Un des principaux objectifs de la normalisation est habituellement que tout le monde adhère aux mêmes normes, cest-à-dire aux mêmes procédures ou spécifications de produits. Elle peut assouplir les procédures logistiques, faciliter le commerce, empêcher que les consommateurs ne soient trompés et améliorer la qualité. On voit aisément comment la normalisation facilite le commerce et les autres procédures logistiques, ne serait-ce quen constatant les complications que des systèmes différents de mesure du poids peuvent causer. Cependant, lamélioration de la qualité ne résulte pas automatiquement de la normalisation. Cela nest le cas que lorsque la norme préconisée est une norme «supérieure», cest-à-dire que les exigences constituent une amélioration par rapport à la pratique courante.
Les normes sont définies par lISO comme
... des accords documentés contenant des spécifications techniques ou dautres critères précis à utiliser de manière cohérente comme règles, directives ou définitions, afin dassurer que les matériaux, produits, processus et services sont adaptés à leur objet.[7]
Avec cette définition il apparaît clairement que les normes ne sont pas seulement utilisées pour la normalisation, mais également comme «directives», cest-à-dire pour le renforcement institutionnel.
Les normes de produits sont les spécifications et critères se rapportant aux caractéristiques des produits. Les normes de processus sont les critères concernant la façon dont les produits sont faits. Les normes sociales et environnementales dans lagriculture sont essentiellement des normes de processus. Ces critères de processus peuvent avoir une influence ou non sur les caractéristiques des produits finis.
Les normes de processus peuvent encore se décomposer en normes de système de gestion et normes de performance. Les normes de système de gestion posent des critères pour les procédures de gestion, par exemple pour la documentation ou pour les procédures de suivi et dévaluation. Elles ne posent pas de critères pour la performance du système de gestion en termes de ce qui se passe effectivement sur le terrain ou dans lusine demballage. Inversement, les normes de performance posent des exigences vérifiables pour les facteurs tels que la non utilisation de certains pesticides, ou la disponibilité des services sanitaires.
Ladoption de normes internationales sest révélée très difficile en raison de la diversité des circonstances qui existent à travers le monde. Cela est particulièrement vrai pour les pratiques agricoles, qui doivent répondre à des différences de climats, de sols et décosystèmes, et font partie intégrante de la diversité culturelle. En réponse à cette diversité, les normes environnementales et sociales internationales sont souvent des standards normatifs, à savoir des normes ou directives génériques à utiliser comme un cadre par les organes locaux délaboration de normes ou de certification afin de formuler des normes plus spécifiques. Il faut noter que les normes environnementales et sociales dans lagriculture nont habituellement pas pour objet la normalisation en soi, mais sont développées pour améliorer la durabilité environnementale et sociale dans la diversité des systèmes existants dexploitation et de commerce agricole.
La certification est une procédure par laquelle une tierce partie donne lassurance écrite quun produit, processus ou service est en conformité avec certaines normes[8]. La certification peut être vue comme une forme de communication le long de la filière dapprovisionnement. Le certificat montre à lacheteur que le fournisseur obéit à certaines normes, ce qui peut savérer plus convaincant que si le fournisseur lui-même en avait donné lassurance.
Lorganisme accomplissant la certification est appelé organisme de certification ou certificateur. Lorganisme de certification peut effectuer linspection effective, ou donner linspection en sous-traitance à un inspecteur ou à un organe dinspection. La décision de certification, à savoir la délivrance de lassurance écrite ou «certificat», se fonde sur le rapport dinspection, éventuellement complété par dautres sources dinformation.
La certification est toujours effectuée par une tierce partie. La vérification est faite et lassurance est fournie par une partie qui na pas dintérêt direct dans la relation économique entre le fournisseur et lacheteur. Un contrôle interne est une vérification par première partie. Lorsquun acheteur vérifie si le fournisseur adhère à une norme, il sagit dune vérification par seconde partie.
Il est important de noter que la vérification par tierce partie ne garantit pas automatiquement limpartialité ou labsence de conflits dintérêts. En premier lieu, lélaboration des normes peut être faite par toute partie. Le producteur (première partie) peut adopter une norme, auquel cas il est probable que les intérêts du producteur seront reflétés dans la norme. De même, lacheteur (seconde partie) peut adopter une norme, auquel cas les intérêts commerciaux seront reflétés dans la norme. En second lieu, si lorgane délaboration de normes et lorganisme de certification sont une seule et même entité, cela peut également causer des conflits dintérêts. Lorgane délaboration de normes peut souhaiter une application large de sa norme, ou risque davoir un parti pris contre certains types de producteurs pour des raisons idéologiques, ce qui peut influencer les décisions de certification. En troisième lieu, un conflit dintérêts peut survenir selon la personne qui paye les coûts de certification. Les organismes de certification commerciale sont confrontés à la concurrence de la part dautres entités et ils peuvent perdre des clients sils sont trop sévères.
Le système de règles, de procédures et de gestion pour réaliser la certification, y compris les normes par rapport auxquelles la certification est faite, est appelé programme de certification. Un seul organisme de certification peut mettre en uvre plusieurs programmes de certification différents. Pour assurer que les organismes de certification aient la capacité de mettre en uvre des programmes de certification, ils sont évalués et accrédités par un organe faisant autorité. Les organismes de certification doivent éventuellement être accrédités par un institut gouvernemental ou para-étatique, qui évalue la conformité aux directives adoptées par lISO, lUnion européenne ou autre entité pour le fonctionnement des organismes de certification et dinspection. De plus, les organes délaboration de normes peuvent accréditer les organismes de certification quant à la portée de leur norme spécifique. Lorsque les organes délaboration de normes ont développé des standards normatifs, ils évaluent si la norme spécifique utilisée par lorganisme de certification est conforme à la norme générique et sils sont satisfaits de la méthode de vérification.
La certification et laccréditation ont un coût. La mise en uvre de normes requiert habituellement des investissements, mais entraîne parfois une réduction des coûts de production à plus long terme. Les effets possibles de la mise en uvre de la norme et des coûts de certification sur les coûts de production, revenus et aspects économiques seront traités plus en détail dans le chapitre 6.
Un label de certification est un label ou un symbole indiquant que la conformité aux normes a été vérifiée. Lutilisation du label est habituellement contrôlée par lorgane délaboration de normes. Le label peut appartenir aux organismes de certification lorsque ceux-ci certifient par rapport à leurs propres normes spécifiques.
Alors que le certificat est une forme de communication entre vendeur et acheteur, le label est une forme de communication avec le consommateur final. Pour que cette communication soit réelle, le label doit avoir une signification. Pour lUnion des consommateurs aux États-Unis, un label qui a une signification nest pas seulement soutenu par un bon système de certification dénué de conflits dintérêts, mais le système doit aussi être transparent, les informations sur le contenu et lorganisation à lorigine du label doivent être accessibles et le public doit pouvoir faire des observations. LUnion des consommateurs préconise également que la signification du label doit être cohérente pour lensemble des produits portant le label.[9]
La labellisation offre lopportunité de créer des marchés de niche dans lesquels des prix plus élevés peuvent être demandés. La théorie économique inhérente à la labellisation des produits peut remonter aux travaux de Stigler[11] sur les aspects économiques de linformation. Dans les travaux de Stigler, linformation est décrite comme une ressource précieuse, en particulier linformation sur les prix. La détermination des prix exigés par chaque vendeur pour un produit est une tâche qui demande beaucoup de temps. Nelson[12] soutient que le problème de la détermination des niveaux de qualité est même plus important que celui de la détermination des niveaux de prix. De plus, la qualité étant visible au moment de lachat, les vendeurs sont non seulement incités à promettre des produits de qualité supérieure mais aussi à commercialiser des produits de qualité médiocre, comme le fait remarquer Akerlof[13]. Ainsi, sur certains marchés, le consommateur est confronté à une plus grande incertitude en ce qui concerne la qualité quen ce qui concerne les prix[14].
Les économistes font la distinction entre les attributs de recherche, dexpérience et de croyance des produits. Les attributs de recherche sont les caractéristiques que les consommateurs peuvent vérifier avant dacheter le produit, tels que le prix, la taille et la couleur. Les attributs dexpérience sont ceux qui peuvent être évalués après lachat du produit, comme le goût[15]. Les attributs de produit que les consommateurs ne peuvent évaluer, même par lutilisation, sont appelés attributs de croyance[16]. Limpact environnemental des méthodes de production et des conditions de travail le long de la filière dapprovisionnement sont des attributs de croyance.
Les fournisseurs peuvent vanter les attributs dexpérience et de croyance de leurs produits sous forme de publicité, mais les fournisseurs ne feront de publicité que tant quils la considéreront comme un moyen daccroître leur part de marché, et ne révèleront que les informations qui sont à leur avantage. Aldrich soutient que cela aboutit à des revendications explicites sur tous les avantages de la marchandise et rend les consommateurs suspicieux à légard des marchandises sans revendication[17]. Les consommateurs seront probablement plus sceptiques à légard dune revendication du fournisseur concernant les attributs de croyance, parce quils savent quils ne sont pas en position de contrôler sa validité même après lachat. La labellisation basée sur une vérification par tierce partie peut transformer les attributs de croyance en attributs de recherche, donc en attributs pouvant être vérifiés par les consommateurs au moment de lachat.[18]
Si linformation sur la qualité par unité daliment est répartie de manière égale entre les producteurs et les consommateurs, léquilibre du marché sera alors effectif[19]. Les consommateurs sont en mesure dacheter les marchandises qui correspondent le mieux à leurs préférences et les ressources de la société sont utilisées de manière efficace. Si en revanche linformation est asymétrique, alors cet équilibre du marché ne sera pas effectif. Un exemple pourrait être celui des producteurs qui fraudent sur les normes de qualité. Linformation asymétrique en particulier peut être un problème sur les marchés des aliments ayant des attributs de croyance négatifs (par exemple des résidus de pesticides, ou le recours au travail des enfants dans le processus de production). Dans ces cas, les sociétés ne sont pas incitées à révéler des informations et les consommateurs finissent par acheter des marchandises qui ne correspondent pas à leurs préférences. Le marché ne fonctionne pas alors efficacement: les marchandises qui seraient rentables avec une information parfaite ne sont plus produites alors que celles qui ont une valeur moindre aux yeux des consommateurs sont produites à la place[20]. Cest ici que la certification (= vérification par tierce partie) et la labellisation peuvent créer un marché efficace en supprimant lasymétrie de linformation, à supposer que les labels utilisés aient une signification.
Plusieurs études ont tenté de modéliser les effets de la labellisation sur la demande, les prix et les niveaux de production[21]. Plusieurs suppositions doivent être inévitablement faites pour les objectifs de modélisation, et certaines de ces suppositions sont étudiées ci-dessous à la lumière de certaines des caractéristiques de la labellisation biologique, lobjectif étant celui dun meilleur aperçu des variables déterminant les effets des programmes de labellisation. La discussion se concentrera sur la labellisation biologique car il sagit actuellement du segment de marché «environnemental» le plus important pour les produits tropicaux et horticoles. La certification et lagriculture biologiques seront présentées de manière plus complète dans le chapitre suivant, avec dautres normes et programmes de labellisation.
La première supposition que font de nombreux modèles est quavant lintroduction de la labellisation, le produit nétait pas différencié. Pour les produits biologiques, des marchés différenciés existaient déjà avant lintroduction des labels biologiques. Lagriculture biologique provient dexploitants sensibilisés qui ont développé des réseaux alternatifs de commercialisation au sein de leurs communautés, par le biais de marchés dexploitants et de systèmes dabonnement à un panier. Dans les systèmes dabonnement à un panier, le producteur ou le magasin dalimentation naturelle confectionne des paniers de nourriture (biologique) que les consommateurs peuvent se faire livrer à domicile ou aller chercher, généralement une fois par semaine. De même, les primes de prix existaient déjà, comme le constate le Ministère de lagriculture des États-Unis (United States Department of Agriculture, ou USDA) pour plusieurs secteurs agricoles dans les années 70[22]. Une telle segmentation du marché avant la labellisation pourrait équilibrer dans une certaine mesure loffre et la demande et réduire le risque de surplus ou de pénurie au moment de lintroduction du label.
La seconde supposition est quun produit homogène peut être produit en respectant ou pas lenvironnement. Pour lagriculture biologique, il sest avéré assez difficile de «définir» le biologique. Il existe toute une gamme de modes de production agricole, qui va de lagriculture «industrielle» à forts intrants externes, en passant par toutes sortes de «méthodes dagriculture raisonnée», jusquà lagriculture biologique et au-delà. La présence dautres labels environnementaux sur les produits, quils soient appuyés par une vérification par tierce partie ou non, pourrait aussi avoir des impacts sur la réaction du consommateur face au label biologique et aux primes de prix.
Certains modèles supposent que les consommateurs avertis nachètent que des produits avec label, mais ils reconnaissent que cette supposition est quelque peu rigide. Dans la réalité du marché biologique, même les soi-disant «gros usagers» nachètent pas cent pour cent biologique ou commerce équitable. Les consommateurs achètent probablement à la fois la version avec label et la version sans label dun produit, en fonction de la disponibilité et du prix selon le moment et le lieu. Ainsi, les consommateurs peuvent se rendre occasionnellement dans des magasins spécialisés où se trouve un large éventail de produits biologiques, mais ils font leurs achats en temps normal dans des supermarchés ne disposant que dune gamme réduite.
En outre, les modèles peuvent supposer que le nombre des consommateurs avertis et des consommateurs non avertis est fixe. Certains prennent en considération linfluence du label sur la volonté de payer une prime de prix pour le consommateur déjà averti. Dautres reconnaissent que la volonté de payer peut varier dun consommateur averti à lautre, à savoir que si les primes de prix baissent, plus de consommateurs seront prêts à acheter le produit avec label. Cependant, la présence de labels peut en soi accroître la prise de conscience des consommateurs ainsi que le nombre de consommateurs avertis. En effet, de nombreux consommateurs nont appris que récemment lexistence de méthodes dagriculture biologique et la différence par rapport aux méthodes conventionnelles, grâce au label et à la publicité sy rapportant.
Une des suppositions les plus importantes est que tous les produits issus de toutes les unités de production qui respectent lenvironnement porteront automatiquement un label. Or, lorsque loffre des unités certifiées est supérieure à la demande, une partie de ces produits est vendue sur le marché conventionnel/sans label. Lexpérience du marché biologique montre que cela se produit avant que les prix biologiques ne tombent au niveau des prix conventionnels. Dans ce cas, il nexistera pas de mesure dincitation pour convertir plus de producteurs au biologique, car ils ne seront probablement pas en mesure de vendre sur le segment de marché biologique. Cependant, en général, les producteurs certifiés existants ne sortent pas du système de certification et ils continuent à recevoir une prime de prix pour une partie de leur production. En raison de la nature des systèmes de production biologique, non seulement les producteurs conventionnels font preuve dune certaine inflexibilité à passer aux méthodes de production biologique, mais également dune inflexibilité à revenir aux méthodes conventionnelles.
De plus, la demande de produits alimentaires tels que le café et les bananes est assez rigide sur les marchés considérés. Les consommateurs avertis peuvent souhaiter payer plus cher pour des produits avec label, mais cela ne signifie pas que si la prime de prix diminue, ils achèteront une quantité plus importante du produit portant le label. Cependant, il est probable que les baisses de prix persuadent les consommateurs qui sont sensibilisés de manière marginale, de passer des produits sans label aux produits avec label. En outre, si un produit portant un label biologique présente une prime bien supérieure à celle dun autre produit biologique dans la même catégorie, les consommateurs avertis peuvent substituer le produit plus cher par un moins cher. Ainsi, sur le segment de marché biologique, certains «légumes traditionnels» ont une part plus importante que sur les marchés conventionnels parce quils sont plus résistants et donc plus faciles à faire pousser en recourant aux méthodes de production biologique. En particulier en raison du potentiel dextension de la base des consommateurs aux consommateurs avertis de manière marginale, il se pourrait fort bien que la demande de produits biologiques soit plus souple au niveau des prix que la demande en aliments conventionnels. En effet, une plus grande souplesse des prix a été constatée au Danemark pour des produits laitiers biologiques par rapport aux aliments conventionnels[23].
Une considération finale concerne les répercussions de prix le long de la filière dapprovisionnement. Il est connu quen général la répercussion des prix est imparfaite. Les primes de prix à la consommation biologique peuvent être inférieures ou supérieures aux primes pour les producteurs primaires. De nombreux observateurs des marchés biologiques pensent que les primes sont habituellement plus élevées au niveau du détaillant quau niveau du producteur. Les effets de la labellisation sur les prix sont même plus difficiles à analyser si lon considère lexistence de prix différents pour le même produit conventionnel, principalement en fonction de la notoriété de la marque. Les prix à la consommation biologique sont souvent du même ordre que ceux des marques conventionnelles les plus chères.
[7] ISO, 1996. [8] ISO, 1996. [9] Rangan, 2002. [10] Cette section sinspire de la FAO, 2001. [11] Stigler, 1961. [12] Nelson, 1970 et 1974. [13] Akerlof, 1970. [14] Andrews, 1992. [15] Nelson, 1970. [16] Darby et Karni, 1973. [17] Aldrich, 1999. [18] Caswell, 1998. [19] FAO, 2001. [20] Golan, Kuchler et Mitchell, 2000. [21] Inter alia, Mattoo et Singh, 1994, et Sedjo et Swallow, 1999, ont étudié léco-labellisation dans un modèle déquilibre partiel. Marette, Crespi et Schiavana, 1999, utilisent la théorie du cartel, et Mason, 2002, modélise la certification comme test de parasite. [22] USDA, 1980. [23] Wier, Hansen et Smed, 2001. |