MESSAGES CLÉS
  • L’inflation des prix des produits alimentaires se répercute différemment sur les résultats obtenus en ce qui concerne la sécurité alimentaire selon les pays. Bien que tous les pays aient été confrontés à des tensions comparables sur les prix mondiaux des denrées alimentaires entre 2015 et 2023, l’inflation des prix de ces produits et la situation en matière de sécurité alimentaire ont été très variables de l’un à l’autre.
  • Les politiques publiques nationales ont varié en fonction des trajectoires de la sécurité alimentaire. Les pays dont la situation dans ce domaine se dégradait ou fluctuait se sont beaucoup plus appuyés sur des mesures de contrôle des prix et des subventions à la production agricole que ceux où la trajectoire de la sécurité alimentaire était plus stable. Les pays où l’insécurité alimentaire était faible initialement et s’est améliorée ou est demeurée stable ont généralement adopté divers instruments de politique commerciale, contrairement à ceux qui connaissaient au départ une forte insécurité alimentaire, dans lesquels le recours aux instruments de ce type a été plus limité.
  • Des enseignements en matière de politiques se dégagent de l’expérience acquise par les pays durant les récentes périodes d’inflation des prix des produits alimentaires. Ils mettent en lumière des mesures concrètes qui peuvent aider les pouvoirs publics à réagir plus efficacement aux chocs futurs, en trouvant le juste milieu entre l’assistance immédiate et la résilience à long terme des marchés:

Concevoir des mesures efficaces face aux flambées des prix

  • Les décideurs publics peuvent utiliser des mesures budgétaires ciblées pour faciliter l’accès économique des populations vulnérables à la nourriture en cas de perturbations de l’économie telles qu’une forte inflation des prix des denrées alimentaires. Ces mesures doivent toutefois concorder avec l’ensemble des politiques en place dans le pays considéré. Elles doivent aussi être assorties d’un calendrier précis et dotées de stratégies de retrait claires afin d’éviter qu’elles ne deviennent permanentes, ce qui rendrait difficile la réorientation des ressources une fois que les mesures en question ne sont plus nécessaires.
  • La réduction des taxes sur les biens essentiels, y compris les produits alimentaires, peut apaiser les tensions inflationnistes qui pèsent sur le budget des ménages, mais les pouvoirs publics doivent trouver l’équilibre entre cette réduction et la pérennité des recettes, surtout dans les contextes de restriction budgétaire.
  • Les gouvernements doivent vérifier que les réductions de taxe et les exonérations fiscales se répercutent bien sur les consommateurs pour s’assurer qu’elles sont efficaces.
  • Les programmes de protection sociale, notamment les transferts sous forme monétaire ou en nature, sont indispensables pour préserver la sécurité alimentaire et la nutrition des ménages vulnérables pendant les crises des prix des produits alimentaires. Les transferts monétaires doivent être conçus minutieusement pour lutter contre l’érosion potentielle de la valeur des transferts dans les contextes de forte inflation.

Améliorer la coordination entre les politiques monétaires et budgétaires

  • Il est crucial de mener des politiques budgétaires rigoureuses en complément de politiques monétaires cohérentes pour stabiliser les marchés intérieurs, notamment les marchés agroalimentaires.
  • Une gestion efficace de la dette publique, conjuguée à un ciblage approprié des dépenses publiques en faveur d’une alimentation nutritive pour tous, peut améliorer la résilience économique tout en préservant la pérennité budgétaire à long terme.
  • Les banques centrales doivent maintenir une politique monétaire cohérente, indépendante et transparente afin de donner confiance en la stabilité de l’inflation future et d’éviter des dévalorisations majeures des monnaies. Un engagement clair en faveur de la stabilité des prix permet de renforcer la confiance des investisseurs et d’atténuer l’instabilité financière, y compris sur les marchés agricoles.

Renforcer les mesures structurelles et les mesures liées au commerce pour endiguer l’inflation des produits alimentaires

  • Bien que les politiques des prix puissent permettre de lutter contre les prix élevés des denrées alimentaires à court terme, leurs effets sont temporaires; en outre, elles entraînent souvent une distorsion des marchés et se révèlent inefficaces pour contenir l’inflation des prix de ces produits.
  • Les taxes sur les exportations peuvent offrir un répit à court terme en abaissant les prix sur les marchés intérieurs, mais leur coût est généralement élevé: elles s’accompagnent d’une distorsion des marchés mondiaux, pèsent sur les pays importateurs et, au bout du compte, nuisent aux producteurs nationaux, car elles réduisent la compétitivité et diminuent les investissements.
  • Les pouvoirs publics doivent suivre une stratégie stable, coordonnée et transparente pour lutter contre les augmentations de prix des produits alimentaires sur le long terme. Dans le cadre de cette démarche, il convient d’envisager des mesures visant à réduire le risque d’épisodes prolongés de prix élevés des produits alimentaires et de soutenir dans le même temps aussi bien les producteurs que les consommateurs, notamment: i) en gérant les dispositifs de réserves alimentaires de manière adéquate; ii) en renforçant la transparence des marchés; iii) en améliorant les systèmes de surveillance des prix des produits alimentaires et la collecte de données; iv) en investissant dans des infrastructures liées au commerce; et v) en réduisant les barrières non tarifaires au commerce.

Renforcer la résilience au moyen des données, de l’information et des investissements

  • Lorsqu’ils sont transparents et qu’ils fonctionnent bien, les systèmes d’information sur les marchés agricoles peuvent aider à préserver la stabilité des prix. Devant la complexité croissante des systèmes agroalimentaires mondiaux, il est indispensable d’investir dans la collecte de données et de renforcer ces systèmes pour atténuer les perturbations des chaînes d’approvisionnement alimentaire, éviter les flambées spéculatives des prix et aider les petits exploitants agricoles à accéder à des marchés équitables et concurrentiels.
  • Pour réduire le risque d’inflation future des prix des produits alimentaires, il faut investir de manière durable dans l’amélioration des infrastructures agricoles, y compris dans la recherche-développement, les routes commerciales et le stockage, de façon à faciliter l’accès aux marchés et à augmenter la résilience du secteur de l’agriculture face aux chocs et aux perturbations, à accroître la productivité de manière durable et à renforcer les chaînes d’approvisionnement alimentaire.

Au cours de la pandémie de covid-19, les gouvernements du monde entier ont mis en œuvre des mesures budgétaires extraordinaires pour atténuer les répercussions sociales et économiques. Parmi les mesures prises, on peut citer les politiques de prix, les exonérations fiscales ou les transferts sous forme monétaire ou en nature pour aider les ménages et les entreprises. De nombreux pays ont également augmenté les dépenses publiques de santé afin de renforcer les systèmes de santé, de garantir l’accès aux vaccins et aux médicaments, et de préserver la sécurité alimentaire et la nutrition1. Dans certains cas, les interventions budgétaires ont atteint des niveaux de dépenses publiques sans précédent, ce qui a considérablement creusé les déficits budgétaires (voir le chapitre 3). De nombreux pays à revenu élevé, en particulier, ont pu mobiliser des ressources budgétaires énormes en empruntant à des taux d’intérêt bas, alors que les pays à revenu faible ou intermédiaire ont pour la plupart dû composer avec une marge de manœuvre budgétaire plus limitée2.

De nombreux gouvernements ont mis en place un soutien budgétaire ciblant les secteurs les plus touchés par la crise, comme l’agriculture. Des subventions ont été accordées pour maintenir la production alimentaire et protéger les petits exploitants agricoles contre d’éventuelles pertes de revenu, et des programmes d’investissement public ont été mis en place pour stimuler la reprise économique. Afin d’atténuer les répercussions sur les populations vulnérables, les programmes de protection sociale ont été élargis, notamment les transferts en nature et sous forme monétaire et les exemptions de paiement de charges courantes telles que l’eau, le gaz ou l’électricité3, 4. Ces mesures ont contribué à stabiliser les économies et à préserver les moyens de subsistance, mais elles ont aussi augmenté considérablement les niveaux d’endettement public, ce qui a soulevé des inquiétudes quant à la pérennité budgétaire et à la capacité de faire face à des chocs économiques futurs5.

Ces mesures budgétaires de grande ampleur ont été complétées par des politiques monétaires très accommodantes, les banques centrales du monde entier assouplissant leur politique monétaire pour soutenir l’activité économique, ce qui a alimenté l’inflation. Les taux d’intérêt ont été rapidement abaissés à des niveaux proches de zéro dans un grand nombre d’économies avancées, tandis que des programmes d’assouplissement quantitatif ont injecté des liquidités sur les marchés financiers. Les pays émergents et les pays en développement ont, eux aussi, adopté des mesures d’assouplissement des conditions monétaires, quoiqu’à un moindre degré en raison d’inquiétudes concernant l’inflation et des pressions liées aux taux de change. Lorsque les tensions inflationnistes ont commencé à s’accentuer au lendemain de la pandémie, les banques centrales ont maintenu dans un premier temps une attitude prudente, considérant que l’inflation était provisoire. Le resserrement monétaire a donc été amorcé relativement tard, ce qui a exposé les économies à une poussée de l’inflation et rendu plus difficile la recherche de l’équilibre entre les objectifs des politiques budgétaires et ceux des politiques monétaires.

Alors que l’inflation commençait déjà à s’accélérer, le déclenchement de la guerre en Ukraine a aggravé encore les pressions économiques mondiales. La guerre, conjuguée à d’autres tensions politiques et à des phénomènes météorologiques extrêmes, a accentué la fragmentation géopolitique, ce qui a donné lieu à une réorganisation des chaînes d’approvisionnement et entraîné une augmentation des coûts commerciaux. Les risques géopolitiques ont accru l’incertitude autour des marchés, aggravé l’instabilité des prix et perturbé les routes commerciales, tandis que les droits de douane et les sanctions adoptés en représailles ont mis l’économie à rude épreuve. L’implication de grands pays commerçants a amplifié les effets néfastes sur les échanges internationaux et accentué les problèmes auxquels se heurtaient des économies déjà aux prises avec des tensions inflationnistes.

Les politiques publiques peuvent tout à la fois contribuer à l’inflation des prix des produits alimentaires et constituer une partie de la solution. La figure 4.1 illustre l’interaction complexe entre les chocs mondiaux, les politiques publiques et leurs conséquences pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Déclenchés par la pandémie de covid-19, la guerre en Ukraine et d’autres phénomènes extrêmes, les chocs liés à la demande et à l’offre sont apparus comme étant des facteurs majeurs de l’inflation des prix des produits alimentaires à l’échelle mondiale. Pour y faire face, des politiques budgétaires, monétaires et commerciales ont été mises en place, selon des modalités différentes toutefois. D’un côté, les dépenses budgétaires excessives et les politiques monétaires expansionnistes ont intensifié les tensions inflationnistes. De l’autre, ces mêmes mesures, quand elles sont bien conçues, par exemple correctement ciblées, assorties d’un calendrier précis, équilibrées et coordonnées, peuvent maintenir l’inflation à un niveau jugé souhaitable. Les politiques publiques sont les principaux leviers permettant d’influer sur les résultats. Les décideurs publics doivent donc bien analyser leurs effets, envisager certains compromis et procéder aux arbitrages nécessaires, et adapter les politiques à mesure que la situation évolue pour faire en sorte qu’elles contribuent efficacement à la réalisation des objectifs de sécurité alimentaire et de nutrition.

FIGURE 4.1 LES POLITIQUES PUBLIQUES PEUVENT TOUT À LA FOIS CONTRIBUER À L’INFLATION DES PRIX DES PRODUITS ALIMENTAIRES ET CONSTITUER UNE PARTIE DE LA SOLUTION

SOURCE: Auteurs du présent document (FAO).

Dans le présent chapitre, les auteurs examinent la façon dont les pays ont réagi face aux épisodes de forte inflation des prix des produits alimentaires ainsi que les effets que les dispositions adoptées ont eus sur ces prix, la sécurité alimentaire et la nutrition, et proposent également un certain nombre de mesures. La première partie du chapitre est consacrée à l’analyse de différents types de mesures budgétaires, monétaires et commerciales couramment appliquées au cours du dernier épisode en date d’inflation des prix des produits alimentaires. Elle donne également des éclairages sur la manière dont les mesures en question peuvent avoir contribué à l’évolution de cette inflation, ainsi que sur la façon dont elles devaient atténuer les répercussions inflationnistes sur la sécurité alimentaire et la nutrition. La seconde partie du chapitre porte sur les trajectoires de l’inflation des prix des produits alimentaires et de l’insécurité alimentaire observées dans différents groupes de pays au cours de la période allant de 2015 à 2023. Les informations dont on dispose au sujet des mesures mises en œuvre durant cette période apportent des éléments de compréhension sur la façon dont les dispositions en question pourraient être corrélées aux différents résultats obtenus en matière d’inflation et d’insécurité alimentaire.

4.1 De l’assistance à la réflexion

4.1.1 Mesures budgétaires prises en réaction aux épisodes de prix élevés des produits alimentaires

Mesures de soutien en faveur du secteur agricole

La politique budgétaire est souvent la première ligne de défense que les pouvoirs publics peuvent mettre en place face à des épisodes de prix élevés des produits alimentaires, en faisant appel à des dispositions fiscales et à des mesures axées sur les dépenses pour atténuer les répercussions sur les moyens de subsistance. Pendant la pandémie de covid-19, les gouvernements ont consacré environ 17 000 milliards d’USD à diverses mesures budgétaires à l’échelle mondiale1, y compris dans le cadre d’initiatives visant à garantir des approvisionnements alimentaires suffisants pour leur population. Ces mesures peuvent apporter une aide essentielle, mais elles risquent aussi de contribuer à une augmentation de la demande de produits alimentaires. Si l’offre ne parvient pas à suivre le rythme, l’inflation des prix de ces produits peut s’emballer6. En outre, les initiatives destinées à limiter l’inflation au moyen de subventions peuvent parfois aller à l’encontre du but recherché et pousser incidemment les prix mondiaux à la hausse7. Les politiques budgétaires et commerciales mises en œuvre pour faire face aux fortes hausses des prix des denrées alimentaires en 2010-2011 pourraient ainsi être responsables de 40 pour cent de l’augmentation des prix mondiaux du blé et de 25 pour cent de ceux du maïs8. Par conséquent, bien que les mesures budgétaires jouent un rôle majeur pour remédier aux problèmes à court terme qui se posent en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, elles doivent être conçues avec soin pour éviter d’aggraver les tensions inflationnistes.

L’ampleur du soutien financier destiné au secteur agricole pendant la pandémie de covid-19 souligne l’étendue des efforts déployés par les gouvernements pour atténuer la crise. Au cours de la seule année 2020, par exemple, au moins 157 milliards d’USD ont été consacrés à ce secteur dans 54 pays à revenu élevé ou intermédiaire. Les aides aux producteurs agroalimentaires ont représenté 37 pour cent de ces dépenses9. De nombreux pays à faible revenu, dont le Ghana, le Nigéria, la République-Unie de Tanzanie, le Sénégal et le Zimbabwe, se sont efforcés à nouveau d’aider les agriculteurs au moyen de subventions afin de réduire la dépendance à l’égard des aliments de base importés10. Les aides comprenaient des subventions pour l’achat d’engrais et de semences (en Inde et au Malawi) et des prêts accordés à des entreprises agricoles (en Allemagne et en République dominicaine) en vue de soutenir l’approvisionnement alimentaire11.

En 2022, les aides accordées à l’agriculture ont considérablement reculé à l’échelle mondiale et sont revenues à des niveaux légèrement supérieurs à ceux d’avant la covid-19, car les gouvernements ont revu à la baisse l’assistance fournie au cours de la pandémie. Cette réduction du soutien apporté aux producteurs agricoles a été observée dans toutes les catégories de revenu. Dans les pays à revenu élevé, le soutien à l’agriculture s’est maintenu à un niveau supérieur à celui des autres groupes de pays, une grande partie des aides ayant été dirigée vers les producteurs sous la forme de subventions et de programmes d’assistance. À l’inverse, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et les pays à faible revenu ont affiché des niveaux globalement moins élevés de soutien à l’agriculture. Face à l’augmentation des prix des produits alimentaires, les pays ont de plus en plus souvent donné la priorité à la stimulation de la production alimentaire intérieure, et ce malgré la réduction générale du soutien public à l’agriculture par rapport aux niveaux enregistrés pendant la pandémie12. Dans l’Union européenne, par exemple, plusieurs pays, dont l’Autriche, l’Italie, la Pologne et la Tchéquie, ont repoussé ou revu à la baisse certaines mesures en faveur de la durabilité, comme les restrictions à l’utilisation de pesticides et les exigences appliquées aux terres en jachère, afin de stimuler la production alimentaire intérieure13.

Après la pandémie de covid-19, de nombreux pays ont réduit les dépenses budgétaires, mais les tensions inflationnistes les ont amenés à maintenir le soutien destiné à des secteurs clés tels que l’agriculture. Malgré le resserrement budgétaire, le retour aux niveaux de dépense d’avant la pandémie a marqué le pas en 2023 et 202414, 15. En réaction aux prix élevés des prix des produits alimentaires, des pays comme le Chili, l’Inde, le Mexique et les Philippines ont mis en place des subventions aux intrants agricoles, en particulier les engrais, à partir de 202213. Au cours de la période inflationniste qui a suivi la pandémie, les pays ont eu du mal à lever certaines mesures de soutien, car les moyens de subsistance risquaient d’être mis à mal par les augmentations des prix des produits alimentaires. Une utilisation souple de la politique budgétaire, qui consisterait à envisager un soutien bien ciblé sur certains segments de la population conjugué à des restrictions budgétaires imposées à d’autres secteurs, pourrait réduire l’inflation tout en maintenant des niveaux adéquats de protection des personnes les plus vulnérables14.

Politiques de prix: atténuer les effets de la flambée des prix des produits alimentaires

Les politiques de prix comptent parmi les mesures les plus couramment mises en œuvre lors des épisodes d’inflation des prix des denrées alimentaires. Ces politiques visent à maintenir les niveaux de prix de certains produits au-dessous (ou au-dessus) d’un seuil prédéfini. Elles comprennent des initiatives telles que les contrôles des prix, qui peuvent offrir un répit immédiat, ou stimuler la production et apporter une solution à moyen terme, par exemple au moyen de prix minimums de soutien (PMS) destinés à stimuler la production de certains produits. Les politiques de prix sont coûteuses sur le plan budgétaire et entraînent des distorsions des marchés des denrées alimentaires. Le principe économique selon lequel «les prix élevés sont le meilleur remède contre les prix élevés» repose sur l’hypothèse qu’une hausse des prix freine la demande et entraîne une réaction de l’offre (interne, par la production nationale, ou externe, par les importations) qui stabilise et fait baisser les prix. Les contrôles directs exercés sur les prix peuvent contribuer à atténuer les effets de l’inflation des prix des produits alimentaires sur les ménages, mais peuvent également nuire aux revenus des agriculteurs et freiner les investissements à long terme. Les instruments fiscaux (les subventions, par exemple) qui sont utilisés pour faire baisser les prix à la consommation tout en maintenant des prix à la production élevés exigent d’importantes dépenses publiques, peuvent être régressifs (en particulier dans le cas des programmes non ciblés) et difficiles à arrêter par la suite16-18, et peuvent en outre alimenter l’inflation19, 20. L’efficacité de ces politiques dépend de la réactivité de l’offre et de la demande aux variations de prix (c’est-à-dire leur degré d’élasticité) et de la nature des chocs initiaux. Les systèmes élastiques caractérisés par des mécanismes de marché efficaces gagnent à laisser les prix s’ajuster; en parallèle, il est important d’accorder une attention prioritaire à d’autres instruments tels que les programmes de protection sociale.

Alors que les politiques des prix ont été très largement appliquées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire au cours du dernier épisode en date de prix élevés des produits alimentaires, leur mise en œuvre a été plus limitée dans les pays à revenu élevé. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les contrôles des prix et les subventions alimentaires ont été courants. En Afrique, par exemple, des pays comme le Burkina Faso et le Sénégal ont mis en place des politiques visant à stabiliser les prix des denrées alimentaires: le premier a instauré des prix plafonds pour des produits comme le maïs, et le second a accordé des subventions pour le riz. En Asie, l’Indonésie, les Philippines et Sri Lanka ont mis l’accent sur des interventions axées sur les prix, Sri Lanka instituant, par exemple, des contrôles sur le prix du riz et de l’huile de cuisine. Dans les pays à revenu élevé, en revanche, les politiques des prix ont été moins fréquentes. De nombreux pays européens, dont la Hongrie, le Portugal et la Roumanie, ont préféré faire porter leurs mesures de contrôle des prix sur le secteur de l’énergie plutôt que sur l’alimentation afin de protéger les consommateurs contre la hausse des coûts des combustibles16. Ces différences tiennent à deux facteurs principaux: dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, l’alimentation représente une part bien supérieure du revenu des ménages – jusqu’à 40 pour cent, contre environ 10 pour cent dans les pays à revenu élevé. En outre, comme cela est analysé au chapitre 3, la forte hausse des coûts énergétiques a été l’une des principales causes de l’inflation des prix des produits alimentaires aux États-Unis d’Amérique et dans la zone euro entre 2022 et 202421.

L’efficacité des politiques de prix demeure limitée sur le long terme et peut conduire à une répartition inéquitable des coûts et des avantages. Le plafonnement des prix de détail de certaines denrées a produit l’effet à court terme attendu, à savoir la baisse des prix et la protection des consommateurs. Au Pakistan, par exemple, les prix bas de la farine de blé ont bénéficié aux consommateurs, mais cela s’est fait au détriment des producteurs de blé22. En Inde, par le passé, la portée du système d’achat du riz était limitée, car celui-ci excluait souvent les petits paysans et les paysans marginaux. En conséquence, les grands producteurs et les acteurs privés en tiraient avantage de manière disproportionnée, tandis que les petits agriculteurs vendaient au-dessous des PMS23. Les interventions axées sur les PMS peuvent aussi fausser les signaux donnés par les prix dans l’ensemble des cultures, et risquent de déboucher sur une affectation inefficace des ressources et sur des modifications involontaires de la production, comme cela a été observé dans six États indiens24. L’augmentation des aides consacrées aux PMS du riz et du blé, notamment avant 2014, a incité les agriculteurs à se détourner de la culture de graines oléagineuses, ce qui a réduit la diversification des cultures et risque d’avoir par la suite des incidences néfastes sur la sécurité alimentaire et la nutrition25-27. Si elles ne sont pas ciblées de manière adéquate, les politiques de prix peuvent aussi compromettre les efforts destinés à encourager l’adoption d’une alimentation saine. Des données recueillies dernièrement dans 10 pays d’Asie du Sud-Est et du Pacifique Ouest font apparaître que de nombreux pays avaient adopté des mesures de soutien des prix de substituts du lait maternel ou de produits riches en sodium ou en sucres ne figurant pas dans les recommandations nutritionnelles fondées sur le choix des aliments. Nombre d’entre eux avaient toutefois également mis en place d’autres dispositions visant à promouvoir la consommation d’aliments sains, ce qui souligne la nécessité de renforcer la cohérence des politiques28.

Au cours du dernier épisode en date d’inflation, les pouvoirs publics ont réduit ou supprimé des taxes sur les denrées alimentaires et d’autres produits afin d’atténuer les hausses de prix. Les pays à revenu faible ou intermédiaire ont axé principalement leurs exonérations fiscales sur les denrées alimentaires, avec comme objectif d’alléger la charge que représentait l’augmentation des prix de ces produits. Les Fidji, l’Ouzbékistan et le Paraguay ont ainsi abaissé la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) d’un ensemble de denrées alimentaires afin de préserver la sécurité alimentaire des ménages pendant la période d’inflation16. En mai 2023, près de 99 pays avaient mis en œuvre des mesures fiscales, qui consistaient pour près des trois quarts d’entre elles à réduire ou à suspendre des taxes indirectes telles que la TVA sur les produits alimentaires29. Les pays à revenu élevé, en revanche, ont généralement ciblé le secteur de l’énergie au moyen d’exonérations fiscales de façon à atténuer les répercussions de la hausse des coûts des combustibles sur les consommateurs. Des pays comme la Belgique, l’Espagne, la Slovénie et la Suède ont instauré des exonérations fiscales sur l’électricité, les combustibles et le gaz. Ces pays se sont concentrés sur l’énergie, mais d’autres ont aussi pris des mesures relatives à l’alimentation, comme la Pologne, qui a abaissé la TVA sur plusieurs produits, et la France, qui a appliqué le taux de TVA réduit de 5,5 pour cent à certaines denrées pour alléger les dépenses des ménages30, 31.

Les exonérations ou les allégements fiscaux ne débouchent pas toujours sur une baisse des prix pour les consommateurs, car leurs retombées peuvent être très variables. Les données recueillies concernant l’effet de répercussion des réductions des taux de TVA sont contrastées, les résultats dépendant d’autres facteurs comme la compétitivité sur les marchés18. Au cours de la pandémie de covid-19, l’Allemagne a, par exemple, abaissé temporairement la TVA sur les produits alimentaires afin de stimuler l’économie. En moyenne, les prix pratiqués dans les supermarchés ont diminué de 1,3 pour cent environ, ce qui semble indiquer qu’approximativement 70 pour cent de la baisse de TVA a été répercutée sur les consommateurs32. La Pologne a appliqué, elle aussi, une réduction provisoire de la TVA sur les produits alimentaires essentiels dans le cadre d’un train de mesures de lutte contre l’inflation. Dans un premier temps, toutefois, cette réduction n’a eu qu’un effet limité sur les prix à la consommation, puis elle s’est répercutée presque en intégralité au bout de cinq mois31. En Argentine, les ménages à revenu élevé ont davantage bénéficié des mesures portant sur la TVA, car les baisses de prix avaient une probabilité moindre de se faire sentir dans les magasins d’alimentation générale indépendants, où les personnes à faible revenu font généralement leurs courses33.

En outre, la suppression ou la réduction de taxes pourrait entraîner une diminution des recettes fiscales, ce qui peut être particulièrement important dans les pays dont la marge de manœuvre budgétaire est déjà faible. Pendant la crise des prix des denrées alimentaires de 2007-2008, la réduction des taxes s’est accompagnée d’une diminution équivalente à 7 pour cent des recettes fiscales totales en Guinée-Bissau34, tandis qu’au Niger une exonération fiscale appliquée au riz et au sucre a abouti à un recul de 12 milliards de francs CFA (XOF) (18,2 millions d’EUR) environaq de recettes fiscales en 200836. La Cour des comptes de la Suède a constaté que la réduction de la TVA sur les produits alimentaires avait coûté 30 milliards de couronnes suédoises (SEK) (2,8 milliards d’EUR)ar en 2018, alors que d’autres mesures, plus ciblées, comme l’augmentation des pensions, auraient pu procurer les mêmes avantages pour un coût deux fois moindre37. Cela étant, ces exonérations fiscales pourraient être mises en œuvre parallèlement à des réformes fiscales structurelles plus larges destinées à abaisser les prix relatifs d’aliments nutritifs. L’imposition de taxes sur les boissons sucrées pourrait ainsi générer des recettes fiscales supplémentaires38. Actuellement, 115 pays ont imposé des taxes sur ces boissons39, 40; les nouvelles recettes engendrées peuvent ensuite être dirigées vers le financement de politiques visant à soutenir la réalisation d’objectifs nutritionnels pour les populations les plus vulnérables.

Programmes de protection sociale: soutien aux consommateurs les plus pauvres

Les pouvoirs publics utilisent couramment des mesures budgétaires axées sur les consommateurs, comme les transferts directs sous forme de produits alimentaires ou sous forme monétaire, pour soutenir les ménages lors des périodes de prix élevés des denrées alimentaires. Pour aider les ménages à faire face à des chocs tels que la pandémie de covid-19, les extrêmes climatiques, les conflits ou les prix élevés des denrées alimentaires, les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre des programmes de protection sociale comme des bons d’alimentation et des transferts monétaires. Dans les pays à revenu élevé, ils peuvent aussi élargir la portée de subventions ciblées et augmenter les financements accordés aux banques alimentaires pour venir en aide aux personnes en situation d’insécurité alimentaire41.

Certains programmes de protection sociale ont été transposés à plus grande échelle dans le cadre de mesures budgétaires prises en réaction à la pandémie de covid-19 et ont été l’une des composantes clés des aides publiques en faveur des ménages. En moyenne, les pays ont consacré l’équivalent de 2 pour cent de leur PIB aux dépenses de protection sociale en 2020 et 2021. Les dépenses ont été supérieures dans les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (plus de 2 pour cent) que dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (moins de 2 pour cent). Pour la plupart, ces mesures, y compris dans les pays à revenu élevé, ont été des initiatives de protection sociale non soumises à cotisation (aide sociale)3.

Des programmes de ce type ont aussi été mis en place pour lutter contre les effets de l’épisode d’inflation des prix des produits alimentaires qui est survenu plus récemment. Depuis la période 2021-2022, les annonces de programmes de protection sociale ont été plus nombreuses, mais le périmètre de ces programmes est demeuré inférieur à celui des initiatives entreprises au cours de la pandémie. En mai 2023, par exemple, 790 millions de personnes étaient prises en charge dans le cadre de programmes de transferts monétaires, contre 1,36 milliard lors de la pandémie (en 2020 et 2021)as29. La forte augmentation du nombre de mesures de protection sociale annoncées et mises en œuvre a commencé en 2022, année au cours de laquelle 563 initiatives ont été comptabilisées dans 158 pays, soit une progression de 62 pour cent depuis juillet 2021 (figure 4.2). L’aide sociale représente près d’un quart de ces mesures, 76 pour cent des transferts étant assurés sous forme monétaire, notamment au titre de transferts généralisés non assortis de conditions dans des pays comme la République islamique d’Iran (couverture de 90 pour cent) et la Pologne (52 pour cent)42. Les dépenses cumulées des mesures d’aide sociale annoncées entre juillet 2021 et avril 2023 s’élevaient à 256,3 milliards d’USD29.

FIGURE 4.2 REHAUSSEMENT DES MESURES DE PROTECTION SOCIALE DEPUIS 2022

SOURCES: Auteurs du présent document (FAO), d’après Gentilini, U. 2022. Links Sept 23 – *special edition* on responses to inflation! Dans: Weekly Social Protection Links. [Consulté le 8 avril 2025]. https://www.ugogentilini.net/links-sept-23-special-edition-on-responses-to-inflation; et FAO. 2025. Indice FAO des prix des produits alimentaires. Dans: Situation alimentaire mondiale. [Consulté le 17 mars 2025]. https://www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/fr

La récente poussée inflationniste a mis en évidence qu’il était nécessaire de transposer à plus grande échelle les programmes de protection sociale tenant compte de la nutrition pour contrer les répercussions possibles sur la consommation d’aliments sains et la nutrition. Plusieurs initiatives ont ciblé les ménages comptant des enfants29, une composante bien distincte des programmes à dimension nutritionnelle, mais peu d’entre elles ont intégré des éléments relatifs à la nutrition. Lorsqu’ils sont bien conçus, les programmes à dimension nutritionnelle peuvent améliorer les résultats obtenus en matière de nutrition, en particulier pour des groupes vulnérables comme les femmes et les enfants, en diversifiant l’alimentation et en réduisant les risques de malnutrition43, y compris dans les périodes d’inflation des prix des produits alimentaires. En 2023, une initiative à court terme de transfert monétaire tenant compte de la nutrition menée à Sri Lanka a permis d’augmenter la consommation d’aliments nutritifs chez les enfants et les personnes qui s’occupent d’eux; les transferts ont contribué à améliorer la consommation alimentaire et la diversité de l’alimentation malgré l’inflation des prix des denrées qui sévissait en parallèle44. À cet égard, le fait de prendre en compte l’«écart d’abordabilité», c’est-à-dire l’écart entre les dépenses alimentaires et le coût d’une alimentation saine, peut aider à concevoir des programmes de protection sociale qui, conjugués à d’autres initiatives en rapport avec la santé, préservent et encouragent la consommation d’aliments sains pendant les périodes de prix élevés des produits alimentaires45, 46.

Les programmes de transferts monétaires se sont révélés efficaces pour atténuer les répercussions des chocs agricoles ou des chocs relatifs aux prix sur la sécurité alimentaire. En Zambie, les transferts monétaires ont fait augmenter les dépenses alimentaires mensuelles par habitant dans une proportion comprise entre 29 et 34 pour cent et réduit le risque d’insécurité alimentaire grave dans une proportion comprise entre 22 et 23 pour cent pendant les périodes de crise47. En moyenne, un transfert de 100 USD a entraîné une augmentation mensuelle des dépenses alimentaires comprise entre 1,99 USD et 2,13 USD. Les effets positifs des transferts ont duré environ trois ans, car ils ont non seulement donné un coup de fouet à la consommation alimentaire des ménages, mais ont également pu être utilisés pour économiser ou investir à plus long terme48. Au Mexique, le programme de transferts monétaires assorti de conditions Progresa-Oportunidades a contribué à amortir les effets de la hausse des prix des produits alimentaires entre 2003 et 2007. Au cours de la crise des prix des denrées alimentaires de 2007, la consommation alimentaire des ménages ne produisant pas eux-mêmes leurs aliments a chuté de plus de 30 pour cent, mais les transferts monétaires réalisés dans le cadre du programme ont permis d’atténuer ce recul de 11 points de pourcentage environ. Cela met en évidence le rôle important de tampon que le programme joue pendant les périodes d’instabilité des prix49. Au Togo, les politiques publiques de transferts monétaires ont atténué efficacement les répercussions négatives de l’augmentation des prix. Les simulations font apparaître que ces transferts ont permis d’obtenir des résultats légèrement supérieurs à ceux des subventions alimentaires pour ce qui est de l’amélioration de la consommation et du bien-être des ménages50.

Les transferts monétaires peuvent parfois accentuer les problèmes économiques lors de crises telles que les flambées des prix. Dans les environnements où l’inflation est forte, la valeur des transferts monétaires peut s’éroder rapidement, ce qui nécessite d’apporter des ajustements avec soin pour trouver le juste équilibre entre la protection des bénéficiaires et le coût budgétaire51, 52. Si les prix locaux des denrées alimentaires sont déjà nettement plus élevés que les prix internationaux et si l’offre sur les marchés locaux est limitée, les transferts monétaires peuvent accentuer l’inflation, comme cela s’est produit au Kenya à la suite de la mise en œuvre du programme de protection sociale visant à lutter contre la faim52. De la même façon, le programme éthiopien de protection sociale fondé sur les activités productives a contribué à l’aggravation de l’inflation et réduit fortement le pouvoir d’achat des populations les plus pauvres53. L’indexation des transferts sur les prix des produits alimentaires ou la fourniture d’une aide alimentaire directe (encadré 4.1) peuvent se révéler plus efficaces pour maintenir le pouvoir d’achat51, 52.

ENCADRÉ 4.1TRANSFERTS SOUS FORME MONÉTAIRE OU EN NATURE À DES FINS HUMANITAIRES DANS LES CONTEXTES DE FORTE INFLATION

Les transferts sous forme monétaire ou en nature sont couramment utilisés dans les contextes humanitaires pour protéger les moyens de subsistance54. Le choix de la modalité de transfert s’appuie sur des évaluations qui tiennent compte du fonctionnement des marchés ainsi que d’autres facteurs tels que la faisabilité opérationnelle, le rapport coût-efficacité, les préférences des personnes concernées et la coordination avec les gouvernements et d’autres acteurs.

Le recours aux transferts monétaires dans les environnements de forte inflation a fait l’objet de débats en raison des préoccupations que suscite leur contribution potentielle aux hausses de prix et à la perte de pouvoir d’achat. Les informations disponibles indiquent toutefois que ces transferts ont des effets limités sur les augmentations des prix locaux des produits alimentaires lorsque les marchés fonctionnent correctement5556. Par ailleurs, les transferts monétaires à des fins humanitaires restent efficaces dans les contextes de forte inflation lorsque diverses adaptations sont apportées aux programmes. Parmi les adaptations possibles figurent les dispositifs destinés à actualiser régulièrement la valeur des transferts, les ajustements de la fréquence des versements et de la monnaie, l’intégration des risques économiques dans les plans d’intervention d’urgence et le suivi à intervalles rapprochés des prix locaux et d’autres variables économiques et financières.

Dans certaines situations humanitaires, lorsque les marchés sont perturbés et que les prix des denrées alimentaires sont élevés, il peut être plus adapté d’utiliser l’assistance en nature pour éviter d’exercer des pressions supplémentaires sur les marchés locaux54, 56. Par exemple, avant l’escalade du conflit dans la bande de Gaza, le Programme alimentaire mondial (PAM) utilisait principalement des transferts de type monétaire, en s’appuyant sur un vaste réseau de commerçants et en comptant sur l’approvisionnement régulier des marchés. Lorsque le conflit a perturbé l’accès aux marchés et les marchés eux-mêmes, le PAM est passé à la distribution de colis d’aliments prêts-à-consommer pour maintenir l’assistance. Au Soudan, les évaluations des marchés ont également fait ressortir de fortes augmentations des prix du sorgho, l’un des principaux aliments de base du pays, ce qui a amené le PAM à distribuer directement ce produit essentiel afin d’atténuer l’érosion du pouvoir d’achat des bénéficiaires.

Bien que les données recueillies au sujet des effets comparés de différentes modalités de transfert sur la sécurité alimentaire soient contrastées, la conception et la mise en œuvre des programmes de protection sociale à des fins humanitaires doivent rester adaptées au contexte et centrées sur les personnes pour parvenir à une efficacité et une efficience maximales.

4.1.2 De l’assouplissement au resserrement: les politiques monétaires en période de recrudescence de l’inflation

La politique monétaire, gérée par les banques centrales, régule la masse monétaire afin de stabiliser les prix et de maîtriser les fluctuations économiques, souvent en ciblant l’inflation. L’assouplissement accroît la masse monétaire, ce qui alimente l’inflation57; le resserrement, en revanche, diminue les disponibilités monétaires par le relèvement des taux d’intérêt, ce qui augmente les charges d’emprunt et a un effet dissuasif sur les dépenses. La politique de contraction monétaire a régulièrement réduit l’inflation des prix des denrées alimentaires dans les grandes économies émergentes, comme en Afrique du Sud, au Brésil, en Chine, en Fédération de Russie et en Inde, signe de son efficacité pour stabiliser les prix de ces produitsat59. Les politiques budgétaires et monétaires sont étroitement liées, car les déficits publics exigent d’emprunter, ce qui fait qu’ils sont sensibles aux fluctuations des taux d’intérêt. Quand ces taux augmentent, les charges d’emprunt augmentent également et limitent l’expansion budgétaire, tandis que la politique budgétaire a une incidence sur les taux de change en influant sur la confiance des investisseurs – l’accroissement de la dette peut affaiblir la confiance et entraîner une dépréciation de la monnaie nationale. L’interaction entre les politiques budgétaires et monétaires se répercute sur les prix d’un pays à l’autre.

Au début de la période d’inflation, les pays à revenu faible ou intermédiaire, en particulier ceux tributaires des importations des produits de base, ont été parmi les premiers à réagir aux préoccupations suscitées par la hausse des prix en relevant leurs taux d’intérêt. Cette démarche a été motivée par les rapides hausses de prix des denrées alimentaires, l’indexation des salaires sur les prix et les doutes sur l’évolution future de l’inflation. Ce sont des pays comme le Brésil, le Chili et le Mexique qui ont amorcé le cycle de resserrement, et la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire avaient pris d’importantes mesures à la fin de 202115. À l’opposé, les pays à revenu élevé, qui bénéficiaient d’une forte crédibilité de leurs politiques et d’une inflation stable de longue date, ont retardé le recours aux mesures de resserrement, estimant que l’inflation était temporaire. Quand ils ont changé d’orientation, en revanche, ils ont agi vite et mis en œuvre des politiques agressives de resserrement monétaire malgré les complications liées aux programmes d’achat de titres et aux stratégies de guidage prospectifau61.

La combinaison de la relance budgétaire à l’époque de la pandémie et du resserrement monétaire mis en place par la suite pour contenir l’inflation a considérablement accentué l’endettement public et réduit la capacité des pays d’accéder au financement, y compris pour investir dans la sécurité alimentaire et la nutrition. Les pays à revenu faible ou intermédiaire ont été particulièrement touchés et ont vu leur dette croître deux fois plus vite que celle des économies avancées. En 2023, ils représentaient 30 pour cent de la dette mondiale, contre à peine 16 pour cent en 2010. Ce gonflement rapide de la dette a fait augmenter de manière spectaculaire les paiements d’intérêts, quelque 3,3 milliards de personnes vivant désormais dans des pays qui dépensent plus pour le service de la dette que pour l’éducation ou la santé62. Cette situation peut remettre en cause la disponibilité des financements nécessaires pour venir à bout de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition à l’horizon 203038, 63.

4.1.3 Une arme à double tranchant dans le jeu commercial

Dynamique commerciale: les répercussions évolutives sur l’inflation des prix des produits alimentaires

Lorsqu’elles sont efficaces, les politiques commerciales jouent un rôle déterminant pour ce qui est de stabiliser les prix des produits alimentaires et de préserver la résilience des marchés. Pendant les périodes de prix élevés des produits alimentaires, les pouvoirs publics ajustent souvent des mesures commerciales telles que les droits de douane, les contingents et les interdictions d’exporter afin de protéger les consommateurs sur le marché intérieur. La réduction des droits de douane peut diminuer le coût et augmenter l’offre des denrées alimentaires, et ainsi atténuer les flambées des prix de ces produits. A contrario, les interdictions d’exporter peuvent contribuer à stabiliser les prix sur le marché intérieur, mais risquent de perturber les marchés mondiaux, en particulier lorsqu’elles sont mises en œuvre par des exportateurs majeurs de produits alimentaires186465. Les restrictions commerciales peuvent modifier l’équilibre entre l’offre et la demande de denrées alimentaires à l’échelle mondiale, et avoir des effets négatifs sur les pays aussi bien exportateurs qu’importateurs65, 66. Les pays les plus ouverts au commerce ont généralement atteint des niveaux plus élevés d’adéquation nutritionnelle67.

Les mesures commerciales ont eu moins d’incidence sur l’épisode d’inflation des prix des produits alimentaires de 2022 que lors de la crise de 2007-2008. Au cours de la crise de 2007-2008, des exportateurs de premier plan comme l’Argentine et l’Ukraine ont imposé des interdictions d’exporter du blé, tandis que la Chine et l’Inde ont limité les exportations de riz66. Lors de la flambée des prix des produits de 2022, en revanche, seul un petit nombre de grands exportateurs ont appliqué des restrictions au commerce, et la plupart de ces mesures étaient temporaires et ont eu très peu d’effets à long terme sur les flux commerciaux66. Les restrictions à l’exportation mises en place pendant la crise de 2007-2008, par exemple, ont eu des répercussions sur plus de 15 pour cent des calories provenant des aliments de base commercialisés sur les marchés internationaux, alors que, durant les premiers mois des confinements liés à la covid-19, ce chiffre n’était que de 7,5 pour cent. À la suite de l’éclatement de la guerre en Ukraine, les restrictions commerciales ont influé sur 7 à 12 pour cent des calories commercialisées au cours de la majeure partie de 202268.

Quoi qu’il en soit, les politiques commerciales axées sur les produits agricoles qui ont été menées à travers le monde sont demeurées un outil essentiel pour la sécurité alimentaire ces dernières années, les grandes économies ayant ajusté les droits de douane et revu leurs relations commerciales en réaction à l’évolution de la dynamique des marchés et des tensions géopolitiques. Après que les États-Unis d’Amérique ont imposé des droits de douane sur l’acier et l’aluminium en 2018, plusieurs partenaires commerciaux, dont le Canada, la Chine, le Mexique et l’Union européenne, ont, eux aussi, appliqué des tarifs douaniers en représailles sur un large éventail de produits agricoles en provenance de ce pays69. La plupart de ces droits de douane rehaussés sont restés en place en 2021: ils ont contribué à la persistance des tensions commerciales et influé sur la dynamique du commerce agricole mondial. Face aux droits de douane en vigueur ou attendus, de nombreux pays, dont la Chine, le Nigéria, les Philippines et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ont intensifié leurs stratégies de diversification à l’égard de leurs partenaires commerciaux. Dans le cadre de cette diversification, la Chine a, par exemple, augmenté les importations en provenance d’autres pays tels que le Brésil et la Fédération de Russie et encouragé la production intérieure, notamment en renforçant les mesures en faveur de la productivité et les politiques de soutien70, 71.

En réaction à la forte hausse des prix des produits agricoles de 2022 et à ses effets sur l’inflation des prix des denrées alimentaires sur les marchés intérieurs, les pays ont suivi des approches différentes concernant les mesures commerciales appliquées aux produits agroalimentaires. L’Inde a réduit les droits sur les importations des huiles alimentaires72. L’Indonésie et la Malaisie ont ajusté leurs politiques d’exportation pour faire face à l’instabilité des marchés. La Malaisie a mis fin à l’interdiction d’exportation des poulets vivants et de la viande de poulet, tandis que l’Indonésie a levé l’interdiction d’exportation du blé et les droits de douane imposés sur cette céréale, mais a aussi instauré puis rapidement supprimé une interdiction d’exporter l’huile de palme afin de protéger l’offre locale73, 74. Des interdictions d’exporter temporaires ont en outre été appliquées par le Bangladesh (sur le riz), la Chine (sur l’amidon de maïs) et l’Inde (sur le riz), pour ne citer que ces quelques exemples. L’Argentine a pour sa part adopté une approche différente qui a consisté à maintenir des droits de douane tout en mettant en œuvre des contrôles des prix et des restrictions à l’exportation sur le blé et d’autres produits agricoles essentiels afin de contenir l’inflation dans le pays. Dans le même temps, l’Union européenne a exercé une surveillance réglementaire accrue concernant de possibles manipulations des prix sur les marchés internationaux, en écho à la stratégie plus large consistant à trouver un équilibre entre libéralisation et contrôle des marchés75.

Fait intéressant, les toutes dernières mesures d’encadrement des échanges ont été de courte durée afin d’éviter les distorsions à long terme des marchés et la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Pour faire face à la pandémie et aux flambées des prix des produits alimentaires qui ont suivi, de nombreux pays ont pris des mesures telles que des restrictions à l’exportation, des réductions des droits d’entrée et la fixation de contingents, afin de stabiliser leur marché intérieur et de préserver la sécurité alimentaire et la nutrition. Toutefois, ces mesures ont souvent été temporaires et ont été levées lorsque la situation sur les marchés s’est améliorée ou une fois la crise immédiate passée. Plusieurs pays ont ainsi imposé des interdictions d’exporter des denrées alimentaires de base pendant la pandémie (en 2020 et 2021), mais la plupart des interdictions ont été supprimées en l’espace de quelques mois à mesure que les chaînes d’approvisionnement s’adaptaient et que les disponibilités alimentaires se stabilisaient. De la même façon, au cours de l’épisode de prix élevés des denrées alimentaires qui est survenu en 2022, certains gouvernements ont instauré des contrôles à l’exportation de produits essentiels, avant toutefois de lever ces mesures rapidement pour limiter le plus possible les perturbations sur les marchés. De manière générale, les pays tendent à utiliser des mesures d’encadrement des échanges de courte durée (figure 4.3) pour faire face à des problèmes à court terme sans provoquer de distorsions prolongées des marchés ni porter préjudice aux relations commerciales.

FIGURE 4.3 RACCOURCISSEMENT DE LA DURÉE D’APPLICATION DES MESURES: UNE TENDANCE AU REVIREMENT RAPIDE

NOTES: Le diagramme en boîte illustre la durée, en semaines, des mesures d’encadrement des échanges. Seules les mesures ayant un effet de distorsion sur le marché du secteur alimentaire sont prises en compte, et les mesures toujours en vigueur ont été exclues. La ligne centrale et la croix figurant dans chaque boîte représentent respectivement la durée médiane et la durée moyenne, tandis que les moustaches s’étendent pour rendre compte de la plupart des mesures restantes, à l’exclusion des valeurs aberrantes extrêmes. Les mesures sont regroupées en fonction de leur année de mise en place. Au fil du temps, la durée médiane des mesures a diminué, ce qui semble indiquer une tendance à l’adoption de mesures de plus courte durée.
SOURCE: Auteurs du présent document (FAO) sur la base de Global Trade Alert. 2025. Global Trade Alert Data Center. [Consulté le 28 février 2025]. https://globaltradealert.org/data-center. Licence: CC-BY-4.0.

Bien que les restrictions à l’exportation puissent apporter un soulagement à court terme, elles peuvent accentuer l’instabilité des prix à l’échelle mondiale. L’expérience a montré que ces mesures pouvaient faire considérablement gonfler les prix à l’échelle mondiale. Les restrictions au commerce des engrais, notamment des phosphates, ont contribué aux flambées des prix enregistrées au cours des trois dernières crises alimentaires mondiales (2007-2008, 2011-2012 et 2022-2023) (encadré 4.2). Compte tenu de la nature interdépendante des marchés mondiaux des produits alimentaires, les restrictions commerciales, lorsqu’elles ne sont pas coordonnées, peuvent produire des effets en cascade, toucher de manière disproportionnée les populations vulnérables et faire baisser les prix à la production sur les marchés intérieurs à un niveau inférieur à celui des prix pratiqués sur les marchés internationaux19667677. Environ les trois quarts de l’augmentation du prix du riz qui s’est produite en 2008 peuvent, par exemple, être attribués à des politiques publiques malencontreuses, telles que des interdictions d’exporter, adoptées par certains grands exportateurs78. En outre, l’annonce de restrictions au commerce et d’autres mesures commerciales peut accentuer l’instabilité des prix79. Pour atténuer ces risques, la coopération internationale est indispensable. Le renforcement des engagements en faveur d’échanges ouverts et prévisibles, en particulier au moyen d’accords commerciaux mondiaux et régionaux, peut aider à réduire l’incertitude et à encourager la stabilité des marchés.

ENCADRÉ 4.2LES INTERDICTIONS D’EXPORTER ET LES RESTRICTIONS COMMERCIALES ONT DETERMINÉ LES PRIX MONDIAUX DES ENGRAIS PHOSPHATÉS

Les engrais phosphatés sont essentiels pour la production agricole, car ils favorisent la rhizogenèse, améliorent le rendement des cultures et préservent la santé globale des végétaux, surtout dans les sols pauvres en nutriments. Leurs prix ont de tout temps été déterminés par des tendances structurelles à long terme ainsi que par des bouleversements à court terme, les restrictions au commerce jouant un rôle majeur dans la volatilité des marchés. Trois grandes flambées des prix (1974, 2008 et 2021-2022) ont été provoquées en partie par des restrictions à l’exportation, qui sont venues s’ajouter aux déséquilibres entre l’offre et la demande, à la hausse des coûts énergétiques et aux tensions géopolitiques80.

Les interdictions d’exporter et les restrictions à l’exportation ont été des facteurs déterminants de ces perturbations (figure A). En 2008, la Chine a imposé des restrictions à l’exportation des engrais phosphatés afin de protéger l’offre intérieure, ce qui a aggravé les pénuries à l’échelle mondiale81. Une tendance similaire est apparue au cours de l’envolée des prix de 2021-2022, lorsque le pays a de nouveau limité ces exportations, accentuant les contraintes qui pesaient sur l’offre à une période d’augmentation de la demande mondiale d’engrais8283. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, en 2022, a perturbé un peu plus le commerce du phosphate, car les sanctions et la réorientation des chaînes d’approvisionnement ont transformé les flux mondiaux de marchandises84.

FIGURE A ÉVOLUTION MENSUELLE DES PRIX DES ENGRAIS PHOSPHATÉS (1970-2024)

NOTE: * Les données sont disponibles jusqu’à décembre 2024.
SOURCES: Auteurs du présent document (FAO), d’après Brownlie, W. J., Sutton, M. A., Cordell, D., Reay, D. S., Heal, K. V., Withers, P. J. A., Vanderbeck, I. et Spears, B. M. 2023. Phosphorus price spikes: A wake-up call for phosphorus resilience. Frontiers in Sustainable Food Systems, 7: 1088776. https://doi.org/10.3389/fsufs.2023.1088776. Les données proviennent de la Banque mondiale. 2025. Commodity Markets "Pink Sheets" Data. [Consulté le 14 mars 2025]. https://www.worldbank.org/en/research/commodity-markets. Licence: CC-BY 4.0.

Outre les événements qui sont survenus récemment, les politiques commerciales ont toujours influé sur les marchés des engrais phosphatés. Les États-Unis d’Amérique, en tant que grand exportateur de ces produits, se sont heurtés à des réserves d’ordre politique concernant leurs pratiques commerciales. Dans les années 1970, les débats suscités par les livraisons de phosphates de l’État de Floride à l’Union soviétique ont appelé l’attention sur les problèmes de sécurité des ressources que posaient ces livraisons85. Bien que l’on ne dispose pas de beaucoup d’informations sur les interdictions d’exporter les engrais phosphatés à grande échelle datant de cette période, il est probable que certains pays ont mis en place des restrictions à l’exportation, des contingents d’exportation ou des conditions d’octroi de licence pour stabiliser leur marché intérieur.

Les stocks sont-ils encore indispensables? Le retour des réserves stratégiques

Les réserves alimentaires stratégiques contribuent à atténuer les répercussions des chocs liés à l’offre de produits alimentaires et à préserver la stabilité des marchés nationaux. Les deux types de réserves les plus répandus sont les stocks d’urgence et les stocks régulateurs. Tous deux sont conçus pour atténuer les perturbations de l’approvisionnement alimentaire, mais ils visent des objectifs distincts. Les stocks d’urgence permettent de réduire la vulnérabilité des consommateurs pendant les périodes de perturbation des disponibilités ou en cas de chocs relatifs aux prix des produits alimentaires dans les situations d’urgence, tandis que les stocks régulateurs stabilisent les prix sur les marchés intérieurs afin d’éviter des fluctuations excessives, ce qui bénéficie aussi bien aux consommateurs qu’aux producteurs76, 86.

Le rôle des programmes de détention de stocks publics dans la maîtrise des prix des produits alimentaires a suscité un regain d’intérêt ces dernières années. Dans les années 1980 et 1990, de nombreux pays ont réduit considérablement, voire arrêté, ces programmes dans le cadre de politiques d’ajustement structurel et de libéralisation des marchés. Les flambées des prix de 2007-2008 ont toutefois entraîné une recrudescence des initiatives de détention de stocks publics, car les gouvernements cherchaient à stabiliser leur marché intérieur et à préserver la sécurité alimentaire (figure 4.4). La récente poussée inflationniste des prix des produits alimentaires a fait ressurgir le débat sur l’utilisation stratégique des réserves alimentaires publiques76.

FIGURE 4.4 STOCKS MONDIAUX DE CÉRÉALES EN AUGMENTATION EN RAISON DE L’INSTABILITÉ DES PRIX

SOURCE: Auteurs du présent document (FAO), d’après AMIS (Système d’information sur les marchés agricoles). 2025. Market Database (Base de données sur les marchés). [Consulté le 13 mars 2025]. http://statistics.amis-outlook.org/data/index.html. Licence: CC-BY-4.0.

Lorsqu’elles sont gérées efficacement, les réserves peuvent contribuer à stabiliser les prix, à réduire la dépendance à l’égard des restrictions commerciales et à apporter un soutien crucial aux populations vulnérables pendant les crises87, 88. Face à la hausse des prix du blé, l’Inde, par exemple, est intervenue sur le marché en juillet 2023 en mettant en circulation 10 millions de tonnes de blé détenues dans des stocks publics. Cette intervention a permis d’endiguer l’inflation des prix de cette céréale, qui était supérieure à 12 pour cent, pour la ramener à un niveau compris entre 3 et 7 pour cent89. Depuis 2021, l’Ouzbékistan a réformé ses réserves stratégiques de céréales: le déblocage des stocks par l’intermédiaire des bourses de marchandises pour endiguer les perturbations de l’offre a été complété par des subventions temporaires au stockage et des paiements en espèces aux bénéficiaires de filets de sécurité. Ces ajustements ont nettement réduit les stocks de blé achetés – de 50 pour cent de la production totale en 2021 à seulement 12 pour cent en 2024 –, et diminué le coût budgétaire de ces réserves, qui est passé de 537 millions d’USD (0,8 pour cent du PIB) à 197 millions d’USD (0,3 pour cent du PIB) au cours de la même période. Point important, malgré ces changements, les prix du blé sur le marché intérieur se sont maintenus au même niveau, y compris lorsque des pressions extérieures sont apparues90.

Pour être efficaces, la constitution et la distribution des réserves alimentaires nécessitent toutefois une gouvernance rigoureuse, un bon rapport coût-efficacité et leur intégration dans des mécanismes plus larges fondés sur le marché. Lorsqu’elles sont mal pensées, les réserves peuvent entraîner des distorsions involontaires des marchés, des tensions budgétaires et des défauts d’efficience lors des distributions de vivres, ce qui souligne qu’il est nécessaire de procéder à une planification et à une mise en œuvre minutieuses91, 92. En 2023, par exemple, la mise en circulation par l’Inde de grandes quantités de blé sur le marché a réduit le niveau des stocks publics et limité potentiellement les moyens dont les pouvoirs publics disposaient pour intervenir en cas de chocs futurs de l’offre. Faire de la détention de stocks publics l’un des principaux outils de maîtrise des fluctuations des prix des denrées alimentaires risque également d’entraîner des tensions budgétaires, car le maintien et la distribution de réserves importantes ont un coût93. Ce coût peut être considérable: en Inde (2009) et en Zambie (2011), le coût des stocks régulateurs s’élevait respectivement à 1,5 pour cent et à 1,9 pour cent du PIB national94.

Les politiques de maintien de stocks régulateurs publics peuvent avoir d’importants effets à court et à moyen terme sur les marchés intérieurs et internationaux. L’augmentation du niveau des stocks publics peut permettre de stabiliser les prix en cas de flambées, mais risque d’entraîner des hausses des coûts d’approvisionnement et des prix des produits de base, qui se répercuteront sur la dynamique des marchés et les dépenses publiques95. À l’inverse, la réduction du niveau de ces stocks peut accroître les disponibilités sur les marchés, abaisser les prix et diminuer la charge budgétaire, mais risque d’exposer davantage les marchés à des chocs futurs76. Les subventions à l’exportation, qui sont souvent appliquées par les grands exportateurs lorsque les stocks sont débloqués, peuvent faire baisser les prix internationaux en augmentant l’offre mondiale, ce qui peut bénéficier aux consommateurs des pays en développement importateurs nets de produits alimentaires. Cette mesure peut cependant nuire aux agriculteurs des pays où il n’existe pas de soutien public comparable et restreindre la compétitivité de ces agriculteurs aussi bien sur leur marché intérieur que sur les marchés internationaux76. Les décideurs publics doivent équilibrer précisément les niveaux des stocks pour préserver la sécurité alimentaire et la nutrition tout en limitant le plus possible les distorsions involontaires des marchés ainsi que les pressions budgétaires96.

Les programmes de détention de stocks régulateurs publics peuvent avoir des conséquences involontaires sur la dynamique des marchés, notamment en dissuadant le secteur privé de participer au stockage et au commerce des céréales. Les interventions de grande ampleur et imprévisibles des pouvoirs publics sur les marchés créent une incertitude parmi les acteurs privés, ce qui tend à dissuader ces derniers d’investir dans les infrastructures de stockage et les activités commerciales. Par conséquent, les liquidités sur les marchés reculent et le nombre de participants susceptibles de stabiliser les prix diminue. Au fil du temps, cela peut accentuer l’instabilité des prix et compromettre la réalisation des objectifs mêmes des politiques de détention de stocks publics, à savoir la sécurité alimentaire et la nutrition ainsi que la stabilité des marchés. C’est là l’une des raisons qui expliquent pourquoi de nombreux programmes de détention de stocks régulateurs ont échoué à stabiliser les prix94, 96.

Pour fonctionner efficacement, les dispositifs de réserve alimentaire exigent une approche coordonnée qui conjugue la détention de réserves et des mesures complémentaires telles que des systèmes d’alerte rapide, une coopération commerciale régionale et la mobilisation du secteur privé. Il est indispensable d’établir des règles claires et transparentes pour faire en sorte que les réserves servent de mécanisme en dernier ressort et non d’instrument d’intervention régulière sur les marchés91. La coopération régionale peut diminuer les besoins de stockage93; le niveau des stocks nécessaires pour une réserve d’urgence en Afrique de l’Ouest peut, par exemple, être réduit jusqu’à 40 pour cent par rapport à une démarche non concertée, et permettre d’allouer les ressources de manière plus efficiente et d’améliorer la résilience face aux crises97.

4.1.4 Atténuation des tensions sur les prix grâce aux systèmes d’information

Il est important de disposer d’un système d’information sur les marchés qui fonctionne correctement et repose sur des données actualisées de qualité pour faciliter une prise de décisions éclairée et améliorer l’efficacité générale des marchés agricoles. Les systèmes d’information sur les marchés jouent un rôle central à cet égard en recueillant, en analysant et en diffusant des données tant sur les marchés des produits que sur les marchés des moyens de production. Lorsqu’ils sont bien conçus, ils permettent de faire la synthèse de données provenant de multiples sources (marchés, grands acheteurs et vendeurs, et services publics de surveillance) et sont un gage de sérieux et de fiabilité. L’exactitude, la cohérence et l’actualité des données sous-jacentes sont fondamentales pour que ces dispositifs soient efficaces, car des données de mauvaise qualité risquent d’induire les parties prenantes en erreur et de saper la confiance vis-à-vis du système. En fournissant aux agriculteurs, aux négociants, aux transformateurs et aux décideurs publics des données actualisées et précises sur les marchés, les systèmes d’information contribuent à améliorer la prise de décisions, à accroître l’efficacité des marchés et à réduire les risques de soudaines flambées ou autres variations des prixav99.

En favorisant la transparence et en améliorant la coordination des politiques publiques sur les marchés internationaux des produits alimentaires, les systèmes d’information sur les marchés peuvent contribuer à atténuer des flambées des prix inattendues qui sont susceptibles de se répercuter sur la sécurité alimentaire et la nutrition à l’échelle mondiale. Le Système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) est une initiative interorganisationsaw entreprise en 2011 par les ministres de l’agriculture du G20 après la crise mondiale des prix des produits alimentaires de 2007-2008, afin d’améliorer la transparence des marchés et de réduire les risques d’instabilité des prix. Pendant la pandémie et depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, il a facilité le partage d’informations entre les pays et a permis aux décideurs publics de mieux comprendre la dynamique des marchés agricoles mondiaux et de prendre des décisions en connaissance de cause. Le Forum pour une intervention rapide mis en place dans le cadre de ce dispositif a organisé une série de manifestations consacrées au dialogue sur les politiques, qui visaient à atténuer les répercussions de la guerre en Ukraine sur le commerce des denrées alimentaires101.

L’aptitude à suivre et à comparer l’évolution de la situation dans différentes régions et pour différents produits permet aux décideurs publics de mettre en évidence les points de vulnérabilité et d’agir en amont de possibles flambées des prix. En Inde, pendant la pandémie de 2020, le Gouvernement a ainsi mis à profit la plateforme eNAM – site consacré au marché national de l’agriculture qui relie les agriculteurs aux grossistes de tout le pays –, en utilisant des données en temps réel afin de suivre l’évolution des prix et des marchés, d’atténuer les perturbations des chaînes d’approvisionnement et de maintenir l’accès des agriculteurs aux marchés. En plus de faciliter le commerce en ligne, le Gouvernement a développé cette plateforme en y intégrant des marchés supplémentaires et en apportant un soutien financier direct aux agriculteurs de façon à renforcer leur résilience pendant la crise102.

L’accès rapide aux systèmes d’information sur les marchés, que ce soit par des canaux de communication traditionnels ou modernes, peut réduire considérablement l’instabilité des prix et améliorer l’efficacité des marchés. Lorsque les informations sont limitées ou coûteuses, les participants aux marchés ne peuvent pas prendre part aux arbitrages de manière optimale, ce qui conduit à une dispersion des prix et à une répartition inefficace des biens. L’accès à internet ou les téléphones portables peuvent toutefois aider à atténuer ces problèmes. Dans le Kerala (Inde), par exemple, l’adoption des téléphones portables par les pêcheurs et les grossistes entre 1997 et 2001 a abouti à une réduction spectaculaire de la dispersion des prix, à l’élimination du gaspillage et au respect quasi parfait de la loi du prix uniqueax104. De même, la mise en place, au Niger, de services de téléphonie mobile entre 2001 et 2006 a permis de réduire la dispersion des prix des céréales dans une proportion comprise entre 10 et 16 pour cent, la réduction la plus marquée ayant été observée sur les marchés situés dans des zones reculées105. L’encadré 4.3 met en évidence la façon dont l’intégration de solutions technologiques innovantes dans les pratiques agricoles rurales transforme l’accès des petits producteurs aux marchés, aux ressources et aux services financiers en Amérique latine.

ENCADRÉ 4.3OUTILS INNOVANTS D’INFORMATION SUR LES MARCHÉS AU SERVICE DES PETITS EXPLOITANTS AGRICOLES

En Amérique latine, des outils innovants d’information sur les marchés aident grandement les petits producteurs en leur permettant d’accéder à des services financiers et non financiers, à des débouchés commerciaux et à des données agricoles essentielles.

On retiendra notamment l’initiative de financement du projet Innovatech qui, dans sa première édition, a instauré une collaboration avec 12 jeunes entreprises innovantes du secteur des technologies réparties dans cinq pays d’Amérique latine (El Salvador, État plurinational de Bolivie, Guatemala, Honduras et Mexique). Le projet visait à généraliser l’utilisation de solutions numériques mises au point par ces start-up et à les intégrer aux travaux menés dans le cadre d’autres projets afin de soutenir le développement des chaînes de valeur agroalimentaires. En reliant les start-up à des initiatives de renforcement des chaînes de valeur agroalimentaires, le projet fournissait aux groupes cibles des solutions numériques pour résoudre des problèmes qui avaient été préalablement mis en évidence. Le projet a permis de venir en aide à environ 21 000 ménages (femmes, jeunes et peuples autochtones) en donnant à 382 organisations la possibilité d’accéder à des solutions technologiques.

Dans l’État plurinational de Bolivie, Hola Tractor a modifié son modèle économique pour aider davantage les petits exploitants agricoles. L’entreprise, qui s’adressait à l’origine aux producteurs de taille moyenne, compte désormais des petits agriculteurs dans sa clientèle par l’intermédiaire d’alliances nouées avec de grandes organisations de producteurs. Cet élargissement lui a donné accès à un réservoir de clients plus vaste et lui a permis de proposer de nouvelles machines, telles que des motoculteurs, adaptées aux besoins des petits producteurs de lamas des hauts plateaux. Ces évolutions donnent aux petits producteurs la possibilité d’accéder à des équipements mécanisés abordables et augmentent leur productivité tout en réduisant les coûts de main-d’œuvre, ce qui améliore les prix de leurs produits.

En El Salvador, l’initiative Alfi donne aux petits producteurs des moyens d’action supplémentaires en renforçant leurs compétences financières à l’aide d’une combinaison d’activités interactives de ludification, de microapprentissage et d’analyse comportementale.

Au Guatemala, SiembraCo tire parti de techniques de plantation virtuelle et de technologies de pointe telles que l’imagerie par satellite pour stimuler la productivité agricole. L’initiative apporte un soutien aux petits producteurs en organisant des formations, en leur donnant accès à des intrants de qualité ainsi qu’à des outils et du matériel adaptés, et en leur fournissant une assistance technique à la mise en place de cultures. En intégrant ces ressources, SiembraCo entend donner aux agriculteurs la possibilité d’augmenter leurs rendements et d’améliorer leurs moyens de subsistance.

Au Honduras, l’application MiCaja a été conçue pour dématérialiser toutes les opérations effectuées par les petites banques rurales. Elle permet à celles-ci de produire tous les jours des états financiers et des comptes de profits et pertes, ce qui augmente considérablement la transparence de leur gestion financière. Ces banques peuvent ainsi avoir accès à davantage de capitaux pour réaliser leurs opérations de prêt. Cela aide ensuite les agriculteurs à obtenir des prêts d’un montant supérieur à des taux plus avantageux, et donc à réduire le risque de surendettement.

Au Mexique, enfin, Nilus fournit des aliments nutritifs abordables aux populations urbaines à faible revenu au moyen d’actions de désintermédiation, de récupération d’aliments et d’achat groupé. Le modèle s’appuie sur des partenariats noués avec des entreprises agroalimentaires privées, des restaurants, des hôtels et des grands producteurs agricoles, grâce auxquels Nilus obtient des produits frais ou de récupération, qui sont ensuite redistribués par l’intermédiaire d’un réseau de dirigeants communautaires. Nilus a forgé des alliances avec des organisations de producteurs et a commencé à acheter des produits à des petits producteurs de zones rurales pour approvisionner des consommateurs urbains. Cette démarche non seulement aide les petits producteurs, mais garantit également un approvisionnement régulier en aliments nutritifs aux communautés urbaines à des prix abordables.

4.1.5 Investissements stratégiques destinés à éviter de futures hausses de prix des produits alimentaires

Les récentes flambées des prix des denrées alimentaires enregistrées sur les marchés mondiaux ont appelé l’attention sur la nécessité d’investir de manière pérenne dans l’agriculture pour améliorer la résilience des systèmes agroalimentaires et protéger la sécurité alimentaire et la nutrition. Les agriculteurs de grands pays agricoles, dont la Chine, la Fédération de Russie et l’Inde, ont réagi face aux envolées des prix liées à la crise qui se sont produites de 2007 à 2008 en réalisant des investissements sans précédent dans l’agriculture106. Après avoir reculé en 2021 et 2022, les dépenses publiques mondiales consacrées à ce secteur sont de nouveau reparties à la hausse en 2023 pour atteindre 701 milliards d’USD en valeur nominale107. L’année 2023 a également vu une augmentation des financements accordés au secteur, qui ont atteint 1,21 milliard d’USD. Cette progression ne constitue cependant pas une augmentation en proportion (la part du secteur agricole s’est maintenue à 2,30 pour cent), car d’autres secteurs ont connu des hausses de financement encore plus fortes au cours de la même période108. Les investissements (aussi bien publics que privés) réalisés sur la durée dans l’agriculture offrent la possibilité de renforcer les capacités de production alimentaire à long terme, ce qui améliore la résilience des marchés. Cependant, en l’absence de mesures complémentaires et de réflexions sur l’action à mener pour faire en sorte que ces investissements encouragent l’adoption d’une alimentation saine, la sécurité alimentaire et la nutrition à l’échelle mondiale demeurent fragiles en cas de nouvelle crise106, 109.

Les investissements stratégiques dans la recherche-développement agricole sont en train de redessiner la hiérarchie des acteurs clés dans le domaine de l’innovation à l’échelle mondiale, certains pays majeurs redéfinissant actuellement leurs priorités en matière de financement. Ces investissements peuvent grandement contribuer à réduire les prix des denrées alimentaires grâce à l’augmentation de la productivité agricole110. La Chine, en particulier, est devenue un chef de file mondial, ses dépenses publiques annuelles moyennes en recherche-développement agricole ayant dépassé celles du Brésil, des États-Unis d’Amérique et de l’Inde réunis entre 2019 et 2021111. À l’opposé, les États-Unis d’Amérique ont connu un recul de leurs dépenses publiques consacrées à la recherche-développement agricole: en 2019, ces dépenses étaient inférieures d’un tiers environ en comparaison du pic atteint en 2002112. De la même façon, alors que l’Union européenne a affecté 381 milliards d’EUR à l’ensemble de la recherche-développement en 2023, le taux de croissance de la recherche agricole a été modeste par rapport à celui du Japon et de la République de Corée, par exemple113.

Les investissements réalisés dans des infrastructures de transport résilientes, y compris les couloirs maritimes, les installations portuaires et les réseaux logistiques terrestres, peuvent améliorer l’efficience des chaînes d’approvisionnement alimentaire et réduire le risque de flambées des prix provoquées par des goulets d’étranglement liés aux infrastructures. La stabilité des chaînes d’approvisionnement alimentaire dépend de plus en plus souvent de quelques points de passage d’importance stratégique qui facilitent la circulation des principaux produits de base. Le commerce international des produits agricoles se développe et accentue ainsi les pressions exercées sur un petit nombre de «points de passage obligé», carrefours majeurs par lesquels transitent d’immenses volumes de marchandises échangées. Trois principaux types de goulets d’étranglement jouent un rôle clé pour la sécurité alimentaire et la nutrition à l’échelle mondiale: les couloirs maritimes tels que les détroits et les canaux; les infrastructures côtières des grandes régions exportatrices de produits agricoles; et les infrastructures de transport terrestre de ces mêmes régions114. Une grave perturbation à l’un ou plusieurs de ces points de passage pourrait théoriquement provoquer des pénuries et des envolées des prix, qui auraient des conséquences systémiques susceptibles de se propager au-delà des marchés alimentaires. Les perturbations plus courantes ne risquent pas en tant que telles de déclencher des crises, mais peuvent entraîner des retards, la dégradation des produits et une augmentation des coûts de transport, et avoir pour conséquences de limiter la réactivité des marchés et de contribuer à la hausse des prix ainsi qu’à une plus grande instabilité.

De même, les investissements dans les infrastructures de stockage sont indispensables pour renforcer la stabilité des prix. Lorsqu’elles sont adaptées, les installations de stockage, notamment les entrepôts et les chaînes du froid, permettent aux agriculteurs d’entreposer leurs produits et de les vendre à des prix plus favorables au lieu d’être contraints de les écouler à des prix bas pendant les pics des périodes de récolte. Cela réduit les fluctuations des prix et garantit une offre plus stable de produits agricoles tout au long de l’année, ce qui contribue à la sécurité alimentaire et à une bonne nutrition. En outre, l’amélioration du stockage limite les pertes après récolte, en particulier dans les pays en développement où l’inadéquation des installations entraîne d’importantes pertes de denrées alimentaires.

Les investissements dans les infrastructures de la chaîne du froid sont déterminants pour améliorer la disponibilité et la qualité des aliments nutritifs, et ainsi renforcer les prix à la production et réduire les pertes de produits alimentaires. Les technologies de réfrigération durables, dont les dépenses d’exploitation sont faibles, sont de plus en plus souvent utilisées, surtout lors des premières phases de la chaîne du froid, comme l’évacuation de la chaleur ambiante du champ et le stockage de grandes quantités de produits115. Ces solutions sont particulièrement avantageuses dans les zones reculées non raccordées au réseau116 et peuvent contribuer à réduire les prix d’aliments riches en nutriments tels que les fruits et les légumes110. Les conteneurs frigorifiques équipés de panneaux solaires sont, par exemple, devenus une solution peu coûteuse d’entreposage des fruits et des légumes en Asie du Sud et du Sud-Est. Une évaluation de cette technologie réalisée dans le nord du Nigéria a fait apparaître une nette amélioration du volume de produits vendus et des avantages pour les utilisateurs, ainsi qu’une réduction des pertes et du gaspillage avant la vente117. Des solutions intégrées non raccordées au réseau pour la réfrigération, le transport et le stockage frigorifique à énergie solaire le long des chaînes de valeur des légumes sont en cours d’expérimentation, souvent en parallèle de modèles économiques innovants tels que la réfrigération en tant que service, qui aident à lever des obstacles liés au coût et à l’accès au financement, en particulier en Afrique subsaharienne116. De plus, des technologies sont en cours de mise au point pour réduire la dépendance à l’égard de composants importés et faciliter l’entretien en associant matériaux traditionnels et matériaux modernes. Un projet de technologies hybrides mené au Mali avec l’appui de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH (GIZ) (l’Agence allemande de coopération internationale) et le Ministère fédéral de la coopération économique et du développement de l’Allemagne a permis d’augmenter les revenus de 25 pour cent et de prolonger d’un mois la durée de conservation des pommes de terre116.

Lorsqu’elles sont limitées, les capacités de stockage entraînent une succession de distorsions du marché. Les agriculteurs sont contraints de vendre leurs produits immédiatement après la récolte et créent ainsi une offre excédentaire qui réduit les prix, diminue leur pouvoir de négociation et accentue la sensibilité à l’instabilité des prix. L’ampleur de ce problème est considérable: en Afrique subsaharienne, l’inadéquation des installations de stockage provoque des pertes après récolte et des fluctuations saisonnières des prix, qui se chiffrent à 4 milliards d’USD pour les seules céréales118. En Inde, l’insuffisance des chaînes du froid se solde par des pertes considérables de produits avant même l’étape de la consommation, ce qui aggrave l’inflation des prix des denrées alimentaires. Les infrastructures de stockage frigorifique sont donc vitales pour stabiliser les prix de marchandises périssables telles que les fruits, les légumes et les produits laitiers. Les investissements réalisés dans les installations de stockage traditionnelles et frigorifiques réduisent invariablement les pertes après récolte et contribuent à la stabilisation des prix et à l’amélioration du fonctionnement des marchés.

Les investissements consentis dans les petites et moyennes entreprises (PME) des segments intermédiaires et des segments aval des systèmes agroalimentaires jouent un rôle essentiel dans les économies rurales en fournissant aux petits producteurs des débouchés le long des chaînes de valeur. Ces entreprises, qui achètent, transforment, conditionnent et distribuent des denrées alimentaires, sont indispensables pour augmenter la production agricole, améliorer les prix à la production et réduire les pertes de produits alimentaires le long des chaînes de valeur119. Pour autant, elles peuvent avoir du mal à accéder à des financements adaptés à leurs besoins, car les établissements de microcrédit proposent souvent des prêts insuffisants tandis que les banques commerciales considèrent parfois les PME comme trop à risque120, 121. La résolution de ces problèmes de financement ouvre aux PME du secteur agroalimentaire d’importants débouchés économiques le long du continuum rural-urbain122 et, si les investissements sont dirigés vers la production d’aliments nutritifs, ils peuvent avoir des effets positifs sur la nutrition. De fait, ce sont les investissements consentis dans l’agriculture qui ont l’effet de levier le plus important pour les pays en développement123, les PME agroalimentaires disposant d’un grand pouvoir multiplicateur qui contribue à la mise en place d’une production durable et à la transformation rurale. Plusieurs projets de développement ont fait la preuve des effets positifs de ces investissements. En Colombie, le Projet de renforcement de la capacité entrepreneuriale en milieu rural (2012-2022) a permis d’augmenter le revenu par habitant de 34 pour cent, les salaires de 36 pour cent et le patrimoine des ménages de 10 pour cent. En outre, les participants au projet ont réduit leur exposition aux chocs climatiques et connu une augmentation de 4 pour cent de la diversité de leur alimentation124. Au Monténégro, le Projet de regroupement et de transformation en milieu rural (2017-2022) a aidé les participants à augmenter leurs revenus de 35 pour cent, principalement grâce à l’élevage, les ventes de bétail ayant bondi de 92 pour cent125.

back to top