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C - Analyse de l’implication dans le développement local des associations d’immigrés de deux communautés rurales de Oaxaca


Ce n'est que récemment que les milieux académiques et les pouvoirs publics du Mexique et des Etats-Unis se sont intéressés aux associations d'immigrés et à leur rôle dans le développement de leurs régions d'origine et on sait encore peu de chose sur l'impact de leurs initiatives en faveur de leur communauté. Nous avons choisi d'étudier le cas de trois associations d'immigrés originaires de l'Etat de Oaxaca et de leur fédération respective. Ces immigrés proviennent de deux communautés rurales zapotèques de l'Etat de Oaxaca qui diffèrent entre elles tant sur le plan humain et physique: San Pablo Macuiltianguis dans la Sierra Juarez et San Juan Teitipac dans les Valles Centrales. De même, des différences existent au niveau de la dynamique associative et de l'engagement dans le développement local de leurs organisations de migrants. Dans ce chapitre nous nous proposons d'identifier les variables qui expliquent la plus ou moins grande implication de ces associations d'immigrés dans le développement de leur communauté d'origine.

Méthodologie:

a) La grille d’enquête

L'un des principaux objectifs de ce travail était de construire un outil pour l'étude des associations d'immigrés et leur relation avec le développement de leur lieu d'origine. Dans un premier temps, nous avons élaboré une grille d'enquête "type" en nous aidant des quelques études sur les associations d'immigrés. Celle-ci devait rassembler les principales variables à prendre en compte dans l'étude des associations d'immigrés et de leur implication dans le développement de leur communauté ou région d'origine. Cette grille d'enquête a été expérimentée et modifiée au cours de notre étude des deux associations d'immigrés de oaxaqueños.

Ces variables sont des facteurs, des événements ou des processus de nature politique, administrative, économique, sociale ou historique qui sont déterminants dans le fonctionnement de l'association et la réalisation de ces objectifs. Nous avons choisi de les classer en deux groupes: les variables liées à la force institutionnelle interne de l'association et celles liées à la relation de l'association d'immigrés avec son environnement institutionnel. Elles doivent nous permettre notamment d'analyser la volonté et la capacité des associations à promouvoir des initiatives de développement ainsi que la légitimité des associations avec les partenaires de développement.

b) L’enquête

Le choix des communautés d'étude a été déterminé par la nécessité de "coller" au projet "Rural Household Income Strategies for Poverty Alleviation and Interactions with the Local Institutional Environment". Après l'etude du cas de San Pablo Macuiltianguis, nous avons jugé nécessaire d'étudier un autre exemple, étant donné que la dynamique associative des immigrés de San Pablo Macuiltianguis, partagés entre deux associations rivales, était atypique dans la communauté de oaxaqueños aux Etats-Unis du fait des conflits internes qui l'animent. Par ailleurs, aucune des deux associations d'immigrés de San Pablo Macuiltianguis n'a entrepris de projet avec la communauté. Nous avons donc recherché une association qui a mis en place des initiatives de développement et nous sommes tombés sur l'association Nueva Esperanza des immigrés originaires de San Juan Teitipac.

L'étude des associations d'immigrés implique de couvrir les différents espaces et populations concernées qui constituent la communauté transnationale: la communauté d'immigrés à Los Angeles et la communauté d'origine au Mexique. Cependant, du fait du manque de moyen et de temps, nous n'avons pas pu couvrir tous les aspects des associations d'immigrés et leurs relations avec la communauté d'origine.

Dans le lieu de réception, nous avons fait le choix de combiner plusieurs techniques d'enquête de telle façon à pouvoir rassembler le maximum d'information dans les limites de temps et de moyens qui étaient les notres:

Pour les associations de San Pablo Macuiltianguis, ce travail a été réalisé lors de la première semaine de Juin 1998 avec l'aide de Felipe Lopez, étudiant mexicano-américain en thèse à l'Université de Californie de Los Angeles (UCLA). Nous avons couverts les deux associations de Macuiltianguis, OPAM et Asociación 2 de Abril, ainsi que les fédérations auxquelles ces associations étaient rattachées ou avaient été rattachées (ORO, OCSO et FIOB). Cependant ces organisations n'ont pas été couvertes de la même façon. L'Asociación 2 de Abril, à la différence de sa rivale, n'a pas pu être étudiée à fonds en raison de méfiance à notre éguard et du peu de temps que nous avions à disposition. Il en est de même pour deux des fédérations étudiées, La organización de Comunidades Serranas de Oaxaca, et le Frente Indigena Oaxaqueño Binacional. Mais pour cette dernière nous avons pu en partie compléter l'information par l'importante littérature sur la question.

Ce même travail a été poursuivi pour San Juan Teitipac, par Felipe López au cours du mois de Décembre de la même année.

L'enquête auprès de la communauté d'origine a été réalisée par le CRIM (1999) pour San Pablo Macuiltianguis dont les enquêtes contenaient des questions sur la migration et sur les associations d'immigrés. Pour San Juan Teitipac, le travail de terrain diffère de celui du CRIM et a été réalisé de façon beaucoup plus rapide par Felipe López au cours d'un séjour de 15 jours dans la communauté et comprenait des interviews ouvertes auprés d'un échantillon de ménages migrants et non migrants ainsi qu'avec les résponsables des principales institutions locales. Ce travail, s'il n'a réussi à rassembler que des informations très sommaires en raison notamment du peu de temps et de moyens dont il disposait, a néanmoins permis d'étudier la relation entre l'association et les principales institutions de la communauté.

Les communautés d’origine:

Dans cette partie, une présentation rapide est faite des communautés de San Pablo Macuiltianguis et de San Juan Teitipac. Pour une description plus détaillée nous renvoyons à la lecture des travaux du CRIM (1999) pour San Pablo Macuiltianguis et de Felipe Lopez pour San Juan Teitipac.

Les deux communautés d'études se situent dans deux régions différentes de l'Etat de Oaxaca du point de vue géographique (physique, climatique), socioculturelle et économique: Los Valles Centrales pour San Juan Teitipac et de la Sierra Juarez ou Sierra del Norte pour San Pablo Macuiltianguis.

Jusqu'à la fin de la premier moitié de ce siècle, les communautés de San Pablo Macuiltianguis et San Juan Teitipac se basaient sur une agriculture de subsistance couplée avec l'élevage. Par ailleurs, les ménages recourraient à d'autres activités pour se procurer des revenus monétaires pour la réalisation d'activités productives et l'achat de biens de première nécessité. A San Pablo Macuiltianguis de nombreux paysans pendant la saison de faible activité agricole, practisent le commerce ambulant et transport de marchandises, alors qu'à San Juan Teitipac, la fabrication et la vente de metate permettait à de nombreuses familles d'assurer leur subsistance. La migration saisonnière vers les exploitations agricoles des Etats voisins est aussi associée aux stratégies de subsistance des ménages ruraux en particulier à San Juan Teitipac. A partir des années 50, l'économie traditionnelle sur laquelle reposait les deux communautés est remise en question. L'activité agricole traditionnelle commence à ne plus pouvoir assurer la subsistance des ménages alors que les activités génératrices de revenus déclinent (CRIM 1999: 45).

Ces changements ainsi que d'autres facteurs ont favorisé, à partir de la fin des années 60 dans les deux communautés, le développement et la généralisation de la migration vers Los Angeles. Le développement de l'activité sylvicole à Macuiltianguis n'a pas modifié cette tendance et la migration demeure la stratégie de revenu préférée par les ménages ruraux du fait de la différence de salaire entre les deux activités mais aussi de la solidité des réseaux migratoires entre la communauté et Los Angeles. En revanche, l'absence d'autres alternatives de revenu dans la communauté de San Juan Teitipac n'a fait qu'entretenir le flux migratoire.

Dans les deux municipes, le phénomène migratoire se caractérise par son caractère économique et massif. Ce qui frappe avant tout dans les deux communautés, c'est la dimension et l'étendue du phénomène migratoire: un peu plus de la moitié de la population originaire réside en dehors de la communauté (56% pour Macuiltianguis). Il s'agit principalement de la population la plus active, aussi bien masculine que féminine, comme en témoigne les pyramides des âges des deux communautés.

Grâce à l'établissement de réseaux migratoires solides, le flux de migrants se dirige principalement, depuis la fin des années 60, vers Los Angeles. D'abord, temporaire, c'est-à-dire sur des périodes de 2 à 5 ans, la migration tend depuis le grand programme de régularisation et de lutte contre l'immigration clandestine Simpson-Rodino (ou IRCA) en 1986, vers une plus longue permanence avec notamment une tendance à la migration familiale et un début d'établissement définitif d'une partie de la communauté d'immigrés.

L'absence de réelle opportunité de revenu dans une communauté comme à San Juan Teitipac accroit l'importance des envois de fonds pour les familles de migrants. Malgré le prolongement du séjour des immigrés, ils sont prés des trois-quarts à envoyer plus ou moins régulièrement une partie de leur revenu (en moyenne 90 dollars par mois). Pour les ménages de migrants, les envois de fonds occupe une place considérable de leur revenu (CRIM 1999).

Le départ de membres actifs du ménage et de la communauté est compensé au niveau des ménages et des institutions communautaires par toute une série d'adaptations que l'étude du CRIM a bien mis en évidence et sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici. Cependant, la tendance à l'établissement des immigrés aux Etats Unis et l'apparition d'une seconde génération d'immigrés accroît le risque que les immigrés se détachent progressivement de leur lieu d'origine et pause un défis majeur à la survie des ménages et de la communauté de départ. Ce défis est affrontée par les ménages et par les autorités communautaires au travers de deux processus intimement liés auxquels contribuent les associations d'immigrés de ces deux communautés: l'institutionalisation de la migration et la transnationalisation de la communauté.

Analyse de l’implication des associations d’immigrés dans le développement de leur lieu d’origine

Les deux communautés d'immigrés originaires de San Pablo Macuiltianguis et San Juan Teitepec ont deux dynamiques associatives relativement différentes et atypiques chez les immigrés oaxaqueños de Californie. La communauté d'immigrés de San Pablo Macuiltianguis se distingue par la reproduction dans le lieu de réception des divisions internes qui secouent depuis plus de dix ans leur village d'origine et par l'absence d'initiative en faveur de la communauté d'origine. Ce conflit s'est traduit par la création d'une deuxième association. L'association d'immigrés de San Juan Teitipac se caractérise quant à elle par son orientation presqu'exclusivement en faveur du développement d'origine ce qui est encore rare dans la communauté de oaxaqueños en Californie.

Les variables déterminantes dans l’engagement des associations dans le développement de la communauté d’origine

Organisation et fonctionnement

Les associations étudiées reproduisent l'organisation relativement simple qui caractérisent la plupart des associations d'immigrés mexicains aux Etats-Unis. Le fonctionnement de l'association repose ainsi sur la constitution d'un bureau (mesa directiva) soit élu (pour deux ans dans le cas des deux associations macuiltianguenses) soit désigné par le fondateur et président de l'association Nueva Esperanza. Ces bureaux sont constitués par un Président, un Secrétaire Adjoint, un Trésorier, et selon les associations un ou plusieurs vocales responsables le plus souvent de l'organisation d'une activité spécifique (bals; événements sportifs, bulletin de l'association). Ils sont tous bénévoles. Leur principal rôle est d'organiser des événements récréatifs destinés à rassembler des fonds pour la réalisation d'activités pour les immigrés ou de micro-projets de développement en direction de la communauté d'origine.

Les trois associations ont un mode de fonctionnement différent. L'expérience associative qu'ont acquis les immigrés de San Pablo Macuiltianguis a favorisé l'établissement de règles qui régissent le fonctionnement de leurs associations. Les responsables sont renouvelés régulièrement (tous les deux à trois ans) au cours d'un vote. L'orientation de l'association est discutée au cours d'assemblées générales est soumises au vote des membres présents. Les responsables doivent aussi rendre compte régulièrement de l'etat des finances de l'association.

A l'opposé, l'existence récente de l'association Nueva Esperanza semble expliquer qu'il n'existe pas de règles bien définies sur les mécanismes de décision et de rotation à la tête de l'association. Nueva Esperanza se caractérise pour le moment par le rôle prédominant dans le fonctionnement de l'association de son fondateur et président. Ainsi, les membres du bureau n'ont pas fait l'objet d'un vote, ils ont été choisis au moment de la création de l'association par le fondateur de l'association. Il en est de même pour le programme de l'association. Cela est à mettre au compte probablement au jeune âge de l'association et aux conditions qui l'ont généré. En effet, la formation, l'identité et le dynamisme de l'association doit beaucoup à son actuel président qui a réussi, aprés une première tentative infructueuse quelques années auparavant, à rassembler en 1997 les immigrés autour de l'aide au développement du village d'origine.

Pour l'instant, il semble que la réalisation rapide du premier projet de l'association et la reconnaissance de celle-ci par les institutions politiques et économiques du village d'origine renforcent la confiance des immigrés de San Juan Teitipac vis-à-vis des responsables de l'association. Ce soutien tacite se mesure par les bénéfices que celle-ci réalise au cours des évènements pour collecter des fonds et par une fierté évidente d'avoir contribué à faire quelque chose pour le village d'origine. Le flou sur ces règles, et, en particulier, sur les formes de participation de ces membres, semble limiter pour l'instant les espaces de participation de la communauté d'immigrés de San Juan Teitipac. Le seul recours que les membres peuvent utiliser à l'encontre de l'association est celui de ne plus participer aux événements pour collecter des fonds.

Condition d’adhésion et participation

Dans le cas de l'association Nueva Esperanza et de l'OPAM avant la scission, aucune inscription ou côtisation ne sanctionne l'adhésion: celle-ci repose uniquement sur l'appartenance à la même communauté d'origine ce qui rend difficile l'évaluation du nombre réél de membres. La présence dans le lieu où est basé l'association ne constitue pas une condition nécessaire pour en être membre et il n'est pas rare que ces associations comptent des membres résidants dans d'autres localités de Californie voire des Etats-Unis qui ne se déplacent que lors de grandes occasions. En 1995, la création d'une deuxième association d'immigrés originaires de San Pablo Macuiltianguis à la suite de l'aggravation d'un conflit à l'intérieur de la communauté de San Pablo Macuiltianguis a modifié les conditions d'adhésion. En plus de l'appartenance à la communauté d'autres critères liés à la politique locale entrent désormais en compte. Nous approfondirons plus loin cet aspect.

Les caractéristiques des sympathisants de ces associations qui ressortent de nos enquêtes semblent se calquer sur celles de la communauté d'immigrés d’Oaxaca dans son ensemble. Il s'agit d'une population jeune, la moyenne d'âge étant proche des 30 ans composée par une relative majorité d'homme. Il existe cependant de légères différences entre les caractéristiques des membres des deux associations d'immigrés de Macuiltianguis. En effet, les membres de la OPAM ont une moyenne d'âge supérieure un peu plus élevée de celle de l'association rivale (30 à 35 ans). Les jeunes migrants qui ont entre 20 et 30 ans semblent beaucoup plus nombreux dans l'Asociacion 2 de Abril. La OPAM semble donc composer de migrants déjà établis aux Etats-Unis dont une partie importante ont réussi à faire venir leur famille à Los Angeles. Ces migrants appartiennent probablement à l'OPAM depuis de nombreuses annéees, c'est-à-dire bien avant la scission. La présence relativement importante de femmes s'explique notamment par un début de processus de réunification familiale.

L'immigré n'a aucune obligation (présence, côtisation) vis-à-vis de l'association. Dans le cas des deux associations de San Pablo Macuiltianguis, il a le droit de participer à l'élection du bureau et vote pour le programme de l'association. Il contribue au financement de l'association en s'inscrivant aux événements récréatifs payants organisés par l'association. La participation est donc libre et aucune sanction n'est prévue en cas d'absences répétées aux assemblées générales et aux événements récréatifs.

Trois niveaux de participation peuvent être identifiés au sein de ces associations d'immigrés. Le premier niveau est constitué par les membres du Bureau. Un deuxième niveau rassemble un petit nombre de membres actifs qui aident le bureau à organiser les évenements pour collecter des fonds. Ils constituent le noyau dur de l'association, ceux qui participent régulièrement aux assemblées générales. On trouve parmi eux, en particulier pour les associations macuiltianguenses, d'anciens responsables de l'association ou des membres de leur famille. Le troisième niveau de participation est constitué par l'essentiel des immigrés originaires de la communauté d'origine, qu'il conviendrait d'appeler sympathisants plutôt que membres, en raison de leur participation plus aléatoire à la vie de l'association. Ceux-ci participent de façon plus ou moins régulière aux bals et aux tournois sportifs. Afin de toucher cette population, les assemblées générales ont souvent lieu au cours de ces événements récréatifs.

Dans les trois associations, les femmes semblent être exclues des postes de responsabilité même si elles sont dans le cas des deux associations macuiltianguenses autorisées à voter au cours des assemblées générales. Elles sont le plus souvent associées à l'organisation des évènements récréatifs pour lesquelles elles dédient une part importante de leur temps.

L'organisation et le fonctionnement de ces associations convient aux objectifs relativement modestes qu'elles se sont fixées jusqu'à présent. Les deux associations de San Pablo Macuiltianguis consacrent la majeure partie de leur temps et de leurs fonds à l'organisation d'activités récréatives (bals, visites culturelles, tournois sportifs), à vocation sociale (information sur la régularisation; conseils aux familles dont les enfants sont exposés aux problèmes de délinquance) ou culturelles (organisation de la Guelaguetza) pour leurs membres. La principale activité de ces deux associations est l'organisation de la Guelaguetza en collaboration avec les autres associations de leur fédération respective (ORO pour l'OPAM et OCSO pour l'Asociaciòn 2 de Abril). La Guelaguetza est un festival culturel organisé chaque année où chaque association d'immigrés présente sa danse traditionnelle et autres traditions. Le but déclaré de ces activités est de maintenir la cohésion de la communauté d'immigrés et de conserver les traditions indiennes zapotèques. Quelques différences existent entre les deux associations qui traduisent une orientation légérement différente. En effet, l'OPAM depuis son "bânissement" de la communauté concentre ses activités sur la communauté d'immigrés et les problèmes d'intégration que peuvent connaitre ses membres (organisation de réunions d'information sur des problèmes d'intégration, etc.). L'associaciòn 2 de Abril semble accorder plus d'importance aux activités récréatives (bals et tournois sportifs). Il n’existe aucun projet de développement en direction de la San Pablo Macuiltianguis, mais des envois d'argent plus ou moins réguliers pour des oeuvres charitables (envois d'argent en soutien aux sinistrés oaxaqueños du cyclone Paulina) et le financement de la fête patronale.

En revanche, l’association Nueva Esperanza a pour principal objectif la promotion d’initiative de développement dans la communauté d’origine. Celle-ci a à son actif qu’une seule réalisation en direction de sa communauté d’origine en raison de sa création récente. Il s’agit de l’achat d’une camionnette de 17 000 dollars pour en faire une ambulance. Il a fallu l’organisation de quelques activités récréatives organisées par l’association pour rassembler cette somme. La rapidité avec laquelle a été mené à bien ce projet, rend confiant les responsables de l’association quant à la réalisation de projets plus importants et complexes comme la construction d’une digue pour l’irrigation.

Cependant, l'analyse de l'organisation et le fonctionnement de l'association Nueva Esperanza montre que l’association pourrait difficilement mettre en place des activités qui requièrent un dispositif plus complexe, tels que des projets productifs dans la communauté d'origine. Le bénévolat des responsables suffit à peine à l'organisation d'événements pour la collecte de fonds et la gestion des affaires courantes de l'association. De plus, le fonctionnement des associations et de leurs activités s'appuit sur un financement peu diversifié et aléatoire qui ne se prête guère au financement de tels projets. Le financement par l'organisation d'événements pour la collecte de fonds présente des risques pour des bénéfices qui sont en général assez limités. Ces galas demandent en effet un capital de départ important et doivent faire face à la prolifération de ce genre d'évènements dans la communauté d'immigrés. Il n'est pas rare que ces-derniers coutent plus qu'ils ne rapportent. Des efforts pour diversifier les entrées d'argent ont été entrepris par la OPAM et l'association Nueva Esperanza mais ils se limitent à proposer de nouveaux divertissements. Le recours à des financements extérieurs à la communauté est inexistant du fait de la méconnaissance bien souvent de ce type d'aide et la méfiance vis-à-vis des acteurs externes à la communauté.

Bien que pour l’achat d’une camionnette une structure associative plus solide n'est pas nécessaire, on peut se demander tout de même, si le rôle prédominant du président de l'association Nueva Esperanza et l'absence de règle de rotation et de participation dans l’association peut constituer à la longue un obstacle au fonctionnement de l'association et à la réalisation de projets, notamment plus complexes, ou si au contraire il s'agit d'un des éléments qui a déterminé la rapide réalisation et la réussite du projet.

Cohésion et la relation avec la communauté d’origine

Les relations entre la communauté et les associations sont déterminantes dans la réussite des projets des associations d’immigrés. Les quelques études conduites sur les associations d’immigrés ont montré que les échecs des initiatives des associations d’immigrés sont soit liés à la prise en compte insuffisante des populations locales dans le choix et la formulation des projets, soit à l’apparition de conflits entre les responsables des associations et les représentants des institutions traditionnelles de la communauté.

Le cas de San Pablo Macuiltianguis est atypique. Il montre comment un conflit dans la communauté d'origine finit par "déteindre" sur les immigrés et leur organisation provoquant une fracture en son sein. Au début des annéees 80 la communauté d'immigrés macuiltianguenses se présentait favorisant la création d’une des premières associations de ressortissants de Oaxaca: la OPAM. Malgré la résurgence quelques années plus tard d’un conflit ancien divisant la communauté, la communauté d’immigrés a réussi à se maintenir à l’écart de celui-ci, la OPAM décidant de ne pas se prononcer publiquement dans les affaires de la communauté d'origine. En 1995, l'engagement public des responsables d'alors en faveur de la faction minoritaire a précipité la fracture de la communauté d'immigrés. Les autorités villageoises dirigée par l'autre faction (les "accuseurs") ont répondu par la création d'une nouvelle association: l’Asociación 2 de Abril, à la présidence de laquelle il ont placé un homme de confiance, sanctionée par un document dans lequel les principales institutions de la communauté disent ne reconnaître que cette organisation. Depuis, les autorités communautaires et la nouvelle association n'entretiennent plus aucun contact avec la OPAM ce qui explique son orientation exclusive vers des activités pour ces membres. La relation entre la communauté d’origine et l’Asociaciòn 2 de Abril est quant à elle marquée par le contrôle des autorités de la communauté sur les responsables qui contrôle l'Asociacion. Cette ingérence réduit la marge d’initiative de l'association notamment pour toute démarche en direction de la communauté à moins que la communauté d’origine en fasse la demande, ce qui n’est pas le cas.

En effet, dans la communauté de San Pablo Macuiltianguis, l’association d’immigrés n’est pas encore perçue comme un facteur de transformation sociale. Les actions entreprises d’abord par l’OPAM puis par l’Asociaciòn 2 de Abril n’ont eu aucunement comme objectif la transformation du système de production en place. Il s’agit plus d’une affirmation pour les immigrés de leur appartenance à ce milieu qu’ils ont dus quitter. Les relations entre l’association et la communauté d’origine se réduisent donc à des envois d’argent symboliques pour financer la fête patronale ou des oeuvres charitables. Néanmoins, le village d’origine est conscient qu’il pourra compter dans des situations de crise sur la solidarité et la capacité de la communauté de macuiltianguenses à collecter rapidement des fonds. L’Asociaciòn 2 de Abril a ainsi récemment prouvé qu’elle pouvait mobiliser la communauté en rassemblant plusieurs millier de dollars pour venir en aide à un village de Oaxaca sinistré à la suite du cyclone Paulina.

En revanche, malgré sa jeune existence, l’association Nueva Esperanza est déjà perçue au niveau de la communauté comme un facteur de transformation sociale. Au niveau de la communauté d’immigrés, le rôle de leadership joué par le principale responsable de l'association Nueva Esperanza a été déterminant dans la création de l'association et dans la mobilisation des immigrés autour des objectifs et de l'orientation vers le développement de la communauté d'origine et dans la réussite de leur projet. La cohésion repose aussi sur le caractère rassembleur et du projet de l'association ainsi que la capacité des responsables à réaliser le projet. L'habileté avec laquelle l'association à mener à bien cette première initiative en commençant par un projet peu complexe, peu risqué et rapidement réalisable, a effacé les réserves ou critiques des immigrés à l'origine quelques années auparavant de l'echec dans la création d'une association, et à fait naître en eux un sentiment de fierté.

Par ailleurs, la volonté, dès le départ, d’incorporer les représentants des différentes institutions de la communauté d’origine dans les différentes phases du projet (choix du projet, financement, suivi) a permis la légitimation locale de l'association. Un document officiel reconnait l'association et son rôle. De même, plusieurs réunions ont été organisées à San Juan Teitipac pour définir les axes de collaborations futurs entre les diverses institutions locales (municipalité, organisations de producteurs) et l'association. Cette approche et le succés du premier projet de l’association a permis ainsi de remettre en vigueur et de remotiver les institutions socio-économiques existantes dans la communauté. De même, l’association Nueva Esperanza pourrait être à l’origine d’une association constituée d’anciens immigrés qui représenterait celle-ci dans la communauté. Plusieurs projets sont ainsi étudiés avec les différents acteurs de la vie sociale et économique de la communauté, tels qu’un soutien financier à la crèche, l'assainissement, la construction d'une digue pour l'irrigation ou la création d'un couloir touristique pour promouvoir les activités artisanales locales (metateros). Une sorte d’accord tacite semble avoir été passé entre les immigrés et les institutions locales. L’association fournit un soutien financier, technique et logistique, et en échange la communauté se charge de fournir la main-d’oeuvre et d’entretenir la réalisation. Cependant, on peut se poser des questions sur la capacité de l'association et de la communauté à mener certains de ces projets et leurs effets induits tels que la digue. Ce dernier projet est celui qui semble avoir retenu le plus d'attention chez les responsables de l'association et de la communauté.

Le succès de l’association dépendra aussi de sa capacité à gérer sa relation avec la communauté et à maintenir son indépendance vis-à-vis des instances politiques locales. Smith (1998) a montré la difficulté d’une association mixtèque à éviter la récupération de l’initiative par les caciques locaux. Cependant, aucun indice nous permet de dire qu’il existe de profondes divisions à San Juan Teitipac.

L’appui externe

Les fédérations d’associations d’immigrés

Les deux associations de migrants de San Pablo Macuiltianguis font partie de deux fédérations différentes. L’OPAM est membre de l’Organizaciòn Regional de Oaxaca (ORO) alors que l’Asociaciòn 2 de Abril appartient à l’Organizaciòn de las Comunidades Serranas de Oaxaca (OCSO), une fédération toute récente qui a été créée par sa propre initiative et qui regroupe des associations déçues par l’ORO[1]. Il n’est pas encore question chez les responsables de l’association Nueva Esperanza de rejoindre une de ces fédérations.

Contrairement aux associations d’immigrés originaires de Zacatecas ou dans une moindre mesure de Jalisco, les fédérations d’associations d’immigrés de Oaxaca n’ont pas la capacité financière, logistique et politique pour jouer un rôle de promoteurs d’initiatives de développement et de médiateurs entre les associations et les autres acteurs de développement. Cela tient à la structure peu rigide et stable de ces fédérations qui s’explique par:

Comme conséquences de tout cela, la composition des associations membres change régulièrement et l’absentéisme aux réunions de la fédération est un problème fréquent. Les deux fédérations se consacrent donc essentiellement chaque annéè à coordonner l’organisation de la Guelaguetza et de tournois sportifs.

Autres formes d’appui

La relation entre les trois associations et les autorités consulaires est très limitée du fait de la méfiance que les oaxaqueños entretiennent avec les pouvoirs publics. Ils ne répondent pas aux invitations du Consulat pour assíster à des présentations de programmes ou d’initiatives en faveur de la communauté mexicaine à Los Angeles. Il existe une connaissance très limité du programme Solidaridad internacional («2 por 1»). Tout récemment trois associations d’immigrés de Oaxaca ont entrepris avec le soutien de l’ORO, les démarches pour financer une partie de leur projet avec le programa solidaridad internacional.

Les trois associations étudiées n'ont pas entrepris de collaboration avec des ONG oeuvrant dans le développement. Cette forme de collaboration est à notre connaissance plutôt parmi les associations d'immigrés mexicains oeuvrant pour le développement de leur communauté d'origine[4].

Le contexte de la migration

Le contexte dans lequel se produit la migration est important dans la formation des immigrés en association et dans l’orientation des activités des associations.

Les conditions dans la communauté d’origine

L’existence d’une ou plusieurs autres sources de revenu dans la communauté d’origine pouvant être utilisés pour des projets d’intérêt communautaire semble réduire le rôle de financeurs/bailleurs de fonds des immigrés. C’est le cas de San Pablo Macuiltianguis avec le développement d’une activité sylvicole dont une partie des bénéfices est utilisée dans ce sens. Les entretiens que nous avons eu avec les responsables de l’Asociación 2 de Abril le confirme. A la question s’ils envisagent de promouvoir des initiatives en faveur de la communauté d’origine, ils répondent que cela n’est pas nécessaire du fait que la communauté peut compter sur les revenus de l’exploitation forestière. Ainsi, les bénéfices dégagés par l’exploitation sylvicole a déjà servi à la réalisation de plusieurs petits projets d’infrastructures sociales (CRIM 1999).

La capacité d’épargne de la communauté d’immigrés de San Pablo Macuiltianguis est donc utilisée jusqu’à maintenant pour couvrir les dépenses importantes des fêtes locales. Comme le montre l’envoi rapide de fonds de la part de l’Asociación 2 de Abril à une communauté de Oaxaca touchée par le cyclone "Paulina", cette épargne collective représente, très probablement, pour les institutions locales un capital de sécurité sur lequel elle peuvent compter en cas de besoin urgent de fonds. La migration reste donc perçue comme une strategie familiale.

En revanche dans le cas de San Juan Teitipac, l’absence d’activités rénumératrices et le déclin de l’agriculture de subsistence accroît le rôle des immigrés comme générateurs de fonds pour des projets d’intérêt communautaire et il existe désormais une demande de soutien de la part des différentes institutions locales (Asociación de Metateros et associations de producteurs agricoles).

Aux Etats-Unis

Les difficultés d’intégration dans la société du lieu de réception des familles migrantes oaxaqueños créent de leur part une demande d’assistance qui explique que les associations d’immigrés développent des initiatives en faveur de celles-ci. Les associations doivent faire face notamment à des problèmes de situation migratoire, de délinquance des leurs enfants, de paupérisation, etc. Les activités culturelles comme la Guelaguetza ou les tournois sportifs, outre à servir à maintenir le lien social parmi les migrants, servent à éloigner les jeunes des problèmes de délinquance.

La nature et l’évolution du phénomène migratoire

La tendance que prend la migration dans les deux communautés (migration familiale et plus longue permanence) peut avoir deux effets contraires: d’une part elle peut se traduire auprès de la première génération par le besoin de renforcer les liens avec le lieu d’origine; d’autre part, par le désengagement progressif du village d’origine de la part notamment de la deuxième génération, qui peut se traduire par une orientation des activités de l’association plus vers les immigrés, ou l’affaiblissement voire la disparition de l’association.


[1] Il existe une troisième fédération d’associations oaxaquenas: le Frente Indigena Oaxaqueno Binacional (FIOB), dont les objectifs sont essentiellement politiques.
[2] Les rivalités ancestrales qui caractérisent les relations inter-villageoises et inter-ethniques dans l’Etat de Oaxaca sont en partie à l’origine de l’eclatement de la communauté de Oaxaquenos ainsi que de l’instabilité interne de ces fédérations.
[3] Ces fédérations diffèrent peu des associations d’immigrés par leur taille et dans leur fonctionnement. Elles reposent elles aussi sur la disponibilité de quelques bénévoles qui en plus de leur travail dans leur association doivent également consacrer du temps à la fédération.
[4] Les associations d'immigrés Mexicains et leur fédération avec des ONG entretiennent des contacts avec des organisations de latinos (telles que la National Association of Latino Elected Officials (NALEO), Mexican American Bar Association (MABA), California Rural Legal Assistance (CRLA), un syndicat Mexicano-Americain: Laborers' International Union of North America Local 652) notamment pour repondre aux menaces qui pèsent régulièrement sur la communauté d'immigrés comme ce fut le cas lors de la proposition 187 qui voulait réduire en Californie l'accés des immigrés et leurs enfants aux services de santé et d'éducation.

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