M. Chudnoff et R.L. Youngs
ROBERT L. YOUNGS est directeur du laboratoire des produits forestiers du US Forest Service, Madison (Wisconsin). MARTIN CHUDNOFF étudie les propriétés technologiques des bois dans ce même laboratoire.
Les forêts tempérées et tropicales ont les unes et les autres une flore arborescente riche, mais dans les zones tempérées un petit nombre seulement d'essences forme la majeure partie du matériel sur pied et des volumes exploités. On peut par conséquent extraire un fort volume de bois marchands sur une superficie relativement faible. Dans une grande partie de la zone tropicale, l'exploitation s'est aussi concentrée sur un petit nombre d'essences, mais elle ne porte que sur de faibles volumes de bois répondant aux exigences des marchés locaux et étrangers. Il arrive fréquemment que 90 pour cent des volumes sur pied soient composés d'un mélange de centaines d'essences considérées comme non utilisables. Pour ajouter encore à ce faible taux d'utilisation, on ne dispose d'aucun mode de traitement sylvicole qui soit économiquement intéressant en vue de maintenir les disponibilités de la plupart des essences de valeur.
La tradition
Depuis le début du siècle on étudie les propriétés physiques, mécaniques, chimiques et anatomiques de milliers de bois, dont la plupart sont des essences tropicales. On constate qu'il existe peu de rapport entre la masse d'informations techniques disponible et les débouchés possibles d'une essence ou d'un groupe d'essences. Que les procédures d'essais soient normalisées ou non n'entre sans doute pas en ligne de compte.
Les caractéristiques des essences marchandes les plus recherchées, provenant des forêts d'Amérique tropicale, d'Afrique occidentale et du Sud-Est asiatique, montrent une diversité remarquable de propriétés, variant d'un extrême à l'autre en ce qui concerne par exemple la valeur esthétique, les résistances mécaniques, la durabilité la facilité d'usinage, les conditions dé séchage. Les seules caractéristiques communes à toutes ces essences prisées sont les grandes dimensions des grumes et la plus grande fréquence en forêt. Ainsi, sur 4000 essences forestières rencontrées aux Philippines, seules 316 sont classées comme grands arbres et 60 seulement sont disponibles en grandes quantités. D'un point de vue commercial, les dimensions et l'abondance d'une essence donnée sont plus déterminantes que les propriétés technologiques du bois.
L'utilisation finale
Etant donné que la plupart des essences peu utilisées sont rares et très dispersées, on s'efforce d'accroître les volumes disponibles en groupant les essences ayant des propriétés semblables pour une utilisation finale donnée. En Australie on a mis au point des systèmes permettant de grouper de nombreuses essences en un petit nombre de catégories de bois de construction. Des recherches sont menées dans ce pays et en Angleterre en vue de définir les caractéristiques d'usinage et d'emploi pour des utilisations finales telles que menuiserie, parqueterie et construction navale. L'analyse des principaux composants du bois est utilisée en France et au Japon pour mieux définir les possibilités d'utilisation finale d'une essence ou d'un groupe d'essences. Mais cela résoudra-t-il le problème? Il y a une trentaine d'années des essais complets ont été effectués sur une trentaine d'essences provenant d'un pays d'Amérique du Sud, toutes disponibles en quantités appréciables, ce qui permit d'identifier des caractéristiques convenant à un large éventail d'utilisations finales et de grouper plusieurs essences dans une même catégorie. Pourtant cinq seulement de ces essences font actuellement l'objet d'une exploitation commerciale.
Le bois, de même que les autres ressources naturelles, est généralement utilisé dans l'ordre décroissant de valeur économique. Cela est vrai de la consommation intérieure aussi bien que de l'exportation sur les marchés étrangers. L'expérience démontre que la forte consommation actuelle de bois n'entraînera pas forcément une pénurie dans l'avenir, mais plutôt une hausse continue des coûts du fait que l'on est amené à utiliser une matière première de qualité toujours inférieure. Ces facteurs nous incitent à rechercher des techniques qui permettent de retarder la hausse des coûts par les moyens suivants:
· Substitution d'essences (acajou d'Afrique au lieu de mahogany; light red meranti au lieu d'okoumé).· Recherche d'économies sur la matière première (conversion des noyaux de déroulage en sciages, conversion des résidus en panneaux, substitution de placages de palissandre au bois plein).
· Recherche de techniques de production entièrement différentes (évolution de l'industrie des pâtes et papiers qui doit passer de l'utilisation d'un petit nombre d'essences convenant à un seul procédé de trituration à la totalité des essences se prêtant à plusieurs procédés).
Les progrès techniques, grâce auxquels on peut unifier la source de matière première comme dans la fabrication de la pâte, atténuent ou éliminent les restrictions dues à l'hétérogénéité de la forêt, que l'on pensait autrefois inévitables. Mais ils exigent souvent des investissements importants. En ce qui concerne les marchés locaux, on s'est peut-être trop polarisé sur ce problème des essences peu utilisées. A mesure que les essences de premier choix se raréfient, d'autres essences acquièrent de l'intérêt sur ces marchés. Les essences peu utilisées resteront sous-exploitées jusqu'à ce qu'elles trouvent elles aussi des débouchés.
Concepts d'utilisation
Des exemples de systèmes axés sur certaines essences et de systèmes s'accommodant de n'importe quelles essences permettront d'illustrer les préoccupations actuelles concernant une meilleure utilisation des ressources forestières tropicales. Les premiers font intervenir surtout le groupement d'essences à des fins de construction, mais aussi la notion d'essences pour un «emploi déterminé», qui définit les caractéristiques d'usinage et de performances importantes pour cet emploi et recense ensuite les bois qui y répondent. A citer comme exemples des seconds les procédés qui utilisent les essences comme combustible (bois et charbon de bois); qui servent à améliorer l'absorption d'agents de préservation par incision du bois; qui recourent au groupement des bois de construction par catégories de résistance, basé sur un classement en fonction de la densité ou de l'effort nécessaire pour l'usinage, et enfin les procédés de fabrication qui permettent d'exploiter rentablement n'importe quel mélange d'essences pour produire une large gamme de papiers ou de panneaux.
Les progrès techniques peuvent aider à rompre le processus actuel de sélection des essences étape par étape; on peut y parvenir en s'attachant à résoudre des problèmes tels que mise au point de méthodes de séchage rapide pouvant traiter n'importe quel mélange d'essences; mise au point de procédés de préservation pouvant protéger des bois imperméables mais périssables, au moyen de substances inoffensives pour les humains; mise au point de procédés de fabrication de papier pouvant utiliser indifféremment n'importe quelles fibres de résineux; mise au point de nouvelles méthodes d'assemblage pour les bois de construction denses, ainsi de suite. Mais même en l'absence de telles innovations on a à l'heure actuelle la possibilité de trouver des débouchés pour d'importants volumes de bois, ce qui pourrait entaîner la dévastation des forêts faute de prudence et de précautions. Cette possibilité offre par contre au forestier un large éventail d'options pour le maintien d'un milieu forestier productif.
Exploitation «toutes essences» et «arbres entiers»
Tous les concepts mentionnés, commercialisation par essence, commercialisation en fonction de l'utilisation finale, groupements d'essences, et utilisation d'essences tout-venant et d'arbres entiers, peuvent jouer un rôle important dans l'amélioration de l'utilisation des ressources forestières tropicales. Mais c'est le dernier de ces concepts qui offre les plus grandes possibilités pour résoudre le problème de la commercialisation des essences «peu utilisées» dans la prochaine décennie.