INTRODUCTION: LUTTER CONTRE L’INFLATION DES PRIX DES PRODUITS ALIMENTAIRES POUR ÉLIMINER LA FAIM
L’échéance de 2030 approche, mais le monde a pris un retard considérable dans la réalisation de l’objectif de développement durable (ODD) 2 – élimination de la faim, concrétisation de la sécurité alimentaire et amélioration de la nutrition, et promotion de l’agriculture durable –, et les difficultés ont été aggravées par les phénomènes météorologiques extrêmes, la pandémie de covid-19, les flambées des prix des produits alimentaires et les bouleversements géopolitiques tels que la guerre en Ukraine. Ces crises ont porté la faim et l’insécurité alimentaire dans le monde à des niveaux supérieurs à ceux enregistrés avant 2015, et ont touché de manière disproportionnée les populations à faible revenu et entravé la concrétisation d’autres objectifs de développement tels que la réduction de la pauvreté et la santé. Des signes de reprise ont été observés ces dernières années, mais une inflation persistante a freiné ces progrès et a continué de limiter le pouvoir d’achat et l’accès à une alimentation saine. Bien que les prix mondiaux des produits alimentaires se soient quelque peu stabilisés, l’inflation reste élevée dans de nombreux pays. L’édition 2025 de L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde étudie les causes et les effets de l’inflation des prix des produits alimentaires, analyse les répercussions de ce phénomène sur les différents groupes d’aliments et l’abordabilité de l’alimentation, et présente les interventions de politique générale qui aident efficacement les pays à éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition sous toutes ses formes, tout en faisant en sorte de mettre l’alimentation saine à la portée de chacun.
LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION DANS LE MONDE
Indicateurs de la sécurité alimentaire: dernières données en date et progrès accomplis vers l’élimination de la faim et l’instauration de la sécurité alimentaire
L’évaluation la plus récente de la faim dans le monde, mesurée par la prévalence de la sous-alimentation (indicateur 2.1.1 des ODD), montre des signes d’amélioration ces dernières années. La prévalence de la sous-alimentation a commencé à augmenter lentement en 2017, avant de bondir en 2020 et en 2021 à la suite de la pandémie. La dernière évaluation met en lumière des progrès encourageants entre 2022 et 2024. D’après ces estimations, 8,2 pour cent de la population mondiale aurait connu la faim en 2024, un chiffre en baisse par rapport aux 8,5 pour cent de 2023 et aux 8,7 pour cent de 2022. On estime qu’entre 638 millions et 720 millions de personnes (entre 7,8 pour cent et 8,8 pour cent de la population mondiale) ont souffert de la faim en 2024. L’estimation ponctuelle (673 millions de personnes) représente une diminution de 15 millions par rapport à 2023 et de 22 millions par rapport à 2022.
Les progrès accomplis au niveau mondial reposent sur l’amélioration notable de la situation en Asie du Sud-Est, en Asie du Sud – compte tenu des nouvelles données fournies par l’Inde, principalement – et en Amérique du Sud. La prévalence de la sous-alimentation a été ramenée de 7,9 pour cent en 2022 à 6,7 pour cent (323 millions de personnes) en 2024. Des progrès ont également été enregistrés en Amérique latine et dans les Caraïbes, région où les dernières estimations montrent que la prévalence de la sous-alimentation s’est établie à 5,1 pour cent en 2024 après un pic de 6,1 pour cent en 2020.
Malheureusement, cette tendance positive contraste avec l’augmentation constante de la faim dans la plupart des sous-régions d’Afrique et d’Asie de l’Ouest. La prévalence de la sous-alimentation a dépassé 20 pour cent en Afrique en 2024, et elle a atteint 12,7 pour cent en Asie de l’Ouest.
D’après la projection actuelle, 512 millions de personnes dans le monde (concentrées pour près de 60 pour cent en Afrique) pourraient souffrir de sous-alimentation chronique en 2030, ce qui met en lumière l’immense défi que représente la réalisation de l’ODD 2 (Faim zéro).
L’indicateur 2.1.2 des ODD – prévalence d’une insécurité alimentaire modérée ou grave dans la population, évaluée selon l’échelle de mesure de l’insécurité alimentaire vécue – est destiné à suivre les progrès accomplis au regard de l’objectif plus large, énoncé dans la cible 2.1 des ODD, qui consiste à permettre à chacun d’accéder toute l’année à une alimentation sans danger, nutritive et en quantité suffisante.
Au niveau mondial, la prévalence de l’insécurité alimentaire recule très progressivement depuis 2021, après une forte augmentation à la suite de la pandémie en 2020. De 2023 à 2024, la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave à l’échelle mondiale a légèrement diminué, passant de 28,4 pour cent à 28,0 pour cent. On estime que l’insécurité alimentaire modérée ou grave a touché 2,3 milliards de personnes environ dans le monde en 2024, soit 335 millions de plus qu’en 2019, avant la pandémie, et 683 millions de plus qu’en 2015, lorsque le Programme de développement durable à l’horizon 2030 a été présenté.
Les évolutions observées au niveau régional sont bien différentes: l’insécurité alimentaire augmente en Afrique, chute en Amérique latine et dans les Caraïbes et recule progressivement en Asie depuis plusieurs années, et les nouvelles estimations pour l’Océanie et pour l’Amérique du Nord et l’Europe indiquent une légère diminution de 2023 à 2024, après plusieurs années de hausse. La prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave en Afrique (58,9 pour cent) représente plus du double de la moyenne mondiale (28 pour cent), alors qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie et en Océanie, la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave est inférieure à la moyenne mondiale – 25,2 pour cent, 23,3 pour cent et 26,3 pour cent, respectivement.
Environ 32,0 pour cent des personnes vivant dans les zones rurales étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave en 2024, contre approximativement 28,6 pour cent dans les zones périurbaines et 23,9 pour cent dans les zones urbaines. Une comparaison des évaluations de 2024 et de 2022 montre que la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave a diminué uniquement dans les zones urbaines (passant de 25,7 pour cent à 23,9 pour cent), et qu’elle est restée pratiquement inchangée dans les zones rurales et périurbaines.
Des inégalités persistantes entre les femmes et les hommes sont en outre évidentes: la prévalence de l’insécurité alimentaire reste ainsi plus élevée chez les femmes adultes que chez les hommes dans toutes les régions du monde. Le fossé entre les femmes et les hommes s’est considérablement élargi au niveau mondial à la suite de la pandémie, notamment en 2021; il s’est ensuite réduit pendant deux années consécutives. Cependant, les nouvelles estimations indiquent qu’il s’est de nouveau creusé de 2023 à 2024.
Coût et abordabilité d’une alimentation saine
Le suivi de l’abordabilité d’une alimentation saine est essentiel pour éclairer les politiques visant à améliorer la sécurité alimentaire et les résultats nutritionnels, et contribue ainsi à la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Le coût d’une alimentation saine fournit pour chaque pays une estimation du coût minimal de l’alimentation saine, définie comme étant composée d’un ensemble diversifié d’aliments disponibles localement qui satisfont les besoins énergétiques et la plupart des besoins nutritionnels. Ce coût est ensuite comparé à la répartition du revenu national pour estimer la prévalence de l’inabordabilité d’une alimentation saine et le nombre de personnes n’ayant pas les moyens de s’alimenter sainement.
Le coût d’une alimentation saine a augmenté depuis 2017 dans le monde, atteignant en moyenne 4,46 USD en parité de pouvoir d’achat (PPA) par personne et par jour en 2024. Le coût le plus élevé en 2024 a été enregistré dans la région Amérique latine et Caraïbes (5,16 USD en PPA). Venaient ensuite l’Asie (4,43 USD en PPA), l’Afrique (4,41 USD en PPA), l’Amérique du Nord et l’Europe (4,02 USD en PPA) et l’Océanie (3,86 USD en PPA). L’Afrique présentait la plus forte augmentation de 2023 à 2024 parmi toutes les régions du monde.
Sur la même période, les revenus ont également progressé, ce qui a limité l’effet potentiellement négatif de la hausse des coûts. On estime à 31,9 pour cent (soit 2,60 milliards) la proportion de personnes qui ne pouvaient se permettre une alimentation saine en 2024 dans le monde, contre 33,5 pour cent (2,68 milliards) en 2022, ce qui correspond à une diminution de près de 80 millions de personnes en deux ans.
La reprise a cependant été inégale selon les régions. Ces dernières années, l’inabordabilité a reculé notablement en Asie et marginalement en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Amérique du Nord et en Europe, et en Océanie. À l’inverse, elle a considérablement augmenté en Afrique, où le nombre de personnes ne pouvant se permettre une alimentation saine a dépassé 1 milliard en 2024.
La reprise apparaît encore plus clairement inégale selon les groupes de pays classés par niveau de revenu. Elle est plus lente dans les pays à faible revenu, où le nombre de personnes ne pouvant se permettre une alimentation saine n’a pas cessé d’augmenter depuis 2017. En 2024, l’alimentation saine était hors de portée de 544,7 millions de personnes (soit 72 pour cent de la population) dans les pays à faible revenu. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et les pays à revenu élevé, en revanche, la prévalence de l’inabordabilité d’une alimentation saine et le nombre de personnes n’ayant pas les moyens de s’alimenter sainement diminuent depuis 2020. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, le nombre de personnes ne pouvant se permettre une alimentation saine a reculé entre 2020 et 2024, mais cette amélioration s’explique principalement par une diminution sensible de l’inabordabilité en Inde.
L’accès économique à la nourriture est l’une des composantes clés de la sécurité alimentaire. Les personnes qui ne peuvent pas se permettre une alimentation saine même à moindre coût sont susceptibles de se trouver confrontées à un certain degré d’insécurité alimentaire, ce qui peut nuire à la qualité de leur alimentation. Une alimentation inadéquate, par voie de conséquence, a une incidence déterminante sur les résultats nutritionnels.
Situation en matière de nutrition: progrès accomplis au regard des cibles mondiales
L’élimination de la malnutrition est primordiale pour concrétiser presque tous les ODD. Parmi les indicateurs de l’état nutritionnel de l’enfant, seul le retard de croissance a sensiblement évolué, passant de 26,4 pour cent en 2012 à 23,2 pour cent en 2024. Aucun changement notable n’a été observé au niveau mondial concernant l’excès pondéral chez l’enfant (5,5 pour cent en 2024 contre 5,3 pour cent en 2012) et l’émaciation chez l’enfant (6,6 pour cent en 2024 contre 7,4 pour cent en 2012). Il est encourageant de constater qu’aucune région n’a connu d’aggravation de la prévalence de l’émaciation chez l’enfant sur la période 2012-2024, et que des diminutions ont même été enregistrées en Afrique de l’Ouest et en Asie centrale, où cette prévalence est passée respectivement de 8,2 pour cent à 6,5 pour cent et de 3,8 pour cent à 2,1 pour cent. En outre, le pourcentage d’enfants bénéficiant d’un allaitement maternel exclusif dans le monde a très nettement augmenté, passant de 37,0 pour cent en 2012 à 47,8 pour cent en 2023. Cependant, il conviendrait d’accélérer les progrès pour l’ensemble des indicateurs de la nutrition infantile si l’on veut atteindre les cibles fixées pour 2030.
On a constaté une détérioration des deux indicateurs nutritionnels pour les groupes plus âgés. Concernant l’obésité chez l’adulte, la prévalence est passée de 12,1 pour cent en 2012 à 15,8 pour cent en 2022. Pour l’anémie chez les femmes âgées de 15 à 49 ans, les données actualisées ne font apparaître aucune amélioration ou indiquent une augmentation de la prévalence dans presque toutes les régions de 2012 à 2023; la prévalence mondiale est quant à elle passée de 27,6 pour cent à 30,7 pour cent.
Plus de la moitié des pays pour lesquels on dispose de données permettant d’évaluer les progrès en matière d’émaciation chez l’enfant (74 sur 132) sont sur la bonne voie pour atteindre la cible fixée pour 2030. En ce qui concerne le retard de croissance chez l’enfant, 35 pour cent des pays (56 sur 160) sont sur la bonne voie; pour l’excès pondéral chez l’enfant, il en va de même pour 21 pour cent des pays ayant fourni des données sur les progrès accomplis (34 sur 162). L’insuffisance pondérale à la naissance est l’indicateur pour lequel le pourcentage de pays sur la bonne voie est le plus faible, tous indicateurs relatifs à l’état nutritionnel de l’enfant confondus, avec 8 pour cent (12 pays sur 158). En dépit d’une amélioration notable au cours des 10 dernières années, seuls 19 pour cent des pays pour lesquels on dispose de données sur les progrès accomplis (21 sur 112) sont sur la bonne voie pour atteindre la cible définie pour 2030 en matière d’allaitement maternel exclusif. Concernant l’anémie chez les femmes âgées de 15 à 49 ans et l’obésité chez l’adulte, le nombre de pays sur la bonne voie est très faible.
En mars 2025, la Commission de statistique de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a approuvé un nouvel indicateur, à savoir la prévalence de la diversité alimentaire minimale (DAM), pour le suivi de l’avancement au regard de la cible 2.2 des ODD (élimination de toutes les formes de malnutrition d’ici à 2030). Cet indicateur reflète la diversité de l’alimentation de deux populations vulnérables sur le plan nutritionnel – les enfants âgés de 6 à 23 mois (DAM-E) et les femmes âgées de 15 à 49 ans (DAM-F).
Dans le monde, seulement un tiers (34 pour cent) des enfants âgés de 6 à 23 mois et deux tiers (65 pour cent) des femmes âgées de 15 à 49 ans atteignent le seuil de diversité alimentaire minimale. En d’autres termes, un tiers des femmes et – ce qui est encore plus inquiétant – deux tiers environ des enfants âgés de 6 à 23 mois dans le monde n’ont pas une alimentation suffisamment diversifiée, et risquent ainsi de ne pas avoir l’apport adéquat en vitamines et en minéraux essentiels, nécessaires à une bonne nutrition et une bonne santé.
FLAMBÉE DE L’INFLATION DES PRIX DES PRODUITS ALIMENTAIRES DE 2021 À 2023: CAUSES ET CONSÉQUENCES POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION
Inflation des prix des produits alimentaires: faits stylisés
Depuis la fin de l’année 2020, les prix au détail des produits alimentaires sur le marché intérieur ont nettement augmenté dans la plupart des pays, ce qui a posé des problèmes considérables aux consommateurs comme aux décideurs publics. L’inflation moyenne des prix des produits alimentaires en glissement annuel dans le monde est passée de 5,8 pour cent en décembre 2020 à un niveau stupéfiant de 23,3 pour cent en décembre 2022. Ces chiffres sont liés pour une très grande part aux pays qui ont connu une hyperinflation, comme la République bolivarienne du Venezuela, le Soudan et le Zimbabwe, où l’inflation en glissement annuel a atteint des pics dépassant largement 350 pour cent. Le taux médian permet d’avoir une image plus exacte des niveaux d’inflation mondiaux: le taux d’inflation médian des prix des produits alimentaires a fortement augmenté, passant de 2,3 pour cent en décembre 2020 à 13,6 pour cent en janvier 2023.
L’inflation des prix des produits alimentaires dans le monde est bien supérieure à l’inflation globale depuis 2020, ce qui témoigne de l’aggravation de l’instabilité et des pressions constantes qui s’exercent sur les marchés agricoles et alimentaires. Lorsque la pandémie s’est déclarée début 2020, l’inflation globale est restée relativement faible. Bien qu’à un niveau encore raisonnable, l’inflation des prix des produits alimentaires était nettement plus élevée que l’inflation globale. À son pic, en janvier 2023, elle était supérieure de 5,1 points de pourcentage à l’inflation globale (13,6 pour cent contre 8,5 pour cent). Durant toute l’année 2023, les deux taux d’inflation se sont maintenus à des niveaux élevés, tout en s’inscrivant dans une tendance baissière.
L’inflation des prix des produits alimentaires a été particulièrement élevée dans les pays à faible revenu. La plupart des ménages, même ceux dont les moyens de subsistance reposent sur l’agriculture, dépendent des marchés pour leur approvisionnement alimentaire. L’approvisionnement sur les marchés rend les ménages vulnérables aux hausses brutales des prix, ce qui accentue l’insécurité alimentaire, aggrave la pauvreté et limite l’accessibilité et la consommation d’aliments sains. Les petits exploitants et les ouvriers agricoles sont souvent des acheteurs nets de produits alimentaires, si bien que les hausses des prix de ces derniers surpassent en général les profits tirés de la vente de la production. De ce fait, l’augmentation des prix des produits alimentaires non seulement grève le budget des ménages, mais compromet également les moyens de subsistance ruraux, et sape ainsi les progrès en matière de réduction de la pauvreté ainsi que de sécurité alimentaire et de nutrition.
Pourquoi cette forte inflation des prix des denrées alimentaires?
Des mesures stratégiques sans précédent ont été prises dans le monde face à la pandémie, notamment des interventions budgétaires et monétaires essentielles pour éviter un effondrement économique, mais elles ont également jeté les bases des tensions inflationnistes qui se sont ensuivies. Les pouvoirs publics ont mobilisé quelque 17 000 milliards d’USD sous la forme d’appui budgétaire, mais ce sont les pays à revenu élevé qui ont déployé la majeure partie de ces mesures de relance pour protéger les emplois, maintenir la demande et stabiliser les marchés. Ce soutien a représenté près de 10 pour cent du produit intérieur brut (PIB) mondial pendant deux années. Parallèlement, les banques centrales ont réduit les taux d’intérêt, procédé à des achats massifs d’obligations et injecté des liquidités d’urgence pour permettre aux systèmes financiers de continuer à fonctionner. Ces mesures ont atténué le choc économique entraîné par la pandémie. Cependant, étant donné que les chaînes d’approvisionnement sont restées sous tension et que la demande mondiale a redémarré avec vigueur, cet environnement caractérisé par des politiques expansionnistes a contribué à aggraver l’inflation. Les banques centrales ont finalement changé de stratégie et ont durci les politiques monétaires pour endiguer les flambées des prix.
La guerre en Ukraine, dont les effets ont été amplifiés par plusieurs phénomènes météorologiques extrêmes, a constitué le deuxième choc majeur d’ampleur mondiale pour les marchés de produits alimentaires, et a causé des perturbations le long des routes commerciales, intensifié l’incertitude et renforcé les tensions inflationnistes générées par la pandémie. Principaux pays exportateurs de blé, de maïs et d’huile de tournesol, l’Ukraine et la Fédération de Russie représentaient ensemble 12 pour cent environ des calories échangées dans le monde en 2021. Les hostilités dans la région de la mer Noire, ainsi que les perturbations en mer Rouge, ont entraîné une réduction des exportations de céréales et d’engrais qui a particulièrement touché les pays à revenu faible ou intermédiaire dépendants des marchés céréaliers mondiaux.
Ces chocs géopolitiques ont accentué les effets inflationnistes des précédentes perturbations provoquées par la pandémie et ont causé deux vagues distinctes de flambée des prix des produits agricoles en 2020, qui se sont renforcées mutuellement. Les tensions initiales sur les prix des produits agricoles et énergétiques découlaient de craintes d’interruption des chaînes d’approvisionnement, de pénuries de main-d’œuvre et de mesures commerciales de précaution au moment où la pandémie s’est déclarée, et ont entraîné une hausse des prix de 15 points de pourcentage environ. Cette première flambée a été brièvement atténuée par l’effondrement de la demande mondiale, mais s’est réactivée avec la réouverture des économies et l’entrée en vigueur de mesures de relance budgétaires et monétaires. La seconde flambée des prix, plus forte (hausse supplémentaire de 18 points de pourcentage) a été provoquée par le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a perturbé des flux commerciaux essentiels et diminué les exportations d’engrais. En parallèle, les marchés de l’énergie, déstabilisés par les sanctions imposées à la Fédération de Russie et l’évolution de la structure des échanges, ont enregistré de fortes hausses de prix qui se sont répercutées sur le secteur agricole du fait de l’augmentation du coût des combustibles et des engrais.
Les prix des produits agricoles et énergétiques ont majoritairement participé à la récente inflation des prix des denrées alimentaires. L’augmentation rapide des prix des produits agricoles et énergétiques après 2020 a directement contribué à aggraver l’inflation des prix des denrées alimentaires. En 2022 et en 2023, les prix des produits alimentaires ont largement dépassé leurs niveaux antérieurs. Au pic de l’inflation (à savoir au troisième trimestre 2022 aux États-Unis d’Amérique et au premier trimestre 2023 dans la zone euro), les effets exogènes des chocs de prix des produits agricoles et énergétiques ont concouru pour 14 pour cent et 18 pour cent à la hausse des prix des produits alimentaires aux États-Unis d’Amérique et dans la zone euro, respectivement.
La situation macroéconomique générale a amplifié les effets sur l’inflation des prix des produits alimentaires. Si l’on tient compte des tensions supplémentaires liées à l’évolution de la situation macroéconomique générale, telles que les coûts des intrants pour les producteurs d’aliments et les détaillants, la contribution de la dynamique des prix des produits à l’inflation des prix des denrées alimentaires est estimée à 47 pour cent aux États-Unis d’Amérique et à 35 pour cent dans la zone euro. Ces chiffres soulignent l’ampleur des répercussions de la hausse des prix des produits agricoles et énergétiques sur les prix des denrées alimentaires de 2022 à 2023.
Cependant, l’inflation liée à ces produits n’explique pas totalement l’ampleur des tensions observées sur les prix. À son paroxysme, l’inflation des prix des denrées alimentaires a atteint 10,6 pour cent aux États-Unis d’Amérique et 15,7 pour cent dans la zone euro, ce qui indique l’existence d’autres facteurs, tels que la hausse des coûts de main-d’œuvre, les fluctuations des taux de change et une augmentation potentielle des marges bénéficiaires tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Ces facteurs ont largement contribué à l’inflation des prix des denrées alimentaires. Aux États-Unis d’Amérique, 53 pour cent de l’augmentation est imputable à des marchés sans lien avec les produits agricoles et énergétiques, contre 65 pour cent dans la zone euro.
L’inflation des prix des produits alimentaires pèse sur les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition
La récente poussée de l’inflation mondiale a eu des répercussions négatives sur les conditions de vie. Les salaires réels ont diminué de 0,9 pour cent en 2022 dans le monde du fait de l’intensification des tensions inflationnistes, ce qui vient confirmer les éléments indiquant que les chocs économiques de grande ampleur peuvent entraîner une forte poussée de l’inflation, et par conséquent une baisse des salaires réels.
Le rattrapage des salaires réels a été inégal selon les pays, l’inflation des prix des produits alimentaires ayant dépassé la croissance des rémunérations dans de nombreux contextes. Dans certains pays, les salaires et les prix des produits alimentaires ont évolué relativement de concert, ce qui a contribué à maintenir la stabilité des rémunérations ajustées des variations des prix des produits alimentaires. En revanche, d’autres pays ont enregistré des baisses des salaires réels sur des périodes prolongées. En Égypte, l’augmentation des prix des denrées alimentaires liée à la dépendance à l’égard des importations et à la pénurie de devises a été nettement supérieure à la croissance des revenus depuis la mi-2022, limitant l’accès des ménages à la nourriture. De même, au Pérou, les salaires réels n’ont pas suivi le rythme de l’inflation: fin 2023, les prix des produits alimentaires avaient augmenté de 34,5 pour cent par rapport aux niveaux enregistrés avant la pandémie (début 2020), alors que les rémunérations n’avaient progressé que de 6,6 pour cent.
L’inflation des prix des denrées alimentaires est l’un des principaux problèmes à l’origine de l’accroissement de l’insécurité alimentaire dans tous les groupes de revenu, les hausses les plus fortes ayant été observées dans les pays à faible revenu. De 2019 à 2024, les pays à faible revenu ont été confrontés à un taux d’inflation annuel moyen des prix des produits alimentaires de 11,4 pour cent, qui a coïncidé avec une augmentation de 6,7 points de pourcentage de l’insécurité alimentaire modérée ou grave et de 3,5 points de pourcentage de l’insécurité alimentaire grave.
Les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ont également enregistré une forte augmentation de l’insécurité alimentaire, malgré une inflation des prix des denrées alimentaires moins importante que dans les pays à faible revenu. Entre 2019 et 2024, l’inflation des prix des produits alimentaires s’est établie à 7 pour cent par an en moyenne dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, or l’insécurité alimentaire modérée ou grave a augmenté de 5,6 points de pourcentage, et l’insécurité alimentaire grave de 1,6 point de pourcentage. Ces résultats reflètent probablement non seulement la pression exercée sur l’économie par les hausses des prix des produits alimentaires, mais aussi les effets des conflits en cours (au Liban et au Myanmar, par exemple), ainsi que les faiblesses économiques plus générales au sein de populations plus importantes (au Nigéria et au Pakistan, par exemple).
L’inflation des prix des produits alimentaires est associée à une augmentation de l’insécurité alimentaire, mais ses effets varient selon les contextes. Une hausse de 10 pour cent des prix des produits alimentaires est associée à un accroissement de 3,5 pour cent de l’insécurité alimentaire modérée ou grave et de 1,8 pour cent de l’insécurité alimentaire grave. Les caractéristiques propres aux pays, notamment la résilience économique, la solidité des institutions et l’exposition à des chocs extérieurs, déterminent le degré de vulnérabilité.
La hausse des prix des produits alimentaires porte atteinte de manière disproportionnée à la sécurité alimentaire dans les contextes d’inégalités, où les disparités structurelles selon le revenu, le genre et la situation géographique amplifient à la fois l’exposition aux chocs et les obstacles empêchant des interventions efficaces. Dans les pays plus inégalitaires, la faiblesse des systèmes de protection sociale, la marge de manœuvre budgétaire limitée et les populations vulnérables plus nombreuses exposent les groupes défavorisés, notamment les femmes et les ménages ruraux, à des risques plus importants. Les contraintes liées au genre – comme des revenus plus faibles, le fait de devoir s’occuper de membres de la famille et le manque d’accès aux ressources – limitent la capacité des femmes de faire face à l’inflation, et les forcent souvent à réduire leurs apports alimentaires en temps de crise. Il est essentiel de remédier à ces inégalités croisées pour atténuer les effets de l’instabilité des prix des denrées alimentaires et établir des systèmes agroalimentaires plus inclusifs et plus résilients.
La récente inflation des prix des produits alimentaires a fait augmenter le risque d’émaciation chez l’enfant, ce qui souligne les profondes conséquences nutritionnelles des chocs relatifs aux prix. Une hausse de 10 pour cent des prix des denrées alimentaires est associée à une augmentation de 2,7 pour cent à 4,3 pour cent de la prévalence de l’émaciation et de 4,8 pour cent à 6,1 pour cent de l’émaciation grave chez les enfants de moins de 5 ans. Les effets restent notables même une fois pris en compte l’accès aux services essentiels, notamment l’eau propre, l’assainissement et les services de santé publique.
La poussée de l’inflation mondiale des prix des produits alimentaires depuis 2022 a probablement fait progresser la malnutrition aiguë et exposé des millions d’enfants à des risques accrus dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. De janvier 2022 à janvier 2023, les prix mondiaux des produits alimentaires ont augmenté de 13,6 pour cent et l’inflation a atteint 25,2 pour cent dans les pays à faible revenu et 11,8 pour cent dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Durant cette période, plus de 65 pour cent des pays à faible revenu et 61 pour cent des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure – qui comptent près de 1,5 milliard d’habitants au total – ont enregistré une inflation des prix des produits alimentaires supérieure à 10 pour cent. Ces catégories de pays ont aussi déclaré des taux plus élevés d’émaciation chez l’enfant. En 2024, la prévalence de l’émaciation était de 6,4 pour cent dans les pays à faible revenu et de 9,5 pour cent dans les pays à revenu intermédiaire (voir l’annexe 1A).
Observe-t-on des taux d’inflation différents entre les aliments riches en nutriments et les autres aliments?
Les données relatives aux prix mondiaux des produits alimentaires de 2011, 2017 et 2021 indiquent des disparités persistantes et stables entre les coûts des différents groupes d’aliments. Les féculents de base et les huiles et graisses restent les sources d’énergie alimentaire les moins onéreuses dans tous les pays. En revanche, les groupes d’aliments plus nutritifs, tels que les aliments d’origine animale, les fruits et les légumes, figurent toujours parmi les plus coûteux.
Les aliments hautement transformés sont systématiquement moins chers que n’importe quel autre type d’aliments transformés. Des éléments toujours plus nombreux montrent les effets néfastes de ces produits pour la santé, qui contiennent en général peu ou pas d’aliments bruts et ont souvent une teneur élevée en graisses saturées, en acides gras trans et en sel, et sont très pauvres en fibres, micronutriments et autres composés bioactifs. En 2021, les prix des aliments hautement transformés étaient en moyenne inférieurs de 47 pour cent à ceux des aliments peu ou pas transformés, et inférieurs de 50 pour cent à ceux des aliments transformés.
Entre 2021 et 2023 (et dans certains pays jusqu’en 2024), l’inflation des prix des produits alimentaires a varié notablement d’un groupe d’aliments à l’autre. Les prix des féculents de base, tels que le blé, les tubercules et le riz ont augmenté plus vite que l’inflation globale des prix des aliments; de fortes hausses des prix des huiles et des graisses ont également été observées. Les études de cas montrent que l’inflation des prix des denrées alimentaires au Mexique, au Nigéria et au Pakistan a largement dépassé le taux d’inflation général, du fait notamment de flambées des prix des aliments de base et des huiles alimentaires. Ces flambées des prix ont été particulièrement marquées du début au milieu de l’année 2022, et ont coïncidé avec les perturbations des marchés céréaliers mondiaux liées à la guerre en Ukraine, qui est l’un des principaux exportateurs de blé et de graines oléagineuses.
Les majorations des prix des aliments riches en nutriments, en particulier les légumes, les fruits et les aliments d’origine animale, restent considérables et fluctuantes, et renforcent les obstacles économiques à la diversité alimentaire. Ces groupes d’aliments se vendent à des prix systématiquement plus élevés que les féculents de base, qui continuent de représenter la plus grande part des dépenses alimentaires dans de nombreux pays en développement.
Chaque groupe d’aliments comprend généralement au moins un ou deux produits peu onéreux qui peuvent contribuer à une alimentation nutritive; cependant, l’accès à une alimentation saine ne dépend pas seulement des prix, il est également lié aux préférences culturelles et aux habitudes alimentaires. Jusqu’à la mi-2023, le coût d’une alimentation saine a diminué au Nigéria avant de repartir à la hausse, a fluctué au Pakistan en fonction de facteurs saisonniers, et n’a pas cessé d’augmenter au Mexique. Ces constatations mettent en évidence le fait que l’abordabilité d’une alimentation saine peut varier grandement selon les pays, même lorsque ceux-ci subissent des pressions inflationnistes similaires.
COMMENT LES PAYS ONT AFFRONTÉ LA TEMPÊTE: LES POLITIQUES BUDGÉTAIRES, MONÉTAIRES ET COMMERCIALES ET LEURS INCIDENCES SUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION
De l’assistance à la réflexion
Pour faire face aux flambées des prix des produits alimentaires, il faut une approche stratégique globale qui concilie les mesures d’assistance à court terme et la résilience à long terme. La hausse des prix des produits alimentaires, provoquée par des chocs de l’offre ou de la demande, la volatilité des marchés mondiaux et l’instabilité macroéconomique, peut avoir de graves conséquences sur la sécurité alimentaire, notamment parmi les populations vulnérables ou à faible revenu. Pour atténuer ces effets et éviter de futures crises, les pouvoirs publics peuvent associer des mesures budgétaires ciblées, des systèmes de protection sociale efficaces, des politiques macroéconomiques coordonnées, des réformes structurelles et des réformes liées au commerce, ainsi que des investissements stratégiques dans les données, les infrastructures et l’innovation. Les mesures exposées ci-après forment un plan d’action stratégique destiné à permettre de faire face aux tensions actuelles tout en renforçant les fondations des systèmes agroalimentaires pour les rendre plus résilients et plus équitables.
Conception de mesures efficaces face à l’inflation des prix des produits alimentaires
Les mesures budgétaires ciblées jouent un rôle essentiel en aidant les populations vulnérables durant les périodes de forte inflation des prix des produits alimentaires. Ces interventions doivent être étroitement intégrées dans l’environnement macroéconomique et politique global de chaque pays. Pour assurer la durabilité à long terme, les mesures budgétaires doivent être assorties d’un calendrier précis et comprendre des stratégies de retrait bien définies. Cela écarte le risque lié à des engagements permanents qui pourraient réduire la future marge de manœuvre budgétaire ou porter la dette publique à des niveaux insoutenables.
Les réductions de taxes sur les biens essentiels, notamment les produits alimentaires, peuvent apporter une aide immédiate aux ménages confrontés à une augmentation du coût de la vie. Cependant, les mesures de ce type doivent être mises en balance avec la nécessité de disposer de recettes publiques viables, notamment dans les pays dont la capacité budgétaire est limitée. Lorsqu’ils mettent en place des exonérations fiscales, les pouvoirs publics doivent vérifier si les avantages se répercutent effectivement jusqu’au consommateur, afin que les mesures aient l’effet souhaité.
Renforcement de la protection sociale en cas de tensions inflationnistes
Les systèmes de protection sociale sont indispensables pour atténuer, au moyen de transferts en espèces ou en nature, les effets des crises des prix des produits alimentaires sur les ménages à faible revenu. Cependant, dans les contextes de forte inflation, la valeur de ces transferts peut s’éroder. Les programmes doivent donc être conçus de manière à faire face aux tensions inflationnistes par des dispositifs souples qui permettent d’ajuster la valeur des transferts et d’éviter les augmentations de prix.
Une protection sociale efficace nécessite non seulement un financement adéquat, mais aussi une conception rigoureuse et des systèmes de mise en œuvre fiables. Les dispositifs de ciblage doivent être transparents et réactifs, et les interventions doivent compléter les stratégies plus larges en matière de sécurité alimentaire et de nutrition. La protection sociale peut ainsi servir à la fois de filet de sécurité et de facteur de stabilisation en période de hausse des prix des produits alimentaires.
Amélioration de la coordination entre politiques monétaires et politiques budgétaires
La stabilité macroéconomique est essentielle pour lutter contre l’inflation des prix des produits alimentaires. Une politique budgétaire saine doit venir compléter une politique monétaire crédible et transparente afin de fixer les prévisions d’inflation et de stabiliser les marchés nationaux, y compris les systèmes agroalimentaires. Des actions coordonnées peuvent aider à éviter de fortes dévaluations de la monnaie, à atténuer l’instabilité financière et à accroître la confiance des investisseurs.
Amélioration des politiques structurelles et des politiques liées au commerce
Des interventions à court terme sur les prix, comme des mesures de contrôle des prix ou des subventions, peuvent apporter une aide temporaire, mais s’accompagnent souvent de distorsions des marchés et sont au bout du compte inefficaces. En lieu et place, les pouvoirs publics doivent suivre une stratégie constante, coordonnée et transparente pour gérer l’évolution des prix sur le long terme. Il convient notamment d’augmenter les réserves alimentaires, d’améliorer la transparence des marchés et d’investir dans les infrastructures liées au commerce.
Les restrictions à l’exportation peuvent atténuer à court terme les tensions intérieures sur les prix, mais elles perturbent souvent les marchés mondiaux et sapent les incitations à long terme visant les producteurs. Les décideurs publics doivent harmoniser les mesures commerciales avec les objectifs plus larges en matière de sécurité alimentaire et de gestion des risques afin de réduire le plus possible les effets imprévus.
Le maintien de réserves alimentaires stratégiques peut contribuer à amortir les chocs de l’offre et à stabiliser les prix, mais ces dispositifs doivent être conçus avec soin. Les décideurs publics doivent trouver le juste milieu entre les objectifs relatifs à la sécurité alimentaire et à la nutrition et les risques potentiels d’ordre budgétaire ou liés aux marchés. L’intégration des réserves alimentaires dans un cadre plus large de gestion des risques permet d’améliorer leur efficacité et de réduire les conséquences imprévues.
Renforcement de la résilience par l’information sur les marchés et l’investissement
Il est essentiel de renforcer les systèmes d’information sur les marchés agricoles pour éviter les perturbations des marchés et assurer la stabilité des prix. Des données transparentes, fiables et actualisées contribuent à réduire la spéculation, à aider les petits exploitants à participer aux marchés, et à améliorer l’efficience globale de ces derniers. Dans le contexte de systèmes agroalimentaires mondiaux de plus en plus complexes, un système d’information sur les marchés plus performant peut être un outil crucial pour renforcer la résilience.
Au-delà des systèmes d’information, il faut investir sur la durée dans la productivité agricole, les infrastructures et l’innovation pour renforcer la résilience à long terme. Les investissements dans la recherche-développement, le stockage et les infrastructures de transport sont particulièrement importants pour réduire les pertes de produits alimentaires, améliorer le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement et atténuer les futurs chocs relatifs aux prix des aliments. Ces efforts peuvent jeter les bases de systèmes agroalimentaires plus inclusifs et plus durables.
Tendances, politiques et voies empruntées: analyse des trajectoires
Bien qu’exposés à des tensions similaires sur les prix mondiaux, les pays affichent des résultats différents en matière de sécurité alimentaire face à l’inflation des prix des produits alimentaires. Entre 2015 et 2023, les niveaux nationaux d’inflation des prix des denrées alimentaires et de sécurité alimentaire ont varié considérablement selon les pays, offrant un éclairage crucial sur le rôle des politiques publiques. Cette hétérogénéité donne une occasion précieuse de déterminer et d’analyser les interventions qui ont effectivement atténué les chocs relatifs aux prix des produits alimentaires et préservé la sécurité alimentaire. L’évaluation de 153 pays montre que, même parmi ceux qui avaient initialement des niveaux comparables d’insécurité alimentaire, les résultats ont divergé; certains pays ont maintenu ces niveaux ou les ont abaissés, tandis que d’autres ont connu un net recul de la sécurité alimentaire.
Un examen approfondi de plus de 10 000 mesures documentées et de 35 instruments de politique générale fait apparaître des différences importantes dans l’action publique en fonction des trajectoires des pays en matière de sécurité alimentaire. Ces constatations soulignent l’importance des stratégies adaptées au contexte: les interventions qui donnent des résultats positifs dans un contexte pourront être moins efficaces, voire contre-productives, dans un autre. Il est essentiel d’avoir conscience de ces différences contextuelles et de s’y adapter pour concevoir des politiques qui aient des effets à la fois immédiats et pérennes.
Les pays qui connaissent une insécurité alimentaire se situant dans la tranche moyenne inférieure ou élevée ont tendance à recourir plus fortement à des mesures de contrôle des prix et à des subventions à la production agricole. Dans les pays où le niveau d’insécurité alimentaire se situe dans la tranche moyenne inférieure, des mesures de contrôle des prix ressortent de plus de 25 pour cent des observations pays-années, tandis que dans ceux qui présentent une insécurité alimentaire élevée, ce chiffre atteint 30 pour cent – dans les deux cas, la proportion est nettement supérieure à celle constatée dans les pays où la sécurité alimentaire est plus stable. Les subventions à la production sont également beaucoup plus courantes dans ces contextes. Par exemple, les pays qui connaissent une insécurité alimentaire élevée et une détérioration de la sécurité alimentaire dans un contexte d’inflation légère sont près de 37,2 pour cent à recourir à de telles subventions. Il est intéressant de noter que, dans les pays où le niveau d’insécurité alimentaire se situe dans la tranche moyenne inférieure et qui voient leur sécurité alimentaire s’améliorer en dépit d’une très forte inflation, ces subventions sont également souvent utilisées (23,2 pour cent), ce qui met en lumière qu’un soutien bien ciblé à la production peut compenser efficacement les tensions inflationnistes.
En revanche, les pays où l’insécurité alimentaire est faible et qui enregistrent des résultats stables ou en progression sont plus susceptibles de déployer un assemblage stratégique d’instruments de politique commerciale. Ce sont les pays présentant une insécurité alimentaire de référence faible, notamment ceux qui parviennent à préserver ou à améliorer la sécurité alimentaire, qui ont le plus souvent imposé des restrictions à l’importation. À mesure que l’insécurité alimentaire de référence augmente, la fréquence des restrictions à l’exportation diminue nettement. Parmi les pays qui présentent une insécurité alimentaire élevée, ceux où la sécurité alimentaire se détériore et qui sont confrontés à une inflation légère uniquement mettent souvent en place des restrictions à l’importation (37,2 pour cent). Cependant, dans des pays similaires, mais qui ont vu leur sécurité alimentaire s’améliorer après leurs difficultés passées, l’utilisation des restrictions à l’importation était bien moins fréquente (5,4 pour cent), y compris en présence d’une très forte inflation. Une tendance parallèle se fait jour dans les pays dont le niveau d’insécurité alimentaire se situe dans la tranche moyenne inférieure, où la libéralisation des droits de douane à l’importation est bien plus courante parmi ceux où la sécurité alimentaire recule (38,9 pour cent) que parmi ceux dont la situation s’améliore (4,2 pour cent), ce qui laisse penser que des mesures commerciales réactives et disparates peuvent compromettre le renforcement à long terme de la sécurité alimentaire.
CONCLUSION
La récente période de tension inflationniste sur les prix des produits alimentaires a de nouveau mis à l’épreuve la résilience des systèmes agroalimentaires du monde entier au regard de la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD – éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition sous toutes ses formes d’ici à 2030. Des difficultés considérables et sans précédent se sont présentées, mais un message clair se dégage: cette fois, le monde a réagi plus efficacement. Les signes d’amélioration des chiffres de la faim et de l’insécurité alimentaire suggèrent que les efforts déployés dans le monde entier pour se relever après les récents revers ont eu des effets positifs. Cependant, les tendances régionales divergentes mettent en lumière des disparités persistantes dans les difficultés que rencontrent les pays et les instruments d’action dont ils disposent.
Par rapport aux crises précédentes, notamment les flambées des prix des denrées alimentaires de 2007 à 2008, la riposte mondiale de 2021 à 2023 a été plus coordonnée, plus réfléchie et plus éclairée. Les pouvoirs publics ont évité de recourir à des interdictions des exportations et ont opté pour des interventions temporaires, plus ciblées, qui ont contribué à maintenir le flux des échanges commerciaux de produits agricoles et à conserver des marchés fonctionnels. Les initiatives telles que le Système d’information sur les marchés agricoles ont renforcé la transparence, réduit la spéculation et incité à prendre des décisions d’orientation plus rationnelles. Les pays qui disposent d’institutions et de systèmes de protection sociale robustes ont pu réagir plus rapidement et soutenir plus efficacement les populations vulnérables. Malgré les difficultés considérables que l’inflation a engendrées pour les ménages, notamment les plus pauvres, ces améliorations des politiques et ces cadres institutionnels ont contribué à atténuer les effets les plus marqués.