R.E. Pulkki
Reino E. Pulkki est Directeur du Département de l'aménagement des forêts, Faculté de génie forestier, Université de Lakehead, Thunder Bay, Ontario (Canada).
Note: Cet article est établi sur la base de deux documents de travail préparés pour l'Etude sur l'offre mondiale de fibres de la FAO (Pulkki dans FAO, 1997a; 1997b).Une exploitation à faible impact sur l'environnement contribue sensiblement à assurer un aménagement forestier durable tout en satisfaisant la demande future de placages et de sciages, et les techniques prises en considération utilisation accrue d'essences peu connues, établissement de diamètres minimums pour l'abattage, réduction des pertes de forêts, etc. - se traduisent souvent par des bénéfices économiques supplémentaires.
Les modèles économétriques indiquent généralement un accroissement de la consommation mondiale de produits forestiers bruts. De nombreux auteurs soutiennent qu'il n'y aura pas de pénurie mondiale de fibres ligneuses à brève échéance (malgré la possibilité de pénuries régionales), mais une considération générale de ce type peut être trompeuse. Si le prix du bois brut est suffisamment élevé, des plantations d'espèces à croissance rapide peuvent être créées assez rapidement pour répondre à l'accroissement de la demande de «fibres de qualité inférieure» (FAO, 1989a; OIBT, 1993; Byron et Perez, 1996). Toutefois, cela ne permet pas de satisfaire la demande de grumes tropicales de feuillus de grand diamètre et de grande valeur, et tout porte à croire que si les pratiques d'exploitation actuelles se poursuivent, l'offre future pourrait être insuffisante.
Le présent article examine l'incidence des pratiques actuelles d'exploitation sur l'offre future de placages et de sciages d'essences tropicales non résineuses, et l'impact potentiel, sur les approvisionnements futurs, de l'adoption de pratiques respectueuses de l'environnement et d'un aménagement forestier durable. Deux modèles de scénarios ont été établis: le premier part du principe que les pratiques classiques d'exploitation non durable continuent; le deuxième se fonde sur l'hypothèse d'une exploitation respectueuse de l'environnement dans le cadre d'un aménagement durable des forêts. Le premier modèle prévoit des pénuries généralisées de bois tropicaux, qui pourraient être évitées avec la mise en place de pratiques de coupe sans danger pour l'environnement.
Selon Johns (1992), l'aménagement le plus efficace de la plupart des forêts tropicales consiste à protéger et à encourager la régénération préexistante dans des trouées du couvert de taille optimale créées durant la coupe, en procédant à la plantation dans les ouvertures où aucune régénération n'existe. Un point déterminant pour la gestion durable de ces forêts est l'application de techniques d'exploitation respectueuses de l'environnement - souvent désignées sous le nom d'exploitation à faible impact sur l'environnement (ISTF, 1995; Marsh et al., 1996; Weidelt, 1996). Palmer et Synnott (1992) rappellent que «tandis que l'on est en train de débattre des mérites des divers systèmes d'aménagement forestier, les sylviculteurs tropicaux recommandent à l'unisson l'utilisation de techniques d'exploitation à impact réduit sur l'environnement».
L'exploitation forestière respectueuse de l'environnement implique une planification appropriée et une mise en uvre visant à ne pas perturber les peuplements forestiers futurs et autres formes de végétation; à conserver la faune et la flore sauvages et les autres valeurs forestières non ligneuses; à protéger les cours d'eau et les sols; à embellir les sites paysagers; à promouvoir les activités récréatives; et à garantir la perpétuation de la forêt proprement dite.
Si l'on a recours, au plan opérationnel, à des techniques d'exploitation respectueuses de l'environnement, l'accroissement des revenus dérivant d'une plus grande efficacité des activités (par rapport aux pratiques classiques) compensera généralement les dépenses supplémentaires de planification, d'organisation et de contrôle (Hendrison, 1989; Pinard et al., 1995; Bruenig, 1996). Pourtant, en réalité, la mise en place d'une exploitation à faible impact sur l'environnement a été sporadique et l'aménagement durable des forêts tropicales est rare (FAO, 1989b; Jonsson et Lindgren, 1990). Lorsque les techniques d'exploitation respectueuses de l'environnement ne sont pas utilisées, les deuxième et troisième coupes produiront des volumes d'extraction inférieurs par rapport à ceux de la première coupe, comme le montre la base de données de l'Etude sur l'offre mondiale de fibres indiquant les intensités de coupe dans les forêts perturbées ou non par l'homme (Pulkki dans FAO, 1997a).
L'exploitation des forêts tropicales de feuillus est, pour l'essentiel, encore inefficace, peu rentable et excessivement destructrice tant pour les arbres résiduels que pour le site proprement dit. L'exploitation, telle qu'elle est pratiquée actuellement dans ces forêts, n'est pas durable, et cela apparaît clairement dans les scénarios de l'Etude sur l'offre mondiale de fibres: réductions considérables de l'intensité de coupe de grumes de placage et de sciage lors du deuxième cycle d'abattage. On prévoit que, si les pratiques courantes continuent à ce rythme, la troisième coupe sera encore plus faible, voire inexistante. Par ailleurs, un avantage important de la mise en place de techniques d'exploitation et de systèmes sylvicoles ayant un impact réduit sur l'environnement serait la stabilisation des rendements futurs et des opérations d'aménagement forestier durable qui produiraient des revenus ultérieurs qui, autrement, seraient perdus.
Les intensités réelles de coupe varient énormément d'une région ou d'un pays à l'autre; elles sont même très variables au sein d'un même pays (Pulkki dans FAO, 1997b). Le cycle d'abattage varie, lui aussi, considérablement, mais de nombreux rapports indiquent qu'avec une exploitation à impact réduit sur l'environnement, le cycle durable serait de 40 ans. Cela permet aux arbres de se développer et de passer dans la catégorie de diamètre immédiatement supérieure; par exemple, de 40-60 cm à 6080 cm de diamètre à hauteur d'homme (à raison d'une croissance moyenne de diamètre de 0,5 cm/an).
Sur la base de la documentation disponible, et à condition d'adopter une exploitation à faible impact et des traitements sylvicoles appropriés, on estime qu'une intensité moyenne de coupe de 20 m3/ha sur un cycle de 40 ans est possible dans les forêts denses de bois tropicaux non résineux d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes (Thang, 1986; FAO, 1989a; FAO, 1989b; Buenaflor dans FAO, 1989c; Hendrison, 1989; Lamprecht, 1993; d'Oliveira et Braz, 1995; Bruenig, 1996). Sundberg (dans FAO, 1978) donne une intensité d'abattage de 20 m3/ha comme seuil économique, en deçà duquel le coût d'exploitation relatif augmente exponentiellement. Ce seuil économique acquiert une grande importance avec l'extraction de grumes et d'essences de valeur inférieure, et avec l'adoption d'une exploitation à impact réduit sur l'environnement. Dans les forêts de diptérocarpacées d'Asie et d'Océanie, une intensité de coupe moyenne de 40 m3/ha sur un cycle de 40 ans devrait être facilement réalisable. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu'il s'agit là de moyennes générales et prudentes, et que l'intensité effective et la périodicité de coupe dépendront des conditions de la forêt proprement dite et des essences concernées. Outre l'adoption sans réserve de l'exploitation à faible impact sur l'environnement, il faut commercialiser une plus vaste gamme d'espèces et améliorer l'utilisation des arbres coupés.
Accroître l'utilisation des essences peu connues
Dans de nombreuses régions, les espèces considérées au départ comme des plantes adventices sont devenues des sources appréciables de matière première. Nombreux sont ceux qui estiment que l'utilisation accrue d'essences jadis ignorées est un moyen de rendre l'aménagement des forêts économiquement plus viable car accroître le volume extrait produit davantage de revenus par hectare (Sarre, 1995). Sur les 19 résumés par pays présentés dans le rapport de l'OIBT (1997), 11 font état d'initiatives visant à améliorer l'utilisation d'espèces actuellement sous-exploitées ou peu connues pour les placages et les sciages.
Lorsque les intensités de coupe sont faibles, les essences sous-exploitées peuvent représenter une source appréciable pour un volume supplémentaire de grumes (Yeom, 1984). Toutefois, une intensité accrue peut entraîner des perturbations plus importantes (Wagner et Cobbinah, 1993), se traduisant par une baisse des rendements dans les cycles d'abattage ultérieurs et par une gestion non durable des forêts (FAO, 1989a). Il faut interdire de récolter une espèce qui commence à avoir un attrait commercial dans l'intervalle, avant d'attendre la rotation complète (Jonsson et Lindgren, 1990).
Instauration de diamètres minimums de coupe
La tendance est à l'abaissement des limites d'abattage afin d'accroître l'intensité de coupe, ce qui peut nuire gravement au potentiel de régénération des forêts tropicales de feuillus dans des systèmes sylvicoles polycycliques (Thang, 1986; d'Oliveira et Braz, 1995). Par ailleurs, il faut conserver une couverture arborescente suffisante pour atténuer l'érosion (due aux intenses précipitations tropicales), maintenir le caractère d'écosystème pare-feu de la forêt et maîtriser l'invasion du site par les lianes et les essences pionniers de moindre valeur. Le seuil minimum de coupe doit être aligné sur le traitement sylvicole requis pour chaque essence et, lorsqu'on ne dispose pas de données pouvant justifier son abaissement, celui-ci devra être maintenu aux niveaux en vigueur (par exemple, diamètre minimum de 50 à 60 cm). Bruenig (1996) soutient que le diamètre minimum d'abattage ne devrait pas être inférieur à 60 cm dans les forêts à diptérocarpacées.
Réduction des pertes en forêt
L'ampleur des déchets de coupe dont la littérature fait état oscille entre 30 pour cent (Silitonga dans FAO, 1987b, Gerwing, Johns et Vidal, 1996; Scharpenberg dans FAO, 1997c) et 50 pour cent (Dykstra, 1992; Noack, 1995) du volume de grumes extrait. Les variations des taux de récupération du bois coupé signalées dans la documentation publiée, sont dues à l'efficacité opérationnelle et à la capacité des ouvriers, ainsi qu'à l'existence de marchés pour les grumes de qualité inférieure et aux différences de définition du bois commercialisable.
Une source importante de déchets de coupe est constituée par les arbres abattus ou tronçonnés qui échappent aux opérations de débardage par traînage. Par exemple, Mattsson-Marn et Jonkers (dans FAO, 1981) ont constaté que durant les opérations qu'ils avaient étudiées, le débusquer laissait sur place 11 m3/ha de grumes (soit 20 pour cent du volume extrait).
Avec l'adoption de techniques d'exploitation respectueuses de l'environnement et la cartographie des arbres abattus et des directions de coupe, on peut réduire sensiblement la perte de grumes. Dans un périmètre d'exploitation bien planifié, le volume des pertes a été réduit de 11 m3 à 5,5 m3/ha (Mattsson-Marn et Jonkers dans FAO, 1981).
Le gaspillage durant l'exploitation est également imputable aux mauvaises méthodes de travail, et à des techniques d'abattage et de tronçonnage provoquant le fendage et l'éclatement des arbres coupés (Hendrison, 1989).
Le volume estimé de gaspillage résultant des pertes d'abattage et de tronçonnage constitue environ 6,5 à 8,5 pour cent du volume utilisable du tronc (FAO, 1989b; Winkler dans FAO, 1997d). Outre les pertes de volume dues à ces mauvaises méthodes, les pertes de valeur ne sont pas négligeables. La formation des bûcherons constitue un facteur fondamental dans la réduction des déchets de coupe et de la perte de valeur. Uhl et al. (1997) ont constaté que des bûcherons qualifiés sont en mesure de réduire de 300 pour cent les déchets de coupe et de tronçonnage, tandis que Winkler (dans FAO, 1997d) a noté une réduction de 120 pour cent. DeBonis (1986) a également remarqué qu'on pouvait obtenir un accroissement du volume de bois de 15 à 30 pour cent à la scierie moyennant des techniques appropriées de coupe et de tronçonnage.
Pertes hors forêt
Les pertes de volume ou le gaspillage de bois ont également lieu dans les dépôts transitoires en bordure des routes, aux ports d'exportation, aux dépôts des scieries et durant la transformation proprement dite. C'est ainsi que Kilkki (dans FAO, 1992) a observé au cours d'une étude en Papouasie-Nouvelle-Guinée que 10 à 35 pour cent du volume destiné à l'exportation était laissé au port car il ne répondait pas aux critères de qualité pour l'exportation.
Il a été constaté que les scieries atteignent parfois des rendements aussi faibles que 33 pour cent du volume de grumes livré (Gerwing, Johns et Vidal, 1996; Uhl et al. 1997). Noack (1995) signalait des facteurs de récupération de bois à la scierie allant de 36 à 57 pour cent. Pour le sciage de grumes de feuillus tropicaux de grand diamètre, le facteur de récupération devrait être d'au moins 50 pour cent (Uhl et al. 1997), avec des rendements généralement de l'ordre de 56 à 68 pour cent (Niedermaier, 1984).
Dommages causés au peuplement résiduel durant la coupe
Réduire les dommages causés aux arbres résiduels et à la régénération préexistante durant l'exploitation est un facteur fondamental de réussite de tous les systèmes sylvicoles polycycliques. En pratique, pourtant, il n'est accordé qu'une attention mineure à ce problème, et les dégâts typiques des opérations classiques d'exploitation (récolte et débardage) atteignent des niveaux inadmissibles. Le pourcentage d'arbres restant endommagés oscille entre 33 et 70 pour cent dans les zones à plus forte intensité de coupe (>30m3/ha) (Uhl et Viera, 1989; Pinard et al., 1995; Dykstra et al., 1996). Dans les zones de plus faible intensité (par exemple dans les pays africains où l'on extrait un à deux arbres par hectare), les dommages causés au peuplement résiduel sont généralement de 10 à 20 pour cent (White, 1994; Scharpenberg dans FAO, 1997c). Toutefois, l'accroissement des dégâts n'est pas directement proportionnel à l'intensité de coupe (Verissimo et al., 1992)
L'adoption d'une exploitation à impact réduit pour l'environnement permet un accroissement de l'intensité de coupe et une réduction importante des dommages causés aux arbres résiduels. Par exemple, Buenaflor (dans FAO, 1989c) a constaté que, lors d'une exploitation non réglementée, 67 pour cent des arbres restants étaient endommagés avec un volume extrait de 23 m3/ha, tandis que dans une zone de coupe réglementée, les arbres endommagés représentaient 22 pour cent, avec une extraction de 32 m3/ha.
L'abattage provoquera toujours quelques dégâts au peuplement résiduel; c'est pourquoi il existe un seuil maximum d'intensité d'exploitation au-delà duquel il est difficile de maintenir l'intégrité du peuplement dans une coupe sélective. Pour Watanabe (1992), ce seuil devrait être de 30 pour cent de la surface terrière du peuplement.
Dégâts au site durant l'exploitation
Comme pour les dégâts aux arbres résiduels, les effets de l'exploitation traditionnelle des forêts tropicales de feuillus sur le site sont excessifs. Normalement, en conditions de forte intensité de coupe (>30m3/ha), les chemins forestiers, les glissoirs et les premiers dépôts transitoires occupent 10 à 25 pour cent de la zone (FAO, 1989a; Hendrison, 1989; (Uhl et Viera, 1989; Verissimo et al., 1992; Winkler dans FAO, 1997d). Dans les zones de plus faible intensité (<20 m3/ha) le dérangement du sol oscille entre 6 et 13 pour cent (Uhl et al., 1991; White, 1994; Scharpenberg dans FAO, 1997c). Bruenig (1996) observe qu'avec la construction excessive de routes et de pistes de débardage, entraînant un compactage et une érosion extrêmes, les cycles d'abattage de 25 à 50 ans ne sont pas durables et que des cycles de 60 à 100 ans sont plus réalistes.
L'adoption de techniques à faible impact sur l'environnement se traduit par une diminution sensible des répercussions sur le site. Winkler (dans FAO, 1997d) a constaté que dans des conditions d'exploitation traditionnelle, 14,4 pour cent de la zone étaient couverts par les routes, les glissoirs et les premiers dépôts transitoires, alors que dans les zones où était pratiquée la coupe à impact réduit, ce chiffre tombait à 4,5 pour cent. Marsh et al. (1996) sont parvenus à des résultats semblables, avec des zones bénéficiant d'une exploitation rationnelle ne consacrant que 3,8 pour cent aux glissoirs contre 12 pour cent dans des zones adjacentes exploitées selon les méthodes traditionnelles.
Malvas (dans FAO, 1987a) a établi qu'une localisation et un espacement optimaux des routes forestières, des glissoirs et des premiers dépôts transitoires permettraient de n'occuper que 5 pour cent environ de la zone. Il est intéressant de constater que des glissoirs bien conçus donnent généralement lieu à une bonne régénération et au développement d'une couverture des couronnes (ISTF, 1995).
Deux modèles de scénarios ont été conçus pour estimer les disponibilités futures de grumes de placage et de sciage de feuillus tropicaux, dans les forêts perturbées par l'homme ou non (exception faite des plantations). Le premier scénario, qui se fonde sur des informations tirées de la base de données de l'Etude sur l'offre mondiale de fibres de la FAO en ce qui concerne les intensités de coupe et les cycles d'abattage part du principe que les pratiques d'exploitation continueront plus ou moins comme à l'heure actuelle, et que les intensités futures régresseront sensiblement de façon progressive compte tenu de l'écrémage de la forêt et des dommages causés aux arbres résiduels et au site durant l'exploitation.
Le deuxième scénario prend pour hypothèse l'adoption de pratiques d'exploitation respectueuses de l'environnement et une intensité moyenne de coupe modérée de 20 m3/ha sur un cycle de 40 ans pour les forêts tropicales humides et denses d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes. Pour les forêts humides à diptérocarpacées d'Asie, il suppose une intensité modérée moyenne de 40 m3/ha sur un cycle de 40 ans.
Pour rendre un volume commercial théoriquement disponible à long terme, la zone forestière disponible pour chaque catégorie est multipliée par l'intensité d'exploitation. Le rapport des sciages et des placages non résineux provenant de chaque catégorie de forêt est calculé en divisant le volume commercial disponible dans la catégorie par la somme du volume commercial disponible (c'est-à-dire 63196000 m3) dans toutes les catégories de forêts. La production moyenne annuelle (1990-1995) de bois de sciage et de placage pour un pays est ensuite multipliée par les coefficients pour estimer un volume de bois extrait de chaque catégorie de forêt. Le volume provenant de chaque catégorie de forêt est alors divisé par l'intensité de coupe pour calculer la superficie exploitée pour l'année. Toutefois, pour atteindre une viabilité s'inscrivant dans la durée, la surface maximale récoltée pour toute forêt perturbée par l'homme ne peut dépasser la superficie disponible divisée par le cycle d'abattage. Par exemple, les forêts de feuillus non conifères perturbées par l'homme ont une superficie disponible de 133333 ha, ce qui équivaut, au Cameroun, à la superficie forestière à exploiter. Si cette condition n'est pas remplie dans l'assignation du volume initial, le modèle réduit progressivement le volume exploité dans chaque forêt perturbée par l'homme et surexploitée, et ce, jusqu'à ce que cette condition ne soit remplie.
Une fois que les zones exploitées sont établies pour une année donnée, les superficies forestières non perturbées et celles perturbées sont révisées pour former la base du calcul de l'année suivante (c'est-à-dire, la superficie forestière totale non perturbée par l'homme qui est exploitée est déduite de la superficie forestière non perturbée par l'homme et ajoutée à la superficie modifiée par l'homme Le tableau 1 présente un calcul de la première année pour le Cameroun.
Il est clair que les valeurs essentielles sont la production moyenne de grumes de sciage et de placage (de la base de données FAOSTAT) ainsi que les estimations de superficies disponibles pour la production ligneuse et les intensités et les cycles d'abattage par catégorie de forêt (de la base de données de l'Etude sur l'offre mondiale de fibres de la FAO). Toutes les autres valeurs sont calculées.
Le modèle continue l'exploitation jusqu'à ce qu'il n'existe plus de forêt non perturbée par l'homme ou que 500 ans se soient écoulés. Le volume récolté dès lors que toutes les forêts de production disponibles sont toutes modifiées par l'homme représente le rendement soutenu à long terme, en présumant que le rendement des cycles d'abattage successifs soit le même que pour le deuxième cycle. Ce facteur ne peut toutefois être garanti avec des opérations d'exploitation traditionnelle non soumises à une réglementation et à une planification qui sont typiques des forêts tropicales de feuillus, et avec l'éventuelle coupe illicite et le déboisement.
TABLEAU 1. Exemple de calcul pour les exploitations de zones forestières de feuillus non conifères au Cameroun
|
Forêts denses non perturbées par l'homme 1 |
Forêts denses perturbées par l'homme |
Forêts claires non Forêts claires perturbées 1 |
Forêts claires non Forêts claires perturbées 1 |
Total |
Forêts disponibles (ha) |
6894000 |
4000000 |
0 |
1876000 |
12770000 |
Intensité de coupe (m3/ha) |
7,0 |
3,5 |
2,0 |
0,5 |
- |
Cycle d'abattage (années) |
- |
30 |
|
50 |
- |
Volume commercial disponible (m3) |
48258000 |
14000000 |
0 |
938000 |
63196000 |
Superficie disponible (ha) |
- |
133333 |
- |
37520 |
|
Part de production |
0,7882 |
0,2036 |
0 |
0,0082 |
1,000 |
Volume de chaque type de forêt (m3) |
1806907 |
466666 |
0 |
18760 |
2292333 |
Superficie de forêts exploitées (ha) |
258130 |
133333 |
0 |
37520 |
428983 |
Superficie boisée révisée (ha) |
6635870 |
4258130 |
0 |
1876000 |
12770000 |
1 Il s'agit de zones forestières de feuillus non conifères.
Note: En 1995, la production totale de grumes de placage et de sciage était de 2,3 millions de m3
Limites du modèle
Le calcul des zones récoltées par an se fonde sur la superficie de forêts tropicales de feuillus disponibles commercialement pour la production de grumes de sciage et de placage, ainsi que sur les intensités et les cycles de coupe pour chaque catégorie de forêt figurant dans la base de données de l'Etude sur l'offre mondiale de fibres de la FAO. On présume que la superficie actuelle de forêts de production restera la même, à l'exception des pays où des aires de conversion des forêts ont été officiellement établies, comme en Malaisie et en Indonésie. De même, on n'a pas tenu compte de l'éventuelle déforestation ou dégradation car on ne connaît pas les catégories de forêts qui sont réellement touchées. La raréfaction des forêts causée par les pratiques d'exploitation traditionnelle est prise en compte en réduisant les intensités de coupe des forêts perturbées par l'homme.
La production de grumes de placage et de sciage est maintenue au niveau constant de la production moyenne pour la période 1990-1995 qui figure dans la base de données FAOSTAT. D'éventuelles opérations de coupe illégale ou autres types d'exploitation non documentés ne sont pas pris en ligne de compte, d'où le ton optimiste des résultats du modèle.
A l'échelon national, le modèle présente de grands écarts. Dans certains pays, l'extraction actuelle officielle de grumes de placage et de sciage est bien inférieure au rendement soutenu à long terme (c'est-à-dire les pays pour lesquels le niveau d'extraction autorisé lorsque toutes les forêts sont perturbées par l'homme est encore supérieur à 200 pour cent des niveaux courants d'exploitation). Dans d'autres pays, notamment en Afrique et en Asie, le niveau de récolte actuel est déjà nettement supérieur aux niveaux de rendement soutenu à long terme. A l'échelle régionale, sur la base des pratiques courantes d'exploitation et de gestion forestières (tableau 2), tout porte à croire qu'il y aura une grave pénurie de grumes de sciage et de placage de feuillus tropicaux en Asie et en Océanie, où le rendement soutenu estimé établi par le modèle ne représente que 59 pour cent des niveaux actuels d'extraction, y compris en faisant abstraction du déboisement et de la coupe illicite. En Afrique, principalement du fait des vastes superficies boisées de la République démocratique du Congo, il y a encore beaucoup de marge de développement, avec un rendement soutenu de 30 millions de m3 par rapport à un niveau actuel de récolte d'environ 17 millions de m3.
En Amérique latine et aux Caraïbes, les niveaux de rendement soutenu et d'exploitation actuels sont plus équilibrés, avec un certain excédent de rendement soutenu qui devrait être absorbé par la déforestation et la coupe illégale. A l'échelle mondiale, il ne devrait pas y avoir de pénurie de grumes de sciage et de placage de feuillus tropicaux, le rendement soutenu à long terme ne représentant que 91 pour cent du niveau officiel de récolte actuel.
TABLEAU 2. Zones forestières disponibles au départ pour la production ligneuse et le rendement soutenu à long terme lorsqu'il s'agit de forêts perturbées par l'homme 1
|
Forêts non perturbées par l'homme disponibles (ha) |
Forêts perturbées par l'homme disponibles (ha) |
Total forêts non conifères disponibles (ha) |
Production moyenne 1990-1995 (m3) |
Production à rendement soutenu à long terme (m3) |
Production 1990-1995 (pourcentage) |
Afrique |
59569000 |
112938000 |
172507000 |
17133116 |
29767301 |
174 |
Asie et Pacifique |
53000000 |
91911000 |
144911000 |
97605368 |
57223831 |
59 |
Amérique latine et Caraïbes |
42150000 |
122500000 |
164650000 |
33822618 |
47632039 |
141 |
Total |
154719000 |
327349000 |
482068000 |
148561102 |
134623171 |
91 |
1 Sur la base des intensités et les cycles d'abattage de l'Etude de la FAO sur l'offre mondiale de fibres.
TABLEAU 3. Tableau régional résumant les zones boisées disponibles au départ pour la production ligneuse et le rendement soutenu à long terme lorsqu'il s'agit de forêts perturbées par l'homme 1
|
Forêts non perturbées par l'homme disponibles (ha) |
Forêts perturbées par l'homme disponibles (ha) |
Total forêts non conifères disponibles (ha) |
Production moyenne 1990-1995 (m3) |
Production à rendement soutenu à long terme (m3) |
Production 1990-1995 (pourcentage) |
Afrique |
59569000 |
113238000 |
172807000 |
17133116 |
51512929 |
301 |
Asie et Pacifique |
53000000 |
91911000 |
144911000 |
97605368 |
113614500 |
116 |
Amérique latine et Caraïbes |
42150000 |
122500000 |
164650000 |
33822618 |
80625107 |
238 |
Total |
154719000 |
327649000 |
482368000 |
148561102 |
245752536 |
165 |
1 En prenant l'hypothèse d'une exploitation à impact réduit sur l'environnement, d'un cycle d'abattage de 40 ans et d'intensités de coupe de 20 m3/ha pour les forêts tropicales denses de feuillus d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes, et de 40 m3/ha pour les forêts de diptérocarpacées d'Asie.
Intensités et cycles de coupe viables dans le cas d'une exploitation à impact réduit sur l'environnement
Avec l'exploitation à impact réduit sur l'environnement et l'extraction durable de 20 m3/ha sur un cycle de 40 ans dans les forêts tropicales denses de feuillus d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes, et de 40 m3/ha sur un cycle de 40 ans dans les forêts de diprérocarpacées d'Asie, les résultats du modèle indiquent des niveaux de récolte à rendement soutenu plus élevés pour la plupart des pays, à l'exception de la Côte d'Ivoire, du Costa Rica, du Panama, de la Malaisie et du Viet Nam. En adoptant l'exploitation à faible impact et en imaginant un accroissement parallèle des extractions d'essences actuellement sous-exploitées, la majorité des pays pourraient assister à une augmentation de leurs niveaux de récolte à rendement soutenu par rapport aux chiffres actuels de production de grumes.
A l'échelon régional (tableau 3), l'adoption d'une exploitation à impact réduit sur l'environnement et d'une coupe sélective judicieuse se traduit par des excédents de sciages et de placages de bois tropical non résineux par rapport aux niveaux de production officiels. Toutefois, le léger excédent (16 pour cent) en Asie et en Océanie ressemble plus à un déficit en réalité - même en considérant l'exploitation à impact réduit - à cause des effets du déboisement et des volumes abattus non consignés dans les statistiques officielles.
Sur la base de l'exercice de modélisation, il ressort clairement que l'adoption d'une exploitation à impact réduit sur l'environnement et d'une gestion forestière durable pourrait avoir une forte impulsion sur les disponibilités futures de grumes de sciage et de placage de feuillus non conifères. Comme il a été dit plus haut, une meilleure utilisation des arbres coupés et l'exploitation accrue d'essences moins connues pourraient comporter un accroissement important de l'offre de fibres. Toutefois, même avec la mise en place d'une exploitation à impact réduit sur l'environnement, plusieurs pays devront prochainement faire face à de graves pénuries de bois. La poursuite des pratiques actuelles d'exploitation, qui causent de graves dégâts aux arbres résiduels et au site, se traduirait par des pénuries imminentes dans la plupart des pays, et par une pénurie généralisée à l'échelle mondiale de grumes de placage et de sciage de feuillus tropicaux dans un futur très proche.
Cet article s'est efforcé de montrer que l'adoption de pratiques de récolte respectueuses de l'environnement peut contribuer à assurer un aménagement durable des forêts et à satisfaire la demande future projetée de grumes de placage et de sciage. Une meilleure exploitation comporte l'utilisation accrue d'essences peu connues, la création ou le rétablissement de diamètres minimums, la réduction des pertes en forêt, etc. Ces techniques se traduisent non seulement par une récolte ménageant davantage l'environnement mais aussi par des avantages économiques à long terme. A longue échéance, néanmoins, l'application généralisée d'une exploitation soutenue est fonction d'une vive détermination politique, assortie d'un programme détaillé d'enseignement, de formation, de suivi et d'évaluation.
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