Stratégies forestières d’adaptation: analyse de successions à long terme consécutives aux incendies en Sibérie méridionale, Fédération de Russie
D.I. Nazimova, O.V. Drobushevskaya, G.B. Kofman et M.E. Konovalova
Une analyse des successions consécutives à des perturbations naturelles contribue à prédire l’effet des changements climatiques sur la composition future éventuelle des forêts boréales sibériennes dans la subtaïga collinaire.
Dina Nazimova, O.V. Drobushevskaya, G.B. Kofman et M.E. Konovalova travaillent au V.N. Sukachev Institute of Forest, Siberian Branch of the Russian Academy of Sciences (SB RAS), Krasnoyarsk (Fédération de Russie).
La composition des espèces forestières et ses changements au fil du temps peuvent servir à prédire les transformations potentielles des forêts dans les conditions climatiques actuelles et futures. Dans la subtaïga sibérienne méridionale, en Fédération de Russie, le feu est le principal facteur qui détermine la biodiversité, la régénération et les espèces forestières dominantes. Les auteurs analysent les successions consécutives aux incendies des 350 dernières années, afin de prédire l’effet de l’augmentation des incendies qui devrait, selon les prévisions, accompagner les changements climatiques dans cette zone.
La succession est le remplacement progressif d’une communauté végétale par une autre à mesure que varient les conditions environnementales, soit naturellement (par le changement des conditions d’ombrage sous un peuplement forestier, par exemple) ou après des perturbations (feu, orage, inondation, infestation de ravageurs ou foyers d’infection, coupe rase, etc.). La plupart des successions comportent un certain nombre de stades où différentes collections d’espèces dominent. Le stade final, ou climax, est atteint lorsque la composition des espèces ne change plus au fil du temps en l’absence de perturbations naturelles ou d’origine humaine.
Caractéristiques de la subtaïga
Les forêts mixtes en Sibérie méridionale sont typiques des paysages collinaires dans des climats humides continentaux. Elles consistent en pins sylvestres (Pinus sylvestris), mélèzes de Sibérie (Larix sibirica), bouleaux (Betula pendula), trembles (Populus tremula), sapins de Sibérie (Abies sibirica) et épicéas (Picea obovata, syn. Picea abies subsp. obovata) avec une strate herbacée bien développée. Ces forêts, classées comme subtaïga, occupent la zone entre la taïga de conifères «sombre» (tolérante à l’ombre, avec des sapins, des épicéas et des pins de Sibérie) et la steppe forestière de conifères «claire» (héliophile, avec des pins sylvestres et des mélèzes). Les peuplements forestiers sont sujets à des incendies périodiques et représentent différents stades de la restauration naturelle de la végétation après un incendie.
La zone de subtaïga forestière en Sibérie méridionale (entre 300 et 500 m au-dessus du niveau de la mer) diffère considérablement de la taïga (entre 450 et 650 m au-dessus du niveau de la mer) sur le plan de la biodiversité, de la phénologie et de la composition floristique du sous-bois. Bien que ces deux zones renferment les mêmes essences forestières, dans la subtaïga le sapin et l’épicéa sont pratiquement absents des bassins versants et ne se rencontrent qu’à proximité des cours d’eau. Le sous-bois de la subtaïga est riche en herbes et graminées mais, contrairement à la taïga, il n’a pas de couverture de mousse.
Subtaïga à pins et mélèzes, avec un mélange stable de bouleaux et de trembles, ainsi qu’une strate d’herbes et de graminées bien développée |
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O.V. Drobushevskaya |
Analyse de la succession
Les auteurs ont reconstruit des trajectoires de succession au cours des 350 dernières années dans les forêts des paysages collinaires du sud de la Sibérie (Fédération de Russie), combinant une méthode de chronoséquence avec des descriptions détaillées de 2 210 unités d’inventaire forestier, des données tirées de 120 parcelles échantillons et les technologies du Système d’information géographique (SIG).
Les méthodes directes ne peuvent pas servir à reconstruire l’historique de peuplements forestiers mixtes inéquiens qui ont une structure verticale complexe, consistant en plusieurs espèces d’âges différents à chaque strate du couvert. La construction de trajectoires quasi dynamiques était fondée sur le groupage de peuplements de différents âges croissant dans le même environnement, dans des conditions initiales et avec des histoires de développement similaires.
Douze lignes de succession, comprenant chacune plusieurs stades de succession, ont été identifiées pour la ceinture de subtaïga au climat humide continental. Six lignes de succession ont été trouvées pour la ceinture de taïga à sapins d’altitude plus élevée, au climat plus humide et moins continental.
La figure illustre la composition des communautés et les changements intervenus jusqu’au stade climacique (de 200 à 350 ans) pour différents types de forêts aux sols d’une humidité et d’une richesse variées, reconstruits à partir de données d’inventaire forestier. Du fait de la fréquence des feux de surface, ces peuplements n’ont pas encore atteint le stade climacique, mais les derniers stades de leur développement peuvent être considérés comme un quasi-climax ou un état de quasi-équilibre.
Le bouleau n’abonde que pendant les sept à douze premières décennies (figure, a–c). Après son déclin, le pin sylvestre et le mélèze deviennent les espèces principales. Le sapin et l’épicéa sont clairsemés dans la plupart des sites compris dans la zone de subtaïga.
Le remplacement du mélèze de Sibérie et du pin sylvestre par le sapin de Sibérie n’est observable qu’à l’interface de la subtaïga et de la taïga à sapins. Cependant, ce processus n’a pas encore atteint le stade climacique dans les zones étudiées, en raison d’incendies répétés; des peuplements mûrs de pins sylvestres forment un subclimax dans cette variante humide de la subtaïga collinaire.
Parmi les peuplements forestiers décidus, les conditions sont adaptées aux peuplements de trembles sur des sols fertiles et humides. La riche diversité des herbes du sous-bois (Carex macroura, Calamagrostis arundinacea, Vicia unijuga, par exemple) prouve que le système supporte bien le feu. Les peuplements de trembles occupent une niche favorable à de nombreuses espèces. La strate d’herbes et de graminées bien développée interdit la régénération des conifères héliophiles tels que le pin sylvestre et le mélèze de Sibérie. Un sous-bois de conifères tolérants à l’ombre (sapin de Sibérie, épicéa, pin de Sibérie) apparaît parfois sous le couvert des trembles, mais le manque d’humidité atmosphérique et les incendies de surface périodiques, notamment au printemps, ne leur permettent pas de dominer.
Les tendances de la succession montrent que, dans les conditions climatiques propres à la subtaïga, seules les essences forestières les plus tolérantes au feu, comme le pin sylvestre et le mélèze de Sibérie, domineront, normalement pendant 250 à 350 ans. Le mélèze de Sibérie est bien connu pour sa tolérance au feu, mais dans la subtaïga humide il cède la place au pin sylvestre et au bouleau, qui produisent davantage de semences et s’établissent dès lors plus rapidement à la place du mélèze ou sous ce dernier. Les peuplements de pins sylvestres de première ou de deuxième génération prévalent dans les derniers stades de la succession.
Dynamique à long terme d’espèces arborescentes dans différents types de forêts de la zone de subtaïga collinaire (entre 200 et 450 m au-dessus du niveau de la mer) |
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Conclusions
L’analyse laisse entendre que l’augmentation prévue des incendies résultant des changements climatiques, en Sibérie méridionale, provoquera sans doute une réduction du mélèze et des conifères tolérants à l’ombre, en faveur du pin sylvestre, du bouleau et du tremble, ainsi que de communautés végétales non arborées de buissons, graminées et herbes. La diversité des espèces dans les communautés végétales de ces forêts sera semblable à celle de nombreuses communautés existant actuellement dans les steppes forestières et les zones steppiques.
On peut s’attendre à ce que le réchauffement et l’humidité croissante du climat provoquent des changements dans la composition des écosystèmes forestiers, qui pourraient s’avérer défavorables du point de vue économique. Néanmoins, les fonctions écologiques des écosystèmes forestiers ne diminueront pas. En outre, le tremble et le bouleau constituent d’excellents puits de carbone grâce à leur croissance rapide. Toutefois, dans la zone de la subtaïga, les incendies au printemps et à l’automne restent le principal danger qui menace la survie de générations d’espèces arborescentes.
La gestion forestière durable vise à aider la régénération naturelle. Le brûlage dirigé pourrait être recommandé pour certains sites, afin d’éviter les grands incendies et d’encourager la régénération du pin sylvestre et du mélèze.
Enfin, les plans de gestion élaborés pour les plantations de pins de Sibérie, actuellement l’essence la plus intéressante du point de vue économique dans la subtaïga, devront tenir compte du risque accru d’incendies de surface destructifs et renforcer la protection contre le feu.
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