La communicationrurale : un lien stratégique pour la réduction de la pauvreté au Niger
Communication de Djilali Benamrane, économiste, Niamey/Niger, 18 septembre 2000
L'information et la communication sont vitales dans les activités socioéconomiques humaines. Dans les années récentes, les progrès technologiques procurent aux habitants des zones urbaines et rurales des capacités nouvelles accroissant leur productivité, améliorant la satisfaction des besoins vitaux et renforçant l'implication des populations, en particulier dans la lutte contre la pauvreté et la bonne gouvernance locale.
Au Niger, l'un des pays les plus pauvres du monde au regard de son classement dans les rapports mondiaux annuels du développement humain du PNUD (173ème sur 174 pays classés dans le rapport mondial 2000), tous les partenaires au développement, Gouvernement, opérateurs publics et privés, bailleurs de fonds, ONG, société civile, sont impliqués dans un processus participatif pour propulser les populations rurales dans l'ère des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). L'expérience en cours est menée dans le cadre de `'RURANET/CID'': Réseau des radios rurales et centres d'information pour le développement.
1. Une approche globale et participative
RURANET/CID procède d'un effort de collaboration mené dans une approche participative impliquant les Nigériens tant au niveau national que local, les institutions internationales, les organisations non gouvernementales, l'ensemble mobilisant expertise et autres ressources pour répondre aux besoins des populations rurales en matière d'information et de communication pour le développement économique et social, orienté prioritairement sur la réduction de la pauvreté et la participation des populations rurales en faveur de la bonne gouvernance au plan local et national.
Les activités de RURANET/CID comprennent:
- Mise en place d'un réseau de 160 radios rurales solaires autogérées couvrant l'ensemble du territoire national (20 unités par région);
- Mise en place de Centres d'information pour le développement (CID) autour d'unités de radios rurales pour la promouvoir l'usage de l'énergie solaire pour la télévision, les pompes à eau, le séchage des fruits et légumes, la mouture des céréales ou l'accès aux multimédias;
- Des activités de formation pour renforcer la capacité des associations locales à gérer des activités d'information et de communication avec des productions de programmes de qualité, en langues locales.
2. Une stratégie à long terme
S'inscrivant dans le cadre de la stratégie nationale de réduction de la pauvreté et de la politique nationale de la communication dont le Gouvernement achève la formulation avec l'appui des institutions de Bretton Woods, de l'UNICEF et de la FAO, l'initiative RURANET/CID requiert plusieurs années pour sa mise en œuvre. Depuis son démarrage l'été 1999, trois phases principales ont été identifiées.
- An 2000: phase expérimentaleavec la mise en place d'un premier réseau de huit radios rurales solaires autogérées, une dans chacune des régions du pays à l'exception du District urbain de Niamey. Le partenariat opérationnel en cette phase est composé du PNUD, d'ACMAD (Centre africain de la météorologie appliquée au développement) et de la SNV (Coopération hollandaise).
- 2001- 2002: phase de consolidation avec la mise en place de 20 unités de radios rurales solaires autogérées dans chacune des huit régions du pays, confortées par les Centres d'information pour le développement. En cette phase de consolidation, le partenariat est ouvert aux partenaires du Système des Nations Unies (UNICEF, FAO, FNUAP, UNESCO, FIDA, CEA, etc...), aux partenaires bilatéraux (France, Canada, Suisse, USA, Hollande, etc..) et multilatéraux (Banque Mondiale, Union Européenne, Agence internationale de la Francophonie -AIF, etc...), opérateurs privés internationaux telles les fondations de World Space, de Baygen ou l'entreprise canadienne Wantok).
- 2003-2007: phase de généralisation avec l'extension des unités RURANET et des CID dans toutes les communes dans le cadre de la politique de décentralisation, l'ouverture de cette phase à l'ensemble des partenaires concernés par les activités d'information et de communication.
3. Des objectifs ambitieux
L'initiative RURANET/CID vise à doter les populations rurales d'une capacité réelle d'accès et de maîtrise des NTIC. L'appropriation des émissions à partir de radios rurales donnera aux populations des `'sans voix'' les moyens de prendre part et de contribuer au débat national, régional et local, spécialement dans les domaines du développement axé sur la lutte contre la pauvreté, de la décentralisation et de la bonne gouvernance.
Le renforcement progressif des capacités locales d'information et de communication facilitera les négociations en cours d'implantation d'une unité montante, ce qui permettra au Niger de pouvoir diffuser sur le satellite Afristar des sélections de programmes pouvant être captés et écoutés avec confort à l'aide de récepteurs numériques sur l'ensemble du territoire nigérien ainsi que sur de larges zones africaines et européennes et à l'aide de simples récepteurs sur les zones couverts par des radios rurales solaires, capable de retransmettre en direct ou en différé les programmes diffusés via Afristar.
4. Bankilaré : Le point de départ de l'initiative RURANET/CID
4.1. Bankilaré: expérience appelée à être répliquée
- Bankilaré est un des plus pauvres villages au Niger, situé à 240 Km à l'Ouest de Niamey;
- Village enclavé, à 120 Km de piste de Téra, le chef lieu d'Arrondissement;
- 2.000 Habitants environ y vivent dans un environnement précaire, sans réseau d'électricité, de téléphone ou d'eau potable;
- 10.000 nomades vivent autour du village dans un rayon de 20 à 25 Km.
- Le Document d'appui du PNUD au Programme National de lutte contre la pauvreté a identifié Bankilaré comme zone prioritaire d'intervention et l'accès à l'information et à la communication comme besoin essentiel notamment des populations féminines locales.
4.2. La communication, une priorité et un besoin urgent pour la population de Bankilaré
- La population locale y rencontre les plus grandes difficultés pour recevoir les émissions de la radio nationaleou régionale.
- A de très rares exception, il n'existe pas de radios récepteurs puissants ni de moyens pour acheter des batteries.
- Peu de programmes émis par l'ORTN le sont en langues compréhensibles localement (Songhaï, Tamacheq, Peulh ou arabe).
4.3. Le développement
Les enjeux étaient:
- Trouver des solutions adaptées aux besoins des populations et aux conditions d'y répondre durablement;
- Tenir compte du bas niveau des revenus et de l'absence des sources d'énergies classiques;
- Développer des programmes produits par les populations et répondant à leur besoin dans les langues locales.
4.4. Une stratégie communautaire et participative
L'approche a consisté en :
- Créer des associations communautaires capables d'autogérer une unité de radio rurale solaire;
- Construire un local d'exploitation avec une architecture sans bois et mobiliser une équipe d'animation et de gestion d'émissions sur le développement;
- Obtenir l'autorisation d'émettre;
- Distribuer des radios récepteurs à manivelle et à énergie solaire pour écoute collective;
- Participer au réseau de radios rurales et contribuer aux activités de recherche et d'applications en NTIC.
4.5. La première radio rurale solaire autogérée, opérationnelle à Bankilaré
Objectif d'un coût unitaire minimum:
- Console de transmission, mât, antenne, panneau solaire et batteries: $10.000, y compris des équipements complémentaire pour le multimédia;
- Construction d'un local d'exploitation sans bois $2.000 avec participation des populations à la construction;
La radio rurale de Bankilaré
- Distribution d'une centaine de récepteurs radios à manivelle et solaire pour écoute collective $3.000;
Radio Baygen à manivelle et solaire
- Tous les équipements devant fonctionner à l'énergie solaire pour éviter les charges récurrentes.
Objectif 1. de durabilité grâce à une autogestion effective de la part de l'association totalement responsable de l'exploitation
- Sept animateurs bénévoles durant les six premiers mois, puis rémunérés à 7.500 FCFA/mois: 12$;
Une des animatrices
- Les animateurs utilisent les moyens de transport des projets de développement locaux (pauvreté et environnement) pour couvrir les reportages;
- l'association a développé une capacité de mobilisation des ressources: 500.000 FCFA soit 800 $ provenant de contribution diverses, de revente de radios récepteurs FM «Baygen» offerts par ACMAD;
- l'association a obtenu un engagement du projet environnement de 10.000$ pour l'achat de récepteurs Baygen 3.000$, d'achat de petits équipements: 2.000$ et pour la formation 5.000$;
- l'association a identifié des partenaires pour contribuer au financement d'activité de création du CID
Objectif2.: respect de la législation et des procédures nationales telles que définies par Décret N° 001/CSC du 17/7/95
- l'association dépose ses statuts et demande une autorisation d'émettre au près de l'Observatoire national de la communication (ONC) sur la base d'un programme à dominante développement;
- après visa du ministère de l'intérieur pour les statuts, de l'ONC et du ministère des communication pour le droit à émettre, une autorisation provisoire de trois mois est donnée pour les tests technique suivie d'une autorisation pour cinq ans renouvelables.
Objectif 3.: simplification des procédures, dans le cas de Bankilaré
- septembre 1999: atelier de sensibilisation des populations et création de l'association;
- octobre 1999: obtention de l'autorisation d'émettre;
- octobre 1999 installation des équipements offert par le Consortium PNUD/ACMAD/SNV et émission dans un local prêté par le projet SNV;
- avril 2000 installation dans les locaux construits par l'association.
Objectif 4. application de l'approche participative et communautaire:
- mise en place d'un comité de direction de trois membres élus(président, secrétaire et trésorier) ;
- mise en place d'un comité de gestion de sept membres élus;
- et mise en place d'un comité de contrôle de la qualité des programmes diffusés de sept membres élus
- mobilisation de sept animateurs volontaires quasi bénévoles pour produire des émissions en Songhaï, en Tamacheq et en Peuhl:
- sur les 17 membres, 6 sont des femmes;
- sur les 7 animateurs, 3 sont des femmes.
4.6. Les phases suivantes
Consolider l'expérience de Bankilaré qui commence a avoir une renommée internationale en entreprenant les actions suivantes:
- renforcer la gestion de l'unité par la formation des gestionnaires, contrôleurs et animateurs;
- promouvoir les apports de la radio numérique satellitaire `'World Space'' et les potentialités des canaux `'Africa learning Channel'' et le `'Canal Educatif de la Francophonie'';
- promouvoir les multiples applications en NTICs avec des application de la radio numérique en réception de l'image et des données par voie satellitaire sans besoin d'électricité ni de téléphone;
- rendre disponible pour les populations locales qui le souhaitent des statuts types, des règlements intérieurs, des grilles de programmes répondant aux impératifs de développementlocal : deux tiers de la grille en rubriques élaborées dans les langues locales portant sur les thèmes de développement, l'autre tiers réparti entre les rubriques d'information, de distraction, d'annonces, d'avis, de communiqués et de publicité;
- créer les meilleures conditions pour la mise en place d'un Centre d'Information pour le Développement qui réponde de façon durable aux besoins effectifs et à la capacité d'autogestion des populations avecla mise en place d'une télévision solaire, d'une téléphonie solaire,d'une pompe solaire, d'un moulin solaire, d'un centre d'application multimédia;
- créer des activités génératrices de revenus induite par les activités d'information et de communication;
- s'intégrer au réseau des radios rurales RURANET/CID afin de bénéficier des ressources mobilisées par son Comité de pilotage de l'initiative de développement des radios de proximité (CPRP).
- Le CPRP est présidé par un représentant de la société civile l'association nigérienne de défense des droits de l'homme (ANDDH). Il comprend des représentants des opérateurs publics et privés, des ONG, des partenaires au développement et des administrations concernées par la production de programmes de sensibilisation en matière de développement économique et social.
- Le comité comporte cinq commissionsprésidées comme suit: celle de la programmation par la SNV, celle de la formation par l'UNICEF, des NTIC par la SONITEL, des équipements par ACMAD et de la mobilisation des ressources par le Ministère du développement rural.
- La première phase consistant en la mise en place de sept unités type Bankilaré s'est achevée l'été 2000, outre Bankilaré dans la région de Tillabéry qui fonctionne depuis un an, Belbéji dans la région de Zender et Tchin Tabaraden dans la région de Tahoua fonctionnent depuis plus de six mois, enfin Aderbi Sanet dans la région d'Agades, N'Gourti dans la Région de Diffa, Douméga dans la région de Dosso et Bermou dans la région de Maradi fonctionnent depuis plusieurs semaines.
- Une seconde phase de consolidation concernera la mise en place de quatorze autres unités type Bankilaré pour fonctionner fin de l'année 2000.
- Une troisième phase de généralisation portera le nombre d'unités à 160 soit 20 unités dans chacune des huit régions du pays.
Conclusion
Bankilaré constitue un exemple remarquable en matière d'expérience d'accessibilité à l'information et à la communication des pauvres, des sans voix et des populations isolées. Bankilaré a déjà servi avec succès de centre de promotion et de formation pour les associations de radios rurales de Belbéji et de Tchin Tabaraden et servira dans l'avenir pour d'autres associations. Le cas de Bankilaré a été exposé et a connu un grand retentissement lors des travaux de l'atelier organisé en avril 2000 à Addis Ababa en faveur des professionnels de la communication et des spécialistes intéressés. Tout récemment, en août 2000, une mission UNESCO, l'Ambassadeur de France au Niger et la Déléguée de la Commission de l'Union européenne ont assisté à Bankilaré à une opération de téléchargement de documents, type page Web transmis de Washington par World Space via le satellite Afristar et reçus directement au village sur le récepteur numérique connecté à un micro ordinateur le tout fonctionnant par la seule énergie solaire sans autres facilités énergétiques ou téléphoniques.