Les preuves que les effets cumulatifs des activités humaines sont en train de changer le climat du globe sont désormais presque irréfutables. Qu’est-ce que cela signifie pour les forêts du monde? Une sombre menace ou une possibilité de croissance? En l’absence de certitude, tout dépendra du point de vue.
La manière dont les forêts et les populations qui en sont tributaires s’adapteront au changement climatique est un domaine de recherche d’un intérêt croissant, qui a été au cœur d’un grand nombre de conférences récentes. L’une d’entre elles, la Conférence internationale sur l’adaptation des forêts et de la gestion forestière aux changements climatiques, notamment en ce qui concerne la santé des forêts (Umeå, Suède, août 2008), est à l’origine de ce numéro spécial double d’Unasylva. Organisée par la FAO, l’Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO) et l’Université suédoise des sciences agricoles, la conférence a réuni plus de 300 chercheurs, gestionnaires et décideurs appartenant à 50 pays.
Le présent numéro comprend un échantillon des thèmes présentés à la conférence d’Umeå. Les lecteurs intéressés trouveront d’autres contributions généralement plus techniques, ainsi qu’un complément d’informations sur certaines des études décrites ici, dans les prochains numéros de Forest Ecology and Management et Forest Policy and Economics. Les deux numéros ont été planifiés, en coordination avec Unasylva, pour remplacer la publication des actes de la conférence.
Questions principales. Le premier article, écrit par P. Bernier et D. Schoene, résume les observations faites lors de la conférence d’Umeå. Après un aperçu des impacts du changement climatique (qui, dans ce numéro, inclut la variabilité climatique) sur les écosystèmes forestiers, leurs biens et services, et les populations et leurs moyens d’existence, l’article évalue les mesures visant une adaptation planifiée des pratiques de gestion forestière. Il examine le rôle de la science dans le soutien d’une telle adaptation et la nécessité de modifier les politiques et les institutions. Les auteurs soulignent l’importance, pour les pays et les secteurs, de s’attaquer de concert à ce problème mondial et de combler le fossé entre pays développés et pays en développement sous l’angle de l’aptitude scientifique, organisationnelle et opérationnelle à s’adapter.
Le deuxième article, par B. Osman-Elasha, tiré de son discours liminaire, examine les impacts prévus du changement climatique en Afrique et les liens entre ce changement et le développement durable. Bien que l’article ne concerne pas à proprement parler le secteur forestier, ces liens devront être pris en compte par tous ceux qui se préoccupent de la façon dont le secteur s’adaptera à l’évolution du climat dans les pays en développement. Les termes clés sont définis: vulnérabilité, adaptation, capacité d’adaptation. Le message central postule que le changement climatique est un obstacle au développement, et que le développement durable est à la base des capacités d’atténuation et d’adaptation; il s’ensuit donc que le développement durable et le changement climatique doivent être affrontés ensemble.
Une infestation de dendroctones du pin intéressant une superficie de 13 millions d’hectares, dans la province de la Colombie-Britannique (Canada), donne l’idée des effets catastrophiques que le réchauffement du climat pourrait avoir sur le paysage, l’industrie forestière et les communautés tributaires de la forêt. En récapitulant une autre allocution principale de la conférence d’Umeå, D. Konkin et K. Hopkins résument les défis à relever et les enseignements tirés. L’épidémie a mis clairement en évidence la nécessité d’augmenter la résilience des écosystèmes, des populations et des communautés, et a sensiblement élargi le mode de penser et l’approche des gestionnaires forestiers de la Colombie-Britannique. Outre l’investissement dans le reboisement des zones touchées, le gouvernement a préconisé la récupération de la valeur économique des arbres tués par une récolte rapide du bois, et a encouragé l’utilisation du bois dans la construction et la diversification des moyens d’existence des communautés forestières.
Impacts sur la composition et la répartition des espèces forestières. Les deux articles qui suivent décrivent certaines des techniques employées pour prédire les effets du changement climatique sur les écosystèmes forestiers et la répartition des espèces forestières. M. van Zonneveld et ses coauteurs ont utilisé une modélisation de l’enveloppe climatique pour prédire des déplacements possibles dans l’aire de répartition de deux espèces de pin tropical, Pinus kesiya et Pinus merkusii, en Asie du Sud-Est; les techniques avaient pour objectif non seulement de prévoir les impacts, mais aussi d’identifier les opportunités, comme l’établissement de plantations de pins dans des zones où elles n’étaient pas réalisables auparavant. M. Silveira Wrege et al. ont utilisé la cartographie de la vulnérabilité au climat pour prédire les zones du Brésil où l’évolution climatique pourrait avoir les impacts les plus marqués sur Araucaria angustifolia, si bien que ces zones pourraient être affectées à des activités de conservation.
Une brève contribution de M. Devall porte sur la façon dont l’altération du climat risque de rendre des arbres et arbustes rares – ceux qui ont le plus besoin de mesures de conservation – plus vulnérables en raison de l’exiguïté de leurs populations, de la spécialisation de leur habitat ou de la limitation de leur aire de répartition géographique. D.I. Nazimova et al. analysent 350 années de succession, à la suite d’incendies dans les forêts de subtaïga du sud de la Sibérie (Fédération de Russie), pour prédire comment l’augmentation des incendies (résultat probable du changement climatique) pourrait influencer leur composition future, le feu étant le principal facteur qui détermine la biodiversité, la régénération et la dominance de certaines espèces arborescentes dans ces forêts. Il sera donc nécessaire dans cette zone d’élaborer des plans de gestion adaptatifs pour renforcer la protection contre le feu.
Impacts sur la santé des forêts. Le changement climatique influencera aussi la santé des forêts par ses impacts sur d’autres facteurs biotiques, comme les ravageurs et les maladies. Dans certaines zones, il offre déjà des habitats de plus en plus hospitaliers à des espèces d’insectes; en outre, les déplacements de ces insectes sont grandement facilités par l’ampleur accrue des échanges commerciaux. J. Régnière, un des orateurs principaux d’Umeå, décrit une méthode permettant de prédire la répartition des insectes nuisibles sous un climat en évolution, sur la base de leurs réponses physiologiques à des facteurs climatiques particuliers. Il observe que l’aire de répartition de la plupart des insectes pourrait se déplacer vers les pôles et vers des altitudes plus élevées, l’impact le plus marqué intéressant les régions tempérées; toutefois, des changements dans l’aire de répartition ne signifient pas nécessairement que le monde aura plus de ravageurs.
C.D. Allen estime que, au-delà des impacts de l’expansion des populations humaines et des économies, les changements climatiques en cours influencent l’état des forêts dans le monde entier. Il décrit des modèles de dépérissement (mortalité des arbres bien supérieure à la normale) liés principalement à la sécheresse et à la hausse des températures. Bien que des lacunes dans les connaissances actuelles limitent les conclusions qui peuvent être tirées quant aux tendances de la mortalité des arbres, Allen indique que de nombreuses forêts et terres boisées pourraient se trouver aujourd’hui face à un danger croissant de dépérissement imputable au climat. Une carte illustrée est présentée à l’appui de cette théorie avec des exemples concernant tous les continents boisés.
Ce que peuvent faire la science et les politiques. Les programmes d’amélioration des arbres peuvent-ils résoudre les nouveaux problèmes de santé des forêts que le changement climatique pourrait déclencher? Sur la base d’une enquête menée sur les programmes existants visant à développer la résistance des arbres aux insectes nuisibles et aux maladies, A. Yanchuk et G. Allard font observer que les progrès les plus importants n’ont été réalisés que pour un petit nombre d’essences d’un intérêt commercial particulier, et qu’il a fallu des décennies pour arriver à ces résultats. L’article laisse entendre que, dans un monde soumis à une évolution accélérée du climat, où de nouvelles introductions d’insectes nuisibles et de maladies ainsi que des dommages accrus provoqués par des ravageurs indigènes sont probables, les mesures adoptées dans le passé risquent de ne pas être assez rapides. Les auteurs recommandent que la recherche se focalise sur l’identification de formes de résistance plus générales contre diverses classes d’insectes ou de maladies qui pourraient être mises au point avant les infestations.
G.M. Blate et al. offrent des solutions pratiques pour l’adaptation des objectifs et des pratiques de gestion forestière aux impacts attendus du changement climatique, comme celles identifiées pour les forêts nationales des États-Unis. Ils proposent des adaptations à court terme pour le développement de la résistance et de la résilience, et des adaptations à long terme pour la gestion du changement quand les seuils de résilience sont dépassés. Les auteurs soulignent la nécessité de renforcer les relations entre la recherche scientifique et la gestion forestière; d’évaluer les avantages réciproques et les synergies des mesures d’atténuation et d’adaptation; de faire appel à la prise de décision participative pour répondre aux intérêts de toutes les parties prenantes; et de viser des résultats réalistes en mettant en balance ce qui peut être accompli et ce qui ne peut pas l’être, vu la limitation des ressources financières et humaines.
S. Mansourian, A. Belokurov et P.J. Stephenson examinent le rôle des aires forestières protégées dans l’adaptation au changement climatique, en prenant des exemples du travail réalisé par le Fonds mondial pour la nature (WWF). Ils résument une série de mesures de gestion aptes à assurer que les aires forestières protégées continuent de fournir leur soutien à la conservation de la biodiversité face au changement climatique, par exemple en concevant, planifiant et gérant les aires protégées dans les paysages pour améliorer leur résilience et la liberté de mouvement des espèces. Les auteurs font remarquer que, dans un avenir où le changement climatique viendra ajouter sa pression à celle exercée sur les ressources naturelles par des populations croissantes, les aires protégées ne pourront survivre que si elles sont directement utiles aux communautés humaines qui y vivent ou en dépendent.
Adaptation des communautés. Que peuvent faire les communautés pour s’adapter? B.A. Gyampoh et ses coauteurs ont mené une enquête dans 20 communautés rurales du Ghana pour examiner le rôle du savoir traditionnel dans l’adaptation aux impacts de l’altération du climat, notamment la pénurie d’eau. Les populations autochtones vivent en contact étroit avec la nature et sont souvent les premières à noter ses changements et à s’y adapter. Les stratégies d’adaptation pourraient bénéficier de la combinaison des connaissances scientifiques et traditionnelles, notamment dans les pays en développement où les technologies sont peu développées. Les auteurs recommandent une étude plus approfondie pour faciliter l’intégration des mesures traditionnelles dans les stratégies d’adaptation mondiales et la recherche scientifique.
M. Idinoba et al. examinent brièvement les impacts du changement climatique sur les communautés qui dépendent des produits forestiers non ligneux (PFNL) en Afrique de l’Ouest. Ils citent une recherche menée au Burkina Faso, qui a montré les réductions, dues en partie au changement climatique, survenues dans l’aire de répartition, la disponibilité et la productivité de certaines espèces productrices de PFNL. Ils décrivent les pratiques de gestion forestière et de conservation adoptées pour diminuer la vulnérabilité.
Le numéro s’achève par un examen des sensibilités de l’écosystème à l’évolution du climat, de ses impacts futurs probables sur les biens et services, et des mesures d’adaptation convenant à un écosystème particulièrement vulnérable, à savoir les forêts de montagne. Observant les forêts tempérées et méditerranéennes de montagne en Europe, Maroschek et ses coauteurs notent l’importance du choix des espèces et du matériel de reproduction appropriés; de l’adaptation des espacements et des plans d’entretien et d’éclaircie en prévision des conditions futures; de l’adoption de mesures préventives (surveillance des ravageurs, par exemple) et correctives (coupes d’assainissement, lutte contre les ravageurs, par exemple) de protection des forêts contre la possibilité d’une augmentation des perturbations; et du soutien aux mesures adaptatives de gestion en réduisant les autres pressions grâce à la gestion intégrée de l’environnement.
Dans ce numéro spécial, même les sections habituellement consacrées à la FAO et la foresterie, au monde forestier et aux livres mettent en évidence le thème de la forêt et du changement climatique.
Le changement climatique est une cible en mouvement; il sera donc nécessaire d’évaluer les risques et de réduire la vulnérabilité aux changements prédits. Nous espérons que les informations présentées ici pourront aider le secteur forestier à se préparer aux changements à venir.