L’inflation des prix des produits alimentaires enregistrée ces cinq dernières années est due à divers facteurs, dont l’importance relative a varié selon les régions et au fil du temps. Lorsque les marchés mondiaux ont refait surface après la pandémie de covid-19, la levée des confinements et la réouverture des entreprises ont stimulé la reprise de l’activité économique. L’un des facteurs déterminants de ce rebond a été la mise en œuvre de vastes programmes de soutien budgétaire partout dans le monde, qui a soulagé les ménages tout en maintenant des politiques monétaires plutôt généreuses. Cet afflux d’aide financière a alimenté une demande inhabituellement élevée de biens, et contribué à une poussée inflationniste. En outre, la guerre en Ukraine a perturbé les marchés agricoles et énergétiques34-40.
La pandémie a placé le monde face à des défis sans précédent: elle a fait près de 7 millions de victimes41, provoqué des pertes économiques de 13 800 milliards d’USD environ42 et plongé 75 millions à 95 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté43. Avec la reprise et l’émergence d’une «nouvelle normalité», une succession de chocs majeurs a perturbé l’économie mondiale. Ensemble, ces défis (développés ci-après) ont influé sur l’évolution récente de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition dans le monde entier, et provoqué une forte augmentation de la prévalence de la sous-alimentation ainsi qu’une insécurité alimentaire modérée ou grave à la suite de la pandémie.
Pendant et après la pandémie, les gouvernements à travers le monde ont mis en place des mesures de soutien budgétaire encore jamais vues pour atténuer le fléchissement économique. Le coût de ces mesures s’élevait à environ 17 000 milliards d’USD, aides financières destinées aux ménages et aux entreprises comprises44. Le soutien budgétaire apporté à l’échelle mondiale entre 2020 et 2021 face à la pandémie représentait 16 pour cent du produit intérieur brut (PIB) mondial et dépassait le PIB de 2020 de la Chine ou de l’Union européenne. Les pays à revenu élevé représentaient la majorité des dépenses: les États-Unis d’Amérique y ont consacré 6 000 milliards d’USD à eux seuls et ont utilisé leur capacité budgétaire pour soutenir l’activité économique et stabiliser le marché du travail44. Les pays à revenu faible ou intermédiaire, bien que davantage contraints, ont également mobilisé d’importantes ressources pour venir en aide aux populations vulnérables et stimuler la reprise (figure 3.3). Cette intervention budgétaire massive a grandement contribué à amortir les chocs économiques liés à la pandémie, mais elle a aussi participé à l’augmentation de la demande, y compris dans les économies émergentes et en développement45; conjuguée aux perturbations des chaînes d’approvisionnement, elle a alimenté les tensions inflationnistes à l’échelle mondiale40, 46.
FIGURE 3.3 MESURES BUDGÉTAIRES PRISES POUR FAIRE FACE À LA PANDÉMIE DE COVID-19

SOURCES: Les données relatives à l’évaluation des mesures budgétaires sont fondées sur FMI. 2021. Database of Fiscal Policy Responses to COVID-19: Fiscal Monitor Database of Country Fiscal Measures in Response to the COVID-19 Pandemic. [Consulté le 1er mars 2025]. https://www.imf.org/en/Topics/imf-and-covid19/Fiscal-Policies-Database-in-Response-to-COVID-19; les données relatives au PIB par habitant sont fondées sur Banque mondiale. 2025. Indicateurs du développement dans le monde. [Consulté le 1er mars 2025]. https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators. Licence: CC-BY 4.0.
Pendant et juste après la pandémie, les banques centrales du monde entier ont mis en œuvre diverses mesures monétaires expansionnistes pour soutenir la stabilité économique. Entre autres mesures, on peut citer les fortes baisses des taux d’intérêt, les programmes d’assouplissement quantitatif et la fourniture de liquidités d’urgence pour préserver la résilience du système financier. Certaines grandes banques centrales, telles que la Réserve fédérale des États-Unis d’Amérique, la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du Japon, ont rapidement abaissé leurs taux directeurs pour les établir à un niveau proche de zéro et acheté d’importants volumes d’obligations d’État et d’obligations d’entreprise afin d’injecter des liquidités dans l’économie47. La BCE, par exemple, a mis en place le programme d’achats d’urgence face à la pandémie en mars 2020, d’un montant initial de 750 milliards d’EUR, porté par la suite à 1 850 milliards d’EUR, pour acheter des titres des secteurs privé et public de manière souple48. Parallèlement, des mesures temporaires d’ajustement réglementaire ont été prises pour encourager les banques à prêter. Ces politiques ont aidé à alimenter les flux de crédit, à soutenir les activités des entreprises et à atténuer le fléchissement économique. L’expansion monétaire prolongée a toutefois aussi fait le lit de tensions inflationnistes quand les économies ont commencé à se redresser49. Face à la montée de l’inflation, les banques centrales ont commencé à relever les taux d’intérêt de façon à éviter de trop fortes augmentations des prix50. La Réserve fédérale des États-Unis d’Amérique a ainsi relevé son taux d’intérêt de 0,25 point de pourcentage en mars 2022, et l’a ensuite augmenté à 10 reprises jusqu’en juillet 202351.
Les taux de change ont également joué un rôle dans l’évolution de l’inflation des prix des produits alimentaires, en particulier dans les pays tributaires des importations. Au cours de la pandémie, un grand nombre de pays à revenu faible ou intermédiaire ont connu une brusque dépréciation de leur monnaie en raison de sorties de capitaux et d’une augmentation de la demande de devises refuges telles que le dollar, le yen et le franc suisse. À la mi-2020, les monnaies de près d’un tiers des pays à revenu faible ou intermédiaire s’étaient dépréciées de plus de 10 pour cent par rapport au dollar52. Cette dépréciation a amplifié l’inflation des prix des denrées alimentaires à cause de l’effet de répercussion des prix des produits importés, cet effet étant particulièrement prononcé dans les pays à faible revenu53. En outre, étant donné que les États-Unis d’Amérique ont resserré leur politique monétaire de manière plus agressive que ne l’ont fait de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire pour endiguer l’inflation en 2022, les dépréciations de monnaie supplémentaires enregistrées dans ces derniers ont accentué les tensions inflationnistes liées aux coûts élevés des importations54.
Les relèvements des taux d’intérêt décidés par la Réserve fédérale des États-Unis d’Amérique, conjugués aux bouleversements qui se sont produits sur les marchés internationaux de l’énergie, ont provoqué une appréciation du dollar, qui a amplifié les effets de l’augmentation des prix mondiaux des produits alimentaires. La hausse des prix énergétiques a donné un coup de fouet aux recettes d’exportation des États-Unis d’Amérique, car les acheteurs étrangers ont converti leur monnaie en dollars pour payer des produits énergétiques, ce qui a contribué à l’appréciation du dollar. Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement55, lors de crises alimentaires mondiales précédentes telles que celles de 2008 et de 2012, la dépréciation du dollar des États-Unis d’Amérique avait joué un rôle d’atténuation en amortissant en partie les effets de l’augmentation des prix des denrées. À l’inverse, l’épisode actuel d’inflation des prix des produits alimentaires se caractérise par un renforcement du dollar, qui crée un «double fardeau» pour de nombreux pays (encadré 3.3). Ce phénomène a non seulement entraîné des augmentations de prix stricto sensu, mais a aussi eu des «effets de taux de change» considérables sur les pays importateurs nets de denrées alimentaires, ce qui a accentué la hausse des prix de ces produits.
ENCADRÉ 3.3INTERACTIONS ENTRE LES TAUX DE CHANGE ET L’INFLATION LOCALE
La dynamique de la transmission des prix mondiaux des produits alimentaires aux marchés intérieurs peut prendre diverses formes et dépend de plusieurs facteurs. L’un des principaux facteurs est le décalage entre les variations des taux de change et l’évolution de l’inflation dans les pays, décalage qui peut modifier profondément, renforcer ou, au contraire, empêcher la transmission des prix mondiaux aux marchés intérieurs en termes réels. Dans des marchés transparents et parfaits, les variations du taux de change nominal au regard du dollar dans un pays donné devraient suivre l’inflation relative entre ce pays et les États-Unis d’Amérique. Lorsque les monnaies locales se déprécient par rapport au dollar, les consommateurs ne bénéficient pas pleinement de la baisse des prix mondiaux des produits alimentaires, car il leur faut plus d’unités monétaires locales pour acheter la même quantité de denrées alimentaires provenant du marché international. Inversement, une forte inflation dans un pays donné peut laisser penser que les prix internationaux sont inférieurs en termes réels, car la variation des prix mondiaux des produits alimentaires est plus faible que la variation du niveau global des prix dans le pays en question. Une forte inflation à l’échelle nationale érode toutefois le pouvoir d’achat des ménages. En 2022, les prix de la plupart des denrées alimentaires de base commercialisées ont atteint leur niveau le plus haut en mars, avant de baisser de manière régulière jusqu’en février 2024, d’après l’indice FAO des prix des produits alimentaires56. Sur la même période, le dollar s’est fortement apprécié par rapport à un grand nombre de monnaies de pays les moins avancés. Et malgré la réduction des prix mondiaux des produits, les prix des denrées alimentaires se sont maintenus à des niveaux élevés, voire ont augmenté, dans plusieurs pays, signe de décalages évidents entre les marchés internationaux et les marchés locaux. Pour mieux comprendre comment les taux de change et l’inflation dans les pays contribuent respectivement à ces décalages, une analyse consistant à convertir les prix du maïs en termes réels dans la monnaie locale de plusieurs pays les moins avancés a été réalisée. Les résultats de cette analyse font apparaître que la dépréciation de la monnaie et l’inflation enregistrées dans les pays ont modifié profondément la transmission des prix en termes réels dans les différentes économies (figure A)*.
FIGURE A EFFET NET DES VARIATIONS DES TAUX DE CHANGE ET DE L’INFLATION SUR LES PRIX DU MAÏS DANS LES PAYS LES MOINS AVANCÉS

SOURCES: Auteurs du présent document (FAO), d’après les données relatives aux IPC de la Banque mondiale. 2025. A Global Database of Inflation. Dans: Banque mondiale. [Consulté le 8 mai 2025]. https://www.worldbank.org/en/research/brief/inflation-database; les données relatives aux taux de change sont issues de FMI. 2025. IMF DATA: Exchange Rates (ER). [Consulté le 8 mai 2025]. https://data.imf.org/en/datasets/IMF.STA:ER
Dans certains pays (Angola, Bangladesh, Lesotho, Malawi et Zambie, par exemple), la dépréciation de la monnaie a empêché les consommateurs de bénéficier pleinement de la baisse des prix du maïs. L’effet a parfois été supérieur à 10 pour cent.
D’autres pays n’ont connu qu’une dépréciation modérée de leur monnaie, et certains n’en ont enregistré aucune ou ont vu leur monnaie s’apprécier légèrement par rapport au dollar, mais ont été confrontés à une inflation généralisée des prix. Cette situation a conduit à une diminution du prix réel du maïs, c’est-à-dire le ratio entre sa valeur nominale exprimée dans la monnaie locale et l’indice des prix à la consommation à l’intérieur des pays en question. Cela signifie que les denrées alimentaires sont peut-être devenues plus abordables que d’autres produits dans les économies considérées, mais que les consommateurs ont dû faire face à des coûts plus élevés pour d’autres biens essentiels (comme le logement, les vêtements et le transport), ce qui a nui à leur bien-être de façon générale.
Il est crucial de maîtriser les taux de change et l’inflation efficacement pour faire en sorte que les variations des prix mondiaux des produits alimentaires se transmettent pleinement et équitablement aux marchés locaux.
Le prix mondial du maïs est utilisé comme sujet d’étude. En application de la théorie de la parité de pouvoir d’achat (PPA), la conversion du prix mondial du maïs en termes réels dans une monnaie locale est effectuée comme suit57:

où WP (pour «world price») désigne le prix mondial du produit sélectionné et LC (pour «local currency») la monnaie locale, R (pour «real») le prix réel (corrigé de l’inflation), N (pour «nominal») le prix nominal, NER (pour «nominal exchange rate») le taux de change nominal bilatéral d’un pays par rapport au dollar, tandis que CPIUS/CPILC (pour «consumer price index») représente le ratio entre l’IPC aux États-Unis d’Amérique et l’IPC dans le pays considéré. Ensuite, la formule est exprimée en termes relatifs, comme indiqué ci-dessous:

où Δ matérialise l’écart et où toutes les variables sont exprimées sous forme logarithmique.
Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, la dépréciation de la monnaie locale – sous l’effet de la réduction des entrées de capitaux étrangers et de la rétrogradation de leur note de crédit souverain – a grandement contribué à l’inflation, en particulier en ce qui concerne les biens importés. Il est à noter que les estimations de l’inflation future dans ces pays sont généralement plus sensibles aux fluctuations monétaires, ce qui signifie que toute baisse de la valeur de la monnaie se traduit rapidement par une augmentation des prix. L’interaction entre la dépréciation de la monnaie et l’inflation pose donc d’importants problèmes à ces pays, et limite un peu plus les moyens dont ils disposent pour maîtriser les coûts des importations essentielles, notamment de denrées alimentaires55. Les différences entre les courbes de l’inflation des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire illustrées à la figure 3.2 s’expliquent par l’interaction entre ces facteurs. En Afrique subsaharienne, les prix mondiaux élevés des produits alimentaires et la dépréciation des monnaies nationales ont été les principales causes de l’évolution de l’inflation, tandis qu’en Amérique latine les politiques monétaires expansionnistes et l’augmentation de la demande agrégée ont joué un rôle majeur. En outre, dans plusieurs pays, la répercussion des prix a été plus rapide que lors d’épisodes précédents de prix élevés des produits alimentaires58.
La guerre en Ukraine, amplifiée par de multiples événements, notamment des phénomènes météorologiques extrêmes dans plusieurs «greniers à blé», a entraîné une succession de perturbations profondes sur l’ensemble des marchés agricoles mondiaux, notamment le blocage de grandes routes commerciales, ce qui a engendré des incertitudes concernant les récoltes et les échanges. La Fédération de Russie et l’Ukraine ont joué un rôle déterminant sur les marchés mondiaux des produits agricoles, en particulier du blé, du maïs et de l’huile de tournesol, et ont, ensemble, fourni environ 12 pour cent des calories commercialisées dans le monde en 202159. Les affrontements qui se sont déroulés dans la région de la mer Noire60 et la perturbation du commerce de la mer Rouge ont désorganisé les exportations agricoles au départ notamment de ces deux pays, et ont touché de manière disproportionnée les pays à revenu faible ou intermédiaire qui sont tributaires des importations de céréales provenant des marchés mondiaux61, 62. Bien que des mesures temporaires telles que l’Initiative céréalière de la mer Noirek ou la mise en place de nouvelles routes commerciales au départ de l’Ukraine aient atténué une partie des perturbations65, les approvisionnements alimentaires à l’échelle mondiale sont devenus incertains.
En plus des marchés des produits agricoles, les disponibilités en engrais ont également connu de fortes perturbations. Le Bélarus et la Fédération de Russie, deux importants pays exportateurs d’engrais, ont vu leurs exportations fortement limitées en raison des sanctions économiques imposées par l’Union européenne, le Canada, les États-Unis d’Amérique et de nombreux autres paysl, 68, 69. En 2020, la Fédération de Russie représentait, à elle seule, 14 pour cent de l’urée commercialisée dans le monde et 11 pour cent du phosphate monoammonique et du phosphate diammonique (engrais essentiels à base d’azote et de phosphore), et, avec le Bélarus, était à l’origine de 41 pour cent du chlorure de potassium vendu sur les marchés mondiaux. Les perturbations ont entraîné une flambée des prix des engrais, qui ont atteint leur pic au printemps de 2022 (voir la section 4.1.3).
La guerre en Ukraine a aussi déstabilisé les marchés mondiaux de l’énergie, car, lorsqu’elle a éclaté, la Fédération de Russie était le troisième producteur mondial de pétrole et le deuxième de gaz naturel. Les turbulences qui se sont ensuivies sur les marchés du pétrole et du gaz ont débouché sur de fortes hausses des prix et une grande instabilité70-72. Les stratégies à moyen et long termes devraient atténuer une partie de ces effets73, mais, à court terme, les prix élevés de l’énergie se sont traduits par une augmentation des coûts de production dans de nombreux secteurs économiques, et ont eu des répercussions sur la production alimentaire et le transport.
Bien que la récente inflation des prix des denrées alimentaires ait été due en majeure partie à des facteurs mondiaux, tels que les prix élevés des produits agricoles et de l’énergie et la réorientation des politiques monétaires, des chocs localisés peuvent également influer sur les prix de ces denrées aux niveaux aussi bien national que mondial. La variabilité des conditions météorologiques, les extrêmes climatiques et les catastrophes naturelles bouleversent souvent les systèmes de production agricole et les systèmes agroalimentaires, mais leurs répercussions sur les prix des produits alimentaires sont contrebalancées par divers facteurs liés au contexte. Ainsi, des chocs météorologiques tels que les sécheresses peuvent réduire directement l’approvisionnement alimentaire, tandis que les inondations peuvent entraîner la perte de revenus pour les ménages et diminuer la demande, ce qui compense en partie, voire entièrement, les effets liés à l’offrem, n. Les conséquences de ces chocs sur les prix des produits alimentaires varient selon le type de phénomène (tempêtes ou sécheresses), les conditions macroéconomiques ambiantes (récession ou expansion) et la marge de manœuvre budgétaire dont les pays disposent pour amortir ces chocs77.
Plusieurs exemples récents font ressortir que les chocs météorologiques ont des effets différents selon leur ampleur géographique et l’importance à l’échelle mondiale de la région touchée. En 2018 et 2019, les conditions pluvieuses intenses et les cyclones qu’ont connus l’Afrique de l’Est et la péninsule arabique ont ainsi été à l’origine de l’une des pires invasions de criquets depuis des décennies. Bien que les dégâts dans l’agriculture et en matière de sécurité alimentaire aient été considérables dans la région78, les conséquences sur les prix mondiaux des produits alimentaires sont demeurées limitées en raison du rôle relativement mineur des pays touchés dans la production alimentaire mondiale. A contrario, les sécheresses dues à La Niña entre 2020 et 2023 en Argentine, un grand exportateur de blé, se sont traduites par une baisse de 35 pour cent de la production de cette céréale et une chute spectaculaire des exportations79. Cette pénurie de l’offre a contribué aux flambées des prix internationaux du blé, venant ainsi s’ajouter aux tensions inflationnistes déjà provoquées par la guerre en Ukraine. Cette situation contrastée fait apparaître que des phénomènes météorologiques localisés peuvent être circonscrits à l’échelle régionale ou déclencher des augmentations des prix mondiaux en fonction du poids du pays touché sur les marchés internationaux des produits alimentaires.
Outre les perturbations liées au climat, des bouleversements d’ordre biologique tels que les organismes nuisibles aux végétaux et les maladies animales sont devenus de puissants facteurs d’inflation sur les marchés mondiaux des produits alimentaires. L’apparition d’un foyer de peste porcine africaine en Chine en 2018 a entraîné l’abattage de millions de cochons et fortement réduit l’offre de viande de porc sur le marché intérieur du plus grand pays producteur de ce produit dans le monde. Lorsque les prix de la viande de porc ont grimpé de 97 pour cent en décembre 2019, ils représentaient plus de la moitié de l’augmentation de 4,3 pour cent de l’indice des prix à la consommation du pays80. Le coût de cette flambée épidémique est estimé à 0,78 pour cent du PIB de la Chine en 2019o, 81. Pour répondre à la demande intérieure, la Chine a augmenté de manière spectaculaire ses importations: en 2020, elle absorbait 45 pour cent du commerce mondial de la viande de porc82. De ce fait, les marchés internationaux ont subi une pression à la hausse, qui a provoqué une augmentation de 9 pour cent des prix mondiaux de ce produit83. Cet épisode illustre la façon dont des foyers infectieux localisés dans des pays producteurs clés peuvent amplifier les envolées des prix des denrées bien au-delà des frontières nationales, ce qui souligne qu’il est important d’inscrire les bouleversements locaux dans le contexte plus large de la dynamique des prix mondiauxp.
3.2.1 Qu’est-il advenu des prix des produits alimentaires à la consommation?
Concernant les facteurs de l’inflation générale exposés plus haut, les répercussions sur les prix des produits alimentaires peuvent être interprétées comme le reflet des transformations sur les marchés mondiaux des produits agricoles, des chocs énergétiques et de facteurs macroéconomiques plus larges. Un grand nombre de facteurs macroéconomiques sont décrits à la section 3.2, mais la présente section se concentre principalement sur les facteurs clés de l’augmentation des prix des produits agricoles et énergétiques, avant de passer à l’examen plus large de l’incidence de ces facteurs et d’autres sur l’inflation des prix des denrées alimentaires de 2021 à 2023.
Qu’est-ce qui a provoqué l’augmentation des prix des produits agricoles?
Les prix mondiaux des produits agricoles et énergétiques ont été particulièrement instables depuis 2020, sous l’effet d’une interaction complexe de chocs liés à la demande et à l’offre. Au départ, c’est la pandémie qui a déclenché une succession de tensions liées à la demande, car les politiques monétaires expansionnistes et les déséquilibres macroéconomiques ont entraîné un accroissement soudain des liquidités et une spéculation sur les marchés des produits87. Lorsque l’économie mondiale a commencé à se redresser, toutefois, ce sont les perturbations liées à l’offre, notamment les tensions géopolitiques et les contraintes structurelles, qui ont commencé à prévaloir et qui ont été à l’origine des flambées des prix des produits et de la transmission de ces augmentations à l’inflation des prix des produits alimentairesq.
La dynamique des prix des produits agricoles entre 2020 et 2022 a été en grande partie déterminée par deux vagues de chocs exogènes. La première vague est survenue au début de la pandémie, découlant de craintes de pénuries de main-d’œuvre dans les exploitations et de perturbations des approvisionnements alimentaires, le tout conjugué à des restrictions commerciales imposées à titre de précaution et à une augmentation des stocks stratégiques. Ces tensions ont cependant été contrebalancées au tout début par la réduction de la demande agrégée du fait de l’effondrement de l’activité économique. Lorsque les initiatives en faveur de la reprise ont gagné en importance, les prix des produits alimentaires ont continué d’augmenter, cette fois davantage en raison d’interventions macroéconomiques endogènes, en particulier le renforcement de la demande et l’amélioration des conditions financières facilitées par l’assouplissement de la politique monétaire.
Au début de la pandémie, des inquiétudes sont apparues quant à la capacité des agriculteurs de récolter leurs cultures, ce qui a entraîné des craintes de possibles perturbations des systèmes agroalimentaires. Cela a exercé une pression à la hausse d’environ 15 points de pourcentage sur les prix mondiaux des produits alimentaires au cours des premiers mois de 2020 (figure 3.4A)89.
La seconde vague de chocs liés à la demande trouve son origine au début de 2022 dans le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui s’est répercuté sur les systèmes agroalimentaires mondiaux. La Fédération de Russie et l’Ukraine étaient des pays exportateurs majeurs de céréales telles que le blé et le maïs, et le conflit a perturbé des couloirs commerciaux essentiels dans les régions de la mer Noire et de la mer Rouge. Ces perturbations, conjuguées à un fort recul des exportations d’engrais en provenance de la Fédération de Russie, ont exercé d’importantes pressions à la hausse sur le coût des intrants de la production alimentaire. Ces chocs exogènes ont ajouté 18 points de pourcentage aux prix mondiaux des produits alimentaires en 2022 (figure 3.4 A), ce qui marque une différence manifeste avec les fluctuations des prix dues uniquement à des facteurs macroéconomiques et accentue la vulnérabilité structurelle des marchés des produits alimentaires face aux perturbations géopolitiques89.
FIGURE 3.4 LA PANDÉMIE DE COVID-19 ET LA GUERRE EN UKRAINE ONT CONTRIBUÉ AUX FLUCTUATIONS DES PRIX DES PRODUITS

SOURCE: Peersman, G. (à paraître). Understanding the post-COVID-19 pandemic surge in food price inflation – Document d’information établi pour servir de base au rapport sur L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2025. Document de travail de la FAO sur l’économie du développement agricole n° 25-06. Rome, FAO.
Les chocs relatifs aux prix de l’énergie ont également accentué l’inflation des prix des produits alimentaires, en particulier à une période où les marchés mondiaux de l’énergie ont été déstabilisés par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Bien que les prix de l’énergie aient chuté au cours de la récession initiale due à la pandémie, ils sont repartis brusquement à la hausse en 2021 et 2022, principalement à cause de chocs spécifiques aux marchés de l’énergie, et non d’une reprise macroéconomique. Les sanctions imposées à la Fédération de Russie, la réorientation des importations énergétiques européennes et les perturbations plus larges des chaînes d’approvisionnement ont contribué à prolonger la pression à la hausse sur les prix du pétrole et du gaz. Étant donné que l’énergie est un intrant essentiel de la production agricole (de la fabrication des engrais au transport), ces évolutions se sont propagées aux marchés des produits agricoles. En 2024, les flambées des prix de l’énergie avaient fait peser une pression supplémentaire sur les prix mondiaux des produits alimentaires (figure 3.4 B).
Qu’est-ce qui a provoqué l’augmentation des prix?
Les chocs qui se sont produits sur les marchés des produits agricoles et énergétiques ont joué un rôle important dans la flambée des prix mondiaux des produits alimentaires enregistrée après la pandémie. La chronologie et l’intensité des chocs qui se sont répercutés sur les prix des produits et de l’énergie ont varié selon les régions, mais l’effet combiné a été une augmentation soutenue des prix à la consommation des produits alimentaires. Bien que ces derniers aient commencé à baisser fin 2022, l’IPC des denrées alimentaires s’est maintenu à un niveau élevé. Cette persistance s’explique par les effets de répercussion à retardement, la viscosité des prix et l’effet cumulé de multiples perturbations des chaînes d’approvisionnement. Dans la zone euror, des facteurs supplémentaires tels que les pressions exercées par les coûts de main-d’œuvre et la dépréciation des taux de change ont amplifié l’inflation des prix des produits alimentaires, contrairement aux États-Unis d’Amérique, où les répercussions ont été plus limitées89.
Les prix des produits (alimentaires et énergétiques) ont été des déterminants majeurs de la récente inflation des prix des produits alimentaires, les chocs exogènes liés à l’offre ayant joué un rôle de plus en plus important au cours de la période qui a suivi la pandémie. L’augmentation rapide des prix des produits alimentaires et énergétiques après 2020 a contribué directement à aggraver l’inflation des prix des denrées alimentaires. En conséquence, les prix des denrées alimentaires observés en 2022 et 2023 ont largement dépassé leurs niveaux antérieurs, les chocs liés au coût des intrants expliquant à eux seuls une grande partie de la hausse. Au pic de l’inflation, la différence entre l’inflation observée et l’inflation de référence atteignait 6,9 points de pourcentage aux États-Unis d’Amérique et 11,8 points de pourcentage dans la zone euro. Considéré isolément, l’effet des chocs exogènes liés aux produits alimentaires sur l’inflation des prix des denrées alimentaires a été mineur: sa contribution à l’inflation des prix des produits alimentaires a été de 3 pour cent aux États-Unis d’Amérique et de 8 pour cent dans la zone euro. Si l’on y ajoute les effets des chocs exogènes liés à l’énergie, en revanche, la contribution cumulée passe à 14 pour cent et 18 pour cent, respectivement (figure 3.5 – courbe verte).
FIGURE 3.5 Les effets des chocs de prix des produits alimentaires et énergétiques sur l’inflation des prix à la consommation des produits alimentaires ont été plus importants aux États-Unis d’Amérique que dans la zone euro

SOURCE: Peersman, G. (à paraître). Understanding the post-COVID-19 pandemic surge in food price inflation – Document d’information établi pour servir de base au rapport sur L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2025. Document de travail de la FAO sur l’économie du développement agricole n° 25-06. Rome, FAO.
La situation macroéconomique générale a amplifié les effets de l’évolution des marchés des produits sur l’inflation des prix des denrées alimentaires. Lorsque les pressions supplémentaires exercées par les évolutions macroéconomiques plus larges ont été prises en compte, comme le coût des intrants pour les producteurs et les détaillants de denrées alimentaires, la contribution estimée de la dynamique des prix des produits a augmenté pour atteindre 47 pour cent et 35 pour cent à son niveau le plus haut aux États-Unis d’Amérique et dans la zone euro, respectivement, le pic ayant été enregistré au troisième trimestre de 2022 dans le premier cas et au premier trimestre de 2023 dans le second (figure 3.5 – courbe violette). Cela représente la contribution des chocs exogènes liés aux marchés des produits ainsi que les effets indirects d’autres chocs macroéconomiques par l’intermédiaire de ces marchés, pour autant que les autres chocs en question se soient répercutés sur le coût des intrants des produits pour les producteurs et les détaillants de denrées alimentaires. Ces chiffres soulignent l’ampleur des répercussions de la hausse des prix des produits agricoles et énergétiques sur les prix au détail des denrées alimentaires au cours de cette période.
Cependant, l’inflation liée à ces produits n’explique pas totalement l’ampleur des tensions observées sur les prix. À son paroxysme, l’inflation des prix des denrées alimentaires a atteint 10,6 pour cent aux États-Unis d’Amérique et 15,7 pour cent dans la zone euro, ce qui indique l’existence d’autres facteurs, tels que la hausse des coûts de main-d’œuvre, les fluctuations des taux de change et les prix pratiqués le long des chaînes d’approvisionnement34, 37. Aux États-Unis d’Amérique, 53 pour cent de l’augmentation est imputable à des marchés sans lien avec les produits agricoles et énergétiques, contre 65 pour cent dans la zone euro. La dynamique de l’inflation était précédemment déterminée par les variations de la demande dues à la pandémie et par les politiques publiques, mais l’accélération enregistrée dernièrement a été alimentée par des tensions géopolitiques et des perturbations liées à l’offre, surtout la guerre en Ukraine.
Des inquiétudes croissantes suscitées par la concentration des marchés et l’utilisation du pouvoir de marché sont apparues alors que les prix des denrées alimentaires se maintenaient à des niveaux élevés malgré la baisse des coûts des intrants. Les décideurs publics ont de plus en plus souvent montré du doigt les entreprises dominantes au sein des chaînes d’approvisionnement, considérant qu’elles contribuaient à la viscosité des prix et à la persistance de l’inflation. La Commission européenne a reproché aux grandes sociétés du secteur alimentaire d’utiliser leur pouvoir de négociation pour limiter la rémunération des agriculteurs tout en augmentant les prix à la consommation91. Aux États-Unis d’Amérique, la «greedflation» («cupideflation»), qui sous-entend que les fournisseurs et les détaillants exploitent les conditions inflationnistes pour accroître leurs profits, suscite des débats92. D’après le Conseil des syndicaux australiens, la forte concentration des marchés dans le secteur de la vente au détail de produits d’alimentation générale permet de mener une stratégie dite «de la fusée et de la plume», qui consiste à augmenter les prix rapidement lorsque les coûts augmentent, mais à les baisser lentement lorsque les coûts diminuent, ce qui est le signe de pressions concurrentielles limitées93.
La concentration des marchés est un problème systémique qui compromet l’efficience et l’abordabilité sur l’ensemble des chaînes de valeur, des intrants à la vente au détail en passant par la transformation, et qui touche aussi bien les pays développés que les pays en développement. Au Mexique, la Commission fédérale sur la concurrence économique (COFECE) a constaté qu’une entreprise dominante dans le secteur de la farine de maïs, un ingrédient essentiel de la production de tortillas, qui sont l’un des aliments de base quotidiens de près de 70 pour cent de la population, s’était servi de son pouvoir de marché pour augmenter les prix, ce qui lui a valu des sanctions préliminaires. Des dynamiques similaires sont manifestement à l’œuvre sur les marchés des intrants agricoles94. Une analyse du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) portant sur les importations d’engrais en Afrique australe et en Afrique de l’Est a permis de constater l’existence de structures de marché oligopolistiques, dans lesquelles seulement deux à cinq entreprises dominent l’approvisionnement international95. Ce manque de concurrence s’est traduit par des majorations supérieures à 40 pour cent en 2023 et a freiné la transmission des prix mondiaux en baisse aux marchés locaux.
La puissance sur le marché peut fausser la transmission des signaux donnés par les prix internationaux aux marchés alimentaires nationaux, et contribuer ainsi à la persistance de l’inflation et à des asymétries dans l’ajustement des prix. La théorie économique semble indiquer que, sur les marchés oligopolistiques, les entreprises sont réticentes à l’idée de baisser les prix par crainte de déclencher une guerre des prix, qui conduirait à des rigidités de prix à la baisse96. Ce comportement peut se solder par une transmission asymétrique des prix: les prix intérieurs des produits alimentaires augmentent rapidement en réaction aux chocs mondiaux liés aux produits, mais ne s’ajustent ensuite que lentement, voire pas du tout, lorsque les prix internationaux baissent. Ces tendances sont observées depuis 2022, période au cours de laquelle plusieurs bouleversements mondiaux successifs ont provoqué des envolées des prix des produits alimentaires, tandis que les reculs enregistrés récemment sur les marchés des produits ne se sont pas répercutés entièrement dans les prix à la consommation. Des études empiriques réalisées par des pays importateurs de produits alimentaires ont établi un lien entre ces asymétries et la concentration des marchés97-99. Les conclusions tirées des données recueillies sont toutefois partagées. Dans leur rapport, Hernández et al. (p. 52)100 indiquent, par exemple, que la relation entre la concentration et l’exercice du pouvoir de marché revêt plusieurs dimensions, et que l’abus de position dominante ou les comportements anticoncurrentiels ne sont généralement pas attestés de manière évidente et peuvent tenir au contexte.
3.2.2 L’épisode d’inflation des prix des produits alimentaires de 2021-2023 est-il comparable aux épisodes inflationnistes précédents?
Les prix des produits alimentaires sont, par nature, soumis à fluctuation, souvent sous l’effet d’une combinaison de chocs liés à la demande et à l’offre qui déterminent l’évolution de l’inflation au fil du temps. Il est primordial de comprendre la différence entre ces deux forces pour saisir la façon dont l’inflation des prix des produits alimentaires fonctionne ainsi que la manière dont elle se répercute sur les économies. Les chocs liés à la demande se produisent en cas d’augmentation soudaine et inattendue de la demande de consommation de denrées alimentaires. Les chocs à liés à l’offre apparaissent en réaction à des perturbations de la production ou de la distribution des denrées alimentaires88, 101.
L’inflation des prix des produits alimentaires peut être due à des chocs liés à la demande ou à l’offre, mais son origine et ses conséquences sur l’économie sont notablement différentes dans l’un et l’autre cas. Les chocs liés à l’offre résultent de facteurs tels que l’expansion économique, la croissance des revenus ou des modifications des habitudes de consommation, comme l’essor de la demande de livraisons à domicile pendant la pandémie36, 102. Ces chocs conduisent généralement à des hausses rapides de prix, car un plus grand nombre de consommateurs entrent en concurrence pour une quantité limitée de produits. Bien que l’inflation induite par la demande puisse être importante, elle s’atténue souvent à mesure que les habitudes de consommation se normalisent ou que l’offre rattrape la demande. En revanche, les chocs liés à la demande sont fréquemment provoqués par des phénomènes météorologiques destructeurs, des conflits géopolitiques ou de brusques augmentations du coût d’intrants tels que l’énergie et les engrais. L’un des exemples frappants est la guerre en Ukraine, qui a fortement perturbé les approvisionnements mondiaux de céréales et d’engrais et provoqué une hausse prolongée des prix des produits alimentaires103, 104. Contrairement aux chocs liés à la demande, qui peuvent avoir des répercussions plus immédiates mais de plus courte durée, les chocs liés à l’offre créent généralement des tensions inflationnistes persistantes, car la reconstitution des capacités de production et le rétablissement des chaînes d’approvisionnement peuvent prendre beaucoup de temps.
Il est essentiel de faire la distinction entre ces types de chocs pour concevoir des politiques publiques efficaces. S’attaquer aux chocs liés à la demande nécessite souvent des mesures comme une aide sociale ciblée afin de prêter assistance aux populations vulnérables ou des exonérations fiscales et des politiques des prix temporaires afin de faire reculer une inflation excessive. Remédier aux chocs liés à l’offre peut exiger d’augmenter la production intérieure, de mettre en circulation des réserves stratégiques ou d’assouplir les politiques commerciales de façon à contrebalancer les perturbations de l’offre. Les décideurs publics doivent établir un diagnostic précis des causes profondes de l’inflation des prix des produits alimentaires pour mettre en œuvre des mesures ciblées et efficientes et atténuer ainsi les incidences négatives sur la sécurité alimentaire et la stabilité économique.
De tout temps, l’inflation des prix des produits alimentaires a été principalement provoquée par des chocs liés à l’offre, comme l’illustrent deux grands épisodes inflationnistes qui se sont produits dernièrement. La flambée des prix observée au cours de périodes précédentes, comme les crises de 2007-2008 et de 2011-2012, a été en grande partie attribuée aux perturbations inattendues de la production agricole, souvent dues à des phénomènes météorologiques dévastateurs, à des interruptions des chaînes d’approvisionnement ou à des chocs sur les marchés mondiaux105. Ce schéma témoigne de l’instabilité inhérente à l’offre agricole, laquelle est particulièrement sensible aux pénuries ou aux excédents inattendus provoqués par les conditions météorologiques ou des politiques commerciales, pour ne citer que ces deux facteurs.
En revanche, la toute dernière poussée inflationniste des prix des produits alimentaires, qui a commencé avec l’apparition de la pandémie début 2020, s’est écartée du schéma habituel car elle a été provoquée initialement sous l’effet de la demande. La récession induite par la pandémie et la reprise économique qui s’est ensuivie ont conduit à une forte augmentation de la demande de consommation, en particulier de produits alimentaires locaux, car les restrictions de circulation et les préoccupations liées à la santé ont modifié les habitudes de consommation106. Cette évolution a débouché sur des augmentations considérables des prix des produits alimentaires en glissement annuel qui n’avaient pas été observées depuis les années 1970, les chocs liés à la demande ayant contribué à plus de 5 points de pourcentage d’inflation lorsque la hausse des prix a atteint son plus haut niveau aux États-Unis d’Amérique105.
Lorsque les perturbations des chaînes d’approvisionnement et les tensions géopolitiques, notamment la guerre en Ukraine, sont apparues, les facteurs liés à l’offre ont commencé à gagner en influence, et ont prolongé les tensions inflationnistes. Par voie de conséquence, alors que les chocs liés à la demande ont joué un rôle initial déterminant, les contraintes ultérieures liées à l’offre ont aggravé la situation, signe d’une interaction complexe des dynamiques de la demande et de l’offre au cours du dernier épisode en date d’inflation des prix des produits alimentaires. Les répercussions des chocs liés à la demande varient et sont généralement plus marquées dans la zone euro qu’aux États-Unis d’Amérique89, 106.