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Supplément - Emploi des tracteurs articulés à roues pour le débardage

M. C. R. SILVERSIDES

C. R. SILVERSIDES est Directeur, Woodlands Development, Abitubi Paper Company, Toronto, Ontario, Canada. devenaient plus rares, il fallut les remplacer par un autre moyen de traction. Les tracteurs à chenilles donnaient de bons résultats, mais ils étaient lents et d'un emploi coûteux.

La Réalisation d'un tracteur articulé à roues pour le débardage est un phénomène spécialement nord-américain. Elle a été l'aboutissement d'un processus d'évolution assez rapide qui s'est amorcé dès la fin de la deuxième guerre mondiale. Le fait nouveau était l'introduction de véhicules à roues dans la forêt pour remplacer la traction animale, ces véhicules étant considérés préférables aux tracteurs à chenilles et plus économiques. La roue n'existe pas dans la nature et l'homme, qui l'a inventée, n'avait pu l'utiliser avec succès que sur des sentiers et des routes. Ce sont les progrès réalisés pendant et immédiatement après la guerre dans la construction des machines et les nouvelles sculptures de pneus qui ont permis d'utiliser avec succès les roues dans la forêt.

Autrefois, on se servait beaucoup des chevaux pour le traînage et le halage des billes, mais à mesure qu'ils devenaient plus rares, il fallut les remplacer par un autre moyen de traction. Les tracteurs à chenilles donnaient de bons résultats, mais ils étaient lents et d'un emploi coûteux.

En Europe, où l'exploitation forestière a été intégrée dans une large mesure à l'agriculture, on a utilisé pendant des années et avec d'assez bons résultats des tracteurs agricoles à roues pour le débardage. En Amérique du Nord cette intégration n'existait pas. Les machines construites et vendues pour les travaux agricoles en terrain libre étaient incapables de résister au travail beaucoup plus dur du débardage en forêt. En outre, leurs caractéristiques mêmes ne leur donnaient pas la maniabilité et la mobilité nécessaires pour le débardage. Ce que l'exploitant voulait en réalité c'était quelque chose qui remplace le cheval, une machine capable d'un puissant effort de traction, d'une grande mobilité dans la forêt, et économique.

TABLEAU 1. - TAUX D'UTILISATION ET VITESSE DE DÉPLACEMENT DES TRACTEURS A ROUES ET A CHENILLES

Véhicule

Vide chargé

Terrain

Vitesse m/mn

Min.

Moyenne

Max.

Timberjack 200 -215

Vide

En dehors des pistes

28

53

78



Piste de débardage - route forestière

50

105

172

Tracteurs à chenilles

Vides

En dehors des pistes

30

43

71



Piste de débardage - route forestière

42

55

87

Timberjack 200 215

Chargé

En dehors des pistes

26

48

76



Piste de débardage - route forestière

45

75

137

Tracteurs à chenilles

Chargés

En dehors des pistes

32

47

66



Piste de débardage - route forestière

38

52

75

SOURCE: Skogsarbeten (1).

FIGURE 1. - Capacité de franchissement d'obstacles de véhicules militaires à quatre roues.

NOTE: Les roues arrière sont dans tous les cas le facteur limitatif
L/D = Empattement/diamètre des roues
h/D = Hauteur de l'obstacle / diamètre des roues
Uo = Coefficient de frottement

Bientôt, dans la recherche d'un remplaçant du cheval, la roue se montra plus prometteuse que la chenille, mais ingénieurs et utilisateurs débattirent encore pendant des années la question « roues ou chenilles ». Quoi qu'il en soit, si un véhicule à roues peut faire un certain travail, il faut en général lui accorder la préférence sur le véhicule à chenilles, parce qu'il coûte moins cher à l'achat, et que son utilisation et son entretien sont moins onéreux. En général aussi, le taux d'utilisation et la vitesse de déplacement sont beaucoup plus avantageux pour les véhicules à roues que pour les véhicules à chenilles. Le tableau 1 ci-dessus en donne des exemples.

Si le terrain dépasse les possibilités des véhicules à roues, on emploie des tracteurs à chenilles. Il a été démontré qu'avec des tracteurs 4 x 2 (quatre roues dont deux motrices), la plus grande possibilité de franchir les obstacles est donnée lorsque les deux roues arrière sont beaucoup plus grandes que les roues avant, et que la charge est répartie surtout vers l'arrière (2). La performance maximum des véhicules de ce genre atteint encore environ 75 pour cent de celle du véhicule 4 X 4 le plus médiocre. Avec les quatre roues de même diamètre, la performance des véhicules 4 x 2 correspond à moins de 33 pour cent de celle du plus médiocre des véhicules standard 4 X 4. Les véhicules 4 x 2 ne doivent par conséquent pas être utilisés en dehors des pistes.

Les performances d'un véhicule 4 X 4 sont déterminées presque exclusivement: a) par le rapport empattement/ diamètre des roues (S/D), et b) par la répartition de la charge. La figure 1 donne les capacités de franchissement d'obstacles de plusieurs machines.

On pensait que les chenilles souples utilisées sur les véhicules durant la deuxième guerre mondiale trouveraient une large application dans l'industrie, mais il n'en a rien été jusqu'à maintenant. Une des raisons en est que, dans les véhicules de l'armée, la charge est relativement constante. Le tracteur de débardage porte ou traîne en général une charge dans une direction donnée. Les chenilles sont normalement tendues sur le véhicule à vide. Quand le véhicule est chargé ensuite, la tension augmente et la performance se réduit lorsque la perte d'énergie par frottement dans les chenilles devient excessive. Si au contraire on tend les chenilles sur le véhicule chargé, elles risquent de déboîter quand on le décharge. Les nouveaux modèles de chenilles et de suspension des chenilles donnent tout lieu d'espérer que certains de ces inconvénients pourront être éliminés et que l'on arrivera à construire des modèles de chenilles qui, tout en gardant leurs avantages particuliers, auront perdu beaucoup de leurs défauts.

On peut énoncer quelques principes généraux qui établissent le rapport entre les machines à roues et les machines à chenilles et dont les exploitants forestiers peuvent tirer profit:

a) La résistance du sol à l'enfoncement (ou pouvoir porteur) d'un véhicule est en rapport direct avec la longueur de la surface de contact et le patinage. La principale différence entre la roue et la chenille tient à la longueur de la surface de contact (figure 2) [3]. Quand on examine l'effet de chacune d'elles, on assimile la chenille à un segment d'une très grande roue. Toutes autres choses étant égales la différence de résistance du sol et de patinage dans le cas de la roue et dans le cas de la chenille est déterminée uniquement par la longueur de la surface de contact au sol. Plus la surface de contact est grande, plus le sol résiste et moins il y a de glissement. Par conséquent, la vitesse d'avancement effective sera moins grande avec des pneus larges et de petit diamètre qu'avec des pneus de grand diamètre et relativement étroits; aussi les constructeurs de véhicules devraient-ils toujours en tenir compte. C'est aussi pourquoi le pneu ne pourra jamais remplacer la chenille dans des terrains particulièrement difficiles, sa ligne de contact au sol ne pouvant être aussi longue que celle de la chenille.

b) Les bandages pneumatiques trouvent leur application optimale dans les sols sableux. Dans ces terrains sans cohésion, qui ont en général un fort pouvoir porteur, le pneu, supportant un poids plus grand par unité de surface que la chenille, détermine dans le sol une grande résistance. C'est pourquoi on l'utilise pour les opérations dans le désert, où l'on trouve surtout du sable sec.

c) Dans les sols consistants comme les argiles plastiques, le poids du tracteur est un facteur négatif en ce qui concerne la résistance du terrain. Au contraire, la capacité de résistance du sol à l'enfoncement augmente avec la superficie de contact et est inversement proportionnelle à la charge par unité de surface. Dans ce type de sols, la chenille donne un meilleur résultat que la roue.

FIGURE 2. - Comparaison de la superficie de contact dans le cas de la chenille et dans le cas du pneu. (W est le poids en lb et P. la pression au sol en lb/in², b et L étant exprimés en inches).

Il arrive aussi que la surface d'un terrain ferme par ailleurs devient glissante et les véhicules, en particulier ceux à roues, n'arrivent pas à développer une force de traction suffisante pour avancer (4). Dans ce cas, les roues patinent sans avancer et sans pénétrer appréciablement dans le sol. Peu de véhicules à chenilles sont sérieusement gênés dans ces terrains. L'effet de dérapage s'accentue quand le terrain est en pente, du fait que la pression exercée normalement au terrain diminue.

Quand on parle de transports en dehors des pistes, on utilise souvent indifféremment les termes « mobilité » et «praticabilité». Bien qu'ils paraissent être interdépendants, on ne saurait les considérer comme tels.

La mobilité d'un véhicule peut être définie par le temps qu'il emploie pour parcourir sans limitations un itinéraire donné ou encore comme la possibilité absolue qu'il a de parcourir un itinéraire donné ou de traverser un type particulier de terrain.

La praticabilité d'un terrain est la propriété qu'il a de soutenir la circulation des véhicules. On l'exprime souvent par le nombre de fois qu'un véhicule peut parcourir une même piste avant d'être immobilisé.

Il s'ensuit qu'il faut, pour obtenir les meilleurs résultats, accorder les possibilités des véhicules à la nature des terrains. Il n'existe pas à ce propos de ligne de démarcation bien nette entre véhicules à roues et véhicules à chenilles. Dans certains terrains difficiles, les meilleurs véhicules à roues se montrent supérieurs aux véhicules chenillés les plus médiocres. Inversement, les meilleurs véhicules à chenilles peuvent battre à tous les points de vue, dans des conditions de terrain moyennes à difficiles, les véhicules à roues les plus médiocres.

Disons donc, pour résumer:

a) Les véhicules véhicules à roues sont plus rapides et plus mobiles que les véhicules à chenilles. Ces derniers ont une excellente performance jusqu'à une vitesse de 4,8 km/h, tandis que les véhicules à roues donnent un bon rendement entre 3,2 et 11 km/h.

b) A vitesses normales, un véhicule chenillé a souvent une adhérence et une puissance à la barre 1 fois ½ plus fortes qu'un véhicule à roues de même poids.

c) L'usure des pièces représente une partie non négligeable du coût total d'une machine: 8 à 10 pour cent pour les tracteurs à pneus, 20 à 25 pour cent pour les tracteurs à chenilles.

d) Dans les sols sans cohésion (sables), les pneus durent longtemps et représentent une faible dépense; au contraire,, les chenilles s'usent vite. Sur les terrains rocheux, les roues s'usent vite tandis que les chenilles résistent bien.

e) La durée respective des deux types de véhicules ressort clairement des spécifications de l'armée américaine, d'après lesquelles le terme optimum est de 4 000 miles (6 500 km) pour les véhicules à chenilles et de 20 000 miles (32 000 km) pour les véhicules à roues.

f) D'après les essais du U.S. Corps of Engineers, un bon véhicule à roues tous terrains doit avoir les caractéristiques suivantes (5):

i) Le diamètre des roues doit être aussi grand que possible.

ii) L'empattement doit être aussi court que possible.

iii) Il ne devrait pas y avoir de porte-à-faux, ni à l'avant ni à l'arrière.

iv) La longueur hors tout du véhicule doit être aussi réduite que possible. Le type carré (longueur et largeur égales) serait presque l'idéal.

v) La pression sur la surface de contact au sol doit être aussi faible que possible.

FIGURE 3. - Le tracteur de débardage F.W.D. « Blue Ox ».

FIGURE 4. - Le Mark V Bonnard Prehauler transportant 1½ corde de rondins à pâte de 1,20 m dans une épaisseur de neige atteignant jusqu'à 0,90 m (Ontario Paper Company, Heron Bay, Ontario).

Les premières innovations

Les premiers tracteurs à roues qui furent utilisés pour le débardage étaient essentiellement des véhicules à quatre roues motrices. Ces premières machines lourdes et puissantes avaient des caractéristiques bien supérieures aux tracteurs du type agricole mais n'arrivaient quand même pas à exécuter le travail dans des limites acceptables de coût et de sécurité. L'une d'elles était le Blue Ox à quatre roues motrices, baptisée ainsi pour rappeler un animal mythique nord-américain auquel on attribuait une puissance de traction extraordinaire (figure 3). Cet engin fut utilisé principalement de 1956 à 1960, mais il n'en reste guère en service dans les forêts à l'heure actuelle. Ses principaux points faibles étaient son système de direction classique dit système Ackermann et son bâti rigide.

L'Association canadienne de la pâte et du papier ayant affirmé la nécessité de disposer pour le travail en forêt d'un engin à roues tous terrains capable de remplir l'office, un projet de mécanisation forestière fut établi en 1954 avec charge de le réaliser. Il en sortit en 1955 le Mark V Bonnard Hauler (figure 4), le premier tracteur forestier articulé mis en service dans l'est de l'Amérique du Nord. Les plans de l'engin furent vendus à la Clark Equipment Limited (Benton Harbor, Michigan), qui le fabriqua sous le nom de PL-75.

Concurremment, Dwight Garrett (Eunemclaw, Washington), travaillait à un autre projet du même genre, dont sortit le Tree Farmer, le prototype des engins de débardage Tree Farmer et Timberjack, à châssis articulé, qui sont utilisés couramment aujourd'hui avec succès.

Différents systèmes de direction

BRAQUAGE AU FREIN AVEC TRANSFERT DE LA PUISSANCE A LA ROUE EXTÉRIEURE

Dans la recherche d'un engin à roues utilisable en forêt, on a essayé de remplacer les chenilles par des roues sur des tracteurs à chenilles ordinaires. Le système de direction restait le même. Quand un engin de ce genre prend un virage, les roues extérieures sont soumises à une force de propulsion, tandis qu'une force négative de freinage agit sur les roues intérieures (figure 5) [5]. Dans le nouveau système, la puissance est transférée du pignon principal, qui est freiné, au pignon extérieur qui est accéléré, tandis que dans le système ordinaire de braquage au frein, l'énergie qui continue à agir sur la chenille intérieure est absorbée par le frein. Il est, évidemment possible de prendre un virage très serré, mais les pneus râclent fortement le sol en pivotant et certains obstacles comme les gros blocs de pierre, les souches, les chablis gênent considérablement la manœuvre.

FIGURE 5. - Forces intervenant dans un braquage à vitesse réduite. Les flèches verticales indiquent la résistance du sol au braquage. Les flèches horizontales indiquent les forces agissant sur le sol pour effectuer le virage.

Tandis que l'on essayait ainsi de transformer des tracteurs à chenilles en tracteurs de débardage à roues, on appliquait aux tracteurs le principe de l'arche portée, qui fut adopté ensuite dans toutes les versions ultérieures. L'arche portée consiste en un dispositif de guidage du câble placé au-dessus et légèrement en arrière du tracteur, lequel permet de soulever l'extrémité antérieure de la grume ou de l'arbre transporté de manière à en faire porter le poids sur le pont arrière de l'engin et à obtenir le maximum de traction. Le principe n'est pas nouveau, mais il a pris beaucoup d'importance appliqué aux engins à châssis articulé.

DIRECTION SYSTÈME ACKERMANN

Sur les camions automobiles, le système classique de direction est le système Ackermann. Les deux roues avant sont montées sur pivots, et l'empattement et la voie varient moins que dans le cas de la direction par châssis articulé. Certains engins sont construits avec direction sur les quatre roues, mais ils n'ont pas la mobilité des machines à châssis articulé. Dans les virages, la largeur réelle d'un véhicule n'est pas la mesure de la distance minima possible entre deux obstacles. Etant donné le rayon de braquage de l'engin, qui détermine la surface réellement occupée pendant un virage, l'encombrement en largeur du véhicule s'étend pratiquement au-delà de sa largeur réelle; il est directement proportionnel à la longueur du véhicule et inversement proportionnel au rayon de braquage.

La nouvelle série des tracteurs articulés doit son succès à son système particulier de braquage. L'engin est plus maniable, il peut tourner sur sa propre longueur, et dispose d'une plus grande puissance à la barre que n'importe quel engin à roues construit jusqu'à présent.

DIRECTION PAR CHÂSSIS ARTICULÉ

Le véhicule (à chenilles ou à roues) est formé par deux éléments articulés sur un pivot unique, lequel n'est placé ni sur l'axe antérieur ni sur l'axe postérieur. Dans un véhicule articulé, le braquage se fait par flexion des deux demi-véhicules sur leur pivot. C'est pourquoi ce système est appelé aussi direction par châssis articulé. Le principe n'est pas nouveau, puisque déjà en 1916 la maison John Deere & Company l'utilisait sur un cultivateur pour travail en lignes (figure 6).

FIGURE 6. - Le cultivateur Brown pour travail en lignes vu en plan (1916, Deere & Company).

Il n'a pas encore été possible de déterminer par le calcul pourquoi la direction par châssis articulé réussit dans des circonstances où le système classique échoue, mais des essais comparés ont montré que les véhicules articulés sont capables de se dégager d'eux-mêmes des ornières, bourbiers, etc. En traction rectiligne, leur puissance à la barre n'est pas plus grande que chez les véhicules classiques. Leur supériorité est qu'ils sont capables d'avancer pas à pas en zigzaguant, par un jeu de braquages qui leur fait gagner peu à peu du terrain. On pense que c'est dans cette manœuvre que l'effort net de traction à la barre augmente quelque peu. Nous considérons ici la puissance à la barre comme la résultante de l'effort de traction développé par un véhicule et de la résistance à la traction qui s'y oppose (effort de traction net). Comme apparemment la puissance à la barre augmente avec la manœuvre de braquage (diminution de la résistance à la traction), on peut en conclure que le système de direction par châssis articulé a quelque chose qui produit cette augmentation.

On a constaté que ces engins, quand ils sont embourbés dans une ornière, peuvent en sortir en braquant leur train avant, alors que la manœuvre est impossible avec le système de direction classique Ackermann (7).

On peut obtenir un changement de direction de 90° sans faire avancer le véhicule. En outre, le tourillon de braquage étant situé au milieu, ou près du milieu du véhicule, les roues arrière suivent presque exactement la trace des roues avant, et cela est important pour éviter les obstacles. Cela permet aussi de braquer rapidement en marche avant ou en marche arrière étant donné que les caractéristiques de braquage du véhicule ne changent pas quelle que soit la direction (8) et, dans ces conditions, d'utiliser des doubles commandes grâce auxquelles l'opérateur peut conduire aussi aisément sa machine vers l'avant ou vers l'arrière, ce qui lui épargne beaucoup de manœuvres et de virages dans la forêt (figure 7).

FIGURE 7. - Commandes doubles, à l'avant et à l'arrière, avec siège pivotant (Koehring Forwarder).

On a cependant constaté, à l'essai de ces tracteurs articulés, que lorsqu'ils doivent prendre un virage en montant une pente, ils sont beaucoup moins stables que les engins à quatre roues directrices ou à braquage au frein avec transfert d'énergie.

Emploi des tracteurs articulés à roues

Les tracteurs articulés à roues sont utilisés principalement:

a) Pour transporter des charges de bois sur l'unité arrière de l'engin (tracteur porteur);

b) Pour traîner de longues billes de bois en soulevant au-dessus du sol l'extrémité antérieure (tracteur remorqueur).

POUR LE TRANSPORT DES BOIS

Une des premières applications du tracteur articulé, celle qui en a été faite par l'industrie canadienne de la pâte et du papier, est le transport des bois tronçonnés. L'engin était amené en marche arrière jusqu'à une pile de bois montée à l'avance dans la forêt, il la soulevait et l'amenait jusqu'à la route ou au chantier de déchargement. L'engin fonctionnait bien, mais avant même d'être définitivement mis au point, il fut remplacé par un autre modèle portant une grue hydraulique à grappins qui permettait le chargement de petites piles de bois ou de billots pris un par un. On avait constaté en effet que le rendement du modèle original était réduit par la grandeur des piles de bois montées dans la forêt. Il n'était pas toujours possible de construire des piles correspondant à la charge optimale du transporteur. Le deuxième modèle permettait dans tous les cas de régler la charge à transporter hors de la forêt.

FIGURES. 8 - Le. Koehring Forwarder en action.

FIGURE 9. - Le transporteur « Packjack » (Timberland Ellicot Limited).

Ces transporteurs ont donné d'excellents résultats avec les pièces de bois courtes (2,45 m).

Actuellement, il existe divers modèles de tracteurs transporteurs articulés. Celui que représente la figure 8 était la version originale, et c'est encore aujourd'hui le meilleur dont on dispose. Voici quelques détails techniques sur cet engin:

Caractéristiques générales du Koehring Forwarder

Poids brut

50 000 lb (22 700 kg)

Pneus à haute « flotation »

diamètre 6 ft 6 (198 cm)

Dimensions hors tout

10 ft 2 de large × 23 ft 6 de long 310 cm x 715 cm)

Garde au sol minima

27 in (69 cm)

Braquage sur châssis articulé au milieu

Quatre roues motrices - Verrouillage du différentiel

Dispositif d'éclairage du chantier par projecteurs - cabine carrossée « tous temps » - personne à terre.

Charge transportable

3½ cunits

Charge utile

3 cunits

Capacité de levage du chargeur

½ cunit

Portée du chargeur

14 ft (427 cm) de hauteur dans un rayon de 10 ft (305 cm)

FIGURE: 10. - Le transporteur de bois à pâte « Tree Farmer » (Canadian Car, Fort William). Cet engin peut transporter 2 cordes de bois. Hauteur 335 cm, largeur 275 cm, longueur hors tout, pèche déployée vers l'avant 760 cm, empattement 322 cm, rayon de braquage 580 cm.

FIGURE 11. - Tracteur forestier et industriel, modèle 140S, Ab. Nord-Verk, 140 ch Scania Vabis D8. Capacité de charge 20 m³.

Cet engin est construit pour manutentionner des bois d'une longueur de 8 ft (245 cm). Ses roues de grand diamètre, sa garde au sol de 27 in (69 cm) et son châssis articulé lui donnent une grande mobilité dans un grand rayon d'action, en terrain difficile et dans une neige profonde.

Pour fournir un travail efficace, un bon tracteur transporteur doit avoir les caractéristiques générales suivantes: grande mobilité, un dispositif de chargement et de déchargement efficace, une charge utile importante pouvant justifier des transports assez longs, la possibilité d'un emploi continu, tout au long de l'année et par tous les temps. Les figures 9, 10 et 11 montrent trois autres versions de tracteurs transporteurs qui sont encore dans la phase expérimentale.

De nombreuses tentatives ont été faites pour réaliser un engin convenable pour le transport des bois cerclés, avec des tracteurs à roues et à bâti rigide. Mais la plupart de ces véhicules étaient mécaniquement insuffisants et ne pouvaient résister au transport de charges de bois allant jusqu'à 3 tonnes en terrain forestier.

Récemment, on a appliqué avec succès à des engins de débardage articulés à roues cette même méthode de transport des bois cerclés. Avec le châssis articulé, on équilibre bien la charge sur la section arrière du tracteur, de telle sorte que le véhicule, dans son ensemble, n'est sujet qu'à une faible contrainte. Au Canada, cette méthode est appelée «packsacking » (par référence au « packsac » qui est un havresac) [figure 12].

L'inconvénient de cette méthode de transport des bois de petite longueur depuis le chantier d'abattage jusqu'à la route, est qu'elle n'est applicable qu'à des piles de bois d'une certaine grandeur expressément montées dans la forêt.

Il existe maintenant quelques modèles de tracteurs équipés à la fois d'une arche incorporée pour le traînage des billes dans toute leur longueur, et du « packsack » pour le transport des bois plus courts par paquets. Ces engins offrent de plus grandes possibilités d'emploi.

POUR LE TRAÎNAGE:

Les tracteurs à roues à direction sur châssis articulé ont trouvé la plus large application pour le traînage des bois. Les arbres sont abattus, ébranchés ou non, et rattachés par un choker au câble du treuil monté à l'arrière du tracteur. Ils sont ainsi halés, l'extrémité avant soulevée au-dessus du sol, jusqu'à l'arche du tracteur.

Le traînage des arbres entiers n'est pas encore courant, mais on en fait l'essai dans plusieurs pays.

Par contre le traînage d'arbres par tronçons et de fûts étêtés et ébranchés est considéré partout comme une méthode classique de débardage. En Amérique du Nord, les billes sont traînées le gros bout en avant, tandis qu'en Scandinavie on fait souvent l'inverse. Les deux méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients.

Traînage par le fin bout

a) On peut orienter la chute de l'arbre, et la boucle de serrage du choker est ainsi plus facile à placer.

b) Il est possible de déplacer à la main le fin bout de la bille, qui est plus flexible, pour l'attacher avec le choker.

c) Les troncs étant plus fins en tête, on peut en attacher plusieurs ensemble.

d) On peut se servir de chokers plus courts.

e) A l'arrivée sur le lieu de déchargement, la disposition des billes est assez régulière du côté du fin bout, mais pas à l'autre extrémité et l'opération de tronçonnage peut en être ralentie.

f) Les troncs étant flexibles au fin bout, la plus grande partie du poids porte sur le terrain tandis que l'arrière du tracteur est mal chargé et l'effort de traction mal utilisé.

FIGURE 12. - Râtelier monté à l'arrière d'un tracteur articulé à roues pouvant retenir une corde de bois à pâte de 240 cm de long.

Traînage par le pied de la bille

a) Les arbres sont abattus pour la plupart de manière à tomber parallèlement les uns aux autres.

b) Des chokers plus longs sont nécessaires pour atteindre les billes par le pied, car cette partie est trop lourde pour être approchée à la main.

c) Il est difficile, à moins que les arbres soient de petit diamètre, d'en attacher plusieurs avec un seul choker.

d) Quand les billes sont halées par le pied et soulevées jusqu'à l'arche du tracteur, le pont arrière supporte la plus grande partie de la charge et l'effort de traction est utilisé au maximum.

e) Au déchargement, les billes sont bien alignées par le gros bout et le tronçonnage est plus facile.

f) Quand les arbres sont traînés non ébranchés par temps froid, des branches se cassent en cours de route et cela réduit le travail de débranchage à l'arrivée.

Le débusquage

Nous croyons utile d'indiquer brièvement en quoi consiste typiquement le transport dès bois du chantier d'abattage au point de rassemblement. Supposons une équipe de cinq hommes, le travail se répartit comme suit:

Deux hommes pour l'abattage, l'étêtage et l'ébranchage des arbres,
Un homme à la conduite du tracteur,
Deux hommes pour le tronçonnage des fûts au chantier de déchargement et d'empilage.

Le chantier d'abattage, situé à une certaine distance du lieu de déchargement ou de la route, a normalement une forme rectangulaire et les bûcherons attaquent la forêt sur le côté long. En employant des scies à moteur on peut couper au ras des souches et il est rarement nécessaire de dégager spécialement une piste pour le tracteur. Au Canada, les arbres sont en général abattus perpendiculairement à la direction dans laquelle se fait le débardage, ainsi on peut lier les billes au choker par le gros bout sans être gêné par le houppier. Tirée par le treuil, la bille roule sur le côté et vers l'avant, et son extrémité arrière enjambe les souches. On a constaté que si les houppiers sont abandonnés perpendiculairement à la direction du tracteur, celui-ci peut passer par-dessus sans qu'ils se prennent dans le chargement, comme il arrive quand ils sont abandonnés parallèlement à cette direction, et cela contribue au nivellement du terrain. Le conducteur du tracteur suit normalement une piste convenable pour sortir de la forêt, mais si le terrain est mauvais il peut être préférable de changer de parcours à chaque voyage. En bouchant les trous avec les branchages et les cimes et en dégageant au contraire le terrain quand il est bon, les bûcherons peuvent améliorer le rendement du tracteur.

Tout l'ensemble de l'opération est conditionné dans une grande mesure par la conduite du tracteur. Il faut par conséquent que le conducteur ait le sens de sa machine, du jugement et de l'initiative. Il doit savoir ce qu'il peut demander à son tracteur devant un obstacle ou une pente à franchir, ou une manœuvre. Il doit savoir quand il faut lâcher son chargement au sol, avancer en filant du câble, et haler au treuil pour reprendre son chemin. Toutes les machines peuvent se démolir si on les force et un bon conducteur est celui; qui a ramené à la fin de sa journée la plus grande quantité de bois avec la perte minimum de temps pour arrêts ou réparation de pannes. Un travail lent et régulier est bien préférable à un travail précipité et irrégulier.

En général, c'est le conducteur qui attache les chokers aux billes à traîner, mais il est souvent aidé en cela par un des bûcherons. Si le salaire est calculé globalement pour le rendement de l'équipe dans la journée, chacun contribuera beaucoup plus à porter ce rendement au maximum. On a souvent essayé de préparer le travail en appliquant à l'avance les chokers. Il faut pour cela disposer d'une réserve de chokers pour attacher les billes coupées à la longueur voulue pendant que le tracteur est occupé à transporter un chargement.

Le tronçonnage et l'empilage du bois au chantier de déchargement sont une phase importante, qui souvent retarde l'ensemble du travail. Au Canada, on tend à utiliser des tracteurs de débardage munis à l'avant ou à l'arrière d'un chargeur pour l'empilage mécanique des bois. Les hommes du chantier doivent trier les billes selon leur destination, c'est-à-dire en grumes de sciages et bois à pâte, les tronçonner exactement à la longueur voulue et les empiler convenablement en vue du cubage et du chargement (figure 13).

FIGURE 13. - Plate-forme en bois sur armature de fer utilisée pour le tronçonnage des bois. Les troncs d'arbres se trouvent soulevés au-dessus du niveau du sol et la fente entre les madriers carrés sert au passage de la tronçonneuse moteur. Les autres intervalles dans la plate-forme servent au passage d es griffes du chargeur à fourche.

Il a été établi que les facteurs les plus importants du rendement sont la taille de l'arbre (parce qu'elle conditionne beaucoup la charge transportée), la charge de bois transportée par le tracteur et la longueur du parcours. Ces points sont bien illustrés dans les figures 14 et 15, qui ne donnent que des valeurs représentatives, mais sont le résultat d'études approfondies de l'Institut canadien de recherches sur la pâte et le papier ( 10). Etant donné la vitesse de marche des véhicules à roues et d'autre part le pourcentage assez fort de temps occupé à attacher les billes au choker et à les détacher à l'arrivée, la distance de parcours n'intervient que dans une faible mesure sur le rendement de la machine (figure 14). On a constaté par contre qu'il est lié à la charge transportée, laquelle doit être de plus de 0,6 cunit. Pour une distance de parcours constante, un accroissement de 0,1 cunit de la charge augmente le rendement horaire effectif d'une machine de 0,12 à 0,23 cunit (figure 15).

FIGURE 14. - Variation du rendement de l'engin selon le volume de la charge et la distance parcourue.

FIGURE 15. - Variation du rendement de l'engin selon le volume de la charge et la distance parcourue.

La figure 16 présente une nouveauté qui est appelée à se développer rapidement. C'est un débardeur à roues qui travaille sans chokers. Une flèche à grappins montée sur le véhicule et actionnée hydrauliquement permet à l'opérateur de charger les grumes par le gros bout sur l'arrière de la machine, où elles sont agrippées et solidement maintenues par un mécanisme hydraulique. Avec ce tracteur porteur, on élimine câbles et chokers et par conséquent la nécessité d'un homme à terre pour câbler les billes.

FIGURE 16. - Tracteur autochargeur (sans chokers). C'est un « Tree Farmer » équipé d'une flèche HIAB (Great Lakes Paper Co. Ltd., Fort William, Ontario).

DIMENSIONS DU VÉHICULE AVEC PALETTE

DIMENSIONS DE LA PALETTE

FIGURE 17. - Le Tree Farmer Can Car Fort William à plate-forme. Avec une palette basculante, un tracteur articulé peut être adapté pour toutes sortes d'utilisations: transport de bois, transport de passagers, atelier de réparations mobile, transport de carburant, etc. (Dimensions en inches).

Tout permet de penser que les tracteurs à roues à châssis articulé seront de plus en plus utilisés dans la forêt et non seulement pour le transport des bois et le débardage. La figure 17 indique quelques utilisations possibles.

On trouvera à l'Annexe 1 les coefficients de frottement calculés pour le remorquage d'arbres entiers ou tronçonnés dans les diverses conditions que l'on rencontre en forêt (11).

Bibliographie

1. Skogsarbeten. Ekonomic, No. 9, Estocolmo. 1964

2. RETTIG, GEORGE P. 1958 Obstacle performance of wheeled vehicles. Detroit, Michigan, OTAC, Research and Development Division, Land Locomotion Research Branch, Ordnance Corps. Report No. 29.

3. BEKKER, M.G. 1955 A proposed, .system of physical and geometrical terrain values for the determination of vehicle performance and soil trafficability. Volume 2, Interservice Vehicle Mobility Symposium, Hoboken, N. J., Stevens Institute of Technology.

4. U.S. DEPARTMENT OF THE ARMY CORPS OF ENGINEERS. 1962 Operation Swamp Fox I: terrain and soil trafficability observations. Washington, D.C. Technical Report No. 3-609.

5. HENNING, W.W. 1953 Steering of track-type vehicles. S.A.E. Transactions, 61.

6. GRABAN, W.E. 1964 Terrain evaluation for mobility purposes. Journal of Terramechanics, 1 (2).

7. HARRISON, W.L. 1959 et al, Mobility studies. Detroit, Michigan, OTAC, Research and Engineering Directorate, Research Division, Land Locomotion Laboratory. Report No. RR-5.

8. McCOLL, B.J. 1962 The Bonnard prehauling unit. Pulp and Paper Magazine of Canada, 50 (1).

9. BELL, JAMES. 1965 Fundamentals of mechanical logging: the short wood system, engineering features. Montreal, Canadian Pulp &; Paper Association, Woodlands Section. Index No. 2337 (B-1).

10. BENNETT, W.D., WINER, H.I. & BARTHOLOMEW, A.., 1965 Measurement of environmental factors and their affect on the productivity of tree-length logging with rubber-tired skidders. Montreal, Pulp and Paper Research Institute of Canada.

11. BENNETT, W.D. 1962 Forces involved \in skidding full-tree and tree-length loads of pulpwood. Montreal, Canadian Pulp & Paper Association, Woodlands Section. Index No. 2162.

Annexe I - Coefficients de frottement

Essai nº

Essences composant le chargement

Etat de la piste¹

Coefficients de débardage

Arbres entiers

Fûts tronçonnés

2

Mélange 2

Neige dure très compacte Pas d'obstacles

.170

3.173

3

Pin gris Epicéa blanc Epicéa noir

Limon graveleux Humidité =21% Indice de cône =32 Souches = 0,42%

.626

.487

4

Pin gris Epicéa noir

Sable limoneux Humidité =19%. Indice de cône =38 Souches =0,45%

.541

.460

5

Epicéa noir

Organique (80%) Limon sableux (20%) Humidité =69% Indice de cône =29 Souches (non dé terminé)

.343

.279

6

Epicéa blanc Baumier

Organique (89%) Limon sableux (11%) Humidité =58% Indice de cône =43 Souches =0,29%

.452

.417

8

Epicéa blanc Epicéa noir

Organique - Limon Humidité =59% Indice de cône =4 Souches =1,0%

.506

.340

8

Baumier

-id.-

4.757

.340

1 Etat de la piste:

Texture: (p. ex. limon graveleux). Elle représente la moyenne des résultats des analyses d'échantillons de sol superficiel prélevés avant chaque passage, dans chaque secteur (24 échantillons pour chaque espèce).

Humidité: C'est le pourcentage d'humidité moyen de tous les échantillons prélevés sur chaque piste (24 échantillons pour chaque espèce).

Indice de cône: Il a été mesuré avant chaque passage (24 lectures pour chaque espèce). Il correspond à la force nécessaire pour faire pénétrer dans le sol un cône de 60° à la profondeur correspondant à une section de ½-in.2

Souches: On a mesuré la surface terrière de chaque souche située sur la piste et on a calculé le pourcentage de la surface de piste occupée par des souches avant de commencer les essais dans chaque secteur.

2 Dans tous les autres secteurs les chargements ne comprenaient qu'une seule essence.

2 C'est le seul cas dans lequel il a été apparemment plus facile de transporter des arbres entiers que des fûts tronçonnés, et la différence n'est cependant pas significative. Il faut en rechercher probablement les deux principales raisons dans la piste facile, compacte et sans obstacles, et dans la difficulté de réunir des arbres entiers sans perdre beaucoup de branches, que le grand froid (34,50°C). avait rendu cassantes.

2 C'est le seul cas où le facteur essence a joué. Il s'agissait en réalité de la concomitance de deux circonstances: l'état boueux de la piste dû à la saturation du limon organique qui la formait et la nature exceptionnellement branchue et feuillue du baumier. Par contre, il n'a eu aucun effet quand il s'agissait de fûts tronçonnés, et le coefficient de débardage a été le même pour toutes les espèces et dans tous les secteurs.

NOTE. Les spécifications des machines décrites dans cet article feront l'objet d'une Note sur l'équipement forestier, qui pourra être obtenue sur demande à la Section de l'équipement forestier, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Rome, Italie.


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