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MARCHÉS AGRICOLES ET
DÉVELOPPEMENT DURABLE:
CHAÎNES DE VALEUR MONDIALES, PETITS
EXPLOITANTS ET INNOVATIONS NUMÉRIQUES

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Partie 1

Tendances des Marchés Agricoles et Alimentaires

Partie 2

Chaînes de Valeur Mondiales de L’Alimentation et de L’Agriculture

Partie 3

Agriculteurs et Chaînes de Valeur: Des Modèles Fonctionnels Propres à une Croissance Durable

Partie 4

Technologies Numériques et Marchés Agricoles et Alimentaires

TABLEAUX

3.1 Études de dispositifs d’agriculture contractuelle examinées dans le présent rapport

A.1 Définition des agrégats alimentaires utilisés dans la première partie, échanges par agrégat alimentaire

A.2 Définition des agrégats alimentaires utilisés dans les bilans alimentaires établis par la FAO

FIGURES

1.1 Évolution des échanges agroalimentaires, 1995-2018 (pays classés par catégorie de revenu)

1.2 Échanges de produits alimentaires et de produits agricoles de base

1.3 Parts des échanges intrarégionaux et interrégionaux

1.4 Variation des exportations et des importations par agrégat alimentaire, 1995-2018 (pays classés par catégorie de revenu)

1.5 Part de certains agrégats alimentaires dans le total des exportations agroalimentaires, en moyenne sur la période 2016-2018

1.6 Dépendance à l’égard des importations de certains agrégats alimentaires, en moyenne sur la période 2015-2017

1.7 Exportations et importations agricoles: Brésil, Viet Nam, Népal et Ouganda par agrégat alimentaire

1.8 Dynamique et croissance des revenus et de la consommation alimentaire (pays classés par catégorie de revenu)

1.9 Évolution de la part de calories disponibles apportée par les principaux agrégats alimentaires dans la consommation par habitant, sur la période 1995-2017 (en pourcentage)

1.10 Croissance et évolution démographiques

1.11 Coût des échanges et coût des communications

1.12 Tarifs douaniers appliqués aux produits agricoles, 1995-2018 (pays classés par catégorie de revenu)

1.13 Chaîne de valeur alimentaire simplifiée

1.14 Part de la valeur ajoutée de l’agriculture et de l’alimentation dans la valeur ajoutée agroalimentaire totale, en fonction du revenu, en 2017

2.1 Exportations brutes au niveau mondial et participation aux CVM, 1995-2015

2.2 Taux de participation aux CVM dans l’agriculture en 2015

2.3 Liaisons en amont et en aval dans les CVM en 2015 (pays classés par catégorie de revenu)

2.4 Exportations brutes et participation aux CVM au Ghana

2.5 Exportations brutes et participation aux CVM au Viet Nam

2.6 Corrélation entre la croissance de la valeur ajoutée et celle de la participation aux CVM entre 1995 et 2015 (pays classés par catégorie de revenu)

2.7 Effet sur la valeur ajoutée agricole par travailleur d’un changement de 1 pour cent dans la participation aux CVM

2.8 Projection des effets de la suppression de différentes mesures sur les exportations agroalimentaires brutes, évolution en pourcentage

2.9 Projection des effets de l’ouverture au commerce sur la valeur ajoutée agroalimentaire exportée, par facteur de production, évolution en pourcentage

2.10 Projection des effets de l’ouverture au commerce sur la participation aux CVM, évolution en pourcentage

2.11 Projection des effets de l’ouverture au commerce sur la valeur ajoutée agricole et alimentaire exportée directement et indirectement

2.12 Importance de la transformation des produits alimentaires pour l’emploi – Afrique de l’Ouest et divers pays (part dans l’emploi total du secteur manufacturier)

2.13 Variation du degré de concentration des marchés des semences par culture et par région

3.1 Transformation structurelle selon les pays: part de l’agriculture dans le PIB et PIB par habitant, 2017

3.2 Participation aux marchés: part moyenne de la production des ménages commercialisée, au Ghana, au Malawi, en Ouganda et au Viet Nam

3.3 Part moyenne des ventes dans le total des revenus des ménages, au Ghana, au Malawi, en Ouganda et au Viet Nam, en pourcentage

3.4 Part de la production des ménages commercialisée, selon la distribution par quintile de la taille des exploitations, au Ghana, au Malawi, en Ouganda et au Viet Nam

3.5 Revenu total moyen des ménages selon le sexe du chef de ménage (en USD, aux prix de 2011)

3.6 Part moyenne des ventes dans le total des revenus des ménages selon le sexe du chef de ménage, en pourcentage

3.7 Évolution de la taille moyenne des exploitations, en hectares

3.8 Incitations à passer à une agriculture contractuelle

3.9 Quelques systèmes de certification volontaire de la durabilité: normes et résultats potentiels

4.1 Abonnements mondiaux à la téléphonie fixe et mobile, et au haut débit fixe et mobile, 2005-2019 (pour 100 habitants)

4.2 Accès à la téléphonie mobile dans certains pays, 2018

4.3 Personnes utilisant internet, en pourcentage de la population

4.4 Personnes utilisant internet dans certains pays, par sexe et par lieu de résidence, 2018 (en pourcentage)

4.5 Nombre d’abonnements au haut débit mobile portant sur des services vocaux et de données, rapporté à la population, pour certains pays, 2018

4.6 Note EBA TIC

4.7 Illustration d’une chaîne de blocs utilisée dans une chaîne de valeur agroalimentaire

ENCADRÉS

1.1 Échanges agroalimentaires régionaux

1.2 Effets de la pandémie de covid-19 sur les échanges, les marchés et la sécurité alimentaire dans le monde

1.3 Commerce, sécurité sanitaire des aliments et Codex Alimentarius

1.4 Intégration et coordination verticales dans les chaînes de valeur

1.5 Mondialisation, commerce agroalimentaire et nutrition

2.1 Chaînes de valeur mondiales: termes clés

2.2 Une chaîne de valeur mondiale en action: jus d’orange – de l’arbre à la bouteille

2.3 Exemple de pays avec des liaisons contrastées dans les CVM: le Ghana

2.4 Exemple de pays avec de solides liaisons dans les CVM: le Viet Nam

2.5 Analyse des politiques visant à encourager la participation aux CVM: effets des différentes mesures, et rendements tirés de la terre, du travail et du capital

2.6 Rôle des accords commerciaux régionaux

2.7 Mesures de politique commerciale face à la pandémie de covid-19

2.8 Secteurs émergents de la transformation de produits alimentaires dans les pays en développement

2.9 Chaînes de valeur mondiales, activités du secteur privé et résultats environnementaux

2.10 Mesures visant à réduire la prévalence de l’excès pondéral et de l’obésité: taxes au Mexique et étiquetage au Chili

3.1 Comment des marchés qui fonctionnement correctement contribuent-ils au développement?

3.2 Petites et moyennes entreprises (PME) rurales opérant dans l’alimentation et l’agriculture

3.3 Intégration d’une assurance dans un dispositif d’agriculture contractuelle

3.4 Garantie de prix et dispositif de riziculture contractuelle au Bénin: essai contrôlé randomisé de différentes dispositions contractuelles

3.5 Différenciation qualitative des produits dans un dispositif d’agriculture contractuelle portant sur le café

4.1 Glossaire des technologies numériques

4.2 Des innovations numériques pour des avantages transversaux: les cas de e-Choupal en Inde et de Esoko au Ghana

4.3 Commerce électronique, le cas des villages Taobao en république populaire de Chine

4.4 Tulaa: une plateforme numérique facilitant l’accès au crédit au Kenya et au Ghana

4.5 Assurances agricoles indicielles fondées sur des conditions météorologiques: Agriculture and climate risk enterprise (ACRE)

4.6 Comprendre la technologie des registres distribués

4.7 Chaîne de blocs et négoce de produits de base

4.8 Favoriser l’accès des petits agriculteurs aux marchés et aux services financiers au moyen de la chaîne de blocs

4.9 Application de la chaîne de blocs à l’assurance indicielle proposée aux petits exploitants sur la base de conditions météorologiques

4.10 Les supermarchés étudient les chaînes de blocs

4.11 Suivre les épices et les herbes condimentaires à l’aide de la technologie de la chaîne de blocs

4.12 Technologie de la chaîne de blocs et durabilité des chaînes de valeur du poisson

4.13 Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture et Plateforme internationale pour l’alimentation et l’agriculture numériques

L’édition 2020 du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles paraît au moment – crucial pour l’économie et les systèmes alimentaires mondiaux – où nous unissons nos forces pour endiguer la pandémie planétaire provoquée par la propagation de la covid-19.

Cette pandémie fait clairement ressortir que, dans un monde interconnecté, les maladies, ainsi que les incidences des mesures qui sont prises pour les contenir, se propagent rapidement au-delà des frontières nationales. Cette crise n’est pas le thème central du présent rapport, mais elle illustre bien le lien étroit qui existe entre la production, la consommation et les échanges de denrées alimentaires. On comprend dès lors qu’il importe d’adopter une approche intégrée des systèmes alimentaires, et que la parution de La situation des marchés des produits agricoles 2020 vient particulièrement à propos.

Je vous invite à lire attentivement le présent rapport, qui nous éclaire sur la manière dont les marchés peuvent être mis à contribution pour faire un pas supplémentaire vers la réalisation des objectifs de développement durable du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Cette édition présente de nouvelles analyses de données relatives aux échanges commerciaux et aux marchés à l’échelle internationale. On y examine en détail les grandes tendances mondiales sur les marchés agroalimentaires en vue de déterminer comment produire des effets bénéfiques sur les plans économique, environnemental et social, et stimuler le développement.

Les échanges de produits alimentaires et agricoles ont plus que doublé en termes réels depuis 1995. Les pays émergents et en développement sont devenus des acteurs sur les marchés internationaux, et ils contribuent désormais pour un tiers environ au commerce mondial. Les progrès technologiques ont transformé les procédés productifs et commerciaux, ce qui a permis l’émergence de chaînes de valeur mondiales de l’alimentation et de l’agriculture. On estime que plus d’un tiers des exportations alimentaires et agricoles a lieu à l’intérieur de chaînes de valeur mondiales.

L’un des arguments qui sous-tendent le présent rapport est que des marchés qui fonctionnent bien sont essentiels au développement et à la croissance économique. Les échanges internationaux peuvent constituer un instrument puissant, et les marchés peuvent être mis à profit pour obtenir des résultats économiques, sociaux et environnementaux. Les chaînes de valeur mondiales peuvent faciliter l’intégration des pays en développement dans les marchés internationaux. Elles relient étroitement nos marchés de produits alimentaires et offrent ainsi un moyen de diffuser les meilleures pratiques au service du développement durable.

Cependant, dans cet environnement concurrentiel en évolution rapide, nous devons veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte. Il nous faut redoubler d’efforts pour intégrer les petits exploitants agricoles dans les chaînes de valeur alimentaires modernes, procurer des revenus ruraux et assurer la sécurité alimentaire tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Les petits exploitants agricoles font face à de nombreuses difficultés qui peuvent les empêcher d’adopter des pratiques agricoles et commerciales efficaces. Des politiques et des mécanismes de soutien seront indispensables pour les aider à renforcer leur productivité et leur participation aux marchés.

Les technologies numériques peuvent contribuer à améliorer le fonctionnement des marchés et à les rendre plus accessibles aux agriculteurs. Les innovations comme le commerce alimentaire en ligne, par exemple, peuvent être bénéfiques à la fois aux agriculteurs et aux consommateurs. Cependant, pour que les avantages des innovations numériques profitent aussi aux plus pauvres, nous devons impérativement réduire l’actuelle fracture numérique. Cela étant, il est difficile de prévoir toutes les incidences que pourront avoir les innovations technologiques sur la manière dont nous cultivons, transformons, commercialisons et consommons les produits alimentaires. Aujourd’hui, nous savons qu’une utilisation accrue des technologies peut nous aider à réaliser des progrès considérables dans ce domaine. Cependant, il convient de noter qu’on ne connaît pas encore bien certains des risques associés à l’adoption de ces technologies. Nous devons renforcer nos actions communes et veiller à ce que la révolution numérique vienne soutenir le développement.

Le rapport sur La situation des marchés des produits agricoles 2020 démontre très clairement que nous devons nous appuyer sur les marchés en tant que partie intégrante du système alimentaire mondial. Cela est d’autant plus important face aux grands bouleversements, qu’il s’agisse de la covid-19, des infestations de criquets ou du changement climatique.

Nous avons tous une contribution à apporter au développement durable et à l’éradication de la faim. La FAO est aux côtés de ses Membres et de ses partenaires dans cette entreprise.

Qu Dongyu
Directeur général de la FAO

La préparation du rapport La situation des marchés des produits agricoles 2020 a commencé en juin 2019. Un comité de lecture composé de spécialistes de la FAO et d’experts extérieurs à l’Organisation a été constitué pour soutenir l’équipe de rédaction. Il a examiné l’analyse proposée et les ébauches du rapport, et a formulé des avis.

Un atelier technique sur les chaînes de valeur mondiales s’est tenu les 21 et 22 novembre 2019 au Siège de la FAO, à Rome. Il a réuni des professionnels, des universitaires et d’autres parties prenantes intéressées venus de différents pays pour présenter leurs travaux de recherche et débattre des sujets suivants: l’évolution des chaînes de valeur alimentaires et agricoles mondiales et la façon dont elles ont transformé les marchés et le commerce alimentaires; leur impact sur les plans économique, social et environnemental; et la façon dont les politiques peuvent améliorer leur contribution à un développement durable de l’alimentation et de l’agriculture. L’atelier a élargi les connaissances et les vues de l’Organisation sur les questions traitées.

Un groupe d’experts a produit neuf documents d’information sur une série de sujets afin d’éclairer l’élaboration du présent rapport. Ces documents comprenaient deux modélisations: l’une pour évaluer l’impact des chaînes de valeur mondiales sur la productivité agricole et l’autre pour analyser, à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable mondial, les effets des politiques commerciales sur la participation à ces chaînes.

Le premier projet de texte a été commenté par le comité de lecture et étudié par l’équipe de direction de l’axe Développement économique et social de la FAO en mai 2020. Des experts appartenant à différentes divisions techniques de la FAO ont également examiné le projet de rapport. Le rapport définitif a été examiné par le Bureau du Directeur général et par l’axe Développement économique et social de l’Organisation. Le contenu et les constatations de l’édition 2020 du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles seront présentés au Comité des produits à sa réunion de mars 2021.

Le rapport sur La situation des marchés des produits agricoles 2020 a été élaboré par une équipe multidisciplinaire de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sous la direction de Boubaker Ben-Belhassen, Directeur de la Division du commerce et des marchés, et de George Rapsomanikis, Économiste principal et coordonnateur du rapport 2020. Máximo Torero Cullen, Économiste en chef à la FAO, et l’équipe de direction de l’axe Développement économique et social en ont assuré la supervision.

ÉQUIPE CHARGÉE DES RECHERCHES ET DE LA RÉDACTION
Les membres de l’équipe chargée des recherches et de la rédaction à la Division du commerce et des marchés étaient: Andrea Zimmermann, Clarissa Roncato Baldin, Edona Dervisholli, Evgeniya Koroleva (données), Husam Attaallah (données), George Rapsomanikis et Rob Dellink.

COMITÉ DE LECTURE
L’équipe de rédaction a bénéficié d’observations et de conseils précieux de la part du Comité de lecture du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles 2020: Boubaker Ben Belhassen (Directeur de la Division du commerce et des marchés, FAO), Carmel Cahill (ancienne directrice adjointe de la Direction des échanges et de l’agriculture de l’OCDE), David Blandford (Université de l’État de Pennsylvanie), Hope Michelson (Université de l’Illinois), Jikun Huang (Université de Pékin), Johan Swinnen (Université de Louvain), Luca Salvatici (Université de Rome III) et Máximo Torero Cullen (Économiste en chef, axe Développement économique et social, FAO).

CONTRIBUTEURS
Les auteurs suivants ont élaboré des documents techniques de référence pour ce rapport: Edona Dervisholli (FAO), Eva-Marie Meemken (Université Cornell), Felix Baquedano (consultant de la FAO), Ivan Đurić (Institut Leibniz sur le développement agricole dans les économies en transition – IAMO), Hope Michelson (Université de l’Illinois), Jikun Huang (Université de Pékin), Johan Swinnen (Université de Louvain), Leslie C. Verteramo (Université Cornell), Luca Salvatici (Université de Rome III), Miguel I. Gómez (Université Cornell), Pierluigi Montalbano (Université La Sapienza de Rome), Robertus Dellink (FAO) et Silvia Nenci (Université de Rome III).

CONTRIBUTIONS SUPPLÉMENTAIRES
Le rapport s’est inspiré des communications effectuées lors de l’atelier sur les chaînes de valeur mondiales, tenu les 21 et 22 novembre 2019 à Rome. Les experts suivants y ont présenté leurs travaux de recherche: Carlo Altomonte (Université Bocconi), Davide Del Prete (FAO), Edona Dervisholli (FAO), Koen Deconinck (OCDE), Luca Salvatici (Université de Rome III), Marie-Agnès Jouanjean (OCDE), Pierluigi Montalbano (Université La Sapienza de Rome), Robertus Dellink (FAO), Silvia Nenci (Université de Rome III) et Sunghun Lim (Université du Minnesota).

Ont également apporté leur contribution les personnes suivantes de la FAO: Anna Lartey, Davide Del Prete, Elena Ilie, Nancy Aburto et Siobhan Kelly.

APPUI ADMINISTRATIF
Francesca Biasetton a apporté l’appui administratif.

Les services de traduction ont été assurés par la Sous-Division des langues (CSGL) du Service des organes directeurs (CSG) de la FAO.

Le Groupe de l’édition (OCCP) du Bureau de la communication de l’Organisation a prêté des moyens éditoriaux et s’est chargé de la conception et de la mise en page du document, ainsi que de la coordination de sa production dans les six langues officielles.

ACRE
Agriculture and Climate Risk Enterprise

AFE
Accord sur la facilitation des échanges

BAfD
Banque africaine de développement

CIPV
Convention internationale pour la protection des végétaux

covid-19
nouvelle maladie à coronavirus

CVM
chaîne de valeur mondiale

EGC
équilibre général calculable

FAO
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

FIDA
Fonds international de développement agricole

GATT
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

IED
investissement étranger direct

IMC
indice de masse corporelle

ISO
Organisation internationale de normalisation

LMR
limite maximale de résidus

OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques

ODD
objectif de développement durable

OIE
Organisation mondiale de la santé animale

OIT
Organisation internationale du Travail

OMC
Organisation mondiale du commerce

OMS
Organisation mondiale de la Santé

ONG
organisation non gouvernementale

OTC
obstacles techniques au commerce

PAM
Programme alimentaire mondial

PIB
produit intérieur brut

PME
petites et moyennes entreprises

PNUD
Programme des Nations Unies pour le développement

R-D
recherche-développement

SH
Système harmonisé de désignation et de codification de marchandises de l’Organisation mondiale des douanes

SIM
carte d’identification d’abonné

SMS
Short Message Service (service de messages courts)

SPS
mesures sanitaires et phytosanitaires

TIC
technologies de l’information et de la communication

COMMERCE, MARCHÉS ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

Le commerce et les marchés sont au cœur du processus de développement. Dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture, les marchés élargissent le choix des consommateurs et créent des incitations pour les agriculteurs. Ils permettent donc une allocation optimale des ressources et ouvrent les voies reliant l’agriculture à d’autres secteurs de l’économie, ce qui les rend essentiels à la transformation structurelle de celle-ci. La façon dont les échanges et les marchés concourent à un développement durable est précisément le sujet traité dans l’édition 2020 du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles.

La capacité d’entraînement de marchés fonctionnant correctement est essentielle à la croissance économique, mais ce mécanisme de marché est impuissant à garantir l’obtention d’une série d’avantages sociaux et environnementaux qui occupent pourtant une place centrale dans le développement durable. En effet, les marchés ne parviennent pas toujours à faire coïncider les intérêts individuels avec ceux de la société dans son ensemble, mais aussi avec les besoins des générations futures, qui font partie intégrante du Programme de développement durable à l’horizon 2030 (Programme 2030).

Le Programme 2030 et ses 17 objectifs de développement durable (ODD) visent à offrir à tous un avenir meilleur et un monde plus durable. Ils s’attaquent aux défis mondiaux qu’il nous faut affronter, tels que l’élimination de la pauvreté et de la faim ainsi que la restauration et la gestion durable des ressources naturelles. Les ODD associent les trois dimensions – économique, sociale et environnementale – du développement durable dans une série de cibles imbriquées.

L’agriculture occupe une place centrale dans le Programme 2030. Ses liens avec la sécurité alimentaire, la croissance économique, l’emploi et l’éradication de la pauvreté, la gestion des ressources naturelles et de l’environnement, et la nutrition et la santé se retrouvent dans la plupart des ODD. Les marchés mettent ces liens en évidence. Le présent rapport examine les politiques et les arrangements institutionnels susceptibles de favoriser la croissance économique, mais aussi de mettre les marchés agricoles et alimentaires au service d’une recherche de résultats durables – économiques, sociaux et environnementaux.

Le rapport 2020 sur La situation des marchés des produits agricoles étudie l’évolution du commerce et des marchés, et considère leur rôle dans la croissance et le développement durable. Il s’intéresse spécifiquement à l’émergence des chaînes de valeur mondiales de l’alimentation et de l’agriculture; au niveau de participation à ces chaînes de valeur des petits exploitants des pays en développement; et aux effets transformateurs des technologies numériques sur les marchés.

ÉVOLUTION DU COMMERCE ET DES MARCHÉS

Depuis 1995, le commerce international de produits alimentaires et agricoles a plus que doublé en termes réels; il atteignait 1 500 milliards d’USD en 2018. Les économies émergentes et les pays en développement participent de plus en plus aux marchés agricoles et alimentaires mondiaux; leurs exportations s’élèvent à plus du tiers du total mondial.

Plusieurs facteurs ont été déterminants dans cette croissance des échanges. L’abaissement des coûts de transport a permis de commercer à moindres frais. Les politiques commerciales et le recul des tarifs douaniers sur les importations – dû à l’entrée en vigueur de l’Accord sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en janvier 1995, ainsi que de nombreux accords commerciaux bilatéraux et régionaux – ont aussi joué un rôle moteur dans le renforcement des échanges de produits alimentaires et agricoles.

Ces déterminants, conjugués à la hausse des revenus tant dans les pays développés que dans les pays en développement, ont stimulé l’expansion des échanges de produits agricoles et alimentaires. La croissance des revenus est également associée à des évolutions démographiques, telles que l’urbanisation, qui suscitent de nouveaux modes de vie et des changements dans les régimes alimentaires, lesquels influent à leur tour sur le commerce et les marchés. À mesure que les pays se développent, leurs habitants consomment moins d’aliments de base et plus de viande, de produits laitiers, de fruits et de légumes. Ce changement d’alimentation se retrouve dans la physionomie des échanges internationaux.

L’urbanisation progresse plus vite dans les pays en développement que cela n’a été le cas en Europe, par exemple; et cela n’est pas sans conséquence sur les marchés alimentaires nationaux. Les préférences des consommateurs pour la commodité, la qualité et la sécurité sanitaire des aliments renforcent la coordination verticale des chaînes de valeur alimentaires. Dans certains pays d’Asie, et d’Amérique latine et des Caraïbes, les ventes des principales chaînes de supermarchés ont été jusqu’à 10 fois plus élevées en 2018 qu’au début du siècle. En Afrique subsaharienne, les consommateurs urbains sont aussi plus enclins à faire leurs courses au supermarché et dépensent une plus grande part de leur revenu dans des repas pris à l’extérieur du foyer.

Parallèlement, les progrès des technologies numériques ont amélioré les moyens de communication interpersonnels et transforment les économies et les sociétés en profondeur. L’amélioration des communications entraîne une proximité culturelle qui, à son tour, influe sur les préférences alimentaires des consommateurs. En outre, la plus grande fluidité des communications entre les agriculteurs et les entreprises permet à ces acteurs de mieux coordonner leurs activités internationales et de s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales. Les estimations du présent rapport indiquent que plus d’un tiers des échanges de produits agricoles et alimentaires ont lieu au sein de filières mondiales et entraînent le franchissement de deux frontières au minimum, car les matières premières agricoles sont d’abord exportées pour être transformées en produits alimentaires, lesquels sont ensuite réexportés.

L’évolution des échanges commerciaux internationaux et des chaînes de valeur agroalimentaires mondiales a été interrompue par la crise financière de 2008. Depuis lors, le ralentissement de l’économie mondiale, et surtout des économies émergentes, a pesé sur le commerce et les chaînes de valeur mondiales. Dans cette première partie de l’année 2020, les marchés nationaux comme les marchés mondiaux ont une fois encore été confrontés à des défis importants dus à l’épidémie de covid-19 et aux restrictions qui ont été imposées en matière de circulation des personnes et de voyages internationaux afin de contenir la propagation du virus. La pandémie et son retentissement sur l’économie mondiale devraient avoir des effets considérables sur le commerce. L’OMC a laissé entendre que les échanges mondiaux de marchandises pourraient chuter dans une proportion comprise entre 13 et 32 pour cent en raison de la perturbation des activités économiques consécutive à la pandémie de covid-19.

Les États et le secteur privé s’emploient en toute priorité à préserver la survie et le fonctionnement des chaînes de valeur alimentaires dans ce contexte de restriction des déplacements. On s’efforce actuellement d’ouvrir des voies de communication spéciales entre les zones de production alimentaire et les centres urbains (en respectant des mesures de sécurité, telles que le test, la distanciation physique et d’autres pratiques d’hygiène), pour accélérer la livraison des produits périssables et des aliments nutritifs aux populations touchées. Au niveau mondial, les décideurs publics de nombreux grands pays exportateurs de produits alimentaires se sont engagés à ne pas imposer de mesures commerciales restrictives, comme des interdictions d’exporter, de sorte que les échanges permettant de transférer des produits agricoles et alimentaires des régions excédentaires vers les régions déficitaires puissent se poursuivre, et renforcer ainsi la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale.

CONTRIBUTION DES CHAÎNES DE VALEUR AGRICOLES ET ALIMENTAIRES MONDIALES À LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

Les chaînes de valeur mondiales sont devenues une part importante des échanges alimentaires et agricoles. Elles scindent le processus de production en une série d’opérations qu’elles font exécuter dans des pays différents pour réaliser des gains d’efficience. Cette organisation permet aux agriculteurs et aux entreprises des pays en développement de dépasser les limites imposées par le manque de secteurs alimentaires nationaux bien développés et axés sur les exportations. Les gens ont davantage de solutions pour accéder aux marchés mondiaux et peuvent tirer un meilleur profit de leur avantage comparatif à n’importe quel stade de la chaîne de valeur qu’ils choisissent.

Pour les pays en développement, les chaînes de valeur mondiales ouvrent une voie non négligeable vers la croissance. Parce qu’elles sont étroitement coordonnées, elles peuvent en effet accentuer les effets du commerce international sur la croissance, tels que les retombées technologiques et la diffusion des connaissances susceptibles de renforcer la productivité, d’améliorer les possibilités d’emploi et d’accroître les revenus. Les travaux de recherche menés en vue du présent rapport indiquent que, en moyenne et à court terme, une augmentation de 10 pour cent de la participation aux chaînes de valeur mondiales peut entraîner une hausse de 1,2 pour cent environ de la productivité de la main-d’œuvre. Cette conséquence immédiate se traduit également par des effets à long terme positifs et soutenus sur la productivité, susceptibles d’offrir des avantages importants aux pays en développement.

Sur le plan environnemental, une participation accrue aux chaînes de valeur mondiales peut avoir des conséquences positives et négatives. D’un côté, ces chaînes favorisent la croissance; de l’autre, elles n’entraînent pas nécessairement une meilleure gestion des ressources naturelles. Ainsi, d’aucuns craignent que l’accroissement de la production végétale destinée à l’exportation, qui résulte de l’ouverture des marchés, ne contribue à la déforestation. Pourtant, les chaînes de valeur mondiales conduites conformément aux objectifs de développement durable – celles qui respectent les règlements et les normes, par exemple – peuvent diffuser des technologies et des pratiques durables. Ce faisant, elles peuvent favoriser la croissance de la productivité et des revenus dans l’ensemble des pays. Une démarche active s’impose pour associer la durabilité au commerce.

Les politiques commerciales jouent un rôle clé. Les chaînes de valeur mondiales s’étendant sur plusieurs pays, les produits traversent les frontières à de multiples reprises, donnant lieu, à chaque fois, au paiement de droits de douane. Une réduction du nombre et du niveau des obstacles au commerce peut donc contribuer au développement des chaînes de valeur mondiales. Pour les pays en développement, c’est essentiel. Abaisser les droits de douane le long d’une chaîne de valeur mondiale permet d’importer davantage d’intrants et de produits intermédiaires. La production et les exportations s’en trouvent stimulées, entraînant des gains considérables en matière de productivité, d’emploi et de revenus.

L’ouverture des marchés mondiaux et le développement des chaînes de valeur mondiales, par les transferts de technologie et de savoir-faire qu’ils suscitent, peuvent avoir des retombées importantes, mais, pour que celles-ci se transforment en gains durables, il faut des mesures complémentaires propices à la compétitivité, qui améliorent la gouvernance et les infrastructures, par exemple, renforcent les compétences ou suppriment les rigidités des marchés du travail. Il n’en demeure pas moins que les effets à court terme de l’ouverture des marchés, en particulier les conséquences que celle-ci peut avoir sur la répartition et l’inégalité des revenus, suscitent des craintes.

Les accords commerciaux régionaux peuvent aussi contribuer à favoriser les échanges le long des chaînes de valeur mondiales. L’abaissement des droits de douane entre les signataires permet en effet de favoriser la coordination verticale et les chaînes de valeur. La prise en compte de nombreux secteurs économiques dans les accords de ce type est susceptible de renforcer l’incidence de ces derniers sur les chaînes de valeur agroalimentaires, car une part importante de la valeur des exportations agroalimentaires provient de secteurs autres que ceux de l’alimentation et de l’agriculture. Ainsi, à l’échelle mondiale, 38 pour cent environ de la valeur ajoutée des exportations de produits alimentaires provient de services importés.

Les accords commerciaux régionaux aussi peuvent prévoir des clauses sur les mesures relatives à la concurrence ou sur l’harmonisation des normes, entraînant une réforme des politiques et de hauts niveaux d’intégration entre les signataires. Bien que de nombreuses personnes considèrent ces accords comme constituant les éléments de base d’un système commercial mondial, l’accentuation des échanges régionaux devrait aussi s’accompagner d’un renforcement du commerce multilatéral, afin de contribuer à la croissance économique des pays, comme ceux de l’Afrique subsaharienne, qui commercent principalement avec des partenaires mondiaux, et non régionaux.

CONSÉQUENCES DE LA PANDÉMIE DE COVID-19 SUR LES ÉCHANGES ET LES CHAÎNES DE VALEUR MONDIALES DANS LES SECTEURS DE L’ALIMENTATION ET DE L’AGRICULTURE

La crise financière de 2008 et le ralentissement économique qui s’en est suivi ont mis l’évolution des chaînes de valeur agroalimentaires mondiales au point mort, et il faut s’attendre à ce que la pandémie de covid-19 perturbe plus encore les possibilités qu’elles offrent de renforcer le commerce et la croissance mondiale. Les chaînes de valeur mondiales favorisent des liens commerciaux qui sont autant de canaux de diffusion des technologies et des connaissances durant les périodes de croissance économique, mais ces liens peuvent aussi transmettre les chocs économiques et leurs conséquences. Dans leur exercice d’arbitrage entre efficience et résilience face au ralentissement économique, les entreprises pourraient s’engager dans la voie d’une relocalisation des activités de production pour les aliments qui le permettent.

Ce type de stratégies pourrait affaiblir considérablement les gains d’efficience découlant d’un avantage comparatif et faire monter les prix intérieurs des produits alimentaires – une évolution peu souhaitable en période de baisse des revenus. Faire appel à de multiples sources de produits alimentaires et agricoles dans le monde constitue une forme de résilience face à l’insécurité alimentaire et aux fléchissements économiques. Les déséquilibres planétaires tels que la crise financière de 2008 et celle due à la pandémie de covid-19 nécessitent une collaboration et une coordination internationales plutôt que des mesures favorisant l’autosuffisance alimentaire, en particulier quand les effets ne se font pas sentir dans tous les pays au même moment. Les échanges offrent alors un moyen efficient de gérer au mieux les risques liés à une crise et de renforcer la résilience. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, les initiatives prises pour réduire à un minimum les perturbations subies par les chaînes de valeur mondiales et défendre les échanges agricoles et alimentaires sont porteuses d’avantages à court et long terme.

INTÉGRATION DES PETITS EXPLOITANTS DANS LES CHAÎNES DE VALEUR POUR UN DÉVELOPPEMENT DURABLE

La relation entre commerce et croissance est complexe, et l’incidence de la mondialisation sur la répartition du revenu dans les pays et entre les pays fait débat depuis longtemps. À mesure que le commerce progresse, tous les pays y gagnent et un grand nombre d’entre eux connaissent des taux de croissance élevés. On note cependant que l’écart se creuse entre les pays en développement à faible revenu, d’une part, et les pays développés et les économies émergentes, d’autre part. Certains analystes avancent l’idée que les forces de la mondialisation ne profitent pas à ceux qui ne peuvent pas affronter la concurrence à l’échelle mondiale.

Dans le domaine agricole, par exemple, la question de l’intégration des petits exploitants dans les marchés, aussi bien nationaux qu’internationaux, et de leur participation au processus de développement constitue un enjeu majeur. Dans les pays en développement, presque tous les agriculteurs accèdent à des marchés pour vendre et acheter des produits, mais ces marchés fonctionnent mal et les coûts de transaction sont élevés. Nombre de petits exploitants ont un faible taux de commercialisation. Pour beaucoup d’entre eux, certains marchés, comme ceux de l’assurance et du crédit, ne fonctionnent pas et sont totalement manquants. Cette situation a des conséquences considérables sur la sécurité alimentaire, les moyens d’existence et le développement.

L’essor des chaînes de valeur mondiales et de leurs exigences strictes en matière de qualité et de sécurité sanitaire des aliments pourrait aggraver encore la marginalisation des petits exploitants. Des politiques générales sont nécessaires pour créer un environnement propice au développement des marchés – grâce à l’amélioration des infrastructures et des services ruraux, à l’éducation et à des techniques productives, par exemple. Outre ces politiques, des modèles fonctionnels inclusifs, comme l’agriculture contractuelle, dirigés par le secteur privé et soutenus par les pouvoirs publics et la société civile, peuvent aider les agriculteurs à s’intégrer dans des chaînes de valeur modernes et plus complexes.

Parmi les solutions innovantes, on peut aussi citer les programmes multidimensionnels, qui s’attaquent simultanément à plusieurs des difficultés auxquelles les agriculteurs font face sur le plan de la commercialisation, des technologies et de la finance. Ainsi, les dispositifs d’agriculture contractuelle peuvent pallier les défaillances de marché en matière de risque de fluctuation des prix, d’accès aux intrants et au crédit, et d’accès aux technologies et aux connaissances. Ces programmes permettent d’améliorer la productivité, d’augmenter les taux de commercialisation, d’accroître les revenus et de réduire la pauvreté. S’il est vrai que l’agriculture contractuelle est à même d’améliorer l’accès aux chaînes de valeur et de procurer des avantages à de nombreux petits exploitants, ses effets peuvent être très variables.

Il arrive en effet que les dispositifs contractuels excluent les agriculteurs qui ne possèdent qu’une très petite superficie; leur réponse aux problèmes d’inégalité n’est alors que partielle. Ils produisent aussi parfois l’inverse des effets recherchés et peuvent fréquemment s’effondrer. Le taux de sortie est élevé, car les agriculteurs rejoignent et quittent le dispositif, peut-être parce qu’ils ont des difficultés à fournir la qualité demandée ou parce que leur participation n’est pas rémunératrice comparée à d’autres activités. Or, pour que les marchés et les chaînes de valeur contribuent au développement, il faut que la participation s’inscrive dans la durée. Les effets favorables de l’agriculture contractuelle sur les agriculteurs seront plus importants si leur participation est continue, car les investissements dans les moyens de production, les technologies et les connaissances demandent du temps avant de porter leurs fruits.

Des hausses de la commercialisation et des échanges peuvent améliorer les revenus et les moyens d’existence, mais peuvent aussi produire des résultats environnementaux indésirables. L’intensification de la production agricole destinée à l’exportation, stimulée par l’ouverture des marchés et la mondialisation, pourrait se traduire par une pollution des eaux, un accroissement des émissions de gaz à effet de serre et une perte de biodiversité. Cette évolution fait peser des coûts sur la société dans son ensemble, dus à une mauvaise qualité de l’eau, un réchauffement planétaire et des baisses de la pollinisation des cultures, par exemple.

Les États disposent d’une série d’instruments d’action publique pour faire face à ces coûts. Des taxes, par exemple, peuvent amener les marchés à prendre en compte différents coûts environnementaux pesant sur la société. Mis à part l’action gouvernementale, certains dispositifs peuvent contraindre les marchés à tenir compte des aspirations publiques et privées, et contribuer ainsi à un développement durable, en particulier dans le contexte des chaînes de valeur mondiales. Des chaînes de valeur combinées à des dispositifs de certification de la durabilité sont susceptibles de développer des marchés d’aliments produits de façon durable.

Les normes de durabilité gagnent du terrain sur les marchés mondiaux, surtout concernant les produits de valeur élevée, depuis longtemps servis par des filières mondiales. La demande croissante des consommateurs de produits dont la production est certifiée durable a conduit à une augmentation de la part des terres agricoles exploitées dans le cadre d’une certification de cette nature. Ainsi, un quart environ des superficies plantées en caféiers et en cacaoyers sont certifiées comme respectant des normes de durabilité établies par des organisations non gouvernementales et par le secteur privé. Le marché fournit des informations concernant les prix. Mettre à profit le mécanisme du marché pour fournir également des informations sur le mode de production des aliments et sur les avantages de ce mode de production pour l’environnement et la société pourrait aider à concilier les objectifs économiques, sociaux et environnementaux.

EFFETS TRANSFORMATEURS DES TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES SUR LES MARCHÉS

Les technologies numériques impriment actuellement un mouvement transformateur rapide à tous les stades de la chaîne de valeur, du producteur au consommateur. Leur adoption améliore l’efficience, crée de nouveaux emplois, génère de nouveaux flux de revenus et économise des ressources. Elles peuvent cependant être sources de perturbations, modifiant ou déplaçant des activités et des produits de la chaîne de valeur.

Au niveau de l’exploitation, les applications numériques aident à pallier les défaillances des marchés et facilitent l’intégration des agriculteurs dans les chaînes de valeur en réduisant les coûts d’information et de transaction. Les améliorations des technologies de l’information et de la communication ont également soutenu le développement des chaînes de valeur mondiales, en connectant efficacement les agriculteurs aux négociants et aux consommateurs à l’échelle régionale et internationale. En 2020, la pandémie de covid-19 a révélé à quel point les technologies numériques pouvaient améliorer le fonctionnement des marchés alimentaires. Les estimations indiquent qu’en République populaire de Chine, en février 2020, la part du marché en ligne est passée de 11 pour cent à 38 pour cent du total des achats alimentaires au détail.

Malgré la diffusion rapide de ces technologies au cours des trois dernières décennies, une fracture numérique subsiste entre les pays, entre les zones urbaines et rurales, et entre les hommes et les femmes. En moyenne, 10 pour cent seulement des ménages de l’Afrique rurale ont accès à internet. Si l’on veut que l’ensemble de la population prenne part à l’économie numérique, il est indispensable de nouer des partenariats public-privé efficaces, d’édicter des règlements propres à attirer massivement le secteur privé et d’assurer une cohérence des politiques, de façon à renforcer l’infrastructure et les compétences numériques dans les zones rurales des pays en développement.

Que ce soit au moyen de messages courts transmis par l’intermédiaire du Short Messaging Service (SMS) des téléphones portables ou par le truchement des plateformes de commerce électronique ou de la technologie des registres distribués, les applications numériques réduisent les coûts de transaction, améliorent le flux d’information et favorisent une mise en relation efficiente des agriculteurs avec les négociants et les consommateurs. Cela permet d’accroître l’accès aux marchés et d’obtenir de meilleurs résultats en termes de revenu et de bien-être. Les initiatives de plateformes numériques examinées dans le présent rapport, comme e-Choupal en Inde, Esoko en Afrique et les villages Taobao en République populaire de Chine, montrent comment les technologies numériques peuvent améliorer le fonctionnement des marchés.

L’accès au crédit et à l’assurance aussi est en pleine révolution. Des innovations numériques dans l’observation de la Terre et dans l’estimation des précipitations et la télédétection par satellite, combinées à des données in situ et à la technologie de la chaîne de blocs, sont à même d’étayer des programmes d’assurance indicielle fondée sur les conditions météorologiques à moindre coût. Il devient ainsi possible de toucher des millions de petits exploitants qui jusque-là, pour un grand nombre d’entre eux, étaient considérés comme non assurables.

Les effets transformateurs des innovations numériques peuvent venir appuyer une série de résultats des marchés. Les applications numériques destinées aux marchés agricoles et alimentaires peuvent générer des avantages économiques, sociaux et environnementaux considérables et accélérer les progrès accomplis dans la concrétisation des ODD. Ainsi, les technologies numériques favorisent l’accès de tous aux services bancaires en permettant aux établissements financiers de s’implanter sur les marchés ruraux sans avoir à y établir une présence physique coûteuse. Les plateformes de commerce électronique incitent les jeunes diplômés et les femmes à rester dans les zones rurales ou à y revenir. Ce phénomène peut transformer ces zones en des lieux où il fait bon vivre et travailler. La technologie de la chaîne de blocs peut renforcer la confiance et favoriser la transparence, augmentant ainsi la traçabilité des aliments tout au long de la filière. La mise en œuvre de normes de durabilité et d’un étiquetage apportant aux consommateurs des informations sur les dimensions environnementales et sociales de la production peut en être facilitée.

Cela étant, les technologies numériques présentent aussi des risques et soulèvent des problèmes. Les questions de propriété et d’utilisation des données collectées à l’aide des technologies numériques utilisées sur l’exploitation, par exemple, ont suscité de grandes inquiétudes. Les régler pourrait favoriser l’adoption de ces technologies. Les technologies influent également sur les facteurs de production et leur valeur, comme la demande de main-d’œuvre et les salaires. Par ailleurs, les technologies numériques pourraient entraîner des entorses à la concurrence sur les marchés, entraînant des effets sur les prix ou les quantités, et donc sur le bien-être.

Les incidences potentielles des technologies sur les marchés agricoles et alimentaires doivent être analysées plus en profondeur. Les questions soulevées dans ce qui précède soulignent la nécessité d’une collaboration plus efficace entre toutes les parties prenantes. Elles demandent aussi que l’on recherche un consensus sur les bonnes pratiques susceptibles de structurer un cadre réglementaire qui maximisera les avantages des technologies numériques au service de l’alimentation et de l’agriculture tout en réduisant autant que faire se peut les risques associés.

PARTIE 1 - Tendances des Marchés Agricoles et Alimentaires

MESSAGES CLÉS
  1. Depuis 1995, le commerce international de produits alimentaires et agricoles a plus que doublé en termes réels, quoique son rythme de croissance se soit ralenti depuis la crise financière de 2008. Les pays en développement et les économies émergentes prennent une part croissante aux marchés mondiaux et leurs exportations représentent plus d’un tiers des échanges agroalimentaires mondiaux.

  2. La physionomie des échanges est déterminée par la croissance économique, l’urbanisation, les progrès technologiques et les politiques commerciales. Ces tendances entraînent en outre des changements substantiels dans les modes de vie, influent sur les régimes alimentaires et transforment les chaînes de valeur et les marchés intérieurs et mondiaux.

  3. Les changements que connaissent les marchés agricoles et alimentaires des économies émergentes et des pays en développement sont rapides et marqués. Ce phénomène met en lumière un processus qui unit étroitement le développement et la transformation continue de l’alimentation et de l’agriculture.

  4. Les effets de la pandémie de covid-19, ainsi que les restrictions de circulation et les fermetures partielles des frontières imposées début 2020 pour contenir la propagation du virus, ont frappé l’économie mondiale par la voie des courants d’échanges et des flux d’investissements qui s’étaient développés au cours des deux dernières décennies.

PRINCIPALES MESURES
  • Une meilleure connaissance des évolutions des marchés agricoles et alimentaires mondiaux et une étude systématique des politiques commerciales sont essentielles pour relever les défis liés au processus de transformation, aux chocs financiers, aux catastrophes naturelles et aux crises d’origine sanitaire telles que la pandémie de covid-19.

  • La transformation de l’alimentation et de l’agriculture touche tout le monde, mais de différentes façons. Elle a une incidence sur les exploitations et les chaînes de valeur, les revenus et les emplois, les régimes alimentaires et l’état nutritionnel, l’environnement et la société tout entière. Les décideurs politiques doivent déterminer en quoi ces incidences sont liées pour être en mesure de concevoir et mettre en œuvre des mesures efficaces et de promouvoir un développement durable.

  • Les effets désorganisateurs de la pandémie de covid-19 sur les chaînes de valeur alimentaires imposent d’améliorer la coopération internationale et la transparence des marchés, et appellent des mesures qui facilitent la circulation des produits alimentaires sans compromettre la sécurité sanitaire des aliments ni la santé des travailleurs, ce qui suppose notamment de créer des corridors commerciaux et de revenir temporairement sur les obstacles techniques au commerce.

Partie 2 - Chaînes de Valeur Mondiales de L’Alimentation et de L’Agriculture

MESSAGES CLÉS
  1. Les chaînes de valeur mondiales se sont constituées rapidement et sont très répandues dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture. Un tiers environ des exportations alimentaires et agricoles ont lieu à l’intérieur de chaînes de valeur mondiales.

  2. Dans le secteur agroalimentaire, ces chaînes peuvent être complexes et englober un grand nombre de pays. La division de la production en plusieurs étapes permet aux agriculteurs et aux entreprises de participer plus facilement aux stades auxquels ils peuvent exploiter au mieux leur avantage comparatif.

  3. La participation à des chaînes de valeur mondiales peut stimuler la productivité des exploitants agricoles en favorisant la diffusion de technologies améliorées et de connaissances. Mais les petits producteurs qui ne disposent pas des compétences ou des actifs nécessaires pourraient se retrouver exclus de ces marchés modernes.

  4. Les restrictions à l’exportation mises en place face à la pandémie de covid-19 sont susceptibles d’avoir des incidences sur les marchés alimentaires mondiaux et de nuire aux pays en développement à faible revenu importateurs de produits alimentaires. Par ailleurs, la pandémie pourrait entraîner l’abandon de chaînes de valeur mondiales au profit de processus de production localisés, et donc entraver la productivité et la résilience.

PRINCIPALES MESURES
  • La réduction des obstacles au commerce peut favoriser les chaînes de valeur mondiales et contribuer à la croissance des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation. Chaque fois qu’ils traversent une frontière, les produits sont soumis à des tarifs d’importation, qui s’accumulent tout au long des chaînes de valeur et constituent un frein à la création de valeur ajoutée.

  • Les politiques commerciales qui favorisent les marchés libres devraient être accompagnées de mesures qui renforcent les capacités à se positionner de manière concurrentielle dans les chaînes de valeur mondiales modernes. Il faudrait notamment investir dans les infrastructures, mettre en place des réglementations efficaces et surtout s’attacher, par des mesures ciblées, à augmenter les compétences des agriculteurs et des travailleurs.

  • Les chaînes de valeur, lorsqu’elles sont combinées à des systèmes de certification de la durabilité, peuvent contribuer à coordonner les actions menées à l’échelle mondiale pour faire face aux défis du développement durable. L’harmonisation au niveau international des normes et de la certification en matière de durabilité peut faciliter l’application de ces dispositifs aux chaînes de valeur alimentaires mondiales.

  • Les accords commerciaux régionaux peuvent encourager la participation aux chaînes de valeur mondiales et accélérer les réformes des institutions et des politiques publiques. Cependant, étant donné que de nombreux pays vulnérables continuent de dépendre des marchés mondiaux, la communauté internationale doit également s’efforcer de promouvoir les échanges multilatéraux.

  • Pour relever les défis posés par la pandémie de covid-19, il importe de sensibiliser davantage à la contribution apportée par le commerce et les chaînes de valeur mondiales à la croissance et à la sécurité alimentaire. Les politiques qui encouragent le commerce international accroissent les gains d’efficience et renforcent la résilience face aux crises.

Partie 3 - Agriculteurs et Chaînes de Valeur: Des Modèles Fonctionnels Propres à une Croissance Durable

MESSAGES CLÉS
  1. Des marchés qui fonctionnent correctement sont essentiels à la croissance agricole et occupent une place centrale dans le processus de développement. Ils offrent un mécanisme permettant aux agriculteurs de s’intégrer dans l’économie et ouvrent des possibilités de croissance des revenus et d’amélioration des moyens de subsistance.

  2. Dans de nombreux pays en développement, les agriculteurs se heurtent à d’importantes difficultés pour accéder aux marchés. La situation est pire encore pour les femmes. La rigueur des exigences des chaînes de valeur modernes pourrait aggraver l’isolement des agriculteurs par rapport au mécanisme des marchés.

  3. Une plus grande participation des exploitants aux marchés ouvre l’éventail de leurs choix. Les marchés permettent aux agriculteurs de prendre des décisions plus éclairées concernant leur exploitation, leur famille et eux-mêmes lorsqu’ils choisissent comment et quoi produire, ou comment investir. Les améliorations des moyens de subsistance susceptibles d’en découler intéressent aussi bien l’agriculture que d’autres secteurs économiques.

PRINCIPALES MESURES
  • L’action des pouvoirs publics est déterminante pour soutenir la participation aux marchés. Cela suppose des mesures ciblant les zones rurales pour y améliorer les services de santé et d’éducation, en moderniser les infrastructures et en dynamiser les marchés du travail, et instaurer ainsi un environnement porteur, propice aux entreprises.

  • Des modèles fonctionnels inclusifs, comme l’agriculture contractuelle, peuvent remédier aux difficultés auxquelles les agriculteurs se heurtent lorsqu’ils tentent d’entrer sur les marchés et dans les chaînes de valeur. Dans les pays en développement, une approche de ce type peut être facilitée par des groupements d’agriculteurs efficaces; elle nécessite, de la part des pouvoirs publics, du secteur privé et de la société civile, des actions pluridimensionnelles et coordonnées.

  • Les marchés agricoles et alimentaires peuvent être mis à profit pour obtenir des résultats en matière de développement durable. Promouvoir des systèmes volontaires de certification de la durabilité et veiller à ce qu’ils soient largement appliqués est un moyen de parvenir à un bon compromis entre les objectifs économiques, environnementaux et sociaux.

Partie 4 - Technologies Numériques et Marchés Agricoles et Alimentaires

MESSAGES CLÉS
  1. Les technologies numériques agissent en profondeur sur les économies et les sociétés et transforment les marchés agricoles et alimentaires. Les progrès en matière de connectivité sont spectaculaires, mais il reste une fracture numérique entre les pays et au sein des populations. Les femmes vivant en zone rurale dans les pays en développement sont particulièrement désavantagées.

  2. Les technologies numériques peuvent être exploitées pour remédier à de multiples défaillances des marchés et faciliter l’intégration des petits agriculteurs dans les marchés et les chaînes de valeur. Elles peuvent aussi promouvoir les échanges internationaux et améliorer efficacement les mécanismes institutionnels fondés sur les marchés pour contribuer à la réalisation d’objectifs durables.

  3. Les applications numériques sont porteuses de gains considérables, du point de vue de l’efficience, de la traçabilité et de la transparence, sur les marchés et dans les chaînes de valeur. Cela étant, leurs effets transformateurs à long terme, et les risques qui y sont associés, ne sont encore pas totalement compris.

PRINCIPALES MESURES
  • Des partenariats public-privé efficaces, des règlements bien pensés, pour attirer massivement le secteur privé, et une cohérence des politiques sont nécessaires si l’on veut améliorer les infrastructures et les compétences numériques dans les zones rurales et faciliter l’adoption des technologies numériques, en particulier sur les marchés agricoles et alimentaires des pays en développement.

  • Il est crucial de poursuivre les travaux de recherche et l’analyse des effets potentiels des technologies numériques sur les marchés agricoles et alimentaires, sur leur structure et sur leur fonctionnement, afin de mieux anticiper les effets qui sont source de rupture et de favoriser des résultats durables.

  • Pour comprendre les défis qui naissent des technologies numériques et gérer les risques associés à l’utilisation de celles-ci, il faut renforcer la collaboration et le consensus entre les parties prenantes, notamment les pouvoirs publics, le secteur privé et les agriculteurs eux-mêmes, de façon à améliorer les mécanismes de gouvernance.

Dans cette PREMIÈRE PARTIE, on s’intéresse à la façon dont le commerce et les marchés ont évolué depuis le début du nouveau millénaire. On y examine comment la croissance économique et l’urbanisation, de même que les améliorations technologiques et l’action des pouvoirs publics, ont contribué à transformer les échanges de produits agricoles et alimentaires, leur physionomie et leur composition. Au fil de leur développement, de nombreux pays font l’expérience d’un changement progressif de l’alimentation et d’une évolution des préférences des consommateurs dans ce domaine. Ces processus se retrouvent dans les échanges et les marchés, qui se transforment en permanence, sous l’effet également de bouleversements tels que la crise financière de 2008 et la pandémie de covid-19.

Messages clés

1 Depuis 1995, le commerce international de produits alimentaires et agricoles a plus que doublé en termes réels, quoique son rythme de croissance se soit ralenti depuis la crise financière de 2008. Les pays en développement et les économies émergentes prennent une part croissante aux marchés mondiaux et leurs exportations représentent plus d’un tiers des échanges agroalimentaires mondiaux.

2 La physionomie des échanges est déterminée par la croissance économique, l’urbanisation, les progrès technologiques et les politiques commerciales. Ces tendances entraînent en outre des changements substantiels dans les modes de vie, influent sur les régimes alimentaires et transforment les chaînes de valeur et les marchés intérieurs et mondiaux.

3 Les changements que connaissent les marchés agricoles et alimentaires des économies émergentes et des pays en développement sont rapides et marqués. Ce phénomène met en lumière un processus qui unit étroitement le développement et la transformation continue de l’alimentation et de l’agriculture.

4 Les effets de la pandémie de covid-19, ainsi que les restrictions de circulation et les fermetures partielles des frontières imposées début 2020 pour contenir la propagation du virus, ont frappé l’économie mondiale par la voie des courants d’échanges et des flux d’investissements qui s’étaient développés au cours des deux dernières décennies.

Principales mesures

Une meilleure connaissance des évolutions des marchés agricoles et alimentaires mondiaux et une étude systématique des politiques commerciales sont essentielles pour relever les défis liés au processus de transformation, aux chocs financiers, aux catastrophes naturelles et aux crises d’origine sanitaire telles que la pandémie de covid-19.

La transformation de l’alimentation et de l’agriculture touche tout le monde, mais de différentes façons. Elle a une incidence sur les exploitations et les chaînes de valeur, les revenus et les emplois, les régimes alimentaires et l’état nutritionnel, l’environnement et la société tout entière. Les décideurs politiques doivent déterminer en quoi ces incidences sont liées pour être en mesure de concevoir et mettre en œuvre des mesures efficaces et de promouvoir un développement durable.

Les effets désorganisateurs de la pandémie de covid-19 sur les chaînes de valeur alimentaires imposent d’améliorer la coopération internationale et la transparence des marchés, et appellent des mesures qui facilitent la circulation des produits alimentaires sans compromettre la sécurité sanitaire des aliments ni la santé des travailleurs, ce qui suppose notamment de créer des corridors commerciaux et de revenir temporairement sur les obstacles techniques au commerce.

Tendances récentes des échanges agricoles et alimentaires

Depuis le début du XXIe siècle, le commerce mondial des produits agricoles et alimentaires (agroalimentaires) a singulièrement évoluéa. Il a plus que doublé en valeur réelle sur la période 1995-2018, passant de 680 milliards à 1 500 milliards d’USD (mesuré aux prix de 2015, figure 1.1). Sur cette période, la part des échanges agroalimentaires dans le total du commerce de marchandises a été de 7,5 pour cent en moyenne.

Figure 1.1
ÉVOLUTION DES ÉCHANGES AGROALIMENTAIRES, 1995-2018 (PAYS CLASSÉS PAR CATÉGORIE DE REVENU)

La tendance ascendante a atteint son point culminant lors de la crise des prix des denrées alimentaires de 2007-2008, avant d’être brutalement interrompue par la crise financière de 2008 et la récession mondiale qui a suivi. Malgré le rétablissement du commerce en 2010 et 2011 et le nouvel envol des prix des produits de base, le ralentissement de l’économie mondiale, en particulier dans les pays émergents tels que la République populaire de Chine, a eu des répercussions importantes, à la fois sur les échanges et sur les prix des produits de base1. Depuis 2014, le recul en valeur du commerce agroalimentaire s’explique principalement par la baisse des prix des produits de base et les fluctuations des taux de change2,3, les taux de croissance ayant recommencé à augmenter en partie entre 2016 et 2018.

Les pays à revenu élevé réalisent la majeure partie du commerce agroalimentaire en valeur, mais les économies émergentes et les pays en développement prennent une part croissance aux marchés mondiaux (figure 1.1, panneau A). Depuis le début du nouveau millénaire, les pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure ont accru leur part des exportations agroalimentaires mondiales, de 25 pour cent environ en 2001 à 36 pour cent en 2018. Durant la même période, la part des pays à faible revenu dans les échanges agroalimentaires mondiaux est demeurée presque inchangée, autour de 1,1 pour cent.

À partir de 2008, compte tenu du ralentissement de l’économie mondiale, les exportations et les importations agroalimentaires ont connu une croissance poussive, comparée à celle de la période 1995-2007, et ce en particulier dans les pays à revenu élevé, dont l’économie a été plus durement touchée par la crise financière (figure 1.1, panneau B). Les pays à faible revenu, qui, pour beaucoup, exportent vers les marchés des pays à revenu élevé, ont également pâti du ralentissement de la demande sur ces marchés et de la baisse des prix des produits de base. Les exportations et les importations des pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure ont continué de croître rapidement entre 2009 et 2011, et ce n’est qu’ensuite qu’elles ont marqué le pas.

Durant toute la période 1995-2018, les importations agroalimentaires du groupe des pays à revenu élevé ont été supérieures aux exportations, tandis que le groupe des pays à revenu intermédiaire des deux tranches affichait une position d’exportateur net. Les importations du groupe des pays à faible revenu sont restées légèrement supérieures aux exportations entre 1995 et 2000, avant d’augmenter nettement jusqu’en 2011, puis de se stabiliser.

Échanges de produits agricoles de base et de produits alimentaires

La plus large part du commerce agroalimentaire correspond à des échanges de produits transformés provenant du secteur alimentaire (figure 1.2). Entre 1995 et 2000, la part de l’alimentation dans le total des exportations agroalimentaires est demeurée stable, avant d’augmenter, de 70 pour cent environ en 2000 à 76 pour cent en 2018 (figure 1.2, panneau A). Au cours de la période 1995-2018, les exportations alimentaires ont augmenté à un rythme moyen annuel de 3,4 pour cent, plus rapide que celui des exportations de produits agricoles de base (1,9 pour cent).

Figure 1.2
ÉCHANGES DE PRODUITS ALIMENTAIRES ET DE PRODUITS AGRICOLES DE BASE

À l’échelle mondiale, la majeure partie des produits alimentaires sont échangés par des pays à revenu élevé, qui représentent une part égale des exportations et des importations alimentaires. En moyenne, tous les groupes de pays, quelle que soit leur catégorie de revenu, importent davantage de produits alimentaires que de produits agricoles de base (figure 1.2, panneau B). Les pays à revenu intermédiaire des deux tranches exportent plus de produits alimentaires qu’ils n’en importent, ce qui témoigne, en moyenne là encore, d’une industrie de transformation bien développée et tournée vers l’exportation. Les exportations des pays à faible revenu se caractérisent par une plus large part de produits agricoles de base, car ces pays sont spécialisés dans la production de matières premières et leur secteur alimentaire est relativement moins développé.

L’orientation vers l’exportation varie nettement selon les pays. Alors que les pays des régions Europe et Asie centrale et Asie de l’Est et Pacifique commercent généralement avec d’autres pays de la même région, ceux des régions Asie du Sud, Amérique latine et Caraïbes, Afrique subsaharienne, Amérique du Nord, et Moyen-Orient et Afrique du Nord sont plus tournés vers des échanges mondiaux (voir l’encadré 1.1).

Échanges par agrégat alimentaire

Entre 1995 et 2018, les échanges ont augmenté pour tous les produits alimentairesb. La variation des exportations et des importations de tous les produits alimentaires a été relativement faible dans les pays à revenu élevé, mais les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont considérablement augmenté à la fois leurs exportations et leurs importations pour tous les agrégats alimentaires (figure 1.4, panneau A).

Figure 1.4
VARIATION DES EXPORTATIONS ET DES IMPORTATIONS PAR AGRÉGAT ALIMENTAIRE, 1995-2018 (PAYS CLASSÉS PAR CATÉGORIE DE REVENU)

Si l’on part de la catégorie de revenu la plus basse, les agrégats pour lesquels les exportations des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont augmenté sont surtout les fruits et légumes (multipliées par quatre dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et par trois dans les pays à faible revenu); les aliments transformés (multipliées par trois dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et par six dans les pays à faible revenu); les produits laitiers et les œufs (multipliées par cinq environ dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire); et les graisses et huiles (multipliées par cinq environ dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et par trois dans les pays à faible revenu). Les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ont considérablement accru leurs exportations de produits laitiers et d’œufs ainsi que de céréales (multipliées par plus de cinq et quatre fois, respectivement, entre 1995 et 2018).

Suivant en cela la loi de Bennett – qui suggère qu’à mesure que leurs revenus augmentent les gens diminuent leur consommation de féculents au profit d’aliments plus riches en nutriments tels que viandes, huiles, sucres, fruits et légumes6 –, les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont considérablement augmenté leurs importations de produits de plus haute valeur, comme la viande et le poisson, les fruits et légumes, et les aliments transformés (figure 1.4, panneau B).

La décision d’un pays de faire commerce d’un aliment ou d’un autre dépend d’une multitude de facteurs, parmi lesquels de plus grandes facilités pour produire cet aliment et les préférences des consommateurs. En agriculture, la gamme de produits est souvent déterminée par les ressources disponibles et par les facteurs naturels tels que le climat. De nombreuses céréales, par exemple, sont principalement cultivées dans les zones tempérées, tandis que les climats plus chauds permettent de produire une grande variété de fruits et de légumes. Le commerce transfère des produits des régions excédentaires vers les régions déficitaires, ce que montrent les structures commerciales régionales. Lorsqu’un pays a davantage de facilités pour produire des céréales, ses exportations comprennent également une plus grande part de produits céréaliers. Si la situation d’un pays favorise la production de fruits et de légumes, ceux-ci occupent une plus large place dans les exportations nationales (figure 1.5). De même, les pays moins avantagés pour produire des céréales ou des fruits sont aussi plus dépendants à l’égard de l’importation de ces produits (figure 1.6).

Figure 1.5
PART DE CERTAINS AGRÉGATS ALIMENTAIRES DANS LE TOTAL DES EXPORTATIONS AGROALIMENTAIRES, EN MOYENNE SUR LA PÉRIODE 2016-2018
Figure 1.6
DÉPENDANCE À L’ÉGARD DES IMPORTATIONS DE CERTAINS AGRÉGATS ALIMENTAIRES, EN MOYENNE SUR LA PÉRIODE 2015-2017

Les structures commerciales qui naissent de ces différences d’avantage comparatif se retrouvent également à l’échelle nationale (figure 1.7). Le Brésil, par exemple, une économie émergente qui se classe dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et un grand exportateur de produits agricoles, a presque quadruplé ses exportations (en termes réels) depuis 1995. Cette progression a été particulièrement marquée pour les exportations de céréales, de viande et de poisson, et de sucre et de cacao. Dans le même temps, les importations du Brésil sont restées à peu près inchangées.

Figure 1.7
Exportations et importations agricoles: Brésil, Viet Nam, Népal et Ouganda par agrégat alimentaire

Le Viet Nam, un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, a augmenté à la fois ses exportations et ses importations depuis le début du siècle. Les agrégats alimentaires qui ont le plus progressé à l’exportation sont la viande et le poisson, et les fruits et légumes. Les importations de céréales et de fruits et légumes ont également augmenté (figure 1.7).

Le Népal, un pays enclavé à faible revenu, se caractérise par des conditions difficiles, peu propices à la production agricole, et par une faible intégration dans les marchés mondiaux, du fait principalement de sa situation géographique, dans l’Himalaya. Pourtant, depuis 1995, le Népal a lentement augmenté la valeur de ses exportations et changé leur composition (figure 1.7). Les graisses et les huiles formaient une large part des exportations à la fin des années 90, mais l’amélioration des capacités de transformation depuis le début du millénaire a contribué à un accroissement notable des exportations d’aliments transformés ainsi que de thé et d’épices. Les importations de produits alimentaires ont augmenté, d’un niveau presque négligeable en 1995 à plus de 1 milliard d’USD en 2018 (mesurées aux prix de 2015), et se composent principalement de céréales, de fruits et de légumes, et d’aliments transformés.

Autre pays enclavé à faible revenu, l’Ouganda présente une autre trajectoire de croissance commerciale. Le pays est l’un des 10 plus gros producteurs de café dans le monde et ce produit représente autour de 35 pour cent du total des exportations agroalimentaires ougandaises. Entre 1995 et 2018, outre une hausse de ses exportations de café, l’Ouganda a également réussi à augmenter de façon importante ses exportations de céréales, de sucre et de cacao, et de fruits et de légumes. Durant la même période, le pays a accru aussi ses importations de graisses et d’huiles, de céréales et d’aliments transformés (figure 1.7).

Déterminants du commerce mondial

Les échanges internationaux donnent naissance à une économie mondialisée et, en reliant la demande et l’offre d’aliments à l’échelle planétaire, permettent aux pays de développer leurs marchés. En dehors des facteurs agroclimatiques, le volume et la composition des échanges d’un pays sont structurés par quatre grands déterminants étroitement liés qui décrivent aussi le développement économique: hausse des revenus; croissance et évolution démographiques; avancées technologiques; et action des pouvoirs publics.

La croissance et l’évolution démographiques ainsi que la hausse des revenus influent sur la demande globale de produits alimentaires et sur les modes d’alimentation, lesquels entraînent à leur tour des adaptations de la production, des marchés et des échanges, facilitées par la technologie. Le processus de mondialisation se caractérise par une ouverture croissante des marchés, favorisée par une diminution des obstacles découlant des politiques commerciales, mais aussi par le progrès technologique, qui entraîne une baisse des coûts de transport, une amélioration des communications et donc une augmentation de la commercialisation. Tous ces facteurs déterminants influent, simultanément et par différents canaux, sur l’offre, la demande et les échanges de produits alimentaires.

Croissance des revenus

De façon générale, le commerce est influencé par les revenus, mais il peut aussi être l’un des déterminants de la croissance économique dans la mesure où il favorise les gains d’efficience et les retombées technologiques. La relation entre commerce et revenus est loin néanmoins de faire l’unanimité. Entre 1995 et 2018, c’est-à-dire une période caractérisée par une ouverture croissante des marchés et une intensification des échanges, la croissance des revenus dans les différents pays tend à montrer que la mondialisation ne sert que partiellement la convergence. Dans les pays à revenu intermédiaire des deux tranches, les taux de croissance des revenus ont été bien plus élevés que dans les pays à revenu élevé, ce qui indique que, sur la période 1995-2018, les premiers ont comblé une partie de leur retard sur les seconds. En revanche, les revenus n’ont crû que lentement dans les pays à faible revenu, ce qui suggère un défaut de convergence et un creusement des écarts.

La crise financière de 2008 aussi a eu des effets sur la croissance des revenus. Les pays à revenu élevé, où les systèmes financiers étaient plus endettés et l’expansion du crédit plus forte, ont été frappés de façon disproportionnée par la crise financière et ont subi de plus fortes révisions à la baisse de leur activité économique (figure 1.8, panneau A)7,8. Les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure aussi ont enregistré un ralentissement de la croissance des revenus entre 2008 et 2018, mais dans une nettement moindre mesure. En revanche, un ensemble plus large de pays en développement, des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure peu intégrés dans les marchés financiers mondiaux, a été moins touché par la crise de 20089. Pour l’essentiel, ces évolutions des revenus se retrouvent aussi dans les échanges agroalimentaires (voir la figure 1.1, panneau A).

Figure 1.8
DYNAMIQUE ET CROISSANCE DES REVENUS ET DE LA CONSOMMATION ALIMENTAIRE (PAYS CLASSÉS PAR CATÉGORIE DE REVENU)

Les grands changements socioéconomiques associés à la croissance des revenus s’accompagnent de transformations notables des modes de consommation alimentaire10 – un processus décrit sous l’appellation de «transition nutritionnelle». Aux premiers stades de cette transition, la croissance des revenus va de pair avec des niveaux d’apport alimentaire plus élevés et une moindre incidence de l’insécurité alimentaire11. Les régimes alimentaires sont alors peu diversifiés et comportent une proportion relativement importante de féculents. Suit un stade de croissance accélérée de la consommation calorique, qui s’accompagne d’une augmentation de l’apport en protéines et en vitamines et minéraux, l’ensemble pouvant se traduire par une amélioration de la nutrition et des résultats en matière de santé. Bien souvent, toutefois, cette évolution se fait en parallèle, ou est rapidement suivie, d’un changement de régime alimentaire qui fait une plus large place aux graisses, au sucre et aux aliments transformés, voire hautement transformés. Au dernier stade de la transition nutritionnelle, et tandis que les revenus progressent encore, la croissance de la consommation calorique par habitant ralentit et les régimes alimentaires évoluent vers des graisses de meilleure qualité, une part plus large faite aux fruits et légumes, et une augmentation de la consommation de céréales complètes. Pendant toute la transition nutritionnelle, la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages décroît à mesure que les revenus augmentent (conformément à la loi d’Engel)c.

La transition nutritionnelle se retrouve également dans la loi de Bennett, qui établit qu’à mesure que les gens s’enrichissent, ils délaissent les régimes où prédominent des féculents de base et adoptent une alimentation plus variée dans laquelle entre une gamme plus large de fruits, de légumes et de protéines d’origine animale6.

Les données agrégées font clairement écho aux stades de la transition nutritionnelle (figure 1.8, panneau B). Dans les pays à faible revenu, la hausse des revenus par habitant est associée à une hausse de la consommation calorique par habitant. Lorsque la croissance des revenus s’accélère, cet effet se renforce dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, l’effet tend déjà à se ralentir et, dans les pays à revenu élevé, la croissance des revenus n’est plus que faiblement associée à celle de la consommation calorique.

Les changements d’alimentation tels que décrits par la loi de Bennett peuvent aussi s’observer au niveau agrégé. De 1995 à 2017, à mesure que les revenus progressaient, la part des céréales a baissé dans la consommation alimentaire par habitant des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (figure 1.9, panneau supérieur). Quant aux pays à revenu élevé, ils semblent être parvenus au terme de la transition nutritionnelle, comme le montre leur consommation de céréales quasi inchangée.

Figure 1.9
ÉVOLUTION DE LA PART DE CALORIES DISPONIBLES APPORTÉE PAR LES PRINCIPAUX AGRÉGATS ALIMENTAIRES DANS LA CONSOMMATION PAR HABITANT, SUR LA PÉRIODE 1995-2017 (EN POURCENTAGE)

En revanche, la part de l’apport en sucres dans l’alimentation quotidienne a augmenté de plus de la moitié dans les pays à faible revenu, à comparer aux 5 pour cent d’augmentation dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, quant à eux, affichent un léger recul de l’apport en sucres. La consommation de fruits et de légumes, de viande, et de graisses et d’huiles a augmenté dans tous les groupes de pays, et en particulier dans les pays à revenu intermédiaire des deux tranches. Les pays à faible revenu ont connu une forte hausse de la consommation de produits laitiers.

Des changements d’alimentation similaires ont été observés en Asie, parallèlement à une croissance économique, une urbanisation et une mondialisation rapides au cours de la période 1961-201112,13. Plus récemment, en Afrique subsaharienne, la croissance économique a déclenché des modifications de la consommation alimentaire: les céréales, les racines et les tubercules cèdent la place au poisson, à la viande, aux œufs, aux produits laitiers, aux fruits et aux légumes, et la consommation d’aliments plus transformés se généralise14.

Si, à ce niveau agrégé, l’évolution des habitudes de consommation tout au long de la transition nutritionnelle est évidente, au niveau national, on observe une plus grande hétérogénéité, car le changement d’alimentation dépend aussi des préférences, de la répartition des revenus et du niveau de développement (figure 1.9, panneau inférieur). Ainsi, dans des économies émergentes telles que le Brésil et dans de nombreux pays en développement, dont le Népal et le Viet Nam, la croissance des revenus a entraîné une baisse notable de la part des céréales dans la consommation alimentaire par habitant. En Ouganda, à l’inverse, la part des céréales dans la consommation alimentaire par habitant a augmenté; dans ce pays, en effet, contrairement aux autres pays de la région où le maïs prédomine dans l’alimentation humaine, les gens consomment des produits de base variés, parmi lesquels le manioc, la patate douce et la banane plantain. Dans les pays où la croissance économique est en pleine accélération, comme le Viet Nam, les changements d’alimentation sont plus rapides.

Les régimes alimentaires évoluent aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural14,15. Néanmoins, l’abandon des céréales au profit d’aliments plus caloriques est apparu plus marqué en milieu urbain, même si les zones rurales tendent à combler rapidement leur retard, poussées par la croissance des revenus et l’évolution des systèmes alimentaires15.

Les liens entre revenu moyen et consommation moyenne pourraient toutefois masquer des tendances importantes de la demande alimentaire, liées à la répartition des revenus et à celle des calories entre groupes de population aisés et pauvres.

En fait, il a été établi dans de nombreux pays en développement que l’émergence d’une classe moyenne constituait le facteur le plus important non seulement de la demande de produits alimentaires, mais aussi de sa composition, et que cela entraînait des changements dans les systèmes d’approvisionnement correspondants (voir l’encadré 1.4 sur l’intégration verticale)14,16,17,18.

Ainsi, en Afrique, l’essor d’une classe moyenne urbaine s’est traduit par une hausse de l’apport calorique global et une plus forte demande d’aliments transformés, de viande, de fruits et de légumes14,16. Les consommateurs de la classe moyenne font aussi plus fréquemment leurs courses au supermarché, ou dans d’autres types de magasins de proximité, et dépensent une plus grande part de leur revenu dans des repas pris à l’extérieur du foyer10,16.

Les changements d’alimentation favorisés par la hausse des revenus ont aussi une incidence sur les échanges. La consommation accrue de viande et de poisson, de fruits et de légumes, et d’aliments transformés se retrouve dans l’augmentation des importations de ces produits, surtout dans les économies émergentes et les pays en développement (voir la figure 1.4, panneau B).

Au moment de la rédaction du présent rapport, l’épidémie de covid-19 frappait les chaînes de valeur agroalimentaires, les revenus et la demande de produits alimentaires à l’échelle mondiale. La propagation rapide de ce nouveau coronavirus au cours de l’hiver 2019-2020 a contraint les décideurs publics du monde entier à faire des choix difficiles. À mesure que de nombreux pays mettaient en place les pratiques de distanciation sociale qui s’imposaient face à la pandémie, une crise sans précédent et multiforme s’est amorcée.

Nombre de pays ont dû faire face à des problèmes multiples touchant à la santé, à l’économie et à la sécurité alimentaire, qui interagissaient de façon complexe19. La menace que la covid-19 représente pour la sécurité alimentaire, du fait des pertes de revenus, est un sujet de préoccupation majeur car elle pourrait compromettre les progrès réalisés ces dernières décennies dans la réduction de la prévalence de la sous-alimentation. L’encadré 1.2 examine les effets immédiats de la pandémie sur les échanges, les chaînes de valeur et la sécurité alimentaire dans le monde.

Croissance et évolution démographiques

L’interaction entre croissance et évolution démographiques agit fortement sur la demande, les échanges et les marchés alimentaires. Si l’accroissement de la population détermine la demande et les échanges en volume de produits alimentaires, l’évolution de la démographie, quant à elle, modifie leur composition.

La croissance démographique est associée à une augmentation des échanges entre pays. Si elle ne se fait pas au même rythme dans toutes les régions, il est probable que les échanges permettront de faire circuler les aliments, des régions où la population croît plus lentement vers celles où la croissance est plus rapide. Ainsi une croissance démographique forte dans des pays où la productivité agricole par habitant est basse, et qui peuvent de surcroît subir les effets préjudiciables du changement climatique, conduira ces pays à accroître leurs importations. Les tendances démographiques à long terme montrent une forte croissance en Asie; même si celle-ci a commencé à se ralentir, les projections indiquent que la population devrait culminer à 5,3 milliards d’habitants aux environs de 2050 (figure 1.10, panneau A). Toujours d’après les projections, la population devrait continuer de croître fortement en Afrique, jusqu’à atteindre 2,5 milliards de personnes en 2050, un défi considérable pour l’agriculture. Les populations d’Amérique latine et des Caraïbes, d’Amérique du Nord et d’Océanie devraient croître lentement, tandis qu’il est probable que les populations d’Europe diminueront d’ici à 2050.

Figure 1.10
CROISSANCE ET ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUES

L’urbanisation est associée à des changements considérables des styles de vie et constitue un déterminant essentiel de l’évolution des modes d’alimentation et de la transformation des systèmes alimentaires. À mesure que les sociétés s’urbanisent et que les consommateurs s’éloignent des lieux de production agricole primaire, la demande de produits alimentaires faciles à stocker et à transporter grandit, d’où une intensification de la transformation des aliments29. De façon générale, les consommateurs urbains disposent aussi de revenus plus confortables, ce qui renforce la demande d’une plus large variété d’aliments. Leur style de vie leur laisse moins de temps à consacrer à la préparation des repas, d’où une plus forte consommation d’aliments transformés et un plus grand nombre de repas pris à l’extérieur du foyer30.

L’urbanisation est également liée à de meilleurs moyens de transport ainsi qu’à la possession de son propre véhicule, à l’accès à des moyens de réfrigération et à l’exposition à la publicité17. Tout cela favorise l’accès à des circuits de distribution alimentaire nouveaux et évolutifs, et renforce la demande de produits de plus haute valeur, notamment des fruits, des légumes et des produits transformés. En Afrique, par exemple, le fait de posséder une voiture accroît considérablement les achats effectués dans les supermarchés, qui stockent et vendent généralement des produits relativement plus transformés16.

Alors que les populations d’Amérique du Nord, d’Amérique latine et des Caraïbes, et d’Europe et d’Asie centrale étaient déjà largement urbanisées (figure 1.10, panneau B), les taux d’urbanisation de l’Asie de l’Est et du Pacifique ont connu une croissance rapide entre 1995 et 2018. La part de la population urbaine a augmenté également dans les régions plus rurales de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud, mais à un rythme plus mesuré. L’urbanisation progresse plus vite dans les pays en développement que cela n’a été le cas aux États-Unis d’Amérique et en Europe, par exemple. Il a fallu neuf décennies pour que la part des urbains dans la population totale passe de 40 à 75 pour cent aux États-Unis d’Amérique, et seulement trois pour que ce seuil soit dépassé au Brésil et en République de Corée17.

Progrès technologique, coût des échanges et politiques commerciales

Le progrès technologique a amené des améliorations dans les infrastructures et la logistique et abaissé les coûts de transport en conséquence. Il a également contribué à réduire les coûts de communication, ce qui influe sur les échanges et favorise une intégration mondiale des chaînes de valeur. En aidant à réduire les défauts d’efficience des chaînes de valeur, le progrès technologique pourrait aussi favoriser l’obtention de résultats plus durables dans les systèmes alimentaires31,32.

En moyenne, le coût des échanges – déterminé par les coûts de transport et les changements dans les mesures commerciales – a baissé, que ce soit pour les produits manufacturés33 ou agricoles (voir la figure 1.11, panneau A). Dans le monde en développement, les améliorations apportées aux infrastructures de transport ont entraîné une baisse du coût des échanges, mais souvent à un rythme plus lent que la moyenne mondiale33. Ainsi, entre 1995 et 2015, en Afrique subsaharienne, le coût des échanges de produits agricoles a diminué de 11 pour cent, contre 33 pour cent dans la région Europe et Asie centraled.

Figure 1.11
COÛT DES ÉCHANGES ET COÛT DES COMMUNICATIONS

L’incidence du coût des échanges sur le commerce agricole peut être importante. Une étude qui analysait l’effet sur le commerce des produits agricoles du coût global des échanges – y compris les coûts liés aux obstacles tarifaires et non tarifaires, au fret, à l’information, au change et aux procédures légales et réglementaires – a établi qu’une baisse de 1 pour cent de ce coût agrégé permettrait d’accroître les volumes mondiaux échangés de 2 à 2,5 pour cent34.

En outre, le progrès technologique a révolutionné les communications en en réduisant le coût et en facilitant les échanges (voir aussi la quatrième partie pour une analyse plus approfondie des effets des technologies numériques sur les marchés). Ainsi, l’analyse de l’incidence du coût des communications sur les échanges bilatéraux laisse entendre que le fait de diviser par deux le prix des appels de l’importateur entraîne une augmentation de 42,5 pour cent des échanges bilatéraux agrégés31. On a montré que les effets de cette nature étaient plus importants d’un tiers pour des produits différenciés – qui nécessitent une meilleure information et une plus grande coordination entre négociants – que pour des produits homogènes.

De fait, les améliorations des technologies numériques et la baisse connexe du coût des communications sont considérées comme un déterminant essentiel des chaînes de valeur mondiales, car elles rendent possible la coordination entre différents stades de production dans différents lieux géographiques35.

Internet aussi influence considérablement les échanges, en permettant aux entreprises de communiquer sur leurs produits et de les commercialiser au niveau international à moindre coût. Depuis les années 90, le niveau d’utilisation d’internet a augmenté de façon spectaculaire – on estime aujourd’hui que 54 pour cent environ de la population mondiale a accès à ce réseau (voir la quatrième partie). On observe par ailleurs que les taux plus élevés d’utilisation d’internet ont aussi des effets positifs sur le commerce – en moyenne, une progression de 10 pour cent de l’utilisation d’internet par les exportateurs peut entraîner une augmentation de près de 2 pour cent des exportations bilatérales36.

On constate que cet effet varie nettement selon que cette meilleure utilisation d’internet est le fait des importateurs ou des exportateurs. Quoi qu’il en soit, un taux élevé d’utilisation par les deux partenaires commerciaux peut donner des augmentations significatives du volume échangé, mais aussi de l’éventail de produits échangés, car en améliorant la communication on peut aussi améliorer la mise en relation.

Le coût de l’accès haut débit fixe à internet était déjà bas dans les régions développées, mais il a aussi considérablement baissé dans les pays en développement entre 2008 et 2017, contribuant ainsi à réduire la fracture numérique à l’échelle mondiale (figure 1.11, panneau B). Cela étant, si l’accès à internet est important pour le commerce international, la qualité de cet accès – bande passante et vitesse de transmission – est cruciale. Une étude sur les effets relatifs des abonnements internet (marquant le niveau d’utilisation de ce réseau) et de la largeur de bande (marquant la qualité) indique qu’une augmentation de 1 pour cent du débit moyen par abonnement entraîne un accroissement de 0,5 pour cent des échanges bilatéraux, tandis que la même augmentation des taux d’abonnement permet un accroissement des échanges de 0,3 pour cent38. Un effet aussi différencié souligne la nécessité de se concentrer sur une amélioration de la qualité des infrastructures numériques dans le monde en développement, où la vitesse de bande passante peut varier selon les pays et les abonnements.

La baisse du coût des échanges s’explique également par l’évolution des politiques commerciales. Le mouvement d’ouverture au commerce amorcé par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et la création de l’OMC en 1995, mais aussi la multiplication des accords commerciaux régionaux ont fait baisser les tarifs douaniers et ont réduit le soutien interne ayant un effet de distorsion sur les échanges, et ont amélioré la reconnaissance mutuelle des mesures non tarifaires.

Les tarifs douaniers appliqués à l’importation de produits alimentaires et agricoles ont diminué régulièrement dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, d’une moyenne de 17 pour cent environ en 1995 à 10 pour cent environ en 2018 (figure 1.12, panneau A). Dans les pays à revenu élevé, la moyenne des droits sur les produits agricoles est passée de 9 pour cent en 1995 à 6 pour cent en 2018e.

Figure 1.12
TARIFS DOUANIERS APPLIQUÉS AUX PRODUITS AGRICOLES, 1995-2018 (PAYS CLASSÉS PAR CATÉGORIE DE REVENU)

Les tarifs douaniers peuvent varier dans une large mesure selon les produits alimentaires et agricoles (figure 1.12, panneau B). Dans les pays à revenu élevé, la moyenne des tarifs appliqués est relativement basse sur le café et le thé, les graisses et les huiles, et les fruits et légumes. En revanche, toujours en moyenne, ces mêmes pays imposent des droits beaucoup plus élevés sur les importations de céréales, de produits laitiers et d’œufs. Les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire appliquent en moyenne des tarifs douaniers bien plus élevés. Les droits les plus élevés sont imposés sur les importations d’aliments transformés, suivies des importations de sucre et de cacao ainsi que de produits laitiers et d’œufs. Les droits appliqués aux importations de fruits et légumes, et de viande et de poisson, sont également relativement élevés dans ces pays. Les tarifs les plus faibles sont appliqués aux céréales.

Alors que les effets des technologies numériques sur le commerce ont conduit de nombreux observateurs à laisser entendre que, dans l’environnement actuel, les politiques commerciales seraient relativement accessoires, une analyse récente indique que les tarifs douaniers ont une réelle importance, surtout dans le contexte des chaînes de valeur mondiales39. Une production fragmentée et coordonnée verticalement entre différents pays est souvent perçue comme le résultat du progrès technologique. Or, les baisses de tarifs douaniers ont une forte influence sur l’émergence de chaînes de valeur mondiales, car elles réduisent considérablement le coût commercial des produits qui traversent plusieurs frontières au cours de leur processus de production40.

Si les baisses de tarifs douaniers ont largement contribué à diminuer le coût des échanges et à stimuler le commerce agroalimentaire, il n’en reste pas moins vrai que les échanges sont aussi régis par une myriade de mesures non tarifaires. Dans le cas de l’agriculture, ces mesures comprennent des obstacles techniques au commerce, qui traduisent les règlements et normes techniques, et des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), qui veillent à la sécurité sanitaire des aliments41,42.

De fait, les mesures non tarifaires sont bien plus importantes pour l’agriculture que pour la plupart des autres secteurs, et leurs effets sur les échanges peuvent être beaucoup plus sensibles que ceux des droits de douane43. Quant aux mesures SPS, elles sont généralement plus strictes dans les pays à revenu élevé que dans les autres catégories de pays44. Il reste que les effets des mesures non tarifaires sur le commerce sont parfois contradictoires; ainsi les normes alimentaires peuvent développer ou entraver les échanges, selon les mesures elles-mêmes et selon les produits et les pays concernés44,45,46.

La progression des exportations de produits de grande valeur, comme les fruits et les légumes, en provenance de pays en développement est allée de pair avec une attention croissante prêtée aux normes de sécurité sanitaire des aliments – des mesures SPS le plus souvent – sur les marchés des économies développées47,48. Un grand nombre de ces normes ont été imposées initialement pour satisfaire aux exigences de marchés d’importation lucratifs, mais la sensibilisation des consommateurs à cette question d’innocuité alimentaire a ensuite pris de l’ampleur dans les pays en développement48,49. Ainsi, la sécurité sanitaire des aliments a été reconnue comme étant la caractéristique de durabilité la plus importante pour les consommateurs de riz au Nigéria50 et elle est devenue une question sociétale très scrutée au Viet Nam51.

Les normes alimentaires peuvent être publiques ou privées. Les autorités imposent par exemple aux pesticides des limites maximales de résidus qui représentent les niveaux de résidus de pesticide les plus élevés qui sont légalement tolérés dans les aliments. Pour réduire autant que possible les obstacles au commerce qui pourraient naître de réglementations nationales divergentes, des organes mondiaux de normalisation, tels que le Codex Alimentarius, programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires, s’emploient à harmoniser ces normes au niveau international (voir l’encadré 1.3).

De nombreuses mesures sont mises en application par le truchement de normes publiques, mais le développement des chaînes de valeur mondialisées a également abouti à une prolifération des normes privées. Celles-ci portent sur les caractéristiques des produits, telles que les catégories de qualité commerciale, les limites de résidus, la traçabilité et la stratégie d’image, et sur celles des procédés, comme la production biologique et le bien-être animal42.

Les normes privées viennent souvent en complément des règlements publics, en visant des caractéristiques de durabilité, par exemple, telles que la protection de l’environnement ou le caractère éthique de l’approvisionnement. Il arrive aussi que les normes privées comblent un vide réglementaire ou durcissent encore les conditions imposées par la réglementation nationale. C’est souvent le cas en matière de normes de sécurité sanitaire et de qualité des aliments, surtout lorsque de grands distributeurs exigent qu’un produit présente un certain niveau de qualité, et ce de façon constante et fiable. Les normes privées peuvent alors finir par faire obstacle à la participation aux chaînes de valeur mondiales des agriculteurs et des entreprises de transformation qui peinent à s’y conformer42,52. Les normes et les systèmes de certification de la durabilité sont également étudiés sous l’angle des chaînes de valeur mondiales dans la deuxième partie, de l’intégration des petits exploitants dans la troisième partie et des technologies numériques appliquées à la traçabilité dans la quatrième partie.

L’entrée en vigueur, en 2017, de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’OMC, qui vise à simplifier et harmoniser les procédures douanières et les processus d’exportation et d’importation, est une nouvelle étape de réduction du coût des échanges (voir l’encadré 2.6 de la deuxième partie).

Transformation des marchés agricoles et alimentaires

Les évolutions à l’origine des changements dans la structure des échanges et les habitudes alimentaires amènent également de profondes transformations des marchés et des chaînes de valeur alimentaires. L’urbanisation, en particulier, accentue les changements d’alimentation amorcés par la hausse des revenus et accélère les mutations dans les chaînes de valeur alimentaires et le secteur du commerce de détail.

À mesure que les gens migrent vers les villes et que les consommateurs s’éloignent des lieux de production des aliments, le commerce alimentaire de détail gagne en importance. L’évolution de ce commerce a commencé dès le début du XXe siècle en milieu urbain, et elle est de plus en plus sensible en milieu rural également54. Pendant longtemps, la vente au détail s’est pratiquée sur des étals installés en plein air (dans des marchés traditionnels ou au bord des routes) et dans de petits magasins indépendants, comme des épiceries et des kiosques locaux16,54. Les supermarchés ont fait leur apparition dans les années 20-40, aux États-Unis d’Amérique et en Europe de l’Ouest, puis dans les années 80-90 dans de nombreux pays en développement.

Initialement, ces magasins ne proposaient que des produits d’épicerie sèche, mais, après que les achats et le stockage se sont améliorés, ils sont également entrés sur les marchés d’aliments périssables. Leur capacité à offrir une grande diversité de produits grâce aux économies de gamme a permis aux supermarchés de s’emparer de presque tout le commerce de détail dans les pays développés et d’en acquérir une part rapidement croissante dans les pays en développement54.

En 2018, le chiffre d’affaires des principales chaînes de supermarchés avait été multiplié par deux à six dans les pays d’Asie ainsi qu’en Amérique latine et aux Caraïbes, des régions où les ventes en supermarché étaient déjà relativement élevées en 2002. Certains pays dans lesquels ce type de magasins n’était pourtant apparu qu’autour du début du XXIe siècle ont rapporté que leurs ventes avaient plus que décuplé55.

Une enquête auprès de 475 ménages urbains de Lusaka, la capitale de la Zambie, montre que les consommateurs se fournissent à la fois chez des détaillants traditionnels et auprès de différents distributeurs modernes. Quelque 73 pour cent des ménages se rendent dans des supermarchés, le recours à ces détaillants modernes augmentant considérablement entre le groupe de population au niveau de revenu le plus bas et celui au niveau le plus élevé. Les marchés traditionnels de produits frais aussi sont fréquentés par 73 pour cent des ménages, mais cette fois on ne note presque aucune différence entre les groupes de population classés par niveau de revenu. La fréquentation des épiceries et des marchés situés sur le bord des routes, en revanche, diminue à mesure que les revenus du ménage augmentent. Les ménages se rendent généralement dans les commerces de détail modernes une fois par semaine pour y faire un volume d’achats important, tandis qu’ils vont chez les détaillants traditionnels, comme ceux des marchés de plein air, mais aussi dans les plus petites épiceries, les marchés de bord de route et les kiosques locaux plusieurs fois par semaine pour compléter leurs achats alimentaires. Dans cette enquête, en moyenne, 42 pour cent environ des dépenses alimentaires des ménages sont consacrées à des achats effectués dans la grande distribution moderne16.

Si l’urbanisation est le principal déterminant, de nombreux autres facteurs façonnent les changements enregistrés dans le secteur du commerce alimentaire de détail. Au Ghana, un inventaire des supermarchés et des produits transformés, mené dans huit centres urbains majeurs, n’a fait apparaître qu’une modeste croissance des supermarchés, malgré une urbanisation rapide et des revenus des ménages en hausse56. Sur un échantillon de 42 pays à tous les stades de développement, on a observé que la part des supermarchés augmentait également avec le niveau de revenu, l’ouverture à l’investissement étranger direct entrant et la participation d’une main-d’œuvre féminine57.

L’investissement étranger direct (IED) dans le commerce de détail, la transformation des produits alimentaires, les restaurants et les chaînes de restauration rapide a augmenté rapidement depuis les années 80. Les fonds proviennent principalement d’entreprises agroalimentaires multinationales ciblant les marchés des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire. De fait, l’IED s’est révélé plus efficace que le commerce pour générer des ventes d’aliments transformés dans ces pays58.

Attirés par une croissance démographique rapide et des marchés de détail moins développés, les investissements des détaillants de produits d’épicerie européens en Asie de l’Est, par exemple, ont atteint un pic vers la fin des années 90. Cependant, cette phase initiale intense d’investissement dans la région a été suivie d’une phase de désengagement. Alourdissement de la réglementation sur ces nouveaux marchés, compétition locale croissante et réévaluations des activités mondiales opérées au niveau des entreprises, la plupart de ces détaillants se sont aujourd’hui désengagés de certains marchés, voire ont quitté la région. La plupart des sorties ont entraîné l’acquisition de l’activité par un opérateur local ou régional, tandis que d’autres faisaient l’objet d’un transfert entre détaillants de pays développés59.

Au début du siècle, le commerce électronique a commencé à se développer, amplifiant la transformation du secteur du commerce alimentaire de détail10. Les géants du commerce en ligne, comme Amazon et Alibaba, ont combiné et étendu les avantages des économies d’échelle et de gamme que les supermarchés avaient eus jusque-là sur les magasins de vente au détail traditionnels. À la différence des supermarchés à leur époque toutefois, les entreprises de commerce électronique ont réduit les coûts de transaction des consommateurs en leur permettant de commander en ligne et de se faire livrer les produits à leur domicile.

L’inconvénient majeur du commerce en ligne est que les consommateurs n’ont aucune possibilité de voir directement les produits alimentaires. Récemment, les chaînes de supermarchés ont commencé à proposer des services de commerce en ligne et de livraison à domicile, tirant parti du fait que les consommateurs sont familiarisés avec leurs produits, les ayant vus lors de précédents passages en magasin. Dans le même temps, les entreprises de commerce en ligne ont commencé à conclure des alliances stratégiques visant à associer des supermarchés à leurs plateformes ou à ajouter des points de vente physiques à leur portefeuille: acquisition de Whole Foods par Amazon et association d’Alibaba avec les chaînes Auchan et RT Mart en République populaire de Chine54. Dans les pays asiatiques particulièrement, comme en République populaire de Chine, au Japon et en République de Corée, on observe un essor phénoménal du commerce en ligne associant épicerie et livraison de repas60,61.

Cependant, s’il est vrai que le commerce alimentaire en ligne croît rapidement, il demeure peu important à l’échelle mondiale, les États-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine enregistrant la croissance la plus forte62,63,64. Il est difficile d’évaluer la pénétration des marchés alimentaires par le commerce électronique, du fait d’un manque de données détaillées, mais les évaluations disponibles indiquent que la part de cette forme de commerce dans les ventes d’aliments et de boissons est inférieure à 1 pour cent du total des dépenses alimentaires en Asie, en Europe et en Amérique du Nord. Ce résultat contraste avec le taux de pénétration du commerce électronique pour les autres biens, qui est de 80 pour cent en moyenne aux États-Unis d’Amérique et de près de 60 pour cent en République populaire de Chine63. Jusqu’ici, le volume relativement important des produits alimentaires, leur prix unitaire comparativement faible et le défi logistique que représente le maintien de la chaîne du froid ont empêché que cette catégorie de produits ne prenne de l’importance dans la vente en ligne10,62. Ces facteurs devraient freiner une plus forte croissance de la part de marché du commerce électronique alimentaire, et les supermarchés (ainsi que les magasins organisés sur ce modèle) devraient continuer d’occuper une place prépondérante et, surtout en Afrique, de s’étendre.

La transformation du commerce alimentaire de détail s’est accompagnée de changements dans le secteur des services alimentaires, comme le recul des petits restaurants indépendants au profit des établissements de restauration rapide et des chaînes de cafés. Comme pour les supermarchés, la transformation des services alimentaires a été beaucoup plus rapide dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire que dans les pays à revenu élevé qui avaient ouvert la voie. Si les innovations de produit et de procédé sont apparues initialement dans les pays à revenu élevé, elles se sont ensuite diffusées aisément, au fil des IED des entreprises multinationales en quête de nouveaux marchés lucratifs. Des chaînes locales de services alimentaires sont apparues et se sont multipliées pour répondre aux besoins des consommateurs à faible revenu et investir les marchés créés par l’émergence d’une classe moyenne. Aux États-Unis d’Amérique, les aliments achetés en vue d’une consommation hors domicile représentaient 17 pour cent des calories ingérées en 1977 et 34 pour cent en 201165,66. En Asie, le chiffre d’affaires brut des principales entreprises multinationales de services alimentaires a triplé au cours de la période 2008-201855.

La croissance économique, l’urbanisation, le progrès technologique et la mondialisation déterminent les changements d’alimentation et influent sur la production agricole. Des consommateurs plus à l’aise financièrement et une demande croissante d’aliments transformés et d’aliments de meilleure qualité accélèrent l’évolution des secteurs du commerce de détail et de la distribution, ainsi que de l’industrie alimentaire. Ces tendances conduisent à demander aux agriculteurs une production plus normalisée, de plus haute qualité et en plus grande quantité.

Au fil du développement, la transformation s’opère généralement en trois étapes, sous l’impulsion des entreprises privées qui cherchent à réaliser des profits au moyen d’innovations, en s’appuyant sur de nouvelles technologies, de nouvelles pratiques commerciales et de nouveaux produits55,67,68. Au stade initial de la transformation, les chaînes de valeur traditionnelles sont courtes, les agriculteurs vendant souvent leurs produits directement au consommateur final ou à de petits négociants ou de petites unités de transformation. La part de valeur ajoutée par les activités extérieures à l’exploitation – transformation ou distribution – est très faible. Les marchés se caractérisent généralement par des opérations au comptant, sans contrats ni normes formellement établies68.

L’urbanisation croissante conduit les personnes à s’éloigner des zones rurales et de la production agricole primaire, et la progression des revenus génère une demande d’aliments plus transformés et d’aliments de meilleure qualité. Dans cette phase transitoire, les secteurs du commerce de détail, de la distribution et de la transformation comptent un grand nombre de microentreprises et de petites et moyennes entreprises. En réponse à la sensibilisation croissante des consommateurs aux questions de qualité et de sécurité sanitaire des aliments, des normes publiques et privées se font jour. Les marchés au comptant occupent toujours une place prépondérante, mais l’intégration et la coordination verticales au moyen de la contractualisation commencent à se développer (voir l’encadré 1.4)55,68.

À mesure que les chaînes de valeur prennent de l’ampleur et que les volumes traités par les marchés augmentent, des économies d’échelle deviennent possibles et le commerce de détail et l’industrie alimentaire commencent à se spécialiser. Les gros détaillants, tels que les supermarchés, gagnent en importance et l’intégration et la coordination verticales des chaînes de valeur s’intensifient, marquant le passage à des chaînes de valeur modernes (voir aussi l’encadré 2.2 de la deuxième partie). Les consommateurs et l’industrie alimentaire sont de plus en plus demandeurs de normes de qualité et de sécurité sanitaire68,71.

La transformation des chaînes de valeur traditionnelles en filières modernes a démarré avec la révolution industrielle et a pris près d’un siècle en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Dans de nombreuses régions en développement, en revanche, le phénomène s’est amorcé plus tardivement et a progressé bien plus vite17. Le processus de transformation a commencé dans les années 80 dans certaines parties de l’Asie de l’Est (à l’exclusion de la République populaire de Chine) et dans les plus grands pays d’Amérique du Sud (comme le Brésil); il s’est poursuivi dans les années 90 en Amérique centrale et dans certaines parties de l’Amérique du Sud (au Chili, en Colombie et au Mexique, par exemple), dans certaines parties de l’Asie du Sud-Est et en Afrique du Sud. Dans les années 2000, des économies émergentes d’Asie (comme la République populaire de Chine, l’Inde et le Viet Nam) et d’autres pays d’Amérique du Sud (dont le Pérou et l’État plurinational de Bolivie) ont suivi le mouvement. Le processus a également démarré en Afrique australe (Zambie), en Afrique de l’Est (Kenya) et en Afrique de l’Ouest (Ghana, Nigéria et Sénégal) dans les années 200068.

Le rythme auquel s’effectue la transformation diffère selon les produits, les filières céréalières étant souvent les premières à évoluer, suivies de celles des produits animaux, ainsi que des fruits et légumes. Cela conduit fréquemment à la coexistence de chaînes de valeur traditionnelles, transitoires et modernes dans de nombreux pays en développement17,68.

Tout au long du processus de transformation, la part du secteur alimentaire dans la valeur ajoutée agroalimentaire totale augmente, tandis que celle de l’agriculture diminue. Dans les pays se trouvant aux premiers stades de la transition, la valeur ajoutée agroalimentaire totale est encore principalement d’origine agricole (figure 1.14). À mesure que le revenu par habitant augmente, la contribution de l’agriculture à la valeur ajoutée agroalimentaire totale diminue. Parallèlement, le début de l’industrialisation et le développement d’un secteur de la transformation et de la distribution alimentaires entraînent une progression de la part de l’alimentation dans la valeur ajoutée agroalimentaire totalef.

Figure 1.14
PART DE LA VALEUR AJOUTÉE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION DANS LA VALEUR AJOUTÉE AGROALIMENTAIRE TOTALE, EN FONCTION DU REVENU, EN 2017

Les effets les plus importants du commerce et de la transformation des marchés agricoles et alimentaires au regard du bien-être devraient aller aux consommateurs de produits alimentaires. Les gains de productivité, conjugués à un accroissement des échanges et de la concurrence, augmentent les disponibilités en aliments sains et nutritifs et poussent leur prix à la baisse, ce qui améliore l’accès à la nourriture. Pour de nombreuses personnes, ce processus entraîne une amélioration de la sécurité et des régimes alimentaires, car il élargit l’accès à des aliments riches en micronutriments, tels que les fruits, les légumes et les produits d’origine animale.

En même temps, la mondialisation, la montée des modes de vie urbains et les transformations que cela suscite dans la production et les chaînes de valeur alimentaires sont considérées par certains analystes comme des facteurs contribuant au glissement vers des régimes moins sains et à la prévalence croissante de la surnutrition et de l’obésité dans de nombreuses parties du monde (voir l’encadré 1.5)11,15,16,72. Nombre de pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire subissent ce qui est devenu le «triple fardeau» de la malnutrition, dans lequel la surnutrition et l’obésité s’ajoutent à la sous-alimentation et aux carences en micronutriments.

La deuxième partie étudie de façon plus approfondie les effets économiques et sanitaires des chaînes de valeur mondiales sur les consommateurs, ainsi que leurs liens avec l’inégalité et les impacts sur l’environnement. L’intégration des petits agriculteurs dans les marchés modernes et leur association aux chaînes de valeur modernes sont étudiées plus en détail dans la troisième partie.

La DEUXIÈME PARTIE analyse les données relatives aux échanges commerciaux internationaux, et s’intéresse à l’émergence et à l’évolution des chaînes de valeur mondiales (CVM) de l’alimentation et de l’agriculture. Elle propose un cadre qui aide à comprendre les CVM et leurs effets sur la croissance et le développement de ces deux secteurs. Parce qu’elles divisent le processus de production en étapes réalisées dans différents pays, les chaînes de valeur mondiales sont susceptibles de permettre aux pays en développement d’accroître leur productivité. L’analyse porte sur les politiques commerciales et d’autres mesures de nature à favoriser la participation aux CVM, ainsi que les répercussions de la pandémie de covid-19 sur les échanges et sur l’évolution de ces chaînes. On y examine également les mécanismes qui peuvent aider les CVM à opérer des arbitrages plus efficaces entre les objectifs économiques et environnementaux.

MESSAGES CLÉS

1 Les chaînes de valeur mondiales se sont constituées rapidement et sont très répandues dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture. Un tiers environ des exportations alimentaires et agricoles ont lieu à l’intérieur de chaînes de valeur mondiales.

2 Dans le secteur agroalimentaire, ces chaînes peuvent être complexes et englober un grand nombre de pays. La division de la production en plusieurs étapes permet aux agriculteurs et aux entreprises de participer plus facilement aux stades auxquels ils peuvent exploiter au mieux leur avantage comparatif.

3 La participation à des chaînes de valeur mondiales peut stimuler la productivité des exploitants agricoles en favorisant la diffusion de technologies améliorées et de connaissances. Mais les petits producteurs qui ne disposent pas des compétences ou des actifs nécessaires pourraient se retrouver exclus de ces marchés modernes.

4 Les restrictions à l’exportation mises en place face à la pandémie de covid-19 sont susceptibles d’avoir des incidences sur les marchés alimentaires mondiaux et de nuire aux pays en développement à faible revenu importateurs de produits alimentaires. Par ailleurs, la pandémie pourrait entraîner l’abandon de chaînes de valeur mondiales au profit de processus de production localisés, et donc entraver la productivité et la résilience.

PRINCIPALES MESURES

La réduction des obstacles au commerce peut favoriser les chaînes de valeur mondiales et contribuer à la croissance des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation. Chaque fois qu’ils traversent une frontière, les produits sont soumis à des tarifs d’importation, qui s’accumulent tout au long des chaînes de valeur et constituent un frein à la création de valeur ajoutée.

Les politiques commerciales qui favorisent les marchés libres devraient être accompagnées de mesures qui renforcent les capacités à se positionner de manière concurrentielle dans les chaînes de valeur mondiales modernes. Il faudrait notamment investir dans les infrastructures, mettre en place des réglementations efficaces et surtout s’attacher, par des mesures ciblées, à augmenter les compétences des agriculteurs et des travailleurs.

Les chaînes de valeur, lorsqu’elles sont combinées à des systèmes de certification de la durabilité, peuvent contribuer à coordonner les actions menées à l’échelle mondiale pour faire face aux défis du développement durable. L’harmonisation au niveau international des normes et de la certification en matière de durabilité peut faciliter l’application de ces dispositifs aux chaînes de valeur alimentaires mondiales.

Les accords commerciaux régionaux peuvent encourager la participation aux chaînes de valeur mondiales et accélérer les réformes des institutions et des politiques publiques. Cependant, étant donné que de nombreux pays vulnérables continuent de dépendre des marchés mondiaux, la communauté internationale doit également s’efforcer de promouvoir les échanges multilatéraux.

Pour relever les défis posés par la pandémie de covid-19, il importe de sensibiliser davantage à la contribution apportée par le commerce et les chaînes de valeur mondiales à la croissance et à la sécurité alimentaire. Les politiques qui encouragent le commerce international accroissent les gains d’efficience et renforcent la résilience face aux crises.

Évolution des chaînes de valeur mondiales de l’alimentation et de l’agriculture

Chaînes de valeur mondiales des marchés agroalimentaires

Depuis 1995, les échanges internationaux de produits agricoles et de produits alimentaires ont plus que doublé en termes réels (voir la figure 1.1 dans la première partie). Cependant, lorsque la valeur des échanges est mesurée uniquement à partir des exportations brutes, elle peut masquer des évolutions importantes sur les marchés mondiaux.

Au fil du temps, les entreprises ont de plus en plus profité du commerce international pour tirer parti des spécialisations et des avantages comparatifs en divisant le processus de production en différentes étapes et en recherchant les lieux à moindre coût pour chacune d’elles. Les processus de production s’étendent donc au-delà des frontières et donnent naissance à des chaînes de valeur mondiales (CVM) – c’est-à-dire des chaînes de production qui englobent au moins trois pays. Les CVM sont typiques du secteur manufacturier et des services. En effet, la moitié environ des échanges de biens et de services se fait dans le cadre de chaînes de ce type1.

Les CVM sont présentes dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture. Les auteurs de ce rapport estiment qu’elles sont à l’origine d’un tiers environ des exportations agroalimentaires. Des semences et des engrais, des produits agricoles de base (des céréales, par exemple), des produits transformés et intermédiaires (comme l’huile de soja ou le lait en poudre), mais aussi des services et des intrants industriels sont échangés lors des différentes étapes de la production, qui ont lieu dans plusieurs pays.

Bien que les CVM soient un sujet d’analyse plutôt récent, elles reposent sur les concepts fondamentaux d’avantage comparatif et de spécialisation dans une production qui trouvent leurs origines dans la théorie économique classique des XVIIIe et XIXe siècles2,3. Un examen des échanges internationaux sous l’angle de ces chaînes aide à comprendre comment le commerce contribue à la valeur ajoutée qui est générée dans un pays. Cette analyse permet de décomposer la valeur des exportations brutes en valeur importée – puis utilisée dans la production à des fins d’exportation – et en valeur ajoutée ou générée à l’intérieur du pays (voir la définition des termes clés à l’encadré 2.1 et un exemple à l’encadré 2.2).

L’émergence des CVM est favorisée par la baisse des coûts du transport et la réduction des obstacles au commerce (tarifs d’importation, par exemple), deux facteurs à l’origine de la mondialisation. Ces tendances ont rendu le fractionnement des processus de production et leur répartition entre différents pays encore plus avantageux. Les avancées technologiques et l’essor des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont rendu la coordination entre pays moins onéreuse, ce qui a encore favorisé les CVM (voir aussi l’analyse relative au coût des échanges et des communications dans la première partie).

Le commerce international peut améliorer la répartition des ressources et contribuer à l’efficience économique en stimulant la croissance des revenus et la productivité des partenaires commerciaux4,5,6. Par ailleurs, des publications récentes indiquent que les échanges liés aux CVM ont une incidence plus favorable sur la productivité et le revenu par habitant que les échanges bilatéraux qui ont lieu en dehors de ces chaînes7. La participation à des CVM peut améliorer la compétitivité, l’inclusion dans les flux d’échanges et d’investissements, et l’accès aux technologies et aux connaissances, autant de facteurs qui favorisent la transition vers des activités à plus forte valeur ajoutée.

L’agriculture axée sur l’exportation, stimulée par les CVM, peut offrir des possibilités d’emploi agricole et non agricole. L’accroissement de la production agricole augmente le nombre d’emplois dans le secteur. Mais elle entraîne également une hausse de la demande d’intrants, qui pourra avoir des effets sur l’emploi dans les secteurs des semences et des engrais, par exemple, ainsi que dans ceux du transport et des services commerciaux, dont le coefficient de main-d’œuvre est relativement élevé.

Les pays en développement, notamment en Afrique subsaharienne, participent également activement aux CVM agroalimentaires11. Dans ces pays, ces chaînes peuvent permettre aux agriculteurs et aux entreprises de prendre part aux activités d’exportation, et d’en tirer profit, car il est plus facile de pénétrer le marché mondial lorsque les étapes des filières de production sont plus fragmentées et plus spécifiques. Mais la participation aux CVM n’apporte pas systématiquement des avantages, et on constate de grandes disparités. Par exemple, alors que les échanges commerciaux sont censés stimuler la croissance économique, de nombreux pays en développement ont constaté une augmentation des inégalités à mesure qu’ils se sont ouverts aux marchés libres, souvent en raison d’une absence de politiques et d’investissements complémentaires et d’un manque de compétences transférables dans les secteurs les plus concernés par les réformes économiques12.

Tendances récentes relatives aux CVM agroalimentaires

Dans le secteur manufacturier, le niveau de la participation aux CVM est passé de 45 pour cent environ en 1995 à plus de 50 pour cent en 2007, avant de revenir juste en dessous de 50 pour cent en 201514,a. Les taux de participation aux CVM dans l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons sont inférieurs, mais suivent une tendance similaire.

L’examen du commerce du point de vue des CVM permet de décomposer les exportations brutes en échanges liés à ces chaînes de valeur (liaisons en amont et en aval) et en échanges bilatéraux non liés à ces chaînes (figure 2.1). À l’échelle mondiale, la participation moyenne aux CVM agroalimentaires a atteint 35 pour cent en 2008 (contre 30 pour cent en 1995), puis a légèrement baisséb. En 2015, un tiers environ de la valeur ajoutée agroalimentaire exportée provenait d’une chaîne de valeur comprenant au moins trois pays (34 pour cent dans l’agriculture et 33 pour cent dans le secteur de l’alimentation et des boissons; voir la figure 2.1, panneaux A et B, respectivement).

Figure 2.1
EXPORTATIONS BRUTES AU NIVEAU MONDIAL ET PARTICIPATION AUX CVM, 1995-2015

Les produits agricoles sont un intrant de base pour les aliments et les boissons, mais également pour d’autres secteurs; par conséquent, la participation aux CVM de l’agriculture est principalement constituée de liaisons en aval (figure 2.1, panneau A). En moyenne, une part importante de la production agricole est associée aux CVM dans le cadre des exportations, ce qui se traduit par des liaisons considérables en aval (22 pour cent de la valeur des exportations brutes). Les liaisons en amont de l’agriculture correspondent à des importations d’intrants (semences et engrais, par exemple) et à une utilisation non négligeable de services dans le processus de production (contrôles de qualité, logistique, stockage et services financiers). À l’échelle mondiale, étant donné que les exportations traversent les frontières, ces liaisons en amont donnent lieu à un double comptage de la valeur ajoutée, et elles constituent une part relativement peu importante – 12 pour cent environ – de la valeur totale des exportations brutes (au niveau national, les liaisons en amont correspondent à de la valeur ajoutée étrangère; voir les encadrés 2.3 et 2.4). La plus grande partie de la valeur des exportations agricoles (quelque 88 pour cent) découle de la valeur ajoutée intérieure, c’est-à-dire la valeur générée par la terre et la main-d’œuvre, facteurs de production qui ne font pas l’objet d’échanges internationaux. Cette valeur ajoutée intérieure peut se retrouver dans les flux des CVM dans le cadre de liaisons en aval.

Le secteur de l’alimentation et des boissons (qui comprend l’ensemble des produits transformés) se situe plus vers le milieu ou la fin de la chaîne de valeur. À l’échelle mondiale, sa participation aux CVM est comparable à celle de l’agriculture (33 pour cent en moyenne; voir la figure 2.1, panneau B). Cependant, il comprend davantage de liaisons en amont dans la production que l’agriculture (quelque 22 pour cent) et relativement moins de liaisons en aval (11 pour cent). Cette situation s’explique par le fait que ce secteur utilise des produits agricoles intérieurs et importés, mais aussi, à grande échelle, des intrants d’autres secteurs. Lorsqu’ils sont importés, ils accroissent de manière significative le niveau de la valeur ajoutée étrangère intégrée dans les exportations. Par conséquent, à l’échelle mondiale, une part importante de la valeur des exportations brutes provient des liaisons en amont et est donc comptée deux fois. Une partie des liaisons en aval du secteur de l’alimentation et des boissons correspond à des exportations de produits très peu transformés, comme l’extrait de jus d’orange, qui peuvent être utilisés par l’industrie alimentaire d’un autre pays et être transformés à nouveau avant d’être réexportés (voir l’exemple donné à l’encadré 2.2).

Les exportations mondiales de produits alimentaires et de boissons sont approximativement deux fois plus importantes que celles des produits agricoles, et l’augmentation rapide de leur valeur entre 2002 et 2008, en termes absolus, est impressionnante (voir aussi l’analyse de l’évolution des échanges commerciaux dans la première partie). La part croissante des exportations des CVM liées aux secteurs en amont montre également que la tendance observée dans les exportations brutes totales ne reflète pas uniquement la génération de nouvelle valeur ajoutée.

Le commerce lié aux CVM a augmenté encore plus rapidement que les échanges bilatéraux non liés à ces dernières, du moins jusqu’à la crise financière de 2008, depuis laquelle l’intégration dans ces chaînes a marqué le pasc. La crise financière a eu clairement des effets sur les CVM tant de l’agriculture que du secteur de l’alimentation et des boissons, en trois phases: i) les taux de participation à ces chaînes ont diminué notablement en 2009; ii) une reprise a été observée en 2010-2011; iii) les taux de participation ont stagné depuis 2011. En outre, pour ces deux secteurs, la part des liaisons en amont et en aval est restée à peu près la même sur la période 1995-2015. Cela laisse supposer que les changements dans le niveau de participation total aux CVM sont dus davantage à des effets d’échelle – augmentation des échanges via les liaisons en amont et en aval – qu’à des modifications de positionnement des entreprises dans les différentes chaînes de valeur, ce qui impliquerait que les liaisons en amont et en aval n’évoluent pas de la même façon.

La crise financière et le ralentissement de l’activité économique ont touché l’ensemble des échanges. Cependant, le fléchissement de ces derniers pourrait être dû en partie à un changement structurel de la relation entre le commerce et le PIB. Il pourrait être le résultat d’une diminution de la coordination verticale internationale – qui ressort clairement de l’évolution des CVM – en raison du tassement de la croissance18.

Les taux de participation aux chaînes de valeur mondiales varient considérablement selon les pays (on en trouve une illustration à la figure 2.2 pour l’agriculture). Les petits pays ont tendance à faire plus de commerce, et sont donc davantage susceptibles de participer à des CVMd. Cela peut également tenir au fait que les petits pays sont relativement plus ouverts aux échanges parce que leur économie est de taille réduite, et souvent moins diversifiée19. Les taux plus élevés de participation aux CVM des petits pays impliquent une plus forte dépendance à l’égard des importations – par les liaisons en amont dans ces chaînes – mais aussi des liens plus étroits avec les marchés internationaux – par les liaisons en aval.

Figure 2.2
TAUX DE PARTICIPATION AUX CVM DANS L’AGRICULTURE EN 2015

En règle générale, les pays à faible revenu ont peu de liaisons en amont, car ils se spécialisent essentiellement dans la production et l’exportation de produits agricoles. Leurs liaisons en aval varient considérablement en fonction de divers facteurs, notamment géographiques. Le Népal, par exemple, présente relativement peu de liaisons en amont et en aval, car il a beaucoup plus de relations commerciales avec l’Inde qu’avec le marché mondial (figure 2.3). Les pays à revenu intermédiaire peuvent présenter différents profils de participation aux CVM.

Figure 2.3
LIAISONS EN AMONT ET EN AVAL DANS LES CVM EN 2015 (PAYS CLASSÉS PAR CATÉGORIE DE REVENU)

Le Ghana, pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, se positionne sur les CVM avec des liaisons en aval sensiblement plus nombreuses (figure 2.3 et encadré 2.3). En revanche, au Viet Nam, autre pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, la participation aux CVM est relativement importante, principalement via des liaisons en amont (figure 2.3 et encadré 2.4).

Au Brésil, pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, les taux de participation aux CVM restent sous la moyenne mondiale à la fois dans l’agriculture et dans le secteur de l’alimentation et des boissons. Ses liaisons en aval sont beaucoup moins importantes que celles du Ghana, car la plupart de ses échanges sont bilatéraux – avec les États-Unis d’Amérique, par exemple, du fait d’accords commerciaux – et n’ont donc pas lieu dans le cadre de CVM (figure 2.3).

Certains pays à revenu élevé – essentiellement en Europe – pénètrent les CVM via d’importantes liaisons à la fois en amont et en aval. L’Allemagne est un exemple de pays à revenu élevé qui présente de fortes intensités d’exportations et une participation notable aux chaînes de valeur mondiales. D’autres pays à revenu élevé ont tendance à avoir plus de liaisons en amont et relativement moins en aval (figure 2.3).

Participation aux CVM et croissance économique

Participation aux CVM et valeur ajoutée dans les différents secteurs de l’économie

La relation entre le commerce international et la croissance économique est complexe. Cela étant, de nombreux éléments empiriques montrent que, sur la durée, les échanges stimulent la croissance et le développement. À court terme, tous les pays disposent d’un avantage comparatif pour certains biens et services et sont susceptibles de tirer profit du commerce. À long terme, ces gains d’efficience ainsi que les retombées technologiques et la transmission de connaissances – stimulées par le commerce – peuvent offrir des avantages dynamiques qui se traduisent par un renforcement de la productivité et de l’innovation, et favoriser la croissance économique. La relation entre le commerce et la croissance économique est bidirectionnelle, car cette dernière, en renforçant la demande, dope également les échanges internationaux.

Des éléments récents montrent que la participation à des chaînes de valeur peut se révéler encore plus favorable à la croissance et à la productivité que les échanges bilatéraux non liés aux CVM7. On constate en effet une corrélation positive entre la croissance de la valeur ajoutée agroalimentaire et celle de la participation aux CVM, bien qu’il n’y ait pas de relation causale (figure 2.6). Dans les deux secteurs – agriculture et secteur de l’alimentation et des boissons –, les pays qui enregistrent un taux moyen de croissance de la valeur ajoutée plus élevé que les autres sont souvent ceux qui affichent aussi une augmentation plus forte de leurs niveaux de participation aux chaînes de valeur mondialese.

Figure 2.6
CORRÉLATION ENTRE LA CROISSANCE DE LA VALEUR AJOUTÉE ET CELLE DE LA PARTICIPATION AUX CVM ENTRE 1995 ET 2015 (PAYS CLASSÉS PAR CATÉGORIE DE REVENU)

Néanmoins, plusieurs études empiriques basées sur les données agrégées de l’ensemble des secteurs économiques ont mis en évidence des effets causals notables de la participation aux CVM sur la valeur ajoutée pour les pays à revenu intermédiaire ou à revenu élevé, et des effets négligeables pour les pays à faible revenu. Plus précisément, l’analyse tend à montrer que le développement des liaisons en amont (par l’accroissement des importations de valeur ajoutée étrangère) n’a pas entraîné de croissance économique dans certains pays à faible revenu – caractérisés par un déficit de compétences et donc une capacité médiocre à apprendre et à absorber des connaissances pour mettre en application les progrès technologiques qui, dans d’autres conditions, pourraient être diffusés et stimuler la croissance23. Cette corrélation entre la participation aux CVM et la croissance dépend de la capacité à s’adapter aux processus de production et à innover. Par exemple, la formation et les compétences de la population active, les réglementations qui favorisent les entreprises et les investissements dans la recherche-développement sont autant de facteurs qui témoignent de la capacité d’un pays de participer efficacement aux CVM.

La plupart des études qui analysent l’incidence de la participation aux CVM sur la croissance économique considèrent l’économie dans son ensemble. De fait, ces chaînes relient des activités économiques de différents secteurs et de différents pays. Dans un pays, une part notable de la croissance de la valeur ajoutée de l’agriculture provient de liaisons avec d’autres secteurs économiques. L’augmentation des exportations réalisées dans le cadre de CVM par le secteur de l’alimentation et des boissons, et d’autres secteurs qui utilisent des intrants agricoles, peut renforcer encore la participation du secteur agricole aux échanges mondiaux et générer de la valeur ajoutée. Les chaînes de valeur mondiales relient également des secteurs économiques entre différents pays. À l’échelle mondiale, l’agriculture représente 20 pour cent de la valeur ajoutée étrangère associée aux exportations des CVM des produits alimentaires et des boissons.

Ainsi, les CVM peuvent, par la diffusion de technologies et de connaissances, générer des avantages pour l’économie dans son ensemble et pour d’autres pays. Les exportations de produits agricoles ainsi que celles de produits alimentaires et de boissons comprennent une valeur ajoutée créée par un ensemble de secteurs économiques qui fournissent des intrants (engrais, énergie et services, par exemple). À l’échelle mondiale, une part non négligeable de la valeur ajoutée étrangère des exportations agroalimentaires provient du secteur des services – en 2015, pour l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons, les services ont représenté respectivement 42 pour cent et 38 pour cent de la valeur ajoutée étrangère intégrée dans les exportations des CVM16.

Par ailleurs, une part notable des intrants importés (22 pour cent en moyenne en 2015) est fournie par le secteur de la chimie et des matières premières (ce qui comprend le pétrole). Cette situation est due en partie à la mondialisation des marchés des engrais et des pesticides. La part du secteur manufacturier (machines comprises) dans la valeur ajoutée étrangère est également assez significative dans le secteur agricole et dans celui de l’alimentation et des boissons (19 pour cent et 16 pour cent, respectivement).

Ces liaisons déterminent également le niveau de corrélation entre la participation aux CVM et la croissance économique, parallèlement à la capacité des pays à absorber efficacement les technologies et les connaissances. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, tels que la structure de l’économie, les caractéristiques géographiques, la taille du marché national, le niveau de développement, mais aussi – élément crucial – l’orientation des politiques publiques. L’incidence d’une augmentation de la participation aux CVM dépend souvent des politiques qui visent à encourager la mobilité des facteurs de production, notamment la main-d’œuvre, et des conditions qui permettent une expansion de l’activité économique, telles que les investissements dans le capital humain au moyen d’un renforcement des compétences, l’amélioration des infrastructures et une réglementation efficace.

Participation aux CVM et valeur ajoutée du travail dans l’agriculture

L’analyse tend également à montrer que les échanges réalisés dans le cadre de CVM augmentent la valeur ajoutée du travail ou la productivité par habitant24. Le principal mécanisme repose sur la manière dont les chaînes de valeur dégroupent le processus de production – ce qui offre aux exploitations agricoles et aux entreprises de nouvelles possibilités de profiter de leur avantage comparatif – et favorisent un renforcement de la concurrence et une amélioration de l’accès au capital et aux connaissances. Par exemple, avec des compétences adéquates, les liaisons en amont peuvent servir de canal de transmission de technologies améliorées, qui débouchent sur de meilleures pratiques agricoles et une augmentation de la productivité du travail.

Les CVM peuvent être un moyen d’appuyer la transformation engagée dans les secteurs alimentaire et agricole par les pays en développement et d’encourager la transition d’une agriculture peu productive à une agriculture plus commerciale et plus rentable, grâce à des liaisons plus robustes en amont et en aval avec l’économie nationale et le marché mondial25.

Les estimations empiriques réalisées pour le présent rapport à partir des données relatives à la participation de 160 pays aux CVM sur la période 1995-2015 montrent une relation causale entre cette participation et la valeur ajoutée agricole par travailleur; elles révèlent également que l’évolution de cette participation peut avoir une incidence notable sur la productivité de la main-d’œuvre agricole, telle que mesurée par la valeur ajoutée par travailleur (voir la figure 2.7)f. À l’échelle mondiale, en moyenne, une augmentation de 1 pour cent de la participation aux CVM agricoles se traduit par une hausse de 0,12 pour cent environ de la productivité de la main-d’œuvre agricole, telle que mesurée par la valeur ajoutée agricole par travailleur.

Figure 2.7
EFFET SUR LA VALEUR AJOUTÉE AGRICOLE PAR TRAVAILLEUR D’UN CHANGEMENT DE 1 POUR CENT DANS LA PARTICIPATION AUX CVM

On estime également qu’une participation plus importante du secteur de l’alimentation et des boissons aux CVM a une incidence positive sur la valeur ajoutée agricole par travailleur (augmentation de 0,08 pour cent en moyenne). Cela est dû aux liens étroits qui unissent l’agriculture et l’industrie alimentaire: les produits agricoles qui sont produits dans le pays puis transformés et exportés par le secteur de l’alimentation et des boissons dans le cadre des CVM peuvent renforcer la productivité dans l’agriculture.

Par ailleurs, les estimations font apparaître que la participation aux CVM peut avoir des effets durables sur la productivité de la main-d’œuvre agricole. Une augmentation de 1 pour cent de cette participation continue à renforcer la productivité de la main-d’œuvre agricole deux ans après, avec toutefois une petite diminution de l’effet à long terme de la participation aux CVM agricoles au fil du temps – 0,10 pour cent après deux ans.

Une analyse complémentaire pour la période plus courte allant de 2009 à 2015 apporte des éléments qui montrent que l’effet de la participation aux CVM sur la productivité de la main-d’œuvre agricole n’est pas une conséquence temporaire de la croissance économique très rapide du début du siècle, mais qu’il s’est au contraire maintenu après 2008, alors que la croissance était bien plus faible. On peut en conclure que, pendant une période de croissance rapide, les transformateurs et les détaillants se fournissent auprès d’un grand nombre d’exploitations agricoles, mais que les moins productives d’entre elles sont écartées de la chaîne de valeur mondiale lorsque la croissance stagne. Ce processus de sélection, à l’issue duquel seules les exploitations les plus productives conservent des liens avec les marchés mondiaux, pourrait avoir en moyenne un effet plus important sur la productivité (figure 2.7).

Les liaisons tant en amont qu’en aval dans les chaînes de valeur mondiales contribuent de manière significative à la productivité du travail dans l’agriculture, et leur somme correspond approximativement à l’effet de la participation totale aux CVM (figure 2.7). En d’autres termes, l’augmentation de l’approvisionnement en intrants étrangers pour la production destinée à l’exportation et celle de la fourniture d’intrants à des partenaires commerciaux étrangers pour leurs exportations procurent généralement des avantages économiquesg. Du point de vue de l’action publique, cela implique que les politiques commerciales, du côté des importations comme du côté des exportations, sont essentielles.

Politiques visant à encourager la participation aux CVM

Pendant les quatre dernières décennies, les négociations commerciales internationales, d’abord dans le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), puis sous l’égide de l’OMC, ont contribué à ouvrir les marchés mondiaux. Les tarifs d’importation sur les produits agricoles et les produits alimentaires ont baissé depuis la mise en œuvre de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture en 1995-1996 (voir la figure 1.12 dans la première partie). De nombreux pays en développement ont engagé des réformes des politiques en vue de réduire les obstacles au commerce et de participer aux échanges internationaux.

Cependant, malgré ces réformes, les marchés agroalimentaires restent assez fortement protégés par rapport aux autres secteurs économiques. Les tarifs moyens sur les produits agricoles et alimentaires sont environ trois fois supérieurs à ceux appliqués aux autres biens33. Ils sont également plus élevés dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire que dans les pays à revenu élevé (voir la figure 1.12 dans la première partie). Dans certains pays en développement, on observe d’autres coûts importants liés aux échanges du fait d’un faible niveau d’application de dispositions contractuelles et réglementaires, d’infrastructures de transport inadéquates et d’autres distorsions34,h.

L’ouverture des marchés mondiaux peut apporter des avantages à tous les partenaires commerciaux et avoir des retombées importantes grâce au transfert de technologies et de savoir-faire. Elle sera davantage susceptible d’avoir des effets bénéfiques significatifs si elle s’accompagne d’autres stratégies de soutien de la compétitivité, par exemple des mesures qui renforcent la gouvernance et les infrastructures, améliorent les compétences, suppriment les facteurs de rigidité sur les marchés du travail et facilitent la réaffectation de main-d’œuvre entre différents secteurs. Il n’en demeure pas moins que les effets à court terme de l’ouverture des marchés, en particulier les conséquences qu’elle peut avoir en matière de répartition et d’inégalité des revenus, suscitent des craintes12,35,36.

Pour tirer parti des avantages de la participation aux CVM sur le plan de la croissance économique, il faut impérativement des politiques commerciales appropriées côté importations et côté exportations. L’ouverture au commerce et la suppression des politiques qui sont à l’origine de distorsions des marchés peuvent favoriser le dégroupage des processus de production à l’échelle internationale et encourager de ce fait la participation aux CVM. Cette ouverture au commerce stimule par divers mécanismes l’ensemble des activités économiques et peut faciliter la transformation des systèmes alimentaires, y compris l’émergence d’un secteur alimentaire national (voir la première partie).

Un exercice de simulation élaboré pour le présent rapport à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable (EGC) (voir l’encadré 2.5) semble indiquer que la suppression des obstacles au commerce ainsi que du soutien interne ayant un effet de distorsion sur ce dernier pourrait augmenter les possibilités de participer aux CVM et, de ce fait, la création de valeur ajoutée intérieurei. Ce scénario hypothétique est destiné à illustrer l’incidence que la réduction des obstacles au commerce et la suppression des mesures nationales générant des distorsions ont sur la participation aux CVM.

Ouverture au commerce et participation aux CVM

Dans l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons, on s’attend à ce que la suppression de l’ensemble des obstacles au commerce et des distorsions des marchés accroisse la participation aux CVM et la valeur ajoutée, par l’intermédiaire des liaisons en aval et en amont, dans toutes les régions.

Dans l’agriculture, l’ouverture au commerce et la suppression des mesures nationales générant des distorsions renforcent en particulier les liaisons en amont dans les CVM, car les pays accroissent leurs importations d’intrants pour l’agriculture (semences et engrais, par exemple). Cela aboutit à une augmentation de la production et des exportations qui reflète l’accroissement de la valeur ajoutée étrangère. La valeur ajoutée intérieure s’accroît également, mais dans une moindre mesure. Cet effet est particulièrement notable en Afrique et en Europe (figure 2.10, panneau A)j.

Figure 2.10
PROJECTION DES EFFETS DE L’OUVERTURE AU COMMERCE SUR LA PARTICIPATION AUX CVM, ÉVOLUTION EN POURCENTAGE

Dans le secteur de l’alimentation et des boissons, la valeur ajoutée tant intérieure qu’étrangère augmente également dans toutes les régions mais, dans certaines, les liaisons en amont (par l’intermédiaire de la valeur ajoutée étrangère) ne sont pas aussi importantes que la valeur ajoutée intérieure, comme c’est le cas dans l’agriculture (figure 2.10, panneau B). Cette situation reflète les différentes stratégies adoptées pour tirer profit de l’ouverture du commerce mondial. Certains pays peuvent accroître leur participation aux CVM en augmentant l’utilisation d’intrants intérieurs, et par conséquent la valeur ajoutée intérieure. Dans d’autres pays, le secteur de l’alimentation et des boissons pourra choisir de développer les exportations en augmentant les importations de produits agricoles, ce qui accroît la valeur ajoutée étrangère.

La suppression des obstacles au commerce renforce aussi les liaisons en aval dans les chaînes de valeur mondiales (figure 2.10, panneaux C et D). Dans l’agriculture, on constate que la valeur ajoutée intérieure progresse davantage par les liaisons en aval dans les CVM – autrement dit par les exportations de produits, qui sont envoyés au-delà des frontières pour être transformés puis de nouveau exportés – que par le commerce bilatéral en dehors de ces chaînes (exportations qui sont directement consommées dans le pays de destination)k. Dans le secteur de l’alimentation et des boissons, la valeur ajoutée intérieure augmente à la fois par les liaisons en aval dans les CVM et par des exportations en dehors de ces chaînes. L’un des principaux effets de la suppression des obstacles au commerce est le renforcement des liaisons entre l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons, entre les pays et dans le cadre des CVM. Dans le secteur agricole, elle stimule les liaisons en aval, par des exportations de produits de base destinés à être transformés à l’étranger. Cela se traduit par des gains importants pour le secteur de l’alimentation et des boissons, qui bénéficie en outre de l’augmentation de l’approvisionnement en intrants à partir de l’agriculture nationale.

D’après les projections, les gains de l’ouverture au commerce varient considérablement selon les régions. Cela est dû au fait que les résultats de la simulation dépendent de l’ampleur du bouleversement (niveau des tarifs d’importation d’origine), de la taille du marché mondial pour des produits de base spécifiques (différence selon les secteurs), de la taille du pays (importance de l’économie nationale), et des spécialisations et avantages comparatifs du pays (assortiment de produits de base exportés). Par exemple, l’Amérique du Nord impose moins de barrières tarifaires et de mesures générant des distorsions que la plupart des autres régions, et devrait de ce fait retirer moins d’avantages de leur suppression.

En outre, la distribution des gains dépend de l’évolution de la position concurrentielle relative. Les pays s’adaptent aux changements dans l’environnement de la politique commerciale en fonction de la manière dont leur économie est structurée, et en fonction de leurs ressources et de la souplesse avec laquelle ils les allouent. En Afrique, par exemple, la disponibilité potentielle de terres implique que la suppression des tarifs d’importation favorisera considérablement les liaisons en amont dans les CVM agricoles et augmentera la valeur ajoutée étrangère par l’intermédiaire des importations, ce qui se traduira ensuite également par une hausse de la valeur ajoutée intérieure dans les exportations. En Océanie, en revanche, l’agriculture devrait augmenter sa valeur ajoutée intérieure exportée par une combinaison de liaisons en aval – notamment le développement des exportations par le secteur de l’alimentation et des boissons – et d’échanges agricoles non liés aux CVMl. Les accords commerciaux régionaux ont en outre une incidence déterminante sur les résultats (voir l’encadré 2.6)39.

Politiques commerciales et transformation des secteurs agroalimentaires nationaux

Dans la plupart des régions, la suppression des obstacles au commerce dans l’agriculture déboucherait, d’après les projections, sur une augmentation plus importante de la valeur ajoutée exportée indirectement, c’est-à-dire par l’intermédiaire du secteur national de l’alimentation et des boissons (ou d’autres secteurs économiques qui utilisent des intrants agricoles), plutôt que dans le cadre d’exportations directes de produits agricoles (figure 2.11, panneau A)m. Cela signifie que les marchés libres pourraient contribuer à stimuler la participation aux CVM par le développement des secteurs alimentaires nationaux (voir également l’encadré 2.8).

Figure 2.11
PROJECTION DES EFFETS DE L’OUVERTURE AU COMMERCE SUR LA VALEUR AJOUTÉE AGRICOLE ET ALIMENTAIRE EXPORTÉE DIRECTEMENT ET INDIRECTEMENT

En moyenne, dans le secteur de l’alimentation et des boissons, les marchés libres peuvent favoriser le développement dans les deux directions, mais ont un effet plus marqué sur la valeur ajoutée exportée directement. La valeur ajoutée qui est générée et exportée par ce secteur illustre également le fait qu’il se situe plus en aval dans la chaîne de valeur (figure 2.11, panneau B).

En Océanie, les effets sont importants en pourcentage, mais étant donné que la région représente moins de 10 pour cent des échanges mondiaux dans les deux secteurs, cette progression masque des niveaux d’échanges initiaux peu élevés.

Politique commerciale et implications du soutien interne

À l’échelle mondiale, les marchés libres peuvent stimuler l’activité économique et favoriser les échanges commerciaux et la participation aux CVM. La réduction des obstacles au commerce peut conduire à une augmentation tant des importations d’intrants pour l’agriculture que des exportations de produits agricoles en vue de leur transformation dans d’autres pays. Par ailleurs, le secteur de l’alimentation et des boissons peut importer davantage d’intrants agricoles de l’étranger et accroître ses exportations en vue de la transformation, puis de la consommation finale des produits dans des pays partenaires.

Cependant, en moyenne, les projections indiquent qu’une grande partie de la production agricole est destinée à être utilisée par l’industrie alimentaire nationale (voir la figure 2.11, panneau A). Cela signifie que l’industrie alimentaire exporte de la valeur ajoutée issue de l’agriculture. Par conséquent, la réduction des obstacles aux échanges pourrait déboucher sur une multiplication des chaînes de valeur mondiales, mais permettre aussi le développement des industries alimentaires nationales. Une telle évolution reflète le lien entre la croissance économique et la transformation des chaînes de valeur de l’alimentation et de l’agriculture (voir la première partie). Au fil du développement, l’industrie alimentaire prend de l’importance, tandis que la contribution relative de l’agriculture à la valeur ajoutée agroalimentaire totale décroît (voir la figure 1.14 de la première partie). Le renforcement des liaisons entre l’agriculture et l’industrie alimentaire dans le pays mais aussi à l’étranger peut stimuler la croissance de la productivité du travail, et donc celle de l’économie.

L’analyse suppose que la participation aux CVM peut favoriser la croissance économique dans l’alimentation et l’agriculture par deux voies complémentaires. Les pays peuvent pénétrer ces chaînes coordonnées de manière verticale par l’amont et augmenter leurs exportations de produits agricoles. Cela peut déboucher sur une augmentation de la productivité par différents canaux, notamment grâce à l’accès à des technologies améliorées et à des connaissances. Les pays peuvent aussi entrer dans les CVM par l’aval, par l’intermédiaire de leur industrie alimentaire. Cependant, si l’industrie alimentaire nationale est émergente ou n’est pas encore complètement développée, l’augmentation de la valeur ajoutée intérieure par des exportations de produits primaires à des transformateurs étrangers peut être combinée à un renforcement progressif des capacités de transformation de produits alimentaires, ce qui peut aussi constituer une source indirecte d’exportation de valeur ajoutée agricolen. C’est le cas dans de nombreux pays africains, par exemple.

La part des échanges qui passe par les CVM et les effets de ces chaînes sur la productivité et la croissance économique plaident en faveur de marchés libres et de la réduction des obstacles au commerce. En divisant le processus de production entre plusieurs pays, elles associent les avantages comparatifs de nombreuses entreprises de différents pays, et offrent ainsi un point d’accès important au commerce international. Les étapes de production plus fragmentées et plus spécialisées des CVM facilitent la pénétration du marché mondial.

L’analyse des échanges du point de vue des chaînes de valeur mondiales montre en outre que les coûts entraînés par les obstacles au commerce peuvent être élevés1,53. Du fait de la fragmentation plus importante de la production entre les pays, des tarifs douaniers sont appliqués à plusieurs étapes de la chaîne de valeur. Les intrants et les produits intermédiaires traversent à de nombreuses reprises des frontières, et les droits de douane portent à chaque fois sur la valeur totale des exportations (y compris sur le montant sur lequel des droits ont été payés précédemment). Les effets domino sur l’ensemble des partenaires commerciaux de la chaîne de valeur mondiale peuvent être considérables. Par ailleurs, l’incertitude concernant les politiques commerciales peut être amplifiée par les CVM, les entreprises étant dans ce cas moins enclines à continuer d’investir dans des relations nouvelles ou existantes avec des fournisseurs étrangers.

Les droits de douane s’accumulant dans les CVM, leur effet devient plus important, voire préjudiciable si un produit est exporté en vue de sa transformation puis réimporté dans le pays d’origine. En outre, étant donné que ces chaînes renforcent les liens commerciaux entre les pays, les mesures commerciales nationales, mais aussi celles des autres pays, ont une incidence sur la création de valeur ajoutée intérieure. Les tarifs douaniers imposés sur le marché de destination peuvent avoir des répercussions sur les activités de production qui sont liées aux CVM et réparties entre différents pays54.

De ce fait, les avantages découlant des baisses de tarifs douaniers augmentent lorsqu’une part importante des échanges agroalimentaires a lieu dans le cadre de CVM. Cette situation peut entraîner une réorientation des politiques, à savoir l’abandon de mesures de substitution des importations et de protection des producteurs nationaux par des tarifs douaniers au profit d’incitations à développer l’activité économique intérieure par une hausse des exportations et une intégration dans le marché mondial55,56. Étant donné qu’une part de plus en plus importante des échanges mondiaux a lieu entre des économies émergentes et en développement, et qu’elle devrait encore progresser, une telle stratégie ne peut être efficace que si elle est adoptée dans le plus grand nombre de pays possible, solution préférable à celle consistant à tabler uniquement sur une augmentation de l’accès aux seuls marchés des pays développés.

Les chaînes de valeur mondiales, mais aussi, de manière plus générale, l’évolution des secteurs de l’alimentation et de l’agriculture, ont entraîné une augmentation des exigences en matière de technologies, de capital et de compétences de la main-d’œuvre pour la production d’aliments et de boissons (voir l’encadré 2.5). On peut favoriser les liaisons avec les CVM en encourageant la transformation et le développement des secteurs nationaux. Le développement d’une agriculture et d’une industrie alimentaire concurrentielles nécessite des politiques qui incitent à adopter les nouvelles technologies, qui renforcent les compétences et les capacités et qui facilitent la coopération entre les acteurs publics et privés38,55. Par ailleurs, les marchés libres sont généralement propices à la croissance économique, mais ils peuvent avoir différents effets sur les résultats environnementaux, sociaux et sanitaires. Ces effets, tant positifs que négatifs, peuvent être amplifiés par les CVM.

Pour tirer parti des possibilités découlant d’une participation accrue aux chaînes de valeur mondiales, il faut que l’environnement politique national soit cohérent avec la politique générale en matière de commerce. Les décideurs publics doivent s’employer à mettre en place un environnement qui permettra au secteur de l’alimentation et à celui de l’agriculture d’optimiser leurs avantages comparatifs et d’être concurrentiels dans les CVM agroalimentaires38.

CVM et développement durable: résultats environnementaux, sociaux et sanitaires

On peut enrichir le débat sur les gains économiques liés aux échanges commerciaux en examinant les impacts de ces derniers sur l’environnement, sur les inégalités et, s’agissant en particulier du commerce des produits alimentaires, sur les aspects sanitaires et nutritionnels. Le commerce international, comme toutes les activités économiques, peut appuyer des pratiques durables, en encourager certaines qui ne le sont pas, et avoir diverses conséquences environnementales et sociales (encadré 2.9). Les chaînes de valeur mondiales peuvent renforcer les effets sur les résultats durables, car elles contribuent à tisser entre les différents acteurs des liens plus étroits que ceux qui sont créés par des formes d’échanges moins structurées. D’un côté, les CVM peuvent amplifier les effets tant positifs que négatifs, notamment dans un contexte de commerce ouvert. De l’autre, les retombées en matière de connaissances et de technologies qui sont favorisées par ces chaînes de valeur peuvent permettre d’opérer des arbitrages entre les différents objectifs économiques, environnementaux et sociaux.

Commerce, CVM et environnement

Les chaînes de valeur mondiales qui s’inscrivent dans la logique des objectifs de développement durable peuvent diffuser des technologies et des pratiques durables, tout en favorisant la productivité et la croissance des revenus dans les différents pays. Une participation plus importante aux chaînes de valeur mondiales peut propager les impacts positifs des réglementations environnementales d’un pays à un autre et contribuer au développement durable. Par exemple, les entreprises axées sur l’exportation pourront se conformer plus strictement aux réglementations relatives à la durabilité et utiliser des technologies plus propres que les autres entreprises traditionnelles du pays, soit pour être en règle avec les normes publiques du pays importateur, soit parce que les partenaires en aval dans une CVM leur imposent des normes privées.

Les politiques commerciales qui favorisent une harmonisation des réglementations et qui appuient l’adoption de normes de durabilité élevées dans les CVM peuvent empêcher la pratique des arbitrages réglementaires par les entreprises multinationales (qui ont la possibilité de déplacer facilement des parties de la chaîne de production d’un pays à un autre). Les dispositions du nouvel accord commercial entre l’Union européenne et le MERCOSUR, par exemple, établissent un lien direct entre la suppression des tarifs douaniers et les normes de bien-être des animaux57.

Par ailleurs, les chaînes de valeur mondiales peuvent jouer un rôle essentiel dans la diffusion de technologies et de pratiques durables à l’échelle internationale. Un volet essentiel de la transition vers le développement durable est l’adoption généralisée de technologies plus efficientes et plus propres. Les marchés libres et la participation aux CVM peuvent stimuler ce développement technologique dans le monde et encourager sa diffusion dans l’ensemble des payso. Mais lorsque les chaînes de valeur mondiales enferment les acteurs dans des modèles commerciaux spécifiques, elles peuvent les empêcher d’adopter des technologies plus propres.

La gestion environnementale des chaînes d’approvisionnement, qui vise à réduire les effets sur l’environnement, la pollution et les déchets, est particulièrement pertinente à l’ère des chaînes de valeur mondiales59,60. Elle comprend notamment la logistique verte (réduction des émissions, des déchets et de la pollution liés aux activités logistiques); les solutions de transport durables (autres modes de transport et camions réfrigérés à l’aide de techniques plus durables); la réduction des emballages et l’utilisation de matériaux de conditionnement recyclés. Compte tenu de la nature mondiale de nombreuses chaînes de valeur, une coordination internationale est essentielle; il convient en outre de s’attaquer aux effets sur l’environnement qui ne peuvent être attribués spécifiquement à un pays, tels que ceux générés par le transport maritime et aérien international61.

Les normes privées peuvent également être un outil efficace pour renforcer la durabilité des activités des CVM. La mise en application des exigences des systèmes de certification de la durabilité offre des avantages environnementaux et sociaux indéniables (voir ci-après et la troisième partie)68. La part de la production agricole soumise à des normes de durabilité croît rapidement: en 2015, plus de 50 millions d’hectares étaient certifiés biologiques, et la superficie de cultures de coton, de bananes, de cacao et de thé certifiées durables a plus que doublé entre 2011 et 2015.

Commerce, CVM et inégalités

L’augmentation rapide de la participation des pays en développement aux échanges et l’émergence de chaînes de valeur mondiales ont coïncidé avec un recul considérable de la pauvreté extrême à l’échelle mondiale69. Les marchés libres sont souvent considérés comme un moyen de générer de la croissance, mais ils ne constituent pas un mécanisme de réduction des inégalités70. De fait, la mondialisation s’est accompagnée d’une aggravation des inégalités de richesse et de revenus dans de nombreux pays72.

Une récente analyse des incidences de l’élimination des tarifs douaniers sur les produits agricoles dans 54 pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire a révélé une augmentation à la fois des revenus et des inégalités71. Les résultats indiquent qu’en moyenne, la libéralisation des échanges agricoles aboutit à une hausse des revenus des ménages. Par ailleurs, on a constaté que l’élimination des tarifs d’importation avait des effets différents selon les pays, et selon les ménages dans un même pays. Dans 37 des 54 pays étudiés, les 20 pour cent des ménages les plus aisés profiteraient davantage de la libéralisation que les 20 pour cent des plus pauvres, ce qui exacerberait les inégalités relatives, même si tous les groupes de ménages seraient gagnants en termes absolus.

Au Viet Nam, par exemple, les revenus des ménages les plus riches ont augmenté, en moyenne, de 2,7 pour cent, contre 1 pour cent pour les plus pauvres. Ces différences dépendent des caractéristiques des ménages, comme les profils de consommation ou les structures des revenus, et appellent des politiques et des mesures complémentaires.

Le développement des échanges agricoles par l’intermédiaire des chaînes de valeur mondiales peut avoir des incidences plus marquées sur les inégalités, car les nouvelles technologies et processus novateurs associés à ces chaînes requièrent des compétences plus pointues. Les échanges fondés sur les CVM peuvent donc, dans une certaine mesure, réduire la possibilité pour les pays en développement d’exploiter les avantages comparatifs liés à une main-d’œuvre peu qualifiée72. Par le passé, un certain nombre d’économies d’Asie du Sud-Est ont enregistré une croissance rapide et se sont tournées vers une fabrication à faible coût axée sur l’exportation en tirant parti des chaînes de valeur régionales et mondiales et d’une main-d’œuvre peu qualifiée; cette stratégie a débouché sur une augmentation de la productivité et une hausse des salaires qui ont permis à ces pays d’accéder à la tranche de revenu intermédiaire. Des éléments probants récents issus d’analyses de CVM liées au secteur manufacturier dans 58 pays font apparaître que la participation à des chaînes de ce type a entraîné une augmentation de la productivité, mais pas de croissance de l’emploi73. Cela pourrait être lié au fait que l’intensité en capital du secteur manufacturier ne cesse d’augmenter.

Dans le secteur de l’agriculture, en revanche, les exigences en matière de capital et de main-d’œuvre hautement qualifiée sont peut-être moins élevées. Cependant, même dans les CVM agroalimentaires, une grande importance est accordée aux qualifications de la main-d’œuvre, à la taille des exploitations et à l’accès au crédit. Les agriculteurs des pays en développement n’ont pas tous les compétences et les moyens nécessaires pour adopter les pratiques agricoles, les normes et les objectifs logistiques exigés par les partenaires en aval de ces chaînes de valeur.

Si seuls les agriculteurs les plus qualifiés et les exploitations les plus grandes peuvent accéder aux chaînes de valeur mondiales, les inégalités sociales relatives risquent d’augmenter, malgré la progression des revenus moyens. La commercialisation agricole parfois engendrée par les CVM risque de marginaliser les petits exploitants pauvres qui ne peuvent pas satisfaire à des critères exigeants, même si la productivité agricole moyenne augmente et que ceux qui peuvent participer à ces chaînes en retirent des gains économiques. Compte tenu de ces préoccupations d’ordre distributif, il est essentiel de remédier aux dysfonctionnements des marchés qui empêchent les agriculteurs pauvres d’accéder à des marchés lucratifs (voir la troisième partie pour une analyse de la participation des agriculteurs aux chaînes de valeur).

On peut réduire les inégalités en adoptant des politiques qui privilégient une croissance inclusive et en veillant tout particulièrement à ce que personne ne soit laissé de côté. Par exemple, l’initiative de l’Union européenne sur l’analyse des chaînes de valeur pour le développement (VCA4D) applique un cadre précis axé sur les effets économiques et environnementaux, mais aussi sur les aspects sociaux favorisant une croissance inclusive, tels que le bien-être des enfants, les questions de parité, les droits relatifs à la terre et à l’eau et le capital social. Le projet VCA4D fournit aux décideurs des données probantes sur les stratégies de développement durable propres aux chaînes de valeur mondialesp.

De façon générale, l’accès à l’eau et à l’énergie donne aux personnes – et en particulier aux femmes, qui passent souvent plus de temps que les hommes à aller chercher de l’eau et du combustible – la possibilité d’avoir des activités productives, plutôt que de devoir se consacrer à leurs besoins essentiels. Il est primordial que les enfants aient accès à l’éducation et que les adultes disposent de possibilités d’apprentissage tout au long de leur vie. Les compétences élevées requises par les CVM et les méthodes de production durable peuvent constituer une incitation majeure à resserrer les liens entre les objectifs en matière d’éducation et de travail décent. Les technologies de production plus modernes qu’il est souvent nécessaire d’adopter pour intégrer des CVM peuvent également rendre l’alimentation et l’agriculture plus attirantes aux yeux des jeunes générations éduquées, et les pousser à rester dans les zones rurales pour dynamiser l’économie locale.

Commerce, CVM, sécurité alimentaire et nutrition

De manière générale, les chaînes de valeur mondiales pourraient être une source importante de progrès sur le plan social74. La participation à des CVM agroalimentaires peut améliorer la sécurité alimentaire des petits exploitants agricoles grâce à un renforcement de la productivité susceptible de se traduire ensuite par une augmentation des revenus ruraux, une réduction de la pauvreté rurale et des perspectives favorables à la croissance (voir aussi la troisième partie)75. Les retombées positives sur les marchés alimentaires intérieurs, notamment du fait de l’augmentation de la productivité, peuvent en outre contribuer à assurer la sécurité alimentaire de tous76,77. Ces gains peuvent permettre aux personnes d’acheter davantage de nourriture (augmentation des apports alimentaires), de se procurer des aliments plus diversifiés (renforcement de la diversité de l’alimentation, et éventuellement de la qualité de celle-ci), ou d’investir dans les installations d’assainissement et dans les soins de santé (déterminants essentiels des résultats nutritionnels, en particulier chez les enfants)78. Les arbitrages en jeu sont toutefois complexes, et on note des différences considérables selon les régions et selon les marchés.

Avec des mesures spécifiques, les chaînes de valeur mondiales peuvent également contribuer à réduire la malnutrition. Ces interventions peuvent notamment consister à enrichir des aliments transformés en micronutriments spécifiques (acide folique ou fer, par exemple) qui, autrement, disparaissent au cours de la transformation ou, de façon plus générale, ne sont pas consommés régulièrement par les plus pauvres, ou pas en quantité suffisante. Des CVM efficaces fondées sur des technologies de chaîne du froid améliorées sont susceptibles d’augmenter les échanges de fruits et de légumes (en évitant des risques de détérioration durant le transport). Elles peuvent donc augmenter la diversité alimentaire des consommateurs dans les pays qui ne disposent pas d’un avantage comparatif dans la production de fruits et de légumes. Pour finir, il est possible, par le conditionnement et l’étiquetage nutritionnel, d’augmenter la demande d’aliments plus nutritifs et éventuellement de réduire celle d’aliments à densité énergétique élevée.

Cependant, l’augmentation des disponibilités en produits transformés suscite des inquiétudes sur la contribution des échanges commerciaux et des CVM à la surnutrition et à l’obésité. L’urbanisation et l’évolution des styles de vie, ainsi que l’augmentation du nombre de ménages dans lesquels les femmes et les hommes ont des emplois rémunérés, ont entraîné une consommation accrue d’aliments transformés. Des éléments probants relatifs au Mexique indiquent une augmentation significative de la part de l’énergie consommée provenant d’aliments ultratransformés dans les ménages urbains disposant de revenus plus élevés, dirigés par une personne ayant fait des études poussées, et dans lesquels les hommes et les femmes sont sur le marché du travail79.

On a défini différentes mesures prioritaires pour faire reculer l’épidémie d’obésité et les maladies non transmissibles liées à la consommation de certains aliments transformés, en particulier des produits à teneur élevée en graisses saturées, en sel et en sucre. Les mesures proposées comprennent des taxes, la réglementation de la publicité pour les aliments, la promotion d’aliments plus sains comme les fruits et les légumes, une amélioration de l’étiquetage des aliments transformés et l’utilisation d’ingrédients plus sains dans ces derniers80,q. Des éléments probants montrent que les mesures visant à réduire la consommation de boissons sucrées avec du sucre ont donné des résultats dans un certain nombre de pays (voir l’encadré 2.10). Toutefois, les gouvernements disposent encore d’une certaine latitude pour aider les entreprises à remédier aux conséquences imprévues de leurs activités sur l’obésité.

Chaînes de valeur mondiales, normes et problèmes de concurrence

La transformation des marchés agricoles et alimentaires est le résultat d’une combinaison de facteurs, comme la hausse des revenus, l’urbanisation et la transition nutritionnelle. Elle a favorisé la forte pénétration des supermarchés dans le secteur du commerce de détail et l’introduction de normes strictes en matière de qualité et de sécurité sanitaire des aliments. La demande de produits différenciés et l’instauration de normes publiques et privées dans les pays ont engendré des chaînes de valeur mondiales de plus en plus complexes. Parallèlement, la multiplication des CVM, et en particulier la fragmentation des processus de production entre différents pays, nécessite une coordination et une gouvernance verticales importantes au sein des chaînes, sources de préoccupations fréquentes au sujet de la limitation de la puissance de marché en cas de divergences entre les politiques nationales en matière de concurrence.

Normes et accès aux CVM

Normes techniques

Diverses raisons motivent l’utilisation de systèmes de certification et de normes aux différentes étapes des chaînes de valeur mondiales. Les gouvernements imposent des réglementations et des normes publiques pour gérer les aspects sanitaires et s’assurer de la sécurité sanitaire et de la qualité environnementale et sociale des produits agricoles et des produits alimentaires qui entrent sur leurs marchés. Ces normes sont régies par les accords de l’OMC, tels que ceux sur les obstacles techniques au commerce et sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. L’Accord sur les obstacles techniques au commerce comprend des normes sur les produits, des règlements techniques ainsi que des procédures d’évaluation de la conformité, et prévoit des disciplines pour veiller à ce que les produits importés soient traités sur un pied d’égalité avec les «produits similaires» d’origine nationale. L’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires vise à garantir la mise en œuvre des règlements sur la sécurité sanitaire des aliments et la santé animale et végétale.

Les normes publiques étant plus ou moins sévères selon les pays au sein d’une CVM, les entreprises privées imposent également leurs normes afin de s’assurer de pouvoir vendre leur produit final sur un marché donné. Les entreprises de vente au détail situées en aval ont besoin que les producteurs qui se situent au milieu et en amont de la chaîne respectent les normes du pays dans lequel le produit final sera consommé.

On peut également exiger le respect de certaines normes pour s’assurer de pouvoir utiliser les intrants aux fins prévues dans les étapes en aval de la chaîne de valeur. La teneur en protéines du blé, par exemple, détermine les différents usages qui pourront en être faits. Certaines entreprises – généralement celles qui sont intégrées verticalement – peuvent en outre utiliser des normes privées comme un outil de commercialisation87. Ces normes permettent parfois de différencier les produits et d’augmenter les parts de marché. La complexité des processus de production liés aux CVM ainsi que les stratégies de marque et de commercialisation des entreprises ont accru l’intérêt pour les systèmes de certification tiers qui vérifient la conformité à des normes privées dans les chaînes de valeur.

L’un des principaux défis de ces systèmes de certification est la traçabilité – la possibilité de suivre chaque produit alimentaire à chaque étape de la production, de la transformation et de la distribution à l’intérieur des pays et entre les différents pays. Des systèmes de données peuvent être utilisés pour améliorer la traçabilité et les évaluations indépendantes de la conformité. Les systèmes de traçabilité sont essentiels dans les systèmes de certification des produits comestibles de la mer, par exemple; la moitié environ de ces systèmes prévoit des normes relatives à la chaîne de responsabilité dans le cadre du processus de suivi88,r. Les technologies numériques appliquées aux marchés (technologie des chaînes de blocs, notamment) peuvent améliorer considérablement la capacité de traçabilité des chaînes de valeur (voir la quatrième partie pour une analyse des applications numériques en matière de traçabilité).

Au niveau des exploitations, les analyses ont montré que l’application de normes privées pouvait avoir des effets bénéfiques sur la productivité, les exportations et l’emploi. Au Kenya, par exemple, les revenus ont augmenté lorsque les agriculteurs ont adopté les normes de qualité exigées par les acheteurs internationaux; cela a en outre amélioré la traçabilité des produits sur l’ensemble du réseau de fournisseurs89. Les données empiriques restent cependant nuancées, et de nombreux petits exploitants agricoles risquent de ne pas avoir les moyens de fournir des denrées alimentaires conformes à des normes strictes (voir la troisième partie pour une analyse de l’application de normes privées dans le contexte de l’agriculture contractuelle)76-78.

Systèmes de certification volontaire de la durabilité

Les normes et les systèmes de certification de la durabilité, qui comprennent des normes volontaires adoptées par les entreprises, visent à tenir compte des dimensions non économiques de la durabilité et peuvent favoriser l’obtention de résultats sur les plans environnemental et social. Ces normes volontaires de durabilité définissent les méthodes de production exigées s’agissant, par exemple, du respect des droits humains fondamentaux; de la santé et de la sécurité des travailleurs; de la juste rémunération des agriculteurs pour leur production; et des diverses pratiques agricoles qui permettent de mieux gérer les ressources naturelles et de réduire les effets préjudiciables sur l’environnement.

Parmi les systèmes de certification de la durabilité très connus, on peut citer Fairtrade (établi par une organisation non gouvernementale) et la Table ronde pour une huile de palme durable (initiative multipartite)s. Les organismes de certification privés ont principalement élaboré des normes pour l’agriculture biologique, mais les gouvernements mettent également en place à l’échelle nationale des normes et des règlements sur l’étiquetage des produits biologiques importés. Par ailleurs, les entreprises privées établissent des normes et des objectifs internes en matière de durabilité pour leurs chaînes de valeur et leurs pratiques commerciales. Les règles associées à ces normes diffèrent dans leurs exigences et leurs détails, mais presque tous les systèmes de certification de la durabilité répondent à la nécessité d’opérer des arbitrages entre les dimensions sociale, environnementale et économique (voir la troisième partie).

Les normes de durabilité gagnent du terrain sur les marchés mondiaux, surtout concernant les produits de grande valeur, depuis longtemps servis par des chaînes de valeur mondiales. La demande croissante de produits dont la production est certifiée durable a conduit à une augmentation de la part des terres agricoles exploitées dans le cadre d’une certification de cette nature. Une part relativement importante des cultures tropicales des pays en développement, comme le café, le cacao, le thé, l’huile de palme et le coton, est certifiée. En 2015, plus de 50 millions d’hectares ont été certifiés biologiques, soit 1,1 pour cent des terres agricoles à l’échelle mondiale. L’huile de palme certifiée par la Table ronde pour une huile de palme durable représente 0,07 pour cent de la superficie agricole mondiale. Un quart environ des superficies plantées en caféiers et en cacaoyers dans le monde est certifié au titre de normes de durabilité établies par des organisations non gouvernementales et par le secteur privé68.

Les chaînes de valeur mondiales, de par l’efficacité de leurs mécanismes de coordination verticale, offrent d’importantes possibilités d’appliquer des normes de durabilité et de faire coïncider les marchés mondiaux avec les résultats attendus en matière de développement durable. La multiplication des systèmes de certification est, pour partie, une réponse à la prise de conscience plus aiguë par les consommateurs des problèmes de durabilité, en particulier dans les pays à revenu élevé, mais aussi de plus en plus dans les pays émergents et en développement. Par exemple, les labels ou les certifications de conformité de la production aux normes Fairtrade ou Rainforest Alliance ou aux normes de l’agriculture biologique répondent à des préoccupations environnementales et sociales; ils fournissent aux consommateurs des informations qui leur permettent de prendre des décisions d’achat réfléchies, en fonction de leurs préférences et de leurs convictions sur le plan social. Les consommateurs ont des préoccupations de différents ordres: sécurité sanitaire des aliments, durabilité environnementale et normes sociales, comme le travail des enfants, l’égalité des sexes et le bien-être des producteurs93.

Normes et difficultés pour accéder aux CVM

Les systèmes de certification et les normes des marchés internationaux peuvent avoir des effets positifs, mais aussi poser des problèmes pour les petits transformateurs et agriculteurs, qui ont rarement les capacités techniques et financières nécessaires pour se conformer à des exigences strictes et complexes. Cela peut amener les détaillants et les entreprises en aval à limiter leur approvisionnement auprès de petits fournisseurs. Dans le cadre d’un approvisionnement à partir de petits exploitants agricoles, les coûts de transaction liés au contrôle du respect des normes peuvent être très élevés93.

Dans de nombreux pays en développement, d’autres obstacles peuvent entraver la compatibilité de la production avec les normes internationales: faiblesse des organismes de réglementation, réglementations sanitaires et phytosanitaires mal conçues et incorrectement mises en œuvre, et infrastructures inadéquates (transport, énergie et eau)94. Par conséquent, l’intégration de petits exploitants agricoles dans des chaînes de valeur qui ont mis en place un système de certification de la durabilité risque de ne pas être possible sans l’aide extérieure de programmes de développement, de partenariats public-privé, d’organisations non gouvernementales ou d’actions collectives.

Le coût lié au manque d’harmonisation des normes entre les pays peut augmenter considérablement dans les CVM, bien plus que dans le cadre des échanges bilatéraux en dehors de ces chaînes, car il est nécessaire de coordonner les efforts de conformité à chaque étape de la production et pour chaque marché final desservi. La mise en conformité avec des normes peut contraindre les entreprises à réaliser des investissements coûteux dans la duplication de processus de production ou dans des emballages et des étiquetages spécifiques, ou encore à se soumettre à plusieurs processus de certification pour le même produit. Ces coûts de conformité sont particulièrement importants pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les petits exploitants agricoles, et constituent un obstacle majeur à leur participation à des CVM95.

Les mesures destinées à faciliter et appuyer le respect des normes internationales et à harmoniser les normes et les systèmes de certification peuvent favoriser une participation plus importante aux CVM. La coopération internationale en matière de réglementation et la convergence des normes de qualité et de sécurité sanitaire peuvent alléger le fardeau de la mise en conformité et renforcer la participation des entreprises aux marchés mondiaux (voir la première partie)25. Les initiatives internationales en faveur de pratiques commerciales durables, telles que le Pacte mondial des Nations Unies, peuvent également être cruciales pour s’attaquer aux défis du développement durable. Cependant, leur nature facultative peut, dans une certaine mesure, freiner les progrès lorsque les arbitrages entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux reflètent d’importantes asymétries entre les gains privés et publics.

Puissance de marché, concurrence et répartition des avantages des CVM

La transformation des marchés agricoles et alimentaires au cours des dernières décennies a également modifié notablement les structures des marchés et la puissance des différents acteurs sur ces derniers96. La domination des supermarchés dans le commerce alimentaire de détail et l’importance prise par un nombre relativement faible de grandes entreprises agroalimentaires multinationales ont également contribué à renforcer la coordination verticale dans la chaîne de valeur agroalimentaire et ont fait une plus large place aux CVM (voir l’analyse de l’intégration verticale dans l’encadré 1.4 de la première partie).

On dispose d’éléments qui montrent clairement la concentration des marchés, en particulier dans les secteurs des semences97, des engrais98 et du commerce international des produits de base99, ainsi que dans la transformation des produits alimentaires et le commerce de détail. D’autres pans du secteur agroalimentaire se caractérisent en revanche par leur grand nombre de fournisseurs100. La figure 2.13 illustre la grande variabilité de la concentration des marchés selon les cultures et les régions à partir d’une analyse du marché des semences.

Figure 2.13
VARIATION DU DEGRÉ DE CONCENTRATION DES MARCHÉS DES SEMENCES PAR CULTURE ET PAR RÉGION

Dans une certaine mesure, la concentration des marchés et la puissance sur ces derniers peuvent être liées à une situation de monopole ou d’oligopole naturels, notamment lorsque des ressources naturelles rares sont utilisées, comme dans le cas de la production d’engrais. Un autre facteur déterminant est l’intensité de recherche-développement (R-D) du secteur. Par exemple, des investissements importants dans la R-D dans les secteurs des semences et des biotechnologies pourraient créer des obstacles à l’entrée susceptibles d’entraver la concurrence.

Dans les CVM, la puissance de marché est souvent liée à des innovations qui instaurent un monopole local et temporaire à l’origine de superprofits. On considère que les salades de crudités variées, par exemple, introduites sur le marché par l’entreprise à l’origine de l’innovation avec des exigences spécifiques pour les fournisseurs et transformateurs en amont, ont conféré une certaine puissance sur le marché à court terme, du moins jusqu’à l’arrivée d’entreprises concurrentes101. Les innovations dans la chaîne de valeur et la différenciation des produits apportent donc souvent une puissance de marché dans des régions spécifiques, de manière temporaire (tant qu’il n’y a pas de concurrents).

Généralement, la concentration des marchés dans les chaînes de valeur est liée à des comportements de collusion et à des positions dominantes. Elle entraîne une augmentation des prix pour les consommateurs (due à des rentes d’oligopole) et une baisse des prix pour les agriculteurs (due à des rentes d’oligopsone), ce qui diminue le bien-être des deux catégories, et transfère les gains aux grandes entreprises de transformation de produits alimentaires et aux détaillants alimentaires102. Cependant, la concentration des marchés ne donne pas nécessairement lieu à des pratiques collusoires ou à une concurrence imparfaite. Les données empiriques sur l’abus de position dominante sur les marchés agricoles et alimentaires restent rares, malgré la forte concentration des marchés dans certaines parties des chaînes de valeur contrôlées par un petit nombre d’entreprises qui tirent parti de la coordination verticale103,104.

Cela reflète, dans une certaine mesure, la difficulté de la tâche consistant à déterminer la puissance de marché. Des données empiriques révèlent que certaines des entreprises les plus puissantes imposent de manière unilatérale des conditions contractuelles et peuvent s’adonner à des pratiques commerciales «déloyales»105. Mais ces pratiques déloyales sont également difficiles à mettre en lumière, et peuvent consister à refuser de conclure un contrat écrit, à opérer des transferts excessifs de coûts et de risques entre les parties au contrat, ou à modifier fréquemment les prix. Le contrôle par les autorités de la concurrence est entravé par les difficultés qu’elles rencontrent pour prouver l’existence des pratiques commerciales déloyales supposées, mais la formalisation des transactions effectuées au sein de la chaîne de valeur au moyen de contrats peut résoudre un certain nombre de problèmes (voir la troisième partie).

De manière générale, les travaux publiés n’étayent pas la thèse d’un abus systématique de position dominante106. Par exemple, la pénétration des marchés des produits alimentaires dans les économies émergentes et en développement par de grandes entreprises du secteur agroalimentaire et du commerce de détail issues de pays développés a stimulé les taux de participation aux CVM, mais on ne dispose pas d’éléments qui indiquent clairement que cela ait donné lieu à des abus de position dominante à grande échelle. Les effets de la puissance de marché à l’intérieur de la chaîne de valeur pourraient en outre être positifs. Des éléments indiquent par exemple qu’une augmentation de la concentration et de la puissance de marché des acheteurs en aval pourrait éventuellement aider à remédier aux défaillances du marché local et des pouvoirs publics dans les zones rurales (où se trouvent les fournisseurs en amont), car elle pourrait lever des obstacles structurels liés aux marchés en réduisant les coûts de transaction et en renforçant la clarté des contrats107.

La TROISIÈME PARTIE resserre l’analyse, du niveau mondial à celui des ménages agricoles. Les petits agriculteurs font face à un certain nombre de difficultés qui déterminent leur participation aux marchés et aux chaînes de valeur. 
Ces difficultés pèsent aussi sur leurs aspirations à de meilleurs moyens de subsistance. La présente analyse replace l’exploitation dans le processus de développement pour observer les marchés et leur comportement. Elle examine des modèles fonctionnels, tels que l’agriculture contractuelle et les chaînes de valeur intégrant des systèmes de certification de la durabilité, qui peuvent aider à résoudre les difficultés rencontrées par les agriculteurs, permettre à ceux-ci de s’intégrer dans les marchés, et concourir aux résultats économiques, environnementaux et sociaux.

Messages clés

1 Des marchés qui fonctionnent correctement sont essentiels à la croissance agricole et occupent une place centrale dans le processus de développement. Ils offrent un mécanisme permettant aux agriculteurs de s’intégrer dans l’économie et ouvrent des possibilités de croissance des revenus et d’amélioration des moyens de subsistance.

2 Dans de nombreux pays en développement, les agriculteurs se heurtent à d’importantes difficultés pour accéder aux marchés. La situation est pire encore pour les femmes. La rigueur des exigences des chaînes de valeur modernes pourrait aggraver l’isolement des agriculteurs par rapport au mécanisme des marchés.

3 Une plus grande participation des exploitants aux marchés ouvre l’éventail de leurs choix. Les marchés permettent aux agriculteurs de prendre des décisions plus éclairées concernant leur exploitation, leur famille et eux-mêmes lorsqu’ils choisissent comment et quoi produire, ou comment investir. Les améliorations des moyens de subsistance susceptibles d’en découler intéressent aussi bien l’agriculture que d’autres secteurs économiques.

Principales mesures

L’action des pouvoirs publics est déterminante pour soutenir la participation aux marchés. Cela suppose des mesures ciblant les zones rurales pour y améliorer les services de santé et d’éducation, en moderniser les infrastructures et en dynamiser les marchés du travail, et instaurer ainsi un environnement porteur, propice aux entreprises.

Des modèles fonctionnels inclusifs, comme l’agriculture contractuelle, peuvent remédier aux difficultés auxquelles les agriculteurs se heurtent lorsqu’ils tentent d’entrer sur les marchés et dans les chaînes de valeur. Dans les pays en développement, une approche de ce type peut être facilitée par des groupements d’agriculteurs efficaces; elle nécessite, de la part des pouvoirs publics, du secteur privé et de la société civile, des actions pluridimensionnelles et coordonnées.

Les marchés agricoles et alimentaires peuvent être mis à profit pour obtenir des résultats en matière de développement durable. Promouvoir des systèmes volontaires de certification de la durabilité et veiller à ce qu’ils soient largement appliqués est un moyen de parvenir à un bon compromis entre les objectifs économiques, environnementaux et sociaux.

Développement agricole durable et marchés

Les marchés sont au cœur du processus de développement, allouant les activités et les ressources là où elles sont le plus productives. Dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture, les marchés, à condition qu’ils fonctionnent correctement, et les échanges jouent un rôle vital dans l’amélioration des moyens de subsistance de millions de personnes et peuvent apporter d’autres avantages, comme celui de contribuer à la sécurité alimentaire en transférant des vivres des régions excédentaires vers les régions déficitaires.

Le processus de développement se caractérise par une transformation structurelle de l’économie. Il représente la voie vers de plus hauts revenus et une éradication de la pauvreté, mais aussi vers une multiplication des possibilités d’amélioration du niveau de vie et, pour les individus, vers la capacité de choisir entre plusieurs façons de gagner sa vie.

Certes, les analyses antérieures considéraient l’agriculture comme un secteur traditionnel faiblement productif qui devait fournir de la main-d’œuvre et d’autres ressources aux secteurs modernes en croissance rapide, mais aucun pays n’est jamais parvenu à sortir de la pauvreté sans un secteur agroalimentaire dynamique1. En même temps, la croissance de l’agriculture dépend très largement de la façon dont la productivité et l’emploi se développent dans le secteur manufacturier et dans les services. La transformation structurelle intègre les trajectoires de croissance de tous les secteurs d’une économie, et ce processus dépend des marchés et de leur bon fonctionnement (voir l’encadré 3.1 pour une analyse du rôle des marchés dans le développement).

Les marchés prenant une part importante au processus de transformation structurelle, la participation des agriculteurs aux échanges qui reposent sur ces marchés est essentielle pour parvenir à un développement durable et éradiquer la pauvreté. Le fait de veiller à ce que les pauvres aient accès à des marchés qui fonctionnent correctement permet de mieux associer ces populations au processus de développement.

D’une manière générale, l’accès aux marchés concourt au développement, non seulement parce qu’il génère de la croissance économique, mais aussi parce qu’il offre aux agriculteurs la possibilité d’améliorer leur vie en mettant à profit leurs capacités à exercer des activités rémunératrices. La participation aux marchés et l’exploitation des rôles et effets de ceux-ci dans le but de renforcer le développement social dépendent pour une grande part des pouvoirs publics et des dispositions prises en matière d’éducation, de santé, de crédit, d’accès à l’énergie et à l’eau, et de concurrence, entre autres2,a.

Si l’on resserre la focale, les échanges agricoles fondés sur les marchés génèrent des bénéfices grâce à la production et à la vente de produits qui sont la spécialité des agriculteurs et leur confèrent un avantage comparatif. Les revenus ainsi créés peuvent servir à acheter d’autres biens et services, y compris des aliments que d’autres producteurs seraient susceptibles de fournir à un coût inférieur. Sur la durée, les marchés peuvent également produire des effets soutenus. Les transactions commerciales offrent l’occasion d’échanger des idées, ce qui favorise la diffusion de meilleures technologies et une augmentation de la productivité; les agriculteurs et leurs familles peuvent ainsi constituer des actifs productifs et investir dans l’éducation, la santé et dans leurs moyens de subsistance3.

De plus en plus, l’approvisionnement évolue, délaissant les marchés au comptant traditionnels, où agriculteurs et négociants se rencontrent aux portes de l’exploitation, pour se tourner vers des chaînes de valeur mondiales très élaborées et intégrées verticalement, dans lesquelles des contrats spécifient le calendrier, l’ampleur et les critères de qualité des transactions (voir aussi les première et deuxième parties pour une analyse de l’évolution des échanges et des marchés agroalimentaires et de l’émergence des chaînes de valeur mondiales). Dans les pays en développement, les chaînes de valeur traditionnelles et modernes se côtoient, ces dernières répondant principalement à la demande alimentaire urbaine. De plus en plus souvent, les échanges internationaux aussi passent par des chaînes de valeur mondiales.

Participation aux marchés dans le contexte des pays en développement

Au cours de cette transformation progressive des conditions de marché, le commerce international a progressé considérablement et des chaînes de valeur très élaborées, à la fois mondiales et nationales, se sont créées, reliant les agriculteurs aux consommateurs et ouvrant de meilleures perspectives. Pourtant, de nombreux agriculteurs des pays en développement, en particulier les plus petits, demeurent marginalisés, exclus du processus de développement, et n’ont accès qu’à des marchés traditionnels ou informels qui fonctionnent mal ou ne couvrent qu’un très petit territoire local.

Dans beaucoup de pays en développement, surtout en Afrique, les interventions imposées d’en haut et la libéralisation des marchés et du commerce qui s’est opérée dans les années 80 se sont révélées impuissantes à intégrer un grand nombre d’agriculteurs dans les marchés et à améliorer leurs moyens de subsistance. À l’origine de cet échec, bien souvent, on trouve des défaillances de ces marchés, qui empêchent les agriculteurs de réagir aux incitations par les prix. D’où la nécessité pour les pouvoirs publics de prendre des mesures et d’effectuer des investissements visant à résoudre ces difficultés spécifiques et à lutter contre ces inégalités, et à compléter ainsi la libéralisation des marchésb.

À l’heure actuelle, dans les pays en développement, une série de chaînes de valeur relient les agriculteurs à la fois aux marchés formels et aux marchés informels. Certaines de ces filières sont en pleine évolution et s’efforcent de répondre à la demande de consommateurs urbains à revenu plus élevé par l’intermédiaire des supermarchés (voir la première partie). Par ailleurs, les chaînes de valeur mondiales offrent aux agriculteurs des pays en développement de réelles possibilités de participer au marché international en tirant parti de leur avantage comparatif, au lieu d’avoir à s’en remettre à l’industrie alimentaire nationale, qui peut ne pas encore être aussi compétitive (voir la deuxième partie).

Cela étant, tout le monde ne peut pas s’associer à des chaînes de valeur mondiales, surtout si les conditions nécessaires pour accéder aux marchés ne sont pas remplies. Souvent, dans les pays en développement, les petits agriculteurs vendent leurs produits à des marchés locaux de petite taille, à des fournisseurs informels et à des groupes de population à plus faible revenu. De fait, la plupart des agriculteurs vendent à des marchés, mais leur participation moyenne, mesurée à la part de production qu’ils commercialisent, n’est pas très élevée.

Cela ne signifie pas que les ménages sont entièrement isolés des marchés. La plupart des agriculteurs des pays en développement participent à des marchés, à la fois formels et informels, mais leurs ventes en volume sont faibles. Peu d’entre eux sont des vendeurs nets.

Les données d’enquête auprès des ménages indiquent que les agriculteurs des pays en développement ne vendent qu’une part de leur production, et que cette part est souvent petite. Au Ghana, par exemple, les agriculteurs commercialisent en moyenne 46 pour cent environ de leur production végétale (en valeur) et en conservent plus de la moitié pour la consommation familiale (figure 3.2). Au Malawi et en Ouganda, les exploitants participent aux marchés agricoles, auxquels ils vendent respectivement 21 et 30 pour cent environ de leur production végétale. Au Viet Nam, où la commercialisation des produits de l’agriculture est plus importante, les données indiquent qu’en 2008 la part moyenne de la production des ménages vendue par l’intermédiaire des marchés était de 52 pour cent.

Figure 3.2
PARTICIPATION AUX MARCHÉS: PART MOYENNE DE LA PRODUCTION DES MÉNAGES COMMERCIALISÉE, AU GHANA, AU MALAWI, EN OUGANDA ET AU VIET NAM

Ces opérations commerciales modestes n’apportent que peu de liquidités supplémentaires aux ménages, or ces liquidités sont essentielles pour sortir les petits exploitants d’une agriculture de semi-subsistance (figure 3.3). Pour de nombreux ménages agricoles, une grande partie du revenu se compose de la valeur de la production conservée en vue d’une consommation familiale, de salaires souvent gagnés sur des marchés du travail informels hors exploitation, d’envois de fonds et de transferts. Les ménages agricoles dépendent des sommes ainsi perçues pour compléter leur propre production vivrière, et beaucoup d’entre eux sont des acheteurs nets de produits alimentaires.

Figure 3.3
PART MOYENNE DES VENTES DANS LE TOTAL DES REVENUS DES MÉNAGES, AU GHANA, AU MALAWI, EN OUGANDA ET AU VIET NAM, EN POURCENTAGE

Participation aux marchés et coûts de transaction

Le coût élevé des transactions commerciales explique largement les faibles taux de participation aux marchés dans les pays en développement. Ainsi, de nombreux agriculteurs peuvent n’avoir que peu de moyens de participer aux marchés du fait de la médiocrité des infrastructures et d’une accessibilité limitée par la route qui entraînent des coûts de transport élevés. Ces coûts de transaction variables s’ajoutent au coût des intrants et réduisent le prix que les agriculteurs reçoivent pour leurs produits. Les agriculteurs étant géographiquement dispersés et leur offre à la fois peu importante et irrégulière, les négociants privés n’y font pas appel ou exigent des marges élevées. La distance et la qualité des infrastructures de transport aboutissent à une diversité de taux de commercialisation selon les agriculteurs, qui n’apparaît pas lorsqu’on regarde les graphiques moyens, comme celui de la figure 3.2. Les agriculteurs situés près des villes de moyenne et grande taille, par exemple, présentent en général des taux de participation aux marchés plus élevés que ceux qui en sont éloignés.

Dans les zones rurales, l’information aussi est coûteuse et les agriculteurs ne disposent pas toujours de données détaillées sur les acheteurs, les marchés et les niveaux de prix. Les dépenses de recherche à engager pour trouver un négociant, marchander, négocier et conclure une transaction sont élevées. Elles sont aussi fixes puisque, une fois les informations nécessaires réunies, les agriculteurs peuvent vendre n’importe quelle quantité sans que ces coûts varient beaucoup. Les petits exploitants, qui produisent et vendent à trop petite échelle, n’ont pas nécessairement les moyens d’absorber ces coûts fixes. Ce sont donc souvent des agriculteurs plus importants et mieux dotés qui fournissent la majeure partie de l’offre commerciale, en particulier pour les produits de base4.

Malgré cela, pour des produits tels que le café et le cacao, ou les légumes, les petits exploitants peuvent enregistrer des taux significatifs de participation aux marchés et aux chaînes de valeur mondiales.

Les données d’enquête auprès des ménages font apparaître une corrélation positive entre la part de production commercialisée et la taille de l’exploitation (figure 3.4). Au Ghana, par exemple, de petites exploitations figurant en bas de la distribution avec une taille allant jusqu’à 0,4 hectare commercialisent 35 pour cent de leur production. Pour de plus grandes exploitations, figurant dans les 20 pour cent supérieurs de la distribution, et dont la taille est supérieure à 6,2 hectare, le taux de participation aux marchés est supérieur à 50 pour cent. Au Viet Nam, les taux de participation aux marchés présentent un profil similaire, mais sont nettement plus élevés pour toutes les tailles d’exploitation, ce qui indique que les agriculteurs de ce pays supportent des coûts de transaction inférieurs à ceux des ménages agricoles malawiens et ougandais.

Figure 3.4
PART DE LA PRODUCTION DES MÉNAGES COMMERCIALISÉE, SELON LA DISTRIBUTION PAR QUINTILE DE LA TAILLE DES EXPLOITATIONS, AU GHANA, AU MALAWI, EN OUGANDA ET AU VIET NAM

Dans les pays en développement, les coûts de transaction et de recherche élevés se traduisent par des marchés étroits de produits et d’intrants. Ils entraînent également des défaillances systémiques des marchés – instabilité des prix et marchés manquants dans les domaines du crédit et de l’assurance. Ainsi, dans le contexte d’une économie en développement, les exploitations agricoles rencontrent des difficultés considérables pour accéder au crédit, car les banques hésitent souvent à leur consentir des prêts du fait de garanties limitées et d’un déficit d’information. Le manque d’accès à l’assurance restreint également la capacité des agriculteurs à atténuer les risques de production et empêche l’investissement dans les exploitations. Ces défaillances des marchés peuvent créer des cercles vicieux: la faiblesse des investissements ne permet pas d’améliorer la productivité ni les revenus, ce qui empêche les investissements; et les agriculteurs, en particulier les petits agriculteurs, se retrouvent piégés dans la pauvreté.

D’autres difficultés peuvent aussi tenir les agriculteurs éloignés des marchés modernes. Pour vendre par l’entremise de chaînes de valeur modernes, comme celles des supermarchés, les agriculteurs doivent pouvoir assurer la continuité de leur offre et satisfaire à des exigences rigoureuses de sécurité sanitaire et de qualité des aliments. Le manque d’information sur les normes de qualité, l’accès limité aux technologies et le faible niveau de compétences en matière de gestion et de logistique font qu’il est difficile pour de nombreux agriculteurs des pays en développement de fournir des chaînes de valeur modernes5.

Ainsi, en 2013, les inspections à l’importation effectuées dans l’Union européenne pour détecter d’éventuels dépassements des limites de résidus de pesticides ont entraîné le rejet de 10 pour cent des haricots et des pois arrivés dans les ports de l’Union européenne. Cette même année, l’industrie horticole d’exportation du Kenya, qui représentait 930 millions d’USD, a enregistré une chute de 50 pour cent du total des exportations. Les petits exploitants kényans, qui, selon les données disponibles, avaient produit 80 pour cent environ de ces exportations, ont été durement frappés6.

On trouve aussi de belles réussites. En Éthiopie, la chaîne de valeur du teff – l’aliment de base le plus important du pays – est en pleine mutation. Ses coûts de transformation plus faibles et une demande croissante de commodité et de qualité ont entraîné une hausse de la participation aux marchés et une amélioration de la productivité au niveau des exploitations dans les zones bien reliées aux centres urbains7.

D’une exploitation à une autre, l’accès aux marchés est loin d’être uniforme, car les coûts de transaction donnent lieu à un large éventail de taux de participation. Pour de nombreux agriculteurs des pays en développement, la prise de décisions stratégiques en matière de production et de commercialisation est limitée par l’absence de marché ou le mauvais fonctionnement des marchés existants.

Sur le plan de la croissance et du développement, ces difficultés ont pour principale conséquence de rendre toute une série de décisions inséparables les unes des autres. Par exemple, si les marchés ne fonctionnent pas correctement, il devient impossible de décider de la composition et du volume de la production sans décider du même coup de la composition et du volume de la consommation. L’absence de marché signifie que les agriculteurs choisiront peut-être de diversifier leur production pour servir leurs besoins alimentaires au lieu d’adopter des stratégies de spécialisation propres à améliorer leur efficience et de se reposer sur le marché pour leur consommation8.

Les agricultrices se heurtent à des désavantages encore plus grands que leurs collègues masculins, car leur accès aux actifs et au capital social est plus limité; le sexe de l’exploitant s’ajoute donc aux facteurs qui déterminent la grande diversité de taux de participation aux marchés dans les pays en développement. Les ménages dirigés par une femme génèrent un revenu nettement inférieur à ceux dirigés par un homme (voir la figure 3.5). Dans de nombreux pays, les ménages dirigés par une femme participent bien moins aux marchés que ceux dirigés par un homme (voir la figure 3.6).

Figure 3.5
REVENU TOTAL MOYEN DES MÉNAGES SELON LE SEXE DU CHEF DE MÉNAGE (EN USD, AUX PRIX DE 2011)
Figure 3.6
PART MOYENNE DES VENTES DANS LE TOTAL DES REVENUS DES MÉNAGES SELON LE SEXE DU CHEF DE MÉNAGE, EN POURCENTAGE

Les décisions d’affecter la main-d’œuvre à des activités exercées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’exploitation dépendent aussi des marchés. Un emploi hors de l’exploitation peut compléter le revenu agricole et jouer un rôle essentiel dans la gestion du risque en permettant une diversification des sources de revenus. Du fait du manque d’emplois correctement rémunérés – qui peut aussi être associé à de faibles niveaux d’instruction –, les agriculteurs évaluent le coût de leur main-d’œuvre comme étant très bas. Devant ce «salaire de référence» très faible, ils ont tendance à utiliser davantage de main-d’œuvre familiale sur l’exploitation. Plus cette dernière est petite, et plus la proportion de main-d’œuvre est forte, ce qui crée une relation inverse entre le rendement par hectare et la taille de l’exploitation – un fait souvent observé, quoiqu’il ne soit pas entièrement compris. Les petites exploitations obtiennent généralement de meilleurs rendements par hectare que les plus grandes, mais elles ont une productivité par travailleur nettement plus basse et génèrent donc des revenus par habitant plus faible en valeur relative9.

Les taux d’adoption des technologies aussi peuvent être liés à des marchés manquants. Les agriculteurs qui sont intégrés dans les marchés sont plus susceptibles d’adopter de nouvelles technologies que ceux qui ne participent que faiblement aux marchés. Les ménages qui ont un accès limité aux marchés sont peu incités à adopter de nouvelles technologies et à accroître leur productivité, car ils n’ont à répondre qu’à leur seule demande, laquelle est rapidement satisfaite par de petites augmentations de production. À l’inverse, les exploitations qui sont bien intégrées dans les marchés sont face à une demande agrégée de produits, et leur comportement en matière d’adoption des technologies est en rapport avec les recettes qu’elles attendent d’une augmentation du volume de produits vendus3.

Dans le contexte de marchés en développement, une foule de décisions, y compris quant à la façon de répondre à des objectifs sociaux tels que l’investissement dans l’éducation et la santé, se ressentent du mauvais fonctionnement des marchés. L’absence de marchés de l’assurance et du crédit dans un contexte de conditions météorologiques défavorables peut avoir des répercussions considérables sur les investissements critiques pour l’éducation des enfants. En Côte d’Ivoire, par exemple, les ménages ruraux frappés par des crises liées aux précipitations font généralement baisser les taux de scolarisation dans une proportion comprise entre 30 et 50 pour cent10. Au Honduras, les enfants des ménages ruraux dont l’accès aux marchés du crédit est limité atteignent un moins bon niveau d’instruction. Ces effets préjudiciables ont semblé se renforcer avec les crises météorologiques associées à l’ouragan Mitch11.

Taille des exploitations, marchés et transformation structurelle

L’agriculture représente l’un des principaux métiers du monde. Concrètement, plus de 600 millions d’exploitations fournissent un revenu et un emploi à des milliards de personnes, tout en produisant des aliments et des matières premières pour une population de plus en plus nombreuse et aisée. D’après les estimations, 90 pour cent environ de ces exploitations reposent principalement sur une main-d’œuvre familiale, occupent entre 70 et 80 pour cent des terres arables du monde et produisent à peu près 80 pour cent des aliments consommés dans le monde, en valeur. La plupart des exploitations utilisant une main-d’œuvre familiale sont petites – 70 pour cent environ des 600 millions d’exploitations dans le monde ont une superficie inférieure ou égale à 1 hectare et exploitent 7 pour cent des terres agricoles de la planète12.

Elles demeurent toutefois le mode dominant de production agricole, même dans les pays à revenu élevé. Cela s’explique par le fait que les membres de la famille, ayant un intérêt direct dans l’exploitation, peuvent exécuter des tâches précises comme le repiquage, la fertilisation et le désherbage, sans qu’il soit besoin de les superviser, et donc à un coût inférieur à celui d’une main-d’œuvre salariée13. En conséquence, à mesure que le processus de transformation structurelle avance et que des personnes quittent l’agriculture, la taille des exploitations change, entraînée par l’évolution de la croissance démographique rurale, les améliorations technologiques et la migration des ruraux vers les villes14.

Les données issues des recensements agricoles indiquent que, entre 1960 et 2000, la taille moyenne des exploitations a baissé dans l’ensemble des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, tandis qu’elle augmentait dans les pays à revenu élevé12.

En moyenne, dans toute l’Asie, à mesure que la croissance démographique ralentit (voir la première partie) et que les gens abandonnent l’agriculture, le rythme de croissance de la population rurale devrait baisser lui aussi d’ici au milieu du siècle15. Déjà, l’urbanisation entraîne une stabilisation, voire une augmentation, de la taille moyenne des exploitations. Les données d’enquête auprès des ménages indiquent par exemple que, depuis 1992, la taille moyenne des exploitations au Viet Nam a augmenté, passant de 0,16 à 0,54 hectare16,c.

À l’heure actuelle, l’Afrique demeure principalement rurale, les urbains représentant 40 pour cent environ de la population totale. La population rurale du continent a été multipliée par plus de trois entre 1950 et 2018, passant de 196 millions à 740 millions, et, bien que l’urbanisation se poursuive, les projections indiquent qu’elle devrait être supérieure à 1 milliard de personnes à l’horizon 205015.

Le faible rythme de croissance de la productivité dans le secteur manufacturier et celui des services pourrait aussi contribuer aux faibles taux de transformation structurelle et au recul de la taille des exploitations dans l’avenir17,d. La taille moyenne des exploitations des pays africains a tendance à diminuer. Au Malawi, par exemple, les données d’enquête auprès des ménages indiquent qu’elle est passée de 1,08 à 0,67 hectare entre 2004 et 2011 (figure 3.7).

Figure 3.7
ÉVOLUTION DE LA TAILLE MOYENNE DES EXPLOITATIONS, EN HECTARES

Cette diminution de la taille des exploitations pourrait avoir une incidence importante sur la participation aux marchés, surtout dans le cadre des marchés alimentaires et des chaînes de valeur mondiales modernes, car les dépenses fixes d’information à engager pour y accéder représentent des sommes substantielles. Les actifs, surtout les terres, ainsi que l’accès aux infrastructures de transport peuvent être fortement corrélés à la participation aux marchés.

Une faible participation aux marchés peut freiner le processus de développement et retentir négativement sur l’éradication de la pauvreté et la sécurité alimentaire d’une large partie de la population. En effet, augmenter la part de production commercialisée permet d’accroître le revenu des petites exploitations et de réduire la pauvreté. Ainsi, au Kenya, l’étude d’un échantillon de ménages agricoles commercialisant en moyenne 44 pour cent de leur production semble indiquer qu’un accroissement de la participation aux marchés de 10 points de pourcentage entraîne une augmentation de 17 pour cent du revenu moyen par habitant et réduit la prévalence de la pauvreté des ménages de 16 pour cent18.

On a également observé des effets positifs de la participation aux marchés lorsqu’il s’agit de lutter contre les carences en matière d’éducation, de santé et de nutrition, et d’améliorer les niveaux de vie, ce qui laisse supposer que cette participation se traduit par un renforcement des capacités et du capital humain essentiels pour faire entrer les membres des ménages dans le processus de développement. Cela étant, si les marchés peuvent contribuer à réduire la pauvreté, une participation accrue aux marchés pourrait aussi accroître les inégalités, car les gains de revenu par habitant sont généralement plus élevés pour les ménages relativement bien dotés et plus aisés, que pour les plus pauvres.

Des marchés fonctionnant correctement peuvent faciliter le processus de transformation structurelle. Cependant, l’hétérogénéité qui caractérise l’agriculture et les exploitations, mais aussi les chaînes de valeur et les entreprises agroalimentaires, à la fois au niveau national et international, impose une approche multidimensionnelle (voir l’encadré 3.2 pour une analyse des petites et moyennes entreprises rurales).

S’attaquer en priorité à la façon dont on peut encourager la productivité par habitant, intégrer les agriculteurs dans les marchés et amorcer la croissance du secteur est essentiel dans une démarche de développement, mais, en parallèle, le processus de transformation structurelle suppose que les ménages agricoles adoptent des stratégies de subsistance différentes, au sein du secteur agricole, voire dans d’autres secteurs. Ces stratégies prennent en compte plusieurs facteurs, parmi lesquels la commercialisation – qui dépend de la taille de l’exploitation, des coûts de transaction et de la capacité à répondre à la demande alimentaire des consommateurs urbains –, mais aussi l’éducation, la diversité des compétences et la santé – qui déterminent l’aptitude d’un ménage à abandonner complètement le secteur agricole pour d’autres branches de l’économie.

Dans les pays en développement, les préconisations pour l’action publique devraient être de s’attaquer aux nombreuses difficultés qui freinent l’intégration des agriculteurs dans le processus de croissance économique. Les mécanismes de protection sociale, par exemple, réduisent la vulnérabilité, la pauvreté extrême et le dénuement, mais peuvent aussi avoir des effets positifs sur la participation aux marchés, car ils permettent aux ménages de mieux gérer les risques et de se consacrer à la production agricole19. Une série d’interventions, à la fois générales et spécifiques, nécessitera des investissements destinés à gérer les défaillances des marchés et les nombreuses dimensions du développement. Les ménages agricoles qui misent sur le marché bénéficieront directement de l’amélioration des infrastructures de transport et de communication, laquelle permet de diminuer les coûts de transaction et d’amorcer le développement de marchés de produits, d’intrants et de services financiers. La participation à ces marchés est susceptible de stimuler les investissements ainsi que la croissance de la productivité et des revenus, mais peut aussi permettre aux ménages de diversifier leurs sources de revenus dans les secteurs non agricoles.

D’autres ménages peuvent tirer profit de liens avec le marché du travail et des investissements publics dans l’éducation pour se constituer des actifs et mettre leurs compétences à niveau en vue de sortir de l’agriculture pour rejoindre d’autres secteurs de l’économie. L’un des défis importants que les pouvoirs publics doivent relever concerne les ménages qui pratiquent une agriculture de semi-subsistance et qui sont parfois pauvres et géographiquement isolés, titulaires de droits de propriété mal définis et possédant peu d’actifs productifs. Dans ce cas, en effet, les marchés classiques peuvent ne pas fonctionner, ce qui réduit l’éventail de solutions dont ces ménages disposent pour améliorer leurs moyens d’existence.

Agriculture contractuelle

Durant la révolution verte – qui s’est déroulée dans les années 60 et 70, entraînée par des améliorations technologiques ciblant les petites exploitations –, les pouvoirs publics sont intervenus pour réduire les coûts de transaction et coordonner les marchés (par le truchement des offices de commercialisation, par exemple), à un coût budgétaire considérable. De façon générale, les mesures de libéralisation des marchés qui ont suivi ont minimisé les défaillances de ceux-ci et la nécessité de prendre des mesures complémentaires pour améliorer la coordination des participants à ces marchés. Depuis lors, la transformation des systèmes alimentaires a déplacé l’attention sur la façon dont les mécanismes de coordination du secteur privé peuvent favoriser l’accès à des chaînes de valeur modernes et permettre l’intégration des agriculteurs dans le processus de croissance économique.

L’agriculture contractuelle fait partie de ces mécanismes. Elle offre une solution institutionnelle permettant de réduire les coûts de transaction et de remédier aux défaillances des marchés s’agissant des produits, des intrants, du crédit, de l’assurance et de l’information37. De plus en plus, les dispositifs d’agriculture contractuelle sont considérés comme un moyen de faire participer les petits exploitants aux marchés rémunérateurs des aliments à haute valeur ajoutée qui se créent sous l’influence de l’urbanisation et de la croissance des revenus. Ils peuvent aussi intégrer ces exploitants dans les marchés des produits d’exportation résultant de l’expansion des chaînes de valeur agroalimentaires mondiales.

L’agriculture contractuelle peut se définir comme un contrat à terme, conclu entre des agriculteurs et des entreprises de transformation et/ou de commercialisation, et portant sur la production et la fourniture de produits agricoles, souvent à des prix prédéterminés. Les dispositions peuvent aussi prévoir un certain degré de coordination verticale assuré par les entreprises acheteuses au moyen, par exemple, de la fourniture d’intrants et de conseils techniques. De façon générale, le contrat impose à l’agriculteur de livrer un volume donné d’un produit spécifique répondant à des normes de qualité déterminées par l’acheteur, et à l’entreprise de fournir à l’agriculteur des intrants ou un savoir-faire technique, et de lui acheter le produit en question38.

Les contrats peuvent prendre diverses formes et les conditions et obligations prévues peuvent varier. Le dispositif d’agriculture contractuelle peut relier les agriculteurs aux consommateurs par l’intermédiaire de chaînes de valeur très élaborées qui accroissent la valeur du produit alimentaire en le transportant, le calibrant, le commercialisant et le transformant, veillant ainsi à ce qu’il respecte des exigences précises de qualité et de sécurité sanitaire.

Dans de nombreux pays en développement, les entreprises ne peuvent pas se passer entièrement des petits agriculteurs, soit parce que ceux-ci occupent une place prédominante dans le secteur agricole, soit parce que les entreprises ont besoin de s’assurer une offre continue de produits pour couvrir leurs coûts fixes. Souvent, il peut être plus intéressant de s’approvisionner localement que d’importer les produits nécessaires, car cela réduit au minimum l’effet d’une dépréciation de la monnaie. À mesure que la classe moyenne se développe sous l’effet de la croissance économique, les questions de traçabilité et de sécurité sanitaire des aliments gagnent en importance. L’agriculture contractuelle apporte une dose de coordination verticale et de contrôle des méthodes culturales, de l’utilisation des intrants, des volumes fournis et des normes de qualité et de sécurité sanitaire. Par ailleurs, les dispositifs d’agriculture contractuelle sont susceptibles de relier les agriculteurs des pays en développement aux chaînes de valeur mondiales et aux marchés d’exportation, ce qui stimule la croissance (voir la deuxième partie).

Pour les agriculteurs, cette forme de coordination verticale – appuyée sur des contrats qui prévoient la fourniture d’intrants, tels que les semences et les engrais, l’assistance technique, le crédit et l’assurance, et un prix garanti à la récolte – résout un certain nombre de problèmes, comme le risque de fluctuation des prix et le manque d’accès aux marchés, au crédit et à l’information. Aujourd’hui, les nouveaux systèmes de coordination de ce type peuvent faire intervenir non seulement les entreprises agroalimentaires et les agriculteurs, mais aussi, diversement conjugués, des services de l’État, la société civile, des associations d’agriculteurs, des banques et des entreprises de technologie numérique et de téléphonie mobile (voir aussi l’analyse portant sur les applications des technologies numériques et les défaillances des marchés, dans la quatrième partie).

Données empiriques sur l’agriculture contractuelle

Les effets de l’agriculture contractuelle sur les petites exploitations des pays en développement suscitent l’intérêt et font l’objet d’analyses depuis les années 70. La plupart des études utilisent des données sur les ménages et se concentrent sur les effets moyens de la contractualisation en matière de résultats, notamment le rendement des cultures, la sécurité alimentaire, les actifs, les revenus et le niveau de pauvreté.

Pour estimer les effets de l’agriculture contractuelle sur les agriculteurs, les chercheurs ont recours à des ensembles de données sur les ménages, qui comprennent plusieurs variables, comme la taille de l’exploitation, les caractéristiques démographiques du ménage, les actifs et le revenu. Dans ces ensembles de données figurent à la fois des ménages qui prennent part à l’agriculture contractuelle et d’autres qui n’y participent pas, l’objectif étant de comparer ces deux groupes pour faire apparaître l’effet moyen de l’agriculture contractuelle sur la productivité, le revenu et le bien-être, et d’autres résultatse.

En pratique, les résultats de ces études donnent une indication sur les effets moyens de l’agriculture contractuelle. Il est difficile de démêler les résultats propres aux différentes composantes des contrats, lesquelles comprennent des prix à la production minimums prédéterminés, la fourniture d’intrants, une assistance technique, un accès au crédit et d’autres services, et peuvent aussi varier à l’intérieur d’un échantillon et entre les échantillons de ménages (voir la figure 3.8 et le tableau 3.1).

Figure 3.8
INCITATIONS À PASSER À UNE AGRICULTURE CONTRACTUELLE
TABLEAU 3.1
ÉTUDES DE DISPOSITIFS D’AGRICULTURE CONTRACTUELLE EXAMINÉES DANS LE PRÉSENT RAPPORT
Études de cas à Madagascar: différentes cultures

À Madagascar, les contrats conclus avec 1 200 ménages agricoles et portant sur différentes cultures dans six régions présentant des conditions agroécologiques différentes ont eu des effets positifs notables sur le revenu total des ménages participants39. En moyenne, les estimations ont indiqué qu’une augmentation de 10 pour cent de la probabilité de participer à un dispositif d’agriculture contractuelle entraînait une hausse de 6 pour cent du revenu total des ménages (pour plus d’informations sur l’étude réalisée à Madagascar, voir le tableau 3.1).

Une analyse ultérieure du même échantillon de ménages malgaches laisse également penser que la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle favorise la sécurité alimentaire en réduisant la durée de la saison de soudure d’un ménage, c’est-à-dire la période durant laquelle au moins un membre du ménage prend moins de trois repas par jour. La saison de soudure, qui dure entre 3,3 et 3,7 mois, coïncide avec la période précédant la récolte, lorsque les ménages, qu’ils soient ou non sous contrat, reçoivent de l’argent contre la vente de leurs produits. Le revenu supplémentaire tiré du dispositif d’agriculture contractuelle réduit la durée moyenne de cette saison de huit jours environ, et il s’est avéré que les ménages qui participaient à ces dispositifs avaient 18 pour cent de chances supplémentaires de connaître une saison de soudure courte40.

Sur l’ensemble de ces ménages, il ressort que la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle dépend de plusieurs caractéristiques. Les ménages dirigés par une femme, par exemple, ont 45 pour cent de chances en moins de décrocher un contrat avec les entreprises acheteuses, ce qui rend compte des difficultés auxquelles les femmes se heurtent pour accéder aux marchés41. L’expérience des agriculteurs est également considérée comme un facteur important de participation à un dispositif d’agriculture contractuelle, puisque chaque année supplémentaire d’expérience dans l’agriculture va de pair avec une augmentation de 1,2 pour cent de la probabilité de participer à un dispositif de ce type, ce qui indique que le respect des différentes exigences des contrats demande des compétences de gestion et des compétences techniques.

D’après les estimations, la taille de l’exploitation est corrélée positivement à cette participation. D’un côté, plus l’exploitation est grande, plus les possibilités de diversifier la production, et donc de participer à un dispositif d’agriculture contractuelle, sont nombreuses. De l’autre, comme on observe souvent que la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle est davantage le fait d’exploitations plus grandes et relativement plus prospères – plus à même de répondre aux exigences de qualité et de quantité –, cela signifie que l’agriculture contractuelle est susceptible d’accroître les inégalités dans les zones rurales. Il est probable en effet que les agriculteurs les plus pauvres ne seront pas intégrés dans les dispositifs d’agriculture contractuelle. De façon générale, un examen systématique des travaux publiés analysant les effets de ces dispositifs sur le revenu a établi que 61 pour cent des agriculteurs sous contrat possédaient une exploitation plus grande et davantage d’actifs que les exploitants hors contrat42.

Étude de cas au Sénégal: cultures commerciales

Il arrive toutefois que la taille de l’exploitation et la prospérité du ménage ne soient pas les seuls déterminants importants de la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle; la relation peut aussi dépendre du fait que la production des cultures sous contrat demande ou non des investissements spécifiques. Ainsi, on a montré, dans le cas du Sénégal, que la participation des agriculteurs aux dispositifs de culture contractuelle de l’arachide ne dépendait pas de la taille de l’exploitation. La culture de l’arachide fait partie d’un système de culture traditionnel, qui ne nécessite aucun investissement particulier, que ce soit en capital ou dans les savoirs, comme ce serait le cas pour une culture de grande valeur mal connue43. Il s’est avéré que les arrangements contractuels, fondés sur des informations fournies par la communauté locale et sur la réputation plutôt que sur les actifs des exploitations, augmentaient nettement le revenu agricole, et réduisaient donc la pauvreté et les inégalités (voir le tableau 3.1 pour plus d’informations sur les composantes du contrat étudié au Sénégal).

Études de cas au Viet Nam, en République populaire de Chine et au Nicaragua: fruits et légumes

Au Viet Nam, des ménages possédant peu d’actifs ont pu vendre des légumes dans le cadre d’un contrat avec des supermarchés, directement aux consommateurs ou sur des marchés au comptant. En dépit de la petite taille de leurs exploitations respectives, il est ressorti que ces ménages étaient en mesure de satisfaire aux exigences de qualité et de sécurité sanitaire des aliments et de produire des produits de grande valeur44.

Dans le cas des fruits et des légumes, les exigences de qualité et de sécurité sanitaire des aliments de la part des supermarchés et des exportateurs conduisent à une coordination verticale accrue et à une agriculture contractuelle. En République populaire de Chine, on a constaté que les dispositifs d’agriculture contractuelle visant à produire des pommes et des oignons verts s’étaient traduits par une augmentation du revenu moyen de 22 pour cent pour les producteurs de pommes et de 45 pour cent pour les producteurs d’oignons verts45. Il s’avère que, dans le cas de produits nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, comme les fruits et les légumes, la participation dépend de la disponibilité d’une main-d’œuvre familiale, et non de la taille de l’exploitation. L’augmentation du revenu des producteurs de pommes s’explique par de plus hauts rendements, conséquence des conseils techniques et des intrants fournis dans le cadre du contrat. Quant aux producteurs d’oignons verts, les prix plus élevés ont plus que compensé le coût unitaire des intrants (voir le tableau 3.1 pour plus d’informations sur les composantes du contrat), entraînant également une augmentation du revenu. La hausse de leur revenu a permis à ces ménages de dépenser plus pour la scolarisation de leurs enfants, les soins de santé, la consommation alimentaire et l’amélioration de leur logement.

Les contrats peuvent avoir des effets durables sur les conditions d’existence des agriculteurs. Au Nicaragua, l’accès à des chaînes de supermarchés vendant des légumes frais de grande valeur peut se traduire par une augmentation de 16 pour cent des actifs productifs des ménages, comme les tracteurs, les charrues et les pompes d’irrigation, sur une période de 2,5 ans46. Il ressort de cette étude que les ménages qui vivent à proximité d’une route et qui ont accès à de l’eau d’irrigation – des facteurs permettant une fourniture régulière de produits tout au long de l’année – sont plus susceptibles de participer à ces dispositifs contractuels. L’augmentation des actifs résulte d’un meilleur accès au crédit ainsi que des prix minimums prédéterminés qui, dans le cadre du contrat, ont réduit l’exposition des agriculteurs au risque et favorisé les investissements (voir le tableau 3.1 pour plus de détails sur le contrat étudié au Nicaragua). Étant donné que les actifs déterminent la productivité, les dispositifs contractuels garantissant des prix minimums peuvent avoir des effets à long terme sur le revenu des ménages, et donc sur la réduction de la pauvreté.

D’ailleurs, l’agriculture contractuelle est souvent considérée comme un moyen de remédier aux défaillances du marché de l’assurance. À Madagascar, les contrats prévoyant un prix fixe garanti étaient également associés à une diminution de la variabilité moyenne des revenus des ménages, le risque de fluctuation des prix étant alors transféré aux entreprises acheteuses47.

Études de cas au Viet Nam et au Sénégal: produits laitiers

Le lait, produit alimentaire de grande valeur, est de plus en plus prisé, ce qui explique les taux de croissance élevés du secteur au Viet Nam et, plus généralement, en Asie. Dans ce type de chaînes de valeur, la qualité du produit est un facteur essentiel pour déterminer la participation et les prix à la production. Lorsque les caractéristiques de qualité ne sont pas observables, comme c’est le cas pour le lait, et qu’il revient trop cher de procéder à des tests individuels, des asymétries de l’information peuvent aboutir à dégrader les résultats du fonctionnement des marchés48. Ainsi, il arrive que les entreprises acheteuses n’informent pas correctement les agriculteurs sur le niveau de qualité de leur produit pour réduire le prix qu’elles doivent leur payer. Cela peut conduire les agriculteurs à limiter leurs investissements, ce qui a des effets préjudiciables sur la productivité des exploitations (voir aussi l’encadré 3.5 pour une solution innovante à ce problème d’asymétrie de l’information).

Une étude a évalué les effets que des tests sur le lait et une vérification de la qualité de ce produit réalisés par un organisme tiers indépendant avaient sur le comportement d’un échantillon aléatoire de petits producteurs laitiers du Viet Nam sous contrat avec une usine laitière. L’ajout de cet organisme chargé de veiller au respect du contrat dans un marché en croissance rapide s’est révélé avoir des effets positifs sur l’utilisation des intrants (comme les aliments pour animaux) et sur la qualité du produit et son niveau de production (quantité de matière grasse laitière et d’extraits secs totaux). Il en est résulté un revenu plus élevé et, en moyenne, une amélioration du bien-être des ménages.

L’autre dispositif d’agriculture contractuelle portant sur la production de lait, mis en place au Sénégal, comportait des dispositions contractuelles innovantes, visant à renforcer la confiance entre l’acheteur et l’agriculteur et à constituer un capital sociétal. Pour s’assurer des approvisionnements en lait adéquats auprès d’un grand nombre d’agriculteurs semi-nomades, la laiterie avait en effet prévu, parmi les composantes du contrat, une incitation susceptible d’améliorer l’état nutritionnel des enfants et d’accroître les livraisons de lait. La disposition incitative – qui consistait à fournir quotidiennement un yaourt enrichi en micronutriments pour chaque enfant en bas âge du ménage – rétribuait les agriculteurs qui livraient régulièrement leur lait. Cette approche innovante a eu des effets notables sur la fréquence et le volume des livraisons de lait, en particulier durant la saison sèche, où il est plus difficile de satisfaire les exigences de livraison que pendant la saison des pluies. Ces effets ont été encore plus significatifs lorsque le contrat était géré par une femme. Dans le cas des ménages dirigés par une femme, en effet, la quantité totale de lait livrée a augmenté de 64 pour cent durant la saison sèche et de 33 pour cent durant la saison des pluies, ce qui confirme que l’autonomisation des femmes améliore considérablement la nutrition et le bien-être de l’ensemble du ménage49.

Étude de cas au Bénin: chaînes de valeur d’aliments de base

Contrairement à ce qui se passe pour les fruits et légumes, les contrats ont un effet limité sur les possibilités d’augmenter la valeur ajoutée des aliments de base et d’en améliorer la qualité. Ces aliments ne sont pas périssables comme les légumes et peuvent être aisément stockés et transportés. Il est toutefois essentiel pour les pays en développement d’utiliser l’agriculture contractuelle pour renforcer l’efficience des filières d’aliments de base. Premièrement, ces améliorations sont susceptibles de profiter à un grand nombre de petits exploitants, et deuxièmement, elles peuvent contribuer à faciliter l’accès à la nourriture d’une population urbaine en expansion, et donc à favoriser la sécurité alimentaire.

Alors que la plupart des analyses de dispositifs d’agriculture contractuelle se concentrent sur les produits de grande valeur, celle réalisée au Bénin portait sur des contrats de production de riz; elle a permis de constater que l’agriculture contractuelle appliquée à un aliment de base produisait des effets significatifs sur le revenu des ménages ainsi que sur les rendements et les prix à la production. Le secteur du riz au Bénin est en concurrence avec les importations, mais se caractérise par une faible valeur ajoutée et une qualité médiocre. Les études montrent qu’il est important d’être membre d’un groupe organisé d’agriculteurs pour participer au dispositif de production contractuelle de riz, les autres facteurs déterminants étant la taille du ménage et le niveau d’instruction du chef de ménage. La taille de l’exploitation et les actifs possédés n’ont semble-t-il aucune influence sur la participation50.

L’amélioration de la qualité obtenue grâce à un meilleur triage, qui augmente le niveau de pureté, s’est traduite par une augmentation des prix à la production de 11 pour cent par rapport aux prix moyens. Le dispositif d’agriculture contractuelle a également amené une amélioration des rendements, du fait d’un meilleur accès aux intrants, et un accroissement de la superficie en riz, le résultat étant une augmentation de la production de 60 pour cent en moyenne. D’après les estimations, la participation au dispositif d’agriculture contractuelle a eu pour effet d’augmenter le revenu des ménages de 17 pour cent (voir le tableau 3.1).

Cela étant, l’application de l’agriculture contractuelle aux aliments de base pourrait être limitée. Le marché du riz au Bénin est encore peu développé par rapport aux marchés d’aliments de base des pays en développement, qui se caractérisent par un grand nombre d’agriculteurs et de négociants. La production de riz nécessite des investissements spécifiques pour niveler, inonder et drainer les champs, ce qui, conjugué à un plus grand nombre de possibilités de différenciation de la qualité, peut rendre possible l’agriculture contractuelle.

Avantages de l’agriculture contractuelle

De façon générale, les éléments prouvant les effets positifs de l’agriculture contractuelle sur le bien-être sont légion, au moins dans les contextes locaux des études réalisées. Il reste que les conséquences peuvent être très hétérogènes à la fois selon les dispositifs contractuels et selon les agriculteurs participant à un dispositif en particulier. L’analyse de différents dispositifs contractuels portant sur des produits de grande valeur en Inde a révélé que, dans certains cas, la participation aboutissait à des augmentations notables du bénéfice net par hectare, tandis que, dans d’autres, elle avait un effet défavorable sur la rentabilité à l’hectare (voir le tableau 3.1 pour plus d’informations sur les différents dispositifs examinés dans l’étude de cas en Inde)51.

De fait, dans les pays en développement, les données probantes indiquent que la participation aux marchés et aux dispositifs d’agriculture contractuelle produit parfois l’inverse de l’effet recherché. Les dispositifs s’effondrent souvent et le taux de sortie est élevé. Or, pour que les marchés contribuent au développement, il est nécessaire que la participation s’inscrive dans la durée; les effets favorables de l’agriculture contractuelle sur les agriculteurs seront plus importants si la participation de ces derniers est continue, car les investissements dans les moyens de production, les technologies et les connaissances demandent du temps avant de porter leurs fruits. Il apparaît donc essentiel d’analyser soigneusement les termes et conditions des contrats en regard des effets sur le bien-être des agriculteurs pour mieux appréhender la dynamique d’une participation soutenue à ces marchés52.

Un examen approfondi des données relatives aux effets de l’agriculture contractuelle sur le revenu indique que la participation augmente le revenu agricole de 63 pour cent en moyenne. Sur les 26 dispositifs d’agriculture contractuelle analysés, deux seulement se sont révélés avoir une incidence défavorable. Cette constatation souligne les effets bénéfiques de l’agriculture contractuelle sur le bien-être, mais masque l’hétérogénéité possible de ces effets42. L’analyse des études empiriques examinées dans le présent rapport aboutit à des conclusions similaires.

Bien que toutes ces études aient fait appel à des techniques statistiques permettant d’établir correctement la relation de causalité entre l’agriculture contractuelle et le bien-être, ces effets sur le revenu pourraient être surestimés. Tout d’abord, il est probable que les effets non significatifs sur le revenu ne sont pas rapportés, car les articles scientifiques ont plus de chances d’être publiés s’ils mettent en évidence un effet significatif (c’est ce qu’on appelle le biais de publication). Ensuite, la plupart des études pourraient négliger les dispositifs d’agriculture contractuelle qui ont échoué ainsi que les agriculteurs qui sont sortis du dispositif (le biais du survivant). Ces deux sources de biais peuvent conduire à une surestimation des effets sur le revenu.

La participation aux dispositifs d’agriculture contractuelle peut aussi avoir des effets de retombée et de compensation. Ainsi, les besoins de main-d’œuvre plus élevés de l’agriculture contractuelle sont susceptibles de retentir sur l’emploi non agricole. Une étude réalisée à partir de données de Madagascar indique que l’agriculture contractuelle est associée à une baisse de 79 pour cent du revenu des ménages par habitant provenant du marché du travail et à une diminution de 47 pour cent du revenu généré par les entreprises non agricoles. Ce phénomène est la conséquence d’une spécialisation accrue dans la production, nécessaire pour répondre aux exigences du contrat. Il peut aussi indiquer que l’agriculture contractuelle est plus rentable par rapport à l’emploi non agricole. Cette relation entre les gains tirés de l’agriculture contractuelle et ceux issus du marché du travail pourrait expliquer pourquoi les agriculteurs rejoignent et quittent fréquemment les dispositifs contractuels. Par ailleurs, des effets de retombée sont également possibles, car les connaissances et les technologies auxquelles le dispositif d’agriculture contractuelle donne accès peuvent avoir une incidence sur les cultures hors contrat. Ces retombées technologiques pourraient se traduire par une hausse de 51 pour cent du revenu agricole tiré des cultures hors contrat53.

En dépit de ses faiblesses, l’analyse de la participation à des dispositifs d’agriculture contractuelle peut fournir de précieux éclairages sur la capacité des différentes formes de contrats et de fourniture de services à parer aux défaillances des marchés. Accès assuré aux marchés, fourniture d’intrants et crédit, surprix récompensant la qualité, prix à la production prédéterminés, services de vulgarisation et conseils techniques forment une structure complexe de services qui apporte des éléments de réponse aux difficultés et aux risques spécifiques auxquels les agriculteurs des pays en développement font face.

Bien que des travaux de recherche supplémentaires s’imposent, les données factuelles laissent supposer que les surprix, lorsqu’ils sont combinés à la fourniture d’intrants et au crédit, ont un effet favorable important sur le revenu dans le cas de cultures annuelles. Les prix prédéterminés protègent toutes les cultures contractuelles contre le risque de fluctuation des prix, mais l’effet des surprix peut être particulièrement important dans le contexte de marchés rémunérateurs et de chaînes de valeur mondiales de produits différenciés et certifiés. Les services de vulgarisation et la prise en charge du transport, lorsqu’ils sont prévus au contrat, ont aussi une forte incidence sur le revenu, ce qui souligne l’importance d’une amélioration des technologies et des infrastructures de transport pour l’accès aux marchés42.

Innovations dans les modèles d’agriculture contractuelle inclusive

Divers types de mécanismes de coordination peuvent remédier simultanément à différentes défaillances des marchés auxquelles les agriculteurs des pays en développement se heurtent. De nombreux modèles fonctionnels innovants sont conçus pour apporter une solution globale aux multiples dysfonctionnements des marchés au moyen d’une «offre groupée» d’intrants et de services.

Dans les programmes de développement et de réduction de la pauvreté qui ont pour objectif de promouvoir une activité indépendante, les données existantes indiquent que des interventions combinées sont parfois nécessaires pour obtenir des effets significatifs et persistants pour une grande partie des bénéficiaires. Différentes mesures concomitantes ciblant les pauvres sur une période limitée – transfert d’un actif productif accompagné d’un soutien de la consommation, formation professionnelle technique, accompagnement personnalisé, accès à l’épargne et éducation sanitaire, entre autres – peuvent se compléter pour soutenir les ménages et leur permettre d’améliorer leurs conditions d’existence54.

Une approche complète de ce type pourrait être efficace en présence de défaillances de marché multiples qui varient grandement en termes de gravité et d’un endroit à l’autre. Dans l’agriculture, intrants et services peuvent donner de meilleurs résultats lorsqu’ils sont fournis groupés plutôt qu’isolément.

Ainsi, associer la fourniture d’intrants modernes à une assurance aboutit à un gain de productivité et une hausse du revenu plus élevés que ceux que l’on obtient en facilitant l’accès à la technologie et à l’assurance séparément. L’investissement dans des semences améliorées est perçu comme risqué car, en cas de sécheresse, les agriculteurs peuvent perdre l’argent investi. Aussi est-il préférable, dans les situations incertaines, d’utiliser des intrants traditionnels de qualité inférieure, en particulier si l’on pratique une agriculture de subsistance, car le coût supplémentaire de la technologie moderne représente alors une part importante du revenu. Un dispositif d’agriculture contractuelle liant la fourniture de semences améliorées à une assurance, en revanche, pourrait accroître la demande de produits technologiques, les agriculteurs étant alors moins exposés au risque. Au Kenya, on constate que la fourniture groupée d’une assurance récoltes et de semences améliorées permet d’accroître les investissements dans l’exploitation, notamment dans des terres et dans des intrants tels que des engrais et des machines55.

Des modèles fonctionnels innovants peuvent aussi diminuer les coûts supportés par l’acheteur lorsqu’il conclut un contrat avec de petits exploitants. Un autre ensemble d’innovations accroît les avantages des deux parties en prévoyant une différenciation des produits sur la base de la qualité et d’autres caractéristiques; ces innovations peuvent modifier la somme et la nature des risques courus tout en donnant accès à des créneaux spécialisés et à des marchés plus rémunérateurs.

Pour beaucoup, les attributs de ces modèles fonctionnels ne sont pas nouveaux, surtout si on les considère séparément. Les innovations résident dans la façon dont ces attributs sont combinés pour produire un modèle palliant plusieurs défaillances de marché simultanément et permettant l’intégration des petits exploitants dans les chaînes de valeur.

Grouper fourniture d’intrants et de services et assurance pour gérer les risques de production

Plusieurs solutions sont possibles pour ajouter directement une assurance de production dans un dispositif d’agriculture contractuelle. Dans les pays en développement spécialement, où les agriculteurs n’ont guère de garanties à offrir, les contrats d’assurance distincts n’ont que peu d’effets sur l’adoption de nouvelles technologies. À l’inverse, une assurance liée à un crédit peut encourager l’évolution technologique avec une bien plus grande efficacité56. Les entreprises qui s’approvisionnent auprès d’agriculteurs dans le cadre de contrats sont mieux placées pour offrir à ceux-ci un crédit et une assurance de production groupés. En effet, la relation contractuelle établie et les services qui y sont associés leur donnent des moyens supplémentaires de faire respecter le contrat de prêt (voir l’encadré 3.3 pour un exemple d’ajout d’une assurance à une offre groupée).

Dans le cadre d’un contrat, l’assurance peut jouer un rôle essentiel de deux manières. Premièrement, elle peut réduire le risque pris par l’entreprise qui propose le contrat, et donc encourager la fourniture d’intrants de qualité aux agriculteurs, un élément clé pour augmenter la production et faire progresser le revenuf. Étant donné que l’assurance est fournie dans un ensemble comprenant également un accès garanti aux marchés, les banques peuvent être plus enclines à accorder un crédit supplémentaire, en dehors du contrat. Deuxièmement, l’ajout d’une assurance à l’offre groupée d’intrants proposée aux agriculteurs peut renforcer la participation au dispositif, surtout si celui-ci comprend l’adoption de nouvelles technologies. L’assurance de la production conduit les agriculteurs à augmenter fortement leurs investissements et à faire des choix de production plus risqués et potentiellement plus rentables58,59.

Effets sur les ventes et le revenu agricoles de contrats groupant fourniture d’intrants et de services

Les dispositifs d’agriculture contractuelle qui garantissent un prix minimum peuvent fournir aux agriculteurs une certaine assurance sur les prix, créant par là même de puissantes incitations à investir. Bien souvent, soit les marchés intérieurs traditionnels d’un produit sous contrat sont étroits (comme dans le cas de la culture pluviale de produits horticoles), soit les prix internationaux sont très instables et demeurent bas durant de longues périodes (comme sur les marchés du café et du cacao). Les dispositifs qui prévoient un prix fixe prédéterminé peuvent alors réduire la variabilité des revenus agricoles et favoriser l’investissement.

Pour l’entreprise acheteuse, le risque que les agriculteurs décident de vendre les produits sous contrat à d’autres acheteurs – une pratique connue sous l’appellation de «vente parallèle» – représente un problème important. Il peut ainsi arriver que les agriculteurs fassent une entorse au contrat et optent pour une vente parallèle de leurs produits lorsque le prix du marché dépasse suffisamment le prix contractuel, considérant que le gain de cette défection ponctuelle est supérieur aux avantages à plus long terme qu’il y aurait à respecter le contrat58.

Les contrats qui comprennent une protection contre l’instabilité des prix sont probablement ceux qui offrent les meilleures chances de durabilité et de prospérité, en particulier quand les agriculteurs sont hostiles aux risques et apprécient une moindre exposition à celui lié à la fluctuation des prix. Ainsi des agriculteurs du Nicaragua sous contrat avec Walmart se sont montrés favorables à un contrat qui prévoyait un prix moyen convenu inférieur au prix moyen du marché traditionnel60.

Il a été démontré que les prix contractuellement garantis entraînaient des investissements dans la production, mais que le fait de grouper la fourniture d’intrants et de services et l’achat à un prix prédéterminé pouvait apporter des avantages supplémentaires, notamment une plus forte participation aux marchés. Ainsi, les chercheurs travaillant avec une entreprise de transformation du riz au Bénin (voir l’encadré 3.4) ont établi qu’un contrat garantissant au producteur un prix prédéterminé avait, sur la production, des effets similaires aux contrats prévoyant en outre la fourniture de services de vulgarisation et de prêts pour les intrants. En revanche, les contrats qui ne comprenaient que des prix prédéterminés avaient moins d’effet sur la part commercialisée de la production familiale que ceux qui groupaient prix prédéterminés et fourniture d’intrants et de services.

Innovations dans la différenciation qualitative des produits

Le grand nombre de cultivateurs, d’intermédiaires et de négociants intervenant sur les marchés agricoles des pays en développement complique la diffusion d’informations relatives à la qualité des produits le long de la chaîne de valeur. Les produits potentiellement de qualité supérieure sont rares et, compte tenu du nombre de transactions et du grand nombre d’agriculteurs et de lieux compris dans le périmètre d’approvisionnement, les marchés ont du mal à transmettre les signaux de qualité et la différenciation des produits d’après la marque ou la réputation.

L’hétérogénéité qualitative peut gêner l’accès des petits exploitants aux marchés et accroître la probabilité que les ménages vivent en autarcie61. Lorsque les dispositifs d’agriculture contractuelle prévoient effectivement des primes à la qualité (des prix différenciés selon le niveau de qualité), ce classement peut entraîner des plaintes des agriculteurs, accusant l’entreprise acheteuse de dévaloriser certains produits de façon opportuniste, dans le but de manipuler et de diminuer les prix contractuels. Cette asymétrie de l’information entre acheteurs et vendeurs concernant le classement des produits par niveau de qualité peut conduire à un sous-investissement chronique des agriculteurs dans la production, lequel peut à son tour influer négativement sur la qualité des produits et la participation aux marchés58.

Les innovations en matière de différenciation qualitative des produits dans les dispositifs d’agriculture contractuelle peuvent aider la petite agriculture à sortir d’une production de produits bruts uniformes pour se tourner vers une production plus différenciée. Le café est un bon exemple de produit échangé à l’échelle internationale, cultivé par des millions d’agriculteurs en Afrique, en Amérique latine et en Asie, et qui se caractérise par des prix bas et instables. Au niveau du commerce de détail, le café est devenu un produit de plus en plus différencié, répondant à la demande d’une population croissante de consommateurs avertis.

Cette différenciation qualitative offre aux participants à la chaîne de valeur de nouvelles possibilités de tirer profit des différences de prix qui se créent. Quoi qu’il en soit, un modèle fondé sur la qualité doit permettre de générer des recettes supplémentaires et d’atténuer les risques pour les agriculteurs au moyen de contrats à long terme prévoyant des prix fixes, des garanties de volume à plusieurs niveaux de qualité et des mécanismes de paiement transparents (voir l’encadré 3.5).

Intégration des agriculteurs dans des chaînes de valeur durables

L’augmentation de la productivité des exploitations agricoles et de la commercialisation de leurs produits permet d’améliorer les revenus et les conditions d’existence des agriculteurs, mais peut aussi avoir des effets indésirables sur les dimensions sociales et environnementales du développement durable. Ainsi, les chaînes de valeur mondiales pourraient exclure les agricultrices ou ceux qui exploitent de petites superficies, engendrant une série d’inégalités et réduisant les possibilités de prendre part au processus de développement. La pression croissante des marchés en faveur des économies d’échelle pourrait marginaliser encore davantage les petits exploitants, risquant de créer des difficultés sociales.

D’aucuns s’inquiètent aussi de l’accroissement de la production végétale destinée à l’exportation qui résulte de l’ouverture des marchés et de la mondialisation, car il constitue le principal déterminant de la déforestation (voir la deuxième partie). On estime qu’en Amérique latine, l’agriculture commerciale a été à l’origine de près de 70 pour cent de la déforestation sur la période 2000-201063. Outre qu’elle accroît les émissions de carbone contribuant au changement climatique, compte tenu des quantités importantes de carbone stockées par les arbres, la destruction des forêts réduit aussi la biodiversité en supprimant l’habitat naturel d’animaux et de plantes.

De façon générale, les économistes se félicitent de l’économie de marché, car elle incite les individus à fournir des produits et des services, générant de la prospérité et stimulant la croissance économique. Ils reconnaissent toutefois qu’il arrive que les marchés soient impuissants à faire coïncider les intérêts individuels avec ceux de la société dans son ensemble. Les marchés peuvent alors produire des résultats préjudiciables pour l’environnement ou ne pas tenir compte d’objectifs sociaux tels que la réduction des inégalités.

Ces incidences environnementales et sociales sont «externes» par rapport aux marchés et ne sont donc pas prises en compte dans les prix des produits agricoles. Pour mettre les marchés en phase avec l’intérêt collectif et le bien-être social, il est nécessaire d’adjoindre des cadres institutionnels à l’économie de marché. Les pouvoirs publics font couramment appel à la réglementation directe, ainsi qu’à des taxes et subventions, pour faire en sorte que les marchés tiennent compte de coûts qui, sans cela, ne seraient pas intégrés.

Ainsi, certains États taxent les pesticides pour «internaliser» leur coût environnemental pour la société et pour réduire leur utilisation ou subventionner les pratiques agricoles intelligentes face au climat. Dans le monde entier, des systèmes de protection sociale sont mis en place pour remédier aux inégalités. Par ailleurs, des dispositifs institutionnels tels que les systèmes de certification de la durabilité peuvent mettre à profit les mécanismes de marché pour produire des biens collectifs et des résultats durables.

Normes et systèmes de certification de la durabilité

Si les pouvoirs publics ont la possibilité de réglementer les marchés et d’intervenir au moyen de taxes et de subventions, d’autres acteurs peuvent aussi remédier aux défaillances des marchés et fournir des avantages environnementaux et sociaux. Ainsi, le secteur privé, les organisations non gouvernementales et les initiatives multipartites peuvent investir dans des normes et des systèmes de certification de la durabilité applicables dans les chaînes de valeur mondialesg.

Les normes de durabilité gagnent du terrain sur les marchés mondiaux, surtout concernant les produits de grande valeur, depuis longtemps servis par des chaînes de valeur mondiales. Elles sont souvent considérées comme un moyen de renforcer le lien entre les petits exploitants des pays en développement et les consommateurs aisés des pays industrialisés (voir la deuxième partie pour une analyse de la demande croissante de produits certifiés durables)64. Les prix plus élevés et plus stables des produits certifiés et l’accès plus aisé au marché qu’offrent ces normes de durabilité incitent les agriculteurs à les adopter, à respecter les règles de production qui leur sont propres et à se soumettre à des inspections régulières par des organismes de certification indépendants, tels que FLOCERT, pour la certification Fairtrade, ou la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, pour la certification d’agriculture biologique. Souvent, les prix plus élevés compensent les coûts supplémentaires de production et de gestion de l’exploitation qui s’imposent si l’on veut respecter les normes.

Les systèmes de certification de la durabilité poursuivent des objectifs variés. Ainsi, les normes relatives à l’agriculture biologique incitent à cultiver sans engrais ni pesticides de synthèse, tandis que celles encadrant le commerce équitable visent à améliorer l’accès aux marchés des petits exploitants des pays en développement et à relever les prix qui leur sont payés. D’autres systèmes préconisent une série de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement pour encourager une gestion agroécologique, comme l’agroforesterie, l’utilisation d’engrais et de pesticides organiques, et un traitement et une élimination plus sûrs des déchets et effluents.

Certains systèmes de certification intègrent des règles sociales visant à améliorer les conditions de travail et de vie des agriculteurs et des travailleurs des pays en développement65. Ces règles ont trait à la santé et à la sécurité des travailleurs, à leurs droits sociaux tels qu’une rémunération égale ou supérieure au salaire minimum, aux droits des enfants à l’éducation, et aux politiques relatives au travail des enfants. D’autres programmes de certification imposent la mise en place d’organisations agissantes de producteurs ou de travailleurs, pour tenter de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs (voir la figure 3.9 pour plus d’informations sur les exigences de certains systèmes de certification de la durabilité).

Figure 3.9
QUELQUES SYSTÈMES DE CERTIFICATION VOLONTAIRE DE LA DURABILITÉ: NORMES ET RÉSULTATS POTENTIELs

La conformité avec les systèmes de certification de la durabilité implique souvent des arbitrages importants. Ainsi, les dispositions relatives à l’agriculture biologique ou autres dispositions relatives à l’environnement alourdissent généralement les coûts de production, et les agriculteurs ne sont pas toujours en situation de répercuter cette charge sur le consommateur. La certification de durabilité peut aussi entraîner une exclusion des agriculteurs les plus défavorisés si ceux-ci ne sont pas en mesure de satisfaire les exigences définies dans les normes.

Résultats environnementaux des systèmes de certification de la durabilité

En général, on estime que les systèmes de certification de la durabilité améliorent les pratiques en matière d’environnement. Ainsi, au Brésil, en Colombie, au Costa Rica, au Guatemala et au Mexique, on a constaté que les normes définies par une multinationale amélioraient le bilan écologique des petits producteurs de café certifiés, par rapport à ceux qui ne l’étaient pas66. On a montré que cette relation constructive entre certification et avantages environnementaux était plus forte lorsque les agriculteurs étaient organisés en coopératives que lorsqu’ils vendaient directement leur récolte à des intermédiaires privés tels que des négociants ou des torréfacteurs.

La structure institutionnelle de la chaîne de valeur joue un rôle essentiel dans la façon dont la certification de durabilité influe sur les résultats économiques, environnementaux et sociaux, car les signaux transmis aux agriculteurs sur les normes appliquées peuvent varier selon les intermédiaires67. Souvent, les groupements d’agriculteurs ou les coopératives apparaissent mieux placés pour fournir un appui technique et des conseils de gestion aux agriculteurs certifiés.

Au Costa Rica, les normes biologiques ont contribué à réduire l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’herbicides et à accroître l’utilisation d’engrais organiques chez les producteurs de café certifiés. Cela étant, l’analyse laisse penser que, si les normes peuvent avoir des avantages environnementaux notables, elles ont aussi toutes les chances d’engendrer des coûts élevés pour les agriculteurs, qui doivent être compensés par un surprix plus important68.

Dans le bassin du fleuve Tapi, en Thaïlande, d’où provient 60 pour cent de l’huile de palme produite dans le pays, on a montré que les producteurs d’huile de palme brute certifiés par la Table ronde pour une huile de palme durable avaient l’impact environnemental le plus faible, en particulier sur le plan du réchauffement planétaire et de la formation d’ozone photochimiqueh. Cela tient à une utilisation efficiente des engrais, une bonne qualité des noix de palme pour la transformation en huile et une bonne gestion des déchets69. En revanche, il ne semble pas que les normes définies par la Table ronde pour une huile de palme durable en Indonésie aient été efficaces en matière de biodiversité et de protection de l’habitat de l’orang-outan. La raison en est le manque d’information sur la répartition des populations d’orang-outan dans la forêt, ainsi que la rémunération inadéquate des cultivateurs de palmiers pour les coûts liés au respect des normes70.

Au Nicaragua, les plantations de café qui respectent différentes normes de durabilité (dont les normes d’agriculture biologique et celles des systèmes Coffee and Farmer Equity [C.A.F.E.] Practices, Fairtrade, Rainforest Alliance et UTZ) ont démontré qu’elles enregistraient de meilleures performances environnementalesi. Cela comprenait un stockage de carbone plus important, grâce aux arbres utilisés pour cultiver le café d’ombre; de meilleures pratiques de conservation des sols et de recyclage de la pulpe de café; et l’utilisation d’engrais organiques71.

Le café d’ombre peut concourir à de nombreux services écosystémiques: il permet de s’adapter aux effets du changement climatique, d’utiliser les oiseaux pour lutter contre les ravageurs et de produire des aliments et d’autres produits présentant une valeur économique à partir des arbres d’ombrage. En Éthiopie, les programmes de certification de Rainforest Alliance applicables au café d’ombre ont atténué efficacement la dégradation des forêts72. Des incitations bien pensées – le café est payé aux agriculteurs à un prix supérieur de 15 à 20 pour cent à celui du marché – conjuguées à des critères de certification et de suivi répondant à une norme élevée, ont accru la densité des zones forestières de production certifiée par rapport à celle des zones dont la production n’est pas certifiée.

Résultats économiques des systèmes de certification de la durabilité

Améliorer le bien-être et les revenus des petits agriculteurs est l’un des principaux objectifs de nombre de systèmes de certification de la durabilité, mais peu de ces systèmes échappent au risque d’exclure les petits exploitants les plus défavorisés.

Ainsi, en Thaïlande, le revenu des maraîchers qui respectent les normes internationales de durabilité définies par le système de certification GlobalGAP s’avère supérieur de 90 pour cent en moyenne à celui des agriculteurs non certifiés au cours de la première année de certificationj. On notera cependant que cette estimation ne tient pas compte des coûts de mise en conformité. La certification GlobalGAP repose sur des exigences rigoureuses en matière de sécurité sanitaire des aliments et de traçabilité, de protection de l’environnement, de bien-être animal, et de santé et de sécurité des travailleurs. Elle requiert également un système de gestion de la qualité qui reprend en détail les processus, les procédures et les responsabilités nécessaires sur l’exploitation pour satisfaire les exigences du système de certification. Élaborer un système de gestion de cette nature demande des compétences particulières et, pour cela, les agriculteurs s’organisent en groupements ou en coopératives soutenus par des donateurs, ou s’appuient sur les entreprises exportatrices. Les donateurs et les exportateurs ont également couvert en partie les coûts fixes initiaux élevés qu’engendre l’adoption des normes GlobalGAP73.

Le soutien fourni aux agriculteurs pour qu’ils adoptent et continuent de respecter ces normes rigoureuses est essentiel. Dans le cas des maraîchers thaïlandais, l’analyse laisse entendre que, pour les agriculteurs travaillant sous la direction d’une coopérative, les coûts de mise en conformité avec les normes GlobalGAP sont tels que seuls les exploitants les plus importants peuvent conserver la certification, surtout une fois que le soutien des donateurs a cessé. Il a été démontré que le fait de recevoir l’appui d’un exportateur aidait à absorber les coûts initiaux de l’adoption des normes et augmentait de 85 pour cent la probabilité d’être de nouveau certifié. La mise en place de groupes d’agriculteurs et de partenariats à long terme entre acteurs des chaînes de valeur et avec des organismes de développement et des organisations non gouvernementales est un facteur crucial d’intégration des petits agriculteurs dans les marchés de produits certifiés de grande valeur.

En Ouganda, les travaux de recherche indiquent que les avantages économiques d’une certification de durabilité du café ne parviennent que partiellement à compenser les coûts de mise en conformité74. En créant des organisations de producteurs ruraux, les agriculteurs peuvent tirer profit de l’assistance technique fournie par les organisations non gouvernementales pour obtenir une certification de groupe et accroître le volume des livraisons de café certifié.

En Côte d’Ivoire, les coopératives de producteurs de cacao jouent un rôle fondamental en aidant leurs membres à respecter les normes Fairtrade. Fairtrade s’emploie à améliorer les conditions d’existence des petits exploitants et encourage l’action collective des agriculteurs. La certification est octroyée aux coopératives et offre des prix minimums garantis pour les produits certifiés, ainsi qu’une prime Fairtrade visant à fournir aux coopératives des conseils techniques et des intrants75. Les données factuelles indiquent que la certification Fairtrade accroît le rendement des agriculteurs certifiés de 13 pour cent en moyenne, par rapport aux exploitants non certifiés, et le prix reçu de 4 pour cent. Toujours en moyenne, les dépenses de consommation par habitant des agriculteurs certifiés sont plus élevées de 20 pour cent que celles des autres exploitants76.

On a constaté également que les caractéristiques des coopératives influaient sur la probabilité de certification ainsi que sur la productivité et le revenu des agriculteurs. Dans le cas du cacao en Côte d’Ivoire, les coopératives de producteurs mieux dotées en actifs et fournissant de meilleurs services avaient certes davantage de chances d’être certifiées, mais la certification Fairtrade augmentait de façon importante le revenu des cultivateurs membres des coopératives moins bien loties. Cela laisse penser que la prime Fairtrade, qui vise à soutenir les coopératives, accroît leur capacité à délivrer des conseils techniques et des intrants.

À mesure que la croissance économique, l’urbanisation et la progression du niveau de vie font évoluer les préférences des consommateurs dans les pays en développement, les systèmes de certification intérieurs sont de plus en plus prisés car ils informent le consommateur sur la qualité et la sécurité sanitaire des aliments. Au Viet Nam, la pénétration rapide des marchés intérieurs par les supermarchés a favorisé le recours à des certifications de ce type, telles que VietGAP, qui permettent aux petits exploitants d’accéder aux marchés de produits différenciés et de produits de grande valeur. Souvent, les normes nationales sont moins strictes que les normes internationales – VietGAP, par exemple, recommande de recourir à des pratiques de gestion intégrée des organismes nuisibles, alors que, pour la certification GlobalGAP, ces pratiques sont essentielles.

Dans la province de Thái Nguyên, au nord-est du Viet Nam, on a montré que les cultivateurs de thé vert qui respectaient les normes VietGAP, qu’ils travaillent isolément ou dans le cadre d’une coopérative, participaient davantage aux chaînes de valeur intérieures lucratives et obtenaient des prix supérieurs de 11 à 20 pour cent à ceux payés pour le thé non certifié. En revanche, s’agissant des exploitations certifiées employant une main-d’œuvre plus nombreuse pour appliquer les normes, leurs dépenses de personnel étaient deux fois plus importantes que celles des exploitations non certifiées. Malgré ces coûts de production plus élevés, les estimations indiquaient que le revenu net des exploitations certifiées était plus élevé de 30 pour cent que celui des plantations non certifiées77.

De façon générale, il s’avère que l’intégration des petits exploitants dans les chaînes de valeur de produits certifiés durables génère des avantages économiques. Pourtant, des examens récents synthétisant les données disponibles laissent entrevoir des résultats inégaux quant aux effets de la certification de durabilité sur le produit des ventes, le revenu des exploitations et les salaires agricoles65,78. Ces divergences entre études peuvent être attribuées à des facteurs propres au contexte, qui souvent sont négligés ou ne sont pas saisis dans leur intégralité, mais aussi à la diversité des préconisations et des prestations de services qui composent les différents systèmes de certification.

En Ouganda, par exemple, on a constaté que la participation des ménages agricoles à différentes combinaisons de systèmes certifiant la durabilité de leur production de café (une double certification Fairtrade–agriculture biologique et une triple certification UTZ–Rainforest Alliance–4Ck) influait diversement sur la pauvreté, la production et la productivité de la main-d’œuvre, et donc sur le revenu79. D’un côté, malgré le prix supérieur de 11 pour cent offert par les systèmes de certification Fairtrade et agriculture biologique, on a observé une baisse de la productivité et du revenu, due à des rendements inférieurs. De l’autre, le programme de triple certification a eu des effets favorables notables, dont un accroissement de 45 pour cent environ du rendement, qui se sont traduits par une hausse du produit des ventes de café, une hausse du revenu total des ménages et du revenu des ménages par habitant, et un recul de la pauvreté.

D’autres études indiquent qu’à court terme la participation des petits exploitants à des systèmes de certification de la durabilité pourrait améliorer leur bien-être, mais qu’à plus long terme les données sont plus nuancées et que, pour certains ménages, rejoindre le marché du travail est un moyen de sortir de la pauvreté80. S’il est vrai que les systèmes de certification de la durabilité ne sont pas la seule voie vers une croissance durable, ils sont généralement considérés comme une méthode structurée permettant d’apporter des améliorations et de les documenter, à l’aide de règles, d’indicateurs et de mécanismes clairement définis.

Résultats sociaux des systèmes de certification de la durabilité: éducation et parité hommes-femmes

De nombreux systèmes de certification de la durabilité comprennent des obligations spécifiques reprenant des principes sociaux. Fairtrade, par exemple, impose aux organisations d’agriculteurs certifiées de lutter contre la discrimination, de veiller à la santé et à la sécurité au travail des personnes employées et d’interdire le travail des enfants. Des systèmes de cette nature peuvent encourager les investissements dans l’éducation des enfants. Ainsi, des données portant sur de petits producteurs de café en Ouganda indiquent que les dépenses que les ménages certifiés par Fairtrade consacrent à l’éducation de leurs enfants sont supérieures de 146 pour cent à celles des autres ménages, et que la scolarité de leurs enfants est plus longue que celle des enfants de ménages non certifiés. Dans de nombreux systèmes de certification, le revenu provenant des cultures commerciales est souvent réservé aux investissements plus importants, comme l’éducation, et contribue donc directement à l’éducation des enfants81.

L’investissement dans l’éducation des enfants augmente généralement avec le revenu, mais les décisions des ménages dans ce domaine peuvent être complexes et déterminées par une série de facteurs. De nombreuses études brossent un tableau nuancé, mais, globalement, on constate une relation directe entre la participation à des chaînes de valeur de produits certifiés et la scolarisation65. Dans les États d’Oaxaca et du Chiapas, dans le sud rural du Mexique, par exemple, on a établi que, dans les ménages appartenant à une coopérative certifiée Fairtrade-agriculture biologique, la scolarisation des filles augmentait davantage que celle des garçons. Les estimations indiquaient que, pour la tranche d’âge des 16-25 ans, la scolarisation des filles augmentait de 0,7 année; l’incidence sur les garçons était plus faible, en raison probablement de meilleures possibilités d’emploi rural pour ceux-ci82.

Les effets des systèmes de certification peuvent aussi varier selon les membres d’un ménage, en fonction du rôle que chacune de ces personnes joue dans la production végétale, du contrôle qu’elle exerce sur le revenu du ménage et de son pouvoir de décision. Souvent, les cultures certifiées sont des cultures commerciales traditionnelles, sur lesquelles les hommes exercent un plus grand contrôle. Si la certification améliore leur rentabilité, cela peut renforcer ou exacerber les rôles de genre et les inégalités65. De façon générale, la commercialisation est susceptible d’influer sur les rôles de genre au sein de ménages ruraux, réduisant encore la part du revenu sur laquelle les femmes ont la haute main.

Certains systèmes de certification, comme Fairtrade et UTZ, appliquent des politiques spécifiques de parité hommes-femmes et de lutte contre la discrimination qui peuvent aider à défendre le statut des femmes et à réduire les disparités qui existent entre les sexes dans l’accès à l’information, aux intrants et aux services. Certaines normes, par exemple, exigent des organisations d’agriculteurs qu’elles encouragent la participation des femmes aux formations agricoles régulières et qu’elles donnent la preuve de leur action en ce sens; qu’elles organisent des ateliers de sensibilisation aux questions de parité hommes-femmes; ou qu’elles offrent des services ciblant spécifiquement des groupes désavantagés, tels que les femmes65.

Une analyse portant sur des ménages qui produisent un café certifié en Ouganda porte à croire que les normes visant à promouvoir l’égalité des sexes ont été fructueuses et ont permis d’intégrer des femmes dans la chaîne de valeur du café certifié. Les résultats indiquent que, dans un ménage cultivant le café certifié, la probabilité que l’homme ait la haute main sur les revenus provenant de la vente de ce produit est considérablement réduite, par rapport à un ménage ne participant pas au système de certification. Cette situation peut être due aux activités de prise en considération systématique de la parité hommes-femmes du système de certification, mais peut aussi s’expliquer par l’augmentation de la part des femmes du ménage dans les travaux agricoles. À mesure que les normes de qualité accroissent la demande de main-d’œuvre et que la part assumée par les femmes augmente, le pouvoir de négociation de celles-ci progresse, ainsi que leur influence sur les décisions prises83.

Là encore, ces incidences sur la parité hommes-femmes dépendent du contexte. Ainsi, l’augmentation des besoins de main-d’œuvre consécutive à la participation à un système de certification peut aussi alourdir la charge de travail des femmes et remettre en cause d’autres possibilités d’emploil.

La certification de durabilité peut offrir d’autres avantages sociaux non tangibles. Les normes Fairtrade sur les travailleurs rémunérés comprennent des dispositions imposant de répartir la prime, de faciliter la liberté d’expression, de veiller à la sûreté des méthodes de travail et de prévoir des mécanismes de négociation collective sur des conditions de travail sûres, décentes et équitables. Une étude a permis de mener une enquête sur la certification Fairtrade et sur le bien-être des travailleurs salariés de bananeraies en République dominicaine, où la production de ce fruit fournit des emplois directs à 32 000 travailleurs, d’après les estimations. La banane est l’un des produits tropicaux les plus échangés dans le monde, mais on estime que la part de production certifiée Fairtrade ou couverte par une autre norme de durabilité est comprise entre 5 et 8 pour cent seulement. Globalement, l’étude a mis en évidence des effets positifs sur la main-d’œuvre, en particulier: les travailleurs reçoivent des avantages en nature, ils ont le sentiment que leur emploi est stable, peuvent davantage s’exprimer et peuvent épargner84.

La QUATRIÈME PARTIE examine comment les technologies numériques peuvent rendre les marchés agricoles et alimentaires plus efficients et plus inclusifs. L’analyse étudie la fracture numérique dans le secteur agricole, entre et dans les pays, puis se resserre sur la façon dont les technologies numériques peuvent remédier aux défaillances des marchés. Une palette d’applications sont ainsi examinées, des messages texte relayant des informations sur les prix aux plateformes complexes de commerce électronique intégrant les agriculteurs dans les marchés, et à l’utilisation de la technologie de la chaîne de blocs dans les chaînes de valeur. L’analyse fait la synthèse des atouts des technologies numériques, susceptibles de contribuer à toutes les dimensions du développement durable, non sans examiner les risques qui leur sont associés et qui rendent nécessaire l’élaboration de cadres d’action et de cadres réglementaires.

Messages clés

1 Les technologies numériques agissent en profondeur sur les économies et les sociétés et transforment les marchés agricoles et alimentaires. Les progrès en matière de connectivité sont spectaculaires, mais il reste une fracture numérique entre les pays et au sein des populations. Les femmes vivant en zone rurale dans les pays en développement sont particulièrement désavantagées.

2 Les technologies numériques peuvent être exploitées pour remédier à de multiples défaillances des marchés et faciliter l’intégration des petits agriculteurs dans les marchés et les chaînes de valeur. Elles peuvent aussi promouvoir les échanges internationaux et améliorer efficacement les mécanismes institutionnels fondés sur les marchés pour contribuer à la réalisation d’objectifs durables.

3 Les applications numériques sont porteuses de gains considérables, du point de vue de l’efficience, de la traçabilité et de la transparence, sur les marchés et dans les chaînes de valeur. Cela étant, leurs effets transformateurs à long terme, et les risques qui y sont associés, ne sont encore pas totalement compris.

Principales mesures

Des partenariats public-privé efficaces, des règlements bien pensés, pour attirer massivement le secteur privé, et une cohérence des politiques sont nécessaires si l’on veut améliorer les infrastructures et les compétences numériques dans les zones rurales et faciliter l’adoption des technologies numériques, en particulier sur les marchés agricoles et alimentaires des pays en développement.

Il est crucial de poursuivre les travaux de recherche et l’analyse des effets potentiels des technologies numériques sur les marchés agricoles et alimentaires, sur leur structure et sur leur fonctionnement, afin de mieux anticiper les effets qui sont source de rupture et de favoriser des résultats durables.

Pour comprendre les défis qui naissent des technologies numériques et gérer les risques associés à l’utilisation de celles-ci, il faut renforcer la collaboration et le consensus entre les parties prenantes, notamment les pouvoirs publics, le secteur privé et les agriculteurs eux-mêmes, de façon à améliorer les mécanismes de gouvernance.

Les technologies numériques sont en train de transformer nos économies et nos sociétés à un rythme soutenu. Leur adoption pousse les coûts d’information et de transaction à la baisse, améliore l’efficience, crée de nouveaux emplois, génère de nouveaux flux de revenus et économise des ressources. En même temps, elles peuvent être source de perturbations, modifiant ou déplaçant des activités et des produits. Les technologies numériques peuvent aider l’agriculture à relever les défis mondiaux auxquels le secteur fait face, à savoir augmenter la production d’aliments sains et nutritifs pour satisfaire les besoins d’une population en expansion et assurer la sécurité alimentaire; générer des emplois, améliorer les revenus, réduire la pauvreté et favoriser la croissance économique rurale; et gérer les ressources naturelles de façon durable.

Certaines technologies numériques accélèrent l’évolution des chaînes de valeur agricoles et alimentaires. D’autres ont des effets considérables sur la contribution de la main-d’œuvre, du capital et d’autres intrants à la production, à la transformation et à la commercialisation des aliments. L’adoption de technologies numériques peut donc entraîner des changements dans les prix relatifs, perturbant les marchés.

Les capteurs, les satellites d’observation, les robots et les drones sont autant d’exemples de technologies numériques susceptibles de révolutionner l’exploitation agricole et les chaînes de valeur. Les capteurs et les satellites fournissent des informations sur l’état du sol, les conditions météorologiques et les températures, ou la croissance des cultures. Ils permettent aux agriculteurs d’obtenir de plus hauts rendements en optimisant la gestion de leurs terres, réduisent l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’eau, et contribuent en outre à de meilleurs résultats et à des résultats plus durables. L’internet des objets (IDO), qui connecte les robots, les drones et les véhicules à internet, peut améliorer le rapport coût-efficacité de tâches nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, comme le suivi sanitaire des plantes ou le semis des cultures.

Ces technologies génèrent également de grandes quantités de données qui peuvent être combinées à d’autres informations, stockées et analysées pour étayer la prise de décision. Ces données massives contiennent des actifs informationnels très variés qu’il est possible de traiter au moyen de nouvelles méthodes d’analyse, telle que l’intelligence artificielle, pour évaluer des résultats potentiels à partir d’une série d’actions et de conditions, et aider ainsi à orienter les interventions futures (voir l’encadré 4.1 pour une définition des technologies et des innovations numériques).

Les technologies de registres distribués, comme la chaîne de blocs, peuvent offrir de nombreux avantages en aval en procurant un moyen sûr et décentralisé de mener à bien des transactions le long d’une chaîne de valeur, même en l’absence d’une relation de confiance avec la partie concernée. Combinées à des capteurs, qui fournissent des informations sur le respect des délais de livraison à chaque stade de la chaîne de valeur ainsi que sur la qualité du produit, les technologies de registres distribués peuvent perturber les activités de coordination verticale, auxquelles participent un grand nombre d’acteurs, de la fourche à la fourchette.

Ces changements s’opèrent dans le contexte d’une évolution plus large des systèmes alimentaires mondiaux, dont les technologies numériques concourent à régler le rythme. Les préférences des consommateurs changent, sous l’influence de la croissance économique, de l’urbanisation et des modes de vie modernes, ce qui retentit sur les marchés. Petit à petit, les consommateurs deviennent plus exigeants, qu’il s’agisse de la valeur des aliments, de leurs caractéristiques nutritionnelles ou de la garantie de qualité.

Pourtant, une fracture numérique sépare les pays, résultat des différences d’accès à l’information et aux technologies. Cette fracture numérique existe aussi à l’intérieur des pays, entre zones rurales et zones urbaines, entre hommes et femmes, et entre secteurs. Enfin, cette fracture numérique n’est nulle part plus patente que dans l’agriculture. Les exploitations à orientation commerciale et les entreprises des pays développés et des économies émergentes font déjà un usage intensif des technologies, tandis que les petits exploitants de nombreux pays en développement continuent de batailler pour accéder à l’information, aux marchés et aux intrants.

Fracture numérique

L’innovation technologique est un moteur fondamental de la croissance économique. Il est courant que des améliorations suivent l’introduction d’une innovation et que celle-ci se retrouve utilisée différemment de ce qui avait été initialement envisagé. Il peut s’écouler du temps avant qu’une innovation investisse les marchés à grande échelle. Ce délai est souvent dû au coût d’adoption de la technologie, mais l’acceptation et la familiarité jouent également un rôle, en particulier dans le cas des innovations les plus complexes.

Les téléphones fixes ont été remplacés par des téléphones portables comme moyen de communication, et les abonnements au haut débit mobile ont aussi largement supplanté les abonnements au haut débit fixe (figure 4.1). La vitesse d’adoption de la téléphonie mobile a tenu en partie au fait que les coûts d’infrastructure occasionnés par cette technologie étaient plus faibles. Les communications se sont considérablement améliorées et, en moyenne, la majeure partie de la population mondiale vit désormais dans la zone de portée d’un signal mobile, que ces personnes soient ou non abonnées ou utilisatrices.

Figure 4.1
ABONNEMENTS MONDIAUX À LA TÉLÉPHONIE FIXE ET MOBILE, ET AU HAUT DÉBIT FIXE ET MOBILE, 2005-2019 (POUR 100 HABITANTS)

Cela étant, on observe de grands écarts selon les pays dans la couverture des réseaux et dans le fait de posséder un téléphone mobile, et ces écarts reflètent principalement les différences de revenu moyen par habitant (figure 4.2). Les écarts entre pays sont moins importants lorsqu’on prend comme point de comparaison la couverture réseau que lorsqu’on opte pour le nombre d’abonnements, lequel fournit une meilleure indication de l’accès à la téléphonie mobile. Ainsi, la Thaïlande compte près de 180 abonnements pour 100 habitants – de nombreuses personnes possèdent plus d’un appareil ou d’une carte d’identification d’abonné (SIM, Subscriber Identity Module), tandis que d’autres ne possèdent aucun appareil. À l’inverse, les dernières données en date pour le Niger font état de 40 abonnements à la téléphonie mobile pour 100 habitants6.

Figure 4.2
ACCÈS À LA TÉLÉPHONIE MOBILE DANS CERTAINS PAYS, 2018

En 2019, on estimait qu’à l’échelle mondiale, 54 pour cent environ des personnes utilisaient internet4. L’accès à internet s’est rapidement démocratisé, mais des écarts subsistent entre les pays, qui se creusent progressivement à mesure que le revenu moyen par habitant baisse. Non seulement cet accès est plus rare dans les pays les moins avancés, mais le taux d’adoption aussi est plus faible (figure 4.3).

Figure 4.3
PERSONNES UTILISANT INTERNET, EN POURCENTAGE DE LA POPULATION

L’accès à internet est faible dans les pays les moins avancés, puisque 19 pour cent environ de la population utilisait internet en 2019. Cette même année, en Afrique, 18 pour cent seulement des ménages pouvaient accéder à internet de chez eux, et 34 habitants sur 100 uniquement disposaient d’un abonnement actif au haut débit mobile3.

D’importants écarts de connectivité subsistent entre les zones urbaines et rurales, ce qui constitue un problème pour les agriculteurs qui voudraient adopter de nouvelles technologies, innover et participer aux marchés. En moyenne, 10 pour cent seulement des ménages de l’Afrique rurale ont accès à internet, mais ces taux peuvent être bien plus bas dans certains pays de la région5. Les inégalités entre hommes et femmes n’épargnent pas le monde numérique, et les femmes rurales constituent le groupe dont l’accès à internet est le plus faible. À l’échelle mondiale, 48 pour cent des femmes ont accès à internet, contre 58 pour cent des hommes3.

Les zones rurales des pays développés sont mieux connectées à internet. Le Danemark présente le taux de connectivité le plus élevé: 97 pour cent des hommes et des femmes vivant en milieu rural utilisent internet et l’on n’observe pratiquement aucune différence entre les zones rurales et urbaines. Dans les pays en développement, le fossé entre les zones urbaines et rurales est important. D’après les informations disponibles, dans l’État plurinational de Bolivie, 15 pour cent des femmes rurales utilisent internet, contre près de 53 pour cent des femmes urbaines. Au Niger, ce sont seulement 0,6 pour cent des femmes rurales qui utilisent internet (figure 4.4)6.

Figure 4.4
PERSONNES UTILISANT INTERNET DANS CERTAINS PAYS, PAR SEXE ET PAR LIEU DE RÉSIDENCE, 2018 (EN POURCENTAGE)

Les smartphones – des téléphones portables équipés d’un écran tactile et permettant d’accomplir un certain nombre de tâches complexes, semblables à celles effectuées avec un ordinateur – ont constitué une percée technologique essentielle. Ils permettent en effet aux ménages de se connecter à internet sans ordinateur. De fait, depuis 2014, le nombre de ménages ayant accès à internet est supérieur à celui des ménages équipés d’un ordinateur3. Abaisser le coût des smartphones peut contribuer à réduire significativement la fracture numérique.

Le Danemark et la République de Corée affichent des taux d’abonnement supérieurs à un smartphone par habitant. Cela étant, le nombre d’abonnements au haut débit mobile portant sur des services vocaux et de données – qui offre une indication du nombre d’abonnés possédant un smartphone – demeure faible dans de nombreux pays (figure 4.5).

Figure 4.5
NOMBRE D’ABONNEMENTS AU HAUT DÉBIT MOBILE PORTANT SUR DES SERVICES VOCAUX ET DE DONNÉES, RAPPORTÉ À LA POPULATION, POUR CERTAINS PAYS, 2018

L’accès à internet est indispensable pour garantir une égalité d’accès à l’information et aux services. Il est donc urgent de réduire la fracture numérique entre pays, entre zones urbaines et rurales, et entre hommes et femmes. L’inclusion des plus âgés et des groupes vulnérables est tout aussi nécessaire, car ils doivent faire face à des contraintes supplémentaires.

Les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer dans la mise en place d’environnements propices à l’innovation et à la poursuite de l’évolution technologique7. Les axes de développement établis de longue date demeurent essentiels si l’on veut que les ménages ruraux puissent profiter de la révolution numérique. L’accès à l’éducation et l’amélioration des infrastructures matérielles seront indispensables pour permettre aux petits agriculteurs de prendre part à l’économie moderne. Un environnement propice à la numérisation de l’agriculture nécessite i) d’étendre et d’améliorer les infrastructures – à la fois celles des TIC et d’autres; ii) de renforcer les capacités des individus à utiliser efficacement internet afin de leur permettre de tirer profit de la numérisation; et iii) de concevoir un cadre réglementaire qui, à la fois, soit favorable à l’innovation et tienne compte des spécificités et des risques qu’entraîne la numérisation.

Les villages Taobao en Chine (voir l’encadré 4.3) concrétisent un modèle innovant de développement économique au moyen du commerce électronique. Avant de mettre en place les plateformes commerciales électroniques intégrant les agriculteurs, il a d’abord fallu réunir des niveaux d’instruction plus élevés, des moyens logistiques et des infrastructures de communication. Ce modèle fonctionnel original des villages a mis en lumière comment relever les défis d’ordre réglementaire.

Des partenariats innovants seront nécessaires pour renforcer l’inclusion numérique. La réussite de la numérisation des chaînes de valeur agroalimentaires – une réussite susceptible de générer des avantages dans les domaines sociaux, économiques et environnementaux – nécessitera des partenariats public-privé et une coopération multipartite.

Numérisation de l’agriculture

La progression des technologies numériques dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture a suivi des voies différentes dans les pays développés et dans les pays en développement. Internet a permis la création d’une pléthore de technologies. Certaines d’entre elles montrent déjà leur potentiel et leurs effets, comme dans le cas des plateformes de commerce électronique. D’autres, telles que la technologie des registres distribués, n’ont pas encore été adoptées à grande échelle. Si l’on veut qu’elles contribuent favorablement au développement durable du secteur et qu’elles servent tous les objectifs économiques, sociaux et environnementaux, il est indispensable de mieux comprendre ce qu’elles peuvent offrir et quelles sont leurs limites.

L’agriculture est le secteur dans lequel la fracture numérique apparaît le plus clairement. Que ce soit dans les pays développés ou dans les économies émergentes, l’utilisation des technologies en agriculture a bien progressé. Le rythme rapide de l’innovation, qui permet aux technologies numériques de collecter, de stocker et d’analyser des données, est en train de révolutionner les systèmes de production et les chaînes de valeur. L’agriculture de précision, par exemple, s’affirme comme une solution axée sur l’innovation dans nombre de régions et de pays, tels que l’Europe centrale et septentrionale, l’Amérique du Nord, l’Argentine et l’Australie, où les grandes exploitations permettent des économies d’échelle et une rentabilité plus élevée des investissements dans les technologies8.

Les méthodes de l’agriculture de précision font appel à des systèmes de localisation par satellite, à la télédétection et à l’IDO pour gérer les cultures et optimiser l’utilisation de la main-d’œuvre, des engrais, des pesticides et de l’eau. Ces méthodes génèrent des gains d’efficience, mais peuvent aussi accroître la sécurité sanitaire des aliments et réduire l’impact environnemental des pratiques agricoles. Les opérations d’agriculture de précision produisent également des données qui peuvent enrichir le stock de données massives et alimenter l’analytique, soutenant ainsi la prise de décision. Les effets des avancées technologiques de ce type sur les marchés de l’emploi agricole, des capitaux et des intrants alimentaires et agricoles peuvent être considérables.

Pourtant, dans certains pays en développement, le taux d’adoption des technologies numériques est faible. Les applications se limitent souvent à l’envoi de minimessages sur un téléphone portable ou à de simples vidéos numériques de conseil visionnées hors connexion, qui fournissent des informations aux agriculteurs dans les zones rurales. Un certain nombre d’initiatives s’emploient toutefois à résoudre des problèmes particuliers auxquels se heurtent les petits agriculteurs, et ont produit de multiples avantages (voir l’encadré 4.2).

En moyenne, la productivité agricole est plus élevée quand les pays adoptent de bonnes pratiques réglementaires9. Une réglementation efficace peut en effet améliorer l’accès aux technologies numériques, renforcer la coordination entre les acteurs de la chaîne de valeur alimentaire et encourager la productivité et la croissance des revenus. La fracture numérique entre pays développés et pays en développement dans le secteur agricole devient plus patente lorsqu’on s’intéresse à l’environnement dans lequel opèrent les exploitations.

Un nouvel ensemble de données produit par le projet «Améliorer le climat des affaires dans l’agriculture» (EBA, Enabling the Business of Agriculture) de la Banque mondiale permet une analyse comparative des réglementations qui favorisent un environnement propice à la fourniture et à l’utilisation des services des technologies numériques, en ciblant en particulier les zones rurales. Les données EBA englobent des informations sur le cadre gouvernant la délivrance de licences aux opérateurs de téléphonie mobile, la gestion du spectre des fréquences et le partage des infrastructures10.

La note mesurant l’amélioration du climat des affaires dans l’agriculture, dans le domaine des TIC, (EBA TIC) révèle l’étendue de la fracture numérique dans le secteur agricole entre les pays développés et les pays en développement (figure 4.6). L’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud et de l’Est rencontrent de grandes difficultés pour promouvoir les technologies numériques dans le secteur agricole. Aucun des pays de ces régions n’a édicté de règlements stimulant la concurrence entre les opérateurs de téléphonie mobile qui cherchent à entrer sur les marchés des télécommunications. À l’inverse, les pays à revenu élevé membres de l’OCDE se sont dotés de puissants cadres réglementaires incitant le secteur privé à renforcer la connectivité en dehors des centres urbains.

Figure 4.6
NOTE EBA TIC

Pour faire en sorte que les taux d’adoption des technologies numériques en zones rurales augmentent dans les pays en développement, il faut investir dans les facteurs liés à l’offre et ceux liés à la demande. Du côté de l’offre, les facteurs cruciaux sont la couverture réseau en zone rurale et la disponibilité des applications numériques. Du côté de la demande, ce sont les compétences et la culture numériques qu’il faut renforcer, en particulier chez les petits exploitants. Avancer sur ces points requiert une batterie d’interventions des pouvoirs publics et, plus important encore, un environnement réglementaire propre à attirer les investissements du secteur privé11. Une réglementation efficace, favorisant également la concurrence, sera essentielle pour étendre l’accès au haut débit et abaisser le coût d’utilisation entre pays et à l’intérieur des pays. La participation des États aux investissements, par le truchement de partenariats public-privé, permet de faire en sorte que les déficits d’infrastructures et les lacunes d’accès soient comblés aussi en zones rurales. Les partenariats public-privé seront essentiels pour fournir des incitations à l’investissement privé dans les pays en développement pauvres5.

Technologies numériques et défaillances des marchés

Les coûts élevés d’information et de transaction expliquent pourquoi les marchés agricoles de nombreux pays en développement demeurent étroits ou sont manquants. Améliorer les infrastructures aide les marchés à se développer. Des dispositifs institutionnels, tels que l’agriculture contractuelle, visent à réduire les coûts liés à la recherche d’un négociant avec qui discuter un marché, négocier, conclure un accord et le suivre (voir la troisième partie pour une analyse de l’agriculture contractuelle). Les chaînes de valeur alimentaires modernes entraînent des coûts supplémentaires, souvent liés aux informations relatives aux préférences des consommateurs, en particulier en matière de qualité et de sécurité sanitaire des aliments. Les technologies numériques peuvent aider à réduire ces coûts et à favoriser l’accès aux marchés, en remédiant à un grand nombre des problèmes que les petits exploitants rencontrent lorsqu’ils veulent prendre part à l’économie formelle et aux chaînes de valeur7. Ainsi, les coûts de recherche sont nettement moins élevés dans un environnement numérique qu’ils ne le sont dans le monde physique, analogique, ce qui augmente à la fois la qualité des recherches et le périmètre exploré.

Des coûts de recherche moindres peuvent améliorer considérablement la mise en relation des acheteurs et des vendeurs, comme dans le contexte d’une plateforme de commerce électronique, et réduire les coûts de négociation tout en renforçant potentiellement le pouvoir de négociation de l’agriculteur12. Le fait d’élargir le cadre de mise en relation au moyen de technologies numériques permet aux acheteurs et aux vendeurs de parvenir à un accord qui correspond plus étroitement à leurs préférences respectives. La facilitation des échanges peut agir sur les prix et sur la dispersion des prix. Ainsi, une baisse des coûts supportés par les agriculteurs pour trouver les négociants qui leur offrent le meilleur prix pourrait réduire la dispersion des prix entre exploitants et entre marchés. Tous ces avantages contribuent à améliorer le bien-être.

Les technologies numériques facilitent également les vérifications nécessaires pour connaître la réputation des acheteurs comme des vendeurs et s’assurer qu’ils sont dignes de confiance. Les technologies de registres distribués, par exemple, peuvent faciliter l’accès aux antécédents des entreprises sous différents angles: niveaux de prix, méthodes de production, qualité des produits et autres attributs. Il est ainsi plus aisé d’établir des contrats et de mettre en place des marchés de produits différenciés et certifiés, susceptibles de procurer des surprix et de générer des résultats sur les plans environnemental et social (voir la troisième partie pour une analyse des systèmes de certification de la durabilité).

En outre, cette baisse du coût des échanges peut influer sur l’organisation des entreprises, et faciliter l’intégration verticale et les chaînes de valeur mondiales (voir la deuxième partie pour une analyse des chaînes de valeur mondiales). Les données disponibles sur le secteur manufacturier indiquent qu’un coût d’information bas permet aux responsables de mieux appréhender une situation qui se déroule à distance, tout en facilitant la résolution des problèmes par les employés qui travaillent en première ligne13.

Alors que le coût de transport dans le monde numérique est pratiquement nul – l’information peut être aisément reproduite et diffusée –, le poids de la distance physique dans la détermination du coût des échanges demeure important. Les technologies numériques permettent aux producteurs et aux consommateurs, où qu’ils soient dans le monde, d’accéder à des informations plus fournies sur les produits, mais l’incidence de cette possibilité sur les échanges est difficile à évaluer. Peu de données l’attestent, mais quelques études semblent indiquer que, si les flux commerciaux diminuent avec la distance, d’après les informations disponibles à la fois en ligne et hors ligne, l’éloignement pourrait avoir moins d’importance en ligne14.

Ainsi, ePhyto est une solution logicielle qui normalise les informations phytosanitaires et les stocke à distance (au moyen d’un système infonuagique). Développée par la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV), cette plateforme offre une passerelle pour les certificats phytosanitaires électroniques émis par les pays exportateurs et requis par les pays importateurs. Les certificats peuvent être établis et échangés sous forme numérique; ePhyto facilite donc les échanges en réduisant le coût du tri, de la distribution, de la recherche et de l’archivage de ces documents. Stocker des certificats phytosanitaires sur une plateforme électronique abaisse également le risque de certificat frauduleux, améliore les communications et limite les possibilités de malentendus et de différends. La plateforme permet donc d’accroître l’efficience et de réduire les retards. En outre, cette innovation présente un caractère inclusif particulier pour les pays en développement à faible revenu, car ils peuvent adhérer au système électronique sans avoir à supporter la totalité des coûts de création et de mise à jour du logiciela.

En un mot, les technologies numériques offrent la possibilité de résoudre une série d’asymétries de l’information sur les marchés, d’améliorer l’accès des agriculteurs à ces marchés et de réorganiser la gestion des chaînes de valeur5. Elles représentent également un outil essentiel pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et atteindre les objectifs de développement durable qui y sont associés, car elles peuvent servir à promouvoir un système alimentaire plus productif, résilient, durable et transparent7.

Amélioration de l’accès à l’information

L’information sur les prix est particulièrement importante pour les agriculteurs. Les prix signalent les occasions favorables aux producteurs, aux consommateurs et aux négociants – par exemple, une demande très forte qui ouvre la possibilité de vendre à un meilleur prix. Les prix reflètent l’évolution des préférences des consommateurs et transmettent des informations qui aident les agriculteurs à décider ce qu’ils doivent produire et en quelle quantité.

Actuellement, les téléphones portables représentent la forme de technologie numérique la plus répandue, et les applications fournissant des informations sur les prix, la technologie numérique la plus fréquemment utilisée dans l’agriculture. Néanmoins, les données probantes relatives à l’influence de l’information sur les prix ne vont pas toutes dans le même sens.

Un certain nombre d’études font état d’estimations différentes des effets de la diffusion d’informations relatives aux prix sur les prix de vente et les bénéfices des petits exploitants. Ainsi, sur les hauts plateaux du centre du Pérou, les informations sur les prix diffusées par SMS ont entraîné une hausse des prix de vente des agriculteurs comprise entre 13 et 14 pour cent, en particulier pour les cultures périssables, pour lesquelles des informations sur les marchés sont précieuses15. Au Cambodge, où les marchés locaux du riz peuvent être qualifiés d’oligopsoniques et où les agriculteurs vendent à un prix inférieur au prix de gros moyen, l’amélioration de l’information grâce aux données diffusées sur les téléphones portables a entraîné une augmentation du prix du riz à la production comprise entre 4 et 5 pour cent environ16. À l’inverse, dans l’état indien du Bengale-Occidental, alors que l’environnement de marché se caractérise par des coûts de transaction élevés et des marges importantes pour les intermédiaires, il s’est avéré que le pouvoir de négociation des cultivateurs de pommes de terre ne bénéficiait aucunement des informations sur les prix fournies par différents canaux, y compris sur les téléphones portables17.

De façon générale, la plupart des études s’accordent sur le fait que l’utilisation de téléphones portables réduit l’instabilité des prix et améliore l’intégration des marchés18. Dans le Niger rural, ces appareils ont contribué à réduire la dispersion des prix du niébé, une denrée périssable, mais pas du mil ni du sorgho, deux produits stockables. Bien qu’aucune augmentation des prix payés aux agriculteurs n’ait été constatée, les informations diffusées ont entraîné une plus forte réduction de l’instabilité des prix sur les marchés éloignés et durant les périodes de marché étroit19.

D’autres études laissent entrevoir des effets d’une autre nature. En Colombie, on a observé que les informations sur les prix orientaient différemment les décisions selon la taille de l’exploitation. Les petits exploitants réagissaient en plantant les cultures pour lesquelles ils recevaient des informations par SMS, tandis que les plus gros se servaient de ces mêmes informations pour rechercher de nouveaux marchés. Par contre, les informations sur les prix n’entraînaient aucune hausse des prix à la production, quelle que soit la taille de l’exploitation20.

Au Niger non plus, l’utilisation du téléphone portable n’a pas eu d’effet sur les quantités produites, pas plus que sur la participation aux marchés ou sur les prix payés aux producteurs. On a constaté néanmoins que les ménages équipés de téléphones portables produisaient un panier de cultures plus varié, comprenant en particulier des cultures commerciales marginales produites par les femmes26.

Les informations sur les prix diffusées par l’intermédiaire des téléphones portables sont utiles pour améliorer le bien-être dès lors que les autres défaillances de marchés ne sont pas rédhibitoires. C’est le cas, par exemple, lorsque l’infrastructure de transport est suffisante pour permettre les arbitrages, que les marchés de produits sont concurrentiels et que les marchés connexes, comme ceux des intrants et du crédit, fonctionnent aussi correctement.

Les initiatives qui donnent de bons résultats ne se contentent pas de diffuser des informations sur les prix par téléphone portable, mais combinent diverses technologies et outils numériques pour informer les agriculteurs sur d’autres caractéristiques des marchés ainsi que sur le crédit, les pratiques agricoles et les conditions météorologiques (encadré 4.2).

Amélioration de l’accès aux marchés au moyen de plateformes de commerce électronique

Dans le secteur agricole, l’utilisation de plateformes de commerce électronique est encore embryonnaire comparée au commerce en ligne de biens de consommation. Le recours généralisé à ce type de plateformes pourrait perturber les chaînes de valeur agricoles classiques, réduisant nettement le nombre d’intermédiaires nécessaire à chaque stade de la chaîne ou modifiant la façon dont ces intermédiaires travaillent. Diverses plateformes de commerce électronique sont apparues pour relier directement les agriculteurs aux ménages ou aux restaurants ou pour permettre à de nouveaux intermédiaires du commerce de gros d’opérer différemment, regroupant la production d’un grand nombre de petits agriculteurs pour la revendre de façon plus efficiente27.

Dans les pays développés et les économies émergentes, les styles de vie modernes déterminent les préférences alimentaires: les citadins disposent de peu de temps et demandent des repas plus commodes à préparer. La sensibilisation croissante des consommateurs aux questions de santé et de durabilité suscite une demande d’information accrue sur l’origine des aliments et sur les méthodes de production utilisées (voir la première partie). Ces déterminants ont déclenché une prolifération de plateformes de commerce alimentaire en ligne occupant différents créneaux, des produits frais aux repas prêts à consommer7,b.

Dans les pays en développement, les plateformes de commerce électronique peuvent réduire les coûts de recherche et favoriser une mise en relation efficiente des agriculteurs et des consommateurs, ce qui facilite l’accès des premiers aux marchés et améliore leur revenu et leur bien-être. Le fait de raccourcir la chaîne de valeur peut aussi réduire globalement les coûts de transaction et améliorer la transparence des prix, remédiant ainsi à un certain nombre de défaillances des marchés. La croissance exponentielle des villages Taobao en République populaire de Chine illustre le potentiel du commerce électronique en matière de création d’emplois, de génération de revenu et d’amélioration de la participation aux marchés. La participation accrue des petits exploitants à l’économie numérique par le truchement du commerce électronique offre à des groupes marginalisés des possibilités de profiter de la croissance économique et constitue à ce titre un point essentiel pour le développement durable. Les quelque 3 000 villages Taobao génèrent un chiffre d’affaires en ligne annuel de plus de 1 million d’USD et soutiennent un secteur des services en croissance (voir l’encadré 4.3)32.

Certaines plateformes de commerce électronique proposent des plateformes logistiques physiques et des services d’entreposage situés près des consommateurs, réduisant ainsi les coûts de transport et les délais de livraison, deux défis critiques pour les petits exploitantsc. Le modèle économique de ces plateformes exige généralement des capitaux importants et présente un plus haut niveau de risque financier, car elles doivent s’assurer que les agriculteurs honoreront leurs obligations et que la capacité de stockage sera utilisée de façon efficiente. C’est pourquoi, dans de nombreux pays en développement, les plateformes de commerce électronique n’assument pas la responsabilité du stockage ni du contrôle de qualité7.

Au niveau du commerce de détail, conscientes qu’un nombre croissant de consommateurs veulent pouvoir faire leurs courses d’alimentation en ligne, les grandes chaînes de supermarchés offrent désormais un site d’achat en ligne et des services de livraison (voir la première partie pour une analyse du commerce alimentaire de détail en ligne). Durant la pandémie de covid-19, les restrictions de circulation destinées à contenir la propagation du virus ont entraîné une augmentation spectaculaire de la demande d’achat en ligne de produits alimentaires et de services de livraison à domicile dans certains pays. À titre d’exemple, une analyse préliminaire prévoit que le marché de l’épicerie en ligne croîtra de 33 pour cent en 2020 au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord28. En République populaire de Chine, les estimations indiquent que la part du marché en ligne est passée de 11 pour cent à 38 pour cent du total des achats alimentaires au détail en février 202029. À mesure que le commerce électronique prend de l’importance dans le monde, il est possible que des effets préjudiciables se fassent jour, sur le plan environnemental, par exemple, du fait de la pratique du suremballage.

Amélioration de l’accès aux services financiers

L’épargne et le crédit facilitent les investissements sur l’exploitation et aident les ménages agricoles à accumuler des actifs qui améliorent la productivité, renforçant la sécurité alimentaire et la résilience. Une faible densité de population, de piètres infrastructures et un déficit d’information sur les garanties augmentent le coût des services financiers et se soldent par des marchés manquants pour le crédit et l’assurance. Ouvrir une agence dans une région isolée et peu peuplée entraîne pour la banque des coûts fixes très élevés par rapport au volume d’affaires que cette agence traitera. Les technologies numériques abaissent les coûts et permettent aux établissements financiers de s’implanter sur les marchés ruraux sans avoir à y établir une présence physique coûteuse, entraînant de ce fait l’inclusion de groupes de population qui jusque-là n’avaient aucun accès à une banque.

Les transferts et les paiements, le crédit et l’épargne sont des exemples de services financiers offerts au moyen des technologies numériques. Les services utilisant les téléphones portables, comme le système M-Pesa, initialement lancé au Kenya, facilite les transferts d’argent au sein du monde en développement. Depuis son lancement en 2007, M-Pesa a élargi son offre à d’autres services, comme l’épargne. M-Pesa permet aux utilisateurs enregistrés d’envoyer, de recevoir et de déposer de l’argent moyennant une petite commission. Au fil du temps, M-Pesa a étendu ses services aux petites entreprises, qui peuvent recevoir des paiements de leurs clients, mais aussi payer leurs salariés directement sur leur compte M-Pesad.

Cela étant, aucun consensus clair ne se dégage concernant les effets de l’utilisation de services bancaires mobiles par les ménages. Certaines études constatent que le système M-Pesa est utilisé principalement pour les transferts d’argent, en particulier les envois de fonds des villes vers les zones rurales, plutôt que pour l’épargne35. D’autres données montrent que les personnes qui n’utilisent pas ce système, ou qui l’utilisent mais pas pour épargner, sont plus couramment des pauvres, des personnes sans instruction et des femmes36.

Une étude fondée sur des données collectées auprès de 379 ménages de trois provinces du Kenya a établi que les transferts d’argent via le système M-Pesa augmentaient la participation aux marchés de 37 pour cent, aboutissant à une hausse des revenus des ménages37. Il semble également que les transferts par téléphone portable puissent accroître la résilience dans les moments difficiles, en réduisant les coûts de transaction. Ainsi, on a estimé que le système M-Pesa avait aidé 2 pour cent de Kényans à se sortir de la pauvreté, car les ménages qui l’utilisaient étaient mieux armés pour atténuer les chocs dommageables. Ce type d’effets s’est avéré plus marqué lorsque le chef de ménage était une femme38.

Les plateformes numériques qui facilitent les relations entre acteurs d’une chaîne de valeur peuvent renforcer l’accès aux services financiers (voir l’encadré 4.4). Au Ghana, l’application mobile AgroTech Smartex – conçue et mise en œuvre par la Fondation Grameen – vise à renforcer les liens entre agriculteurs, agents de vulgarisation, fournisseurs d’intrants et négociants. Elle facilite également l’accès au crédit en raison d’une tenue de comptes et d’un suivi de meilleure qualité. L’application collecte des données, notamment le profil de l’agriculteur et des informations sur l’exploitation, comme les cultures produites, les rendements, les intrants et l’historique des sommes empruntées et remboursées. Ces données peuvent être utilisées pour attirer des prêteurs institutionnels (banques et établissements de microfinance, par exemple) et des négociants, ou pour convaincre les fournisseurs d’accepter une vente d’intrants à crédit39.

Amélioration de l’accès à l’assurance

Il est probable que le changement climatique va accroître la fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes, et l’incertitude autour de la variabilité du climat freine l’investissement dans les technologies productives, faisant parfois de la pauvreté un piège41. L’assurance agricole peut encourager les investissements sur l’exploitation, dans les technologies et les intrants, mais elle peut aussi renforcer la résilience en facilitant l’adoption d’approches de production durables.

Les programmes d’assurance innovants, comme ceux qui proposent une assurance indicielle fondée sur les conditions météorologiques, diffèrent des programmes d’assurance dommages classiques. Cette dernière en effet coûte cher lorsqu’il faut administrer les contrats et déterminer les pertes de récolte ou de bétail pour un grand nombre d’agriculteurs dispersés. La couverture offerte par l’assurance indicielle, à l’inverse, est fondée sur un indice qui reflète des conditions météorologiques corrélées à ces pertes; il peut s’agir de la vitesse du vent, de la température ou de la pluviométrie au cours d’une période donnée. Dans un programme reposant sur un indice météorologique, les agriculteurs sont payés, par exemple, chaque fois que la pluviométrie ou la température est supérieure ou inférieure à un seuil spécifique, susceptible de provoquer une chute notable des rendements.

Les innovations numériques dans l’observation de la Terre et dans l’estimation des précipitations et la télédétection par satellite, combinées à des données in situ, permettent d’étayer les programmes d’assurance indicielle à moindre coût. Les assureurs n’ont pas besoin de procéder à des évaluations sur le terrain, comme dans le cas d’une assurance récoltes multirisque, ce qui fait baisser le montant des primes. Les programmes d’assurance indicielle permettent d’assurer des millions de petits exploitants qui jusque-là, pour un grand nombre d’entre eux, étaient considérés comme non assurables.

La compagnie ACRE en Afrique subsaharienne représente le plus vaste programme d’assurance indicielle fondée sur des conditions météorologiques du monde en développement pour lequel les agriculteurs paient une prime. C’est aussi le premier programme d’assurance agricole du monde à utiliser la téléphonie mobile pour toucher les petits exploitants (voir l’encadré 4.5)42.

Application de la technologie des registres distribués aux chaînes de valeur agroalimentaires

La technologie des registres distribués est une innovation de rupture qui peut avoir des effets dans de nombreux secteurs. Elle est actuellement au centre des débats sur les applications numériques, y compris celles afférentes à l’alimentation et à l’agriculture. En substance, il s’agit d’un système d’enregistrement décentralisé reposant sur le consensus, et son utilisation dans les chaînes de valeur agroalimentaires peut avoir un impact considérable. Ces dernières comprennent en effet un grand nombre de stades de production à l’intérieur des pays et d’un pays à l’autre, et font intervenir de nombreux acteurs, dont des agriculteurs, des négociants, des transformateurs, des banques, des détaillants et des consommateurs.

Actuellement, la chaîne de blocs – la technologie de registres distribués la mieux connue – n’est que marginalement utilisée dans les chaînes de valeur agroalimentaires, mais de nombreuses initiatives pilotes sont en cours pour évaluer les possibilités qu’elle offre (pour des exemples, voir les encadrés 4.7 à 4.12). Les effets de cette technologie sur les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture seront plus évidents dans les années à venir, lorsque son utilisation aura atteint une taille critique. L’encadré 4.6 explique les origines de la chaîne de blocs, ses finalités et la façon dont elle fonctionne.

Dans les chaînes de valeur agroalimentaires, cette technologie peut présenter un intérêt particulier pour lancer des «contrats intelligents» qui auront été conçus de façon à s’exécuter automatiquement une fois un certain nombre de conditions préalables remplies. Dans un contrat intelligent, les clauses qui régissent l’échange de biens ou de services sont inscrites dans le code et les actions (un paiement, par exemple) se déclenchent automatiquement une fois les conditions remplies (les produits ont bien été livrés, par exemple). Ce type de contrats permet de réduire considérablement les coûts de transaction et d’augmenter l’efficience et la transparence des opérations.

Ainsi, l’exportation de produits agricoles, disons des céréales, fait intervenir un réseau complexe d’intermédiaires: des agriculteurs, des grossistes et des acheteurs, mais aussi un grand nombre de prestataires offrant des services logistiques tels que transport, stockage, contrôle de qualité, transport maritime, services portuaires et douaniers et gestion du crédit commercial, ainsi que des services liés au contrat et à l’authentification. À chaque stade de la chaîne de valeur, le produit doit être stocké, manipulé et transporté conformément à des normes spécifiques définissant le taux d’humidité, la température et le seuil d’impureté.

Cette chaîne de valeur mondiale génère des coûts de transaction et une somme de tâches administratives considérables, qui peuvent être fortement réduits en faisant appel à la chaîne de blocs et à des contrats intelligents (voir la figure 4.7). À chaque stade de la chaîne de valeur, dès que la transaction correspondante est exécutée, l’information est envoyée aux teneurs du registre. Ce transfert d’information est effectué par le fournisseur, l’acheteur ou d’autres prestataires de services ou par des appareils IDO, comme des capteurs qui suivent les marchandises et indiquent leur position, leur température et d’autres paramètres de qualité. À chaque stade de la chaîne de valeur, les teneurs du registre vérifient les informations transmises. Une fois la transaction correspondant à chaque stade terminée et le consensus réuni, un bloc est ajouté à la chaîne et le fournisseur et les prestataires de services sont payés au moyen des contrats intelligents.

Figure 4.7
ILLUSTRATION D’UNE CHAÎNE DE BLOCS UTILISÉE DANS UNE CHAÎNE DE VALEUR AGROALIMENTAIRE

La technologie de la chaîne de blocs pourrait changer radicalement les pratiques commerciales et réduire, modifier ou éliminer totalement la nécessité d’un certain nombre de services intermédiaires dans une chaîne de valeur. Elle ouvre des possibilités à la fois aux pays en développement et aux pays développés. Dans les pays en développement, elle permet de pallier les défaillances des marchés et d’armer les petits agriculteurs (voir les encadrés 4.8, 4.9 et 4.10, par exemple). Dans les économies développées, les utilisateurs recherchent plutôt une efficience et une transparence accrues dans le fonctionnement des chaînes de valeur (voir les encadrés 4.7, 4.11 et 4.12).

Le caractère public et décentralisé de la technologie fait que chaque participant voit en temps réel les données saisies par les autres, ce qui améliore la fluidité de l’information, l’efficience et la coordination. L’encadré 4.7 présente un exemple de chaîne de blocs qui vise précisément à améliorer la coordination, l’efficience et la transparence dans le secteur du négoce de produits agricoles.

Accès aux marchés, inclusion financière et résultats sociaux rendus possibles par la chaîne de blocs

La technologie de la chaîne de blocs peut être mise en œuvre pour remédier à de multiples défaillances des marchés. Souvent, les petits agriculteurs n’exercent pas leur activité dans l’économie formelle, ce qui signifie que les transactions se règlent en liquide et ne donnent lieu à aucun enregistrement susceptible d’être conservé. La technologie de la chaîne de blocs peut aider à garder une trace de ces informations financières, permettant aux agriculteurs de se créer un historique et d’acquérir une identité numérique. Cet enregistrement peut les aider à asseoir leur réputation commerciale, améliorant ainsi leur accès aux marchés et renforçant leurs possibilités d’obtenir un crédit auprès des établissements financiers de l’économie formelle (voir l’encadré 4.8)7.

Il y a très peu d’exemples d’applications de chaîne de blocs visant à améliorer l’inclusion financière dans les pays en développement. Le PAM a mené une expérimentation de cette technologie en vue d’évaluer les possibilités qu’elle offre en matière de transferts de type monétaire au titre de l’aide humanitaire. Le projet pilote intitulé «Building Blocks» a été lancé en 2017. D’abord conçu pour venir en aide à 10 000 Syriens réfugiés en Jordanie, il a ensuite été élargi, en 2018, à 100 000 Syriens dans deux camps de réfugiése. Le PAM a viré les fonds nécessaires à un prestataire de services financiers, mais la valeur du transfert en espèces attribué à chaque bénéficiaire a été inscrite dans un compte de chaîne de blocs propre au bénéficiaire, qui a pu l’utiliser pour des achats d’épicerie dans des magasins partenaires. L’identité du bénéficiaire était vérifiée par reconnaissance biométrique de l’iris47.

Le projet a réduit le montant des commissions versées aux prestataires tiers de services financiers, cette baisse pouvant aller jusqu’à 98 pour cent. Outre ces économies sur les commissions, la chaîne de blocs a contribué à renforcer la sécurité et le respect de la vie privée des réfugiés. Elle a également permis de réaliser des gains d’efficience puisqu’elle a supprimé la vérification croisée des données enregistrées chez les prestataires de services financiers, chez les fournisseurs et en interne47.

Les solutions reposant sur la chaîne de blocs pourraient réduire le nombre d’intermédiaires le long de la chaîne de valeur, ce qui permettrait une relation plus directe entre les agriculteurs et les marchés et un raccourcissement de la filière. Dans une chaîne de blocs, des contrats intelligents peuvent aussi aider à gagner la confiance des participants et à favoriser la transparence. Ainsi, de nombreuses cultures nécessitent de faire appel à des travailleurs saisonniers, et les marchés informels du travail saisonnier sont courants dans l’agriculture. Des contrats de travail intelligents, à la fois immuables et publics, pourraient réduire les coûts et accroître la transparence, surtout lorsque les saisonniers viennent de l’étranger. Dans ces applications de la chaîne de blocs, les informations pourraient être mises à la disposition de l’employeur et du salarié ainsi que des autorités telles que les services de l’immigration et les programmes de protection et d’assurance sociale7. D’après les informations communiquées, certaines entreprises étudient l’utilisation de contrats de travail intelligents pour éradiquer les pratiques inéquitables lors du recrutement des travailleurs dans leurs chaînes de valeur45.

Les contrats intelligents pourraient aussi réduire considérablement le coût des assurances agricoles (voir l’encadré 4.9). Dans le cas des risques liés au changement climatique, par exemple, les assurances fondées sur un indice des conditions météorologiques pourraient combiner des informations provenant de plusieurs sources (stations météorologiques, satellites et capteurs) et la technologie de la chaîne de blocs pour, à la fois, déterminer si les agriculteurs doivent être indemnisés et déclencher le paiement.

Chaîne de blocs, traçabilité, transparence et résultats durables

La chaîne de blocs peut faciliter la traçabilité des aliments le long de la filière, en permettant l’enregistrement de l’origine, puis du parcours d’un produit, aux différents stades de sa production, de sa transformation et de sa distribution. Améliorer la capacité de suivre ainsi les produits peut être précieux à plus d’un titre. D’abord, la technologie de la chaîne de blocs permet aux acteurs de savoir en temps réel à quelle étape de son parcours le produit se trouve, ce qui aide à repérer les retards, les irrégularités et les goulets d’étranglement, et donc à améliorer la coordination. Ensuite, la prise d’actions correctives s’en trouve considérablement facilitée s’il arrive que des produits alimentaires insalubres atteignent le marché. Enfin, on peut ainsi répondre à la demande croissante des consommateurs d’être mieux informés sur le lieu et les méthodes de production des aliments. La possibilité de partager et de garantir ces informations devient un critère essentiel pour gagner la confiance des consommateurs.

Il peut arriver que les produits alimentaires soient accidentellement contaminés le long de la chaîne de valeur. Le cas s’est produit par exemple en 2006 aux États-Unis d’Amérique, et il a fallu près de deux semaines aux responsables des services de santé pour déterminer la source d’un foyer de contamination dû à la présence de E. coli dans des épinards. Dans un autre cas, en 2017, quelque trois semaines ont été nécessaires pour isoler la source d’un foyer de salmonellose lié à des papayes50.

Ces délais sont dus à la complexité de la chaîne de valeur et à la nécessité pour de nombreuses parties prenantes de vérifier de multiples enregistrements et de remonter chaque étape de la chaîne. Dans les deux cas, les foyers étaient liés à un seul fournisseur, mais le temps qu’il a fallu pour établir l’identité de ce fournisseur et son lieu d’activité a entraîné une perte de confiance dans les produits concernés et a conduit des consommateurs à renoncer totalement à consommer les produits en question par peur qu’ils ne soient contaminés. De nombreux agriculteurs ont vu leur revenu baisser alors que leurs produits étaient parfaitement sains. La sécurité sanitaire des aliments et une meilleure traçabilité sont les principales raisons qui incitent certains supermarchés à mener des projets pilotes de chaîne de blocs sur les chaînes de valeur de produits (voir l’encadré 4.10).

Cette technologie offre également la possibilité de maîtriser les tentatives de falsification des produits alimentaires. Les produits de grande valeur sont plus particulièrement exposés aux irrégularités, comme l’ajout d’un produit moins cher ou le remplacement d’un ingrédient par un substitut meilleur marché. La plus grande transparence offerte par la technologie de la chaîne de blocs rendrait plus difficiles, par exemple, les tentatives d’augmenter frauduleusement le poids du produit ou de remplacer certains de ses ingrédients sous le couvert de l’anonymat (voir l’encadré 4.11 pour un exemple d’utilisation de la chaîne de blocs pour des épices). L’immutabilité de la chaîne de blocs pourrait aussi décourager d’autres irrégularités intentionnelles.

Améliorer la traçabilité à l’aide de la technologie de la chaîne de blocs faciliterait la vérification de l’authenticité des produits certifiés durables (voir aussi la deuxième partie pour une analyse des systèmes de certification de la durabilité dans les chaînes de valeur et la troisième partie pour une analyse de la participation des agriculteurs à ces systèmes). Les normes de durabilité et l’étiquetage correspondant fournissent aux consommateurs des informations sur les aspects environnementaux et sociaux de la production et peuvent aboutir à une meilleure gestion des ressources naturelles et à l’intégration des petits agriculteurs dans les marchés mondiaux. Une meilleure traçabilité permet de renforcer la confiance et d’amener les consommateurs à modifier leurs modes de consommation, ce qui influe sur les incitations et les allocations passant par les marchés et peut favoriser des résultats durables pour tous. Des solutions prometteuses fondées sur la chaîne de blocs commencent aussi à apparaître pour relever les défis liés à la biodiversité (voir l’encadré 4.12).

Obstacles à l’adoption de la chaîne de blocs

En dépit des possibilités qu’elle offre dans les chaînes de valeur agroalimentaires, la chaîne de blocs n’a pas encore été adoptée à grande échelle. La lenteur de la diffusion et de l’adoption de cette technologie ne doit toutefois pas être interprétée comme un signe d’échec. Le processus peut prendre de nombreuses années malgré les gains potentiels de productivité que la chaîne de blocs permet de réaliser dans de nombreux secteurs44. Sa complexité technologique pourrait avoir un effet dissuasif sur l’adoption, tout comme l’importance de la capacité de traitement informatique qu’elle nécessite et les coûts résultant d’une consommation électrique élevée. On s’attend à ce que ces difficultés fassent obstacle à une adoption plus large des technologies de registres distribués à court terme.

La chaîne de blocs est cumulative, ce qui signifie que les transactions s’ajoutent les unes aux autres. La fiabilité du système passe par un grand nombre de teneurs de registre pour asseoir les mécanismes d’obtention du consensus et de vérification des transactions, ce qui impose des capacités de stockage et une capacité mémoire importantes. Autre conséquence, la vitesse d’enregistrement des transactions est relativement lente, puisque la chaîne de blocs doit synchroniser celles-ci sur tous les nœuds61. Les contraintes de taille et de quantité de blocs susceptibles d’être créés dans un délai donné limitent le nombre de transactions qu’il est possible de traiter par seconde44.

Le développement et la mise en œuvre d’une nouvelle solution de chaîne de blocs peuvent revenir cher. Si les coûts d’entrée correspondent à des investissements qui produiront des bénéfices sur la durée, il est probable que le coût énergétique de la technologie telle qu’elle se présente actuellement continuera d’augmenter, produisant des résultats environnementaux préjudiciables. Le niveau élevé des dépenses d’exploitation est dû à l’électricité nécessaire pour valider un nombre de transactions qui ne cesse de croître61.

Utiliser une chaîne de blocs ne demande pas de posséder une culture numérique plus importante que celle nécessaire à l’utilisation d’applications mobiles; en revanche, développer une solution fondée sur un registre distribué exige un savoir-faire technologique considérable. De nombreux projets pilotes de chaîne de blocs appliquée à des chaînes de valeur agroalimentaires sont en cours dans les pays développés, mais les pays en développement accusent un retard, malgré les possibilités que leur offre cette technologie. Ce retard s’explique par le fait que les applications de chaîne de blocs nécessitent une alimentation électrique stable, une puissance de calcul et une quantité de mémoire importantes, un accès haut débit à internet et une main-d’œuvre qualifiée, autant d’éléments qui ne sont pas toujours disponibles dans les pays en développement. Tous les pays ne disposent pas d’une main-d’œuvre possédant les compétences nécessaires à l’application de la chaîne de blocs aux différents marchés agroalimentaires ou à d’autres secteurs de l’économie, ce qui n’est pas sans conséquences sur la fracture numérique entre les pays et entre les secteurs.

On s’attend toutefois à ce que ces obstacles se réduisent à mesure que la technologie évolue. Le secteur public comme le secteur privé auront un rôle clé à jouer dans cette évolution et dans l’application de la technologie aux secteurs de l’alimentation et de l’agriculture52. Les domaines traditionnels du développement, comme les infrastructures et l’éducation, y compris la culture numérique, demeureront essentiels pour permettre aux acteurs de tirer profit de la numérisation de l’économie et pour faciliter l’adoption de la technologie de la chaîne de blocs.

À l’heure actuelle, de nombreux projets pilotes sont menés en parallèle, utilisant des systèmes de chaîne de blocs différents. Ils sont en grande partie réalisés par le secteur privé, le secteur public étant très à la traîne dans ce domaine. Ce retard pourrait aboutir à une occasion manquée d’accroître l’efficience des mesures de politique agricole, comme le paiement des services environnementaux ou le respect des exigences de sécurité sanitaire des aliments et des mesures SPS. Pour intégrer pleinement les technologies de registres distribués dans les chaînes de valeur agroalimentaires, il faudrait parvenir à l’interopérabilité, entre les systèmes utilisés par les différents agents (pouvoirs publics, producteurs et partenaires commerciaux) et entre les pays.

Questions ouvertes et risques potentiels pour les marchés agricoles et alimentaires

Les technologies numériques peuvent être source de gains considérables, mais de nombreuses questions demeurent sans réponse. Il est encore difficile de prévoir l’intégralité des effets que les applications numériques peuvent avoir sur les marchés agricoles et alimentaires.

Il reste de nombreux obstacles à l’adoption à grande échelle de ces technologies, et il est probablement préférable d’en réserver l’utilisation aux situations dans lesquelles elles apportent des avantages qu’aucune autre technologie ne peut offrir: en tout premier lieu, lorsqu’elles permettent de pallier directement et efficacement les défaillances des marchés; en deuxième lieu, lorsqu’il y a d’importants gains d’efficience à réaliser pour tous; en troisième lieu, et particulièrement dans le cas de la chaîne de blocs, en l’absence d’une relation de confiance entre les parties62.

Les questions et les risques potentiels à prendre en compte sont nombreux dans le contexte des marchés agricoles et alimentaires. Cela concerne les effets que les technologies numériques pourraient avoir sur la participation aux marchés, les questions de données et le pouvoir de marché.

Risques en matière de participation aux marchés

Les technologies numériques peuvent donner des moyens d’action à tous les acteurs d’une chaîne de valeur – y compris les petits agriculteurs des pays en développement – en réduisant les coûts de transaction et les obstacles à l’entrée. À l’inverse, elles peuvent aussi exclure des marchés les petits exploitants qui ne peuvent pas supporter les coûts initiaux d’accès à l’économie numérique ou qui n’ont pas les compétences requises pour ce faire. L’exclusion de l’économie numérique viendrait alors s’ajouter aux problèmes que les petits agriculteurs rencontrent déjà et saperait encore davantage le secteur de la petite agriculture et les moyens d’existence de millions de personnes vivant en zone rurale dans les pays en développement. Le risque de se retrouver exclus d’une économie où le numérique tient une place croissante est particulièrement élevé pour les petits exploitants qui ne maîtrisent pas la lecture. Certaines technologies pourraient certes contribuer à faciliter l’inclusion de ces exploitants (voir l’encadré 4.2, par exemple), mais il est indispensable de redoubler d’efforts pour éliminer l’analphabétisme et faire en sorte que chacun ait les compétences nécessaires pour utiliser internet pleinement et efficacement.

L’exclusion de certains groupes des marchés peut être un résultat involontaire des technologies numériques. En agriculture, de nombreuses raisons peuvent expliquer qu’un agriculteur ne parvienne pas à remplir ses obligations contractuelles. Il peut, par exemple, être empêché de livrer les quantités spécifiées de produits présentant les niveaux de qualité donnés en raison de phénomènes météorologiques extrêmes, d’attaques de ravageurs, de maladies, ou d’un manque de crédit. Dans ce cas, la nature immuable, publique et permanente de la chaîne de blocs pourrait jouer en défaveur des petits agriculteurs, plus susceptibles de pâtir de ces difficultés. Il se créerait alors une nouvelle asymétrie de l’information, qui pourrait aboutir à l’exclusion de certains agriculteurs des marchés, limitant de fait leurs possibilités de gagner leur vie. À l’heure actuelle, on ne sait pas encore si et comment les agents utilisant la chaîne de blocs pourraient tenir compte de problèmes de ce genre et d’autres spécificités de la petite agriculture.

On s’attend à ce que la numérisation du secteur ait une incidence considérable sur les marchés du travail agricole. L’automatisation pourrait réduire, voire éliminer, certains types d’emplois manuels sur les exploitations et dans certains services intermédiaires, accentuant l’impact de la transformation structurelle sur la main-d’œuvre des zones rurales. Les nouvelles possibilités d’emploi tendront à privilégier les personnes présentant un plus haut niveau de compétence. Progressivement, à mesure que les avancées technologiques se diffuseront, des compétences plus pointues seront nécessaires pour travailler sur une exploitation et participer efficacement aux chaînes de valeur agroalimentaires. Cette évolution augmentera les possibilités d’emploi des travailleurs hautement qualifiés, mais risque d’aggraver encore la marginalisation de ceux qui le sont moins.

Pour prendre part efficacement aux chaînes de valeur agroalimentaires, les agriculteurs comme les ouvriers agricoles devront être capables d’accéder aux technologies numériques et devront posséder les compétences nécessaires pour utiliser ces technologies. Il sera alors essentiel de renforcer les capacités et la culture numérique de la main-d’œuvre travaillant dans les chaînes de valeur agroalimentaires, à quelque niveau que ce soit.

Collecte de données, inquiétudes concernant la vie privée et lacunes réglementaires

La gestion des données est au premier plan des inquiétudes que suscitent actuellement les technologies numériques, et le manque de confiance qui entoure ces questions de données constitue un obstacle majeur à la numérisation de l’agriculture. Cela fait des siècles que les agriculteurs créent, diffusent et utilisent des informations. Depuis le milieu du XIXe siècle, l’agriculture est influencée par les données – les informations qui ont été collectées, analysées et communiquées. La création du Ministère de l’agriculture des États-Unis en 1862 s’est traduite par des rapports annuels qui, sur la base d’enquêtes nationales, ont diffusé des informations sur les rendements, les prix et les nouvelles pratiques agricoles. Dès 1905, avec la création de l’Institut international d’agriculture – le prédécesseur de la FAO –, on a pu disposer d’informations sur la production, les échanges et les prix mondiaux63.

Les technologies numériques ont révolutionné la collecte de données, qui avait toujours été un processus long et coûteux, mais se sont aussi traduites par l’interception et la collecte de données en temps réel au moyen d’ordinateurs, de smartphones, d’internet et de dispositifs IDO. Chaque personne génère une somme considérable de données personnelles qui, dans la limite des cadres juridiques applicables, peuvent avoir une valeur pour les secteurs public et privé. Tous les secteurs économiques, y compris l’alimentation et l’agriculture, deviennent progressivement de plus en plus gourmands en données.

Les données massives diffèrent des données «analogiques» qui étaient collectées et analysées jusqu’ici, que ce soit par leur volume ou par les possibilités d’analyse qu’elles offrent. L’analyse des données massives peut en effet mettre en lumière des schémas indétectés ou des relations inattendues, qui viennent étayer la prise de décision. Dans le domaine agricole, par exemple, l’analyse de dix ans de conditions météorologiques et de données sur les cultures en Colombie a fait apparaître des motifs spécifiques d’influence des variations climatiques sur les rendements du riz. Cette analyse pourrait permettre d’être plus précis dans les prévisions propres à chaque site, et de conseiller les agriculteurs pour les aider à changer leurs dates de semis et à tirer profit d’une énergie solaire optimale lors de la phase de mûrissement64.

Des informations de ce type, intelligentes face au climat et adaptées à chaque lieu, peuvent être source d’avantages considérables et durables pour les agriculteurs et la société en général. Dans les pays développés, le secteur privé – les grandes entreprises fournissant semences et produits agrochimiques et les fabricants de matériel agricole, notamment – s’intéresse déjà à ces applications innovantes d’«agriculture intelligente» fondées sur les données massives. Ces entreprises ont investi des sommes considérables dans les technologies et les services numériques, démultipliant les économies d’échelle et leurs parts de marché. Armées d’une multitude de technologies et de dispositifs numériques, elles collectent des informations sur les pratiques agricoles et les exploitations de leurs clients, et réunissent des données sur les conditions météorologiques et l’état des sols. Après avoir traité et analysé ces éléments, elles communiquent les connaissances ainsi produites à leurs clients, en retour. Ce faisant, les entreprises améliorent l’efficacité de la production et, dans de nombreux cas, offrent des avantages plus vastes, comme la préservation des ressources naturelles et la réduction à un minimum de l’utilisation des engrais ou des pesticides. La vente d’intrants innovants et l’apport d’un savoir-faire spécifique aux agriculteurs par l’intermédiaire des technologies numériques génèrent aussi, pour ces entreprises, des recettes qui sont souvent protégées par des brevets et la législation sur le droit d’auteur – dans le cas inverse, les entreprises ne seraient nullement incitées à se lancer dans la recherche-développement autour de ces technologies.

Cela étant, la nature et la propriété des données en question ont suscité des inquiétudes. En fait, le spectre des données personnelles et publiques est très large. À l’une des extrémités se trouvent les données ouvertes, gratuites et accessibles à tous, qui peuvent servir à accélérer le développement fondé sur les donnéesf. À l’autre extrémité figurent les données privées, qui ont généralement trait aux informations personnelles d’un individu et qui ne devraient être communiquées que volontairement. La propriété de certaines des données de ce spectre, collectées au moyen de technologies numériques, soulève des questions. C’est le cas notamment des données générées par un dispositif IDO installé sur une exploitation, qui sont ensuite traitées et analysées par les fournisseurs d’intrants ou d’autres entreprises.

Les inquiétudes concernant la propriété des données, leur portabilité, le respect de la vie privée, la confiance et la responsabilité dans les relations commerciales régissant l’agriculture intelligente alimentent la réticence des agriculteurs à adopter les technologies numériques. Des travaux supplémentaires s’imposent pour élaborer des systèmes qui tiennent compte des préoccupations relatives à la vie privée sans pour autant compromettre l’innovation et les progrès technologiques. En 2014, par exemple, les organisations d’agriculteurs et les fournisseurs de technologies agricoles des États-Unis d’Amérique se sont mis d’accord sur un ensemble de principes de respect de la vie privée et de sécurité, applicables aux données massives, qui déterminent comment ces informations sont collectées, protégées et partagéesg. Dans de nombreux pays, les responsables de l’élaboration des politiques sont conscients du fait que l’utilisation et le stockage des données des agriculteurs sont des sujets potentiellement sensibles, mais il est difficile à la législation de soutenir le rythme de l’innovation technologique. Des travaux sont en cours dans ce domaine, même s’il reste beaucoup à faire (voir l’encadré 4.13).

Risques associés à un comportement non concurrentiel

La concurrence est indispensable pour recueillir les avantages des marchés et favoriser la croissance économique. Les marchés doivent être concurrentiels si l’on veut qu’ils contribuent à une allocation de ressources qui, conjuguée à des mesures et une réglementation efficaces, soit susceptible de favoriser un développement durable. Or, les technologies numériques peuvent modifier la concurrence sur les marchés agricoles et alimentaires. Plus spécifiquement, la façon dont une chaîne de blocs est configurée influe sur les informations mises à la disposition des participants et peut produire une large palette d’effets sur la compétitivité.

Une chaîne de blocs peut, par exemple, donner accès à des enregistrements afférents aux transactions, qui renseignent sur la réputation des fournisseurs et peuvent donc faciliter la concurrence. En outre, le processus de consensus décentralisé permettant de vérifier les transactions évite le recours à des mécanismes de contrôle par des tiers, qui demandent une main-d’œuvre importante et confèrent souvent un pouvoir de marché excessif. Cela étant, la chaîne de blocs, de par sa nature, peut aussi être conçue pour garantir la confidentialité de certaines informations67. On le voit clairement avec les cryptomonnaies, comme le Bitcoin, qui peuvent être utilisées par des personnes ne souhaitant pas révéler leur identité.

Le caractère décentralisé de la chaîne de blocs peut améliorer la concurrence par une meilleure information, mais peut aussi susciter des craintes de manquements potentiels à un comportement concurrentiel44. En principe, une information plus riche, la capacité de s’engager sur des prix convenus au moyen de contrats intelligents et une réduction du coût des transactions et du coût d’accès aux marchés sont susceptibles de renforcer considérablement la concurrence sur ces marchés. De façon générale, cela implique un moindre risque de comportement collusoire contraire aux règles de la concurrence – comme lorsque des entreprises s’entendent entre elles pour offrir un prix donné aux agriculteurs et augmenter ainsi leurs profits.

Dans le monde analogique, l’information est difficile à obtenir – il y a asymétrie de l’information. Les entreprises ne peuvent pas totalement connaître les quantités achetées par leurs rivales ou les prix que celles-ci ont payés. Pour conclure une entente collusoire, elles doivent communiquer et accepter de coordonner leur comportement sur le marché68. Dans le monde de la chaîne de blocs, il n’y a pas d’asymétrie de l’information, et cela peut faciliter la collusion et d’autres formes de comportement non concurrentiel, de diverses façons.

Si l’on applique les informations disponibles dans la sphère de la chaîne de blocs aux modèles économiques de comportement non concurrentiel, l’analyse indique que, en théorie, les chaînes de blocs peuvent aboutir à une collusion tacite. Dans ce cas, la collusion tacite découle d’actions informulées prises par les entreprises, qui font obstacle au comportement concurrentiel et sont susceptibles d’influer sur les prix ou les quantités, et donc sur le bien-être. Ce type de collusion peut faire penser à un cartel43.

Les informations disponibles grâce à la chaîne de blocs permettent aux entreprises d’inférer plus facilement le comportement de leurs rivales. Comme elles peuvent observer en temps réel les actions de chacune d’elles, il leur est possible de suivre les transactions et de détecter le moment où une entreprise déroge aux règles de la concurrence. Il est alors possible soit de réagir pour rétablir la compétitivité, soit de saisir l’occasion de s’associer à l’action non concurrentielle pour maximiser son bénéfice – il y a alors collusion tacite43.

Théoriquement, il peut se produire une collusion tacite dans la chaîne de blocs si, par exemple, une entreprise voit qu’un de ses concurrents propose à des agriculteurs un contrat pour une quantité donnée à un prix inférieur et qu’au lieu de fixer son prix conformément à l’offre et à la demande, cette entreprise propose également un prix inférieur. Le nombre d’entreprises participant à la chaîne de blocs pourrait avoir une influence sur ce type de résultats théoriques. Ainsi, dans des chaînes de blocs accessibles sans autorisation, le nombre d’entreprises participantes est potentiellement important, comparé à celui des chaînes accessibles sur autorisation. Il est possible toutefois qu’à mesure que la technologie évolue, les entreprises acquièrent la capacité de traiter et d’analyser presque en temps réel de grands volumes de données issues de la chaîne de blocs, ce qui facilitera la collusion tacite67.

La chaîne de blocs pourrait aussi être délibérément programmée pour faciliter un comportement collusoire. La technologie permet de créer des contrats intelligents (qui s’exécutent automatiquement) formulés pour coordonner et réglementer les agissements collusoires d’un grand nombre d’acteurs, ce qui accroît la capacité des contrevenants à harmoniser leur comportement67. Cela pourrait être rendu possible par l’introduction de «chaînes secondaires» qui stockeraient des informations confidentielles en parallèle de la chaîne de blocs principale.

Certains analystes indiquent en outre que les contrats intelligents peuvent contribuer à stabiliser ces accords collusoires non tacites. En effet, des contrats intelligents entre entreprises peuvent prévoir des clauses punissant automatiquement celles qui s’écartent d’un comportement collusoire, renforçant les incitations des participants à adhérer à ce type de comportement et augmentant la stabilité de l’accord de collusion67.

La technologie de la chaîne de blocs peut aussi influencer la nature et les options de la surveillance réglementaire. Dans la chaîne de blocs, les utilisateurs utilisent des pseudonymes, ce qui complique l’identification des participants et la conduite d’enquêtes les concernant. Les transactions peuvent être codées et n’être visibles que par les parties concernées67. D’un autre côté, les autorités chargées de la lutte antitrust et de la concurrence pourraient avoir accès aux informations des chaînes de blocs et observer ainsi plus finement le comportement des marchés – tout comme les entreprises peuvent inférer des manquements dans le comportement concurrentiel, les autorités de réglementation peuvent observer les comportements qui témoignent d’une collusion tacite. Les poursuites judiciaires destinées à combattre ce détournement des chaînes de blocs sont toutefois très loin d’être simples. Il faudra du temps pour faire apparaître dans quelle mesure les autorités de réglementation peuvent réussir à prévenir ou à corriger la collusion tacite dans les chaînes de blocs.

Les pouvoirs publics devraient se concentrer sur la mise en place d’un environnement porteur qui encourage les nouveaux entrants et facilite l’innovation et la diffusion des technologies numériques. Concernant la chaîne de blocs, l’une des solutions proposées pour prévenir la collusion consiste à séparer les teneurs de registre à l’origine du consensus et les entreprises participantes43. Actuellement, les utilisateurs de la chaîne de blocs peuvent aussi endosser le rôle de teneur de registre et avoir accès à l’ensemble des informations disponibles.

Il est aussi possible de préserver la compétitivité en soumettant les teneurs du registre à un audit ou en ajoutant des teneurs de registre à vocation réglementaire. D’aucuns font valoir également qu’il serait possible de programmer les applications de chaîne de blocs de façon à restreindre le partage des informations, mais cela aurait pour conséquence de diminuer la qualité du consensus et d’empêcher l’utilisation des contrats intelligents puisque certaines données (codées) ne pourraient pas être validées43. Recourir à des données codées annulerait aussi l’un des principaux avantages de la technologie de la chaîne de blocs, à savoir une plus grande transparence.

Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour que l’on comprenne mieux les risques que présentent les technologies numériques en matière de pouvoir de marché, de possibilité de collusion et, plus généralement, de formation de monopoles numériques. Les pouvoirs publics devront s’équiper pour réglementer de façon efficace l’économie numérique. Il est essentiel et urgent que les services responsables de la lutte antitrust et de la concurrence acquièrent une compréhension fine de ces technologies en pleine évolution qui vont modeler notre avenir. Cela supposera d’investir pour renforcer les compétences techniques nécessaires aux agents chargés de la réglementation et de son application pour comprendre la technologie de la chaîne de blocs et pouvoir détecter et décourager la collusion.

Les cadres juridiques devront évoluer avant qu’ils ne deviennent obsolètes, de façon à prendre en compte les risques énumérés précédemment. Dans le même temps, il est important de faire en sorte que la législation ne sape pas l’investissement et l’innovation technologique. Apporter des réponses à ces besoins contradictoires est l’un des enjeux pour l’avenir.

TABLEAU A.1
DÉFINITION DES AGRÉGATS ALIMENTAIRES UTILISÉS DANS LA PREMIÈRE PARTIE, ÉCHANGES PAR AGRÉGAT ALIMENTAIRE
TABLEAU A.2
DÉFINITION DES AGRÉGATS ALIMENTAIRES UTILISÉS DANS LES BILANS ALIMENTAIRES ÉTABLIS PAR LA FAO

PARTIE I – RÉFÉRENCES

1. FAO. 2018. La situation des marchés des produits agricoles 2018. Commerce agricole, changement climatique et sécurité alimentaire. Rome. 99 pages (également disponible à l’adresse suivante: www.fao.org/3/I9542FR/i9542fr.pdf).

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