
Donner aux femmes rurales le goût de la radio
par Sophie K. LY*
Avant toute chose permettez-moi, au nom de l'AMARC, de remercier la FAO de nous associer à la présente consultation. C'est certainement une nouvelle marque de la volonté des agences intergouvernementales de collaborer avec les organisations de la société civile vers notre objectif commun d'améliorer la qualité de la vie dans les communautés du monde.
Pour ceux qui ne connaissent pas l'AMARC, nous sommes un réseau de quelques milliers de radios communautaires et de groupes de production radiophonique constitué en association et présent dans environ 115 pays sur tous les continents.
Créé en 1983, ce réseau s'est donné pour mission de rendre les outils de communication plus accessibles -particulièrement dans le domaine de la radio- afin qu'ils servent les communautés qui travaillent à leur propre développement. Les activités de l'AMARC consistent en des actions de plaidoyer, de solidarité face aux menaces, des projets de formation, de circulation d'information produite localement, d'échange de productions radiophoniques, de mise en réseaux.
Dès 1990, lors d'une conférence mondiale de l'AMARC, tenue à Dublin, les femmes actives dans la radio communautaire ont attiré l'attention sur le fait qu'il ne peut y avoir de vraie de démocratisation de la radiodiffusion sans accès équitable pour les femmes. Or, dans la radio, comme dans la plupart des secteurs de la vie économique et politique, les femmes sont nettement moins nombreuses, moins qualifiées et occupent rarement des postes décisionnels. A l'issue de ce 4ème congrès mondial de l'AMARC, le Réseau International des Femmes de l'AMARC a vu le jour avec pour mission de créer, au sein de l'AMARC, un espace privilégié de promotion de l'accès des femmes à la radiodiffusion. Ce réseau est aujourd'hui particulièrement dynamique en Amérique latine, en Afrique et en Europe. En collaboration avec l'UNESCO, des initiatives se développent en Asie.
L'invitation de la FAO à cette conférence est arrivée au moment où le réseau des femmes se mobilisait suite à une demande venant d'une fédération de femmes dans l'Etat de Kwara au Nigeria. Ces femmes veulent des radios pour leurs communautés mais plus spécifiquement pour elles-mêmes, elles cherchent un moyen de communiquer sur leurs besoins, assurer leur sécurité, tout cela sans réduire leur mobilité "something completely portable that can be carried in a pocket if we have to run and that can access a network".
Ce besoin exprimé par des Nigérianes est certainement partagé par une majorité de femmes rurales dans le monde. Nous avons donc initié une discussion élargie au réseau afin, d'une part, de cerner les besoins plus clairement et, d'autre part, explorer les solutions technologiques appropriées et abordables.
Voici quelques points saillants de la discussion -qui a déjà débouché sur une action pilote dont je vous parlerai ensuite- 3 points qui concernent essentiellement la femme rurale dans les pays en développement.
Une revue des réalités quotidiennes de la femme rurale et de ses besoins
- Le rôle de la femme dans la vie et l'économie rurale est central mais cela ne se reflète pas dans la perception générale. Par conséquent, la femme rurale ne reçoit pas les outils et appuis adéquats pour mener sa mission à bien.
- La vie rurale et le quotidien des femmes est conditionné par un cruel manque de temps face à une mission titanesque: assurer la sécurité alimentaire; assurer la sécurité des enfants; veiller à la santé des enfants et à la leur propre; veiller à l'éducation des enfants; surveiller les opportunités de mettre en vente ou acheter les éventuels surplus agricoles; participer à la vie associative villageoise qui est le lieu privilégié de circulation de l'information et d'élaboration de stratégies.
- Ce quotidien est aussi conditionné par les longues distances à couvrir chaque jour pour accomplir toutes ces missions. Il est évident qu'il n'y a pas plus grande priorité pour la femme rurale que d'assurer la sécurité alimentaire de sa famille, mais comme le souligne fort bien le Rapport des Nations Unies publié en 1995 intitulé "Les femmes au-delà de l'an 2000", dans la section sur le travail non rémunéré, la femme rurale doit absolument mener de front diverses activités et préoccupations vitales. Les soucis d'accroître le revenu familial, de soigner l'enfant malade et de se tenir informée des activités communautaires sont en effet indissociables et tous aggravés par le manque de temps et de mobilité. Tout cela requiert quasiment un don d'ubiquité!
- D'une communauté rurale à l'autre des denrées ou des savoir-faire existent qui peuvent répondre à des besoins. Cela va du surplus de récolte qui se perd, à l'infirmier ou la sage-femme de département qui ne peuvent être contactés d'urgence, à la catastrophe naturelle tardivement communiquée aux villages environnants, en passant par les services de camions de brousse qui ne demandent pas mieux que de livrer les marchandises aux endroits demandeurs et prêts à payer.
- Les besoins sont parfois articulés en demandes, parfois pas. Ils souffrent tous d'une communication inter-villages insuffisante.
- Les décideurs politiques sont insuffisamment informés sur la femme rurale mais cette situation se corrigera réellement si la femme rurales peut se concerter avec l'autre femme rurale.
Les solutions technologiques envisageables
- Comme je vous le disais, une expérience pilote est déjà en cours: grâce à une contribution venant du Texas, la fédération nigériane a reçu 3 émetteurs de radio amateur à installer l'un au siège de la fédération, l'autre dans un village et le dernier dans un véhicule-navette. Le matériel a été transféré en septembre dernier et il est encore tôt pour en évaluer l'efficacité et l'impact.
- Toutefois, cette initiative s'est faite sur la base de consultations auprès de techniciens et d'usagers de la radio amateur qui recommandent une technologie à faible puissance émettrice (environ 50 km de rayon), à faible consommation énergétique, et surtout d'utilisation facile.
- Cette technologie, déjà utilisée par le passé en Afrique par les colons isolés et soucieux de leur sécurité, peut aujourd'hui trouver application pour les mêmes motifs mais également pour appuyer le travail ordinaire et quotidien des femmes.
- L'implantation de telles technologies devra s'accompagner d'un projet d'encadrement et de formation à tous les intervenants dans le projet de sécurité alimentaire (producteurs et productrices agricoles, vendeuses et vendeurs, transporteurs, associations de femmes, environnementalistes, etc.). Car le bénéfice d'apprendre à manipuler une radio ne sera pas nécessairement évident aux yeux de toutes les femmes déjà débordées de travail.
- Pour être viable, toute solution technologique devra pouvoir soulager la femme rurale sur plusieurs fronts qu'elle gère simultanément.
- Cette technologie devra également s'intégrer dans les logiques et mécanismes de solidarité qui garantissent la survie rurale.
- Enfin, cette solution ne doit pas introduire une charge et un nouveau souci financier.
Les actions à mener pour que ces projets deviennent de vraies solutions
- Garantir l'autorisation d'utilisation des fréquences radio nécessaires. Cela devra se faire en collaboration avec l'Union internationale des Télécommunications pour sensibiliser ses pays membres et déterminer plus précisément les technologies les plus appropriées selon les contextes; en collaboration avec les autorités nationales qui ont toute souveraineté sur la gestion de ce type de fréquences radio. Enfin, avec l'aide éventuelle de l'association mondiale des radios amateurs, qui collabore avec l'UIT depuis les années 30 et a une vaste expérience de terrain.
- Eprouver la faisabilité et la pérennité de telles solutions dans le cadre de projets pilotes dans les pays choisis.
- Travailler avec les radios communautaires afin qu'elles éduquent les populations concernées et les décideurs locaux aux besoins et aux nouvelles solutions à mettre en place. En effet, ces expériences devront à la longue s'intégrer dans la réalité et les plans communautaires et nationaux. Dans la programmation régulière des radios communautaires. Nous croyons que l'on pourra ainsi donner aux femmes "le goût de faire de la radio" et de générer de l'information qui soutiendra des décisions politiques.
C'est un projet ambitieux mais faisable, une idée pratique que nous invitons la FAO à expérimenter avec nous. La FAO et quelques pays qui seraient intéressés à mettre en oeuvre une expérience pilote. Sans la volonté politique réelle de décideurs nationaux, rien de ces idées généreuses ne se fera dans des conditions profitables à la femme rurale. L'AMARC vous offre sa collaboration.
Depuis des millénaires, les paysannes et paysans tentent par divers moyens d'arracher à des terres souvent ingrates les récoltes les plus abondantes possibles. Dans les dernières années, l'industrie agro-alimentaire a investi énormément dans la recherche et le savoir existe aujourd'hui pour assurer la sécurité alimentaire de la planète. Il est disponible. Pour qui le payer. Malheureusement, cette recherche n'a pas été conçue pour mettre en application le droit humain le plus élémentaire: manger à sa faim. Si elle y contribue, il semble que ce soit plus souvent par accident que par dessein. Qu'à cela ne tienne. En Finlande, il existe une radio communautaire nommée Radio Robin Hood -Robin des Bois. C'est un bon nom pour une radio communautaire. Je suis sûre que vous connaissez tous l'histoire de Robin des Bois, ce héros populaire qui mettait en oeuvre la redistribution des richesses, les prenant là où elles s'accumulaient pour les donner là où elles manquaient. Si l'information et le savoir sont aujourd'hui reconnus comme richesses, alors c'est à nous, qui oeuvrons pour les droits des communautés, de nous assurer qu'ils puissent circuler et se rendre là où l'on en a le plus besoin, par tous les moyens appropriés.
Je vous remercie de votre attention.
