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Première partie: Stratégie relative au rôle de la foresterie dans la lutte contre la désertification
1. Dimension du problème
2. Rôle de la foresterie
3. Cadre conceptuel, objectifs et stratégie d'action
4. Éléments d'un programme d'action
5. Coopération internationale pour mettre en oeuvre les actions préconisées
Les terres arides et semi-arides, avec leurs lisières sub-humides, constituent ce que l'on appelle les "régions sèches, zones sèches et terres sèches" et couvrent une surface totale d'environ 45 millions de km2. C'est dans ces régions qu'a lieu la désertification qui met en danger les moyens d'existence de quelque 850 millions d'habitants.
Le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) a estimé que la désertification affecte au total 35 millions de km2 de terrain de parcours, de terres de cultures pluviales et de terres irriguées, soit une superficie à peu près égale à celle de l'Amérique du Nord et de l'Amérique du Sud réunies. Aujourd'hui, 21 millions d'hectares environ deviennent chaque année pratiquement ou totalement inutilisables. Les projections à l'horizon 2000 indiquent que des pertes de cette ampleur continueront si les pays n'y portent pas remède. Une hémorragie de terres productives d'une telle ampleur conduira inévitablement au désastre.
C'est déjà le cas dans les pays en développement et le phénomène s'étend maintenant aux pays industrialisées dont certains, comme l'Australie et les États-Unis, connaissent de graves problèmes de désertification. Rien qu'aux États-Unis, quelque 100 millions d'hectares de terre souffrent d'une grave désertification.
Une nouvelle vision du problème de désertification montre l'universalité de ses conséquences et de ses causes, qui sont loin de se limiter aux terres arides les plus immédiatement touchées. La désertification ne fait pas que détruire la base des ressources productives d'un pays, causant des famines pendant les longues périodes de sécheresse, mais elle provoque aussi la perte de ressources génétiques précieuses, elle augmente la poussière atmosphérique (aux conséquences encore inconnues sur le climat mondial), perturbe le processus de recyclage naturel des eaux, cause la perte de marchés et désorganise les économies nationales.
La foresterie a un rôle majeur à jouer pour inverser la tendance à la désertification et offrir un excellent investissement à long terme dans les précieuses ressources naturelles nécessaires à la poursuite du développement.
C'est pourquoi, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a organisé à Saltillo (Mexique) du 24 au 28 juin 1985, en marge du Neuvième Congrès forestier mondial, une Consultation sur le rôle de la foresterie dans la lutte contre la désertification. Cette Consultation a fait le point de l'état actuel des connaissances dans le domaine de la foresterie en zone aride, examiné les recherches et l'application des connaissances existantes et esquissé une stratégie et des propositions d'action visant à renforcer le rôle de la foresterie dans la lutte contre la désertification. Les composantes de cette stratégie sont résumées dans les sections qui suivent.
Le problème de la mise en valeur des terres arides et de l'amélioration des conditions de vie de leurs habitants est à la fois ample et complexe: ample en raison des vastes superficies en cause et complexe en ce sens que le développement ne peut être dissocié de leurs caractéristiques écologiques, sociales et économiques.
- Facteurs écologiques
L'un des problèmes fondamentaux que pose la valorisation des terres arides et semi-arides (abstraction faite des terres irriguées) réside dans le fait qu'il est difficile de les classer en catégories destinées à des usages "monovalents". Cette difficulté tient à deux facteurs principaux; le premier est d'ordre purement naturel. Les conditions du milieu étant précaires et les précipitations étant en particulier saisonnières et irrégulièrement réparties, il est difficile de faire la distinction entre la "forêt", la "végétation arbustive" ou les "terrains de parcours" (comme on le fait par exemple dans les régions tempérées), parce que les arbres, les arbustes et la végétation herbacée sont étroitement entremêlés et écologiquement interdépendants. Cette interdépendance étroite des diverses formes de végétation est illustrée par le fait qu'en milieu sec, la période de végétation des plantes herbacées diminue à mesure que l'aridité augmente et que ces plantes se trouvent surtout à l'abri des arbres et des arbustes. La deuxième difficulté pour distinguer des terres à utilisation monovalente est d'ordre économique. Étant donné les conditions du milieu défavorables, la végétation naturelle est clairsemée, allant de petits bois à des arbres et arbustes épars et isolés. Cela signifie que les perspectives de mise en valeur et d'aménagement de la végétation pour la production de bois d'oeuvre ne sont pas en soi rentables. D'autre part, étant donné l'irrégularité des précipitations, les rendements moyens des cultures ne sont pas seulement faibles mais aussi très irréguliers. Durant les périodes de sécheresse prolongées, seule survit la végétation ligneuse qui fournit un fourrage naturel à la faune domestique et sauvage. L'aménagement forestier doit donc prendre en compte que l'homme (et son bétail) dépendent, pour la nourriture, le bois, les fibres et pour d'autres "services sociaux" d'une seule et même étendue de terre, qu'il s'agisse de forêts, de terres incultes ou de parcours.
- Facteurs sociaux
Les terres sèches sont souvent habitées par des populations qui, malgré leur rôle dans l'économie nationale (élevage, artisanat, extraction minière, etc.), n'ont pas été suffisamment associées au développement Leurs pratiques d'utilisation des terres datent d'une époque où les besoins de la population et du bétail correspondaient plus ou moins à la capacité intrinsèque des terres, où les accords non écrits entre tribus pour réglementer l'utilisation des ressources avaient force de loi, où le nomade était un sylvopastoraliste tirant pleinement partie de la "production totale" et où il gérait les ressources en se fondant sur son expérience des principes de conservation.
L'impact de l'économie monétaire, l'éclatement des traditions et la croissance démographique ont, faute d'ajustements des pratiques d'utilisation des terres, rompu l'ancien équilibre, de sorte que nombre de méthodes d'utilisation des terres dans les zones sèches sont aujourd'hui antagonistes: le système de jachère céréalière très souvent pratiqué réduit la production à la fois céréalière et animale, le pâturage incontrôlé provoque des conflits entre la production animale et la survie de la végétation et la culture spéculative sur des écosystèmes fragiles est en contradiction avec les principes écologiques fondamentaux Le résultat global de cette utilisation abusive des terres est l'appauvrissement et le début de la désertification. En raison des fluctuations du climat, ce phénomène s'accélère de lui-même. Les effets négatifs sur les habitants des terres sèches sont notamment la faim et l'émigration, engendrées par les mauvaises récoltes successives ou la destruction massive du bétail, particulièrement dans les sociétés de subsistance marginales. Avec la persistance de la sécheresse, les populations se voient privées de tout moyen de subsistance. Les effets sociaux désastreux qui en résultent sont mieux compris maintenant parce qu'ils ont de graves répercussions sur l'économie nationale, qui doit venir au secours des populations victimes de la sécheresse. Quelques sociétés se sont efforcées d'intégrer leurs populations les plus éloignées et les plus vulnérables dans l'ensemble de la communauté. Ces initiatives sont particulièrement efficaces quand elles viennent seconder les efforts déployés par les habitants des zones sèches pour maintenir une productivité soutenue dans le milieu ingrat où ils vivent.
Intégrer ces populations dans le processus national de développement constitue un important défi socio-économique. Il est aggravé par le fait que les populations continuent de croître dans les zones à faible pluviométrie, sans augmentation correspondante des possibilités d'emploi extra-agricole.
Toute intervention dans les zones à faible pluviométrie doit donc tenir compte de la nécessité de rétablir l'ancien équilibre entre les ressources et l'homme et de faire participer pleinement leur population au processus de développement national.
- Facteurs économiques
La faible productivité de la base des ressources dans les zones sèches, jointe aux fluctuations des rendements dues à l'insuffisance et à l'irrégularité des précipitations, a tendu à décourager les investissements et la mise au point de moyens scientifiques pour maintenir et développer la productivité dans les zones à faible pluviosité. L'argument selon lequel il faut affecter en priorité les fonds au développement des zones plus productives peut sembler justifié en termes bancaires mais, là où elles ont été appliquées, les politiques de cette nature ont déclenché un cercle vicieux qui fait que l'insuffisance des investissements (financiers et technologiques) perpétue dans les zones à faible pluviosité un aménagement rétrograde et une économie anémique en raison de la dégradation des ressources naturelles. La validité de cette option est douteuse, même du point de vue économique. Concentrer les efforts sur les zones plus productives a signifié le plus souvent les concentrer sur des cultures de rapport, auxquelles les zones sèches sont généralement mal adaptées. La distorsion qui en est résultée, c'est-à-dire une production vivrière insuffisante, a eu de graves répercussions socio-économiques dans de nombreuses parties des zones sèches. Le fait de considérer ces zones comme non prioritaires et, partant, comme des zones à négliger dans l'établissement des priorités de développement, a accentué la disparité économique à l'intérieur du secteur rural lui-même, entre les zones "favorables" et "moins favorables" et leur population, ce qui a engendré de graves déséquilibres. Il a empêché les zones à faible pluviosité et leur population de contribuer davantage au progrès économique et social général et d'en bénéficier elles-mêmes aussi.
Il existe toutefois des possibilités économiques de rentabiliser les investissements. Si la production végétale est combinée avec l'élevage par exemple, la faiblesse des rendements des cultures peut être en partie compensée par des recettes provenant des produits de l'élevage. Avec une intégration plus poussée des cultures, de l'élevage, de la foresterie, de l'exploitation de la faune, de l'artisanat, etc., les possibilités d'investissement ont plus de chances de passer de la "marginalité" à la "rentabilité".
Pour des raisons physiques, économiques et sociales, les stratégies de développement doivent donc viser à promouvoir une "production totale" en encourageant d'abord l'intégration horizontale de la production (aménagement agro-sylvopastoral) et ensuite l'intégration verticale des produits de la terre dans la transformation et la commercialisation, afin de maximiser les investissements.
Dans cette stratégie du développement, la foresterie a un rôle majeur à jouer car:
- l'un de ses rôles fondamentaux est de conserver les ressources en sol et en eau pour la production alimentaire, au moyen de rideaux-abris de brise-vent et de plantations éparses d'arbres et par l'enrichissement du sol;
- elle contribue à la production animale par les systèmes sylvopastoraux, en particulier par la création de "réserves" ou "banques de fourrage" sous forme d'arbres et d'arbustes fourragers, afin d'atténuer les effets désastreux de la sécheresse;
- elle produit du bois de feu, du charbon de bois et d'autres produits forestiers dans les bois de villages et de fermes;
- elle contribue à l'emploi et au développement rural par le travail artisanal de matières premières provenant de la flore et de la faune sauvage et par le développement du tourisme basé sur la faune;
- elle fournit des aliments provenant de la faune et de la flore sous forme de fruits, noix, feuilles, champignons et racines.
3. Cadre conceptuel, objectifs et stratégie d'action
Les propositions d'action visant à renforcer le rôle de la foresterie ont été conçues dans le cadre du Plan d'action pour lutter contre la désertification (PACD) adopté en 1977 par la Conférence des Nations Unies sur la désertification.
Les principes qui suivent constituent le cadre à l'intérieur duquel ont été conçues les propositions d'action sur la contribution de la foresterie à la conservation des sols et à la prévention de la désertification:
- intégration de la foresterie dans des programmes sectoriels et multisectoriels;
- développement rural élargi mettant l'accent sur la diversification des activités économiques rurales et la contribution à la sécurité alimentaire;
- rôle vital de l'arbuste, de l'arbre et de la forêt dans la création des conditions favorables à l'agriculture et à la production animale au travers de l'établissement de rideaux-abris, de la conservation des ressources en eau, de la lutte contre l'érosion, de la production de bois de feu et de bois d'oeuvre et d'autres produits de la forêt et des arbres;
- avantages économiques directs pour les communautés locales provenant des forêts et de leurs produits et de la création d'emplois, qui favoriseront ainsi le développement rural.
Les principes ci-dessus coïncident aussi avec ceux proposés par la Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural (CMRADR) et la Déclaration de Djakarta issue du 8ème Congrès forestier mondial.
Compte tenu de ces principes, les principaux objectifs des propositions d'action sont les suivants:
i) renforcer le rôle de la forêt et de la végétation ligneuse dans un entretien rationnel des terres, afin que le système tout entier puisse contribue effectivement à la production de biens et de services et à la réalisation de l'objectif plus large de la sécurité alimentaire;
ii) renforcer les avantages pour la communauté par une utilisation rationnelle des ressources forestières et la faire participer à leur expansion, à leur diversification, à leur gestion, à leur conservation et à leur restauration;
iii) sensibiliser les milieux politiques et le public au rôle de la forêt dans l'utilisation soutenue de la base de ressources; réduire au minimum les dommages et dégradations causés à la sécurité alimentaire et au développement rural par la désertification, la salinité, la sécheresse et les phénomènes torrentiels;
iv) veiller à ce que la foresterie occupe une place de premier plan dans les programmes nationaux visant la sécurité alimentaire, la conservation et la lutte contre la désertification.
La stratégie à établir pour promouvoir les principes et objectifs ci-dessus consiste essentiellement à faire participer plus activement les institutions forestières et les forestiers à tous les stades du processus de décision et aux délibérations des organismes sectoriels et multisectoriels, à utiliser davantage les médias, à participer à des groupes de pression ou en créer afin d'influer sur les décisions politiques et les actions législatives et à présenter des programmes de mise en valeur forestière qui seront plus attrayants et plus compréhensibles pour les hommes politiques, les planificateurs et les administrateurs. Au niveau international, il sera nécessaire d'encourager des programmes globaux et des projets régionaux qui puissent contribuer à la réalisation de ces objectifs. La promotion d'accords de CTPD (Coopération technique entre pays en développement), notamment l'établissement de réseaux régionaux et sous-régionaux et de groupes de travail, pourra également catalyser les échanges de compétences et d'expériences. Au niveau national, il faudra mettre davantage l'accent sur le rôle de la foresterie dans la conception et l'exécution des plans de lutte contre la désertification.