout aussi unilatérale. Mais si rien ne distingue juridiquement la situation de semblables parcs, du moins résulte-t-elle d'une sorte de dialogue officieux entre les autorités des deux pays. La considération pour l'autre a été déterminante dans la création du second parc. Le phénomène est confirmé avec encore plus de netteté lorsqu'on voit le premier pays corriger les limites de son parc de façon à accroître la longueur de la mitoyenneté.

C'est exactement l'évolution du complexe franco-italien. Les Italiens ont créé le parc national du Gran Paradiso en 1922 à partir d'une réserve de chasse royale. Dès 1936, les milieux scientifiques et cynégétiques français se sont préoccupés de constituer une réserve pour le bouquetin destinée à prolonger sur le versant français la protection de cette espèce, assurée du côté italien. L'opposition des populations locales n'a pas permis à ce projet d'aboutir. Mais il a été repris plus tard pour aboutir à l'institution, en 1963, du parc national de la Vanoise. Les limites communes s'étendaient alors sur six km. Très rapidement est apparu le souci d'allonger la ligne de contact entre les deux aires protégées. Moins d'un an après le classement de la Vanoise, les 5 et 6 novembre 1964, une conférence d'experts italiens et français concluait à la nécessité d'une extension territoriale du côté italien. Le même souhait était exprimé lors des cérémonies de jumelage des deux parcs en 1972. L'extension souhaitée a finalement été menée à bien par les autorités de la Région Piémont qui, au mois d'août 1974, ont déclaré «oasis de protection et de refuge de la faune», ce qui implique un régime de protection stricte, quelque 2400 ha, portant ainsi la frontière commune à 14 kilomètres.

Il y a d'autres cas de parcs qui ne sont ou n'étaient pas initialement contigus, mais simplement rapprochés. Le parc national suisse a été fondé en Engadine sur la frontière avec l'Italie en 1914. L'Italie a établi le parc national du Stelvio en 1935 non loin de l'Engadine, mais sans contact avec le parc suisse. En 1974, à l'occasion d'un agrandissement des limites du Stelvio, un large corridor a été ménagé pour permettre la jonction entre les deux parcs.

De même, le parc national espagnol d'Ordessa a été créé en 1918, celui des Pyrénées centrales en 1967. Le premier se trouve à une distance moyenne de deux km de la frontière, le second la jouxte. Des plans sont envisagés depuis lors en vue de mettre les deux parcs en contact direct4. Dans l'immédiat, la contiguïté est assurée par une suite quasi ininterrompue de réserves nationales de chasse espagnoles le long de la frontière.

4 Ce projet a fait l'objet d'un rapport de Kai-Curry-Lindahl lors de la conférence sur les parcs nationaux tenue à Calgary (Canada) en 1968. (Nelson et Scace, éd. 1968.) The Canadian National Parks: today and tomorrow. Proceedings of a Conference held in Calgary (Alberta) 9-15 octobre 1968. 2 vols. (University of Calgary).

Ainsi, alors même qu'elle résulte de pures décisions unilatérales, la contiguïté traduit cependant une certaine concertation. Un pas est franchi lorsqu'elle reçoit une sanction juridique bilatérale.

La contiguïté reconnue juridiquement

Il arrive que la contiguïté soit établie unilatéralement dans une première étape et qu'elle fasse ultérieurement l'objet d'une reconnaissance juridique par les Etats intéressés.

Tel est le cas pour le Waterton-Glacier International Peace Park. Le Canada a, dès 1895, classé comme parc national une zone de 51950 ha limitée au sud par la frontière avec le Montana, sous le nom de Waterton Lakes National Park. En 1910 les Etats-Unis ont instauré à leur tour le Glacier National Park, de 405211 ha. Les deux entités contiguës forment un ensemble homogène traversé par une frontière qui paraît d'autant plus artificielle qu'elle est strictement rectiligne. Les mesures de protection sont identiques, la propriété des sols est publique de part et d'autre, enfin les deux administrations, le U.S. National Park Service et le Canadian National Park System se ressemblent presque en tous points. En 1932, les deux pays ont décidé de réunir les deux aires en un parc international dit Waterton-Glacier International Peace Park.

Toutefois, ce titre ambitieux ne doit pas tromper. Le nouveau parc ne résulte pas d'un traité mais de deux lois adoptées, l'une le 2 mai par le Congrès des Etats-Unis, l'autre le 26 mai par le Parlement canadien. De plus, chacun des composants a conservé son identité nationale et le parc international ne dispose d'aucune institution propre.

On retrouve une situation analogue dans le cas de la frontière polono-tchécoslovaque où pourtant un traité a ouvert la voie à l'établissement des parcs contigus.

LE MONTECRISTO OU PARC TRIFINIO, UNE FORÊT DE BROUILLARD ENJAMBANT LES FRONTIÈRES DU GUATEMALA, DU EL SALVADOR ET DU HONDURAS - chercher à harmoniser les conditions matérielles, juridiques et psychologiques

La contiguïté préparée par des accords bilatéraux

La Pologne et la Tchécoslovaquie font figure de pionniers dans le domaine des parcs contigus.

En effet, après que ces deux pays eurent réglé un litige frontalier dans la période de l'entre-deux-guerres, ils passèrent ensemble en 1925 un accord dit Protocole de Cracovie qui prévoyait la création d'aires protégées limitrophes et une convention touristique pour y faciliter l'accès des visiteurs.

Le statut de ces aires a connu diverses vissicitudes et ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale qu'ont été créés les trois parcs polono-tchécoslovaques des Tatras, de Pieniny et de Karkonosze. On retrouve ici encore des décalages comme ceux qui ont été observés précédemment dans l'éta blissement des aires. Le parc national des Tatras a été créé en 1948 côté tchécoslovaque et en 1954 côté polonais. Celui de Pieniny en 1967 et 1954 respectivement, celui de Karkonosze en 1963 et 1959. Encore convient-il de préciser qu'en dépit du protocole de Cracovie, selon une lettre adressée à l'auteur par le directeur du parc de Karkonosze, aucun contrat officiel n'est établi entre les parcs.

En définitive, rares sont les situations où la contiguïté résulte d'une action bilatérale officielle.

La contiguïté, fruit de décisions bilatérales

Il existe quelques exemples de parcs ou réserves dont l'établissement lui-même a fait l'objet d'un accord international.

On citera en premier, vu leur situation tout à fait exceptionnelle, le parc du W et le complexe formé par le parc national de la boucle de la Pendjani et la réserve de faune d'Arly. Il s'agit là, en effet, de legs de l'administration coloniale française.

On sait que, sous l'impulsion de la conférence de Londres, tenue en 19335, les puissances européennes ont institué dans les territoires africains placés sous leur responsabilité, une politique de création d'aires protégées souvent antérieures à leurs premières réalisations métropolitaines dans ce domaine.

5 Convention relative à la conservation de la faune et de la flore à l'Etat naturel signée à Londres le 8 novembre 1933.

C'est ainsi qu'en 1954, le gouvernement de l'Afrique occidentale française a fondé le parc du W. qui tient son nom d'un double méandre que fait, à cet endroit, le fleuve Niger. Ce parc couvre une superficie totale de l132000 ha dont 502000 sont situés sur le sol de l'actuel Bénin (anciennement Dahomey), 300000 au Niger et 330000 en Haute-Volta.

La même année, l'administration française a classé le parc national de la boucle de la Pendjani, au Dahomey (maintenant Bénin), et la réserve de faune contiguë d'Arly, en Haute-Volta. Lors de leur accession à l'indépendance, en 1960, les Etats intéressés ont conservé cet ensemble d'aires protégées qui relèvent ainsi désormais de souverainetés distinctes.

Tout aussi singulier est le cas du Roosevelt Campobello International Park. Campobello, malgré la consonance latine de son nom, est une petite île de l'Atlantique située, non loin de Calais (Maine), dans les eaux du Nouveau-Brunswick à la frontière entre les Etats-Unis et le Canada. Le président Franklin Roosevelt en avait fait sa résidence d'été. Désireux de préserver les souvenirs attachés à cet homme d'Etat, les gouvernements du Canada et des Etats-Unis ont passé le 22 janvier 1964 un accord donnant à l'île le statut de parc international6. Mais il s'agit d'un parc d'intérêt purement historique et l'exiguïté du territoire classé interdit toute comparai son utile avec les aires contiguës bénéficiant de mesures de protection.

6 Cet accord a été suivi d'une loi de l'Assemblée provinciale du Nouveau-Brunswick permettant d'acquérir le terrain nécessaire. La ratification a été autorisée par la loi canadienne du 30 juin 1964.

Si la distinction est évidente sur le plan juridique, entre contiguïté résultant de décisions unilatérales et contiguïté instituée par un accord international, elle peut être considérablement estompée quand il y a concertation entre Etats désireux de protéger une même zone frontalière. L'illustration en est fournie par les programmes franco-italiens dans les Alpes méridionales.

L'établissement d'aires protégées limitrophes s'effectue par des procédures unilatérales. Mais, d'une part, celles-ci se déroulent simultanément et, d'autre part, elles tiennent officiellement compte de l'action entreprise par le partenaire. C'est ainsi qu'est justifiée la configuration du parc national du Mercantour. On a cru pouvoir ménager, en France, les possibilités économiques de la région en morcelant le territoire du parc en quatre «noyaux» dont trois sont accotés à la frontière italienne. Le désenclavement de ces trois «îlots»sera assuré par l'Italie. En effet, comme l'explique une note de la Direction de la protection de la nature7 «lorsque le parc national italien contigu à la frontière sera réalisé, il assurera la continuité entre les noyaux dénommés dans l'avantprojet Mercantour vrai et Haute-Tinée Lauzanier et il rattachera le noyau Alpes ligures à un territoire protégé beaucoup plus étendu». Et l'auteur de la note d'ajouter: «Lorsque l'ensemble du dispositif sera mis en place, aussi bien en Italie qu'en France..., il y aura dans les Alpes méridionales... un vaste parc international comportant trois zones protégées de plusieurs centaines de kilomètres carrés chacune.»

7 Mise au point concernant les projets de délimitation et de réglementation du parc national du Mercantour - mars 1977 - note annexée au dossier de présentation de l'avant-projet du parc national du Mercantour.

Les trois îlots sont:

- Entièrement en France: le massif sédimentaire mont Pelat-mont Mounier.

- Pour partie en France et pour partie en Italie: le massif cristallin Argentera-Mercantour.

- Essentiellement en Italie - mais le point culminant est en France: le massif des Alpes ligures complètement différent des précédents.

Mais les choses ne se présentent pas tout à fait de la même façon du côté italien et les projets de l'Italie n'ont pas toute la précision que laisse supposer la lecture de la note citée sur le Mercantour.

Le noyau Mercantour jouxte la réserve de chasse italienne de Valdieri-Entracque qu'on a proposé de transformer en parc national. Dans l'immédiat, la Région Piémont en a inscrit le territoire à son plan régional de parcs et réserves naturels.

Pour apprécier la portée de cette mesure, il faut savoir que la législation régionale piémontaise a institué un mécanisme à deux temps. L'inscription au plan régional entraîne une protection immédiate de l'aire, mais pour une période de cinq ans seulement. Pendant ce délai, l'autorité régionale devra adopter une loi constitutive pour que l'aire soit définitivement classée.

De son côté, la Région Ligurie a prévu la création d'un parc naturel des Alpes-Maritimes contigu à la zone de pré-parc du parc national français.

Enfin, le Ministère de l'agriculture italien envisage la création d'un parc national des Alpes-Maritimes qui prolongerait vers le sud le parc de Valdieri-Entracque et serait contigu au parc français.

Sans doute, la liaison prévue entre les noyaux du parc du Mercantour sera-t-elle ainsi assurée. Toutefois, à la lumière des documents dont nous avons disposé, le problème de la continuité reste posé par le noyau nord du parc français (Haute-Tinée).

L'idée de parcs transfrontaliers est manifestement séduisante et la concertation entre Etats frontaliers devrait permettre d'aboutir à d'aussi bons résultats que la conclusion parfois délicate d'accords internationaux.

La contiguïté transfrontalière dans la gestion des aires protégées

La Convention de Londres, conclue en 1933, invitait les Etats à collaborer à la gestion des parcs et réserves contigus8. Dans le même sens, la Convention de Ramsar de 1971 sur les zones humides dispose (article 5) que les parties contractantes se consulteront sur l'exécution des obligations découlant de la convention, particulièrement dans le cas d'une zone humide s'étendant sur les territoires de plus d'une partie contractante ou lorsqu'un bassin hydrographique est partagé entre plusieurs parties contractantes. Elles s'efforceront en même temps de coordonner et de soutenir activement leurs politiques et réglementations présentes et futures relatives à la conservation des zones humides, de leur flore et de leur faune.

8 La Convention de Londres a été progressivement remplacée, au fur et à mesure des ratifications et adhésions, par la Convention d'Alger du 15 septembre 1968 sur la conservation de la nature et des ressources naturelles. Cette dernière est curieusement beaucoup plus vague sur le point qui nous intéresse. Son article XVII se contente de prévoir une coopération interétatique «pour donner plein effet aux prescriptions de la présente Convention, et... chaque fois qu'une mesure nationale est susceptible d'affecter les ressources naturelles d'un autre Etat».

Les avantages d'une telle coopération sont particulièrement sensibles lorsqu'il s'agit de la gestion de la faune, de l'ouverture au public ou de l'harmonisation des mesures de protection.

En ce qui concerne la faune, il s'agit tout d'abord de connaître ses espèces et leurs biotopes, et pour ce faire, d'échanger des renseignements scientifiques ou d'organiser des études communes et enfin veiller à l'équilibre des populations animales. La coordination des actions est précieuse, voire indispensable pour lutter avec succès contre une épizootie ou tenter la difficile réintroduction d'une espèce disparue.

Enfin, il convient de collaborer dans la répression du braconnage.

Pour le public on peut concevoir la possibilité de parcours franchissant les frontières sans formalités fastidieuses. Il est également souhaitable de coordonner les moyens mis en œuvre pour faciliter la compréhension de la nature, depuis les expositions commentées jusqu'aux simples brochures ou dépliants touristiques.

Le plus difficile sera sans doute de parvenir à une certaine unité dans les mesures de protection applicables aux aires transfrontalières, car on touche ici aux compétences législatives et réglementaires des Etats.

Il est cependant certain que la dégradation d'un parc par des constructions immobilières ou toute autre activité humaine nuisible à la conservation de la nature ne s'arrêtera pas à la frontière. Il existe entre deux aires protégées contiguës une solidarité objective. L'autorité responsable de l'une ne peut se désintéresser des normes juridiques ou décisions individuelles applicables à l'autre.

C'est d'ailleurs bien ce qu'exprime la recommandation précitée de l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe lorsqu'elle constate que «les législations nationales en matière de parcs naturels régionaux sont encore très différentes et n'offrent, le plus souvent...(pas)... les conditions nécessaires à la création de parcs suprafrontaliers».

La collaboration interétatique dans ces domaines ne peut s'exercer que sous la forme d'une coopération entre des entités juridiques distinctes. Même lorsque les Etats s'accordent pour placer leurs aires contiguës sous la dénomination commune de parc national, chacune de celles-ci conserve son individualité juridique et son administration nationale. Pour prendre un exemple, la loi américaine instituant le Waterton-Glacier International Peace Park spécifie dans sa section 2 qu'en ce qui concerne l'administration, la promotion, la mise en valeur, les acquisitions foncières la partie du susdit Waterton-Glacier International Peace Park située sur le territoire des Etats-Unis sera dénommée Glacier National Park.

En d'autres termes, l'aide demeure sous la responsabilité du National Park System9 pour le côté américain.

9 Cette dualité juridique est d'ailleurs prolongée par une séparation physique. En application des traités du 11 avril 1908 et 24 février 1925 concernant la frontière américano-canadienne une commission internationale frontalière a pour mission d'entretenir les installations marquant la frontière et d'y maintenir une zone dépourvue de toute végétation masquant la vue. Cette commission n'a fait aucune exception pour le parc international au travers duquel s'étire le ruban rectiligne d'un sol que l'on conserve nu sur une largeur de 50 pieds (côté américain) en vaporisant du picloran. (Note intitulée Wilderness and International Boundary Areas adressée à l'auteur par le U.S. National Park Service). Le Roosevelt Campobello International Peace Park pourrait apparaître comme une exception dans la mesure où il est administré par une commission paritaire et financé par des contributions des deux Etats. Mais il s'agit d'un musée géré internationalement sur un minuscule territoire mis à la disposition de ce service public par le gouvernement canadien. Son cas s'apparente plus à celui des établissements publics internationaux qu'aux aires protégées transfrontalières.

Dans ces conditions, il importe de savoir comment s'établissent les relations de coopération pour la gestion des aires transfrontalières. Les solutions concrètes sont très variées. On peut les ramener à trois grands types, selon que la coopération résulte de simples pratiques, qu'elle emprunte les mécanismes frontaliers généraux ou qu'elle dispose d'institutions propres.

La coopération de fait

Les relations de fait qui peuvent exister entre deux parcs contigus s'apparentent aux rapports de bon voisinage. Leur évolution dépend largement de la personnalité des autorités responsables des parcs et elles ne trouvent guère à se manifester que d'une façon très ponctuelle. Prenons le cas des parcs nationaux de la Vanoise et du Gran Paradiso, qui ont été jumelés en 1972 comme indiqué plus haut.

Voici quels ont été leurs rapports: les directeurs des deux entités se sont rencontrés à diverses reprises. Les gardes de chaque parc ont effectué quelques raids sur le territoire de l'autre. Du côté français, ces agents ont été mis en congé hors service. Une équipe scientifique italienne a été invitée en France pour débattre des problèmes de la faune avec les experts français. Quelques semaines après, une réunion du même type s'est tenue en Italie. Les Italiens ont également participé à une réunion scientifique à l'Ecole nationale vétérinaire de Lyon.

On note de même le concours obligeamment prêté par un spécialiste italien, en 1975, pour anesthésier au fusil un bouquetin afin de permettre de diagnostiquer une épizootie qui avait entraîné la mort de quelque vingt-cinq individus côté français10.

10 Les faits rapportés ont été notés au cours d'entretiens que les directeurs des parcs du Gran Paradiso et de la Vanoise ont bien voulu accorder à l'auteur.

Ce bref compte rendu, même s'il est incomplet, met en évidence les limites d'une coopération de fait. Des problèmes se posent cependant aux deux parcs, dont la solution serait grandement facilitée par une concertation. Ainsi les Italiens prohibent le pâturage des ovins dans le parc car ils les tiennent pour des vecteurs de maladies susceptibles d'affecter la faune sauvage. Les Français qui ne partagent pas cette opinion admettent au contraire le pâturage des ovins. Il serait souhaitable qu'une confrontation des thèses scientifiques en présence permette d'arrêter une position commune à cet égard. De même serait-il opportun de coordonner les mesures de lutte contre la rage vulpine qui a fait son apparition dans le Gran Paradiso. La coopération est encore indispensable pour l'étude des déplacements transfrontaliers des animaux ou la réintroduction d'espéces disparues. L'échec de la réacclimatation, en 1975, d'un couple de lynx tentée par l'Italie en est un exemple, l'un des animaux ayant été retrouvé mort dans la région de Chambéry.

On ne peut guère attendre une évolution empirique de la coopération de fait. Celle-ci bute en effet sur les principes du droit public et se trouve freince par les difficultés administratives. Pour que le directeur français se rende en Italie ès qualité, il lui faut un ordre de mission de son ministre visé par le contrôleur financier, cependant que l'organisation matérielle du déplacement est prise en charge par le Ministère des affaires étrangères. Toute action de coopération suppose des dépenses et rien n'est prévu pour en assurer le financement.

Les associations privées, par la liberté dont elles jouissent, pourraient avoir un rôle utile en offrant des possibilités de concertation officieuse et en constituant des groupes de pression communs aux deux parcs. Il ne semble pas que ce moyen ait été exploité dans le cas qui nous occupe.

La coopération au travers des mécanismes frontaliers généraux

Le voisinage international suscite un certain nombre de problèmes que les Etats s'efforcent de résoudre par l'institution de commissions mixtes ou la conclusion de conventions frontalières. A défaut d'organes de coopération propres aux parcs et réserves contigus, on peut s'appuyer sur ces mécanismes frontaliers généraux pour régler des questions d'intérêt commun.

La France et l'Espagne se sont ainsi dotées d'une Commission internationale des Pyrénées qui, depuis le dix-neuvième siècle, exerce une compétence générale pour régler les problèmes frontaliers et s'est même vu dans certains cas reconnaître des pouvoirs de décision. Cette commission est à l'heure actuelle le cadre dans lequel se négocie un accord pour la répression du braconnage et autres infractions au droit de chasse. La France est également partie à la Commission franco-germano-helvétique, créée le 5 mai 1975 à Bonn pour l'examen des rapports de voisinage dans les régions frontalières du Rhin supérieur. On relèvera, parmi les compétences de cette commission, l'environnement et l'aménagement du territoire.

D'autres types de conventions sont susceptibles de rendre des services dans la gestion des aires contiguës, en particulier les accords en matière d'environnement. A titre d'exemple, on citera l'article 16 de l'accord du 29 décembre 1949, conclu entre la Norvège et l'U.R.S.S., prévoyant une coopération dans tous les domaines liés à la protection du gibier et des oiseaux et l'établissement de saisons de chasse identiques sur certaines parties de la frontière11

11 Voir Alexandre Kiss, Survey of current development in international environmental law. I.U.C.N. Environmental Policy Law Paper n° 10, Morges 1976. p. 90.

La coopération dotée de ses propres institutions

Les institutions de coopération entre les aires protégées transfrontalières peuvent être communes à un ensemble de parcs et réserves situés dans une même région ou restreintes à une seule unité que forment deux aires contiguës.

La première formule a été adoptée par le Niger, le Bénin et la Haute-Volta. Héritiers des vastes aires protégées créées par l'administration française, ces trois pays se sont efforcés d'organiser une coopération pour gérer ce patrimoine en utilisant le cadre offert par le Conseil de l'Entente dont ils sont membres. Il s'agit d'une organisation internationale régionale instituée en 1959 à Abidjan, dont les compétences très étendues embrassent le développement économique, la coopération technique et la politique étrangère. Par une décision des chefs d'État du 26 février 1976, on a nommé au sein du Comité technique interétatique du tourisme du Conseil de l'Entente une Commission de coordination des parcs et réserves à laquelle sont représentés tous les Etats Membres, c'est-à-dire outre les trois pays précités, le Togo et la Côte-d'Ivoire.

Cette commission a pour programme de renforcer la lutte contre le braconnage, problème aigu en Afrique, de former conjointement des gardes, d'harmoniser les législations et de rechercher des sources de financement. En réalité, il semble que les parcs et réserves contigus dans cette région, et en particulier le W. connaissent des difficultés qui n'ont pas encore été surmontées. Le plan de création d'une autorité unifiée pour l'administration du parc du W soumis aux trois gouvernements intéressés en 1965 n'est pas entré en application12,

12 Voir United Nations list of national parks and equivalent reserves. Edition de 1971. page 370.

Il ne suffit pas, en effet, que la coopération transfrontalière harmonise les législations ou assure une concertation des politiques, encore faut-il que les questions de gestion qui se posent quotidiennement aux autorités des parcs reçoivent des solutions coordonnées. C'est pourquoi il paraît souhaitable, en tout état de cause, que des organes communs soient établis dans chaque cas.

Les parcs polonais et tchécoslovaques ont organisé leur coopération en échangeant régulièrement des informations écrites, en tenant des sessions régulières communes des conseils scientifiques, ainsi que des rencontres des membres de leurs directions pour résoudre les problèmes urgents.

De même, le traité de Clervaux a institué pour le parc naturel germano-luxembourgeois une Commission mixte paritaire de huit membres qui doit se réunir deux fois par an.

Les modalités de la coopération s'articulent sur plusieurs niveaux. En premier lieu, elle suppose la communication des renseignements et documents, qu'il s'agisse de textes juridiques, d'études scientifiques ou de documentation touristique. En deuxième lieu elle s'exprime par une concertation scientifique ou administrative au sein des organes mixtes paritaires. Ces institutions n'ont aucun pouvoir de décision. On peut prévoir qu'elles seront obligatoirement consultées avant que ne soient prises certaines décisions. Elles peuvent être habilitées à connaître des problèmes de leur propre chef et à émettre des recommandations proprio motu13, mais restent toujours dans les limites de pouvoirs consultatifs.

13 Dans ce sens, l'article 4 du traité de Clervaux prévoit que «...2°) les gouvernements des pays contractants communiqueront à la commission les plans d'aménagement concernant le parc naturel; 3°) la commission soumet aux gouvernements des pays contractants des projets en vue d'un aménagement ultérieur du parc naturel et d'une harmonisation des mesures qui seront prises de part et d'autre...». L'article 5 permet à la commission d'émettre des recommandations concernant la délimitation du parc naturel.

Les décisions ayant un effet juridique contraignant demeurent réservées à chaque autorité nationale ou aux accords internationaux. Dans ce dernier cas, la prudence commande de limiter dans le temps la portée de l'accord. C'est ainsi que si le traité de Clervaux institue l'obligation pour chacun des contractants de ne pas diminuer la superficie totale des forêts ou de préserver les paysages d'une beauté exceptionnelle sur le territoire du parc germano-luxembourgeois, son application est restreinte à une période de dix ans, susceptible naturellement d'être reconduite.

Enfin, la coopération peut comporter des entreprises conjointes ou des prestations de service ponctuelles. Celles-ci ne sauraient faire l'objet d'une institutionnalisation contraire au principe de la distinction des entités juridiques contiguës.

Parce qu'elle est éminemment souhaitable, la coopération entre les parcs et réserves transfrontaliers doit faire l'objet d'accords internationaux sans lesquels elle ne peut véritablement se développer. Elle doit être recherchée mais avec prudence dans les domaines où les conditions matérielles juridiques et psychologiques sont propices au succès. Il pourrait s'agir, dans le cas des frontières françaises, de la recherche scientifique et de la réglementation de l'ouverture au public.


Page précédente Début de page Page suivante