Le présent document ne prétend pas fournir des définitions pour des termes aussi complexes que la moralité et l'éthique. Le texte qui suit se propose simplement d'orienter le lecteur et de faciliter la compréhension du reste du document.
Morale et éthique
On entend par morale les normes et valeurs sociales qui guident à la fois les personnes et leur interaction avec leurs semblables, leur communauté et avec leur environnement. Dans tous ces types d'interaction, il y a d'importantes valeurs en jeu; il y a des règles et des normes de nature à protéger ces valeurs; des devoirs attachés aux rôles et situations sociaux qui peuvent stimuler ces valeurs et renforcer ces règles; et des vertus humaines ou aptitudes qui nous permettent d'agir en conséquence. Ces facteurs moraux sont généralement indissociables des pratiques religieuses et des structures sociales du pouvoir.
L'éthique est une analyse systématique et critique de la morale et des facteurs moraux qui orientent la conduite humaine dans une société ou une activité donnée. La pêche représentant une interaction entre l'être humain et l'écosystème aquatique, l'éthique de la pêche porte sur les valeurs, règles, devoirs et vertus pertinents à la fois pour le bien-être de l'être humain et le bon état de l'écosystème, et elle fournit une analyse normative critique des questions d'éthique qui sont en jeu dans ce secteur d'activités humaines.
Lorsque les valeurs morales, règles et devoirs effectifs sont assujettis à une analyse éthique, leur relation avec les intérêts humains essentiels communs à tous, quel que soit leur contexte culturel, est particulièrement importante. Les valeurs morales peuvent évoluer et le raisonnement moral pose la question de savoir si les pratiques qui sont légitimées traditionnellement ou de fait par la religion, le droit ou la politique valent la peine d'être reconnues. En effet, l'évolution de l'éthique depuis 100 ans a été caractérisée par une tendance à réexaminer et renverser les conventions morales qui présidaient à l'interaction entre les sexes, entre les êtres humains et les animaux et entre les êtres humains et leur environnement. Plus récemment, l'éthique s'est attachée à résister aux tendances de la mondialisation, de la marchéisation et de la technicisation qui érodent à la fois la biodiversité et les aspects de valeur de l'identité culturelle et peuvent même avoir des effets qui menacent les droits de l'homme. Ces tendances sont souvent présentées comme neutres au point de vue des valeurs, mais elles reposent sur des hypothèses implicites qui sont sources potentielles d'inégalités et d'abus.
Intérêts humains fondamentaux · Le bien-être suppose le bien-être matériel, ainsi que la conservation d'un écosystème productif et il est lié à la pêche dans la mesure où celle-ci fournit de la nourriture et des moyens de subsistance. · La liberté, ou autodétermination humaine, est liée à l'accès aux ressources halieutiques, à l'autorégulation du pêcheur et à d'autres choix de vie concernant la pêche. · La justice est liée à la répartition des avantages découlant de la pêche et à la propriété des ressources rares. |
En s'efforçant d'identifier les pratiques traditionnelles et novatrices qui valent la peine d'être reconnues, un raisonnement moral pose la question de savoir si - et comment - les facteurs moraux qui entrent en ligne de compte favorisent véritablement le bien-être des êtres humains et des autres êtres vivants. Le raisonnement moral concerne toujours les intérêts fondamentaux des êtres humains et autres êtres pourvus de sens et la valeur de l'environnement qui permet l'existence des êtres humains et des autres êtres vivants.
Une analyse éthique peut jouer un rôle important dans l'identification des intérêts des êtres humains et autres et de la valeur de l'écosystème dans son ensemble. Elle pose aussi la question de savoir comment ces valeurs et intérêts peuvent être menacés ou compromis et la façon dont ils peuvent être renforcés ou protégés. Le bon état de l'écosystème revêt une importance cruciale à la fois en soi et pour les intérêts humains fondamentaux et les avantages pour la société à long terme. Dans le présent document, l'accent est surtout mis sur la façon dont les politiques et pratiques en matière de pêche ont des incidences sur les conditions de vie, les intérêts et le bien-être des pêcheurs et de leurs communautés, ainsi que le bon état de l'écosystème, conformément au principe du développement durable, concept principal de l'éthique de l'environnement, qui sous-tend le concept de la pêche responsable de la FAO.
Intérêts humains fondamentaux
Il est essentiel qu'une analyse éthique de la pêche définisse les intérêts humains et les avantages sociaux qui peuvent être considérés comme des conditions nécessaires pour mener une existence humaine décente. Les intérêts humains fondamentaux sont liés aux principales tâches que les êtres humains doivent entreprendre pour satisfaire leurs besoins et coexister avec d'autres. Conformément à la pensée éthique classique, ces intérêts peuvent être répartis en trois principales catégories: i) Bien-être: chacun a besoin d'articles de première nécessité pour survivre et élever ses enfants; ii) Liberté: chacun s'efforce de régler ses affaires et de réaliser ses projets de vie conformément à ses propres valeurs ou à celles qui sont définies par sa culture; iii) Justice: chacun a besoin de trouver le moyen de partager les avantages et les charges collectifs et de faciliter la coexistence pacifique.
Dans ce contexte, l'analyse morale vise à montrer, par exemple, comment les intérêts humains dans le domaine du bien-être, de la liberté et de la justice sont pertinents et comment ils s'articulent avec les avantages collectifs de la gestion de la pêche.
Ces intérêts fondamentaux sont étroitement liés aux capacités requises pour mener une vie décente et, du même coup, aux vulnérabilités contre lesquelles chacun doit être protégé. Ils constituent les valeurs morales que le raisonnement moral vise à défendre, par exemple, en établissant un cadre pour les principes essentiels qui président à notre interaction morale et à la protection des intérêts moraux fondamentaux.
Sur le plan le plus général, les vulnérabilités correspondantes contre lesquelles chacun doit être protégé sont la pauvreté, la domination et l'injustice.
Principes fondamentaux de bioéthique
Si les diverses théories éthiques peuvent reposer sur des principes prioritaires et raisonnements différents, il existe cependant un consensus au sujet des principes essentiels de la bioéthique[1]:
La dignité humaine, les droits de l'homme et la justice, qui renvoient au devoir de favoriser le respect de la personne humaine. Dans le contexte des pêches, ce principe est lié, par exemple à l'autodétermination des pêcheurs, à l'accès aux ressources halieutiques et au droit à l'alimentation. Sa meilleure représentation passe par une approche de l'éthique fondée sur les droits qui met en exergue la protection du domaine personnel de chacun. Elle peut cependant nécessiter l'établissement de droits individuels et collectifs, dont la nature exacte dépendra de la situation locale.
L'action bienfaisante, qui concerne le bien-être humain, la réduction des dommages et l'optimisation des avantages des pratiques collectives. Dans le contexte de la pêche, ce principe doit être respecté lorsque les effets des politiques et pratiques sur les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs sont évalués. Ce principe est lié aux conditions de travail (sécurité à bord), ainsi qu'à la qualité et à la sécurité sanitaire des aliments. La question des organismes génétiquement modifiés devrait également être abordée dans ce contexte (FAO, 2001b). Ce principe invite à adopter une approche éthique de la pêche qui mette l'accent sur les conséquences sur le bien-être général.
La diversité culturelle, le pluralisme et la tolérance, qui sont liés à la nécessité de prendre en compte différents systèmes de valeurs dans les limites d'autres principes moraux. Les questions morales pressantes qui se posent en matière de pêche prennent différentes formes selon la culture dont il s'agit et il est important, d'un point de vue moral, que chacun définisse la meilleure façon de servir ses intérêts dans un cadre culturel donné. Ce principe cadre bien avec l'éthique dialogique, qui met l'accent sur la participation effective des personnes concernées.
La solidarité, l'équité et la coopération, qui sont liées à l'importance d'une action concertée, à la mise en commun des connaissances scientifiques et autres formes de savoirs et à la non-discrimination. Dans le contexte de la pêche, ce principe sous-tend l'impératif moral consistant à éliminer la pauvreté dans les pays en développement et à assurer l'équité dans le domaine de la pêche et entre les secteurs. Il demande également des politiques transparentes et souligne la nécessité de réduire l'écart entre les producteurs et les consommateurs. Ce principe est pertinent à l'échelle des politiques, de même qu'au plan individuel des vertus et des devoirs professionnels pour renforcer la confiance et la tolérance entre les parties prenantes.
La responsabilité de la biosphère, qui concerne les interrelations de toutes les formes de vie et la protection de la biodiversité. Ce principe souligne que la santé de l'écosystème est une condition sine qua non de la pêche durable prenant en compte les besoins des générations futures, ainsi que l'existence de ceux qui sont actuellement tributaires du milieu naturel et qui sont responsables de l'usage qui en est fait. Ce principe associe le raisonnement éthique fondé sur les droits et sur les conséquences pour le bien-être de l'être humain ainsi que sur les vertus individuelles et sur le devoir de respecter l'environnement.
Solidarité, équité et coopération: trois principes fondamentaux de la bioéthique
FAO/13507/I. DE BORHEGYI
[1] Un projet de
Déclaration sur les normes universelles en matière de
bioéthique a été présenté par le
Comité international de bioéthique de lOrganisation des
Nations Unies pour léducation, la science et la culture à
Paris (France), les 23 et 24 août 2004, et à Reykjavik, (Islande),
le 26 août 2004. |