R. ST. BARBE BAKER
RICHARD ST. BARBE BAKER est le fondateur de la société Men of the Trees. Il s'est retiré en Nouvelle-Zélande mais les problèmes du Sahara le passionnent toujours. autres
C'EST EN 1920, peu après ma nomination comme conservateur adjoint des forêts en Afrique orientale, que je pris conscience de l'importance de la lutte contre la progression du Sahara en Afrique équatoriale.
Des rapports sur la situation dans le nord signalaient que des tribus étaient assiégées dans des îlots de forêt, reculant sans cesse devant des centaines de kilomètres de désert, lequel resserrait de tous côtés son étreinte. Les chefs avaient interdit tout mariage et les femmes se refusaient à avoir des enfants car l'avance inexorable des sables leur interdisait tout espoir.
Profondément impressionné, je résolus de faire ce que je pouvais, en tant que responsable de milliers de kilomètres carrés au Kenya, y compris les terres quasi désertiques s'étendant au nord jusqu'à Turkana et au-delà, lorsqu'il apparut que seule une série de ceintures forestières de protection pouvait endiguer le déferlement incessant des sables sahariens.
Les subventions accordées pour les plantations étaient maigres et je parvins à la conclusion qu'il était indispensable d'obtenir le concours entier des populations pour stopper cette marée destructrice.
J'avais appris que tout effort constructif était précédé d'une danse; ainsi une danse était organisée lorsqu'on plantait les haricots et une autre lors de la moisson. J'invitai donc les maîtres de danse à ma station forestière de Muguga pour m'entretenir avec eux et organiser l'inauguration dans tout le pays d'une danse nouvelle - la danse des arbres - pour célébrer leur plantation.
Il fallait beaucoup de temps pour dépêcher des coureurs dans les régions plus reculées. Enfin arriva le grand jour de la première danse des arbres et 3 000 morans, ou jeunes guerriers, se présentèrent à ma station forestière, le corps bariolé des peintures de guerre et portant des lances et des boucliers comme pour la bataille, mais la pointe de chaque lance portait une boule de plumes d'autruche-ces guerriers venaient en paix. A un signal donné, ils défilèrent devant le bungalow, groupés par clans; finalement la foule s'aligna devant un mugumu solitaire, arbre sacré-un ficus qui se rapproche beaucoup du banian de l'Inde.
Je dois rappeler ici que lorsque les Kikuyus abattaient une forêt pour cultiver la terre, ils laissaient toujours un mugumu chargé de recucillir les esprits des arbres pour éviter que ceux-ci se mettent à errer et à s'agiter. Cette sollicitude qu'ils témoignaient aux esprits des arbres abattus par eux me convainquit qu'au fond d'eux-mêmes ils aimaient les arbres et qu'il serait assez facile de leur dire un mot de la contribution biologique des arbres à la vie et de la place essentielle qu'ils occupent dans une communauté agricole. La première fois que j'avais souligné l'importance des plantations d'arbres, ils avaient observé: Shauri ya munqu - c'est l'affaire de Dieu. En d'autres termes, les arbres poussent tout seuls. Ils ne songeaient pas que s'ils abattaient tous les arbres semenciers, il serait bien difficile de régénérer la forêt. En raison de leur mode de culture nomade il leur fallait chercher de plus en plus loin des branchages pour cuire leurs aliments. Jadis, une heure ou deux suffisaient, mais désormais il leur fallait marcher deux ou même trois jours. C'était les femmes qui allaient dans la forêt ramasser le bois et c'était elles encore qui plantaient et entretenaient les cultures potagères: haricots, pois, ignames, gombos et patates. Aussi bien à la première danse des arbres les femmes sont venues par milliers avec les enfants et les vieillards.
Tous s'étaient assemblés dans la clairière derrière la station forestière, près du mugumu sacré. Jamais dans l'histoire de leur pays, une telle réunion n'avait eu lieu. Le spectacle était extraordinaire. De la plate-forme construite spécialement pour l'occasion, je m'adressai à la foule par l'entremise du chef Josiah Njonjo lequel, naturellement éloquent et doué d'une imagination fertile, diffusait et appuyait l'appel que je voulais absolument communiquer à ces cultivateurs nomades occupés depuis des générations à abattre la haute forêt pour cultiver la terre. Ce jour-là, c'était le 22 juillet 1922, j'ai demandé des volontaires pour planter les arbres.
Les volontaires furent bientôt surnommés Watu Wa Miti - hommes des arbres. Ils étaient sortis du rang et, à l'instar des scouts, s'étaient engagés à faire une bonne action chaque jour et, en outre, à planter chaque année 10 arbres (plants ou semences), et à protéger les arbres où qu'ils se trouvent. L'idée fit son chemin car, à l'avenir, personne ne pouvait participer à la danse des arbres sans avoir honoré cet engagement. Chaque section de Watu Wa Miti était dirigée par un chef dénommé guide forestier. Les arbres étaient plantés entre les champs de maïs et les champs de patates et lorsque un exploitant s'en allait cultiver une nouvelle clairière, il laissait ainsi derrière lui un embryon de forêt. Nous avons pu ainsi reconstituer et améliorer le couvert forestier original avec des espèces recherchées: mutarakwa (Juniperus procera) ou cèdre du Kenya et mutamaiyu, du Kenya, ainsi que d'autres arbres estimés pour la production de bois d'uvre. A ce propos, il était intéressant du point de vue écologique, de constater que les pigeons se nourrissaient de baies de genévrier et que les semences ingérées par eux germaient;. La viabilité des graines était brève et il fallait que l'enveloppe externe ou péricarpe soit désintégrée avant que la semence puisse germer. C'est en étudiant les voies de la nature que j'ai été amené à faire tremper les semences dans l'eau chaude additionnée d'une petite dose d'acide sulfurique pour reproduire à peu près l'effet exercé par les sucs gastriques du pigeon. Lorsque l'on semait le fruit sans l'avoir traité, le taux de germination était inférieur à 5 pour cent, Si l'on s'inspirait de l'exemple de la nature, ce taux passait à 95 pour cent et bientôt on comptait dans les pépinières des dizaines de milliers de plants prêts à être transplantés. Et tout cela se passait à Muguga qui signifie lieu sans arbres.
En fait, cette station forestière était située dans un des plus beaux décors du monde; peu après l'aube j'apercevais habituellement le sommet enneigé du Kirinyaga (5 200 m) qui a donné son nom au Kenya, et au sud, de la véranda, on découvrait les 5 800 mètres du Kilimanjaro culminant en un plateau, table gigantesque nappée de neige.
A Muguga venaient des membres des Watu Wa Miti en quête d'une bonne action planter des petits mutaraksa. Ils s'adonnaient à cette tâche avec amour comme à un jeu ou un passe-temps et dans cette première pépinière plus de 80 000 jeunes arbres furent produits.
Si j'ai mentionné ces détails, c'est que je crois beaucoup plus à la coopération volontaire qu'à un système autoritaire quelconque, surtout lorsqu'il s'agit de reboiser de grandes superficies sous un climat difficile, ce qui exige beaucoup de soins et de dévouement.
Pour remercier le chef Josiah Njonjo de ses longues années de collaboration fidèle, je l'invitai personnellement à venir à Londres en 1953 pour le couronnement de la reine Elizabeth II. A sa descente d'avion, il fut interviewé par la British Broadcasting Corporation pour son émission quotidienne intitulée In Town Tonight:
«Vous êtes un chef africain?» lui demanda-t-on. «Oui, répondit Josiah. J'ai reçu la King George's Gold Medal pour mes longs et loyaux services et je viens assister au couronnement de la fille du roi». «Et quelles sont les fonctions d'un chef?» demanda le reporter. «Le chef fait entendre au peuple la voix du gouvernement et il fait entendre au gouvernement la voix du peuple». «Parlez-nous un peu de cette question des Mau Mau», demanda le journaliste. «C'est une longue histoire, déclara le chef, et je ne suis pas politicien mais je peux vous dire une chose: aucun trouble ne s'est produit dans mon district». «Expliquez-nous pourquoi, chef». «C'est qu'il y a plus de trente ans un forestier nous a appris à planter et protéger nos arbres. Nous avons tenu la promesse que nous lui avons faite et nous avons maintenant beaucoup de bois, beaucoup de combustible, beaucoup d'eau pure et aussi beaucoup à manger, c'est pourquoi la région est calme.»
L'année 1953 a été marquée par deux grandes entreprises humaines - l'une dénommée conquête de la nature: un groupe d'hommes courageux et décidés ont enduré de nombreuses épreuves et risqué leur vie pour atteindre le sommet du mont Everest.
L'ascension était comparée à une lutte opposant d'une part l'homme avec son intelligence, ses muscles, son endurance, et d'autre part ce qu'on appelait les forces aveugles de la nature. De la sorte, si l'homme parvenait au sommet, il aurait conquis la nature mais la vie du monde, la vie de tous les jours ne serait aucunement transformée par cette héroïque expédition.
L'autre aventure, c'est celle d'un groupe de quatre hommes qui se sont enfoncés dans le Sahara pour réparer les dommages infligés par l'homme au sol d'Afrique et chercher à rendre à la nature les déserts créés par son ignorance. Eux aussi, confine l'expédition du mont Everest, ont subi de dures épreuves et risqué leur vie. L'un d'entre eux est mort. Cette mission de reconnaissance a été couronnée de succès mais l'effet de ses études - qui se poursuivront - ne se fera peut-être pas pleinement sentir avant des années et l'entreprise sera l'affaire de plusieurs générations. A la différence de l'expédition himalayenne qui voulait conquérir la nature, l'aventure au désert visait à rétablir cette dernière et à restituer à l'homme des milliers de kilomètres carrés de terres fertiles.
Il y a dix mille ans, le Sahara débordait de vie, vie humaine, animale et végétale. Les fresques du Tassili des Ajjer et d'ailleurs montrent que les fleuves se sont asséchés et que les lacs se sont rétrécis car les premières esquisses représentent des éléphants et des hippopotames. Géologues et anthropologistes ont estimé que ces uvres remontaient à 5000 avant J. C., c'est-à-dire à l'âge dit des chasseurs. Puis est venu l'âge des pasteurs vers 3500 avant J. C., suivi d'une ère bien définie, celle du cheval, du chien et de la roue, l'apparition du chariot à quatre chevaux remontant à mille ans avant J. C. environ.
Il est intéressant de retrouver les vestiges de troncs d'arbres et leurs racines. Parfois de curieux tumulus renferment les restes d'une souche d'arbre. Mais ce qui nous préoccupe le plus, en tant que forestiers et spécialistes de la restauration des terres, c'est la vitesse à laquelle le Sahara progresse de nos jours. D'après certains signes, il avance plus vite que jamais et non seulement sur son périmètre méridional mais aussi dans le nord où il constitue une menace après les longues sécheresses.
Les découvertes de l'expédition du Sahara de 1952-53 sont relatées dans le livre Sahara Challenge, dont le dernier chapitre expose un plan d'ensemble de remise en valeur du Sahara. Une autre expédition saharienne a été organisée en 1964 après une conférence à Rabat où tous les chefs d'Etat avaient été invités au titre du programme de remise en valeur du Sahara lancé par les Watu Wa Miti. Ceci est brièvement évoqué dans Sahara Conquest qui invite les nations à collaborer non seulement pour combattre l'érosion et l'avance du Sahara mais aussi pour améliorer le climat politique international.
Longeant les contreforts de l'Atlas au cours de l'enquête écologique, face à trois mille kilomètres de désert s'étendant vers le sud - désert que nous avons traversé en descendant vers Kano - nous pensions à l'Alb ou Nappe albienne, immense réservoir souterrain sur lequel passait notre piste. Déjà explorateurs et géologues en avaient présumé l'existence, mais c'est seulement à une date récente que l'on a évalué son importance et sa configuration par divers moyens: études avec magnétomètres, forage de puits pilotes et mesures périodiques des décharges. Les géologues expliquent qu'il s'agit de dépôts laissés par les rivières et les fleuves il y a peut-être cinquante millions d'années. Au début de la période calcaire qui a précédé cette époque continentale, ces dépôts ont été scellés par les marnes et l'argile déposées par la mer. C'est l'explication géologique du lac souterrain saharien, la Nappe albienne, qui s'étend à 1000 kilomètres vers le sud des contreforts méridionaux de l'Atlas, et qui est limitée à l'ouest par la vallée de la Saouva et à l'est par la Tunisie et le Fezzan libyen.
Ce gigantesque réservoir souterrain s'étend sur plus de six cent cinquante mille kilomètres carrés, soit un peu plus que la superficie de la France. Sa profondeur va de 90 mètres à 500 ou 2 000 mètres. Justin Savorin a dit que c'était là le système hydraulique le plus par fait du Sahara; et, parce qu'il a fait plus que quiconque pour l'explorer, les Sahariens l'appellent la mer de Savorin. Savorin a estimé que l'Alb contient plus de 10 millions de mètres cubes d'eau. Un hydrologiste a estimé qu'il faudrait au Rhin près de 1!30 ans pour emplir un réservoir de cette capacité.
ETUDE MAROCAINE
Notre première enquête sur les pays situés à l'ouest et au nord du Sahara a commencé en 1952 par le Maroc où nous avons pu étudier les pratiques de pépinières, les plantations d'eucalyptus d'âges divers cultivés dans ´ des conditions différentes ainsi qu'un arboretum ou eucalyptum, où une trentaine d'essences font l'objet d'essais comparatifs. Sur une colline très érodée où le sol est trop mince pour porter une plantation d'eucalyptus, on a planté des figuiers de Barbarie que l'on a fréquemment coupés afin d'établir une plantation d'eucalyptus sur l'humus ainsi obtenu par décomposition. En 1957, le roi Mohamed V a inauguré les «forêts des jeunes». Chevauchant sur une colline, il était suivi de milliers de jeunes approvisionnés par des camions transportant des plants dans des sacs de polyéthylène, et dans les pas de son cheval pour ainsi dire, toute une forêt se levait; trente-six mille personnes ont participé à cette campagne et en moyenne dix mille d'entre elles plantaient des arbres durant le week-end. Cinq mois après l'établissement d'une de ces forêts plantées par les jeunes, un grand nombre d'arbres (Eucalyptus camaldulensis) avaient poussé de plus de 30 centimètres par mois. Cela se passait à Bu Soukra où, au cours de ces dimanches, on a planté 80 000 arbres sur 140 hectares. Le gouverneur de Casablanca prêchait d'exemple, «tombant la veste» et maniant la pioche comme tout le monde.
Il est bon que le Coran enseigne le respect des arbres et promette des bienfaits particuliers à ceux qui les plantent, mais la chèvre n'en reste pas moins la «bête noire» de la forêt. Il n'est pas facile d'inciter des gens pour qui la richesse c'est d'abord le bétail, gros et petit à délaisser l'élevage pour la sylviculture.
PROTECTION DES FORÊTS EN ALGÉRIE
En Algérie, parmi les principaux systèmes de protection figure celui des banquettes, aménagées à angle droit par rapport à la pente, descendant en gradins au flanc des collines. Vers le haut, elles sont protégées par un canal de dérivation des eaux dont l'ensemble constitue un réseau presque horizontal dans la pente. Vue en coupe, chaque banquette comprend un fond plat ou relevé et une murette grâce à laquelle les eaux de pluies torrentielles, au ruissellement ainsi freiné, s'écoulent de façon naturelle. Le fond de la banquette, aéré par les cultures, absorbe une bonne quantité d'eau tout en accentuant la friction du courant longitudinal qui peut se créer et faciliter le dépôt des matériaux arrachés à la banquette supérieure. Quand les pentes sont trop raides pour la culture des céréales, on y plante des arbres comme le pin d'Alep, le caroubier ou l'olivier. Chaque périmètre, chaque bassin en pente, chaque parcelle de sol à traiter fait l'objet d'un plan global qui détermine la méthode applicable à chaque partie et aboutit à l'utilisation combinée de différentes méthodes de traitement.
FIGURE 6. - Palmiers rabougris près de Hun. Les dunes mouvantes menacent jusku'aux palmiers.
En Algérie, j'ai été impressionné depuis par l'enthousiasme des jeunes planteurs qui, pendant le week-end, s'employaient à réparer les ravages de la guerre pendant laquelle les forêts de cèdres ont beaucoup souffert. De fait, planter des arbres est, semble-t-il, un acte étroitement associé au sentiment patriotique, ce qui devrait être le cas partout. C'est en Algérie qu'une expérience portant sur la transpiration a montré qu'un seul Eucalyptus algeriensis de 14 mètres de haut produisait par transpiration jusqu'à 370 litres d'eau toutes les vingt-quatre heures. Une forêt composée de ces essences pourrait donc créer un microclimat exerçant une influence non négligeable. Les vents chargés de pluie soufflant de la mer seraient naturellement renforcés par cette humidité due à la transpiration et tendraient à former des nuages et à favoriser la rosée ou les pluies.
TRANSPLANTATION EN TUNISIE
En Tunisie, les forestiers ont démontré la valeur du système de plantation sur banquettes mis au point en Algérie. En outre, on a trouvé un nouvel emploi au sac de plastique pour la culture des jeunes plants. Pour dégager les racines on pratique une fente dans l'enveloppe à l'aide d'un couteau pointu ou d'une lame de rasoir et, le jeune arbre planté, l'enveloppe de plastique est étalée sur le sol et l'on pratique en son centre une fente pour laisser passage au jeune plant. Après quoi, on tasse légèrement la terre de façon à ménager autour de chaque plant un petit entonnoir et l'on recouvre la feuille de plastique d'un centimètre de terre environ.
On a constaté que cette feuille de plastique laisse pénétrer la pluie par l'orifice supérieur mais qu'elle empêche aussi une évaporation excessive et qu'ainsi le plant repiqué prend un bon départ. Pour arroser, on injecte directement de l'eau dans le sol autour des racines à l'aide d'une grosse seringue hypodermique. L'eau ainsi injectée rejoint celle qui est emmenée par capillarité. Il semblerait que la première et unique injection d'eau entoure la plante pendant des semaines et que le sol superficiel ne durcit pas.
L'institut du reboisement créé par le gouvernement tunisien à Ariana a été administré par la FAO depuis 1965 à l'aide de fonds du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). C'est l'un des centres de recherche les plus actifs du pays, avec plus de 30 arboreta; une autre station de recherche se trouve à Zerniza, dans la zone côtière du nord-ouest.
On peut voir à Sfax l'une des plantations les plus spectaculaires contenant 36 millions d'oliviers plantés sur des dunes, chaque arbre entouré de sa propre cuvette. Ces arbres produisent déjà près de deux millions de tonnes d'huile d'olive par an.
STABILISATION DES DUNES EN LIBYE: CLOISONNAGE ET ÉPANDAGE D'HUILE
Comme en Tunisie, en Libye l'acacia et l'eucalyptus croissent avec vigueur peu de temps après la plantation, poussant de solides racines et formant leurs propres brise-vent. L'acacia peut être exploité commercialement après 10 ou 15 ans et E. camaldulensis après 15 ou 20 ans. La méthode classique de plantation connue sous le nom de «dissing» consiste à cloisonner les dunes pour les fixer à l'aide de bordures d'herbe, mais de plus en plus on préfère épandre de l'huile autour des arbres après la plantation. Partout où les dunes se déplacent, elles menacent les cultures et même les palmeraies.
RESTAURATION DES TERRES DANS LA RÉPUBLIQUE ARABE UNIE
Depuis 1953, j'ai pu suivre l'exécution du remarquable programme de restauration entrepris dans la République arabe unie; dans la province de Tahrir, des terres désertiques pendant 2 000 ans commencent là produire avec l'aide de rideaux-abris de Casuarina, d'eucalyptus de nombreuses variétés, d'Acacia arabica et de Tamarix articulis, ces deux essences étant résistantes à la sécheresse et tolérantes à la salinité des sols.
Ce programme devrait finalement permettre de il mettre en culture plus de 400 000 hectares de terres ce qui représente des milliers d'exploitations nouvelles et des emplois nouveaux pour les réfugiés arabes. Pour l'irrigation et pour assurer la production de poisson pour la consommation, on utilise de gros canaux cimentés qui apportent l'eau du Nil et se déversent ensuite dans un réseau de canaux plus petits. On a apporté de la boue ainsi que des herbes aquatiques et introduit Tilapia nilotica du Nil, T. galilea de la mer de Galilée et T. zillii du lac Victoria. Les poissons de la couche inférieure se nourrissent d'herbes aquatiques, ceux du niveau intermédiaire mangent les ufs pondus à l'étage ; inférieur, quant aux poissons vivant le plus près de la surface, ils se nourrissent des alevins de la couche intermédiaire et sont eux-mêmes pêchés en très grosses quantités pour l'alimentation humaine. J'ai aussi visité le projet de New Valley qui consiste en une série de dépressions dans le désert occidental recouvrant une superficie d'environ 4 à 5,6 millions d'hectares, et à Dakhla j'ai vu 30 des 150 puits jaillissants où l'eau remonte sous pression d'une profondeur de 1 100 mètres avec une telle force que, d'après les comptages électroniques, on n'aura pas à pomper avant 200 ans.
La situation est moins satisfaisante en ce qui concerne le grand barrage de Sadd El Aali, car le volume d'eau qui s'évaporera du lac de 500 kilomètres de long ainsi formé sera égal à la quantité d'eau allant aux cultures. Les fortes pressions risquent de former au fond une cuvette par laquelle une quantité croissante d'eau s'échappera et ira grossir le Nil souterrain dont les eaux vont dans une grande mesure se perdre dans la Méditerranée.
PROGRÈS CONSTANTS EN ETHIOPIE, AU KENYA ET AU SOUDAN
Chaque fois que je suis retourné en Ethiopie, au Kenya et au Soudan, j'ai constaté que la mise en valeur des terres et la plantation d'arbres progressaient régulièrement. Dans ce dernier domaine, la réussite la plus spectaculaire concerne peut-être le Kenya où le président Kenyatta patronne le mouvement des Watu Wa Miti et a inauguré des semaines nationales de plantation des arbres. Le département des forêts mène une politique clairvoyante et dynamique.
En Ethiopie, c'est Menelik II qui, lorsque Addis-Abéba s'est trouvé menacé par la pénurie de bois, fit preuve de bon sens et de prévoyance; au lieu de déplacer sa capitale dans une région boisée comme c'était la coutume dans ce temps-là, il décida d'introduire dans la région des eucalyptus à croissance rapide d'Australie. Il offrit donc des jeunes arbres aux chefs et aux anciens des tribus qui à leur tour plantèrent des arbres pour obtenir de nouvelles semences et Addis-Abéba fut sauvé. Son successeur, l'empereur Haïlé Sélassié, a accordé son patronage aux études pour la remise en valeur du Sahara et il encourage lui-même un ambitieux programme de plantations en Ethiopie, où la perpétuation des essences indigènes n'est pas négligée.
Il est encourageant de noter que les compagnies pétrolières ont relevé le défi constitué par le Sahara. Après plusieurs années de recherche en laboratoire et d'expériences pratiques, la société Esso, en 1960, a commencé des tests en Libye en utilisant un produit pétrolier pour stabiliser les dunes mouvantes et faciliter la croissance des plants repiqués. Au début, on faisait les pulvérisations à la main en utilisant des réservoirs classiques montés sur des châssis spécialement conçus.
La dernière découverte consiste en un véhicule semblable à un toboggan qui est remorqué ou poussé par un tracteur à chenilles. Glissant sur le sable comme un traîneau sur la neige, la machine transporte une cargaison de plus de dix tonnes sur certaines des dunes les plus accidentées de Libye. On estime que dans la seule région occidentale du pays il est possible de boiser 250 000 hectares avec des acacias et des eucalyptus.
Une autre technique de boisement en grand des dunes est à l'étude d'une société autrichienne, Agrarflug-Glück; en février et mars 1969, je me suis rendu en Libye pour assister aux expériences; il s'agit de stabiliser les dunes mouvantes et en même temps de les boiser avec des essences à croissance rapide qui assureront une protection constante et faciliteront le retour de la végétation naturelle. Des avions volant à basse altitude effectuent des semis directs en utilisant un fixateur qui joue à peu près le même rôle qu'un épandage d'huile, à la différence que le mélange chimique employé, dérivé de la lignine, est un produit naturel qui stimule grandement la croissance et les fonctions de la végétation naturelle.
Peut- être la nouvelle la plus sensationnelle en provenance du Sahara est-elle la découverte par la Occidental Petroleum Corporation d'une nappe aquifère à Kouffrah, de plusieurs centaines de kilomètres carrés et de 750 mètres de profondeur au moins. A certains endroits, la nappe se trouve à 90 mètres de la surface. Depuis mars 1968, cinq autres puits ont été forés, les premières cultures ont été plantées en octobre et la récolte a eu lieu en janvier 1969. On estime que la découverte de Kouffrah permettra à la Libye d'irriguer 80 000 hectares de terre pendant 200 ans. Il y a lieu d'espérer que des arbres indigènes, renforcés par l'action de Casuarina pour améliorer le sol, créeront des microclimats favorables à la production végétale et ravitailleront en combustible les agriculteurs libyens que l'avance du désert avait chassés vers le lac Tchad et qui maintenant reviennent en force à Kouffrah. Les 10 000 hectares déjà irrigués produisent du blé, de la luzerne, de l'orge, des tomates, des pommes de terre et des haricots, ce qui donne une idée de ce que l'on peut obtenir sur des superficies de plus en plus grandes.
Lors du sixième Congrès forestier mondial qui s'est tenu à Madrid en 1966, les participants de 92 pays ont appuyé des propositions invitant tous les Etats Membres des Nations Unies à lancer de grands programmes de plantation, en notant que la protection d'un bon couvert forestier était une première ligne de défense et qu'il fallait déclarer la guerre totale face à l'avance des déserts du monde. Quarante ans s'étaient écoulés depuis le premier Congrès forestier mondial de 1926 et, le dernier jour de la conférence de Madrid, trois rescapés seulement répondirent à l'appel - un forestier américain, un espagnol et moi-même, forestier vétéran d'Afrique.
Lors d'une visite récente à la FAO, j'ai eu le plaisir de rencontrer de nombreux amis des safaris passés et aussi ceux qui avaient collaboré avec nous à la recherche et aux études sur la remise en état de terres au Sahara. Visite qui a inspiré ces rappels de débuts modestes de ce qui, je l'espère, deviendra peut-être l'un des grands moments de l'histoire de l'Afrique. Le Sahara est un défi non seulement pour l'Afrique mais pour le monde entier. Il offre une magnifique occasion de fondre les différends politiques et les modes d'exploitation de notre planète en un nouvel ensemble économique dynamique, un nouveau mode de vie, un mode de vie biologiquement correct, garantie de santé et de sécurité. Tâche gigantesque et de longue haleine. Des générations de forestiers et de spécialistes de la remise en valeur des terres devront s'y vouer.
Si nos connaissances nous poussent à explorer l'espace et à envoyer un homme sur la lune, que notre sagesse nous incite donc à relever ce défi et aider les nouveaux Etats d'Afrique à refaire du Sahara un jardin où des millions d'êtres humains puissent vivre affranchis de la peur et de la faim, dans la paix et la prospérité, «chaque homme sous sa vigne et son figuier parmi ses frères».