Cette publication phare fait partie de la série L’ÉTAT DU MONDE de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Référence bibliographique à
citer:
FAO. 2020. La situation des marchés des produits agricoles 2020. Marchés agricoles et développement durable: chaînes de valeur mondiales, petits exploitants et innovations numériques.. Rome, FAO.
https://doi.org/10.4060/cb0665fr
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ISBN 978-92-5-133172-9
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VIET NAM: Une femme vendant des fruits tropicaux dans la vieille ville de Hoi An.
3.1 Études de dispositifs d’agriculture contractuelle examinées dans le présent rapport
A.2 Définition des agrégats alimentaires utilisés dans les bilans alimentaires établis par la FAO
1.1 Évolution des échanges agroalimentaires, 1995-2018 (pays classés par catégorie de revenu)
1.2 Échanges de produits alimentaires et de produits agricoles de base
1.3 Parts des échanges intrarégionaux et interrégionaux
1.10 Croissance et évolution démographiques
1.11 Coût des échanges et coût des communications
1.13 Chaîne de valeur alimentaire simplifiée
2.1 Exportations brutes au niveau mondial et participation aux CVM, 1995-2015
2.2 Taux de participation aux CVM dans l’agriculture en 2015
2.3 Liaisons en amont et en aval dans les CVM en 2015 (pays classés par catégorie de revenu)
2.4 Exportations brutes et participation aux CVM au Ghana
2.5 Exportations brutes et participation aux CVM au Viet Nam
2.13 Variation du degré de concentration des marchés des semences par culture et par région
3.5 Revenu total moyen des ménages selon le sexe du chef de ménage (en USD, aux prix de 2011)
3.7 Évolution de la taille moyenne des exploitations, en hectares
3.8 Incitations à passer à une agriculture contractuelle
3.9 Quelques systèmes de certification volontaire de la durabilité: normes et résultats potentiels
4.2 Accès à la téléphonie mobile dans certains pays, 2018
4.3 Personnes utilisant internet, en pourcentage de la population
4.7 Illustration d’une chaîne de blocs utilisée dans une chaîne de valeur agroalimentaire
1.1 Échanges agroalimentaires régionaux
1.3 Commerce, sécurité sanitaire des aliments et Codex Alimentarius
1.4 Intégration et coordination verticales dans les chaînes de valeur
1.5 Mondialisation, commerce agroalimentaire et nutrition
2.1 Chaînes de valeur mondiales: termes clés
2.2 Une chaîne de valeur mondiale en action: jus d’orange – de l’arbre à la bouteille
2.3 Exemple de pays avec des liaisons contrastées dans les CVM: le Ghana
2.4 Exemple de pays avec de solides liaisons dans les CVM: le Viet Nam
2.6 Rôle des accords commerciaux régionaux
2.7 Mesures de politique commerciale face à la pandémie de covid-19
2.8 Secteurs émergents de la transformation de produits alimentaires dans les pays en développement
2.9 Chaînes de valeur mondiales, activités du secteur privé et résultats environnementaux
3.1 Comment des marchés qui fonctionnement correctement contribuent-ils au développement?
3.2 Petites et moyennes entreprises (PME) rurales opérant dans l’alimentation et l’agriculture
3.3 Intégration d’une assurance dans un dispositif d’agriculture contractuelle
4.1 Glossaire des technologies numériques
4.3 Commerce électronique, le cas des villages Taobao en république populaire de Chine
4.4 Tulaa: une plateforme numérique facilitant l’accès au crédit au Kenya et au Ghana
4.6 Comprendre la technologie des registres distribués
4.7 Chaîne de blocs et négoce de produits de base
4.10 Les supermarchés étudient les chaînes de blocs
4.11 Suivre les épices et les herbes condimentaires à l’aide de la technologie de la chaîne de blocs
4.12 Technologie de la chaîne de blocs et durabilité des chaînes de valeur du poisson
L’édition 2020 du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles paraît au moment – crucial pour l’économie et les systèmes alimentaires mondiaux – où nous unissons nos forces pour endiguer la pandémie planétaire provoquée par la propagation de la covid-19.
Cette pandémie fait clairement ressortir que, dans un monde interconnecté, les maladies, ainsi que les incidences des mesures qui sont prises pour les contenir, se propagent rapidement au-delà des frontières nationales. Cette crise n’est pas le thème central du présent rapport, mais elle illustre bien le lien étroit qui existe entre la production, la consommation et les échanges de denrées alimentaires. On comprend dès lors qu’il importe d’adopter une approche intégrée des systèmes alimentaires, et que la parution de La situation des marchés des produits agricoles 2020 vient particulièrement à propos.
Je vous invite à lire attentivement le présent rapport, qui nous éclaire sur la manière dont les marchés peuvent être mis à contribution pour faire un pas supplémentaire vers la réalisation des objectifs de développement durable du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Cette édition présente de nouvelles analyses de données relatives aux échanges commerciaux et aux marchés à l’échelle internationale. On y examine en détail les grandes tendances mondiales sur les marchés agroalimentaires en vue de déterminer comment produire des effets bénéfiques sur les plans économique, environnemental et social, et stimuler le développement.
Les échanges de produits alimentaires et agricoles ont plus que doublé en termes réels depuis 1995. Les pays émergents et en développement sont devenus des acteurs sur les marchés internationaux, et ils contribuent désormais pour un tiers environ au commerce mondial. Les progrès technologiques ont transformé les procédés productifs et commerciaux, ce qui a permis l’émergence de chaînes de valeur mondiales de l’alimentation et de l’agriculture. On estime que plus d’un tiers des exportations alimentaires et agricoles a lieu à l’intérieur de chaînes de valeur mondiales.
L’un des arguments qui sous-tendent le présent rapport est que des marchés qui fonctionnent bien sont essentiels au développement et à la croissance économique. Les échanges internationaux peuvent constituer un instrument puissant, et les marchés peuvent être mis à profit pour obtenir des résultats économiques, sociaux et environnementaux. Les chaînes de valeur mondiales peuvent faciliter l’intégration des pays en développement dans les marchés internationaux. Elles relient étroitement nos marchés de produits alimentaires et offrent ainsi un moyen de diffuser les meilleures pratiques au service du développement durable.
Cependant, dans cet environnement concurrentiel en évolution rapide, nous devons veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte. Il nous faut redoubler d’efforts pour intégrer les petits exploitants agricoles dans les chaînes de valeur alimentaires modernes, procurer des revenus ruraux et assurer la sécurité alimentaire tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Les petits exploitants agricoles font face à de nombreuses difficultés qui peuvent les empêcher d’adopter des pratiques agricoles et commerciales efficaces. Des politiques et des mécanismes de soutien seront indispensables pour les aider à renforcer leur productivité et leur participation aux marchés.
Les technologies numériques peuvent contribuer à améliorer le fonctionnement des marchés et à les rendre plus accessibles aux agriculteurs. Les innovations comme le commerce alimentaire en ligne, par exemple, peuvent être bénéfiques à la fois aux agriculteurs et aux consommateurs. Cependant, pour que les avantages des innovations numériques profitent aussi aux plus pauvres, nous devons impérativement réduire l’actuelle fracture numérique. Cela étant, il est difficile de prévoir toutes les incidences que pourront avoir les innovations technologiques sur la manière dont nous cultivons, transformons, commercialisons et consommons les produits alimentaires. Aujourd’hui, nous savons qu’une utilisation accrue des technologies peut nous aider à réaliser des progrès considérables dans ce domaine. Cependant, il convient de noter qu’on ne connaît pas encore bien certains des risques associés à l’adoption de ces technologies. Nous devons renforcer nos actions communes et veiller à ce que la révolution numérique vienne soutenir le développement.
Le rapport sur La situation des marchés des produits agricoles 2020 démontre très clairement que nous devons nous appuyer sur les marchés en tant que partie intégrante du système alimentaire mondial. Cela est d’autant plus important face aux grands bouleversements, qu’il s’agisse de la covid-19, des infestations de criquets ou du changement climatique.
Nous avons tous une contribution à apporter au développement durable et à l’éradication de la faim. La FAO est aux côtés de ses Membres et de ses partenaires dans cette entreprise.
Qu Dongyu |
La préparation du rapport La situation des marchés des produits agricoles 2020 a commencé en juin 2019. Un comité de lecture composé de spécialistes de la FAO et d’experts extérieurs à l’Organisation a été constitué pour soutenir l’équipe de rédaction. Il a examiné l’analyse proposée et les ébauches du rapport, et a formulé des avis.
Un atelier technique sur les chaînes de valeur mondiales s’est tenu les 21 et 22 novembre 2019 au Siège de la FAO, à Rome. Il a réuni des professionnels, des universitaires et d’autres parties prenantes intéressées venus de différents pays pour présenter leurs travaux de recherche et débattre des sujets suivants: l’évolution des chaînes de valeur alimentaires et agricoles mondiales et la façon dont elles ont transformé les marchés et le commerce alimentaires; leur impact sur les plans économique, social et environnemental; et la façon dont les politiques peuvent améliorer leur contribution à un développement durable de l’alimentation et de l’agriculture. L’atelier a élargi les connaissances et les vues de l’Organisation sur les questions traitées.
Un groupe d’experts a produit neuf documents d’information sur une série de sujets afin d’éclairer l’élaboration du présent rapport. Ces documents comprenaient deux modélisations: l’une pour évaluer l’impact des chaînes de valeur mondiales sur la productivité agricole et l’autre pour analyser, à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable mondial, les effets des politiques commerciales sur la participation à ces chaînes.
Le premier projet de texte a été commenté par le comité de lecture et étudié par l’équipe de direction de l’axe Développement économique et social de la FAO en mai 2020. Des experts appartenant à différentes divisions techniques de la FAO ont également examiné le projet de rapport. Le rapport définitif a été examiné par le Bureau du Directeur général et par l’axe Développement économique et social de l’Organisation. Le contenu et les constatations de l’édition 2020 du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles seront présentés au Comité des produits à sa réunion de mars 2021.
Le rapport sur La situation des marchés des produits agricoles 2020 a été élaboré par une équipe multidisciplinaire de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sous la direction de Boubaker Ben-Belhassen, Directeur de la Division du commerce et des marchés, et de George Rapsomanikis, Économiste principal et coordonnateur du rapport 2020. Máximo Torero Cullen, Économiste en chef à la FAO, et l’équipe de direction de l’axe Développement économique et social en ont assuré la supervision.
ÉQUIPE CHARGÉE DES RECHERCHES ET DE LA RÉDACTION
Les membres de l’équipe chargée des recherches et de la rédaction à la Division du commerce et des marchés étaient: Andrea Zimmermann, Clarissa Roncato Baldin, Edona Dervisholli, Evgeniya Koroleva (données), Husam Attaallah (données), George Rapsomanikis et Rob Dellink.
COMITÉ DE LECTURE
L’équipe de rédaction a bénéficié d’observations et de conseils précieux de la part du Comité de lecture du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles 2020: Boubaker Ben Belhassen (Directeur de la Division du commerce et des marchés, FAO), Carmel Cahill (ancienne directrice adjointe de la Direction des échanges et de l’agriculture de l’OCDE), David Blandford (Université de l’État de Pennsylvanie), Hope Michelson (Université de l’Illinois), Jikun Huang (Université de Pékin), Johan Swinnen (Université de Louvain), Luca Salvatici (Université de Rome III) et Máximo Torero Cullen (Économiste en chef, axe Développement économique et social, FAO).
CONTRIBUTEURS
Les auteurs suivants ont élaboré des documents techniques de référence pour ce rapport: Edona Dervisholli (FAO), Eva-Marie Meemken (Université Cornell), Felix Baquedano (consultant de la FAO), Ivan Đurić (Institut Leibniz sur le développement agricole dans les économies en transition – IAMO), Hope Michelson (Université de l’Illinois), Jikun Huang (Université de Pékin), Johan Swinnen (Université de Louvain), Leslie C. Verteramo (Université Cornell), Luca Salvatici (Université de Rome III), Miguel I. Gómez (Université Cornell), Pierluigi Montalbano (Université La Sapienza de Rome), Robertus Dellink (FAO) et Silvia Nenci (Université de Rome III).
CONTRIBUTIONS SUPPLÉMENTAIRES
Le rapport s’est inspiré des communications effectuées lors de l’atelier sur les chaînes de valeur mondiales, tenu les 21 et 22 novembre 2019 à Rome. Les experts suivants y ont présenté leurs travaux de recherche: Carlo Altomonte (Université Bocconi), Davide Del Prete (FAO), Edona Dervisholli (FAO), Koen Deconinck (OCDE), Luca Salvatici (Université de Rome III), Marie-Agnès Jouanjean (OCDE), Pierluigi Montalbano (Université La Sapienza de Rome), Robertus Dellink (FAO), Silvia Nenci (Université de Rome III) et Sunghun Lim (Université du Minnesota).
Ont également apporté leur contribution les personnes suivantes de la FAO: Anna Lartey, Davide Del Prete, Elena Ilie, Nancy Aburto et Siobhan Kelly.
APPUI ADMINISTRATIF
Francesca Biasetton a apporté l’appui administratif.
Les services de traduction ont été assurés par la Sous-Division des langues (CSGL) du Service des organes directeurs (CSG) de la FAO.
Le Groupe de l’édition (OCCP) du Bureau de la communication de l’Organisation a prêté des moyens éditoriaux et s’est chargé de la conception et de la mise en page du document, ainsi que de la coordination de sa production dans les six langues officielles.
ACRE
Agriculture and Climate Risk Enterprise
AFE
Accord sur la facilitation des échanges
BAfD
Banque africaine de développement
CIPV
Convention internationale pour la protection des végétaux
covid-19
nouvelle maladie à coronavirus
CVM
chaîne de valeur mondiale
EGC
équilibre général calculable
FAO
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
FIDA
Fonds international de développement agricole
GATT
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
IED
investissement étranger direct
IMC
indice de masse corporelle
ISO
Organisation internationale de normalisation
LMR
limite maximale de résidus
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
ODD
objectif de développement durable
OIE
Organisation mondiale de la santé animale
OIT
Organisation internationale du Travail
OMC
Organisation mondiale du commerce
OMS
Organisation mondiale de la Santé
ONG
organisation non gouvernementale
OTC
obstacles techniques au commerce
PAM
Programme alimentaire mondial
PIB
produit intérieur brut
PME
petites et moyennes entreprises
PNUD
Programme des Nations Unies pour le développement
R-D
recherche-développement
SH
Système harmonisé de désignation et de codification de marchandises de l’Organisation mondiale des douanes
SIM
carte d’identification d’abonné
SMS
Short Message Service (service de messages courts)
SPS
mesures sanitaires et phytosanitaires
TIC
technologies de l’information et de la communication
Le commerce et les marchés sont au cœur du processus de développement. Dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture, les marchés élargissent le choix des consommateurs et créent des incitations pour les agriculteurs. Ils permettent donc une allocation optimale des ressources et ouvrent les voies reliant l’agriculture à d’autres secteurs de l’économie, ce qui les rend essentiels à la transformation structurelle de celle-ci. La façon dont les échanges et les marchés concourent à un développement durable est précisément le sujet traité dans l’édition 2020 du rapport sur La situation des marchés des produits agricoles.
La capacité d’entraînement de marchés fonctionnant correctement est essentielle à la croissance économique, mais ce mécanisme de marché est impuissant à garantir l’obtention d’une série d’avantages sociaux et environnementaux qui occupent pourtant une place centrale dans le développement durable. En effet, les marchés ne parviennent pas toujours à faire coïncider les intérêts individuels avec ceux de la société dans son ensemble, mais aussi avec les besoins des générations futures, qui font partie intégrante du Programme de développement durable à l’horizon 2030 (Programme 2030).
Le Programme 2030 et ses 17 objectifs de développement durable (ODD) visent à offrir à tous un avenir meilleur et un monde plus durable. Ils s’attaquent aux défis mondiaux qu’il nous faut affronter, tels que l’élimination de la pauvreté et de la faim ainsi que la restauration et la gestion durable des ressources naturelles. Les ODD associent les trois dimensions – économique, sociale et environnementale – du développement durable dans une série de cibles imbriquées.
L’agriculture occupe une place centrale dans le Programme 2030. Ses liens avec la sécurité alimentaire, la croissance économique, l’emploi et l’éradication de la pauvreté, la gestion des ressources naturelles et de l’environnement, et la nutrition et la santé se retrouvent dans la plupart des ODD. Les marchés mettent ces liens en évidence. Le présent rapport examine les politiques et les arrangements institutionnels susceptibles de favoriser la croissance économique, mais aussi de mettre les marchés agricoles et alimentaires au service d’une recherche de résultats durables – économiques, sociaux et environnementaux.
Le rapport 2020 sur La situation des marchés des produits agricoles étudie l’évolution du commerce et des marchés, et considère leur rôle dans la croissance et le développement durable. Il s’intéresse spécifiquement à l’émergence des chaînes de valeur mondiales de l’alimentation et de l’agriculture; au niveau de participation à ces chaînes de valeur des petits exploitants des pays en développement; et aux effets transformateurs des technologies numériques sur les marchés.
Depuis 1995, le commerce international de produits alimentaires et agricoles a plus que doublé en termes réels; il atteignait 1 500 milliards d’USD en 2018. Les économies émergentes et les pays en développement participent de plus en plus aux marchés agricoles et alimentaires mondiaux; leurs exportations s’élèvent à plus du tiers du total mondial.
Plusieurs facteurs ont été déterminants dans cette croissance des échanges. L’abaissement des coûts de transport a permis de commercer à moindres frais. Les politiques commerciales et le recul des tarifs douaniers sur les importations – dû à l’entrée en vigueur de l’Accord sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en janvier 1995, ainsi que de nombreux accords commerciaux bilatéraux et régionaux – ont aussi joué un rôle moteur dans le renforcement des échanges de produits alimentaires et agricoles.
Ces déterminants, conjugués à la hausse des revenus tant dans les pays développés que dans les pays en développement, ont stimulé l’expansion des échanges de produits agricoles et alimentaires. La croissance des revenus est également associée à des évolutions démographiques, telles que l’urbanisation, qui suscitent de nouveaux modes de vie et des changements dans les régimes alimentaires, lesquels influent à leur tour sur le commerce et les marchés. À mesure que les pays se développent, leurs habitants consomment moins d’aliments de base et plus de viande, de produits laitiers, de fruits et de légumes. Ce changement d’alimentation se retrouve dans la physionomie des échanges internationaux.
L’urbanisation progresse plus vite dans les pays en développement que cela n’a été le cas en Europe, par exemple; et cela n’est pas sans conséquence sur les marchés alimentaires nationaux. Les préférences des consommateurs pour la commodité, la qualité et la sécurité sanitaire des aliments renforcent la coordination verticale des chaînes de valeur alimentaires. Dans certains pays d’Asie, et d’Amérique latine et des Caraïbes, les ventes des principales chaînes de supermarchés ont été jusqu’à 10 fois plus élevées en 2018 qu’au début du siècle. En Afrique subsaharienne, les consommateurs urbains sont aussi plus enclins à faire leurs courses au supermarché et dépensent une plus grande part de leur revenu dans des repas pris à l’extérieur du foyer.
Parallèlement, les progrès des technologies numériques ont amélioré les moyens de communication interpersonnels et transforment les économies et les sociétés en profondeur. L’amélioration des communications entraîne une proximité culturelle qui, à son tour, influe sur les préférences alimentaires des consommateurs. En outre, la plus grande fluidité des communications entre les agriculteurs et les entreprises permet à ces acteurs de mieux coordonner leurs activités internationales et de s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales. Les estimations du présent rapport indiquent que plus d’un tiers des échanges de produits agricoles et alimentaires ont lieu au sein de filières mondiales et entraînent le franchissement de deux frontières au minimum, car les matières premières agricoles sont d’abord exportées pour être transformées en produits alimentaires, lesquels sont ensuite réexportés.
L’évolution des échanges commerciaux internationaux et des chaînes de valeur agroalimentaires mondiales a été interrompue par la crise financière de 2008. Depuis lors, le ralentissement de l’économie mondiale, et surtout des économies émergentes, a pesé sur le commerce et les chaînes de valeur mondiales. Dans cette première partie de l’année 2020, les marchés nationaux comme les marchés mondiaux ont une fois encore été confrontés à des défis importants dus à l’épidémie de covid-19 et aux restrictions qui ont été imposées en matière de circulation des personnes et de voyages internationaux afin de contenir la propagation du virus. La pandémie et son retentissement sur l’économie mondiale devraient avoir des effets considérables sur le commerce. L’OMC a laissé entendre que les échanges mondiaux de marchandises pourraient chuter dans une proportion comprise entre 13 et 32 pour cent en raison de la perturbation des activités économiques consécutive à la pandémie de covid-19.
Les États et le secteur privé s’emploient en toute priorité à préserver la survie et le fonctionnement des chaînes de valeur alimentaires dans ce contexte de restriction des déplacements. On s’efforce actuellement d’ouvrir des voies de communication spéciales entre les zones de production alimentaire et les centres urbains (en respectant des mesures de sécurité, telles que le test, la distanciation physique et d’autres pratiques d’hygiène), pour accélérer la livraison des produits périssables et des aliments nutritifs aux populations touchées. Au niveau mondial, les décideurs publics de nombreux grands pays exportateurs de produits alimentaires se sont engagés à ne pas imposer de mesures commerciales restrictives, comme des interdictions d’exporter, de sorte que les échanges permettant de transférer des produits agricoles et alimentaires des régions excédentaires vers les régions déficitaires puissent se poursuivre, et renforcer ainsi la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale.
Les chaînes de valeur mondiales sont devenues une part importante des échanges alimentaires et agricoles. Elles scindent le processus de production en une série d’opérations qu’elles font exécuter dans des pays différents pour réaliser des gains d’efficience. Cette organisation permet aux agriculteurs et aux entreprises des pays en développement de dépasser les limites imposées par le manque de secteurs alimentaires nationaux bien développés et axés sur les exportations. Les gens ont davantage de solutions pour accéder aux marchés mondiaux et peuvent tirer un meilleur profit de leur avantage comparatif à n’importe quel stade de la chaîne de valeur qu’ils choisissent.
Pour les pays en développement, les chaînes de valeur mondiales ouvrent une voie non négligeable vers la croissance. Parce qu’elles sont étroitement coordonnées, elles peuvent en effet accentuer les effets du commerce international sur la croissance, tels que les retombées technologiques et la diffusion des connaissances susceptibles de renforcer la productivité, d’améliorer les possibilités d’emploi et d’accroître les revenus. Les travaux de recherche menés en vue du présent rapport indiquent que, en moyenne et à court terme, une augmentation de 10 pour cent de la participation aux chaînes de valeur mondiales peut entraîner une hausse de 1,2 pour cent environ de la productivité de la main-d’œuvre. Cette conséquence immédiate se traduit également par des effets à long terme positifs et soutenus sur la productivité, susceptibles d’offrir des avantages importants aux pays en développement.
Sur le plan environnemental, une participation accrue aux chaînes de valeur mondiales peut avoir des conséquences positives et négatives. D’un côté, ces chaînes favorisent la croissance; de l’autre, elles n’entraînent pas nécessairement une meilleure gestion des ressources naturelles. Ainsi, d’aucuns craignent que l’accroissement de la production végétale destinée à l’exportation, qui résulte de l’ouverture des marchés, ne contribue à la déforestation. Pourtant, les chaînes de valeur mondiales conduites conformément aux objectifs de développement durable – celles qui respectent les règlements et les normes, par exemple – peuvent diffuser des technologies et des pratiques durables. Ce faisant, elles peuvent favoriser la croissance de la productivité et des revenus dans l’ensemble des pays. Une démarche active s’impose pour associer la durabilité au commerce.
Les politiques commerciales jouent un rôle clé. Les chaînes de valeur mondiales s’étendant sur plusieurs pays, les produits traversent les frontières à de multiples reprises, donnant lieu, à chaque fois, au paiement de droits de douane. Une réduction du nombre et du niveau des obstacles au commerce peut donc contribuer au développement des chaînes de valeur mondiales. Pour les pays en développement, c’est essentiel. Abaisser les droits de douane le long d’une chaîne de valeur mondiale permet d’importer davantage d’intrants et de produits intermédiaires. La production et les exportations s’en trouvent stimulées, entraînant des gains considérables en matière de productivité, d’emploi et de revenus.
L’ouverture des marchés mondiaux et le développement des chaînes de valeur mondiales, par les transferts de technologie et de savoir-faire qu’ils suscitent, peuvent avoir des retombées importantes, mais, pour que celles-ci se transforment en gains durables, il faut des mesures complémentaires propices à la compétitivité, qui améliorent la gouvernance et les infrastructures, par exemple, renforcent les compétences ou suppriment les rigidités des marchés du travail. Il n’en demeure pas moins que les effets à court terme de l’ouverture des marchés, en particulier les conséquences que celle-ci peut avoir sur la répartition et l’inégalité des revenus, suscitent des craintes.
Les accords commerciaux régionaux peuvent aussi contribuer à favoriser les échanges le long des chaînes de valeur mondiales. L’abaissement des droits de douane entre les signataires permet en effet de favoriser la coordination verticale et les chaînes de valeur. La prise en compte de nombreux secteurs économiques dans les accords de ce type est susceptible de renforcer l’incidence de ces derniers sur les chaînes de valeur agroalimentaires, car une part importante de la valeur des exportations agroalimentaires provient de secteurs autres que ceux de l’alimentation et de l’agriculture. Ainsi, à l’échelle mondiale, 38 pour cent environ de la valeur ajoutée des exportations de produits alimentaires provient de services importés.
Les accords commerciaux régionaux aussi peuvent prévoir des clauses sur les mesures relatives à la concurrence ou sur l’harmonisation des normes, entraînant une réforme des politiques et de hauts niveaux d’intégration entre les signataires. Bien que de nombreuses personnes considèrent ces accords comme constituant les éléments de base d’un système commercial mondial, l’accentuation des échanges régionaux devrait aussi s’accompagner d’un renforcement du commerce multilatéral, afin de contribuer à la croissance économique des pays, comme ceux de l’Afrique subsaharienne, qui commercent principalement avec des partenaires mondiaux, et non régionaux.
La crise financière de 2008 et le ralentissement économique qui s’en est suivi ont mis l’évolution des chaînes de valeur agroalimentaires mondiales au point mort, et il faut s’attendre à ce que la pandémie de covid-19 perturbe plus encore les possibilités qu’elles offrent de renforcer le commerce et la croissance mondiale. Les chaînes de valeur mondiales favorisent des liens commerciaux qui sont autant de canaux de diffusion des technologies et des connaissances durant les périodes de croissance économique, mais ces liens peuvent aussi transmettre les chocs économiques et leurs conséquences. Dans leur exercice d’arbitrage entre efficience et résilience face au ralentissement économique, les entreprises pourraient s’engager dans la voie d’une relocalisation des activités de production pour les aliments qui le permettent.
Ce type de stratégies pourrait affaiblir considérablement les gains d’efficience découlant d’un avantage comparatif et faire monter les prix intérieurs des produits alimentaires – une évolution peu souhaitable en période de baisse des revenus. Faire appel à de multiples sources de produits alimentaires et agricoles dans le monde constitue une forme de résilience face à l’insécurité alimentaire et aux fléchissements économiques. Les déséquilibres planétaires tels que la crise financière de 2008 et celle due à la pandémie de covid-19 nécessitent une collaboration et une coordination internationales plutôt que des mesures favorisant l’autosuffisance alimentaire, en particulier quand les effets ne se font pas sentir dans tous les pays au même moment. Les échanges offrent alors un moyen efficient de gérer au mieux les risques liés à une crise et de renforcer la résilience. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, les initiatives prises pour réduire à un minimum les perturbations subies par les chaînes de valeur mondiales et défendre les échanges agricoles et alimentaires sont porteuses d’avantages à court et long terme.
La relation entre commerce et croissance est complexe, et l’incidence de la mondialisation sur la répartition du revenu dans les pays et entre les pays fait débat depuis longtemps. À mesure que le commerce progresse, tous les pays y gagnent et un grand nombre d’entre eux connaissent des taux de croissance élevés. On note cependant que l’écart se creuse entre les pays en développement à faible revenu, d’une part, et les pays développés et les économies émergentes, d’autre part. Certains analystes avancent l’idée que les forces de la mondialisation ne profitent pas à ceux qui ne peuvent pas affronter la concurrence à l’échelle mondiale.
Dans le domaine agricole, par exemple, la question de l’intégration des petits exploitants dans les marchés, aussi bien nationaux qu’internationaux, et de leur participation au processus de développement constitue un enjeu majeur. Dans les pays en développement, presque tous les agriculteurs accèdent à des marchés pour vendre et acheter des produits, mais ces marchés fonctionnent mal et les coûts de transaction sont élevés. Nombre de petits exploitants ont un faible taux de commercialisation. Pour beaucoup d’entre eux, certains marchés, comme ceux de l’assurance et du crédit, ne fonctionnent pas et sont totalement manquants. Cette situation a des conséquences considérables sur la sécurité alimentaire, les moyens d’existence et le développement.
L’essor des chaînes de valeur mondiales et de leurs exigences strictes en matière de qualité et de sécurité sanitaire des aliments pourrait aggraver encore la marginalisation des petits exploitants. Des politiques générales sont nécessaires pour créer un environnement propice au développement des marchés – grâce à l’amélioration des infrastructures et des services ruraux, à l’éducation et à des techniques productives, par exemple. Outre ces politiques, des modèles fonctionnels inclusifs, comme l’agriculture contractuelle, dirigés par le secteur privé et soutenus par les pouvoirs publics et la société civile, peuvent aider les agriculteurs à s’intégrer dans des chaînes de valeur modernes et plus complexes.
Parmi les solutions innovantes, on peut aussi citer les programmes multidimensionnels, qui s’attaquent simultanément à plusieurs des difficultés auxquelles les agriculteurs font face sur le plan de la commercialisation, des technologies et de la finance. Ainsi, les dispositifs d’agriculture contractuelle peuvent pallier les défaillances de marché en matière de risque de fluctuation des prix, d’accès aux intrants et au crédit, et d’accès aux technologies et aux connaissances. Ces programmes permettent d’améliorer la productivité, d’augmenter les taux de commercialisation, d’accroître les revenus et de réduire la pauvreté. S’il est vrai que l’agriculture contractuelle est à même d’améliorer l’accès aux chaînes de valeur et de procurer des avantages à de nombreux petits exploitants, ses effets peuvent être très variables.
Il arrive en effet que les dispositifs contractuels excluent les agriculteurs qui ne possèdent qu’une très petite superficie; leur réponse aux problèmes d’inégalité n’est alors que partielle. Ils produisent aussi parfois l’inverse des effets recherchés et peuvent fréquemment s’effondrer. Le taux de sortie est élevé, car les agriculteurs rejoignent et quittent le dispositif, peut-être parce qu’ils ont des difficultés à fournir la qualité demandée ou parce que leur participation n’est pas rémunératrice comparée à d’autres activités. Or, pour que les marchés et les chaînes de valeur contribuent au développement, il faut que la participation s’inscrive dans la durée. Les effets favorables de l’agriculture contractuelle sur les agriculteurs seront plus importants si leur participation est continue, car les investissements dans les moyens de production, les technologies et les connaissances demandent du temps avant de porter leurs fruits.
Des hausses de la commercialisation et des échanges peuvent améliorer les revenus et les moyens d’existence, mais peuvent aussi produire des résultats environnementaux indésirables. L’intensification de la production agricole destinée à l’exportation, stimulée par l’ouverture des marchés et la mondialisation, pourrait se traduire par une pollution des eaux, un accroissement des émissions de gaz à effet de serre et une perte de biodiversité. Cette évolution fait peser des coûts sur la société dans son ensemble, dus à une mauvaise qualité de l’eau, un réchauffement planétaire et des baisses de la pollinisation des cultures, par exemple.
Les États disposent d’une série d’instruments d’action publique pour faire face à ces coûts. Des taxes, par exemple, peuvent amener les marchés à prendre en compte différents coûts environnementaux pesant sur la société. Mis à part l’action gouvernementale, certains dispositifs peuvent contraindre les marchés à tenir compte des aspirations publiques et privées, et contribuer ainsi à un développement durable, en particulier dans le contexte des chaînes de valeur mondiales. Des chaînes de valeur combinées à des dispositifs de certification de la durabilité sont susceptibles de développer des marchés d’aliments produits de façon durable.
Les normes de durabilité gagnent du terrain sur les marchés mondiaux, surtout concernant les produits de valeur élevée, depuis longtemps servis par des filières mondiales. La demande croissante des consommateurs de produits dont la production est certifiée durable a conduit à une augmentation de la part des terres agricoles exploitées dans le cadre d’une certification de cette nature. Ainsi, un quart environ des superficies plantées en caféiers et en cacaoyers sont certifiées comme respectant des normes de durabilité établies par des organisations non gouvernementales et par le secteur privé. Le marché fournit des informations concernant les prix. Mettre à profit le mécanisme du marché pour fournir également des informations sur le mode de production des aliments et sur les avantages de ce mode de production pour l’environnement et la société pourrait aider à concilier les objectifs économiques, sociaux et environnementaux.
Les technologies numériques impriment actuellement un mouvement transformateur rapide à tous les stades de la chaîne de valeur, du producteur au consommateur. Leur adoption améliore l’efficience, crée de nouveaux emplois, génère de nouveaux flux de revenus et économise des ressources. Elles peuvent cependant être sources de perturbations, modifiant ou déplaçant des activités et des produits de la chaîne de valeur.
Au niveau de l’exploitation, les applications numériques aident à pallier les défaillances des marchés et facilitent l’intégration des agriculteurs dans les chaînes de valeur en réduisant les coûts d’information et de transaction. Les améliorations des technologies de l’information et de la communication ont également soutenu le développement des chaînes de valeur mondiales, en connectant efficacement les agriculteurs aux négociants et aux consommateurs à l’échelle régionale et internationale. En 2020, la pandémie de covid-19 a révélé à quel point les technologies numériques pouvaient améliorer le fonctionnement des marchés alimentaires. Les estimations indiquent qu’en République populaire de Chine, en février 2020, la part du marché en ligne est passée de 11 pour cent à 38 pour cent du total des achats alimentaires au détail.
Malgré la diffusion rapide de ces technologies au cours des trois dernières décennies, une fracture numérique subsiste entre les pays, entre les zones urbaines et rurales, et entre les hommes et les femmes. En moyenne, 10 pour cent seulement des ménages de l’Afrique rurale ont accès à internet. Si l’on veut que l’ensemble de la population prenne part à l’économie numérique, il est indispensable de nouer des partenariats public-privé efficaces, d’édicter des règlements propres à attirer massivement le secteur privé et d’assurer une cohérence des politiques, de façon à renforcer l’infrastructure et les compétences numériques dans les zones rurales des pays en développement.
Que ce soit au moyen de messages courts transmis par l’intermédiaire du Short Messaging Service (SMS) des téléphones portables ou par le truchement des plateformes de commerce électronique ou de la technologie des registres distribués, les applications numériques réduisent les coûts de transaction, améliorent le flux d’information et favorisent une mise en relation efficiente des agriculteurs avec les négociants et les consommateurs. Cela permet d’accroître l’accès aux marchés et d’obtenir de meilleurs résultats en termes de revenu et de bien-être. Les initiatives de plateformes numériques examinées dans le présent rapport, comme e-Choupal en Inde, Esoko en Afrique et les villages Taobao en République populaire de Chine, montrent comment les technologies numériques peuvent améliorer le fonctionnement des marchés.
L’accès au crédit et à l’assurance aussi est en pleine révolution. Des innovations numériques dans l’observation de la Terre et dans l’estimation des précipitations et la télédétection par satellite, combinées à des données in situ et à la technologie de la chaîne de blocs, sont à même d’étayer des programmes d’assurance indicielle fondée sur les conditions météorologiques à moindre coût. Il devient ainsi possible de toucher des millions de petits exploitants qui jusque-là, pour un grand nombre d’entre eux, étaient considérés comme non assurables.
Les effets transformateurs des innovations numériques peuvent venir appuyer une série de résultats des marchés. Les applications numériques destinées aux marchés agricoles et alimentaires peuvent générer des avantages économiques, sociaux et environnementaux considérables et accélérer les progrès accomplis dans la concrétisation des ODD. Ainsi, les technologies numériques favorisent l’accès de tous aux services bancaires en permettant aux établissements financiers de s’implanter sur les marchés ruraux sans avoir à y établir une présence physique coûteuse. Les plateformes de commerce électronique incitent les jeunes diplômés et les femmes à rester dans les zones rurales ou à y revenir. Ce phénomène peut transformer ces zones en des lieux où il fait bon vivre et travailler. La technologie de la chaîne de blocs peut renforcer la confiance et favoriser la transparence, augmentant ainsi la traçabilité des aliments tout au long de la filière. La mise en œuvre de normes de durabilité et d’un étiquetage apportant aux consommateurs des informations sur les dimensions environnementales et sociales de la production peut en être facilitée.
Cela étant, les technologies numériques présentent aussi des risques et soulèvent des problèmes. Les questions de propriété et d’utilisation des données collectées à l’aide des technologies numériques utilisées sur l’exploitation, par exemple, ont suscité de grandes inquiétudes. Les régler pourrait favoriser l’adoption de ces technologies. Les technologies influent également sur les facteurs de production et leur valeur, comme la demande de main-d’œuvre et les salaires. Par ailleurs, les technologies numériques pourraient entraîner des entorses à la concurrence sur les marchés, entraînant des effets sur les prix ou les quantités, et donc sur le bien-être.
Les incidences potentielles des technologies sur les marchés agricoles et alimentaires doivent être analysées plus en profondeur. Les questions soulevées dans ce qui précède soulignent la nécessité d’une collaboration plus efficace entre toutes les parties prenantes. Elles demandent aussi que l’on recherche un consensus sur les bonnes pratiques susceptibles de structurer un cadre réglementaire qui maximisera les avantages des technologies numériques au service de l’alimentation et de l’agriculture tout en réduisant autant que faire se peut les risques associés.
Dans cette PREMIÈRE PARTIE, on s’intéresse à la façon dont le commerce et les marchés ont évolué depuis le début du nouveau millénaire. On y examine comment la croissance économique et l’urbanisation, de même que les améliorations technologiques et l’action des pouvoirs publics, ont contribué à transformer les échanges de produits agricoles et alimentaires, leur physionomie et leur composition. Au fil de leur développement, de nombreux pays font l’expérience d’un changement progressif de l’alimentation et d’une évolution des préférences des consommateurs dans ce domaine. Ces processus se retrouvent dans les échanges et les marchés, qui se transforment en permanence, sous l’effet également de bouleversements tels que la crise financière de 2008 et la pandémie de covid-19.
Messages clés Principales mesuresDepuis le début du XXIe siècle, le commerce mondial des produits agricoles et alimentaires (agroalimentaires) a singulièrement évoluéa. Il a plus que doublé en valeur réelle sur la période 1995-2018, passant de 680 milliards à 1 500 milliards d’USD (mesuré aux prix de 2015, figure 1.1). Sur cette période, la part des échanges agroalimentaires dans le total du commerce de marchandises a été de 7,5 pour cent en moyenne.
La tendance ascendante a atteint son point culminant lors de la crise des prix des denrées alimentaires de 2007-2008, avant d’être brutalement interrompue par la crise financière de 2008 et la récession mondiale qui a suivi. Malgré le rétablissement du commerce en 2010 et 2011 et le nouvel envol des prix des produits de base, le ralentissement de l’économie mondiale, en particulier dans les pays émergents tels que la République populaire de Chine, a eu des répercussions importantes, à la fois sur les échanges et sur les prix des produits de base1. Depuis 2014, le recul en valeur du commerce agroalimentaire s’explique principalement par la baisse des prix des produits de base et les fluctuations des taux de change2,3, les taux de croissance ayant recommencé à augmenter en partie entre 2016 et 2018.
Les pays à revenu élevé réalisent la majeure partie du commerce agroalimentaire en valeur, mais les économies émergentes et les pays en développement prennent une part croissance aux marchés mondiaux (figure 1.1, panneau A). Depuis le début du nouveau millénaire, les pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure ont accru leur part des exportations agroalimentaires mondiales, de 25 pour cent environ en 2001 à 36 pour cent en 2018. Durant la même période, la part des pays à faible revenu dans les échanges agroalimentaires mondiaux est demeurée presque inchangée, autour de 1,1 pour cent.
À partir de 2008, compte tenu du ralentissement de l’économie mondiale, les exportations et les importations agroalimentaires ont connu une croissance poussive, comparée à celle de la période 1995-2007, et ce en particulier dans les pays à revenu élevé, dont l’économie a été plus durement touchée par la crise financière (figure 1.1, panneau B). Les pays à faible revenu, qui, pour beaucoup, exportent vers les marchés des pays à revenu élevé, ont également pâti du ralentissement de la demande sur ces marchés et de la baisse des prix des produits de base. Les exportations et les importations des pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure ont continué de croître rapidement entre 2009 et 2011, et ce n’est qu’ensuite qu’elles ont marqué le pas.
Durant toute la période 1995-2018, les importations agroalimentaires du groupe des pays à revenu élevé ont été supérieures aux exportations, tandis que le groupe des pays à revenu intermédiaire des deux tranches affichait une position d’exportateur net. Les importations du groupe des pays à faible revenu sont restées légèrement supérieures aux exportations entre 1995 et 2000, avant d’augmenter nettement jusqu’en 2011, puis de se stabiliser.
La plus large part du commerce agroalimentaire correspond à des échanges de produits transformés provenant du secteur alimentaire (figure 1.2). Entre 1995 et 2000, la part de l’alimentation dans le total des exportations agroalimentaires est demeurée stable, avant d’augmenter, de 70 pour cent environ en 2000 à 76 pour cent en 2018 (figure 1.2, panneau A). Au cours de la période 1995-2018, les exportations alimentaires ont augmenté à un rythme moyen annuel de 3,4 pour cent, plus rapide que celui des exportations de produits agricoles de base (1,9 pour cent).
À l’échelle mondiale, la majeure partie des produits alimentaires sont échangés par des pays à revenu élevé, qui représentent une part égale des exportations et des importations alimentaires. En moyenne, tous les groupes de pays, quelle que soit leur catégorie de revenu, importent davantage de produits alimentaires que de produits agricoles de base (figure 1.2, panneau B). Les pays à revenu intermédiaire des deux tranches exportent plus de produits alimentaires qu’ils n’en importent, ce qui témoigne, en moyenne là encore, d’une industrie de transformation bien développée et tournée vers l’exportation. Les exportations des pays à faible revenu se caractérisent par une plus large part de produits agricoles de base, car ces pays sont spécialisés dans la production de matières premières et leur secteur alimentaire est relativement moins développé.
L’orientation vers l’exportation varie nettement selon les pays. Alors que les pays des régions Europe et Asie centrale et Asie de l’Est et Pacifique commercent généralement avec d’autres pays de la même région, ceux des régions Asie du Sud, Amérique latine et Caraïbes, Afrique subsaharienne, Amérique du Nord, et Moyen-Orient et Afrique du Nord sont plus tournés vers des échanges mondiaux (voir l’encadré 1.1).
Selon les pays, les échanges peuvent avoir un caractère plutôt régional ou plutôt mondial, et cette orientation peut être plus ou moins marquée en fonction du secteur et du produit considérés (figure 1.3).
La majorité des produits agricoles de base ne sont pas échangés à l’intérieur de leur région de production, mais sont exportés vers d’autres régions. Approximativement 90 pour cent des exportations de produits agricoles de base à partir d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine et des Caraïbes se font à destination d’autres régions, où ils servent souvent d’intrants à l’industrie alimentaire (voir la deuxième partie). Ce n’est que dans les régions Asie de l’Est et Pacifique, et Europe et Asie centrale, que la majeure partie des exportations agricoles se font à l’intérieur de leur région d’origine.
Les échanges alimentaires, quant à eux, sont plus souvent intrarégionaux que ce n’est le cas pour les produits agricoles, ce qui indique que les usines de transformation agroalimentaire sont généralement situées près des consommateurs. La région Asie de l’Est et Pacifique est la seule où les exportations alimentaires intrarégionales sont à peu près équivalentes aux exportations intrarégionales de produits agricoles de base (60 pour cent). En Asie du Sud et dans la région Europe et Asie centrale, les parts du commerce intrarégional de produits alimentaires (10 pour cent et 75 pour cent respectivement) sont inférieures à celles des échanges intrarégionaux de produits agricoles de base (approximativement 15 pour cent pour l’Asie de l’Est et 90 pour cent pour la région Europe et Asie centrale).
La structure géographique générale est toutefois valable pour les deux secteurs. Certaines régions investissent fortement dans le commerce intrarégional (Asie de l’Est et Pacifique, et Europe et Asie centrale), tandis que d’autres tendent à exporter à l’échelle mondiale (Asie du Sud et Amérique latine et Caraïbes, par exemple).
Dans d’autres régions encore, on observe une différenciation beaucoup plus forte. Ainsi, l’Afrique subsaharienne exporte des produits agricoles de base vers d’autres régions, mais ses exportations intrarégionales de produits alimentaires sont bien plus importantes.
Dans les deux secteurs, alimentation et agriculture, la part des exportations intrarégionales dans le total des exportations a augmenté au fil du temps (1995-2018) dans quatre des sept régions (Asie du Sud, Afrique subsaharienne, Amérique du Nord, et Moyen-Orient et Afrique du Nord). Elle a diminué en revanche dans les régions Amérique latine et Caraïbes, Asie de l’Est, et Europe et Asie centrale.
En Amérique latine et dans les Caraïbes ainsi qu’en Afrique subsaharienne, la part des importations intrarégionales de produits agricoles de base est plus forte que celle des exportations intrarégionales, tandis que, dans les autres régions, l’approvisionnement en produits agricoles de base se fait davantage à l’échelle mondiale, comparé à la répartition régionale des exportations. Cela vaut également pour les importations alimentaires (à l’exception des régions Amérique latine et Caraïbes, et Europe et Asie centrale). Dans la plupart des régions, la part des importations intrarégionales a augmenté au fil du temps.
La croissance des échanges intrarégionaux et interrégionaux a toutefois été bien plus rapide au cours de la période 1995-2007 que sur la période 2008 2018, faisant écho au ralentissement général de la croissance du commerce agroalimentaire.
La mise en œuvre intégrale de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) devrait ouvrir de réelles possibilités d’accroître le commerce intracontinental, puisque les projections indiquent une hausse des échanges agroalimentaires comprise entre 20 et 30 pour cent à l’horizon 2040, par rapport à une valeur de référence sans la ZLECA (voir aussi l’encadré 2.6 sur le rôle des accords commerciaux régionaux)4,5.
Entre 1995 et 2018, les échanges ont augmenté pour tous les produits alimentairesb. La variation des exportations et des importations de tous les produits alimentaires a été relativement faible dans les pays à revenu élevé, mais les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont considérablement augmenté à la fois leurs exportations et leurs importations pour tous les agrégats alimentaires (figure 1.4, panneau A).
Si l’on part de la catégorie de revenu la plus basse, les agrégats pour lesquels les exportations des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont augmenté sont surtout les fruits et légumes (multipliées par quatre dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et par trois dans les pays à faible revenu); les aliments transformés (multipliées par trois dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et par six dans les pays à faible revenu); les produits laitiers et les œufs (multipliées par cinq environ dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire); et les graisses et huiles (multipliées par cinq environ dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et par trois dans les pays à faible revenu). Les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ont considérablement accru leurs exportations de produits laitiers et d’œufs ainsi que de céréales (multipliées par plus de cinq et quatre fois, respectivement, entre 1995 et 2018).
Suivant en cela la loi de Bennett – qui suggère qu’à mesure que leurs revenus augmentent les gens diminuent leur consommation de féculents au profit d’aliments plus riches en nutriments tels que viandes, huiles, sucres, fruits et légumes6 –, les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont considérablement augmenté leurs importations de produits de plus haute valeur, comme la viande et le poisson, les fruits et légumes, et les aliments transformés (figure 1.4, panneau B).
La décision d’un pays de faire commerce d’un aliment ou d’un autre dépend d’une multitude de facteurs, parmi lesquels de plus grandes facilités pour produire cet aliment et les préférences des consommateurs. En agriculture, la gamme de produits est souvent déterminée par les ressources disponibles et par les facteurs naturels tels que le climat. De nombreuses céréales, par exemple, sont principalement cultivées dans les zones tempérées, tandis que les climats plus chauds permettent de produire une grande variété de fruits et de légumes. Le commerce transfère des produits des régions excédentaires vers les régions déficitaires, ce que montrent les structures commerciales régionales. Lorsqu’un pays a davantage de facilités pour produire des céréales, ses exportations comprennent également une plus grande part de produits céréaliers. Si la situation d’un pays favorise la production de fruits et de légumes, ceux-ci occupent une plus large place dans les exportations nationales (figure 1.5). De même, les pays moins avantagés pour produire des céréales ou des fruits sont aussi plus dépendants à l’égard de l’importation de ces produits (figure 1.6).
Les structures commerciales qui naissent de ces différences d’avantage comparatif se retrouvent également à l’échelle nationale (figure 1.7). Le Brésil, par exemple, une économie émergente qui se classe dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et un grand exportateur de produits agricoles, a presque quadruplé ses exportations (en termes réels) depuis 1995. Cette progression a été particulièrement marquée pour les exportations de céréales, de viande et de poisson, et de sucre et de cacao. Dans le même temps, les importations du Brésil sont restées à peu près inchangées.
Le Viet Nam, un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, a augmenté à la fois ses exportations et ses importations depuis le début du siècle. Les agrégats alimentaires qui ont le plus progressé à l’exportation sont la viande et le poisson, et les fruits et légumes. Les importations de céréales et de fruits et légumes ont également augmenté (figure 1.7).
Le Népal, un pays enclavé à faible revenu, se caractérise par des conditions difficiles, peu propices à la production agricole, et par une faible intégration dans les marchés mondiaux, du fait principalement de sa situation géographique, dans l’Himalaya. Pourtant, depuis 1995, le Népal a lentement augmenté la valeur de ses exportations et changé leur composition (figure 1.7). Les graisses et les huiles formaient une large part des exportations à la fin des années 90, mais l’amélioration des capacités de transformation depuis le début du millénaire a contribué à un accroissement notable des exportations d’aliments transformés ainsi que de thé et d’épices. Les importations de produits alimentaires ont augmenté, d’un niveau presque négligeable en 1995 à plus de 1 milliard d’USD en 2018 (mesurées aux prix de 2015), et se composent principalement de céréales, de fruits et de légumes, et d’aliments transformés.
Autre pays enclavé à faible revenu, l’Ouganda présente une autre trajectoire de croissance commerciale. Le pays est l’un des 10 plus gros producteurs de café dans le monde et ce produit représente autour de 35 pour cent du total des exportations agroalimentaires ougandaises. Entre 1995 et 2018, outre une hausse de ses exportations de café, l’Ouganda a également réussi à augmenter de façon importante ses exportations de céréales, de sucre et de cacao, et de fruits et de légumes. Durant la même période, le pays a accru aussi ses importations de graisses et d’huiles, de céréales et d’aliments transformés (figure 1.7).
Les échanges internationaux donnent naissance à une économie mondialisée et, en reliant la demande et l’offre d’aliments à l’échelle planétaire, permettent aux pays de développer leurs marchés. En dehors des facteurs agroclimatiques, le volume et la composition des échanges d’un pays sont structurés par quatre grands déterminants étroitement liés qui décrivent aussi le développement économique: hausse des revenus; croissance et évolution démographiques; avancées technologiques; et action des pouvoirs publics.
La croissance et l’évolution démographiques ainsi que la hausse des revenus influent sur la demande globale de produits alimentaires et sur les modes d’alimentation, lesquels entraînent à leur tour des adaptations de la production, des marchés et des échanges, facilitées par la technologie. Le processus de mondialisation se caractérise par une ouverture croissante des marchés, favorisée par une diminution des obstacles découlant des politiques commerciales, mais aussi par le progrès technologique, qui entraîne une baisse des coûts de transport, une amélioration des communications et donc une augmentation de la commercialisation. Tous ces facteurs déterminants influent, simultanément et par différents canaux, sur l’offre, la demande et les échanges de produits alimentaires.
De façon générale, le commerce est influencé par les revenus, mais il peut aussi être l’un des déterminants de la croissance économique dans la mesure où il favorise les gains d’efficience et les retombées technologiques. La relation entre commerce et revenus est loin néanmoins de faire l’unanimité. Entre 1995 et 2018, c’est-à-dire une période caractérisée par une ouverture croissante des marchés et une intensification des échanges, la croissance des revenus dans les différents pays tend à montrer que la mondialisation ne sert que partiellement la convergence. Dans les pays à revenu intermédiaire des deux tranches, les taux de croissance des revenus ont été bien plus élevés que dans les pays à revenu élevé, ce qui indique que, sur la période 1995-2018, les premiers ont comblé une partie de leur retard sur les seconds. En revanche, les revenus n’ont crû que lentement dans les pays à faible revenu, ce qui suggère un défaut de convergence et un creusement des écarts.
La crise financière de 2008 aussi a eu des effets sur la croissance des revenus. Les pays à revenu élevé, où les systèmes financiers étaient plus endettés et l’expansion du crédit plus forte, ont été frappés de façon disproportionnée par la crise financière et ont subi de plus fortes révisions à la baisse de leur activité économique (figure 1.8, panneau A)7,8. Les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure aussi ont enregistré un ralentissement de la croissance des revenus entre 2008 et 2018, mais dans une nettement moindre mesure. En revanche, un ensemble plus large de pays en développement, des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure peu intégrés dans les marchés financiers mondiaux, a été moins touché par la crise de 20089. Pour l’essentiel, ces évolutions des revenus se retrouvent aussi dans les échanges agroalimentaires (voir la figure 1.1, panneau A).
Les grands changements socioéconomiques associés à la croissance des revenus s’accompagnent de transformations notables des modes de consommation alimentaire10 – un processus décrit sous l’appellation de «transition nutritionnelle». Aux premiers stades de cette transition, la croissance des revenus va de pair avec des niveaux d’apport alimentaire plus élevés et une moindre incidence de l’insécurité alimentaire11. Les régimes alimentaires sont alors peu diversifiés et comportent une proportion relativement importante de féculents. Suit un stade de croissance accélérée de la consommation calorique, qui s’accompagne d’une augmentation de l’apport en protéines et en vitamines et minéraux, l’ensemble pouvant se traduire par une amélioration de la nutrition et des résultats en matière de santé. Bien souvent, toutefois, cette évolution se fait en parallèle, ou est rapidement suivie, d’un changement de régime alimentaire qui fait une plus large place aux graisses, au sucre et aux aliments transformés, voire hautement transformés. Au dernier stade de la transition nutritionnelle, et tandis que les revenus progressent encore, la croissance de la consommation calorique par habitant ralentit et les régimes alimentaires évoluent vers des graisses de meilleure qualité, une part plus large faite aux fruits et légumes, et une augmentation de la consommation de céréales complètes. Pendant toute la transition nutritionnelle, la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages décroît à mesure que les revenus augmentent (conformément à la loi d’Engel)c.
La transition nutritionnelle se retrouve également dans la loi de Bennett, qui établit qu’à mesure que les gens s’enrichissent, ils délaissent les régimes où prédominent des féculents de base et adoptent une alimentation plus variée dans laquelle entre une gamme plus large de fruits, de légumes et de protéines d’origine animale6.
Les données agrégées font clairement écho aux stades de la transition nutritionnelle (figure 1.8, panneau B). Dans les pays à faible revenu, la hausse des revenus par habitant est associée à une hausse de la consommation calorique par habitant. Lorsque la croissance des revenus s’accélère, cet effet se renforce dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, l’effet tend déjà à se ralentir et, dans les pays à revenu élevé, la croissance des revenus n’est plus que faiblement associée à celle de la consommation calorique.
Les changements d’alimentation tels que décrits par la loi de Bennett peuvent aussi s’observer au niveau agrégé. De 1995 à 2017, à mesure que les revenus progressaient, la part des céréales a baissé dans la consommation alimentaire par habitant des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (figure 1.9, panneau supérieur). Quant aux pays à revenu élevé, ils semblent être parvenus au terme de la transition nutritionnelle, comme le montre leur consommation de céréales quasi inchangée.
En revanche, la part de l’apport en sucres dans l’alimentation quotidienne a augmenté de plus de la moitié dans les pays à faible revenu, à comparer aux 5 pour cent d’augmentation dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, quant à eux, affichent un léger recul de l’apport en sucres. La consommation de fruits et de légumes, de viande, et de graisses et d’huiles a augmenté dans tous les groupes de pays, et en particulier dans les pays à revenu intermédiaire des deux tranches. Les pays à faible revenu ont connu une forte hausse de la consommation de produits laitiers.
Des changements d’alimentation similaires ont été observés en Asie, parallèlement à une croissance économique, une urbanisation et une mondialisation rapides au cours de la période 1961-201112,13. Plus récemment, en Afrique subsaharienne, la croissance économique a déclenché des modifications de la consommation alimentaire: les céréales, les racines et les tubercules cèdent la place au poisson, à la viande, aux œufs, aux produits laitiers, aux fruits et aux légumes, et la consommation d’aliments plus transformés se généralise14.
Si, à ce niveau agrégé, l’évolution des habitudes de consommation tout au long de la transition nutritionnelle est évidente, au niveau national, on observe une plus grande hétérogénéité, car le changement d’alimentation dépend aussi des préférences, de la répartition des revenus et du niveau de développement (figure 1.9, panneau inférieur). Ainsi, dans des économies émergentes telles que le Brésil et dans de nombreux pays en développement, dont le Népal et le Viet Nam, la croissance des revenus a entraîné une baisse notable de la part des céréales dans la consommation alimentaire par habitant. En Ouganda, à l’inverse, la part des céréales dans la consommation alimentaire par habitant a augmenté; dans ce pays, en effet, contrairement aux autres pays de la région où le maïs prédomine dans l’alimentation humaine, les gens consomment des produits de base variés, parmi lesquels le manioc, la patate douce et la banane plantain. Dans les pays où la croissance économique est en pleine accélération, comme le Viet Nam, les changements d’alimentation sont plus rapides.
Les régimes alimentaires évoluent aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural14,15. Néanmoins, l’abandon des céréales au profit d’aliments plus caloriques est apparu plus marqué en milieu urbain, même si les zones rurales tendent à combler rapidement leur retard, poussées par la croissance des revenus et l’évolution des systèmes alimentaires15.
Les liens entre revenu moyen et consommation moyenne pourraient toutefois masquer des tendances importantes de la demande alimentaire, liées à la répartition des revenus et à celle des calories entre groupes de population aisés et pauvres.
En fait, il a été établi dans de nombreux pays en développement que l’émergence d’une classe moyenne constituait le facteur le plus important non seulement de la demande de produits alimentaires, mais aussi de sa composition, et que cela entraînait des changements dans les systèmes d’approvisionnement correspondants (voir l’encadré 1.4 sur l’intégration verticale)14,16,17,18.
Ainsi, en Afrique, l’essor d’une classe moyenne urbaine s’est traduit par une hausse de l’apport calorique global et une plus forte demande d’aliments transformés, de viande, de fruits et de légumes14,16. Les consommateurs de la classe moyenne font aussi plus fréquemment leurs courses au supermarché, ou dans d’autres types de magasins de proximité, et dépensent une plus grande part de leur revenu dans des repas pris à l’extérieur du foyer10,16.
Les changements d’alimentation favorisés par la hausse des revenus ont aussi une incidence sur les échanges. La consommation accrue de viande et de poisson, de fruits et de légumes, et d’aliments transformés se retrouve dans l’augmentation des importations de ces produits, surtout dans les économies émergentes et les pays en développement (voir la figure 1.4, panneau B).
Au moment de la rédaction du présent rapport, l’épidémie de covid-19 frappait les chaînes de valeur agroalimentaires, les revenus et la demande de produits alimentaires à l’échelle mondiale. La propagation rapide de ce nouveau coronavirus au cours de l’hiver 2019-2020 a contraint les décideurs publics du monde entier à faire des choix difficiles. À mesure que de nombreux pays mettaient en place les pratiques de distanciation sociale qui s’imposaient face à la pandémie, une crise sans précédent et multiforme s’est amorcée.
Nombre de pays ont dû faire face à des problèmes multiples touchant à la santé, à l’économie et à la sécurité alimentaire, qui interagissaient de façon complexe19. La menace que la covid-19 représente pour la sécurité alimentaire, du fait des pertes de revenus, est un sujet de préoccupation majeur car elle pourrait compromettre les progrès réalisés ces dernières décennies dans la réduction de la prévalence de la sous-alimentation. L’encadré 1.2 examine les effets immédiats de la pandémie sur les échanges, les chaînes de valeur et la sécurité alimentaire dans le monde.
Les mesures prises pour faire face à la pandémie de covid-19 touchent inévitablement toutes les activités économiques. En avril 2020, l’OMC laissait entendre que les échanges mondiaux de marchandises pourraient chuter de 13 à 32 pour cent en raison de la désorganisation des activités économiques provoquée par cette pandémie.
En matière d’agriculture et d’alimentation, ce sont la production primaire, la transformation, les échanges, la logistique (nationale et internationale) et la demande finale qui sont touchés. Les conséquences de la propagation de la covid-19 frappent les marchés alimentaires nationaux et internationaux, les revenus et l’emploi, et la sécurité alimentaire et la nutrition à l’échelle mondiale.
INCIDENCES SUR LES CHAÎNES DE VALEUR ET LE COMMERCE INTERNATIONAL ALIMENTAIRES
Au moment où nous rédigions le présent rapport, les restrictions de circulation et les fermetures partielles de frontières mises en place un peu partout dans le monde pour contenir la pandémie avaient déjà une incidence sur la logistique des chaînes de valeur alimentaires, perturbant le flux d’intrants et de produits agricoles et la fourniture des services afférents à ce secteur. Ces perturbations avaient des effets préjudiciables sur la production et la qualité des aliments ainsi que sur leur fraîcheur et leur sécurité sanitaire, et entravaient la distribution de produits alimentaires au niveau du commerce de gros et de détail. L’efficacité de la logistique est essentielle pour le secteur agroalimentaire, en particulier en temps de crise. Puisant dans l’expérience de Wuhan, en République populaire de Chine, les pouvoirs publics peuvent mettre en place des «voies vertes», pour relier les zones de production aux foyers épidémiques urbains, en éliminant les obstacles et les restrictions logistiques pour accélérer la livraison des denrées périssables et des aliments nutritifs aux populations touchées (voir www.fao.org/policy-support/coronavirus-pandemic/en/).
Dans le cas des cultures nécessitant une main-d’œuvre abondante, comme les fruits et les légumes, les restrictions de circulation pourraient entraîner des pénuries de main-d’œuvre, d’autant que la fermeture des frontières a stoppé l’arrivée de travailleurs migrants saisonniers. En raison de leur nature périssable, les fruits et les légumes sont particulièrement vulnérables aux perturbations de la chaîne de valeur. Les États ont instauré des dispositifs pour suppléer à l’absence de travailleurs migrants, ce qui met en lumière la difficulté de l’agriculture à maintenir le fonctionnement des filières. Ainsi, au Royaume-Uni de Grande- Bretagne et d’Irlande du Nord, la campagne Pick for Britain (cueillir pour le pays) (https://pickforbritain.org.uk) a été lancée pour mettre en relation des travailleurs potentiels et des employeurs et préserver l’approvisionnement en fruits et en légumes. Par ailleurs, les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes selon que l’on mange chez soi, au restaurant ou au café; la fermeture de ces établissements a donc réduit la demande d’une série d’aliments, mettant les agriculteurs et les distributeurs dans une situation financière difficile.
Dans le monde en développement, les chaînes de valeur sont généralement plus fragiles et plus sensibles aux perturbations que dans les pays développés. L’agriculture des régions en développement repose moins sur les intrants, mais plus sur la main-d’œuvre, aussi les effets des restrictions de circulation peuvent-ils se faire davantage sentir. Au moment de la rédaction du présent rapport, le virus ne s’était pas encore propagé largement dans les pays où l’insécurité alimentaire est omniprésente, particulièrement en Afrique subsaharienne. Si cela devait arriver, il est probable que l’épidémie aurait des effets similaires à ceux qu’ont produit les précédentes crises d’origine épidémique, comme celle provoquée par le virus Ebola, qui a entraîné des réductions considérables de récolte, une hausse brutale des prix des produits alimentaires et une aggravation de l’insécurité alimentaire.
Malgré les incertitudes causées par la propagation rapide de la covid-19 sur la planète, les marchés alimentaires mondiaux n’ont rien perdu de leur équilibre. Les stocks de céréales devraient atteindre leur troisième plus haut niveau lors de la campagne 2020-2021, et les disponibilités exportables de riz et de soja sont suffisantes pour répondre à la demande prévue. En mai 2020, la FAO a annoncé que les prix mondiaux des produits alimentaires de base étaient en baisse pour le troisième mois consécutif, en raison de la contraction de la demande de nombreux produits due aux effets économiques et logistiques de la pandémie de covid-19 (voir www.fao.org/news/story/fr/item/1274114/icode/). L’acceptation des lignes directrices internationales relatives à la sécurité des déplacements et aux corridors commerciaux peut contribuer à maintenir l’activité des chaînes d’approvisionnement, atténuer la désorganisation de l’offre alimentaire et favoriser la sécurité alimentaire.
Durant la rédaction du présent rapport, certains pays ont temporairement assoupli la réglementation technique applicable aux importations de certains produits alimentaires afin de garantir la disponibilité de ces aliments sans compromettre leur sécurité sanitaire. Ainsi, l’Indonésie a temporairement suspendu ses exigences en matière d’enrichissement et de qualité des produits de base (farine, huile de cuisine, sucre) et la Suisse a assoupli les obligations d’étiquetage des produits alimentaires pour six mois afin de faciliter l’importation de certains ingrédients alimentaires et matériaux d’emballage qui étaient menacés de pénurie en raison de la pandémie. Des restrictions, également temporaires, ont été imposées pour l’importation d’animaux vivants et de produits d’origine animale particuliers, surtout en provenance de zones fortement touchées.
INCIDENCES SUR L’ACCÈS À LA NOURRITURE
À mesure que l’activité économique ralentit, on s’attend à ce que le chômage et les baisses de revenu aient des effets préjudiciables sur l’accès à la nourriture. Ces incidences peuvent être immédiates pour ceux qui travaillent dans des secteurs directement touchés par les restrictions liées à la distanciation sociale. Les travailleurs des secteurs à bas salaires et des secteurs informels sont particulièrement exposés aux pertes de revenus dues à la pandémie.
Bien que la demande soit inélastique par rapport au revenu, il existe des différences marquées entre pays à haut revenu et pays à faible revenu, et à l’intérieur d’un même pays. L’étendue des effets de la pandémie sur la consommation alimentaire dépend certes de nombreux facteurs, dont le fait que les ménages disposent ou non d’une épargne, mais les pauvres sont immédiatement exposés à l’insécurité alimentaire et seront aussi les plus touchés à moyen terme. En plus des dégâts sur la sécurité alimentaire en général, on s’attend à ce que la qualité de l’alimentation des pauvres baisse, car les aliments à haute valeur nutritionnelle sont souvent aussi les plus chers (produits laitiers, fruits, légumes, œufs, poisson et viande).
Les pouvoirs publics ont agi pour renforcer les filets de sécurité alimentaire et les mécanismes de protection sociale, afin de maintenir l’accès à la nourriture. Des mesures gouvernementales spécifiques pourraient aussi pallier les conséquences des baisses de revenu au moyen de subventions, d’allègements fiscaux et de transferts au bénéfice des personnes touchées. Ces mesures sont indispensables si l’on veut préserver les progrès réalisés en matière de réduction de l’insécurité alimentaire au cours des dernières décennies. Il reste à observer, une fois l’activité économique quelque peu rétablie, quelles vont être les répercussions de cette chute brusque des revenus et de l’interruption subite de la croissance économique sur la demande de produits alimentaires, et en particulier sur celle des produits de plus haute valeur.
SOURCES: Repris des contributions de la FAO, de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) et de la Banque mondiale à la conférence du Forum économique mondial sur le thème «COVID-19, Trade & Food: Challenges, Scenarios & Recommendations», 18 avril 2020; Torero. 2020; Communiqué de presse 855 de l’OMC; FAO. 2020; FAO. 7 mai 2020; The Economist. 8 mai 2020; Financial Times. 20 avril 2020; Orfanos et al. 2017; Binkley. 2019; et OMC. 202020,21,22,23,24,25,26,27,28.
L’interaction entre croissance et évolution démographiques agit fortement sur la demande, les échanges et les marchés alimentaires. Si l’accroissement de la population détermine la demande et les échanges en volume de produits alimentaires, l’évolution de la démographie, quant à elle, modifie leur composition.
La croissance démographique est associée à une augmentation des échanges entre pays. Si elle ne se fait pas au même rythme dans toutes les régions, il est probable que les échanges permettront de faire circuler les aliments, des régions où la population croît plus lentement vers celles où la croissance est plus rapide. Ainsi une croissance démographique forte dans des pays où la productivité agricole par habitant est basse, et qui peuvent de surcroît subir les effets préjudiciables du changement climatique, conduira ces pays à accroître leurs importations. Les tendances démographiques à long terme montrent une forte croissance en Asie; même si celle-ci a commencé à se ralentir, les projections indiquent que la population devrait culminer à 5,3 milliards d’habitants aux environs de 2050 (figure 1.10, panneau A). Toujours d’après les projections, la population devrait continuer de croître fortement en Afrique, jusqu’à atteindre 2,5 milliards de personnes en 2050, un défi considérable pour l’agriculture. Les populations d’Amérique latine et des Caraïbes, d’Amérique du Nord et d’Océanie devraient croître lentement, tandis qu’il est probable que les populations d’Europe diminueront d’ici à 2050.
L’urbanisation est associée à des changements considérables des styles de vie et constitue un déterminant essentiel de l’évolution des modes d’alimentation et de la transformation des systèmes alimentaires. À mesure que les sociétés s’urbanisent et que les consommateurs s’éloignent des lieux de production agricole primaire, la demande de produits alimentaires faciles à stocker et à transporter grandit, d’où une intensification de la transformation des aliments29. De façon générale, les consommateurs urbains disposent aussi de revenus plus confortables, ce qui renforce la demande d’une plus large variété d’aliments. Leur style de vie leur laisse moins de temps à consacrer à la préparation des repas, d’où une plus forte consommation d’aliments transformés et un plus grand nombre de repas pris à l’extérieur du foyer30.
L’urbanisation est également liée à de meilleurs moyens de transport ainsi qu’à la possession de son propre véhicule, à l’accès à des moyens de réfrigération et à l’exposition à la publicité17. Tout cela favorise l’accès à des circuits de distribution alimentaire nouveaux et évolutifs, et renforce la demande de produits de plus haute valeur, notamment des fruits, des légumes et des produits transformés. En Afrique, par exemple, le fait de posséder une voiture accroît considérablement les achats effectués dans les supermarchés, qui stockent et vendent généralement des produits relativement plus transformés16.
Alors que les populations d’Amérique du Nord, d’Amérique latine et des Caraïbes, et d’Europe et d’Asie centrale étaient déjà largement urbanisées (figure 1.10, panneau B), les taux d’urbanisation de l’Asie de l’Est et du Pacifique ont connu une croissance rapide entre 1995 et 2018. La part de la population urbaine a augmenté également dans les régions plus rurales de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud, mais à un rythme plus mesuré. L’urbanisation progresse plus vite dans les pays en développement que cela n’a été le cas aux États-Unis d’Amérique et en Europe, par exemple. Il a fallu neuf décennies pour que la part des urbains dans la population totale passe de 40 à 75 pour cent aux États-Unis d’Amérique, et seulement trois pour que ce seuil soit dépassé au Brésil et en République de Corée17.
Le progrès technologique a amené des améliorations dans les infrastructures et la logistique et abaissé les coûts de transport en conséquence. Il a également contribué à réduire les coûts de communication, ce qui influe sur les échanges et favorise une intégration mondiale des chaînes de valeur. En aidant à réduire les défauts d’efficience des chaînes de valeur, le progrès technologique pourrait aussi favoriser l’obtention de résultats plus durables dans les systèmes alimentaires31,32.
En moyenne, le coût des échanges – déterminé par les coûts de transport et les changements dans les mesures commerciales – a baissé, que ce soit pour les produits manufacturés33 ou agricoles (voir la figure 1.11, panneau A). Dans le monde en développement, les améliorations apportées aux infrastructures de transport ont entraîné une baisse du coût des échanges, mais souvent à un rythme plus lent que la moyenne mondiale33. Ainsi, entre 1995 et 2015, en Afrique subsaharienne, le coût des échanges de produits agricoles a diminué de 11 pour cent, contre 33 pour cent dans la région Europe et Asie centraled.
L’incidence du coût des échanges sur le commerce agricole peut être importante. Une étude qui analysait l’effet sur le commerce des produits agricoles du coût global des échanges – y compris les coûts liés aux obstacles tarifaires et non tarifaires, au fret, à l’information, au change et aux procédures légales et réglementaires – a établi qu’une baisse de 1 pour cent de ce coût agrégé permettrait d’accroître les volumes mondiaux échangés de 2 à 2,5 pour cent34.
En outre, le progrès technologique a révolutionné les communications en en réduisant le coût et en facilitant les échanges (voir aussi la quatrième partie pour une analyse plus approfondie des effets des technologies numériques sur les marchés). Ainsi, l’analyse de l’incidence du coût des communications sur les échanges bilatéraux laisse entendre que le fait de diviser par deux le prix des appels de l’importateur entraîne une augmentation de 42,5 pour cent des échanges bilatéraux agrégés31. On a montré que les effets de cette nature étaient plus importants d’un tiers pour des produits différenciés – qui nécessitent une meilleure information et une plus grande coordination entre négociants – que pour des produits homogènes.
De fait, les améliorations des technologies numériques et la baisse connexe du coût des communications sont considérées comme un déterminant essentiel des chaînes de valeur mondiales, car elles rendent possible la coordination entre différents stades de production dans différents lieux géographiques35.
Internet aussi influence considérablement les échanges, en permettant aux entreprises de communiquer sur leurs produits et de les commercialiser au niveau international à moindre coût. Depuis les années 90, le niveau d’utilisation d’internet a augmenté de façon spectaculaire – on estime aujourd’hui que 54 pour cent environ de la population mondiale a accès à ce réseau (voir la quatrième partie). On observe par ailleurs que les taux plus élevés d’utilisation d’internet ont aussi des effets positifs sur le commerce – en moyenne, une progression de 10 pour cent de l’utilisation d’internet par les exportateurs peut entraîner une augmentation de près de 2 pour cent des exportations bilatérales36.
On constate que cet effet varie nettement selon que cette meilleure utilisation d’internet est le fait des importateurs ou des exportateurs. Quoi qu’il en soit, un taux élevé d’utilisation par les deux partenaires commerciaux peut donner des augmentations significatives du volume échangé, mais aussi de l’éventail de produits échangés, car en améliorant la communication on peut aussi améliorer la mise en relation.
Le coût de l’accès haut débit fixe à internet était déjà bas dans les régions développées, mais il a aussi considérablement baissé dans les pays en développement entre 2008 et 2017, contribuant ainsi à réduire la fracture numérique à l’échelle mondiale (figure 1.11, panneau B). Cela étant, si l’accès à internet est important pour le commerce international, la qualité de cet accès – bande passante et vitesse de transmission – est cruciale. Une étude sur les effets relatifs des abonnements internet (marquant le niveau d’utilisation de ce réseau) et de la largeur de bande (marquant la qualité) indique qu’une augmentation de 1 pour cent du débit moyen par abonnement entraîne un accroissement de 0,5 pour cent des échanges bilatéraux, tandis que la même augmentation des taux d’abonnement permet un accroissement des échanges de 0,3 pour cent38. Un effet aussi différencié souligne la nécessité de se concentrer sur une amélioration de la qualité des infrastructures numériques dans le monde en développement, où la vitesse de bande passante peut varier selon les pays et les abonnements.
La baisse du coût des échanges s’explique également par l’évolution des politiques commerciales. Le mouvement d’ouverture au commerce amorcé par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et la création de l’OMC en 1995, mais aussi la multiplication des accords commerciaux régionaux ont fait baisser les tarifs douaniers et ont réduit le soutien interne ayant un effet de distorsion sur les échanges, et ont amélioré la reconnaissance mutuelle des mesures non tarifaires.
Les tarifs douaniers appliqués à l’importation de produits alimentaires et agricoles ont diminué régulièrement dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, d’une moyenne de 17 pour cent environ en 1995 à 10 pour cent environ en 2018 (figure 1.12, panneau A). Dans les pays à revenu élevé, la moyenne des droits sur les produits agricoles est passée de 9 pour cent en 1995 à 6 pour cent en 2018e.
Les tarifs douaniers peuvent varier dans une large mesure selon les produits alimentaires et agricoles (figure 1.12, panneau B). Dans les pays à revenu élevé, la moyenne des tarifs appliqués est relativement basse sur le café et le thé, les graisses et les huiles, et les fruits et légumes. En revanche, toujours en moyenne, ces mêmes pays imposent des droits beaucoup plus élevés sur les importations de céréales, de produits laitiers et d’œufs. Les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire appliquent en moyenne des tarifs douaniers bien plus élevés. Les droits les plus élevés sont imposés sur les importations d’aliments transformés, suivies des importations de sucre et de cacao ainsi que de produits laitiers et d’œufs. Les droits appliqués aux importations de fruits et légumes, et de viande et de poisson, sont également relativement élevés dans ces pays. Les tarifs les plus faibles sont appliqués aux céréales.
Alors que les effets des technologies numériques sur le commerce ont conduit de nombreux observateurs à laisser entendre que, dans l’environnement actuel, les politiques commerciales seraient relativement accessoires, une analyse récente indique que les tarifs douaniers ont une réelle importance, surtout dans le contexte des chaînes de valeur mondiales39. Une production fragmentée et coordonnée verticalement entre différents pays est souvent perçue comme le résultat du progrès technologique. Or, les baisses de tarifs douaniers ont une forte influence sur l’émergence de chaînes de valeur mondiales, car elles réduisent considérablement le coût commercial des produits qui traversent plusieurs frontières au cours de leur processus de production40.
Si les baisses de tarifs douaniers ont largement contribué à diminuer le coût des échanges et à stimuler le commerce agroalimentaire, il n’en reste pas moins vrai que les échanges sont aussi régis par une myriade de mesures non tarifaires. Dans le cas de l’agriculture, ces mesures comprennent des obstacles techniques au commerce, qui traduisent les règlements et normes techniques, et des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), qui veillent à la sécurité sanitaire des aliments41,42.
De fait, les mesures non tarifaires sont bien plus importantes pour l’agriculture que pour la plupart des autres secteurs, et leurs effets sur les échanges peuvent être beaucoup plus sensibles que ceux des droits de douane43. Quant aux mesures SPS, elles sont généralement plus strictes dans les pays à revenu élevé que dans les autres catégories de pays44. Il reste que les effets des mesures non tarifaires sur le commerce sont parfois contradictoires; ainsi les normes alimentaires peuvent développer ou entraver les échanges, selon les mesures elles-mêmes et selon les produits et les pays concernés44,45,46.
La progression des exportations de produits de grande valeur, comme les fruits et les légumes, en provenance de pays en développement est allée de pair avec une attention croissante prêtée aux normes de sécurité sanitaire des aliments – des mesures SPS le plus souvent – sur les marchés des économies développées47,48. Un grand nombre de ces normes ont été imposées initialement pour satisfaire aux exigences de marchés d’importation lucratifs, mais la sensibilisation des consommateurs à cette question d’innocuité alimentaire a ensuite pris de l’ampleur dans les pays en développement48,49. Ainsi, la sécurité sanitaire des aliments a été reconnue comme étant la caractéristique de durabilité la plus importante pour les consommateurs de riz au Nigéria50 et elle est devenue une question sociétale très scrutée au Viet Nam51.
Les normes alimentaires peuvent être publiques ou privées. Les autorités imposent par exemple aux pesticides des limites maximales de résidus qui représentent les niveaux de résidus de pesticide les plus élevés qui sont légalement tolérés dans les aliments. Pour réduire autant que possible les obstacles au commerce qui pourraient naître de réglementations nationales divergentes, des organes mondiaux de normalisation, tels que le Codex Alimentarius, programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires, s’emploient à harmoniser ces normes au niveau international (voir l’encadré 1.3).
Les États établissent des normes alimentaires pour protéger la santé publique et veiller à ce que les aliments soient sûrs et respectent des règles de qualité et d’étiquetage. Sur une planète mondialisée, les dangers menaçant la sécurité sanitaire des aliments peuvent se propager rapidement d’un pays à un autre par le truchement des produits agricoles et alimentaires à tous les stades d’une chaîne de valeur.
Comme de nombreux pays ont élaboré leurs lois et règlements applicables à l’alimentation de façon indépendante, il est fréquent que les solutions adoptées pour veiller à l’innocuité des aliments et au respect des attentes de qualité diffèrent. Cette diversité réglementaire complique les échanges alimentaires internationaux. À l’inverse, le recours à des normes alimentaires reconnues à l’échelle mondiale contribue à protéger les consommateurs tout en réduisant les coûts commerciaux grâce à une transparence et une efficience plus grandes des échanges, qui facilitent une circulation fluide des produits d’un marché à un autre.
Aussi bien l’Accord relatif à l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS) que l’Accord relatif aux obstacles techniques au commerce (Accord OTC) (voir la deuxième partie) encouragent fermement les membres de l’OMC à faire reposer leurs mesures nationales sur un socle de normes, de directives et de recommandations internationales. L’Accord SPS reconnaît explicitement trois organismes internationaux de normalisation, œuvrant dans trois domaines différents: la Commission FAO/OMS du Codex Alimentarius, pour les normes relatives à la sécurité sanitaire des aliments; l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), pour les normes relatives à la santé animale et les maladies susceptibles de se transmettre des animaux aux humains (zoonoses); et la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV), pour les normes relatives à la santé des végétaux.
La Commission du Codex Alimentarius a été créée par la FAO et l’OMS en 1963, dans le cadre du Programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires, et constitue le point de référence international le plus important en matière de normes alimentaires. Avec l’OMC, cet organe fournit le cadre institutionnel qui régit l’élaboration et l’application des normes internationales de sécurité sanitaire des aliments, de sorte que les aliments soient sûrs, qu’ils possèdent le niveau de qualité attendu et qu’ils puissent être échangés en toute équité.
Le Codex Alimentarius est un recueil de normes, de directives et de codes de pratique internationaux harmonisés dans le domaine de l’alimentation, fondés sur une évaluation des risques menée à l’échelle internationale et de façon indépendante. Les textes du Codex sont rédigés à partir des apports conjoints d’experts indépendants et avec la participation des 188 membres, lesquels représentent 99 pour cent de la population mondiale. Les dispositions du Codex Alimentarius couvrent tout le spectre de la sécurité sanitaire des aliments, notamment l’hygiène alimentaire, les additifs alimentaires, les résidus de pesticides et de médicaments vétérinaires, les contaminants, l’étiquetage et les valeurs nutritionnelles de référence, les méthodes d’analyse et d’échantillonnage, et l’inspection et la certification des importations et des exportations.
SOURCES: Adapté de FAO et OMC. 2017; et OMS et FAO. 201841,53.
De nombreuses mesures sont mises en application par le truchement de normes publiques, mais le développement des chaînes de valeur mondialisées a également abouti à une prolifération des normes privées. Celles-ci portent sur les caractéristiques des produits, telles que les catégories de qualité commerciale, les limites de résidus, la traçabilité et la stratégie d’image, et sur celles des procédés, comme la production biologique et le bien-être animal42.
Les normes privées viennent souvent en complément des règlements publics, en visant des caractéristiques de durabilité, par exemple, telles que la protection de l’environnement ou le caractère éthique de l’approvisionnement. Il arrive aussi que les normes privées comblent un vide réglementaire ou durcissent encore les conditions imposées par la réglementation nationale. C’est souvent le cas en matière de normes de sécurité sanitaire et de qualité des aliments, surtout lorsque de grands distributeurs exigent qu’un produit présente un certain niveau de qualité, et ce de façon constante et fiable. Les normes privées peuvent alors finir par faire obstacle à la participation aux chaînes de valeur mondiales des agriculteurs et des entreprises de transformation qui peinent à s’y conformer42,52. Les normes et les systèmes de certification de la durabilité sont également étudiés sous l’angle des chaînes de valeur mondiales dans la deuxième partie, de l’intégration des petits exploitants dans la troisième partie et des technologies numériques appliquées à la traçabilité dans la quatrième partie.
L’entrée en vigueur, en 2017, de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’OMC, qui vise à simplifier et harmoniser les procédures douanières et les processus d’exportation et d’importation, est une nouvelle étape de réduction du coût des échanges (voir l’encadré 2.6 de la deuxième partie).
Les évolutions à l’origine des changements dans la structure des échanges et les habitudes alimentaires amènent également de profondes transformations des marchés et des chaînes de valeur alimentaires. L’urbanisation, en particulier, accentue les changements d’alimentation amorcés par la hausse des revenus et accélère les mutations dans les chaînes de valeur alimentaires et le secteur du commerce de détail.
À mesure que les gens migrent vers les villes et que les consommateurs s’éloignent des lieux de production des aliments, le commerce alimentaire de détail gagne en importance. L’évolution de ce commerce a commencé dès le début du XXe siècle en milieu urbain, et elle est de plus en plus sensible en milieu rural également54. Pendant longtemps, la vente au détail s’est pratiquée sur des étals installés en plein air (dans des marchés traditionnels ou au bord des routes) et dans de petits magasins indépendants, comme des épiceries et des kiosques locaux16,54. Les supermarchés ont fait leur apparition dans les années 20-40, aux États-Unis d’Amérique et en Europe de l’Ouest, puis dans les années 80-90 dans de nombreux pays en développement.
Initialement, ces magasins ne proposaient que des produits d’épicerie sèche, mais, après que les achats et le stockage se sont améliorés, ils sont également entrés sur les marchés d’aliments périssables. Leur capacité à offrir une grande diversité de produits grâce aux économies de gamme a permis aux supermarchés de s’emparer de presque tout le commerce de détail dans les pays développés et d’en acquérir une part rapidement croissante dans les pays en développement54.
En 2018, le chiffre d’affaires des principales chaînes de supermarchés avait été multiplié par deux à six dans les pays d’Asie ainsi qu’en Amérique latine et aux Caraïbes, des régions où les ventes en supermarché étaient déjà relativement élevées en 2002. Certains pays dans lesquels ce type de magasins n’était pourtant apparu qu’autour du début du XXIe siècle ont rapporté que leurs ventes avaient plus que décuplé55.
Une enquête auprès de 475 ménages urbains de Lusaka, la capitale de la Zambie, montre que les consommateurs se fournissent à la fois chez des détaillants traditionnels et auprès de différents distributeurs modernes. Quelque 73 pour cent des ménages se rendent dans des supermarchés, le recours à ces détaillants modernes augmentant considérablement entre le groupe de population au niveau de revenu le plus bas et celui au niveau le plus élevé. Les marchés traditionnels de produits frais aussi sont fréquentés par 73 pour cent des ménages, mais cette fois on ne note presque aucune différence entre les groupes de population classés par niveau de revenu. La fréquentation des épiceries et des marchés situés sur le bord des routes, en revanche, diminue à mesure que les revenus du ménage augmentent. Les ménages se rendent généralement dans les commerces de détail modernes une fois par semaine pour y faire un volume d’achats important, tandis qu’ils vont chez les détaillants traditionnels, comme ceux des marchés de plein air, mais aussi dans les plus petites épiceries, les marchés de bord de route et les kiosques locaux plusieurs fois par semaine pour compléter leurs achats alimentaires. Dans cette enquête, en moyenne, 42 pour cent environ des dépenses alimentaires des ménages sont consacrées à des achats effectués dans la grande distribution moderne16.
Si l’urbanisation est le principal déterminant, de nombreux autres facteurs façonnent les changements enregistrés dans le secteur du commerce alimentaire de détail. Au Ghana, un inventaire des supermarchés et des produits transformés, mené dans huit centres urbains majeurs, n’a fait apparaître qu’une modeste croissance des supermarchés, malgré une urbanisation rapide et des revenus des ménages en hausse56. Sur un échantillon de 42 pays à tous les stades de développement, on a observé que la part des supermarchés augmentait également avec le niveau de revenu, l’ouverture à l’investissement étranger direct entrant et la participation d’une main-d’œuvre féminine57.
L’investissement étranger direct (IED) dans le commerce de détail, la transformation des produits alimentaires, les restaurants et les chaînes de restauration rapide a augmenté rapidement depuis les années 80. Les fonds proviennent principalement d’entreprises agroalimentaires multinationales ciblant les marchés des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire. De fait, l’IED s’est révélé plus efficace que le commerce pour générer des ventes d’aliments transformés dans ces pays58.
Attirés par une croissance démographique rapide et des marchés de détail moins développés, les investissements des détaillants de produits d’épicerie européens en Asie de l’Est, par exemple, ont atteint un pic vers la fin des années 90. Cependant, cette phase initiale intense d’investissement dans la région a été suivie d’une phase de désengagement. Alourdissement de la réglementation sur ces nouveaux marchés, compétition locale croissante et réévaluations des activités mondiales opérées au niveau des entreprises, la plupart de ces détaillants se sont aujourd’hui désengagés de certains marchés, voire ont quitté la région. La plupart des sorties ont entraîné l’acquisition de l’activité par un opérateur local ou régional, tandis que d’autres faisaient l’objet d’un transfert entre détaillants de pays développés59.
Au début du siècle, le commerce électronique a commencé à se développer, amplifiant la transformation du secteur du commerce alimentaire de détail10. Les géants du commerce en ligne, comme Amazon et Alibaba, ont combiné et étendu les avantages des économies d’échelle et de gamme que les supermarchés avaient eus jusque-là sur les magasins de vente au détail traditionnels. À la différence des supermarchés à leur époque toutefois, les entreprises de commerce électronique ont réduit les coûts de transaction des consommateurs en leur permettant de commander en ligne et de se faire livrer les produits à leur domicile.
L’inconvénient majeur du commerce en ligne est que les consommateurs n’ont aucune possibilité de voir directement les produits alimentaires. Récemment, les chaînes de supermarchés ont commencé à proposer des services de commerce en ligne et de livraison à domicile, tirant parti du fait que les consommateurs sont familiarisés avec leurs produits, les ayant vus lors de précédents passages en magasin. Dans le même temps, les entreprises de commerce en ligne ont commencé à conclure des alliances stratégiques visant à associer des supermarchés à leurs plateformes ou à ajouter des points de vente physiques à leur portefeuille: acquisition de Whole Foods par Amazon et association d’Alibaba avec les chaînes Auchan et RT Mart en République populaire de Chine54. Dans les pays asiatiques particulièrement, comme en République populaire de Chine, au Japon et en République de Corée, on observe un essor phénoménal du commerce en ligne associant épicerie et livraison de repas60,61.
Cependant, s’il est vrai que le commerce alimentaire en ligne croît rapidement, il demeure peu important à l’échelle mondiale, les États-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine enregistrant la croissance la plus forte62,63,64. Il est difficile d’évaluer la pénétration des marchés alimentaires par le commerce électronique, du fait d’un manque de données détaillées, mais les évaluations disponibles indiquent que la part de cette forme de commerce dans les ventes d’aliments et de boissons est inférieure à 1 pour cent du total des dépenses alimentaires en Asie, en Europe et en Amérique du Nord. Ce résultat contraste avec le taux de pénétration du commerce électronique pour les autres biens, qui est de 80 pour cent en moyenne aux États-Unis d’Amérique et de près de 60 pour cent en République populaire de Chine63. Jusqu’ici, le volume relativement important des produits alimentaires, leur prix unitaire comparativement faible et le défi logistique que représente le maintien de la chaîne du froid ont empêché que cette catégorie de produits ne prenne de l’importance dans la vente en ligne10,62. Ces facteurs devraient freiner une plus forte croissance de la part de marché du commerce électronique alimentaire, et les supermarchés (ainsi que les magasins organisés sur ce modèle) devraient continuer d’occuper une place prépondérante et, surtout en Afrique, de s’étendre.
La transformation du commerce alimentaire de détail s’est accompagnée de changements dans le secteur des services alimentaires, comme le recul des petits restaurants indépendants au profit des établissements de restauration rapide et des chaînes de cafés. Comme pour les supermarchés, la transformation des services alimentaires a été beaucoup plus rapide dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire que dans les pays à revenu élevé qui avaient ouvert la voie. Si les innovations de produit et de procédé sont apparues initialement dans les pays à revenu élevé, elles se sont ensuite diffusées aisément, au fil des IED des entreprises multinationales en quête de nouveaux marchés lucratifs. Des chaînes locales de services alimentaires sont apparues et se sont multipliées pour répondre aux besoins des consommateurs à faible revenu et investir les marchés créés par l’émergence d’une classe moyenne. Aux États-Unis d’Amérique, les aliments achetés en vue d’une consommation hors domicile représentaient 17 pour cent des calories ingérées en 1977 et 34 pour cent en 201165,66. En Asie, le chiffre d’affaires brut des principales entreprises multinationales de services alimentaires a triplé au cours de la période 2008-201855.
La croissance économique, l’urbanisation, le progrès technologique et la mondialisation déterminent les changements d’alimentation et influent sur la production agricole. Des consommateurs plus à l’aise financièrement et une demande croissante d’aliments transformés et d’aliments de meilleure qualité accélèrent l’évolution des secteurs du commerce de détail et de la distribution, ainsi que de l’industrie alimentaire. Ces tendances conduisent à demander aux agriculteurs une production plus normalisée, de plus haute qualité et en plus grande quantité.
Au fil du développement, la transformation s’opère généralement en trois étapes, sous l’impulsion des entreprises privées qui cherchent à réaliser des profits au moyen d’innovations, en s’appuyant sur de nouvelles technologies, de nouvelles pratiques commerciales et de nouveaux produits55,67,68. Au stade initial de la transformation, les chaînes de valeur traditionnelles sont courtes, les agriculteurs vendant souvent leurs produits directement au consommateur final ou à de petits négociants ou de petites unités de transformation. La part de valeur ajoutée par les activités extérieures à l’exploitation – transformation ou distribution – est très faible. Les marchés se caractérisent généralement par des opérations au comptant, sans contrats ni normes formellement établies68.
L’urbanisation croissante conduit les personnes à s’éloigner des zones rurales et de la production agricole primaire, et la progression des revenus génère une demande d’aliments plus transformés et d’aliments de meilleure qualité. Dans cette phase transitoire, les secteurs du commerce de détail, de la distribution et de la transformation comptent un grand nombre de microentreprises et de petites et moyennes entreprises. En réponse à la sensibilisation croissante des consommateurs aux questions de qualité et de sécurité sanitaire des aliments, des normes publiques et privées se font jour. Les marchés au comptant occupent toujours une place prépondérante, mais l’intégration et la coordination verticales au moyen de la contractualisation commencent à se développer (voir l’encadré 1.4)55,68.
Une chaîne de valeur alimentaire moderne type comprend plusieurs stades. Premièrement, des fournisseurs vendent aux agriculteurs les semences, les engrais et autres intrants nécessaires pour produire des produits agricoles qui sont vendus à des grossistes ou deviennent les matières premières des entreprises de transformation. À la sortie de ces entreprises, les aliments parviennent au consommateur en plusieurs étapes, à savoir, les distributeurs, les grossistes et les détaillants (voir la figure 1.13).
Les différents stades d’une chaîne de valeur aboutissant aux produits alimentaires que le consommateur achète peuvent être contrôlés par une entreprise ou un individu, ou par un nombre variable (petit ou grand) d’entreprises ou d’individus55. Les chaînes de valeur modernes se caractérisent généralement par une coordination entre agriculteurs et transformateurs ou négociants, et entre transformateurs et détaillants67. L’intégration ou la coordination verticale des entreprises peut se faire selon différentes modalités, qui peuvent être informelles ou contractuelles et impliquer une coordination verticale intensive pouvant aller jusqu’à la propriété commune. La coordination d’une chaîne de valeur peut être amorcée par les acheteurs en aval, comme les supermarchés et les entreprises de transformation des aliments, ou par les fournisseurs en amont, y compris les agriculteurs ou les coopératives agricoles. Les modalités peuvent faire intervenir deux parties coopérantes à chaque stade de la filière ou des structures plus complexes reliant plusieurs stades de la chaîne sur la base d’accords et de partenariats multipartites55.
Les achats des secteurs du commerce de détail et de la transformation donnent souvent lieu à des processus de concentration et d’intégration qui finissent par réduire le nombre et augmenter la taille des entreprises le long de la filière. Celles-ci sont considérées comme étant plus efficientes que des entreprises plus petites, car elles peuvent tirer profit d’économies d’échelle et de gamme. De grandes entreprises opérant à différents niveaux de la chaîne de valeur peuvent aussi faciliter leur croissance mutuelle et évoluer de concert. Les chaînes de supermarchés, par exemple, s’approvisionnent généralement auprès de grandes entreprises de distribution et de transformation pour réduire les coûts de transaction et s’assurer du respect des normes privées. Lorsque des chaînes de supermarchés prennent pied dans de nouveaux pays, il est fréquent qu’elles soient suivies par des entreprises multinationales de la logistique et de la vente en gros, ainsi que de la transformation68. Cependant, la concentration des marchés au sein des chaînes de valeur alimentaires suscite des craintes d’émergence d’une position dominante (voir la deuxième partie pour une analyse des questions de concurrence).
Les chaînes de supermarchés des régions en développement se sont éloignées progressivement d’un approvisionnement auprès de grossistes et de marchés de gros traditionnels pour s’en remettre, autant que possible, à des grossistes spécialisés et exclusifs, qui assemblent, classent et trient les aliments conformément aux normes de ces chaînes. Dans les pays en développement, les systèmes d’achat actuels des supermarchés reposent souvent sur trois piliers: 1) des achats spécialisés auprès d’agents tels que des «grossistes spécialisés/exclusifs» et des agents de distribution indépendants; 2) un approvisionnement centralisé par l’intermédiaire de centres de distribution détenus par les chaînes de supermarchés; et 3) un approvisionnement garanti et constant, directement auprès de «fournisseurs privilégiés», qui peuvent être des agriculteurs, des coopératives agricoles ou des entreprises de transformation, sans autres intermédiaires (voir la troisième partie pour plus d’informations sur les modalités d’intégration des agriculteurs dans les chaînes de valeur)68,69,70.
Le système d’approvisionnement exact peut varier d’un pays à l’autre. Dans certains pays, les grossistes sont également intégrés verticalement dans le commerce de détail et font concurrence aux supermarchés69. Au Botswana, par exemple, le secteur du commerce de détail se compose de magasins de détail détenus par des groupes de vente en gros; de grandes chaînes de supermarchés propriétaires de centres de distribution; et de détaillants indépendants. Les grossistes intégrés verticalement se procurent leurs produits auprès de fournisseurs directs et/ou auprès d’agents de distribution indépendants. Les chaînes de supermarchés s’approvisionnent auprès de leur centre de distribution, de grossistes, d’agents de distribution indépendants et/ou de fournisseurs directs. En Zambie, en revanche, les détaillants indépendants s’approvisionnent auprès de négociants et de grossistes, tandis que les chaînes de supermarchés se procurent principalement leurs produits auprès de fournisseurs directs69.
SOURCES: Adapté de Barrett et al. 2019; McCullough et al. 2008; Reardon et al. 2019; das Nair. 2018; Reardon et al. 200855,67,68,69,70.
À mesure que les chaînes de valeur prennent de l’ampleur et que les volumes traités par les marchés augmentent, des économies d’échelle deviennent possibles et le commerce de détail et l’industrie alimentaire commencent à se spécialiser. Les gros détaillants, tels que les supermarchés, gagnent en importance et l’intégration et la coordination verticales des chaînes de valeur s’intensifient, marquant le passage à des chaînes de valeur modernes (voir aussi l’encadré 2.2 de la deuxième partie). Les consommateurs et l’industrie alimentaire sont de plus en plus demandeurs de normes de qualité et de sécurité sanitaire68,71.
La transformation des chaînes de valeur traditionnelles en filières modernes a démarré avec la révolution industrielle et a pris près d’un siècle en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Dans de nombreuses régions en développement, en revanche, le phénomène s’est amorcé plus tardivement et a progressé bien plus vite17. Le processus de transformation a commencé dans les années 80 dans certaines parties de l’Asie de l’Est (à l’exclusion de la République populaire de Chine) et dans les plus grands pays d’Amérique du Sud (comme le Brésil); il s’est poursuivi dans les années 90 en Amérique centrale et dans certaines parties de l’Amérique du Sud (au Chili, en Colombie et au Mexique, par exemple), dans certaines parties de l’Asie du Sud-Est et en Afrique du Sud. Dans les années 2000, des économies émergentes d’Asie (comme la République populaire de Chine, l’Inde et le Viet Nam) et d’autres pays d’Amérique du Sud (dont le Pérou et l’État plurinational de Bolivie) ont suivi le mouvement. Le processus a également démarré en Afrique australe (Zambie), en Afrique de l’Est (Kenya) et en Afrique de l’Ouest (Ghana, Nigéria et Sénégal) dans les années 200068.
Le rythme auquel s’effectue la transformation diffère selon les produits, les filières céréalières étant souvent les premières à évoluer, suivies de celles des produits animaux, ainsi que des fruits et légumes. Cela conduit fréquemment à la coexistence de chaînes de valeur traditionnelles, transitoires et modernes dans de nombreux pays en développement17,68.
Tout au long du processus de transformation, la part du secteur alimentaire dans la valeur ajoutée agroalimentaire totale augmente, tandis que celle de l’agriculture diminue. Dans les pays se trouvant aux premiers stades de la transition, la valeur ajoutée agroalimentaire totale est encore principalement d’origine agricole (figure 1.14). À mesure que le revenu par habitant augmente, la contribution de l’agriculture à la valeur ajoutée agroalimentaire totale diminue. Parallèlement, le début de l’industrialisation et le développement d’un secteur de la transformation et de la distribution alimentaires entraînent une progression de la part de l’alimentation dans la valeur ajoutée agroalimentaire totalef.
Les effets les plus importants du commerce et de la transformation des marchés agricoles et alimentaires au regard du bien-être devraient aller aux consommateurs de produits alimentaires. Les gains de productivité, conjugués à un accroissement des échanges et de la concurrence, augmentent les disponibilités en aliments sains et nutritifs et poussent leur prix à la baisse, ce qui améliore l’accès à la nourriture. Pour de nombreuses personnes, ce processus entraîne une amélioration de la sécurité et des régimes alimentaires, car il élargit l’accès à des aliments riches en micronutriments, tels que les fruits, les légumes et les produits d’origine animale.
En même temps, la mondialisation, la montée des modes de vie urbains et les transformations que cela suscite dans la production et les chaînes de valeur alimentaires sont considérées par certains analystes comme des facteurs contribuant au glissement vers des régimes moins sains et à la prévalence croissante de la surnutrition et de l’obésité dans de nombreuses parties du monde (voir l’encadré 1.5)11,15,16,72. Nombre de pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire subissent ce qui est devenu le «triple fardeau» de la malnutrition, dans lequel la surnutrition et l’obésité s’ajoutent à la sous-alimentation et aux carences en micronutriments.
Les améliorations de la productivité et des échanges internationaux ont augmenté les disponibilités alimentaires et abaissé les prix des denrées, contribuant ainsi largement au recul des taux de dénutrition dans le monde. D’un autre côté, la plus grande disponibilité des aliments, la baisse des prix, la hausse des revenus et un mode de vie plus sédentaire sont associés à des taux d’excès pondéral et d’obésité en forte hausse à l’échelle planétaire73. Tandis que des données convaincantes indiquent que les hausses du revenu, jusqu’à un certain point, sont associées à un indice de masse corporelle (IMC: kg/m2) plus élevé, à l’excès pondéral et à l’obésité, des analyses empiriques des conséquences de la mondialisation et du commerce agroalimentaire sur les résultats nutritionnels font apparaître des résultats hétérogènes en fonction du contexte et des méthodes d’analyse74.
EFFETS DE LA MONDIALISATION SUR L’EXCÈS PONDÉRAL ET L’OBÉSITÉ
Alors que les données disponibles ne montrent pas clairement d’associations entre la libéralisation du commerce et la prévalence des maladies non transmissibles liées à l’alimentation (comme le diabète), les travaux empiriques publiés semblent indiquer que cette libéralisation va généralement de pair avec une alimentation de meilleure qualité et une diminution de la dénutrition74.
On a souvent démontré que l’intégration économique entre les pays, mesurée sous la forme d’un indice des flux d’échanges et d’IED et des restrictions connexes, n’a aucun effet sur la prévalence de l’excès pondéral dans la population, voire la fait baisser72,75,76. Cela étant, l’IED pris isolément semble plus clairement associé à des augmentations de l’excès pondéral et de la prévalence de maladies non transmissibles qu’à des changements dans la dénutrition74.
Les effets de la mondialisation ne sont pas strictement économiques; celle-ci exerce aussi une influence d’ordre socioculturel qui agit sur les préférences des consommateurs et est corrélée à des changements des régimes alimentaires et à différents résultats nutritionnels. Certaines études mondiales de l’impact de la mondialisation sur l’excès pondéral et l’obésité constatent une corrélation positive entre une intégration sociale plus étroite (mesurée au moyen d’un indice des contacts personnels internationaux, des flux d’information internationaux et de la proximité culturelle77) et l’obésité75,76. Cela étant, l’inverse est également avéré. Des travaux étudiant un échantillon de plus de 160 pays sur une durée de 24 ans établissent que les aspects socioculturels de la mondialisation et de l’accès aux TIC abaissent la proportion de jeunes en excès pondéral ou obèses dans la tranche d’âge des 15-19 ans, ce qui semble indiquer que les TIC pourraient aider à faire connaître les bienfaits de l’activité physique et de régimes alimentaires sains78.
Les données disponibles laissent également supposer que l’association entre libéralisation du commerce ou mondialisation et résultats nutritionnels pourrait varier substantiellement d’un sous-groupe de population à un autre74.
Pour un ensemble de données comprenant jusqu’à 887 000 femmes de 56 pays à faible revenu et à revenu intermédiaire sur la période 1991-2009, on a montré que les aspects politiques et surtout socioculturels de la mondialisation étaient fortement corrélés au risque de présenter un excès pondéral, alors que ce phénomène était moins apparent avec les effets de la mondialisation économique. En fait, le fait de vivre dans le quartile des pays les plus mondialisés sur le plan économique semble être associé à une probabilité d’excès pondéral inférieure de 1 point de pourcentage75. Pourtant, une autre étude couvrant approximativement la même période établit qu’une plus grande ouverture des marchés est corrélée à une prévalence croissante de l’excès pondéral et de l’obésité au Brésil79.
COMMERCE AGROALIMENTAIRE ET RÉSULTATS NUTRITIONNELS
Les effets du commerce agroalimentaire sur les résultats nutritionnels sont contradictoires, car des échanges agroalimentaires croissants sont associés à des importations en hausse d’aliments nécessaires à un régime sain, mais aussi d’aliments chargés en graisse, en sucre et en sel et hautement caloriques. Cela étant, les données empiriques sont rares et des travaux supplémentaires s’imposent pour étudier les liens entre commerce et nutrition.
Une étude portant sur 172 pays a constaté qu’une augmentation de 10 pour cent des importations moyennes de sucre et d’aliments transformés était corrélée à un très petit accroissement (0,0002) de l’IMC moyen. Les importations comprenaient des aliments très divers, de la farine aux confiseries et aux margarines, mais aucun produit laitier ni aucune viande. Cet effet, certes très petit, se renforçait toutefois quand on ne tenait compte que des pays où l’IMC moyen était élevé (supérieur à 25 kg/m2); l’augmentation de 10 pour cent des importations de sucre et d’aliments transformés était alors corrélée à un accroissement de 0,004 de l’IMC moyen79. Si l’étude semble effectivement indiquer que le commerce pourrait avoir un impact sur l’IMC, l’importance physiologique d’un effet aussi faible reste à éclaircir.
Il a été montré que les échanges agroalimentaires avaient contribué à accroître la diversité des aliments disponibles dans les pays d’Europe orientale et d’Asie centrale durant le passage de ces derniers d’une économie planifiée à une économie de marché. Si l’ouverture des marchés s’est accompagnée d’une plus forte proportion de graisses et d’huiles disponibles pour la consommation, la plus grande variété de fruits et de légumes proposée aux consommateurs a pu être attribuée à la diminution du coût des échanges agricoles, ce qui indique que différents aspects du commerce peuvent être corrélés à différents résultats nutritionnels, d’où la nécessité d’une analyse plus approfondie et plus détaillée81.
Les données laissent donc supposer que le commerce produit des effets variés et complexes sur les disponibilités alimentaires et l’accessibilité d’aliments abordables, et donc sur les résultats nutritionnels qui en découlent.
SOURCES: De Soysa et de Soysa. 2018; FAO. 2018; Cuevas García-Dorado et al. 2019; Goryakin. 2015; Costa-Font et Mas. 2016; Dreher. 2006; Knutson et de Soysa. 2019; Miljkovic et al. 2018; Lin et al. 2018; et Krivonos et Kuhn. 201972,73,74,75,76,77,78,79,80,81.
La deuxième partie étudie de façon plus approfondie les effets économiques et sanitaires des chaînes de valeur mondiales sur les consommateurs, ainsi que leurs liens avec l’inégalité et les impacts sur l’environnement. L’intégration des petits agriculteurs dans les marchés modernes et leur association aux chaînes de valeur modernes sont étudiées plus en détail dans la troisième partie.
La DEUXIÈME PARTIE analyse les données relatives aux échanges commerciaux internationaux, et s’intéresse à l’émergence et à l’évolution des chaînes de valeur mondiales (CVM) de l’alimentation et de l’agriculture. Elle propose un cadre qui aide à comprendre les CVM et leurs effets sur la croissance et le développement de ces deux secteurs. Parce qu’elles divisent le processus de production en étapes réalisées dans différents pays, les chaînes de valeur mondiales sont susceptibles de permettre aux pays en développement d’accroître leur productivité. L’analyse porte sur les politiques commerciales et d’autres mesures de nature à favoriser la participation aux CVM, ainsi que les répercussions de la pandémie de covid-19 sur les échanges et sur l’évolution de ces chaînes. On y examine également les mécanismes qui peuvent aider les CVM à opérer des arbitrages plus efficaces entre les objectifs économiques et environnementaux.
MESSAGES CLÉS PRINCIPALES MESURESDepuis 1995, les échanges internationaux de produits agricoles et de produits alimentaires ont plus que doublé en termes réels (voir la figure 1.1 dans la première partie). Cependant, lorsque la valeur des échanges est mesurée uniquement à partir des exportations brutes, elle peut masquer des évolutions importantes sur les marchés mondiaux.
Au fil du temps, les entreprises ont de plus en plus profité du commerce international pour tirer parti des spécialisations et des avantages comparatifs en divisant le processus de production en différentes étapes et en recherchant les lieux à moindre coût pour chacune d’elles. Les processus de production s’étendent donc au-delà des frontières et donnent naissance à des chaînes de valeur mondiales (CVM) – c’est-à-dire des chaînes de production qui englobent au moins trois pays. Les CVM sont typiques du secteur manufacturier et des services. En effet, la moitié environ des échanges de biens et de services se fait dans le cadre de chaînes de ce type1.
Les CVM sont présentes dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture. Les auteurs de ce rapport estiment qu’elles sont à l’origine d’un tiers environ des exportations agroalimentaires. Des semences et des engrais, des produits agricoles de base (des céréales, par exemple), des produits transformés et intermédiaires (comme l’huile de soja ou le lait en poudre), mais aussi des services et des intrants industriels sont échangés lors des différentes étapes de la production, qui ont lieu dans plusieurs pays.
Bien que les CVM soient un sujet d’analyse plutôt récent, elles reposent sur les concepts fondamentaux d’avantage comparatif et de spécialisation dans une production qui trouvent leurs origines dans la théorie économique classique des XVIIIe et XIXe siècles2,3. Un examen des échanges internationaux sous l’angle de ces chaînes aide à comprendre comment le commerce contribue à la valeur ajoutée qui est générée dans un pays. Cette analyse permet de décomposer la valeur des exportations brutes en valeur importée – puis utilisée dans la production à des fins d’exportation – et en valeur ajoutée ou générée à l’intérieur du pays (voir la définition des termes clés à l’encadré 2.1 et un exemple à l’encadré 2.2).
Chaîne de valeur mondiale (CVM): série d’étapes dans la production d’une marchandise ou d’un service (la chaîne de valeur) englobant au moins trois pays. L’analyse des CVM est axée sur la valeur ajoutée – c’est-à-dire l’augmentation de la valeur d’un produit échangé qui intervient à chacune des étapes de production réparties dans différents pays.
Valeur ajoutée intérieure: part de la valeur des exportations qui est créée par des facteurs de production intérieurs, comme la terre et la main-d’œuvre. La valeur ajoutée intérieure contribue au produit intérieur brut (PIB) de chaque pays.
Valeur ajoutée étrangère: part de la valeur des exportations qui provient d’intrants importés. Dans l’analyse des CVM, des engrais importés pour produire des produits agricoles pour l’exportation, par exemple, seront considérés comme de la valeur ajoutée étrangère.
Les exportations brutes sont constituées de la somme de la valeur ajoutée intérieure, de la valeur ajoutée étrangère et des flux commerciaux «comptés deux fois» (valeur générée lorsque des produits intermédiaires traversent plusieurs fois des frontières, mais qui ne contribue ni au PIB du pays exportateur, ni à celui du pays importateur)8,9,10.
Liaisons en amont: liaisons qui indiquent dans quelle mesure les pays dépendent d’intrants importés pour la production des marchandises exportées. Elles correspondent à la part de la valeur des intrants importés dans le total des exportations. Dans l’analyse des CVM, cette part est obtenue en divisant la valeur ajoutée étrangère intégrée dans les exportations par la somme de la valeur ajoutée étrangère et de la valeur ajoutée intérieure intégrées dans les exportations.
Liaisons en aval: liaisons qui indiquent dans quelle mesure les produits de base exportés sont utilisés plus tard dans la chaîne de valeur d’un autre pays en vue d’une exportation vers un troisième pays (ou, cas moins courant, d’une réexportation vers le pays d’origine). Elles correspondent à la valeur des exportations intermédiaires envoyées indirectement (par des pays tiers) à leur destination finale.
Participation aux CVM: somme des liaisons en amont et des liaisons en aval. Lorsqu’elle est mesurée en dollars des États-Unis, elle correspond au niveau de la participation à la chaîne de valeur mondiale; le taux de participation est obtenu en divisant ce niveau par les exportations brutes.
Secteur en amont: secteur d’un pays qui a de nombreuses liaisons en aval dans la chaîne de valeur (nationale ou internationale).
Secteur en aval: secteur d’un pays qui a principalement des liaisons en amont dans la chaîne de valeur (nationale ou internationale).
Échanges liés aux chaînes de valeur mondiales: échanges qui interviennent à l’intérieur des CVM.
Échanges bilatéraux réalisés en dehors des CVM: terme utilisé dans le présent rapport pour définir les échanges de biens et de services réalisés entre deux pays en dehors d’une CVM. L’exportation d’un produit agricole vers un autre pays, où il est transformé et consommé, est considérée comme un échange bilatéral réalisé en dehors des CVM.
Les boissons à base d’orange sont extrêmement répandues dans le monde. Sur la quantité totale d’oranges produites à l’échelle mondiale, 20 pour cent sont vendues sous forme de fruits entiers, le restant étant utilisé pour obtenir des extractions et fabriquer du jus. Les principaux producteurs d’oranges sont le Brésil (quelque 30 pour cent de la production mondiale) et les États-Unis d’Amérique (10 pour cent environ). Plus de 90 pour cent des oranges produites aux États-Unis sont utilisées pour fabriquer du jus.
L’illustration ci-après montre que les entreprises qui produisent des boissons à base d’orange se font concurrence, mais qu’elles sont également complémentaires. Au Brésil, elles pressent les oranges produites dans le pays et exportent le jus extrait en vue de sa transformation et de sa distribution. Aux États-Unis d’Amérique, elles importent le jus extrait au Brésil et le transforment, en même temps que celui produit dans le pays, pour fabriquer des boissons sucrées à base de jus d’orange. Ces boissons sont en partie consommées aux États-Unis d’Amérique et en partie exportées vers d’autres pays, la République populaire de Chine, par exemple.
Dans la CVM de ces boissons à base d’orange, la valeur des exportations vers la République populaire de Chine correspond à la valeur ajoutée du Brésil et des États-Unis d’Amérique. Dans le cas du Brésil, le jus extrait correspond à de la valeur ajoutée intérieure. Dans le cas des États-Unis d’Amérique, qui importent ce jus extrait (intrant), il correspond à de la valeur ajoutée étrangère. Parallèlement, l’industrie de transformation aux États-Unis d’Amérique ajoute de la valeur à cet intrant, ce qui constitue une valeur ajoutée intérieure. Dans cette chaîne de valeur mondiale, les liaisons en aval du secteur brésilien de l’agriculture correspondent aux exportations de l’industrie de transformation des États-Unis d’Amérique vers la République populaire de Chine. Les États-Unis d’Amérique ont des liaisons en amont (importations de jus extrait au Brésil) et en aval (exportations de boissons à base d’orange vers la République populaire de Chine). Le niveau de participation total à la CVM du secteur des boissons à base de jus d’orange aux États-Unis d’Amérique correspond à la somme de la valeur ajoutée étrangère provenant du Brésil (liaisons en amont) et de la valeur ajoutée générée aux États-Unis d’Amérique qui part en République populaire de Chine (liaisons en aval).
SOURCE: Azevedo et Chaddad, 200613.
L’émergence des CVM est favorisée par la baisse des coûts du transport et la réduction des obstacles au commerce (tarifs d’importation, par exemple), deux facteurs à l’origine de la mondialisation. Ces tendances ont rendu le fractionnement des processus de production et leur répartition entre différents pays encore plus avantageux. Les avancées technologiques et l’essor des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont rendu la coordination entre pays moins onéreuse, ce qui a encore favorisé les CVM (voir aussi l’analyse relative au coût des échanges et des communications dans la première partie).
Le commerce international peut améliorer la répartition des ressources et contribuer à l’efficience économique en stimulant la croissance des revenus et la productivité des partenaires commerciaux4,5,6. Par ailleurs, des publications récentes indiquent que les échanges liés aux CVM ont une incidence plus favorable sur la productivité et le revenu par habitant que les échanges bilatéraux qui ont lieu en dehors de ces chaînes7. La participation à des CVM peut améliorer la compétitivité, l’inclusion dans les flux d’échanges et d’investissements, et l’accès aux technologies et aux connaissances, autant de facteurs qui favorisent la transition vers des activités à plus forte valeur ajoutée.
L’agriculture axée sur l’exportation, stimulée par les CVM, peut offrir des possibilités d’emploi agricole et non agricole. L’accroissement de la production agricole augmente le nombre d’emplois dans le secteur. Mais elle entraîne également une hausse de la demande d’intrants, qui pourra avoir des effets sur l’emploi dans les secteurs des semences et des engrais, par exemple, ainsi que dans ceux du transport et des services commerciaux, dont le coefficient de main-d’œuvre est relativement élevé.
Les pays en développement, notamment en Afrique subsaharienne, participent également activement aux CVM agroalimentaires11. Dans ces pays, ces chaînes peuvent permettre aux agriculteurs et aux entreprises de prendre part aux activités d’exportation, et d’en tirer profit, car il est plus facile de pénétrer le marché mondial lorsque les étapes des filières de production sont plus fragmentées et plus spécifiques. Mais la participation aux CVM n’apporte pas systématiquement des avantages, et on constate de grandes disparités. Par exemple, alors que les échanges commerciaux sont censés stimuler la croissance économique, de nombreux pays en développement ont constaté une augmentation des inégalités à mesure qu’ils se sont ouverts aux marchés libres, souvent en raison d’une absence de politiques et d’investissements complémentaires et d’un manque de compétences transférables dans les secteurs les plus concernés par les réformes économiques12.
Dans le secteur manufacturier, le niveau de la participation aux CVM est passé de 45 pour cent environ en 1995 à plus de 50 pour cent en 2007, avant de revenir juste en dessous de 50 pour cent en 201514,a. Les taux de participation aux CVM dans l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons sont inférieurs, mais suivent une tendance similaire.
L’examen du commerce du point de vue des CVM permet de décomposer les exportations brutes en échanges liés à ces chaînes de valeur (liaisons en amont et en aval) et en échanges bilatéraux non liés à ces chaînes (figure 2.1). À l’échelle mondiale, la participation moyenne aux CVM agroalimentaires a atteint 35 pour cent en 2008 (contre 30 pour cent en 1995), puis a légèrement baisséb. En 2015, un tiers environ de la valeur ajoutée agroalimentaire exportée provenait d’une chaîne de valeur comprenant au moins trois pays (34 pour cent dans l’agriculture et 33 pour cent dans le secteur de l’alimentation et des boissons; voir la figure 2.1, panneaux A et B, respectivement).
Les produits agricoles sont un intrant de base pour les aliments et les boissons, mais également pour d’autres secteurs; par conséquent, la participation aux CVM de l’agriculture est principalement constituée de liaisons en aval (figure 2.1, panneau A). En moyenne, une part importante de la production agricole est associée aux CVM dans le cadre des exportations, ce qui se traduit par des liaisons considérables en aval (22 pour cent de la valeur des exportations brutes). Les liaisons en amont de l’agriculture correspondent à des importations d’intrants (semences et engrais, par exemple) et à une utilisation non négligeable de services dans le processus de production (contrôles de qualité, logistique, stockage et services financiers). À l’échelle mondiale, étant donné que les exportations traversent les frontières, ces liaisons en amont donnent lieu à un double comptage de la valeur ajoutée, et elles constituent une part relativement peu importante – 12 pour cent environ – de la valeur totale des exportations brutes (au niveau national, les liaisons en amont correspondent à de la valeur ajoutée étrangère; voir les encadrés 2.3 et 2.4). La plus grande partie de la valeur des exportations agricoles (quelque 88 pour cent) découle de la valeur ajoutée intérieure, c’est-à-dire la valeur générée par la terre et la main-d’œuvre, facteurs de production qui ne font pas l’objet d’échanges internationaux. Cette valeur ajoutée intérieure peut se retrouver dans les flux des CVM dans le cadre de liaisons en aval.
Le secteur de l’alimentation et des boissons (qui comprend l’ensemble des produits transformés) se situe plus vers le milieu ou la fin de la chaîne de valeur. À l’échelle mondiale, sa participation aux CVM est comparable à celle de l’agriculture (33 pour cent en moyenne; voir la figure 2.1, panneau B). Cependant, il comprend davantage de liaisons en amont dans la production que l’agriculture (quelque 22 pour cent) et relativement moins de liaisons en aval (11 pour cent). Cette situation s’explique par le fait que ce secteur utilise des produits agricoles intérieurs et importés, mais aussi, à grande échelle, des intrants d’autres secteurs. Lorsqu’ils sont importés, ils accroissent de manière significative le niveau de la valeur ajoutée étrangère intégrée dans les exportations. Par conséquent, à l’échelle mondiale, une part importante de la valeur des exportations brutes provient des liaisons en amont et est donc comptée deux fois. Une partie des liaisons en aval du secteur de l’alimentation et des boissons correspond à des exportations de produits très peu transformés, comme l’extrait de jus d’orange, qui peuvent être utilisés par l’industrie alimentaire d’un autre pays et être transformés à nouveau avant d’être réexportés (voir l’exemple donné à l’encadré 2.2).
Les exportations mondiales de produits alimentaires et de boissons sont approximativement deux fois plus importantes que celles des produits agricoles, et l’augmentation rapide de leur valeur entre 2002 et 2008, en termes absolus, est impressionnante (voir aussi l’analyse de l’évolution des échanges commerciaux dans la première partie). La part croissante des exportations des CVM liées aux secteurs en amont montre également que la tendance observée dans les exportations brutes totales ne reflète pas uniquement la génération de nouvelle valeur ajoutée.
Le commerce lié aux CVM a augmenté encore plus rapidement que les échanges bilatéraux non liés à ces dernières, du moins jusqu’à la crise financière de 2008, depuis laquelle l’intégration dans ces chaînes a marqué le pasc. La crise financière a eu clairement des effets sur les CVM tant de l’agriculture que du secteur de l’alimentation et des boissons, en trois phases: i) les taux de participation à ces chaînes ont diminué notablement en 2009; ii) une reprise a été observée en 2010-2011; iii) les taux de participation ont stagné depuis 2011. En outre, pour ces deux secteurs, la part des liaisons en amont et en aval est restée à peu près la même sur la période 1995-2015. Cela laisse supposer que les changements dans le niveau de participation total aux CVM sont dus davantage à des effets d’échelle – augmentation des échanges via les liaisons en amont et en aval – qu’à des modifications de positionnement des entreprises dans les différentes chaînes de valeur, ce qui impliquerait que les liaisons en amont et en aval n’évoluent pas de la même façon.
La crise financière et le ralentissement de l’activité économique ont touché l’ensemble des échanges. Cependant, le fléchissement de ces derniers pourrait être dû en partie à un changement structurel de la relation entre le commerce et le PIB. Il pourrait être le résultat d’une diminution de la coordination verticale internationale – qui ressort clairement de l’évolution des CVM – en raison du tassement de la croissance18.
Les taux de participation aux chaînes de valeur mondiales varient considérablement selon les pays (on en trouve une illustration à la figure 2.2 pour l’agriculture). Les petits pays ont tendance à faire plus de commerce, et sont donc davantage susceptibles de participer à des CVMd. Cela peut également tenir au fait que les petits pays sont relativement plus ouverts aux échanges parce que leur économie est de taille réduite, et souvent moins diversifiée19. Les taux plus élevés de participation aux CVM des petits pays impliquent une plus forte dépendance à l’égard des importations – par les liaisons en amont dans ces chaînes – mais aussi des liens plus étroits avec les marchés internationaux – par les liaisons en aval.
En règle générale, les pays à faible revenu ont peu de liaisons en amont, car ils se spécialisent essentiellement dans la production et l’exportation de produits agricoles. Leurs liaisons en aval varient considérablement en fonction de divers facteurs, notamment géographiques. Le Népal, par exemple, présente relativement peu de liaisons en amont et en aval, car il a beaucoup plus de relations commerciales avec l’Inde qu’avec le marché mondial (figure 2.3). Les pays à revenu intermédiaire peuvent présenter différents profils de participation aux CVM.
Le Ghana, pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, se positionne sur les CVM avec des liaisons en aval sensiblement plus nombreuses (figure 2.3 et encadré 2.3). En revanche, au Viet Nam, autre pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, la participation aux CVM est relativement importante, principalement via des liaisons en amont (figure 2.3 et encadré 2.4).
La participation du Ghana aux CVM est différente dans l’agriculture et dans le secteur de l’alimentation et des boissons. L’agriculture se caractérise par des volumes exportés qui augmentent rapidement et une forte participation aux CVM, tandis que le secteur de l’alimentation et des boissons est moins développé (figure 2.4, panneaux A et B).
Le Ghana exporte principalement du cacao non transformé, et son secteur agricole présente donc d’importantes liaisons en aval avec le reste du monde (figure 2.4, panneau C); parallèlement, ses exportations alimentaires consistent pour l’essentiel en des produits à base de cacao très peu transformés, et il a donc peu de liaisons en amont avec d’autres économies. Ces deux tendances font du Ghana un grand exportateur avec de solides liaisons dans les CVM agricoles, et des liaisons moins développées dans le secteur de l’alimentation et des boissons.
SOURCES: Analyse de la FAO réalisée par Dellink et al. 2020; BAfD, OCDE et PNUD. 201416,20.
La participation du Viet Nam aux CVM est assez large et témoigne de son orientation à l’international, notamment dans le secteur de l’alimentation et des boissons (figure 2.5).
La libéralisation du commerce et l’intégration économique internationale ont contribué de manière non négligeable au développement des exportations, à la croissance économique, à la création d’emplois et à l’amélioration du bien-être au Viet Nam, surtout après 2000. Le Viet Nam a tiré parti pendant toute cette période de plusieurs accords commerciaux bilatéraux, de sa qualité de membre de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et des accords de libre-échange que ce bloc commercial régional a signés. Le pays a enregistré une hausse constante des taux de participation des deux secteurs dans les années 2000, après la crise qui a secoué l’Asie (figure 2.5, panneaux A et B). Les incidences positives découlent en grande partie de l’augmentation des entrées de capitaux. Les vastes liaisons en amont dans le secteur de l’alimentation et des boissons semblent indiquer que le Viet Nam s’est spécialisé dans la transformation d’intrants de base importés de ses voisins dans la région (figure 2.4, panneau C).
SOURCES: Analyse de la FAO réalisée par Dellink et al. 2020; Auffret. 2003; Commission de l’Union européenne (UE). 201816,21,22.
Au Brésil, pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, les taux de participation aux CVM restent sous la moyenne mondiale à la fois dans l’agriculture et dans le secteur de l’alimentation et des boissons. Ses liaisons en aval sont beaucoup moins importantes que celles du Ghana, car la plupart de ses échanges sont bilatéraux – avec les États-Unis d’Amérique, par exemple, du fait d’accords commerciaux – et n’ont donc pas lieu dans le cadre de CVM (figure 2.3).
Certains pays à revenu élevé – essentiellement en Europe – pénètrent les CVM via d’importantes liaisons à la fois en amont et en aval. L’Allemagne est un exemple de pays à revenu élevé qui présente de fortes intensités d’exportations et une participation notable aux chaînes de valeur mondiales. D’autres pays à revenu élevé ont tendance à avoir plus de liaisons en amont et relativement moins en aval (figure 2.3).
La relation entre le commerce international et la croissance économique est complexe. Cela étant, de nombreux éléments empiriques montrent que, sur la durée, les échanges stimulent la croissance et le développement. À court terme, tous les pays disposent d’un avantage comparatif pour certains biens et services et sont susceptibles de tirer profit du commerce. À long terme, ces gains d’efficience ainsi que les retombées technologiques et la transmission de connaissances – stimulées par le commerce – peuvent offrir des avantages dynamiques qui se traduisent par un renforcement de la productivité et de l’innovation, et favoriser la croissance économique. La relation entre le commerce et la croissance économique est bidirectionnelle, car cette dernière, en renforçant la demande, dope également les échanges internationaux.
Des éléments récents montrent que la participation à des chaînes de valeur peut se révéler encore plus favorable à la croissance et à la productivité que les échanges bilatéraux non liés aux CVM7. On constate en effet une corrélation positive entre la croissance de la valeur ajoutée agroalimentaire et celle de la participation aux CVM, bien qu’il n’y ait pas de relation causale (figure 2.6). Dans les deux secteurs – agriculture et secteur de l’alimentation et des boissons –, les pays qui enregistrent un taux moyen de croissance de la valeur ajoutée plus élevé que les autres sont souvent ceux qui affichent aussi une augmentation plus forte de leurs niveaux de participation aux chaînes de valeur mondialese.
Néanmoins, plusieurs études empiriques basées sur les données agrégées de l’ensemble des secteurs économiques ont mis en évidence des effets causals notables de la participation aux CVM sur la valeur ajoutée pour les pays à revenu intermédiaire ou à revenu élevé, et des effets négligeables pour les pays à faible revenu. Plus précisément, l’analyse tend à montrer que le développement des liaisons en amont (par l’accroissement des importations de valeur ajoutée étrangère) n’a pas entraîné de croissance économique dans certains pays à faible revenu – caractérisés par un déficit de compétences et donc une capacité médiocre à apprendre et à absorber des connaissances pour mettre en application les progrès technologiques qui, dans d’autres conditions, pourraient être diffusés et stimuler la croissance23. Cette corrélation entre la participation aux CVM et la croissance dépend de la capacité à s’adapter aux processus de production et à innover. Par exemple, la formation et les compétences de la population active, les réglementations qui favorisent les entreprises et les investissements dans la recherche-développement sont autant de facteurs qui témoignent de la capacité d’un pays de participer efficacement aux CVM.
La plupart des études qui analysent l’incidence de la participation aux CVM sur la croissance économique considèrent l’économie dans son ensemble. De fait, ces chaînes relient des activités économiques de différents secteurs et de différents pays. Dans un pays, une part notable de la croissance de la valeur ajoutée de l’agriculture provient de liaisons avec d’autres secteurs économiques. L’augmentation des exportations réalisées dans le cadre de CVM par le secteur de l’alimentation et des boissons, et d’autres secteurs qui utilisent des intrants agricoles, peut renforcer encore la participation du secteur agricole aux échanges mondiaux et générer de la valeur ajoutée. Les chaînes de valeur mondiales relient également des secteurs économiques entre différents pays. À l’échelle mondiale, l’agriculture représente 20 pour cent de la valeur ajoutée étrangère associée aux exportations des CVM des produits alimentaires et des boissons.
Ainsi, les CVM peuvent, par la diffusion de technologies et de connaissances, générer des avantages pour l’économie dans son ensemble et pour d’autres pays. Les exportations de produits agricoles ainsi que celles de produits alimentaires et de boissons comprennent une valeur ajoutée créée par un ensemble de secteurs économiques qui fournissent des intrants (engrais, énergie et services, par exemple). À l’échelle mondiale, une part non négligeable de la valeur ajoutée étrangère des exportations agroalimentaires provient du secteur des services – en 2015, pour l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons, les services ont représenté respectivement 42 pour cent et 38 pour cent de la valeur ajoutée étrangère intégrée dans les exportations des CVM16.
Par ailleurs, une part notable des intrants importés (22 pour cent en moyenne en 2015) est fournie par le secteur de la chimie et des matières premières (ce qui comprend le pétrole). Cette situation est due en partie à la mondialisation des marchés des engrais et des pesticides. La part du secteur manufacturier (machines comprises) dans la valeur ajoutée étrangère est également assez significative dans le secteur agricole et dans celui de l’alimentation et des boissons (19 pour cent et 16 pour cent, respectivement).
Ces liaisons déterminent également le niveau de corrélation entre la participation aux CVM et la croissance économique, parallèlement à la capacité des pays à absorber efficacement les technologies et les connaissances. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, tels que la structure de l’économie, les caractéristiques géographiques, la taille du marché national, le niveau de développement, mais aussi – élément crucial – l’orientation des politiques publiques. L’incidence d’une augmentation de la participation aux CVM dépend souvent des politiques qui visent à encourager la mobilité des facteurs de production, notamment la main-d’œuvre, et des conditions qui permettent une expansion de l’activité économique, telles que les investissements dans le capital humain au moyen d’un renforcement des compétences, l’amélioration des infrastructures et une réglementation efficace.
L’analyse tend également à montrer que les échanges réalisés dans le cadre de CVM augmentent la valeur ajoutée du travail ou la productivité par habitant24. Le principal mécanisme repose sur la manière dont les chaînes de valeur dégroupent le processus de production – ce qui offre aux exploitations agricoles et aux entreprises de nouvelles possibilités de profiter de leur avantage comparatif – et favorisent un renforcement de la concurrence et une amélioration de l’accès au capital et aux connaissances. Par exemple, avec des compétences adéquates, les liaisons en amont peuvent servir de canal de transmission de technologies améliorées, qui débouchent sur de meilleures pratiques agricoles et une augmentation de la productivité du travail.
Les CVM peuvent être un moyen d’appuyer la transformation engagée dans les secteurs alimentaire et agricole par les pays en développement et d’encourager la transition d’une agriculture peu productive à une agriculture plus commerciale et plus rentable, grâce à des liaisons plus robustes en amont et en aval avec l’économie nationale et le marché mondial25.
Les estimations empiriques réalisées pour le présent rapport à partir des données relatives à la participation de 160 pays aux CVM sur la période 1995-2015 montrent une relation causale entre cette participation et la valeur ajoutée agricole par travailleur; elles révèlent également que l’évolution de cette participation peut avoir une incidence notable sur la productivité de la main-d’œuvre agricole, telle que mesurée par la valeur ajoutée par travailleur (voir la figure 2.7)f. À l’échelle mondiale, en moyenne, une augmentation de 1 pour cent de la participation aux CVM agricoles se traduit par une hausse de 0,12 pour cent environ de la productivité de la main-d’œuvre agricole, telle que mesurée par la valeur ajoutée agricole par travailleur.
On estime également qu’une participation plus importante du secteur de l’alimentation et des boissons aux CVM a une incidence positive sur la valeur ajoutée agricole par travailleur (augmentation de 0,08 pour cent en moyenne). Cela est dû aux liens étroits qui unissent l’agriculture et l’industrie alimentaire: les produits agricoles qui sont produits dans le pays puis transformés et exportés par le secteur de l’alimentation et des boissons dans le cadre des CVM peuvent renforcer la productivité dans l’agriculture.
Par ailleurs, les estimations font apparaître que la participation aux CVM peut avoir des effets durables sur la productivité de la main-d’œuvre agricole. Une augmentation de 1 pour cent de cette participation continue à renforcer la productivité de la main-d’œuvre agricole deux ans après, avec toutefois une petite diminution de l’effet à long terme de la participation aux CVM agricoles au fil du temps – 0,10 pour cent après deux ans.
Une analyse complémentaire pour la période plus courte allant de 2009 à 2015 apporte des éléments qui montrent que l’effet de la participation aux CVM sur la productivité de la main-d’œuvre agricole n’est pas une conséquence temporaire de la croissance économique très rapide du début du siècle, mais qu’il s’est au contraire maintenu après 2008, alors que la croissance était bien plus faible. On peut en conclure que, pendant une période de croissance rapide, les transformateurs et les détaillants se fournissent auprès d’un grand nombre d’exploitations agricoles, mais que les moins productives d’entre elles sont écartées de la chaîne de valeur mondiale lorsque la croissance stagne. Ce processus de sélection, à l’issue duquel seules les exploitations les plus productives conservent des liens avec les marchés mondiaux, pourrait avoir en moyenne un effet plus important sur la productivité (figure 2.7).
Les liaisons tant en amont qu’en aval dans les chaînes de valeur mondiales contribuent de manière significative à la productivité du travail dans l’agriculture, et leur somme correspond approximativement à l’effet de la participation totale aux CVM (figure 2.7). En d’autres termes, l’augmentation de l’approvisionnement en intrants étrangers pour la production destinée à l’exportation et celle de la fourniture d’intrants à des partenaires commerciaux étrangers pour leurs exportations procurent généralement des avantages économiquesg. Du point de vue de l’action publique, cela implique que les politiques commerciales, du côté des importations comme du côté des exportations, sont essentielles.
Pendant les quatre dernières décennies, les négociations commerciales internationales, d’abord dans le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), puis sous l’égide de l’OMC, ont contribué à ouvrir les marchés mondiaux. Les tarifs d’importation sur les produits agricoles et les produits alimentaires ont baissé depuis la mise en œuvre de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture en 1995-1996 (voir la figure 1.12 dans la première partie). De nombreux pays en développement ont engagé des réformes des politiques en vue de réduire les obstacles au commerce et de participer aux échanges internationaux.
Cependant, malgré ces réformes, les marchés agroalimentaires restent assez fortement protégés par rapport aux autres secteurs économiques. Les tarifs moyens sur les produits agricoles et alimentaires sont environ trois fois supérieurs à ceux appliqués aux autres biens33. Ils sont également plus élevés dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire que dans les pays à revenu élevé (voir la figure 1.12 dans la première partie). Dans certains pays en développement, on observe d’autres coûts importants liés aux échanges du fait d’un faible niveau d’application de dispositions contractuelles et réglementaires, d’infrastructures de transport inadéquates et d’autres distorsions34,h.
L’ouverture des marchés mondiaux peut apporter des avantages à tous les partenaires commerciaux et avoir des retombées importantes grâce au transfert de technologies et de savoir-faire. Elle sera davantage susceptible d’avoir des effets bénéfiques significatifs si elle s’accompagne d’autres stratégies de soutien de la compétitivité, par exemple des mesures qui renforcent la gouvernance et les infrastructures, améliorent les compétences, suppriment les facteurs de rigidité sur les marchés du travail et facilitent la réaffectation de main-d’œuvre entre différents secteurs. Il n’en demeure pas moins que les effets à court terme de l’ouverture des marchés, en particulier les conséquences qu’elle peut avoir en matière de répartition et d’inégalité des revenus, suscitent des craintes12,35,36.
Pour tirer parti des avantages de la participation aux CVM sur le plan de la croissance économique, il faut impérativement des politiques commerciales appropriées côté importations et côté exportations. L’ouverture au commerce et la suppression des politiques qui sont à l’origine de distorsions des marchés peuvent favoriser le dégroupage des processus de production à l’échelle internationale et encourager de ce fait la participation aux CVM. Cette ouverture au commerce stimule par divers mécanismes l’ensemble des activités économiques et peut faciliter la transformation des systèmes alimentaires, y compris l’émergence d’un secteur alimentaire national (voir la première partie).
Un exercice de simulation élaboré pour le présent rapport à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable (EGC) (voir l’encadré 2.5) semble indiquer que la suppression des obstacles au commerce ainsi que du soutien interne ayant un effet de distorsion sur ce dernier pourrait augmenter les possibilités de participer aux CVM et, de ce fait, la création de valeur ajoutée intérieurei. Ce scénario hypothétique est destiné à illustrer l’incidence que la réduction des obstacles au commerce et la suppression des mesures nationales générant des distorsions ont sur la participation aux CVM.
Un modèle d’équilibre général calculable – modélisation de l’économie mondiale, agriculture et secteur alimentaire compris – est utilisé pour simuler les effets de différentes politiques sur la participation aux CVM. L’exercice de simulation porte sur un ensemble de mesures qui comprennent l’élimination des tarifs d’importation et des restrictions à l’exportation dans tous les secteurs de l’économie, ainsi que la suppression des subventions et taxes nationales sur les produits agricoles, les produits alimentaires et les boissons, et les intrants fonciers. Le modèle étant une représentation stylisée des économies concernées, il convient d’user de prudence dans l’interprétation des résultats: les mécanismes et la direction des répercussions sont plus importants que l’ampleur des effets.
Les changements de politiques influent directement sur les exportations agroalimentaires, ainsi que par l’intermédiaire de leurs effets sur la valeur ajoutée et les CVM. Les effets globaux sur la participation à ces chaînes sont positifs, mais l’impact peut varier selon les régions, les mesures politiques et les facteurs de production.
PROJECTION DES EFFETS SUR LES EXPORTATIONS BRUTES SELON LES MESURES
Du point de vue des CVM, les barrières tarifaires et non tarifaires – y compris celles concernant les échanges de services – sont considérées comme des instruments importants pour déterminer la valeur ajoutée intérieure. Cependant, l’intensité des effets produits sur les CVM agroalimentaires peut varier selon les mesures, et le secteur économique auquel ces dernières sont appliquées.
Dans la plupart des régions, les projections montrent que l’abandon progressif des obstacles au commerce dans l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons aura plus d’effet que la réduction des distorsions dues au soutien interne. La suppression des obstacles au commerce dans d’autres secteurs que l’alimentation et l’agriculture a également des incidences sur les exportations agroalimentaires (voir la figure 2.8).
Les projections font également apparaître que l’élimination des droits de douane sur les produits agricoles et sur les produits alimentaires dans l’ensemble des pays et des régions déboucherait sur une augmentation des exportations agroalimentaires. Cela implique en outre de meilleures occasions de participer aux CVM en apportant de la valeur ajoutée étrangère à la production destinée à l’exportation (liaisons en amont), et en augmentant les exportations de produits intermédiaires en vue de leur transformation à l’étranger et de leur réexportation (liaisons en aval).
Comparée à la libéralisation des échanges, l’élimination du soutien interne à l’agriculture a peu d’effet sur les exportations agroalimentaires.
En revanche, la suppression des obstacles au commerce dans d’autres secteurs que l’alimentation et l’agriculture entraîne des ajustements qui profitent aux exportations agroalimentaires provenant de certaines régions, aux dépens d’autres parties du monde. Par exemple, en Afrique, l’abandon progressif des obstacles au commerce qui ne concernent pas les produits agroalimentaires a un effet positif sur l’économie de la région, par une amélioration des termes de l’échange qui renforce la position concurrentielle relative des exportations de l’ensemble des secteurs, y compris l’alimentation et l’agriculture. Les exportateurs africains de produits agroalimentaires peuvent ainsi augmenter leur part du marché mondial face à leurs concurrents*. En Asie et en Europe, en revanche, la position concurrentielle se détériore, et les perspectives d’exportation se dégradent.
PROJECTION DES EFFETS SUR LES RENDEMENTS PAR FACTEUR DE PRODUCTION
En moyenne, les échanges commerciaux et la participation aux CVM ont potentiellement des incidences positives sur les revenus agricoles, s’agissant tant de la valeur ajoutée intérieure que de la part qui revient à la main-d’œuvre38. Dans les pays en développement, en particulier, une participation plus active aux CVM pourrait créer davantage d’emplois pour les travailleurs non qualifiés. En effet, d’après les projections, l’accroissement de la participation – du fait de l’élimination des obstacles au commerce et des politiques qui génèrent des distorsions – devrait entraîner une augmentation assez importante de la demande de main-d’œuvre non qualifiée dans les régions où le revenu moyen par habitant est relativement faible. Dans les pays et régions développés, les résultats font apparaître des avantages pour la main-d’œuvre tant qualifiée que non qualifiée (figure 2.9)**. Néanmoins, l’une des questions essentielles est de savoir à quel moment les agriculteurs et les travailleurs agricoles peu qualifiés pourront bénéficier de ces avantages, car les échanges reposant sur les CVM impliquent généralement des exigences rigoureuses pour la production, qui nécessitent des compétences et des capacités spécifiques.
Les projections indiquent également une plus grande contribution de la terre et du capital à la valeur ajoutée exportée***. L’Europe fait exception: la suppression des taxes et des subventions foncières nationales y entraînerait une baisse de la valeur ajoutée****.
Dans l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons, on s’attend à ce que la suppression de l’ensemble des obstacles au commerce et des distorsions des marchés accroisse la participation aux CVM et la valeur ajoutée, par l’intermédiaire des liaisons en aval et en amont, dans toutes les régions.
Dans l’agriculture, l’ouverture au commerce et la suppression des mesures nationales générant des distorsions renforcent en particulier les liaisons en amont dans les CVM, car les pays accroissent leurs importations d’intrants pour l’agriculture (semences et engrais, par exemple). Cela aboutit à une augmentation de la production et des exportations qui reflète l’accroissement de la valeur ajoutée étrangère. La valeur ajoutée intérieure s’accroît également, mais dans une moindre mesure. Cet effet est particulièrement notable en Afrique et en Europe (figure 2.10, panneau A)j.
Dans le secteur de l’alimentation et des boissons, la valeur ajoutée tant intérieure qu’étrangère augmente également dans toutes les régions mais, dans certaines, les liaisons en amont (par l’intermédiaire de la valeur ajoutée étrangère) ne sont pas aussi importantes que la valeur ajoutée intérieure, comme c’est le cas dans l’agriculture (figure 2.10, panneau B). Cette situation reflète les différentes stratégies adoptées pour tirer profit de l’ouverture du commerce mondial. Certains pays peuvent accroître leur participation aux CVM en augmentant l’utilisation d’intrants intérieurs, et par conséquent la valeur ajoutée intérieure. Dans d’autres pays, le secteur de l’alimentation et des boissons pourra choisir de développer les exportations en augmentant les importations de produits agricoles, ce qui accroît la valeur ajoutée étrangère.
La suppression des obstacles au commerce renforce aussi les liaisons en aval dans les chaînes de valeur mondiales (figure 2.10, panneaux C et D). Dans l’agriculture, on constate que la valeur ajoutée intérieure progresse davantage par les liaisons en aval dans les CVM – autrement dit par les exportations de produits, qui sont envoyés au-delà des frontières pour être transformés puis de nouveau exportés – que par le commerce bilatéral en dehors de ces chaînes (exportations qui sont directement consommées dans le pays de destination)k. Dans le secteur de l’alimentation et des boissons, la valeur ajoutée intérieure augmente à la fois par les liaisons en aval dans les CVM et par des exportations en dehors de ces chaînes. L’un des principaux effets de la suppression des obstacles au commerce est le renforcement des liaisons entre l’agriculture et le secteur de l’alimentation et des boissons, entre les pays et dans le cadre des CVM. Dans le secteur agricole, elle stimule les liaisons en aval, par des exportations de produits de base destinés à être transformés à l’étranger. Cela se traduit par des gains importants pour le secteur de l’alimentation et des boissons, qui bénéficie en outre de l’augmentation de l’approvisionnement en intrants à partir de l’agriculture nationale.
D’après les projections, les gains de l’ouverture au commerce varient considérablement selon les régions. Cela est dû au fait que les résultats de la simulation dépendent de l’ampleur du bouleversement (niveau des tarifs d’importation d’origine), de la taille du marché mondial pour des produits de base spécifiques (différence selon les secteurs), de la taille du pays (importance de l’économie nationale), et des spécialisations et avantages comparatifs du pays (assortiment de produits de base exportés). Par exemple, l’Amérique du Nord impose moins de barrières tarifaires et de mesures générant des distorsions que la plupart des autres régions, et devrait de ce fait retirer moins d’avantages de leur suppression.
En outre, la distribution des gains dépend de l’évolution de la position concurrentielle relative. Les pays s’adaptent aux changements dans l’environnement de la politique commerciale en fonction de la manière dont leur économie est structurée, et en fonction de leurs ressources et de la souplesse avec laquelle ils les allouent. En Afrique, par exemple, la disponibilité potentielle de terres implique que la suppression des tarifs d’importation favorisera considérablement les liaisons en amont dans les CVM agricoles et augmentera la valeur ajoutée étrangère par l’intermédiaire des importations, ce qui se traduira ensuite également par une hausse de la valeur ajoutée intérieure dans les exportations. En Océanie, en revanche, l’agriculture devrait augmenter sa valeur ajoutée intérieure exportée par une combinaison de liaisons en aval – notamment le développement des exportations par le secteur de l’alimentation et des boissons – et d’échanges agricoles non liés aux CVMl. Les accords commerciaux régionaux ont en outre une incidence déterminante sur les résultats (voir l’encadré 2.6)39.
Les accords commerciaux régionaux créent de nouveaux liens et flux commerciaux entre les pays signataires et sont susceptibles de détourner des échanges au détriment des pays non signataires. Ils encouragent en outre une coordination verticale entre les pays dans les chaînes de valeur39. Ils peuvent augmenter la participation aux CVM en renforçant à la fois les liaisons en amont et les liaisons en aval40. Par ailleurs, les pays ont plus de chances de rejoindre un accord commercial régional lorsqu’ils ont déjà noué des liens dans le cadre de CVM41.
Étant donné que les exportations agricoles et alimentaires renferment de la valeur ajoutée d’un certain nombre de secteurs économiques (secteur manufacturier, énergie et services, par exemple), et que la valeur ajoutée agroalimentaire est intégrée dans les exportations des secteurs en aval, les accords commerciaux régionaux qui couvrent un grand nombre de secteurs peuvent s’avérer plus efficaces pour stimuler les échanges entre les pays signataires par l’intermédiaire de CVM. Par exemple, une ouverture du commerce des services dans les pays signataires peut renforcer les échanges commerciaux agroalimentaires dans les CVM dans le cadre de l’accord commercial régional. Cela peut doper les exportations de valeur ajoutée agricole et alimentaire, et favoriser l’augmentation de la valeur ajoutée intérieure comme étrangère parmi les signataires, et donc renforcer les liaisons en amont dans les CVM. De plus, les accords commerciaux régionaux peuvent stimuler les exportations de produits alimentaires intégrant des intrants agricoles, et créer des liaisons agroalimentaires en aval dans les CVM.
L’augmentation de la valeur ajoutée échangée entre les membres dans le cadre des CVM – effet de création d’échanges commerciaux – est susceptible d’être en partie compensée par la réduction de la valeur ajoutée échangée avec des pays qui ne font pas partie de l’accord de libre-échange – effet de détournement d’échanges commerciaux –, à moins que ces échanges avec l’extérieur soient solidement intégrés dans ces chaînes de valeur. Ces schémas varient considérablement selon les pays et les secteurs. Cela étant, les avantages des accords commerciaux régionaux sont plus marqués lorsqu’on considère la valeur ajoutée plutôt que les exportations brutes, car le coup de fouet donné par l’accord commercial aux exportations de valeur ajoutée intégrée contribue de manière essentielle à la croissance sectorielle.
D’autres avantages des accords commerciaux régionaux ont des retombées par l’intermédiaire des CVM. Par exemple, les échanges dans le cadre de ces chaînes peuvent favoriser des réformes des institutions et des politiques publiques destinées à réduire les défauts d’efficience. Les retombées technologiques peuvent également être assez importantes. Ces effets sont particulièrement puissants lorsque l’accord commercial régional comprend des éléments de facilitation, comme une assistance technique et financière ou un accès à des connaissances, mais ils sont difficiles à quantifier.
L’OMC favorise par ailleurs la réduction du coût des échanges au moyen de son Accord sur la facilitation des échanges (AFE), dont l’objectif est d’accélérer la circulation, la mainlevée et le dédouanement des marchandises, y compris celles en transit, et de renforcer la coopération entre les douanes. On estime que la mise en œuvre intégrale de cet accord pourrait réduire le coût des échanges de 14 pour cent en moyenne et entraîner une augmentation des échanges mondiaux qui pourrait aller jusqu’à 1 000 milliards d’USD par an, avec les gains les plus élevés dans les pays les plus pauvres. L’AFE vise également à améliorer la transparence, à accroître les possibilités de participer à des chaînes de valeur mondiales et à limiter les risques de corruption42.
L’AFE comprend des dispositions de traitement spécial et différencié qui permettent aux pays les moins avancés de demander une assistance technique et un soutien au renforcement des capacités. Le Mécanisme pour l’Accord sur la facilitation des échanges a été créé pour veiller à ce que les pays en développement et les pays les moins avancés reçoivent l’assistance dont ils ont besoin pour profiter de tous les avantages offerts par l’accord. Cette assistance est bénéfique aux pays en développement, car elle leur permet non seulement de réduire à la fois les coûts variables et fixes des échanges, mais aussi d’alléger le fardeau de la participation aux CVM43.
Les accords commerciaux régionaux ont une incidence importante sur la dimension des chaînes de valeur – régionale (plusieurs pays d’une même région) ou mondiale (pays de différentes régions du monde). Certaines régions, et notamment l’Europe et l’Asie centrale, et l’Asie de l’Est, réalisent la plupart de leurs échanges dans des chaînes de valeur régionales. D’autres, comme l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine et les Caraïbes, s’appuient davantage sur le système commercial mondial – et donc sur l’intégration mondiale – dans le cadre de leur participation à des CVM (voir l’encadré 1.1 dans la première partie)1. Il n’est pas possible de déterminer clairement si les échanges sont devenus plus régionaux ou «véritablement mondiaux» ces dernières années, et les crises économiques, comme celle causée par la pandémie de covid-19 (voir l’encadré 2.7), ont tendance à rendre les pouvoirs publics méfiants vis-à-vis des échanges mondiaux. Cependant, une interruption des négociations commerciales multilatérales pourrait freiner le développement des pays vulnérables, en particulier ceux d’Afrique subsaharienne, qui ont des liens commerciaux avec des partenaires mondiaux en dehors de leur région.
SOURCES: Dellink et al. 2020; Johnson et Noguera. 2017 ; Greenville et al. 2019; Fontagné et Santoni. 2018; OMC. 2015; Beverelli et al. 201516,40,41,42,43,44.
Au printemps 2020, la pandémie de covid-19 et les restrictions à la libre circulation des personnes mises en place pour la contenir ont eu de graves répercussions sur les biens et les services qui dépendent du transport, notamment par voie terrestre et aérienne, ainsi que sur la main-d’œuvre agricole disponible à l’échelle nationale et internationale. Ces facteurs ont provoqué des interruptions générales dans la logistique des chaînes de valeur alimentaires, tant mondiales que nationales, et ont entravé le transport des intrants alimentaires et agricoles (voir aussi l’encadré 1.2 dans la première partie). Au moment de la rédaction du présent rapport, le transport maritime n’avait pas été touché de manière significative – les autorités de l’État du port ayant coordonné leurs mesures pour que les ports et le transport maritime continuent de fonctionner. Cela étant, les perturbations dans le transport aérien – diminution de 70 pour cent du nombre de vols dans le monde entre janvier et avril 2020 – ont posé des problèmes, notamment pour les échanges d’aliments périssables tels que les fruits45.
Le débat sur la mondialisation a été relancé du fait de la pandémie, et les restrictions des voyages et des déplacements pourraient nécessiter à court terme un certain rééquilibrage entre les chaînes de valeur mondiales et nationales pour assurer des disponibilités alimentaires, en particulier pour les segments de population les plus vulnérables. À long terme, les répercussions économiques de la pandémie sont susceptibles de déboucher sur des ajustements de la structure des échanges qui pourraient avoir, comme lors du ralentissement économique qui a suivi la crise financière de 2008, des incidences sur les chaînes de valeur mondiales. Les CVM favorisent le développement des canaux de diffusion des technologies et des connaissances. Ces mêmes canaux transmettent également les crises économiques et leurs répercussions. Couper ces canaux au titre d’un arbitrage entre efficience et résilience face aux crises ne peut pas constituer une stratégie à long terme. Un désengagement du commerce international et des CVM pourrait réduire considérablement les gains d’efficience associés aux avantages comparatifs et entraîner une hausse des prix intérieurs des produits alimentaires – ce qui n’est pas un résultat souhaitable à un moment où les revenus baissent. La pandémie de covid-19 appelle à collaborer et se coordonner à l’échelle internationale plutôt qu’à poursuivre la recherche d’une autosuffisance alimentaire. Étant donné que ses répercussions ne se font pas sentir en même temps dans tous les pays, le commerce international peut aider à gérer les risques et contribuer à renforcer la résilience.
Cependant, la plus grande menace pour la sécurité alimentaire provient des interdictions d’exporter. La FAO, conjointement avec d’autres organisations internationales comme le Fonds international de développement agricole (FIDA), le Programme alimentaire mondial (PAM), l’OMS, l’OMC et la Banque mondiale, a insisté sur la nécessité de maintenir les chaînes de valeur alimentaires et agricoles en fonctionnement, et sur l’effet préjudiciable que pourraient avoir les restrictions aux exportations sur le marché mondial. Lors de la crise des prix des denrées alimentaires de 2007-2008, les interdictions d’exportation décidées sous l’effet de la panique et l’augmentation rapide des importations pour constituer des stocks alimentaires ont exacerbé l’instabilité des prix. Ces mesures ont eu des effets extrêmement dommageables sur les pays à faible revenu qui sont dépendants des importations de produits alimentaires, et sur les activités d’approvisionnement des organisations humanitaires.
Les décideurs publics à l’échelle mondiale ont réagi. Lors de leur réunion du 21 avril 2020, les ministres de l’agriculture du G20 se sont engagés à «éviter toute mesure de restriction injustifiée qui pourrait entraîner une instabilité excessive des prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux et menacer la sécurité alimentaire et la nutrition d’une grande partie de la population mondiale, notamment les personnes les plus vulnérables dont la sécurité alimentaire est précaire». Ils sont en outre convenus de mettre en œuvre des mesures transparentes et temporaires qui n’entraînent pas d’interruption des chaînes d’approvisionnement alimentaires mondiales, conformément aux règles de l’OMC.
Par ailleurs, l’Union européenne et 21 autres membres de l’OMC se sont également engagés à veiller au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement alimentaires mondiales et à favoriser des échanges libres et prévisibles de produits agricoles et alimentaires durant la pandémie.
SOURCES: FAO, OMS et OMC. 2020; FAO, FIDA, Banque mondiale et PAM. 2020; déclaration publiée à l’issue de la réunion extraordinaire des ministres de l’agriculture du G20, avril 2020; OMC. 202046,47,48,49.
Dans la plupart des régions, la suppression des obstacles au commerce dans l’agriculture déboucherait, d’après les projections, sur une augmentation plus importante de la valeur ajoutée exportée indirectement, c’est-à-dire par l’intermédiaire du secteur national de l’alimentation et des boissons (ou d’autres secteurs économiques qui utilisent des intrants agricoles), plutôt que dans le cadre d’exportations directes de produits agricoles (figure 2.11, panneau A)m. Cela signifie que les marchés libres pourraient contribuer à stimuler la participation aux CVM par le développement des secteurs alimentaires nationaux (voir également l’encadré 2.8).
La plupart du temps, la recherche sur le développement agricole est axée sur l’intégration du secteur dans les marchés mondiaux; l’évolution des segments intermédiaires (transformation, logistique et commerce de gros) des chaînes de valeur agroalimentaires dans les pays en développement n’a été que peu étudiée jusqu’à ces derniers temps50.
Dans le prolongement des tendances des économies développées, et mue par l’investissement des secteurs privés nationaux et internationaux, la transformation a souvent débuté par une multiplication des petites et moyennes entreprises dans les secteurs intermédiaires, suivie d’un processus de regroupement et de concentration. Aujourd’hui, les segments intermédiaires peuvent représenter entre 30 pour cent et 40 pour cent de la valeur ajoutée dans les chaînes de valeur alimentaires des pays en développement50. Par exemple, au Bangladesh, en Inde et en République populaire de Chine, la part de ces segments dans les marges commerciales totales des chaînes de valeur du riz a été évaluée à 32 pour cent environ en moyenne, et à 42 pour cent dans les chaînes de valeur de la pomme de terre51.
En Afrique de l’Ouest, le secteur de la transformation des produits alimentaires est le plus important sous-secteur manufacturier s’agissant de l’emploi. Il contribue pour seulement 5 pour cent à l’emploi dans l’économie agroalimentaire totale, mais à 30 pour cent en moyenne à l’emploi dans l’ensemble des secteurs secondaires. Au Niger et au Nigéria, la transformation des produits alimentaires représente près de 50 pour cent des activités manufacturières (figure 2.12), et un grand nombre des emplois se trouve dans des micro-, petites et moyennes entreprises de l’économie informelle52.
En raison de sa nature de segment intermédiaire, le secteur de la transformation de produits alimentaires engendre d’importantes liaisons en amont et en aval intérieures et internationales avec l’agriculture et d’autres activités non agricoles. Cependant, alors que la demande d’activités de transformation des produits alimentaires devrait continuer à augmenter dans de nombreux pays en développement, la croissance des grands transformateurs industriels est souvent limitée par des difficultés à s’approvisionner en matières premières locales de qualité constante, ce qui les rend largement dépendants d’importations de produits de base52.
Pour disposer d’un approvisionnement en produits agricoles plus fiable et plus stable, les transformateurs ont commencé à abandonner les marchés du disponible pour des contrats plus formels avec les exploitations. Cependant, les dispositifs d’agriculture contractuelle liés aux transformateurs semblent se développer uniquement pour certaines catégories de produits de base (voir la troisième partie). Pour s’assurer de la qualité des produits agricoles, les transformateurs associent de plus en plus des normes privées aux normes alimentaires publiques (voir la première partie)50.
SOURCES: Reardon. 2015; Reardon. et al. 2012; et Allen et al. 201850,51,52.
En moyenne, dans le secteur de l’alimentation et des boissons, les marchés libres peuvent favoriser le développement dans les deux directions, mais ont un effet plus marqué sur la valeur ajoutée exportée directement. La valeur ajoutée qui est générée et exportée par ce secteur illustre également le fait qu’il se situe plus en aval dans la chaîne de valeur (figure 2.11, panneau B).
En Océanie, les effets sont importants en pourcentage, mais étant donné que la région représente moins de 10 pour cent des échanges mondiaux dans les deux secteurs, cette progression masque des niveaux d’échanges initiaux peu élevés.
À l’échelle mondiale, les marchés libres peuvent stimuler l’activité économique et favoriser les échanges commerciaux et la participation aux CVM. La réduction des obstacles au commerce peut conduire à une augmentation tant des importations d’intrants pour l’agriculture que des exportations de produits agricoles en vue de leur transformation dans d’autres pays. Par ailleurs, le secteur de l’alimentation et des boissons peut importer davantage d’intrants agricoles de l’étranger et accroître ses exportations en vue de la transformation, puis de la consommation finale des produits dans des pays partenaires.
Cependant, en moyenne, les projections indiquent qu’une grande partie de la production agricole est destinée à être utilisée par l’industrie alimentaire nationale (voir la figure 2.11, panneau A). Cela signifie que l’industrie alimentaire exporte de la valeur ajoutée issue de l’agriculture. Par conséquent, la réduction des obstacles aux échanges pourrait déboucher sur une multiplication des chaînes de valeur mondiales, mais permettre aussi le développement des industries alimentaires nationales. Une telle évolution reflète le lien entre la croissance économique et la transformation des chaînes de valeur de l’alimentation et de l’agriculture (voir la première partie). Au fil du développement, l’industrie alimentaire prend de l’importance, tandis que la contribution relative de l’agriculture à la valeur ajoutée agroalimentaire totale décroît (voir la figure 1.14 de la première partie). Le renforcement des liaisons entre l’agriculture et l’industrie alimentaire dans le pays mais aussi à l’étranger peut stimuler la croissance de la productivité du travail, et donc celle de l’économie.
L’analyse suppose que la participation aux CVM peut favoriser la croissance économique dans l’alimentation et l’agriculture par deux voies complémentaires. Les pays peuvent pénétrer ces chaînes coordonnées de manière verticale par l’amont et augmenter leurs exportations de produits agricoles. Cela peut déboucher sur une augmentation de la productivité par différents canaux, notamment grâce à l’accès à des technologies améliorées et à des connaissances. Les pays peuvent aussi entrer dans les CVM par l’aval, par l’intermédiaire de leur industrie alimentaire. Cependant, si l’industrie alimentaire nationale est émergente ou n’est pas encore complètement développée, l’augmentation de la valeur ajoutée intérieure par des exportations de produits primaires à des transformateurs étrangers peut être combinée à un renforcement progressif des capacités de transformation de produits alimentaires, ce qui peut aussi constituer une source indirecte d’exportation de valeur ajoutée agricolen. C’est le cas dans de nombreux pays africains, par exemple.
La part des échanges qui passe par les CVM et les effets de ces chaînes sur la productivité et la croissance économique plaident en faveur de marchés libres et de la réduction des obstacles au commerce. En divisant le processus de production entre plusieurs pays, elles associent les avantages comparatifs de nombreuses entreprises de différents pays, et offrent ainsi un point d’accès important au commerce international. Les étapes de production plus fragmentées et plus spécialisées des CVM facilitent la pénétration du marché mondial.
L’analyse des échanges du point de vue des chaînes de valeur mondiales montre en outre que les coûts entraînés par les obstacles au commerce peuvent être élevés1,53. Du fait de la fragmentation plus importante de la production entre les pays, des tarifs douaniers sont appliqués à plusieurs étapes de la chaîne de valeur. Les intrants et les produits intermédiaires traversent à de nombreuses reprises des frontières, et les droits de douane portent à chaque fois sur la valeur totale des exportations (y compris sur le montant sur lequel des droits ont été payés précédemment). Les effets domino sur l’ensemble des partenaires commerciaux de la chaîne de valeur mondiale peuvent être considérables. Par ailleurs, l’incertitude concernant les politiques commerciales peut être amplifiée par les CVM, les entreprises étant dans ce cas moins enclines à continuer d’investir dans des relations nouvelles ou existantes avec des fournisseurs étrangers.
Les droits de douane s’accumulant dans les CVM, leur effet devient plus important, voire préjudiciable si un produit est exporté en vue de sa transformation puis réimporté dans le pays d’origine. En outre, étant donné que ces chaînes renforcent les liens commerciaux entre les pays, les mesures commerciales nationales, mais aussi celles des autres pays, ont une incidence sur la création de valeur ajoutée intérieure. Les tarifs douaniers imposés sur le marché de destination peuvent avoir des répercussions sur les activités de production qui sont liées aux CVM et réparties entre différents pays54.
De ce fait, les avantages découlant des baisses de tarifs douaniers augmentent lorsqu’une part importante des échanges agroalimentaires a lieu dans le cadre de CVM. Cette situation peut entraîner une réorientation des politiques, à savoir l’abandon de mesures de substitution des importations et de protection des producteurs nationaux par des tarifs douaniers au profit d’incitations à développer l’activité économique intérieure par une hausse des exportations et une intégration dans le marché mondial55,56. Étant donné qu’une part de plus en plus importante des échanges mondiaux a lieu entre des économies émergentes et en développement, et qu’elle devrait encore progresser, une telle stratégie ne peut être efficace que si elle est adoptée dans le plus grand nombre de pays possible, solution préférable à celle consistant à tabler uniquement sur une augmentation de l’accès aux seuls marchés des pays développés.
Les chaînes de valeur mondiales, mais aussi, de manière plus générale, l’évolution des secteurs de l’alimentation et de l’agriculture, ont entraîné une augmentation des exigences en matière de technologies, de capital et de compétences de la main-d’œuvre pour la production d’aliments et de boissons (voir l’encadré 2.5). On peut favoriser les liaisons avec les CVM en encourageant la transformation et le développement des secteurs nationaux. Le développement d’une agriculture et d’une industrie alimentaire concurrentielles nécessite des politiques qui incitent à adopter les nouvelles technologies, qui renforcent les compétences et les capacités et qui facilitent la coopération entre les acteurs publics et privés38,55. Par ailleurs, les marchés libres sont généralement propices à la croissance économique, mais ils peuvent avoir différents effets sur les résultats environnementaux, sociaux et sanitaires. Ces effets, tant positifs que négatifs, peuvent être amplifiés par les CVM.
Pour tirer parti des possibilités découlant d’une participation accrue aux chaînes de valeur mondiales, il faut que l’environnement politique national soit cohérent avec la politique générale en matière de commerce. Les décideurs publics doivent s’employer à mettre en place un environnement qui permettra au secteur de l’alimentation et à celui de l’agriculture d’optimiser leurs avantages comparatifs et d’être concurrentiels dans les CVM agroalimentaires38.
On peut enrichir le débat sur les gains économiques liés aux échanges commerciaux en examinant les impacts de ces derniers sur l’environnement, sur les inégalités et, s’agissant en particulier du commerce des produits alimentaires, sur les aspects sanitaires et nutritionnels. Le commerce international, comme toutes les activités économiques, peut appuyer des pratiques durables, en encourager certaines qui ne le sont pas, et avoir diverses conséquences environnementales et sociales (encadré 2.9). Les chaînes de valeur mondiales peuvent renforcer les effets sur les résultats durables, car elles contribuent à tisser entre les différents acteurs des liens plus étroits que ceux qui sont créés par des formes d’échanges moins structurées. D’un côté, les CVM peuvent amplifier les effets tant positifs que négatifs, notamment dans un contexte de commerce ouvert. De l’autre, les retombées en matière de connaissances et de technologies qui sont favorisées par ces chaînes de valeur peuvent permettre d’opérer des arbitrages entre les différents objectifs économiques, environnementaux et sociaux.
Les activités économiques ont des effets sur l’environnement qui ne sont généralement pas pris en compte dans les calculs de coûts effectués par les producteurs. Il s’agit d’effets externes aux marchés, et les coûts qu’ils engendrent pour la société ne sont pas répercutés sur le prix des produits. Généralement, les pouvoirs publics interviennent pour faire coïncider les résultats des marchés avec les intérêts collectifs, et notamment le bien-être social et environnemental. La réglementation directe, les taxes et les subventions font partie des outils utilisés pour veiller à ce que ces effets soient pris en compte. Au cours des dernières décennies, l’initiative est progressivement venue du secteur privé, et les entreprises ont commencé de leur propre chef à intégrer les externalités sociales et environnementales.
Les entreprises et les consommateurs sont de plus en plus conscients du niveau de connexion sans précédent entre les économies, l’environnement et le bien-être social. Dans les pays qui sont bien intégrés dans des CVM, les incitations économiques touchant les activités commerciales associées à des externalités environnementales peuvent s’étendre au-delà des frontières et de l’autorité nationales. Une illustration de ce processus est l’augmentation des taux de déforestation en Amazonie brésilienne au début et au milieu des années 200062.
Pendant les années 90, la filière bovine brésilienne est restée coupée des marchés régionaux et mondiaux en raison des préoccupations sanitaires liées à la présence de fièvre aphteuse dans les troupeaux, et la culture du soja était presque inexistante du fait de l’absence de variétés adaptées aux conditions météorologiques et aux sols locaux. En outre, la plupart des infrastructures régionales étaient inadaptées62. Les progrès technologiques dans les secteurs de l’élevage bovin et du soja ont changé la donne. En même temps, la croissance démographique et la hausse des revenus ont entraîné une augmentation de la demande de viande bovine et de soja, aux niveaux national et mondial. Cette demande accrue a créé les incitations économiques nécessaires aux producteurs, et a été à l’origine d’importants changements d’affectation des terres et d’une déforestation de grande ampleur dans la région de l’Amazonie.
Cet essor économique s’est accompagné d’un développement des infrastructures. Dans l’Amazonie brésilienne, la création de liaisons entre les zones isolées grâce à l’extension du réseau routier a contribué à diminuer le coût du transport, à renforcer l’intégration des marchés et à augmenter la valeur des terres, autant de facteurs qui ont incité à accélérer la déforestation63,64. Parallèlement, ces moteurs ont fait de l’agriculture l’un des grands piliers de l’économie brésilienne. Le secteur est bien intégré dans l’économie mondiale et les marchés des produits de base, ce qui le rend plus à l’écoute des forces du marché et des appels internationaux à produire plus durablement et à réduire les taux de déforestation.
Avec le moratoire sur le soja, le secteur privé a répondu aux pressions de plus en plus fortes exercées par les groupes de défense de l’environnement et les consommateurs face aux effets environnementaux de la chaîne de valeur mondiale du soja. Au titre de ce moratoire, les principaux négociants brésiliens de soja se sont engagés de manière définitive à ne pas commercialiser de soja produit sur des terres déboisées après 2006 dans l’Amazonie brésilienne. Ce moratoire est unique en ce sens que les acteurs privés ont pris des mesures collectives afin de respecter la réglementation publique (le Code forestier brésilien prévoit que 80 pour cent de la végétation indigène doit être préservée dans les zones privées du biome amazonien). Avant ce moratoire, près de 30 pour cent de l’expansion des cultures de soja provenaient de la déforestation de l’Amazonie, pourcentage qui est ensuite tombé à 1 pour cent environ65. Ce moratoire est un bon exemple de la manière dont le commerce international et les marchés peuvent aider à opérer des arbitrages efficaces entre les objectifs économiques et environnementaux.
La demande mondiale de soja étant restée forte dans les années qui ont suivi, les cultures se sont développées sur les terres déjà déboisées qui étaient utilisées comme pâturages à l’époque puis, rapidement, sur le biome du Cerrado. Cette zone de savane et de forêt claire est soumise à une réglementation différente, qui permet actuellement aux propriétaires fonciers privés de modifier de manière significative le couvert végétal et l’utilisation des terres. Ce type d’initiatives peut donc encore être étendu à d’autres chaînes de valeur et biomes afin d’arrêter la déforestation à outrance66.
Les accords commerciaux qui ont été négociés récemment comprennent des dispositions environnementales ambitieuses. Ils incitent les producteurs à adopter des pratiques durables qui leur permettront de pénétrer de nouveaux marchés et de s’y maintenir. Les politiques actuelles qui vont au-delà d’une législation exclusivement nationale et englobent les acteurs mondiaux peuvent mettre en place des incitations économiques et contribuer à la réalisation des objectifs nationaux de développement durable.
SOURCES: Nepstad et al. 2006; Miranda et al. 2019; Nascimento et al. 2019; Gibbs et al. 2015; Soterroni et al. 2019; FAO. 201662,63,64,65,66,67.
Les chaînes de valeur mondiales qui s’inscrivent dans la logique des objectifs de développement durable peuvent diffuser des technologies et des pratiques durables, tout en favorisant la productivité et la croissance des revenus dans les différents pays. Une participation plus importante aux chaînes de valeur mondiales peut propager les impacts positifs des réglementations environnementales d’un pays à un autre et contribuer au développement durable. Par exemple, les entreprises axées sur l’exportation pourront se conformer plus strictement aux réglementations relatives à la durabilité et utiliser des technologies plus propres que les autres entreprises traditionnelles du pays, soit pour être en règle avec les normes publiques du pays importateur, soit parce que les partenaires en aval dans une CVM leur imposent des normes privées.
Les politiques commerciales qui favorisent une harmonisation des réglementations et qui appuient l’adoption de normes de durabilité élevées dans les CVM peuvent empêcher la pratique des arbitrages réglementaires par les entreprises multinationales (qui ont la possibilité de déplacer facilement des parties de la chaîne de production d’un pays à un autre). Les dispositions du nouvel accord commercial entre l’Union européenne et le MERCOSUR, par exemple, établissent un lien direct entre la suppression des tarifs douaniers et les normes de bien-être des animaux57.
Par ailleurs, les chaînes de valeur mondiales peuvent jouer un rôle essentiel dans la diffusion de technologies et de pratiques durables à l’échelle internationale. Un volet essentiel de la transition vers le développement durable est l’adoption généralisée de technologies plus efficientes et plus propres. Les marchés libres et la participation aux CVM peuvent stimuler ce développement technologique dans le monde et encourager sa diffusion dans l’ensemble des payso. Mais lorsque les chaînes de valeur mondiales enferment les acteurs dans des modèles commerciaux spécifiques, elles peuvent les empêcher d’adopter des technologies plus propres.
La gestion environnementale des chaînes d’approvisionnement, qui vise à réduire les effets sur l’environnement, la pollution et les déchets, est particulièrement pertinente à l’ère des chaînes de valeur mondiales59,60. Elle comprend notamment la logistique verte (réduction des émissions, des déchets et de la pollution liés aux activités logistiques); les solutions de transport durables (autres modes de transport et camions réfrigérés à l’aide de techniques plus durables); la réduction des emballages et l’utilisation de matériaux de conditionnement recyclés. Compte tenu de la nature mondiale de nombreuses chaînes de valeur, une coordination internationale est essentielle; il convient en outre de s’attaquer aux effets sur l’environnement qui ne peuvent être attribués spécifiquement à un pays, tels que ceux générés par le transport maritime et aérien international61.
Les normes privées peuvent également être un outil efficace pour renforcer la durabilité des activités des CVM. La mise en application des exigences des systèmes de certification de la durabilité offre des avantages environnementaux et sociaux indéniables (voir ci-après et la troisième partie)68. La part de la production agricole soumise à des normes de durabilité croît rapidement: en 2015, plus de 50 millions d’hectares étaient certifiés biologiques, et la superficie de cultures de coton, de bananes, de cacao et de thé certifiées durables a plus que doublé entre 2011 et 2015.
L’augmentation rapide de la participation des pays en développement aux échanges et l’émergence de chaînes de valeur mondiales ont coïncidé avec un recul considérable de la pauvreté extrême à l’échelle mondiale69. Les marchés libres sont souvent considérés comme un moyen de générer de la croissance, mais ils ne constituent pas un mécanisme de réduction des inégalités70. De fait, la mondialisation s’est accompagnée d’une aggravation des inégalités de richesse et de revenus dans de nombreux pays72.
Une récente analyse des incidences de l’élimination des tarifs douaniers sur les produits agricoles dans 54 pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire a révélé une augmentation à la fois des revenus et des inégalités71. Les résultats indiquent qu’en moyenne, la libéralisation des échanges agricoles aboutit à une hausse des revenus des ménages. Par ailleurs, on a constaté que l’élimination des tarifs d’importation avait des effets différents selon les pays, et selon les ménages dans un même pays. Dans 37 des 54 pays étudiés, les 20 pour cent des ménages les plus aisés profiteraient davantage de la libéralisation que les 20 pour cent des plus pauvres, ce qui exacerberait les inégalités relatives, même si tous les groupes de ménages seraient gagnants en termes absolus.
Au Viet Nam, par exemple, les revenus des ménages les plus riches ont augmenté, en moyenne, de 2,7 pour cent, contre 1 pour cent pour les plus pauvres. Ces différences dépendent des caractéristiques des ménages, comme les profils de consommation ou les structures des revenus, et appellent des politiques et des mesures complémentaires.
Le développement des échanges agricoles par l’intermédiaire des chaînes de valeur mondiales peut avoir des incidences plus marquées sur les inégalités, car les nouvelles technologies et processus novateurs associés à ces chaînes requièrent des compétences plus pointues. Les échanges fondés sur les CVM peuvent donc, dans une certaine mesure, réduire la possibilité pour les pays en développement d’exploiter les avantages comparatifs liés à une main-d’œuvre peu qualifiée72. Par le passé, un certain nombre d’économies d’Asie du Sud-Est ont enregistré une croissance rapide et se sont tournées vers une fabrication à faible coût axée sur l’exportation en tirant parti des chaînes de valeur régionales et mondiales et d’une main-d’œuvre peu qualifiée; cette stratégie a débouché sur une augmentation de la productivité et une hausse des salaires qui ont permis à ces pays d’accéder à la tranche de revenu intermédiaire. Des éléments probants récents issus d’analyses de CVM liées au secteur manufacturier dans 58 pays font apparaître que la participation à des chaînes de ce type a entraîné une augmentation de la productivité, mais pas de croissance de l’emploi73. Cela pourrait être lié au fait que l’intensité en capital du secteur manufacturier ne cesse d’augmenter.
Dans le secteur de l’agriculture, en revanche, les exigences en matière de capital et de main-d’œuvre hautement qualifiée sont peut-être moins élevées. Cependant, même dans les CVM agroalimentaires, une grande importance est accordée aux qualifications de la main-d’œuvre, à la taille des exploitations et à l’accès au crédit. Les agriculteurs des pays en développement n’ont pas tous les compétences et les moyens nécessaires pour adopter les pratiques agricoles, les normes et les objectifs logistiques exigés par les partenaires en aval de ces chaînes de valeur.
Si seuls les agriculteurs les plus qualifiés et les exploitations les plus grandes peuvent accéder aux chaînes de valeur mondiales, les inégalités sociales relatives risquent d’augmenter, malgré la progression des revenus moyens. La commercialisation agricole parfois engendrée par les CVM risque de marginaliser les petits exploitants pauvres qui ne peuvent pas satisfaire à des critères exigeants, même si la productivité agricole moyenne augmente et que ceux qui peuvent participer à ces chaînes en retirent des gains économiques. Compte tenu de ces préoccupations d’ordre distributif, il est essentiel de remédier aux dysfonctionnements des marchés qui empêchent les agriculteurs pauvres d’accéder à des marchés lucratifs (voir la troisième partie pour une analyse de la participation des agriculteurs aux chaînes de valeur).
On peut réduire les inégalités en adoptant des politiques qui privilégient une croissance inclusive et en veillant tout particulièrement à ce que personne ne soit laissé de côté. Par exemple, l’initiative de l’Union européenne sur l’analyse des chaînes de valeur pour le développement (VCA4D) applique un cadre précis axé sur les effets économiques et environnementaux, mais aussi sur les aspects sociaux favorisant une croissance inclusive, tels que le bien-être des enfants, les questions de parité, les droits relatifs à la terre et à l’eau et le capital social. Le projet VCA4D fournit aux décideurs des données probantes sur les stratégies de développement durable propres aux chaînes de valeur mondialesp.
De façon générale, l’accès à l’eau et à l’énergie donne aux personnes – et en particulier aux femmes, qui passent souvent plus de temps que les hommes à aller chercher de l’eau et du combustible – la possibilité d’avoir des activités productives, plutôt que de devoir se consacrer à leurs besoins essentiels. Il est primordial que les enfants aient accès à l’éducation et que les adultes disposent de possibilités d’apprentissage tout au long de leur vie. Les compétences élevées requises par les CVM et les méthodes de production durable peuvent constituer une incitation majeure à resserrer les liens entre les objectifs en matière d’éducation et de travail décent. Les technologies de production plus modernes qu’il est souvent nécessaire d’adopter pour intégrer des CVM peuvent également rendre l’alimentation et l’agriculture plus attirantes aux yeux des jeunes générations éduquées, et les pousser à rester dans les zones rurales pour dynamiser l’économie locale.
De manière générale, les chaînes de valeur mondiales pourraient être une source importante de progrès sur le plan social74. La participation à des CVM agroalimentaires peut améliorer la sécurité alimentaire des petits exploitants agricoles grâce à un renforcement de la productivité susceptible de se traduire ensuite par une augmentation des revenus ruraux, une réduction de la pauvreté rurale et des perspectives favorables à la croissance (voir aussi la troisième partie)75. Les retombées positives sur les marchés alimentaires intérieurs, notamment du fait de l’augmentation de la productivité, peuvent en outre contribuer à assurer la sécurité alimentaire de tous76,77. Ces gains peuvent permettre aux personnes d’acheter davantage de nourriture (augmentation des apports alimentaires), de se procurer des aliments plus diversifiés (renforcement de la diversité de l’alimentation, et éventuellement de la qualité de celle-ci), ou d’investir dans les installations d’assainissement et dans les soins de santé (déterminants essentiels des résultats nutritionnels, en particulier chez les enfants)78. Les arbitrages en jeu sont toutefois complexes, et on note des différences considérables selon les régions et selon les marchés.
Avec des mesures spécifiques, les chaînes de valeur mondiales peuvent également contribuer à réduire la malnutrition. Ces interventions peuvent notamment consister à enrichir des aliments transformés en micronutriments spécifiques (acide folique ou fer, par exemple) qui, autrement, disparaissent au cours de la transformation ou, de façon plus générale, ne sont pas consommés régulièrement par les plus pauvres, ou pas en quantité suffisante. Des CVM efficaces fondées sur des technologies de chaîne du froid améliorées sont susceptibles d’augmenter les échanges de fruits et de légumes (en évitant des risques de détérioration durant le transport). Elles peuvent donc augmenter la diversité alimentaire des consommateurs dans les pays qui ne disposent pas d’un avantage comparatif dans la production de fruits et de légumes. Pour finir, il est possible, par le conditionnement et l’étiquetage nutritionnel, d’augmenter la demande d’aliments plus nutritifs et éventuellement de réduire celle d’aliments à densité énergétique élevée.
Cependant, l’augmentation des disponibilités en produits transformés suscite des inquiétudes sur la contribution des échanges commerciaux et des CVM à la surnutrition et à l’obésité. L’urbanisation et l’évolution des styles de vie, ainsi que l’augmentation du nombre de ménages dans lesquels les femmes et les hommes ont des emplois rémunérés, ont entraîné une consommation accrue d’aliments transformés. Des éléments probants relatifs au Mexique indiquent une augmentation significative de la part de l’énergie consommée provenant d’aliments ultratransformés dans les ménages urbains disposant de revenus plus élevés, dirigés par une personne ayant fait des études poussées, et dans lesquels les hommes et les femmes sont sur le marché du travail79.
On a défini différentes mesures prioritaires pour faire reculer l’épidémie d’obésité et les maladies non transmissibles liées à la consommation de certains aliments transformés, en particulier des produits à teneur élevée en graisses saturées, en sel et en sucre. Les mesures proposées comprennent des taxes, la réglementation de la publicité pour les aliments, la promotion d’aliments plus sains comme les fruits et les légumes, une amélioration de l’étiquetage des aliments transformés et l’utilisation d’ingrédients plus sains dans ces derniers80,q. Des éléments probants montrent que les mesures visant à réduire la consommation de boissons sucrées avec du sucre ont donné des résultats dans un certain nombre de pays (voir l’encadré 2.10). Toutefois, les gouvernements disposent encore d’une certaine latitude pour aider les entreprises à remédier aux conséquences imprévues de leurs activités sur l’obésité.
La consommation de boissons sucrées avec du sucre augmente rapidement dans le monde, et est à l’origine de prises de poids plus importantes, d’un dérèglement de la production de glucose et de la propagation de maladies non transmissibles comme le diabète de type 2. Les pouvoirs publics ont de plus en plus recours à des mesures qui visent à réduire la consommation de ces boissons et à empêcher l’obésité et les maladies connexes de continuer à s’étendre81.
Au Mexique, l’obésité pose depuis quelques années un grave problème de santé publique dans tous les groupes d’âges. La prévalence de l’excès pondéral et de l’obésité est de 33 pour cent chez les enfants mexicains. Chez les adultes, la prévalence de l’excès pondéral et de l’obésité est de 70 pour cent, et celle de l’obésité seule, toujours chez les adultes, est de 35 pour cent environ82.
Quelque 70 pour cent des apports en sucre des Mexicains proviennent de ce type de boissons. La réduction de la consommation de ces boissons a donc été considérée comme le point de départ logique des mesures visant à diminuer l’excès pondéral et l’obésité dans le pays83.
En 2013, le gouvernement mexicain a approuvé un droit d’accise sur ces boissons ainsi qu’une taxe sur les ventes de certains aliments à densité énergétique élevée dans le but de réduire la prévalence de l’excès pondéral et de l’obésité dans le pays. Entré en vigueur le 1er janvier 2014, le droit d’accise sur les boissons sucrées avec du sucre a suscité une levée de boucliers de la part des fabricants mexicains de produits alimentaires et de boissons. D’un montant d’un peso mexicain par litre, il correspond à une taxe de 10 pour cent environ. La mesure prévoyait un ajustement annuel de ce droit d’accise en fonction de l’indice d’inflation.
Une évaluation détaillée de cette mesure destinée à lutter contre la surnutrition et ses conséquences préjudiciables sur la santé a été réalisée dans le cadre d’une étude récente. Elle a permis de conclure que bien que cette taxe soit imposée aux fabricants de boissons, sa charge était presque entièrement répercutée sur les consommateurs. Les auteurs de l’étude ont estimé que le droit d’accise sur les boissons sucrées avec du sucre au Mexique avait permis de réduire la consommation de ces boissons de 6 pour cent dans les mois qui avaient suivi son entrée en vigueur. Un an plus tard, en décembre 2014, la consommation avait diminué de 12 pour cent d’après les estimations. La plus forte diminution (17,4 pour cent) avait été enregistrée par les ménages pauvres. Parallèlement, l’étude a montré que la consommation de boissons non sucrées avait augmenté de 4 pour cent cette même année.
Au Chili, les pouvoirs publics ont pris des mesures face aux préoccupations suscitées par la prévalence de l’excès pondéral et de l’obésité, en particulier chez les enfants. En 2016, on estimait que près de 25 pour cent des élèves de première année du primaire étaient obèses84. Face à cette situation, le gouvernement a mis en application en 2016 une loi sur l’étiquetage et la publicité des produits alimentaires. Cet ensemble de mesures destinées à éviter que la prévalence de l’obésité ne continue à augmenter comprenait notamment des restrictions en matière de commercialisation d’aliments et de boissons à forte valeur énergétique ou à teneur élevée en sucre, en sel et en graisse saturée (interdiction de la vente de ce type d’aliments et de boissons dans les écoles, par exemple) et un système national d’étiquetage obligatoire prévoyant des mises en garde sur le devant des emballages. Ces mesures ont entraîné une réduction de 24 pour cent des achats de boissons sucrées avec du sucre.
Devant l’efficacité de l’expérience mexicaine de taxe sur les boissons sucrées avec du sucre, d’autres pays éprouvant des difficultés à infléchir les tendances de l’excès pondéral et de l’obésité ont mis en place des mesures similaires. Par exemple, six villes des États-Unis d’Amérique ont instauré des systèmes de taxe sur les boissons sucrées avec du sucre en 2017. Des pays tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont institué les plus fortes taxes sur ces boissons à ce jour. De la même manière, de nombreux pays mettent activement en œuvre des mesures telles que des avertissements sur la face avant des emballages (Équateur, Pérou et Uruguay, notamment), tandis que d’autres envisagent de prendre la loi chilienne sur l’étiquetage comme modèle pour leur propre législation84.
SOURCES: Adapté de Gómez et al. 2020; Taillie et al. 2020.85,86.
La transformation des marchés agricoles et alimentaires est le résultat d’une combinaison de facteurs, comme la hausse des revenus, l’urbanisation et la transition nutritionnelle. Elle a favorisé la forte pénétration des supermarchés dans le secteur du commerce de détail et l’introduction de normes strictes en matière de qualité et de sécurité sanitaire des aliments. La demande de produits différenciés et l’instauration de normes publiques et privées dans les pays ont engendré des chaînes de valeur mondiales de plus en plus complexes. Parallèlement, la multiplication des CVM, et en particulier la fragmentation des processus de production entre différents pays, nécessite une coordination et une gouvernance verticales importantes au sein des chaînes, sources de préoccupations fréquentes au sujet de la limitation de la puissance de marché en cas de divergences entre les politiques nationales en matière de concurrence.
Diverses raisons motivent l’utilisation de systèmes de certification et de normes aux différentes étapes des chaînes de valeur mondiales. Les gouvernements imposent des réglementations et des normes publiques pour gérer les aspects sanitaires et s’assurer de la sécurité sanitaire et de la qualité environnementale et sociale des produits agricoles et des produits alimentaires qui entrent sur leurs marchés. Ces normes sont régies par les accords de l’OMC, tels que ceux sur les obstacles techniques au commerce et sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. L’Accord sur les obstacles techniques au commerce comprend des normes sur les produits, des règlements techniques ainsi que des procédures d’évaluation de la conformité, et prévoit des disciplines pour veiller à ce que les produits importés soient traités sur un pied d’égalité avec les «produits similaires» d’origine nationale. L’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires vise à garantir la mise en œuvre des règlements sur la sécurité sanitaire des aliments et la santé animale et végétale.
Les normes publiques étant plus ou moins sévères selon les pays au sein d’une CVM, les entreprises privées imposent également leurs normes afin de s’assurer de pouvoir vendre leur produit final sur un marché donné. Les entreprises de vente au détail situées en aval ont besoin que les producteurs qui se situent au milieu et en amont de la chaîne respectent les normes du pays dans lequel le produit final sera consommé.
On peut également exiger le respect de certaines normes pour s’assurer de pouvoir utiliser les intrants aux fins prévues dans les étapes en aval de la chaîne de valeur. La teneur en protéines du blé, par exemple, détermine les différents usages qui pourront en être faits. Certaines entreprises – généralement celles qui sont intégrées verticalement – peuvent en outre utiliser des normes privées comme un outil de commercialisation87. Ces normes permettent parfois de différencier les produits et d’augmenter les parts de marché. La complexité des processus de production liés aux CVM ainsi que les stratégies de marque et de commercialisation des entreprises ont accru l’intérêt pour les systèmes de certification tiers qui vérifient la conformité à des normes privées dans les chaînes de valeur.
L’un des principaux défis de ces systèmes de certification est la traçabilité – la possibilité de suivre chaque produit alimentaire à chaque étape de la production, de la transformation et de la distribution à l’intérieur des pays et entre les différents pays. Des systèmes de données peuvent être utilisés pour améliorer la traçabilité et les évaluations indépendantes de la conformité. Les systèmes de traçabilité sont essentiels dans les systèmes de certification des produits comestibles de la mer, par exemple; la moitié environ de ces systèmes prévoit des normes relatives à la chaîne de responsabilité dans le cadre du processus de suivi88,r. Les technologies numériques appliquées aux marchés (technologie des chaînes de blocs, notamment) peuvent améliorer considérablement la capacité de traçabilité des chaînes de valeur (voir la quatrième partie pour une analyse des applications numériques en matière de traçabilité).
Au niveau des exploitations, les analyses ont montré que l’application de normes privées pouvait avoir des effets bénéfiques sur la productivité, les exportations et l’emploi. Au Kenya, par exemple, les revenus ont augmenté lorsque les agriculteurs ont adopté les normes de qualité exigées par les acheteurs internationaux; cela a en outre amélioré la traçabilité des produits sur l’ensemble du réseau de fournisseurs89. Les données empiriques restent cependant nuancées, et de nombreux petits exploitants agricoles risquent de ne pas avoir les moyens de fournir des denrées alimentaires conformes à des normes strictes (voir la troisième partie pour une analyse de l’application de normes privées dans le contexte de l’agriculture contractuelle)76-78.
Les normes et les systèmes de certification de la durabilité, qui comprennent des normes volontaires adoptées par les entreprises, visent à tenir compte des dimensions non économiques de la durabilité et peuvent favoriser l’obtention de résultats sur les plans environnemental et social. Ces normes volontaires de durabilité définissent les méthodes de production exigées s’agissant, par exemple, du respect des droits humains fondamentaux; de la santé et de la sécurité des travailleurs; de la juste rémunération des agriculteurs pour leur production; et des diverses pratiques agricoles qui permettent de mieux gérer les ressources naturelles et de réduire les effets préjudiciables sur l’environnement.
Parmi les systèmes de certification de la durabilité très connus, on peut citer Fairtrade (établi par une organisation non gouvernementale) et la Table ronde pour une huile de palme durable (initiative multipartite)s. Les organismes de certification privés ont principalement élaboré des normes pour l’agriculture biologique, mais les gouvernements mettent également en place à l’échelle nationale des normes et des règlements sur l’étiquetage des produits biologiques importés. Par ailleurs, les entreprises privées établissent des normes et des objectifs internes en matière de durabilité pour leurs chaînes de valeur et leurs pratiques commerciales. Les règles associées à ces normes diffèrent dans leurs exigences et leurs détails, mais presque tous les systèmes de certification de la durabilité répondent à la nécessité d’opérer des arbitrages entre les dimensions sociale, environnementale et économique (voir la troisième partie).
Les normes de durabilité gagnent du terrain sur les marchés mondiaux, surtout concernant les produits de grande valeur, depuis longtemps servis par des chaînes de valeur mondiales. La demande croissante de produits dont la production est certifiée durable a conduit à une augmentation de la part des terres agricoles exploitées dans le cadre d’une certification de cette nature. Une part relativement importante des cultures tropicales des pays en développement, comme le café, le cacao, le thé, l’huile de palme et le coton, est certifiée. En 2015, plus de 50 millions d’hectares ont été certifiés biologiques, soit 1,1 pour cent des terres agricoles à l’échelle mondiale. L’huile de palme certifiée par la Table ronde pour une huile de palme durable représente 0,07 pour cent de la superficie agricole mondiale. Un quart environ des superficies plantées en caféiers et en cacaoyers dans le monde est certifié au titre de normes de durabilité établies par des organisations non gouvernementales et par le secteur privé68.
Les chaînes de valeur mondiales, de par l’efficacité de leurs mécanismes de coordination verticale, offrent d’importantes possibilités d’appliquer des normes de durabilité et de faire coïncider les marchés mondiaux avec les résultats attendus en matière de développement durable. La multiplication des systèmes de certification est, pour partie, une réponse à la prise de conscience plus aiguë par les consommateurs des problèmes de durabilité, en particulier dans les pays à revenu élevé, mais aussi de plus en plus dans les pays émergents et en développement. Par exemple, les labels ou les certifications de conformité de la production aux normes Fairtrade ou Rainforest Alliance ou aux normes de l’agriculture biologique répondent à des préoccupations environnementales et sociales; ils fournissent aux consommateurs des informations qui leur permettent de prendre des décisions d’achat réfléchies, en fonction de leurs préférences et de leurs convictions sur le plan social. Les consommateurs ont des préoccupations de différents ordres: sécurité sanitaire des aliments, durabilité environnementale et normes sociales, comme le travail des enfants, l’égalité des sexes et le bien-être des producteurs93.
Les systèmes de certification et les normes des marchés internationaux peuvent avoir des effets positifs, mais aussi poser des problèmes pour les petits transformateurs et agriculteurs, qui ont rarement les capacités techniques et financières nécessaires pour se conformer à des exigences strictes et complexes. Cela peut amener les détaillants et les entreprises en aval à limiter leur approvisionnement auprès de petits fournisseurs. Dans le cadre d’un approvisionnement à partir de petits exploitants agricoles, les coûts de transaction liés au contrôle du respect des normes peuvent être très élevés93.
Dans de nombreux pays en développement, d’autres obstacles peuvent entraver la compatibilité de la production avec les normes internationales: faiblesse des organismes de réglementation, réglementations sanitaires et phytosanitaires mal conçues et incorrectement mises en œuvre, et infrastructures inadéquates (transport, énergie et eau)94. Par conséquent, l’intégration de petits exploitants agricoles dans des chaînes de valeur qui ont mis en place un système de certification de la durabilité risque de ne pas être possible sans l’aide extérieure de programmes de développement, de partenariats public-privé, d’organisations non gouvernementales ou d’actions collectives.
Le coût lié au manque d’harmonisation des normes entre les pays peut augmenter considérablement dans les CVM, bien plus que dans le cadre des échanges bilatéraux en dehors de ces chaînes, car il est nécessaire de coordonner les efforts de conformité à chaque étape de la production et pour chaque marché final desservi. La mise en conformité avec des normes peut contraindre les entreprises à réaliser des investissements coûteux dans la duplication de processus de production ou dans des emballages et des étiquetages spécifiques, ou encore à se soumettre à plusieurs processus de certification pour le même produit. Ces coûts de conformité sont particulièrement importants pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les petits exploitants agricoles, et constituent un obstacle majeur à leur participation à des CVM95.
Les mesures destinées à faciliter et appuyer le respect des normes internationales et à harmoniser les normes et les systèmes de certification peuvent favoriser une participation plus importante aux CVM. La coopération internationale en matière de réglementation et la convergence des normes de qualité et de sécurité sanitaire peuvent alléger le fardeau de la mise en conformité et renforcer la participation des entreprises aux marchés mondiaux (voir la première partie)25. Les initiatives internationales en faveur de pratiques commerciales durables, telles que le Pacte mondial des Nations Unies, peuvent également être cruciales pour s’attaquer aux défis du développement durable. Cependant, leur nature facultative peut, dans une certaine mesure, freiner les progrès lorsque les arbitrages entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux reflètent d’importantes asymétries entre les gains privés et publics.
La transformation des marchés agricoles et alimentaires au cours des dernières décennies a également modifié notablement les structures des marchés et la puissance des différents acteurs sur ces derniers96. La domination des supermarchés dans le commerce alimentaire de détail et l’importance prise par un nombre relativement faible de grandes entreprises agroalimentaires multinationales ont également contribué à renforcer la coordination verticale dans la chaîne de valeur agroalimentaire et ont fait une plus large place aux CVM (voir l’analyse de l’intégration verticale dans l’encadré 1.4 de la première partie).
On dispose d’éléments qui montrent clairement la concentration des marchés, en particulier dans les secteurs des semences97, des engrais98 et du commerce international des produits de base99, ainsi que dans la transformation des produits alimentaires et le commerce de détail. D’autres pans du secteur agroalimentaire se caractérisent en revanche par leur grand nombre de fournisseurs100. La figure 2.13 illustre la grande variabilité de la concentration des marchés selon les cultures et les régions à partir d’une analyse du marché des semences.
Dans une certaine mesure, la concentration des marchés et la puissance sur ces derniers peuvent être liées à une situation de monopole ou d’oligopole naturels, notamment lorsque des ressources naturelles rares sont utilisées, comme dans le cas de la production d’engrais. Un autre facteur déterminant est l’intensité de recherche-développement (R-D) du secteur. Par exemple, des investissements importants dans la R-D dans les secteurs des semences et des biotechnologies pourraient créer des obstacles à l’entrée susceptibles d’entraver la concurrence.
Dans les CVM, la puissance de marché est souvent liée à des innovations qui instaurent un monopole local et temporaire à l’origine de superprofits. On considère que les salades de crudités variées, par exemple, introduites sur le marché par l’entreprise à l’origine de l’innovation avec des exigences spécifiques pour les fournisseurs et transformateurs en amont, ont conféré une certaine puissance sur le marché à court terme, du moins jusqu’à l’arrivée d’entreprises concurrentes101. Les innovations dans la chaîne de valeur et la différenciation des produits apportent donc souvent une puissance de marché dans des régions spécifiques, de manière temporaire (tant qu’il n’y a pas de concurrents).
Généralement, la concentration des marchés dans les chaînes de valeur est liée à des comportements de collusion et à des positions dominantes. Elle entraîne une augmentation des prix pour les consommateurs (due à des rentes d’oligopole) et une baisse des prix pour les agriculteurs (due à des rentes d’oligopsone), ce qui diminue le bien-être des deux catégories, et transfère les gains aux grandes entreprises de transformation de produits alimentaires et aux détaillants alimentaires102. Cependant, la concentration des marchés ne donne pas nécessairement lieu à des pratiques collusoires ou à une concurrence imparfaite. Les données empiriques sur l’abus de position dominante sur les marchés agricoles et alimentaires restent rares, malgré la forte concentration des marchés dans certaines parties des chaînes de valeur contrôlées par un petit nombre d’entreprises qui tirent parti de la coordination verticale103,104.
Cela reflète, dans une certaine mesure, la difficulté de la tâche consistant à déterminer la puissance de marché. Des données empiriques révèlent que certaines des entreprises les plus puissantes imposent de manière unilatérale des conditions contractuelles et peuvent s’adonner à des pratiques commerciales «déloyales»105. Mais ces pratiques déloyales sont également difficiles à mettre en lumière, et peuvent consister à refuser de conclure un contrat écrit, à opérer des transferts excessifs de coûts et de risques entre les parties au contrat, ou à modifier fréquemment les prix. Le contrôle par les autorités de la concurrence est entravé par les difficultés qu’elles rencontrent pour prouver l’existence des pratiques commerciales déloyales supposées, mais la formalisation des transactions effectuées au sein de la chaîne de valeur au moyen de contrats peut résoudre un certain nombre de problèmes (voir la troisième partie).
De manière générale, les travaux publiés n’étayent pas la thèse d’un abus systématique de position dominante106. Par exemple, la pénétration des marchés des produits alimentaires dans les économies émergentes et en développement par de grandes entreprises du secteur agroalimentaire et du commerce de détail issues de pays développés a stimulé les taux de participation aux CVM, mais on ne dispose pas d’éléments qui indiquent clairement que cela ait donné lieu à des abus de position dominante à grande échelle. Les effets de la puissance de marché à l’intérieur de la chaîne de valeur pourraient en outre être positifs. Des éléments indiquent par exemple qu’une augmentation de la concentration et de la puissance de marché des acheteurs en aval pourrait éventuellement aider à remédier aux défaillances du marché local et des pouvoirs publics dans les zones rurales (où se trouvent les fournisseurs en amont), car elle pourrait lever des obstacles structurels liés aux marchés en réduisant les coûts de transaction et en renforçant la clarté des contrats107.
La TROISIÈME PARTIE resserre l’analyse, du niveau mondial à celui des ménages agricoles. Les petits agriculteurs font face à un certain nombre de difficultés qui déterminent leur participation aux marchés et aux chaînes de valeur. Ces difficultés pèsent aussi sur leurs aspirations à de meilleurs moyens de subsistance. La présente analyse replace l’exploitation dans le processus de développement pour observer les marchés et leur comportement. Elle examine des modèles fonctionnels, tels que l’agriculture contractuelle et les chaînes de valeur intégrant des systèmes de certification de la durabilité, qui peuvent aider à résoudre les difficultés rencontrées par les agriculteurs, permettre à ceux-ci de s’intégrer dans les marchés, et concourir aux résultats économiques, environnementaux et sociaux.
Messages clés Principales mesuresLes marchés sont au cœur du processus de développement, allouant les activités et les ressources là où elles sont le plus productives. Dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture, les marchés, à condition qu’ils fonctionnent correctement, et les échanges jouent un rôle vital dans l’amélioration des moyens de subsistance de millions de personnes et peuvent apporter d’autres avantages, comme celui de contribuer à la sécurité alimentaire en transférant des vivres des régions excédentaires vers les régions déficitaires.
Le processus de développement se caractérise par une transformation structurelle de l’économie. Il représente la voie vers de plus hauts revenus et une éradication de la pauvreté, mais aussi vers une multiplication des possibilités d’amélioration du niveau de vie et, pour les individus, vers la capacité de choisir entre plusieurs façons de gagner sa vie.
Certes, les analyses antérieures considéraient l’agriculture comme un secteur traditionnel faiblement productif qui devait fournir de la main-d’œuvre et d’autres ressources aux secteurs modernes en croissance rapide, mais aucun pays n’est jamais parvenu à sortir de la pauvreté sans un secteur agroalimentaire dynamique1. En même temps, la croissance de l’agriculture dépend très largement de la façon dont la productivité et l’emploi se développent dans le secteur manufacturier et dans les services. La transformation structurelle intègre les trajectoires de croissance de tous les secteurs d’une économie, et ce processus dépend des marchés et de leur bon fonctionnement (voir l’encadré 3.1 pour une analyse du rôle des marchés dans le développement).
De façon générale, la transformation structurelle peut être amorcée par une progression de la productivité de la main-d’œuvre, puis par les hausses de revenu qui en découlent, ce qui stimule la demande, crée des emplois et accélère la croissance économique. Des technologies plus efficaces, un investissement dans l’éducation et les compétences, et des marchés du travail, des capitaux et des produits qui fonctionnent correctement sont essentiels à ce processus de développement.
Dans le secteur agricole, les gains de productivité signifient qu’il faut moins de main-d’œuvre pour produire une plus grande quantité d’aliments. Les gens commencent alors à quitter l’agriculture, à la recherche de meilleures perspectives économiques dans les villes. Si les marchés du travail fonctionnent correctement, les travailleurs passent de l’agriculture à d’autres secteurs de l’économie, comme le secteur manufacturier ou les services, pour trouver un emploi. Leurs économies fournissent un capital qui alimente la croissance. Les sociétés s’urbanisent et les ménages ruraux diversifient leurs sources de revenu en exerçant des emplois mieux rémunérés dans le secteur rural non agricole qui relie également l’agriculture au reste de l’économie.
Les marchés des produits aussi relient l’agriculture aux autres secteurs économiques. Les liaisons en aval avec les marchés de produits agricoles sont connues; en effet, l’agriculture 1) offre des aliments peu chers aux travailleurs, soutenant la croissance de la productivité dans l’économie au sens large; 2) fournit des intrants au secteur alimentaire et au secteur manufacturier; et 3) vend des produits à l’exportation pour faire entrer les devises nécessaires à l’importation de biens d’équipement, lesquels renforcent la croissance économique. Il existe également d’importantes liaisons en amont, qui passent par les marchés d’intrants destinés à la production agricole, comme les semences, la main-d’œuvre, les équipements, les produits agrochimiques et, de plus en plus, les services. Ce sont ces liaisons qui permettent à l’agriculture de jouer un rôle moteur dans la croissance économique aux premiers stades du processus de développement, et un rôle tout aussi essentiel dans la réduction de la pauvreté.
Sur cette trajectoire de transformation structurelle, l’importance relative de l’agriculture dans l’économie diminue à mesure que le revenu par habitant s’élève (figure 3.1). Lorsque leur revenu progresse, en effet, les gens consomment davantage de produits manufacturés et de services, tandis que la demande d’aliments augmente plus lentement. L’étape finale de la transformation structurelle est une économie dans laquelle le PIB par habitant est relativement élevé et la part de l’agriculture dans ce PIB, comparativement faible. Ainsi, aux États-Unis d’Amérique, en 2017, l’agriculture ne représentait que 0,9 pour cent environ du PIB, contre 21,4 pour cent en moyenne dans les économies les moins développées. À ce dernier stade de la transformation, que les États-Unis d’Amérique ont sans doute atteint dans les années 80, l’agriculture est totalement intégrée dans les autres secteurs par l’intermédiaire de marchés fonctionnant correctement, et la productivité de la main-d’œuvre s’égalise d’un secteur à l’autre.
SOURCE: Timmer et Selvin. 20081.
Les marchés prenant une part importante au processus de transformation structurelle, la participation des agriculteurs aux échanges qui reposent sur ces marchés est essentielle pour parvenir à un développement durable et éradiquer la pauvreté. Le fait de veiller à ce que les pauvres aient accès à des marchés qui fonctionnent correctement permet de mieux associer ces populations au processus de développement.
D’une manière générale, l’accès aux marchés concourt au développement, non seulement parce qu’il génère de la croissance économique, mais aussi parce qu’il offre aux agriculteurs la possibilité d’améliorer leur vie en mettant à profit leurs capacités à exercer des activités rémunératrices. La participation aux marchés et l’exploitation des rôles et effets de ceux-ci dans le but de renforcer le développement social dépendent pour une grande part des pouvoirs publics et des dispositions prises en matière d’éducation, de santé, de crédit, d’accès à l’énergie et à l’eau, et de concurrence, entre autres2,a.
Si l’on resserre la focale, les échanges agricoles fondés sur les marchés génèrent des bénéfices grâce à la production et à la vente de produits qui sont la spécialité des agriculteurs et leur confèrent un avantage comparatif. Les revenus ainsi créés peuvent servir à acheter d’autres biens et services, y compris des aliments que d’autres producteurs seraient susceptibles de fournir à un coût inférieur. Sur la durée, les marchés peuvent également produire des effets soutenus. Les transactions commerciales offrent l’occasion d’échanger des idées, ce qui favorise la diffusion de meilleures technologies et une augmentation de la productivité; les agriculteurs et leurs familles peuvent ainsi constituer des actifs productifs et investir dans l’éducation, la santé et dans leurs moyens de subsistance3.
De plus en plus, l’approvisionnement évolue, délaissant les marchés au comptant traditionnels, où agriculteurs et négociants se rencontrent aux portes de l’exploitation, pour se tourner vers des chaînes de valeur mondiales très élaborées et intégrées verticalement, dans lesquelles des contrats spécifient le calendrier, l’ampleur et les critères de qualité des transactions (voir aussi les première et deuxième parties pour une analyse de l’évolution des échanges et des marchés agroalimentaires et de l’émergence des chaînes de valeur mondiales). Dans les pays en développement, les chaînes de valeur traditionnelles et modernes se côtoient, ces dernières répondant principalement à la demande alimentaire urbaine. De plus en plus souvent, les échanges internationaux aussi passent par des chaînes de valeur mondiales.
Au cours de cette transformation progressive des conditions de marché, le commerce international a progressé considérablement et des chaînes de valeur très élaborées, à la fois mondiales et nationales, se sont créées, reliant les agriculteurs aux consommateurs et ouvrant de meilleures perspectives. Pourtant, de nombreux agriculteurs des pays en développement, en particulier les plus petits, demeurent marginalisés, exclus du processus de développement, et n’ont accès qu’à des marchés traditionnels ou informels qui fonctionnent mal ou ne couvrent qu’un très petit territoire local.
Dans beaucoup de pays en développement, surtout en Afrique, les interventions imposées d’en haut et la libéralisation des marchés et du commerce qui s’est opérée dans les années 80 se sont révélées impuissantes à intégrer un grand nombre d’agriculteurs dans les marchés et à améliorer leurs moyens de subsistance. À l’origine de cet échec, bien souvent, on trouve des défaillances de ces marchés, qui empêchent les agriculteurs de réagir aux incitations par les prix. D’où la nécessité pour les pouvoirs publics de prendre des mesures et d’effectuer des investissements visant à résoudre ces difficultés spécifiques et à lutter contre ces inégalités, et à compléter ainsi la libéralisation des marchésb.
À l’heure actuelle, dans les pays en développement, une série de chaînes de valeur relient les agriculteurs à la fois aux marchés formels et aux marchés informels. Certaines de ces filières sont en pleine évolution et s’efforcent de répondre à la demande de consommateurs urbains à revenu plus élevé par l’intermédiaire des supermarchés (voir la première partie). Par ailleurs, les chaînes de valeur mondiales offrent aux agriculteurs des pays en développement de réelles possibilités de participer au marché international en tirant parti de leur avantage comparatif, au lieu d’avoir à s’en remettre à l’industrie alimentaire nationale, qui peut ne pas encore être aussi compétitive (voir la deuxième partie).
Cela étant, tout le monde ne peut pas s’associer à des chaînes de valeur mondiales, surtout si les conditions nécessaires pour accéder aux marchés ne sont pas remplies. Souvent, dans les pays en développement, les petits agriculteurs vendent leurs produits à des marchés locaux de petite taille, à des fournisseurs informels et à des groupes de population à plus faible revenu. De fait, la plupart des agriculteurs vendent à des marchés, mais leur participation moyenne, mesurée à la part de production qu’ils commercialisent, n’est pas très élevée.
Cela ne signifie pas que les ménages sont entièrement isolés des marchés. La plupart des agriculteurs des pays en développement participent à des marchés, à la fois formels et informels, mais leurs ventes en volume sont faibles. Peu d’entre eux sont des vendeurs nets.
Les données d’enquête auprès des ménages indiquent que les agriculteurs des pays en développement ne vendent qu’une part de leur production, et que cette part est souvent petite. Au Ghana, par exemple, les agriculteurs commercialisent en moyenne 46 pour cent environ de leur production végétale (en valeur) et en conservent plus de la moitié pour la consommation familiale (figure 3.2). Au Malawi et en Ouganda, les exploitants participent aux marchés agricoles, auxquels ils vendent respectivement 21 et 30 pour cent environ de leur production végétale. Au Viet Nam, où la commercialisation des produits de l’agriculture est plus importante, les données indiquent qu’en 2008 la part moyenne de la production des ménages vendue par l’intermédiaire des marchés était de 52 pour cent.
Ces opérations commerciales modestes n’apportent que peu de liquidités supplémentaires aux ménages, or ces liquidités sont essentielles pour sortir les petits exploitants d’une agriculture de semi-subsistance (figure 3.3). Pour de nombreux ménages agricoles, une grande partie du revenu se compose de la valeur de la production conservée en vue d’une consommation familiale, de salaires souvent gagnés sur des marchés du travail informels hors exploitation, d’envois de fonds et de transferts. Les ménages agricoles dépendent des sommes ainsi perçues pour compléter leur propre production vivrière, et beaucoup d’entre eux sont des acheteurs nets de produits alimentaires.
Le coût élevé des transactions commerciales explique largement les faibles taux de participation aux marchés dans les pays en développement. Ainsi, de nombreux agriculteurs peuvent n’avoir que peu de moyens de participer aux marchés du fait de la médiocrité des infrastructures et d’une accessibilité limitée par la route qui entraînent des coûts de transport élevés. Ces coûts de transaction variables s’ajoutent au coût des intrants et réduisent le prix que les agriculteurs reçoivent pour leurs produits. Les agriculteurs étant géographiquement dispersés et leur offre à la fois peu importante et irrégulière, les négociants privés n’y font pas appel ou exigent des marges élevées. La distance et la qualité des infrastructures de transport aboutissent à une diversité de taux de commercialisation selon les agriculteurs, qui n’apparaît pas lorsqu’on regarde les graphiques moyens, comme celui de la figure 3.2. Les agriculteurs situés près des villes de moyenne et grande taille, par exemple, présentent en général des taux de participation aux marchés plus élevés que ceux qui en sont éloignés.
Dans les zones rurales, l’information aussi est coûteuse et les agriculteurs ne disposent pas toujours de données détaillées sur les acheteurs, les marchés et les niveaux de prix. Les dépenses de recherche à engager pour trouver un négociant, marchander, négocier et conclure une transaction sont élevées. Elles sont aussi fixes puisque, une fois les informations nécessaires réunies, les agriculteurs peuvent vendre n’importe quelle quantité sans que ces coûts varient beaucoup. Les petits exploitants, qui produisent et vendent à trop petite échelle, n’ont pas nécessairement les moyens d’absorber ces coûts fixes. Ce sont donc souvent des agriculteurs plus importants et mieux dotés qui fournissent la majeure partie de l’offre commerciale, en particulier pour les produits de base4.
Malgré cela, pour des produits tels que le café et le cacao, ou les légumes, les petits exploitants peuvent enregistrer des taux significatifs de participation aux marchés et aux chaînes de valeur mondiales.
Les données d’enquête auprès des ménages font apparaître une corrélation positive entre la part de production commercialisée et la taille de l’exploitation (figure 3.4). Au Ghana, par exemple, de petites exploitations figurant en bas de la distribution avec une taille allant jusqu’à 0,4 hectare commercialisent 35 pour cent de leur production. Pour de plus grandes exploitations, figurant dans les 20 pour cent supérieurs de la distribution, et dont la taille est supérieure à 6,2 hectare, le taux de participation aux marchés est supérieur à 50 pour cent. Au Viet Nam, les taux de participation aux marchés présentent un profil similaire, mais sont nettement plus élevés pour toutes les tailles d’exploitation, ce qui indique que les agriculteurs de ce pays supportent des coûts de transaction inférieurs à ceux des ménages agricoles malawiens et ougandais.
Dans les pays en développement, les coûts de transaction et de recherche élevés se traduisent par des marchés étroits de produits et d’intrants. Ils entraînent également des défaillances systémiques des marchés – instabilité des prix et marchés manquants dans les domaines du crédit et de l’assurance. Ainsi, dans le contexte d’une économie en développement, les exploitations agricoles rencontrent des difficultés considérables pour accéder au crédit, car les banques hésitent souvent à leur consentir des prêts du fait de garanties limitées et d’un déficit d’information. Le manque d’accès à l’assurance restreint également la capacité des agriculteurs à atténuer les risques de production et empêche l’investissement dans les exploitations. Ces défaillances des marchés peuvent créer des cercles vicieux: la faiblesse des investissements ne permet pas d’améliorer la productivité ni les revenus, ce qui empêche les investissements; et les agriculteurs, en particulier les petits agriculteurs, se retrouvent piégés dans la pauvreté.
D’autres difficultés peuvent aussi tenir les agriculteurs éloignés des marchés modernes. Pour vendre par l’entremise de chaînes de valeur modernes, comme celles des supermarchés, les agriculteurs doivent pouvoir assurer la continuité de leur offre et satisfaire à des exigences rigoureuses de sécurité sanitaire et de qualité des aliments. Le manque d’information sur les normes de qualité, l’accès limité aux technologies et le faible niveau de compétences en matière de gestion et de logistique font qu’il est difficile pour de nombreux agriculteurs des pays en développement de fournir des chaînes de valeur modernes5.
Ainsi, en 2013, les inspections à l’importation effectuées dans l’Union européenne pour détecter d’éventuels dépassements des limites de résidus de pesticides ont entraîné le rejet de 10 pour cent des haricots et des pois arrivés dans les ports de l’Union européenne. Cette même année, l’industrie horticole d’exportation du Kenya, qui représentait 930 millions d’USD, a enregistré une chute de 50 pour cent du total des exportations. Les petits exploitants kényans, qui, selon les données disponibles, avaient produit 80 pour cent environ de ces exportations, ont été durement frappés6.
On trouve aussi de belles réussites. En Éthiopie, la chaîne de valeur du teff – l’aliment de base le plus important du pays – est en pleine mutation. Ses coûts de transformation plus faibles et une demande croissante de commodité et de qualité ont entraîné une hausse de la participation aux marchés et une amélioration de la productivité au niveau des exploitations dans les zones bien reliées aux centres urbains7.
D’une exploitation à une autre, l’accès aux marchés est loin d’être uniforme, car les coûts de transaction donnent lieu à un large éventail de taux de participation. Pour de nombreux agriculteurs des pays en développement, la prise de décisions stratégiques en matière de production et de commercialisation est limitée par l’absence de marché ou le mauvais fonctionnement des marchés existants.
Sur le plan de la croissance et du développement, ces difficultés ont pour principale conséquence de rendre toute une série de décisions inséparables les unes des autres. Par exemple, si les marchés ne fonctionnent pas correctement, il devient impossible de décider de la composition et du volume de la production sans décider du même coup de la composition et du volume de la consommation. L’absence de marché signifie que les agriculteurs choisiront peut-être de diversifier leur production pour servir leurs besoins alimentaires au lieu d’adopter des stratégies de spécialisation propres à améliorer leur efficience et de se reposer sur le marché pour leur consommation8.
Les agricultrices se heurtent à des désavantages encore plus grands que leurs collègues masculins, car leur accès aux actifs et au capital social est plus limité; le sexe de l’exploitant s’ajoute donc aux facteurs qui déterminent la grande diversité de taux de participation aux marchés dans les pays en développement. Les ménages dirigés par une femme génèrent un revenu nettement inférieur à ceux dirigés par un homme (voir la figure 3.5). Dans de nombreux pays, les ménages dirigés par une femme participent bien moins aux marchés que ceux dirigés par un homme (voir la figure 3.6).
Les décisions d’affecter la main-d’œuvre à des activités exercées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’exploitation dépendent aussi des marchés. Un emploi hors de l’exploitation peut compléter le revenu agricole et jouer un rôle essentiel dans la gestion du risque en permettant une diversification des sources de revenus. Du fait du manque d’emplois correctement rémunérés – qui peut aussi être associé à de faibles niveaux d’instruction –, les agriculteurs évaluent le coût de leur main-d’œuvre comme étant très bas. Devant ce «salaire de référence» très faible, ils ont tendance à utiliser davantage de main-d’œuvre familiale sur l’exploitation. Plus cette dernière est petite, et plus la proportion de main-d’œuvre est forte, ce qui crée une relation inverse entre le rendement par hectare et la taille de l’exploitation – un fait souvent observé, quoiqu’il ne soit pas entièrement compris. Les petites exploitations obtiennent généralement de meilleurs rendements par hectare que les plus grandes, mais elles ont une productivité par travailleur nettement plus basse et génèrent donc des revenus par habitant plus faible en valeur relative9.
Les taux d’adoption des technologies aussi peuvent être liés à des marchés manquants. Les agriculteurs qui sont intégrés dans les marchés sont plus susceptibles d’adopter de nouvelles technologies que ceux qui ne participent que faiblement aux marchés. Les ménages qui ont un accès limité aux marchés sont peu incités à adopter de nouvelles technologies et à accroître leur productivité, car ils n’ont à répondre qu’à leur seule demande, laquelle est rapidement satisfaite par de petites augmentations de production. À l’inverse, les exploitations qui sont bien intégrées dans les marchés sont face à une demande agrégée de produits, et leur comportement en matière d’adoption des technologies est en rapport avec les recettes qu’elles attendent d’une augmentation du volume de produits vendus3.
Dans le contexte de marchés en développement, une foule de décisions, y compris quant à la façon de répondre à des objectifs sociaux tels que l’investissement dans l’éducation et la santé, se ressentent du mauvais fonctionnement des marchés. L’absence de marchés de l’assurance et du crédit dans un contexte de conditions météorologiques défavorables peut avoir des répercussions considérables sur les investissements critiques pour l’éducation des enfants. En Côte d’Ivoire, par exemple, les ménages ruraux frappés par des crises liées aux précipitations font généralement baisser les taux de scolarisation dans une proportion comprise entre 30 et 50 pour cent10. Au Honduras, les enfants des ménages ruraux dont l’accès aux marchés du crédit est limité atteignent un moins bon niveau d’instruction. Ces effets préjudiciables ont semblé se renforcer avec les crises météorologiques associées à l’ouragan Mitch11.
L’agriculture représente l’un des principaux métiers du monde. Concrètement, plus de 600 millions d’exploitations fournissent un revenu et un emploi à des milliards de personnes, tout en produisant des aliments et des matières premières pour une population de plus en plus nombreuse et aisée. D’après les estimations, 90 pour cent environ de ces exploitations reposent principalement sur une main-d’œuvre familiale, occupent entre 70 et 80 pour cent des terres arables du monde et produisent à peu près 80 pour cent des aliments consommés dans le monde, en valeur. La plupart des exploitations utilisant une main-d’œuvre familiale sont petites – 70 pour cent environ des 600 millions d’exploitations dans le monde ont une superficie inférieure ou égale à 1 hectare et exploitent 7 pour cent des terres agricoles de la planète12.
Elles demeurent toutefois le mode dominant de production agricole, même dans les pays à revenu élevé. Cela s’explique par le fait que les membres de la famille, ayant un intérêt direct dans l’exploitation, peuvent exécuter des tâches précises comme le repiquage, la fertilisation et le désherbage, sans qu’il soit besoin de les superviser, et donc à un coût inférieur à celui d’une main-d’œuvre salariée13. En conséquence, à mesure que le processus de transformation structurelle avance et que des personnes quittent l’agriculture, la taille des exploitations change, entraînée par l’évolution de la croissance démographique rurale, les améliorations technologiques et la migration des ruraux vers les villes14.
Les données issues des recensements agricoles indiquent que, entre 1960 et 2000, la taille moyenne des exploitations a baissé dans l’ensemble des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, tandis qu’elle augmentait dans les pays à revenu élevé12.
En moyenne, dans toute l’Asie, à mesure que la croissance démographique ralentit (voir la première partie) et que les gens abandonnent l’agriculture, le rythme de croissance de la population rurale devrait baisser lui aussi d’ici au milieu du siècle15. Déjà, l’urbanisation entraîne une stabilisation, voire une augmentation, de la taille moyenne des exploitations. Les données d’enquête auprès des ménages indiquent par exemple que, depuis 1992, la taille moyenne des exploitations au Viet Nam a augmenté, passant de 0,16 à 0,54 hectare16,c.
À l’heure actuelle, l’Afrique demeure principalement rurale, les urbains représentant 40 pour cent environ de la population totale. La population rurale du continent a été multipliée par plus de trois entre 1950 et 2018, passant de 196 millions à 740 millions, et, bien que l’urbanisation se poursuive, les projections indiquent qu’elle devrait être supérieure à 1 milliard de personnes à l’horizon 205015.
Le faible rythme de croissance de la productivité dans le secteur manufacturier et celui des services pourrait aussi contribuer aux faibles taux de transformation structurelle et au recul de la taille des exploitations dans l’avenir17,d. La taille moyenne des exploitations des pays africains a tendance à diminuer. Au Malawi, par exemple, les données d’enquête auprès des ménages indiquent qu’elle est passée de 1,08 à 0,67 hectare entre 2004 et 2011 (figure 3.7).
Cette diminution de la taille des exploitations pourrait avoir une incidence importante sur la participation aux marchés, surtout dans le cadre des marchés alimentaires et des chaînes de valeur mondiales modernes, car les dépenses fixes d’information à engager pour y accéder représentent des sommes substantielles. Les actifs, surtout les terres, ainsi que l’accès aux infrastructures de transport peuvent être fortement corrélés à la participation aux marchés.
Une faible participation aux marchés peut freiner le processus de développement et retentir négativement sur l’éradication de la pauvreté et la sécurité alimentaire d’une large partie de la population. En effet, augmenter la part de production commercialisée permet d’accroître le revenu des petites exploitations et de réduire la pauvreté. Ainsi, au Kenya, l’étude d’un échantillon de ménages agricoles commercialisant en moyenne 44 pour cent de leur production semble indiquer qu’un accroissement de la participation aux marchés de 10 points de pourcentage entraîne une augmentation de 17 pour cent du revenu moyen par habitant et réduit la prévalence de la pauvreté des ménages de 16 pour cent18.
On a également observé des effets positifs de la participation aux marchés lorsqu’il s’agit de lutter contre les carences en matière d’éducation, de santé et de nutrition, et d’améliorer les niveaux de vie, ce qui laisse supposer que cette participation se traduit par un renforcement des capacités et du capital humain essentiels pour faire entrer les membres des ménages dans le processus de développement. Cela étant, si les marchés peuvent contribuer à réduire la pauvreté, une participation accrue aux marchés pourrait aussi accroître les inégalités, car les gains de revenu par habitant sont généralement plus élevés pour les ménages relativement bien dotés et plus aisés, que pour les plus pauvres.
Des marchés fonctionnant correctement peuvent faciliter le processus de transformation structurelle. Cependant, l’hétérogénéité qui caractérise l’agriculture et les exploitations, mais aussi les chaînes de valeur et les entreprises agroalimentaires, à la fois au niveau national et international, impose une approche multidimensionnelle (voir l’encadré 3.2 pour une analyse des petites et moyennes entreprises rurales).
DÉFINITION DES MICROENTREPRISES ET DES PME DU SECTEUR AGROALIMENTAIRE
Dans les économies en développement, la majorité des entreprises agroalimentaires opérant en zone rurale sont le fait de travailleurs indépendants et offrent des services aux ménages agricoles locaux ou aux négociants chargés de transporter les produits agricoles, de l’exploitation à l’entreprise de transformation ou aux marchés urbains. On parle alors de microentreprises. La taille d’une entreprise est estimée d’après le nombre de personnes qu’elle emploie: 1-4 personnes pour une microentreprise; 5-9 pour une très petite entreprise; 10-49 pour une petite entreprise; et 50-259 pour une entreprise de taille moyenne. L’Organisation internationale du Travail (OIT) indique toutefois que, selon les seuils les plus couramment utilisés, les petites entreprises comptent moins de 10 ou de 50 salariés et les moyennes, moins de 100 ou de 25020,21.
Mesurer la taille d’une entreprise d’après le nombre de salariés qu’elle emploie n’est possible que si l’on se réfère à la structure et aux caractéristiques du secteur auquel l’entreprise considérée appartient. Une classification unique ne convient donc pas dans tous les cas22. De plus, la notion de formalité peut aussi servir à classer les entreprises par taille, en particulier dans l’agriculture et les secteurs connexes, dans lesquels, d’après les estimations, 80 pour cent de l’ensemble des entreprises des économies en développement sont des entreprises informelles, ce qui les range dans la catégorie des microentreprises, décrite précédemment. Pour catégoriser les entreprises, on doit aussi prendre en considération la situation et l’état de développement du pays. Ainsi, les pays en développement comptent moins d’entreprises opérant dans le secteur agroalimentaire que les économies émergentes ou les pays développés, où les sociétés immatriculées peuvent offrir des emplois durables. Enfin, les différences entre entreprises tiennent aussi au type de produit agricole, à son importance pour le marché local et au marché des produits agroalimentaires visé.
OBSTACLES À LA CROISSANCE DES PME
À la différence des entreprises des services et du secteur manufacturier, les entreprises agricoles, et notamment les petites unités, sont enracinées dans le tissu agricole rural d’un pays23. Nombre de petites entreprises sont constituées d’acteurs qui créent leurs propres sources de revenu en milieu rural, celles de leur famille et, plus largement, de la communauté dans laquelle ils vivent, et ce dans des environnements réglementaires et autres souvent peu propices aux entreprises. Ce faisant, ils créent des débouchés essentiels, proches des exploitations, pour les agriculteurs, et différentes possibilités d’activités rémunératrices en dehors des exploitations pour les ruraux pauvres, sans compter qu’ils peuvent aussi représenter entre 30 et 40 pour cent de la valeur ajoutée totale de la filière. À ce titre, les microentreprises et les petites entreprises agricoles jouent un rôle important dans l’économie des communautés rurales et dans la transformation de ce milieu25.
Dans tous les pays en développement, dans le secteur des aliments de base dont les grandes entreprises sont absentes, les entreprises de négoce et de première transformation sont des unités de petite taille, fragmentées et opérant sans coordination le long des chaînes de valeur26. Les difficultés auxquelles se heurtent ces acteurs sont souvent en grande partie les mêmes: manque d’accès à des instruments financiers adaptés, absence de service d’assistance et piètres infrastructures, d’où des coûts de transaction élevés27. Les petites entreprises doivent aussi relever une multitude de défis inhérents à leur taille, résultant de l’absence d’économies d’échelle et de ressources internes limitées. Tous ces facteurs empêchent les petites entreprises agroalimentaires, y compris dans le secteur de la transformation, de répondre aux besoins d’un marché de plus en plus urbanisé28,29. Par rapport aux entreprises de taille moyenne et aux grandes entreprises, elles se heurtent, dès la phase de démarrage, à des inconvénients liés à leur petite taille, du fait de leur nature informelle et du manque de financement, d’électricité, d’un capital humain adéquat, d’information, de ressources financières et de capacités de planification stratégique30.
Le lieu d’implantation est aussi source d’inconvénients entravant la croissance des petites entreprises rurales. C’est le cas notamment des difficultés liées aux infrastructures, comme l’accès au réseau électrique national ou à un soutien institutionnel public. Les poches de demande des villes secondaires rurales et des villages sont plus restreintes et plus diffuses, ce qui se traduit par une production à petite échelle, localisée. En outre, par rapport à celles qui sont implantées en zones urbaines, les entreprises agroalimentaires rurales souffrent d’un manque d’accès à des détaillants du secteur formel offrant des contrats réguliers pour de plus gros volumes; de coûts de transport plus élevés en raison d’une moindre concurrence entre transporteurs routiers; et d’une offre limitée de services et de produits bancaires commerciaux. Conjugués à d’importantes contraintes de ressources et à des infrastructures inadéquates, les inconvénients liés au lieu d’implantation empêchent les acteurs ruraux d’entrer sur les marchés urbains, entraînant au final pour le secteur agroalimentaire une perte de chances de créer des emplois en zones rurales et de réduire la migration vers les villes31.
À cela s’ajoute le fait que les petites entreprises supportent des coûts proportionnellement plus élevés que ceux des grandes entreprises pour un environnement commercial médiocre, qu’elles sont plus exposées aux menaces extérieures et rencontrent des difficultés nées de conditions de concurrence inéquitables32. Les travaux publiés sur les PME réaffirment régulièrement que les plus petites entités font face à de «plus grandes difficultés que ce soit sur le plan financier ou juridique, ou en matière de corruption, comparé aux grandes entreprises»32. D’autres études indiquent également que la taille de l’entreprise compte et que, dans les affaires traitées avec de petites entreprises, il est fait état d’un plus grand nombre d’obstacles qu’avec de grandes entreprises33,34, notamment en matière «de financement, de taxes et de règlements, d’inflation, de corruption, de délinquance de rue et de prix anticoncurrentiels».35
Les problèmes auxquels les petites entreprises doivent faire face semblent donc justifier la mise en œuvre de programmes, de réformes ou de cadres réglementaires spéciaux pour les soutenir. On peut ainsi prévoir «un régime fiscal simplifié ou une réglementation différenciée du travail pour les PME, ainsi que des programmes facilitant leur accès au crédit et un ensemble de subventions et de services visant à les soutenir sous différents aspects de leurs activités»36.
SOURCE: Adapté de Ilie, Kelly et Fall (à paraître)23.
S’attaquer en priorité à la façon dont on peut encourager la productivité par habitant, intégrer les agriculteurs dans les marchés et amorcer la croissance du secteur est essentiel dans une démarche de développement, mais, en parallèle, le processus de transformation structurelle suppose que les ménages agricoles adoptent des stratégies de subsistance différentes, au sein du secteur agricole, voire dans d’autres secteurs. Ces stratégies prennent en compte plusieurs facteurs, parmi lesquels la commercialisation – qui dépend de la taille de l’exploitation, des coûts de transaction et de la capacité à répondre à la demande alimentaire des consommateurs urbains –, mais aussi l’éducation, la diversité des compétences et la santé – qui déterminent l’aptitude d’un ménage à abandonner complètement le secteur agricole pour d’autres branches de l’économie.
Dans les pays en développement, les préconisations pour l’action publique devraient être de s’attaquer aux nombreuses difficultés qui freinent l’intégration des agriculteurs dans le processus de croissance économique. Les mécanismes de protection sociale, par exemple, réduisent la vulnérabilité, la pauvreté extrême et le dénuement, mais peuvent aussi avoir des effets positifs sur la participation aux marchés, car ils permettent aux ménages de mieux gérer les risques et de se consacrer à la production agricole19. Une série d’interventions, à la fois générales et spécifiques, nécessitera des investissements destinés à gérer les défaillances des marchés et les nombreuses dimensions du développement. Les ménages agricoles qui misent sur le marché bénéficieront directement de l’amélioration des infrastructures de transport et de communication, laquelle permet de diminuer les coûts de transaction et d’amorcer le développement de marchés de produits, d’intrants et de services financiers. La participation à ces marchés est susceptible de stimuler les investissements ainsi que la croissance de la productivité et des revenus, mais peut aussi permettre aux ménages de diversifier leurs sources de revenus dans les secteurs non agricoles.
D’autres ménages peuvent tirer profit de liens avec le marché du travail et des investissements publics dans l’éducation pour se constituer des actifs et mettre leurs compétences à niveau en vue de sortir de l’agriculture pour rejoindre d’autres secteurs de l’économie. L’un des défis importants que les pouvoirs publics doivent relever concerne les ménages qui pratiquent une agriculture de semi-subsistance et qui sont parfois pauvres et géographiquement isolés, titulaires de droits de propriété mal définis et possédant peu d’actifs productifs. Dans ce cas, en effet, les marchés classiques peuvent ne pas fonctionner, ce qui réduit l’éventail de solutions dont ces ménages disposent pour améliorer leurs moyens d’existence.
Durant la révolution verte – qui s’est déroulée dans les années 60 et 70, entraînée par des améliorations technologiques ciblant les petites exploitations –, les pouvoirs publics sont intervenus pour réduire les coûts de transaction et coordonner les marchés (par le truchement des offices de commercialisation, par exemple), à un coût budgétaire considérable. De façon générale, les mesures de libéralisation des marchés qui ont suivi ont minimisé les défaillances de ceux-ci et la nécessité de prendre des mesures complémentaires pour améliorer la coordination des participants à ces marchés. Depuis lors, la transformation des systèmes alimentaires a déplacé l’attention sur la façon dont les mécanismes de coordination du secteur privé peuvent favoriser l’accès à des chaînes de valeur modernes et permettre l’intégration des agriculteurs dans le processus de croissance économique.
L’agriculture contractuelle fait partie de ces mécanismes. Elle offre une solution institutionnelle permettant de réduire les coûts de transaction et de remédier aux défaillances des marchés s’agissant des produits, des intrants, du crédit, de l’assurance et de l’information37. De plus en plus, les dispositifs d’agriculture contractuelle sont considérés comme un moyen de faire participer les petits exploitants aux marchés rémunérateurs des aliments à haute valeur ajoutée qui se créent sous l’influence de l’urbanisation et de la croissance des revenus. Ils peuvent aussi intégrer ces exploitants dans les marchés des produits d’exportation résultant de l’expansion des chaînes de valeur agroalimentaires mondiales.
L’agriculture contractuelle peut se définir comme un contrat à terme, conclu entre des agriculteurs et des entreprises de transformation et/ou de commercialisation, et portant sur la production et la fourniture de produits agricoles, souvent à des prix prédéterminés. Les dispositions peuvent aussi prévoir un certain degré de coordination verticale assuré par les entreprises acheteuses au moyen, par exemple, de la fourniture d’intrants et de conseils techniques. De façon générale, le contrat impose à l’agriculteur de livrer un volume donné d’un produit spécifique répondant à des normes de qualité déterminées par l’acheteur, et à l’entreprise de fournir à l’agriculteur des intrants ou un savoir-faire technique, et de lui acheter le produit en question38.
Les contrats peuvent prendre diverses formes et les conditions et obligations prévues peuvent varier. Le dispositif d’agriculture contractuelle peut relier les agriculteurs aux consommateurs par l’intermédiaire de chaînes de valeur très élaborées qui accroissent la valeur du produit alimentaire en le transportant, le calibrant, le commercialisant et le transformant, veillant ainsi à ce qu’il respecte des exigences précises de qualité et de sécurité sanitaire.
Dans de nombreux pays en développement, les entreprises ne peuvent pas se passer entièrement des petits agriculteurs, soit parce que ceux-ci occupent une place prédominante dans le secteur agricole, soit parce que les entreprises ont besoin de s’assurer une offre continue de produits pour couvrir leurs coûts fixes. Souvent, il peut être plus intéressant de s’approvisionner localement que d’importer les produits nécessaires, car cela réduit au minimum l’effet d’une dépréciation de la monnaie. À mesure que la classe moyenne se développe sous l’effet de la croissance économique, les questions de traçabilité et de sécurité sanitaire des aliments gagnent en importance. L’agriculture contractuelle apporte une dose de coordination verticale et de contrôle des méthodes culturales, de l’utilisation des intrants, des volumes fournis et des normes de qualité et de sécurité sanitaire. Par ailleurs, les dispositifs d’agriculture contractuelle sont susceptibles de relier les agriculteurs des pays en développement aux chaînes de valeur mondiales et aux marchés d’exportation, ce qui stimule la croissance (voir la deuxième partie).
Pour les agriculteurs, cette forme de coordination verticale – appuyée sur des contrats qui prévoient la fourniture d’intrants, tels que les semences et les engrais, l’assistance technique, le crédit et l’assurance, et un prix garanti à la récolte – résout un certain nombre de problèmes, comme le risque de fluctuation des prix et le manque d’accès aux marchés, au crédit et à l’information. Aujourd’hui, les nouveaux systèmes de coordination de ce type peuvent faire intervenir non seulement les entreprises agroalimentaires et les agriculteurs, mais aussi, diversement conjugués, des services de l’État, la société civile, des associations d’agriculteurs, des banques et des entreprises de technologie numérique et de téléphonie mobile (voir aussi l’analyse portant sur les applications des technologies numériques et les défaillances des marchés, dans la quatrième partie).
Les effets de l’agriculture contractuelle sur les petites exploitations des pays en développement suscitent l’intérêt et font l’objet d’analyses depuis les années 70. La plupart des études utilisent des données sur les ménages et se concentrent sur les effets moyens de la contractualisation en matière de résultats, notamment le rendement des cultures, la sécurité alimentaire, les actifs, les revenus et le niveau de pauvreté.
Pour estimer les effets de l’agriculture contractuelle sur les agriculteurs, les chercheurs ont recours à des ensembles de données sur les ménages, qui comprennent plusieurs variables, comme la taille de l’exploitation, les caractéristiques démographiques du ménage, les actifs et le revenu. Dans ces ensembles de données figurent à la fois des ménages qui prennent part à l’agriculture contractuelle et d’autres qui n’y participent pas, l’objectif étant de comparer ces deux groupes pour faire apparaître l’effet moyen de l’agriculture contractuelle sur la productivité, le revenu et le bien-être, et d’autres résultatse.
En pratique, les résultats de ces études donnent une indication sur les effets moyens de l’agriculture contractuelle. Il est difficile de démêler les résultats propres aux différentes composantes des contrats, lesquelles comprennent des prix à la production minimums prédéterminés, la fourniture d’intrants, une assistance technique, un accès au crédit et d’autres services, et peuvent aussi varier à l’intérieur d’un échantillon et entre les échantillons de ménages (voir la figure 3.8 et le tableau 3.1).
À Madagascar, les contrats conclus avec 1 200 ménages agricoles et portant sur différentes cultures dans six régions présentant des conditions agroécologiques différentes ont eu des effets positifs notables sur le revenu total des ménages participants39. En moyenne, les estimations ont indiqué qu’une augmentation de 10 pour cent de la probabilité de participer à un dispositif d’agriculture contractuelle entraînait une hausse de 6 pour cent du revenu total des ménages (pour plus d’informations sur l’étude réalisée à Madagascar, voir le tableau 3.1).
Une analyse ultérieure du même échantillon de ménages malgaches laisse également penser que la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle favorise la sécurité alimentaire en réduisant la durée de la saison de soudure d’un ménage, c’est-à-dire la période durant laquelle au moins un membre du ménage prend moins de trois repas par jour. La saison de soudure, qui dure entre 3,3 et 3,7 mois, coïncide avec la période précédant la récolte, lorsque les ménages, qu’ils soient ou non sous contrat, reçoivent de l’argent contre la vente de leurs produits. Le revenu supplémentaire tiré du dispositif d’agriculture contractuelle réduit la durée moyenne de cette saison de huit jours environ, et il s’est avéré que les ménages qui participaient à ces dispositifs avaient 18 pour cent de chances supplémentaires de connaître une saison de soudure courte40.
Sur l’ensemble de ces ménages, il ressort que la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle dépend de plusieurs caractéristiques. Les ménages dirigés par une femme, par exemple, ont 45 pour cent de chances en moins de décrocher un contrat avec les entreprises acheteuses, ce qui rend compte des difficultés auxquelles les femmes se heurtent pour accéder aux marchés41. L’expérience des agriculteurs est également considérée comme un facteur important de participation à un dispositif d’agriculture contractuelle, puisque chaque année supplémentaire d’expérience dans l’agriculture va de pair avec une augmentation de 1,2 pour cent de la probabilité de participer à un dispositif de ce type, ce qui indique que le respect des différentes exigences des contrats demande des compétences de gestion et des compétences techniques.
D’après les estimations, la taille de l’exploitation est corrélée positivement à cette participation. D’un côté, plus l’exploitation est grande, plus les possibilités de diversifier la production, et donc de participer à un dispositif d’agriculture contractuelle, sont nombreuses. De l’autre, comme on observe souvent que la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle est davantage le fait d’exploitations plus grandes et relativement plus prospères – plus à même de répondre aux exigences de qualité et de quantité –, cela signifie que l’agriculture contractuelle est susceptible d’accroître les inégalités dans les zones rurales. Il est probable en effet que les agriculteurs les plus pauvres ne seront pas intégrés dans les dispositifs d’agriculture contractuelle. De façon générale, un examen systématique des travaux publiés analysant les effets de ces dispositifs sur le revenu a établi que 61 pour cent des agriculteurs sous contrat possédaient une exploitation plus grande et davantage d’actifs que les exploitants hors contrat42.
Il arrive toutefois que la taille de l’exploitation et la prospérité du ménage ne soient pas les seuls déterminants importants de la participation à un dispositif d’agriculture contractuelle; la relation peut aussi dépendre du fait que la production des cultures sous contrat demande ou non des investissements spécifiques. Ainsi, on a montré, dans le cas du Sénégal, que la participation des agriculteurs aux dispositifs de culture contractuelle de l’arachide ne dépendait pas de la taille de l’exploitation. La culture de l’arachide fait partie d’un système de culture traditionnel, qui ne nécessite aucun investissement particulier, que ce soit en capital ou dans les savoirs, comme ce serait le cas pour une culture de grande valeur mal connue43. Il s’est avéré que les arrangements contractuels, fondés sur des informations fournies par la communauté locale et sur la réputation plutôt que sur les actifs des exploitations, augmentaient nettement le revenu agricole, et réduisaient donc la pauvreté et les inégalités (voir le tableau 3.1 pour plus d’informations sur les composantes du contrat étudié au Sénégal).
Au Viet Nam, des ménages possédant peu d’actifs ont pu vendre des légumes dans le cadre d’un contrat avec des supermarchés, directement aux consommateurs ou sur des marchés au comptant. En dépit de la petite taille de leurs exploitations respectives, il est ressorti que ces ménages étaient en mesure de satisfaire aux exigences de qualité et de sécurité sanitaire des aliments et de produire des produits de grande valeur44.
Dans le cas des fruits et des légumes, les exigences de qualité et de sécurité sanitaire des aliments de la part des supermarchés et des exportateurs conduisent à une coordination verticale accrue et à une agriculture contractuelle. En République populaire de Chine, on a constaté que les dispositifs d’agriculture contractuelle visant à produire des pommes et des oignons verts s’étaient traduits par une augmentation du revenu moyen de 22 pour cent pour les producteurs de pommes et de 45 pour cent pour les producteurs d’oignons verts45. Il s’avère que, dans le cas de produits nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, comme les fruits et les légumes, la participation dépend de la disponibilité d’une main-d’œuvre familiale, et non de la taille de l’exploitation. L’augmentation du revenu des producteurs de pommes s’explique par de plus hauts rendements, conséquence des conseils techniques et des intrants fournis dans le cadre du contrat. Quant aux producteurs d’oignons verts, les prix plus élevés ont plus que compensé le coût unitaire des intrants (voir le tableau 3.1 pour plus d’informations sur les composantes du contrat), entraînant également une augmentation du revenu. La hausse de leur revenu a permis à ces ménages de dépenser plus pour la scolarisation de leurs enfants, les soins de santé, la consommation alimentaire et l’amélioration de leur logement.
Les contrats peuvent avoir des effets durables sur les conditions d’existence des agriculteurs. Au Nicaragua, l’accès à des chaînes de supermarchés vendant des légumes frais de grande valeur peut se traduire par une augmentation de 16 pour cent des actifs productifs des ménages, comme les tracteurs, les charrues et les pompes d’irrigation, sur une période de 2,5 ans46. Il ressort de cette étude que les ménages qui vivent à proximité d’une route et qui ont accès à de l’eau d’irrigation – des facteurs permettant une fourniture régulière de produits tout au long de l’année – sont plus susceptibles de participer à ces dispositifs contractuels. L’augmentation des actifs résulte d’un meilleur accès au crédit ainsi que des prix minimums prédéterminés qui, dans le cadre du contrat, ont réduit l’exposition des agriculteurs au risque et favorisé les investissements (voir le tableau 3.1 pour plus de détails sur le contrat étudié au Nicaragua). Étant donné que les actifs déterminent la productivité, les dispositifs contractuels garantissant des prix minimums peuvent avoir des effets à long terme sur le revenu des ménages, et donc sur la réduction de la pauvreté.
D’ailleurs, l’agriculture contractuelle est souvent considérée comme un moyen de remédier aux défaillances du marché de l’assurance. À Madagascar, les contrats prévoyant un prix fixe garanti étaient également associés à une diminution de la variabilité moyenne des revenus des ménages, le risque de fluctuation des prix étant alors transféré aux entreprises acheteuses47.
Le lait, produit alimentaire de grande valeur, est de plus en plus prisé, ce qui explique les taux de croissance élevés du secteur au Viet Nam et, plus généralement, en Asie. Dans ce type de chaînes de valeur, la qualité du produit est un facteur essentiel pour déterminer la participation et les prix à la production. Lorsque les caractéristiques de qualité ne sont pas observables, comme c’est le cas pour le lait, et qu’il revient trop cher de procéder à des tests individuels, des asymétries de l’information peuvent aboutir à dégrader les résultats du fonctionnement des marchés48. Ainsi, il arrive que les entreprises acheteuses n’informent pas correctement les agriculteurs sur le niveau de qualité de leur produit pour réduire le prix qu’elles doivent leur payer. Cela peut conduire les agriculteurs à limiter leurs investissements, ce qui a des effets préjudiciables sur la productivité des exploitations (voir aussi l’encadré 3.5 pour une solution innovante à ce problème d’asymétrie de l’information).
Une étude a évalué les effets que des tests sur le lait et une vérification de la qualité de ce produit réalisés par un organisme tiers indépendant avaient sur le comportement d’un échantillon aléatoire de petits producteurs laitiers du Viet Nam sous contrat avec une usine laitière. L’ajout de cet organisme chargé de veiller au respect du contrat dans un marché en croissance rapide s’est révélé avoir des effets positifs sur l’utilisation des intrants (comme les aliments pour animaux) et sur la qualité du produit et son niveau de production (quantité de matière grasse laitière et d’extraits secs totaux). Il en est résulté un revenu plus élevé et, en moyenne, une amélioration du bien-être des ménages.
L’autre dispositif d’agriculture contractuelle portant sur la production de lait, mis en place au Sénégal, comportait des dispositions contractuelles innovantes, visant à renforcer la confiance entre l’acheteur et l’agriculteur et à constituer un capital sociétal. Pour s’assurer des approvisionnements en lait adéquats auprès d’un grand nombre d’agriculteurs semi-nomades, la laiterie avait en effet prévu, parmi les composantes du contrat, une incitation susceptible d’améliorer l’état nutritionnel des enfants et d’accroître les livraisons de lait. La disposition incitative – qui consistait à fournir quotidiennement un yaourt enrichi en micronutriments pour chaque enfant en bas âge du ménage – rétribuait les agriculteurs qui livraient régulièrement leur lait. Cette approche innovante a eu des effets notables sur la fréquence et le volume des livraisons de lait, en particulier durant la saison sèche, où il est plus difficile de satisfaire les exigences de livraison que pendant la saison des pluies. Ces effets ont été encore plus significatifs lorsque le contrat était géré par une femme. Dans le cas des ménages dirigés par une femme, en effet, la quantité totale de lait livrée a augmenté de 64 pour cent durant la saison sèche et de 33 pour cent durant la saison des pluies, ce qui confirme que l’autonomisation des femmes améliore considérablement la nutrition et le bien-être de l’ensemble du ménage49.
Contrairement à ce qui se passe pour les fruits et légumes, les contrats ont un effet limité sur les possibilités d’augmenter la valeur ajoutée des aliments de base et d’en améliorer la qualité. Ces aliments ne sont pas périssables comme les légumes et peuvent être aisément stockés et transportés. Il est toutefois essentiel pour les pays en développement d’utiliser l’agriculture contractuelle pour renforcer l’efficience des filières d’aliments de base. Premièrement, ces améliorations sont susceptibles de profiter à un grand nombre de petits exploitants, et deuxièmement, elles peuvent contribuer à faciliter l’accès à la nourriture d’une population urbaine en expansion, et donc à favoriser la sécurité alimentaire.
Alors que la plupart des analyses de dispositifs d’agriculture contractuelle se concentrent sur les produits de grande valeur, celle réalisée au Bénin portait sur des contrats de production de riz; elle a permis de constater que l’agriculture contractuelle appliquée à un aliment de base produisait des effets significatifs sur le revenu des ménages ainsi que sur les rendements et les prix à la production. Le secteur du riz au Bénin est en concurrence avec les importations, mais se caractérise par une faible valeur ajoutée et une qualité médiocre. Les études montrent qu’il est important d’être membre d’un groupe organisé d’agriculteurs pour participer au dispositif de production contractuelle de riz, les autres facteurs déterminants étant la taille du ménage et le niveau d’instruction du chef de ménage. La taille de l’exploitation et les actifs possédés n’ont semble-t-il aucune influence sur la participation50.
L’amélioration de la qualité obtenue grâce à un meilleur triage, qui augmente le niveau de pureté, s’est traduite par une augmentation des prix à la production de 11 pour cent par rapport aux prix moyens. Le dispositif d’agriculture contractuelle a également amené une amélioration des rendements, du fait d’un meilleur accès aux intrants, et un accroissement de la superficie en riz, le résultat étant une augmentation de la production de 60 pour cent en moyenne. D’après les estimations, la participation au dispositif d’agriculture contractuelle a eu pour effet d’augmenter le revenu des ménages de 17 pour cent (voir le tableau 3.1).
Cela étant, l’application de l’agriculture contractuelle aux aliments de base pourrait être limitée. Le marché du riz au Bénin est encore peu développé par rapport aux marchés d’aliments de base des pays en développement, qui se caractérisent par un grand nombre d’agriculteurs et de négociants. La production de riz nécessite des investissements spécifiques pour niveler, inonder et drainer les champs, ce qui, conjugué à un plus grand nombre de possibilités de différenciation de la qualité, peut rendre possible l’agriculture contractuelle.
De façon générale, les éléments prouvant les effets positifs de l’agriculture contractuelle sur le bien-être sont légion, au moins dans les contextes locaux des études réalisées. Il reste que les conséquences peuvent être très hétérogènes à la fois selon les dispositifs contractuels et selon les agriculteurs participant à un dispositif en particulier. L’analyse de différents dispositifs contractuels portant sur des produits de grande valeur en Inde a révélé que, dans certains cas, la participation aboutissait à des augmentations notables du bénéfice net par hectare, tandis que, dans d’autres, elle avait un effet défavorable sur la rentabilité à l’hectare (voir le tableau 3.1 pour plus d’informations sur les différents dispositifs examinés dans l’étude de cas en Inde)51.
De fait, dans les pays en développement, les données probantes indiquent que la participation aux marchés et aux dispositifs d’agriculture contractuelle produit parfois l’inverse de l’effet recherché. Les dispositifs s’effondrent souvent et le taux de sortie est élevé. Or, pour que les marchés contribuent au développement, il est nécessaire que la participation s’inscrive dans la durée; les effets favorables de l’agriculture contractuelle sur les agriculteurs seront plus importants si la participation de ces derniers est continue, car les investissements dans les moyens de production, les technologies et les connaissances demandent du temps avant de porter leurs fruits. Il apparaît donc essentiel d’analyser soigneusement les termes et conditions des contrats en regard des effets sur le bien-être des agriculteurs pour mieux appréhender la dynamique d’une participation soutenue à ces marchés52.
Un examen approfondi des données relatives aux effets de l’agriculture contractuelle sur le revenu indique que la participation augmente le revenu agricole de 63 pour cent en moyenne. Sur les 26 dispositifs d’agriculture contractuelle analysés, deux seulement se sont révélés avoir une incidence défavorable. Cette constatation souligne les effets bénéfiques de l’agriculture contractuelle sur le bien-être, mais masque l’hétérogénéité possible de ces effets42. L’analyse des études empiriques examinées dans le présent rapport aboutit à des conclusions similaires.
Bien que toutes ces études aient fait appel à des techniques statistiques permettant d’établir correctement la relation de causalité entre l’agriculture contractuelle et le bien-être, ces effets sur le revenu pourraient être surestimés. Tout d’abord, il est probable que les effets non significatifs sur le revenu ne sont pas rapportés, car les articles scientifiques ont plus de chances d’être publiés s’ils mettent en évidence un effet significatif (c’est ce qu’on appelle le biais de publication). Ensuite, la plupart des études pourraient négliger les dispositifs d’agriculture contractuelle qui ont échoué ainsi que les agriculteurs qui sont sortis du dispositif (le biais du survivant). Ces deux sources de biais peuvent conduire à une surestimation des effets sur le revenu.
La participation aux dispositifs d’agriculture contractuelle peut aussi avoir des effets de retombée et de compensation. Ainsi, les besoins de main-d’œuvre plus élevés de l’agriculture contractuelle sont susceptibles de retentir sur l’emploi non agricole. Une étude réalisée à partir de données de Madagascar indique que l’agriculture contractuelle est associée à une baisse de 79 pour cent du revenu des ménages par habitant provenant du marché du travail et à une diminution de 47 pour cent du revenu généré par les entreprises non agricoles. Ce phénomène est la conséquence d’une spécialisation accrue dans la production, nécessaire pour répondre aux exigences du contrat. Il peut aussi indiquer que l’agriculture contractuelle est plus rentable par rapport à l’emploi non agricole. Cette relation entre les gains tirés de l’agriculture contractuelle et ceux issus du marché du travail pourrait expliquer pourquoi les agriculteurs rejoignent et quittent fréquemment les dispositifs contractuels. Par ailleurs, des effets de retombée sont également possibles, car les connaissances et les technologies auxquelles le dispositif d’agriculture contractuelle donne accès peuvent avoir une incidence sur les cultures hors contrat. Ces retombées technologiques pourraient se traduire par une hausse de 51 pour cent du revenu agricole tiré des cultures hors contrat53.
En dépit de ses faiblesses, l’analyse de la participation à des dispositifs d’agriculture contractuelle peut fournir de précieux éclairages sur la capacité des différentes formes de contrats et de fourniture de services à parer aux défaillances des marchés. Accès assuré aux marchés, fourniture d’intrants et crédit, surprix récompensant la qualité, prix à la production prédéterminés, services de vulgarisation et conseils techniques forment une structure complexe de services qui apporte des éléments de réponse aux difficultés et aux risques spécifiques auxquels les agriculteurs des pays en développement font face.
Bien que des travaux de recherche supplémentaires s’imposent, les données factuelles laissent supposer que les surprix, lorsqu’ils sont combinés à la fourniture d’intrants et au crédit, ont un effet favorable important sur le revenu dans le cas de cultures annuelles. Les prix prédéterminés protègent toutes les cultures contractuelles contre le risque de fluctuation des prix, mais l’effet des surprix peut être particulièrement important dans le contexte de marchés rémunérateurs et de chaînes de valeur mondiales de produits différenciés et certifiés. Les services de vulgarisation et la prise en charge du transport, lorsqu’ils sont prévus au contrat, ont aussi une forte incidence sur le revenu, ce qui souligne l’importance d’une amélioration des technologies et des infrastructures de transport pour l’accès aux marchés42.
Divers types de mécanismes de coordination peuvent remédier simultanément à différentes défaillances des marchés auxquelles les agriculteurs des pays en développement se heurtent. De nombreux modèles fonctionnels innovants sont conçus pour apporter une solution globale aux multiples dysfonctionnements des marchés au moyen d’une «offre groupée» d’intrants et de services.
Dans les programmes de développement et de réduction de la pauvreté qui ont pour objectif de promouvoir une activité indépendante, les données existantes indiquent que des interventions combinées sont parfois nécessaires pour obtenir des effets significatifs et persistants pour une grande partie des bénéficiaires. Différentes mesures concomitantes ciblant les pauvres sur une période limitée – transfert d’un actif productif accompagné d’un soutien de la consommation, formation professionnelle technique, accompagnement personnalisé, accès à l’épargne et éducation sanitaire, entre autres – peuvent se compléter pour soutenir les ménages et leur permettre d’améliorer leurs conditions d’existence54.
Une approche complète de ce type pourrait être efficace en présence de défaillances de marché multiples qui varient grandement en termes de gravité et d’un endroit à l’autre. Dans l’agriculture, intrants et services peuvent donner de meilleurs résultats lorsqu’ils sont fournis groupés plutôt qu’isolément.
Ainsi, associer la fourniture d’intrants modernes à une assurance aboutit à un gain de productivité et une hausse du revenu plus élevés que ceux que l’on obtient en facilitant l’accès à la technologie et à l’assurance séparément. L’investissement dans des semences améliorées est perçu comme risqué car, en cas de sécheresse, les agriculteurs peuvent perdre l’argent investi. Aussi est-il préférable, dans les situations incertaines, d’utiliser des intrants traditionnels de qualité inférieure, en particulier si l’on pratique une agriculture de subsistance, car le coût supplémentaire de la technologie moderne représente alors une part importante du revenu. Un dispositif d’agriculture contractuelle liant la fourniture de semences améliorées à une assurance, en revanche, pourrait accroître la demande de produits technologiques, les agriculteurs étant alors moins exposés au risque. Au Kenya, on constate que la fourniture groupée d’une assurance récoltes et de semences améliorées permet d’accroître les investissements dans l’exploitation, notamment dans des terres et dans des intrants tels que des engrais et des machines55.
Des modèles fonctionnels innovants peuvent aussi diminuer les coûts supportés par l’acheteur lorsqu’il conclut un contrat avec de petits exploitants. Un autre ensemble d’innovations accroît les avantages des deux parties en prévoyant une différenciation des produits sur la base de la qualité et d’autres caractéristiques; ces innovations peuvent modifier la somme et la nature des risques courus tout en donnant accès à des créneaux spécialisés et à des marchés plus rémunérateurs.
Pour beaucoup, les attributs de ces modèles fonctionnels ne sont pas nouveaux, surtout si on les considère séparément. Les innovations résident dans la façon dont ces attributs sont combinés pour produire un modèle palliant plusieurs défaillances de marché simultanément et permettant l’intégration des petits exploitants dans les chaînes de valeur.
Plusieurs solutions sont possibles pour ajouter directement une assurance de production dans un dispositif d’agriculture contractuelle. Dans les pays en développement spécialement, où les agriculteurs n’ont guère de garanties à offrir, les contrats d’assurance distincts n’ont que peu d’effets sur l’adoption de nouvelles technologies. À l’inverse, une assurance liée à un crédit peut encourager l’évolution technologique avec une bien plus grande efficacité56. Les entreprises qui s’approvisionnent auprès d’agriculteurs dans le cadre de contrats sont mieux placées pour offrir à ceux-ci un crédit et une assurance de production groupés. En effet, la relation contractuelle établie et les services qui y sont associés leur donnent des moyens supplémentaires de faire respecter le contrat de prêt (voir l’encadré 3.3 pour un exemple d’ajout d’une assurance à une offre groupée).
Le groupe PepsiCo en Inde offre aux agriculteurs qui participent à son programme d’achat de pommes de terre une assurance volontaire fondée sur un indice météorologique. Cette assurance est particulièrement importante du fait du risque de mildiou, une maladie susceptible de rendre la culture impropre à la transformation (pour plus d’informations sur les assurances fondées sur des indices météorologiques, voir la quatrième partie).
Le mildiou se développe par temps chaud et humide, aussi l’indice retenu est-il fondé sur le taux d’humidité et la température. Il est fourni par l’intermédiaire de ICICI Lombard General Insurance Company, une grande compagnie d’assurance privée, et géré par Weather Risk Management Services, un courtier privé, exploitant de stations météorologiques. PepsiCo a ajouté cette assurance indicielle volontaire à son dispositif d’agriculture contractuelle pour protéger les agriculteurs contre le risque météorologique et établir des relations à long terme avec eux, tout en réduisant le risque pour sa chaîne logistique. L’assurance joue un rôle essentiel dans l’ensemble de services destiné aux petits exploitants, qui comprend: des plants de pomme de terre de haute qualité; l’accès à des engrais, des pesticides et d’autres produits chimiques; des conseils techniques sur les pratiques de production; un prix d’achat et des incitations déterminés dès le début de la campagne; et des informations et des avis météorologiques envoyés sur un téléphone portable par l’intermédiaire d’un service de minimessages (SMS). Le contrat fixe un prix d’achat aux agriculteurs dès le début de la campagne et offre des incitations sous forme de surprix en fonction de la qualité de la récolte de pommes de terre, de l’utilisation d’engrais et de pesticides et de la souscription de l’assurance indicielle.
Plusieurs facteurs influent sur la décision de l’agriculteur de souscrire l’assurance fondée sur un indice météorologique, notamment: le prix d’achat garanti par PepsiCo; la possibilité de financer la prime d’assurance et d’autres coûts de production par un prêt; la confiance dans les différents acteurs de la chaîne de valeur; la rapidité d’indemnisation des sinistres démontrée lors de précédentes campagnes; et le sentiment qu’il est nécessaire d’atténuer le risque de perdre la mise de fonds importante effectuée en début de production, en partie pour couvrir les coûts de production de la campagne suivante. Sur les 24 000 agriculteurs ayant signé le contrat proposé par PepsiCo, répartis dans neuf états, 50 à 60 pour cent environ ont choisi de souscrire l’assurance indicielle – une forte proportion qui s’explique en partie par les incitations par les prix, et par les conditions de souscription de prêts auprès des banques d’État, qui demandent une assurance. Le programme a indemnisé des sinistres dans presque tous les états sur une période de cinq ans, et enregistré un taux de fidélisation des agriculteurs supérieur à 90 pour cent.
SOURCE: Adapté de Meyer et al. 201757.
Dans le cadre d’un contrat, l’assurance peut jouer un rôle essentiel de deux manières. Premièrement, elle peut réduire le risque pris par l’entreprise qui propose le contrat, et donc encourager la fourniture d’intrants de qualité aux agriculteurs, un élément clé pour augmenter la production et faire progresser le revenuf. Étant donné que l’assurance est fournie dans un ensemble comprenant également un accès garanti aux marchés, les banques peuvent être plus enclines à accorder un crédit supplémentaire, en dehors du contrat. Deuxièmement, l’ajout d’une assurance à l’offre groupée d’intrants proposée aux agriculteurs peut renforcer la participation au dispositif, surtout si celui-ci comprend l’adoption de nouvelles technologies. L’assurance de la production conduit les agriculteurs à augmenter fortement leurs investissements et à faire des choix de production plus risqués et potentiellement plus rentables58,59.
Les dispositifs d’agriculture contractuelle qui garantissent un prix minimum peuvent fournir aux agriculteurs une certaine assurance sur les prix, créant par là même de puissantes incitations à investir. Bien souvent, soit les marchés intérieurs traditionnels d’un produit sous contrat sont étroits (comme dans le cas de la culture pluviale de produits horticoles), soit les prix internationaux sont très instables et demeurent bas durant de longues périodes (comme sur les marchés du café et du cacao). Les dispositifs qui prévoient un prix fixe prédéterminé peuvent alors réduire la variabilité des revenus agricoles et favoriser l’investissement.
Pour l’entreprise acheteuse, le risque que les agriculteurs décident de vendre les produits sous contrat à d’autres acheteurs – une pratique connue sous l’appellation de «vente parallèle» – représente un problème important. Il peut ainsi arriver que les agriculteurs fassent une entorse au contrat et optent pour une vente parallèle de leurs produits lorsque le prix du marché dépasse suffisamment le prix contractuel, considérant que le gain de cette défection ponctuelle est supérieur aux avantages à plus long terme qu’il y aurait à respecter le contrat58.
Les contrats qui comprennent une protection contre l’instabilité des prix sont probablement ceux qui offrent les meilleures chances de durabilité et de prospérité, en particulier quand les agriculteurs sont hostiles aux risques et apprécient une moindre exposition à celui lié à la fluctuation des prix. Ainsi des agriculteurs du Nicaragua sous contrat avec Walmart se sont montrés favorables à un contrat qui prévoyait un prix moyen convenu inférieur au prix moyen du marché traditionnel60.
Il a été démontré que les prix contractuellement garantis entraînaient des investissements dans la production, mais que le fait de grouper la fourniture d’intrants et de services et l’achat à un prix prédéterminé pouvait apporter des avantages supplémentaires, notamment une plus forte participation aux marchés. Ainsi, les chercheurs travaillant avec une entreprise de transformation du riz au Bénin (voir l’encadré 3.4) ont établi qu’un contrat garantissant au producteur un prix prédéterminé avait, sur la production, des effets similaires aux contrats prévoyant en outre la fourniture de services de vulgarisation et de prêts pour les intrants. En revanche, les contrats qui ne comprenaient que des prix prédéterminés avaient moins d’effet sur la part commercialisée de la production familiale que ceux qui groupaient prix prédéterminés et fourniture d’intrants et de services.
Une étude a été menée récemment au Bénin, en collaboration avec une entreprise de transformation du riz, dans le but de déterminer quelles étaient les composantes des contrats les plus importantes pour obtenir les résultats souhaités. L’étude comportait une simulation de distribution aléatoire des différentes composantes figurant dans les contrats de production conclus avec de petits riziculteurs. L’entreprise qui proposait les contrats était la société Entreprises de services et organisations de producteurs (ESOP) de Bante, un acteur privé de la transformation et de la commercialisation du riz qui avait déjà expérimenté l’achat de riz à de petits agriculteurs sous contrat.
L’étude a porté sur 953 agriculteurs organisés en 107 groupements de producteurs; elle affectait de façon aléatoire ces agriculteurs à l’un des quatre groupes constitués: trois groupes traités et un groupe de contrôle. Les agriculteurs du premier groupe avaient signé un contrat écrit avec ESOP pour une quantité spécifiée de riz à livrer à une date et en un lieu également spécifiés, et répondant à une norme de qualité définie par un pourcentage d’impureté (présence de matières étrangères et de débris). Le contrat des agriculteurs du premier groupe précisait la variété de riz à cultiver, et tous les contrats garantissaient un prix de vente fixe à la récolte.
Les contrats des deux autres groupes traités associaient d’autres composantes à l’accord proposé au premier groupe. Le contrat des agriculteurs du deuxième groupe comprenait toutes les caractéristiques de celui du premier groupe, auxquelles s’ajoutaient des services de vulgarisation fournis par l’entreprise acheteuse. Le contrat du troisième groupe reprenait l’intégralité de celui du deuxième groupe, mais prévoyait aussi des semences et des engrais fournis à crédit par l’entreprise acheteuse, à un prix spécifié dans le contrat. Les agriculteurs du groupe de contrôle de cette étude étaient des riziculteurs sans aucun lien contractuel avec l’acheteur.
Les constatations indiquent que les contrats qui fixaient le prix, la qualité et les conditions de l’échange (premier groupe) ont entraîné des hausses de la productivité du riz, de la quantité de riz vendu par les ménages participants et du revenu des ménages par habitant provenant du riz. Ces résultats étaient également améliorés lorsqu’on ajoutait à cette garantie de prix des services de vulgarisation et des intrants (deuxième et troisième groupes). Il était par contre impossible de distinguer statistiquement les augmentations de la superficie cultivée en riz et de la productivité à l’hectare liées à ces deux derniers contrats de celles obtenues avec le premier.
Les garanties de prix s’avéraient suffisantes pour influer sur la superficie en riz et la productivité, une constatation qui porte à croire qu’une fois résolu le problème du risque de fluctuation des prix, les agriculteurs peuvent améliorer l’efficacité technique et s’attaquer aux difficultés liées aux actifs par eux-mêmes, sans qu’il soit besoin pour l’entreprise acheteuse d’engager les dépenses supplémentaires qu’impliquent l’offre de services de vulgarisation et la fourniture d’intrants.
En revanche, les contrats qui prévoyaient des services de vulgarisation, et ceux comprenant des services de vulgarisation et la fourniture d’intrants (deuxième et troisième groupes), ont fait progresser la participation au marché et le revenu des ménages par habitant provenant du riz. Les agriculteurs hors contrat avaient commercialisé 26 pour cent environ de leur récolte de riz. Les agriculteurs titulaires d’un contrat fixant le prix, la qualité et les conditions de l’échange ont accru leur participation au marché en vendant 50 pour cent de leur récolte. L’ajout de services de vulgarisation au contrat a porté ce chiffre à 56 pour cent. Enfin, les agriculteurs qui avaient souscrit le contrat comprenant aussi la fourniture d’intrants ont commercialisé 67 pour cent de leur récolte.
SOURCES: Adapté de Michelson. 2020; Arouna et al. 201958,62.
Le grand nombre de cultivateurs, d’intermédiaires et de négociants intervenant sur les marchés agricoles des pays en développement complique la diffusion d’informations relatives à la qualité des produits le long de la chaîne de valeur. Les produits potentiellement de qualité supérieure sont rares et, compte tenu du nombre de transactions et du grand nombre d’agriculteurs et de lieux compris dans le périmètre d’approvisionnement, les marchés ont du mal à transmettre les signaux de qualité et la différenciation des produits d’après la marque ou la réputation.
L’hétérogénéité qualitative peut gêner l’accès des petits exploitants aux marchés et accroître la probabilité que les ménages vivent en autarcie61. Lorsque les dispositifs d’agriculture contractuelle prévoient effectivement des primes à la qualité (des prix différenciés selon le niveau de qualité), ce classement peut entraîner des plaintes des agriculteurs, accusant l’entreprise acheteuse de dévaloriser certains produits de façon opportuniste, dans le but de manipuler et de diminuer les prix contractuels. Cette asymétrie de l’information entre acheteurs et vendeurs concernant le classement des produits par niveau de qualité peut conduire à un sous-investissement chronique des agriculteurs dans la production, lequel peut à son tour influer négativement sur la qualité des produits et la participation aux marchés58.
Les innovations en matière de différenciation qualitative des produits dans les dispositifs d’agriculture contractuelle peuvent aider la petite agriculture à sortir d’une production de produits bruts uniformes pour se tourner vers une production plus différenciée. Le café est un bon exemple de produit échangé à l’échelle internationale, cultivé par des millions d’agriculteurs en Afrique, en Amérique latine et en Asie, et qui se caractérise par des prix bas et instables. Au niveau du commerce de détail, le café est devenu un produit de plus en plus différencié, répondant à la demande d’une population croissante de consommateurs avertis.
Cette différenciation qualitative offre aux participants à la chaîne de valeur de nouvelles possibilités de tirer profit des différences de prix qui se créent. Quoi qu’il en soit, un modèle fondé sur la qualité doit permettre de générer des recettes supplémentaires et d’atténuer les risques pour les agriculteurs au moyen de contrats à long terme prévoyant des prix fixes, des garanties de volume à plusieurs niveaux de qualité et des mécanismes de paiement transparents (voir l’encadré 3.5).
Intelligentsia est un torréfacteur installé à Chicago et opérant à l’avant-garde du modèle d’achat de café directement au producteur. L’entreprise a raccourci sa chaîne d’approvisionnement afin d’améliorer la coordination et la qualité et d’accroître la valeur pour l’agriculteur et pour le consommateur. La caractéristique essentielle et marquante est le contact direct entre l’agriculteur et le vendeur de café, et notamment la négociation directe du prix, de la qualité, du volume et des conditions de livraison. Alors que le marché ordinaire du café se caractérise par des prix bas et instables, la plupart des cafés de spécialité s’achètent à des conditions différenciées: les acheteurs paient un surprix fixe par rapport au marché ordinaire. La qualité est l’une des voies que les cultivateurs peuvent emprunter pour sortir d’une production de base, mais passer à une production de grande qualité peut multiplier les difficultés.
Intelligentsia structure ses contrats commerciaux directs avec les agriculteurs de façon à les dissocier du marché ordinaire. L’entreprise achète des micro-lots de café – des cafés de grande qualité présentant des caractéristiques particulières –, mais aussi des cafés de différents niveaux de qualité, à des conditions de prix fixées indépendamment du cours et des fluctuations du marché ordinaire. La production d’un café d’une qualité extraordinaire est ardue, et les agriculteurs produisent souvent des cafés de différents niveaux de qualité au cours d’une même campagne, le niveau le plus bas (A) étant le plus courant et les cafés de qualité AAA ou les micro-lots étant rares, par comparaison. Intelligentsia achète toute la production au moyen de contrats différenciés, qui spécifient cinq niveaux de qualité à cinq prix différents. Les contrats sont élaborés de telle façon qu’ils créent des incitations permanentes à privilégier la qualité et suppriment l’instabilité des prix du marché pour les agriculteurs. Ils permettent donc à ces derniers de prévoir leurs recettes au moins un an à l’avance, un avantage qui, en retour, aide Intelligentsia à soutenir et à fidéliser son réseau de cultivateurs.
Les modèles d’achat et de commercialisation directs du café sont déjà bien établis dans le secteur, mais l’innovation tient ici à l’achat de plusieurs qualités de café aux agriculteurs sous contrat. Cette démarche se distingue du modèle standard d’achat de micro-lots, dans lequel les acheteurs n’acquièrent que la plus haute qualité de café auprès des fournisseurs.
Le commerce direct tel que le pratique Intelligentsia suppose que les agriculteurs séparent les grains de café par lots, en fonction de la qualité. Tous les contrats de l’entreprise portent sur plusieurs qualités, dont des cafés d’assemblage (A et AA), des cafés d’origine unique (AAA) et des micro-lots de café, conformément à la volonté de créer davantage de valeur. Ces contrats récompensent les cultivateurs qui s’efforcent de produire la meilleure qualité possible, en achetant à des prix plus intéressants aussi bien les cafés moins «vendeurs» que les crus de très haute qualité (AAA et micro-lots).
En raccourcissant ainsi la chaîne de valeur, on permet aux agriculteurs de tirer profit d’un investissement dans la qualité. On offre aux cultivateurs des incitations financières stables à améliorer la qualité, puisque les efforts en ce sens se retrouvent dans les recettes. L’entreprise favorise également des relations durables dans le cadre desquelles les échanges ne tournent pas uniquement autour du prix, mais permettent aussi d’aborder l’évolution de la consommation et du goût, influant sur les décisions des agriculteurs en matière de production et de récolte.
SOURCE: Adapté de Michelson. 202058.
L’augmentation de la productivité des exploitations agricoles et de la commercialisation de leurs produits permet d’améliorer les revenus et les conditions d’existence des agriculteurs, mais peut aussi avoir des effets indésirables sur les dimensions sociales et environnementales du développement durable. Ainsi, les chaînes de valeur mondiales pourraient exclure les agricultrices ou ceux qui exploitent de petites superficies, engendrant une série d’inégalités et réduisant les possibilités de prendre part au processus de développement. La pression croissante des marchés en faveur des économies d’échelle pourrait marginaliser encore davantage les petits exploitants, risquant de créer des difficultés sociales.
D’aucuns s’inquiètent aussi de l’accroissement de la production végétale destinée à l’exportation qui résulte de l’ouverture des marchés et de la mondialisation, car il constitue le principal déterminant de la déforestation (voir la deuxième partie). On estime qu’en Amérique latine, l’agriculture commerciale a été à l’origine de près de 70 pour cent de la déforestation sur la période 2000-201063. Outre qu’elle accroît les émissions de carbone contribuant au changement climatique, compte tenu des quantités importantes de carbone stockées par les arbres, la destruction des forêts réduit aussi la biodiversité en supprimant l’habitat naturel d’animaux et de plantes.
De façon générale, les économistes se félicitent de l’économie de marché, car elle incite les individus à fournir des produits et des services, générant de la prospérité et stimulant la croissance économique. Ils reconnaissent toutefois qu’il arrive que les marchés soient impuissants à faire coïncider les intérêts individuels avec ceux de la société dans son ensemble. Les marchés peuvent alors produire des résultats préjudiciables pour l’environnement ou ne pas tenir compte d’objectifs sociaux tels que la réduction des inégalités.
Ces incidences environnementales et sociales sont «externes» par rapport aux marchés et ne sont donc pas prises en compte dans les prix des produits agricoles. Pour mettre les marchés en phase avec l’intérêt collectif et le bien-être social, il est nécessaire d’adjoindre des cadres institutionnels à l’économie de marché. Les pouvoirs publics font couramment appel à la réglementation directe, ainsi qu’à des taxes et subventions, pour faire en sorte que les marchés tiennent compte de coûts qui, sans cela, ne seraient pas intégrés.
Ainsi, certains États taxent les pesticides pour «internaliser» leur coût environnemental pour la société et pour réduire leur utilisation ou subventionner les pratiques agricoles intelligentes face au climat. Dans le monde entier, des systèmes de protection sociale sont mis en place pour remédier aux inégalités. Par ailleurs, des dispositifs institutionnels tels que les systèmes de certification de la durabilité peuvent mettre à profit les mécanismes de marché pour produire des biens collectifs et des résultats durables.
Si les pouvoirs publics ont la possibilité de réglementer les marchés et d’intervenir au moyen de taxes et de subventions, d’autres acteurs peuvent aussi remédier aux défaillances des marchés et fournir des avantages environnementaux et sociaux. Ainsi, le secteur privé, les organisations non gouvernementales et les initiatives multipartites peuvent investir dans des normes et des systèmes de certification de la durabilité applicables dans les chaînes de valeur mondialesg.
Les normes de durabilité gagnent du terrain sur les marchés mondiaux, surtout concernant les produits de grande valeur, depuis longtemps servis par des chaînes de valeur mondiales. Elles sont souvent considérées comme un moyen de renforcer le lien entre les petits exploitants des pays en développement et les consommateurs aisés des pays industrialisés (voir la deuxième partie pour une analyse de la demande croissante de produits certifiés durables)64. Les prix plus élevés et plus stables des produits certifiés et l’accès plus aisé au marché qu’offrent ces normes de durabilité incitent les agriculteurs à les adopter, à respecter les règles de production qui leur sont propres et à se soumettre à des inspections régulières par des organismes de certification indépendants, tels que FLOCERT, pour la certification Fairtrade, ou la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, pour la certification d’agriculture biologique. Souvent, les prix plus élevés compensent les coûts supplémentaires de production et de gestion de l’exploitation qui s’imposent si l’on veut respecter les normes.
Les systèmes de certification de la durabilité poursuivent des objectifs variés. Ainsi, les normes relatives à l’agriculture biologique incitent à cultiver sans engrais ni pesticides de synthèse, tandis que celles encadrant le commerce équitable visent à améliorer l’accès aux marchés des petits exploitants des pays en développement et à relever les prix qui leur sont payés. D’autres systèmes préconisent une série de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement pour encourager une gestion agroécologique, comme l’agroforesterie, l’utilisation d’engrais et de pesticides organiques, et un traitement et une élimination plus sûrs des déchets et effluents.
Certains systèmes de certification intègrent des règles sociales visant à améliorer les conditions de travail et de vie des agriculteurs et des travailleurs des pays en développement65. Ces règles ont trait à la santé et à la sécurité des travailleurs, à leurs droits sociaux tels qu’une rémunération égale ou supérieure au salaire minimum, aux droits des enfants à l’éducation, et aux politiques relatives au travail des enfants. D’autres programmes de certification imposent la mise en place d’organisations agissantes de producteurs ou de travailleurs, pour tenter de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs (voir la figure 3.9 pour plus d’informations sur les exigences de certains systèmes de certification de la durabilité).
La conformité avec les systèmes de certification de la durabilité implique souvent des arbitrages importants. Ainsi, les dispositions relatives à l’agriculture biologique ou autres dispositions relatives à l’environnement alourdissent généralement les coûts de production, et les agriculteurs ne sont pas toujours en situation de répercuter cette charge sur le consommateur. La certification de durabilité peut aussi entraîner une exclusion des agriculteurs les plus défavorisés si ceux-ci ne sont pas en mesure de satisfaire les exigences définies dans les normes.
En général, on estime que les systèmes de certification de la durabilité améliorent les pratiques en matière d’environnement. Ainsi, au Brésil, en Colombie, au Costa Rica, au Guatemala et au Mexique, on a constaté que les normes définies par une multinationale amélioraient le bilan écologique des petits producteurs de café certifiés, par rapport à ceux qui ne l’étaient pas66. On a montré que cette relation constructive entre certification et avantages environnementaux était plus forte lorsque les agriculteurs étaient organisés en coopératives que lorsqu’ils vendaient directement leur récolte à des intermédiaires privés tels que des négociants ou des torréfacteurs.
La structure institutionnelle de la chaîne de valeur joue un rôle essentiel dans la façon dont la certification de durabilité influe sur les résultats économiques, environnementaux et sociaux, car les signaux transmis aux agriculteurs sur les normes appliquées peuvent varier selon les intermédiaires67. Souvent, les groupements d’agriculteurs ou les coopératives apparaissent mieux placés pour fournir un appui technique et des conseils de gestion aux agriculteurs certifiés.
Au Costa Rica, les normes biologiques ont contribué à réduire l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’herbicides et à accroître l’utilisation d’engrais organiques chez les producteurs de café certifiés. Cela étant, l’analyse laisse penser que, si les normes peuvent avoir des avantages environnementaux notables, elles ont aussi toutes les chances d’engendrer des coûts élevés pour les agriculteurs, qui doivent être compensés par un surprix plus important68.
Dans le bassin du fleuve Tapi, en Thaïlande, d’où provient 60 pour cent de l’huile de palme produite dans le pays, on a montré que les producteurs d’huile de palme brute certifiés par la Table ronde pour une huile de palme durable avaient l’impact environnemental le plus faible, en particulier sur le plan du réchauffement planétaire et de la formation d’ozone photochimiqueh. Cela tient à une utilisation efficiente des engrais, une bonne qualité des noix de palme pour la transformation en huile et une bonne gestion des déchets69. En revanche, il ne semble pas que les normes définies par la Table ronde pour une huile de palme durable en Indonésie aient été efficaces en matière de biodiversité et de protection de l’habitat de l’orang-outan. La raison en est le manque d’information sur la répartition des populations d’orang-outan dans la forêt, ainsi que la rémunération inadéquate des cultivateurs de palmiers pour les coûts liés au respect des normes70.
Au Nicaragua, les plantations de café qui respectent différentes normes de durabilité (dont les normes d’agriculture biologique et celles des systèmes Coffee and Farmer Equity [C.A.F.E.] Practices, Fairtrade, Rainforest Alliance et UTZ) ont démontré qu’elles enregistraient de meilleures performances environnementalesi. Cela comprenait un stockage de carbone plus important, grâce aux arbres utilisés pour cultiver le café d’ombre; de meilleures pratiques de conservation des sols et de recyclage de la pulpe de café; et l’utilisation d’engrais organiques71.
Le café d’ombre peut concourir à de nombreux services écosystémiques: il permet de s’adapter aux effets du changement climatique, d’utiliser les oiseaux pour lutter contre les ravageurs et de produire des aliments et d’autres produits présentant une valeur économique à partir des arbres d’ombrage. En Éthiopie, les programmes de certification de Rainforest Alliance applicables au café d’ombre ont atténué efficacement la dégradation des forêts72. Des incitations bien pensées – le café est payé aux agriculteurs à un prix supérieur de 15 à 20 pour cent à celui du marché – conjuguées à des critères de certification et de suivi répondant à une norme élevée, ont accru la densité des zones forestières de production certifiée par rapport à celle des zones dont la production n’est pas certifiée.
Améliorer le bien-être et les revenus des petits agriculteurs est l’un des principaux objectifs de nombre de systèmes de certification de la durabilité, mais peu de ces systèmes échappent au risque d’exclure les petits exploitants les plus défavorisés.
Ainsi, en Thaïlande, le revenu des maraîchers qui respectent les normes internationales de durabilité définies par le système de certification GlobalGAP s’avère supérieur de 90 pour cent en moyenne à celui des agriculteurs non certifiés au cours de la première année de certificationj. On notera cependant que cette estimation ne tient pas compte des coûts de mise en conformité. La certification GlobalGAP repose sur des exigences rigoureuses en matière de sécurité sanitaire des aliments et de traçabilité, de protection de l’environnement, de bien-être animal, et de santé et de sécurité des travailleurs. Elle requiert également un système de gestion de la qualité qui reprend en détail les processus, les procédures et les responsabilités nécessaires sur l’exploitation pour satisfaire les exigences du système de certification. Élaborer un système de gestion de cette nature demande des compétences particulières et, pour cela, les agriculteurs s’organisent en groupements ou en coopératives soutenus par des donateurs, ou s’appuient sur les entreprises exportatrices. Les donateurs et les exportateurs ont également couvert en partie les coûts fixes initiaux élevés qu’engendre l’adoption des normes GlobalGAP73.
Le soutien fourni aux agriculteurs pour qu’ils adoptent et continuent de respecter ces normes rigoureuses est essentiel. Dans le cas des maraîchers thaïlandais, l’analyse laisse entendre que, pour les agriculteurs travaillant sous la direction d’une coopérative, les coûts de mise en conformité avec les normes GlobalGAP sont tels que seuls les exploitants les plus importants peuvent conserver la certification, surtout une fois que le soutien des donateurs a cessé. Il a été démontré que le fait de recevoir l’appui d’un exportateur aidait à absorber les coûts initiaux de l’adoption des normes et augmentait de 85 pour cent la probabilité d’être de nouveau certifié. La mise en place de groupes d’agriculteurs et de partenariats à long terme entre acteurs des chaînes de valeur et avec des organismes de développement et des organisations non gouvernementales est un facteur crucial d’intégration des petits agriculteurs dans les marchés de produits certifiés de grande valeur.
En Ouganda, les travaux de recherche indiquent que les avantages économiques d’une certification de durabilité du café ne parviennent que partiellement à compenser les coûts de mise en conformité74. En créant des organisations de producteurs ruraux, les agriculteurs peuvent tirer profit de l’assistance technique fournie par les organisations non gouvernementales pour obtenir une certification de groupe et accroître le volume des livraisons de café certifié.
En Côte d’Ivoire, les coopératives de producteurs de cacao jouent un rôle fondamental en aidant leurs membres à respecter les normes Fairtrade. Fairtrade s’emploie à améliorer les conditions d’existence des petits exploitants et encourage l’action collective des agriculteurs. La certification est octroyée aux coopératives et offre des prix minimums garantis pour les produits certifiés, ainsi qu’une prime Fairtrade visant à fournir aux coopératives des conseils techniques et des intrants75. Les données factuelles indiquent que la certification Fairtrade accroît le rendement des agriculteurs certifiés de 13 pour cent en moyenne, par rapport aux exploitants non certifiés, et le prix reçu de 4 pour cent. Toujours en moyenne, les dépenses de consommation par habitant des agriculteurs certifiés sont plus élevées de 20 pour cent que celles des autres exploitants76.
On a constaté également que les caractéristiques des coopératives influaient sur la probabilité de certification ainsi que sur la productivité et le revenu des agriculteurs. Dans le cas du cacao en Côte d’Ivoire, les coopératives de producteurs mieux dotées en actifs et fournissant de meilleurs services avaient certes davantage de chances d’être certifiées, mais la certification Fairtrade augmentait de façon importante le revenu des cultivateurs membres des coopératives moins bien loties. Cela laisse penser que la prime Fairtrade, qui vise à soutenir les coopératives, accroît leur capacité à délivrer des conseils techniques et des intrants.
À mesure que la croissance économique, l’urbanisation et la progression du niveau de vie font évoluer les préférences des consommateurs dans les pays en développement, les systèmes de certification intérieurs sont de plus en plus prisés car ils informent le consommateur sur la qualité et la sécurité sanitaire des aliments. Au Viet Nam, la pénétration rapide des marchés intérieurs par les supermarchés a favorisé le recours à des certifications de ce type, telles que VietGAP, qui permettent aux petits exploitants d’accéder aux marchés de produits différenciés et de produits de grande valeur. Souvent, les normes nationales sont moins strictes que les normes internationales – VietGAP, par exemple, recommande de recourir à des pratiques de gestion intégrée des organismes nuisibles, alors que, pour la certification GlobalGAP, ces pratiques sont essentielles.
Dans la province de Thái Nguyên, au nord-est du Viet Nam, on a montré que les cultivateurs de thé vert qui respectaient les normes VietGAP, qu’ils travaillent isolément ou dans le cadre d’une coopérative, participaient davantage aux chaînes de valeur intérieures lucratives et obtenaient des prix supérieurs de 11 à 20 pour cent à ceux payés pour le thé non certifié. En revanche, s’agissant des exploitations certifiées employant une main-d’œuvre plus nombreuse pour appliquer les normes, leurs dépenses de personnel étaient deux fois plus importantes que celles des exploitations non certifiées. Malgré ces coûts de production plus élevés, les estimations indiquaient que le revenu net des exploitations certifiées était plus élevé de 30 pour cent que celui des plantations non certifiées77.
De façon générale, il s’avère que l’intégration des petits exploitants dans les chaînes de valeur de produits certifiés durables génère des avantages économiques. Pourtant, des examens récents synthétisant les données disponibles laissent entrevoir des résultats inégaux quant aux effets de la certification de durabilité sur le produit des ventes, le revenu des exploitations et les salaires agricoles65,78. Ces divergences entre études peuvent être attribuées à des facteurs propres au contexte, qui souvent sont négligés ou ne sont pas saisis dans leur intégralité, mais aussi à la diversité des préconisations et des prestations de services qui composent les différents systèmes de certification.
En Ouganda, par exemple, on a constaté que la participation des ménages agricoles à différentes combinaisons de systèmes certifiant la durabilité de leur production de café (une double certification Fairtrade–agriculture biologique et une triple certification UTZ–Rainforest Alliance–4Ck) influait diversement sur la pauvreté, la production et la productivité de la main-d’œuvre, et donc sur le revenu79. D’un côté, malgré le prix supérieur de 11 pour cent offert par les systèmes de certification Fairtrade et agriculture biologique, on a observé une baisse de la productivité et du revenu, due à des rendements inférieurs. De l’autre, le programme de triple certification a eu des effets favorables notables, dont un accroissement de 45 pour cent environ du rendement, qui se sont traduits par une hausse du produit des ventes de café, une hausse du revenu total des ménages et du revenu des ménages par habitant, et un recul de la pauvreté.
D’autres études indiquent qu’à court terme la participation des petits exploitants à des systèmes de certification de la durabilité pourrait améliorer leur bien-être, mais qu’à plus long terme les données sont plus nuancées et que, pour certains ménages, rejoindre le marché du travail est un moyen de sortir de la pauvreté80. S’il est vrai que les systèmes de certification de la durabilité ne sont pas la seule voie vers une croissance durable, ils sont généralement considérés comme une méthode structurée permettant d’apporter des améliorations et de les documenter, à l’aide de règles, d’indicateurs et de mécanismes clairement définis.
De nombreux systèmes de certification de la durabilité comprennent des obligations spécifiques reprenant des principes sociaux. Fairtrade, par exemple, impose aux organisations d’agriculteurs certifiées de lutter contre la discrimination, de veiller à la santé et à la sécurité au travail des personnes employées et d’interdire le travail des enfants. Des systèmes de cette nature peuvent encourager les investissements dans l’éducation des enfants. Ainsi, des données portant sur de petits producteurs de café en Ouganda indiquent que les dépenses que les ménages certifiés par Fairtrade consacrent à l’éducation de leurs enfants sont supérieures de 146 pour cent à celles des autres ménages, et que la scolarité de leurs enfants est plus longue que celle des enfants de ménages non certifiés. Dans de nombreux systèmes de certification, le revenu provenant des cultures commerciales est souvent réservé aux investissements plus importants, comme l’éducation, et contribue donc directement à l’éducation des enfants81.
L’investissement dans l’éducation des enfants augmente généralement avec le revenu, mais les décisions des ménages dans ce domaine peuvent être complexes et déterminées par une série de facteurs. De nombreuses études brossent un tableau nuancé, mais, globalement, on constate une relation directe entre la participation à des chaînes de valeur de produits certifiés et la scolarisation65. Dans les États d’Oaxaca et du Chiapas, dans le sud rural du Mexique, par exemple, on a établi que, dans les ménages appartenant à une coopérative certifiée Fairtrade-agriculture biologique, la scolarisation des filles augmentait davantage que celle des garçons. Les estimations indiquaient que, pour la tranche d’âge des 16-25 ans, la scolarisation des filles augmentait de 0,7 année; l’incidence sur les garçons était plus faible, en raison probablement de meilleures possibilités d’emploi rural pour ceux-ci82.
Les effets des systèmes de certification peuvent aussi varier selon les membres d’un ménage, en fonction du rôle que chacune de ces personnes joue dans la production végétale, du contrôle qu’elle exerce sur le revenu du ménage et de son pouvoir de décision. Souvent, les cultures certifiées sont des cultures commerciales traditionnelles, sur lesquelles les hommes exercent un plus grand contrôle. Si la certification améliore leur rentabilité, cela peut renforcer ou exacerber les rôles de genre et les inégalités65. De façon générale, la commercialisation est susceptible d’influer sur les rôles de genre au sein de ménages ruraux, réduisant encore la part du revenu sur laquelle les femmes ont la haute main.
Certains systèmes de certification, comme Fairtrade et UTZ, appliquent des politiques spécifiques de parité hommes-femmes et de lutte contre la discrimination qui peuvent aider à défendre le statut des femmes et à réduire les disparités qui existent entre les sexes dans l’accès à l’information, aux intrants et aux services. Certaines normes, par exemple, exigent des organisations d’agriculteurs qu’elles encouragent la participation des femmes aux formations agricoles régulières et qu’elles donnent la preuve de leur action en ce sens; qu’elles organisent des ateliers de sensibilisation aux questions de parité hommes-femmes; ou qu’elles offrent des services ciblant spécifiquement des groupes désavantagés, tels que les femmes65.
Une analyse portant sur des ménages qui produisent un café certifié en Ouganda porte à croire que les normes visant à promouvoir l’égalité des sexes ont été fructueuses et ont permis d’intégrer des femmes dans la chaîne de valeur du café certifié. Les résultats indiquent que, dans un ménage cultivant le café certifié, la probabilité que l’homme ait la haute main sur les revenus provenant de la vente de ce produit est considérablement réduite, par rapport à un ménage ne participant pas au système de certification. Cette situation peut être due aux activités de prise en considération systématique de la parité hommes-femmes du système de certification, mais peut aussi s’expliquer par l’augmentation de la part des femmes du ménage dans les travaux agricoles. À mesure que les normes de qualité accroissent la demande de main-d’œuvre et que la part assumée par les femmes augmente, le pouvoir de négociation de celles-ci progresse, ainsi que leur influence sur les décisions prises83.
Là encore, ces incidences sur la parité hommes-femmes dépendent du contexte. Ainsi, l’augmentation des besoins de main-d’œuvre consécutive à la participation à un système de certification peut aussi alourdir la charge de travail des femmes et remettre en cause d’autres possibilités d’emploil.
La certification de durabilité peut offrir d’autres avantages sociaux non tangibles. Les normes Fairtrade sur les travailleurs rémunérés comprennent des dispositions imposant de répartir la prime, de faciliter la liberté d’expression, de veiller à la sûreté des méthodes de travail et de prévoir des mécanismes de négociation collective sur des conditions de travail sûres, décentes et équitables. Une étude a permis de mener une enquête sur la certification Fairtrade et sur le bien-être des travailleurs salariés de bananeraies en République dominicaine, où la production de ce fruit fournit des emplois directs à 32 000 travailleurs, d’après les estimations. La banane est l’un des produits tropicaux les plus échangés dans le monde, mais on estime que la part de production certifiée Fairtrade ou couverte par une autre norme de durabilité est comprise entre 5 et 8 pour cent seulement. Globalement, l’étude a mis en évidence des effets positifs sur la main-d’œuvre, en particulier: les travailleurs reçoivent des avantages en nature, ils ont le sentiment que leur emploi est stable, peuvent davantage s’exprimer et peuvent épargner84.
La QUATRIÈME PARTIE examine comment les technologies numériques peuvent rendre les marchés agricoles et alimentaires plus efficients et plus inclusifs. L’analyse étudie la fracture numérique dans le secteur agricole, entre et dans les pays, puis se resserre sur la façon dont les technologies numériques peuvent remédier aux défaillances des marchés. Une palette d’applications sont ainsi examinées, des messages texte relayant des informations sur les prix aux plateformes complexes de commerce électronique intégrant les agriculteurs dans les marchés, et à l’utilisation de la technologie de la chaîne de blocs dans les chaînes de valeur. L’analyse fait la synthèse des atouts des technologies numériques, susceptibles de contribuer à toutes les dimensions du développement durable, non sans examiner les risques qui leur sont associés et qui rendent nécessaire l’élaboration de cadres d’action et de cadres réglementaires.
Messages clés Principales mesuresLes technologies numériques sont en train de transformer nos économies et nos sociétés à un rythme soutenu. Leur adoption pousse les coûts d’information et de transaction à la baisse, améliore l’efficience, crée de nouveaux emplois, génère de nouveaux flux de revenus et économise des ressources. En même temps, elles peuvent être source de perturbations, modifiant ou déplaçant des activités et des produits. Les technologies numériques peuvent aider l’agriculture à relever les défis mondiaux auxquels le secteur fait face, à savoir augmenter la production d’aliments sains et nutritifs pour satisfaire les besoins d’une population en expansion et assurer la sécurité alimentaire; générer des emplois, améliorer les revenus, réduire la pauvreté et favoriser la croissance économique rurale; et gérer les ressources naturelles de façon durable.
Certaines technologies numériques accélèrent l’évolution des chaînes de valeur agricoles et alimentaires. D’autres ont des effets considérables sur la contribution de la main-d’œuvre, du capital et d’autres intrants à la production, à la transformation et à la commercialisation des aliments. L’adoption de technologies numériques peut donc entraîner des changements dans les prix relatifs, perturbant les marchés.
Les capteurs, les satellites d’observation, les robots et les drones sont autant d’exemples de technologies numériques susceptibles de révolutionner l’exploitation agricole et les chaînes de valeur. Les capteurs et les satellites fournissent des informations sur l’état du sol, les conditions météorologiques et les températures, ou la croissance des cultures. Ils permettent aux agriculteurs d’obtenir de plus hauts rendements en optimisant la gestion de leurs terres, réduisent l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’eau, et contribuent en outre à de meilleurs résultats et à des résultats plus durables. L’internet des objets (IDO), qui connecte les robots, les drones et les véhicules à internet, peut améliorer le rapport coût-efficacité de tâches nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, comme le suivi sanitaire des plantes ou le semis des cultures.
Ces technologies génèrent également de grandes quantités de données qui peuvent être combinées à d’autres informations, stockées et analysées pour étayer la prise de décision. Ces données massives contiennent des actifs informationnels très variés qu’il est possible de traiter au moyen de nouvelles méthodes d’analyse, telle que l’intelligence artificielle, pour évaluer des résultats potentiels à partir d’une série d’actions et de conditions, et aider ainsi à orienter les interventions futures (voir l’encadré 4.1 pour une définition des technologies et des innovations numériques).
L’agriculture est une activité à forte intensité de savoir. Avant toute décision relative aux façons culturales et à la production, les agriculteurs évaluent les conditions météorologiques, les niveaux d’éléments nutritifs et d’humidité des sols, l’apparition de plantes et d’animaux, la présence de parasites, les prix du marché et de nombreuses autres variables. Les améliorations technologiques ont grandement facilité ces processus décisionnels. Même s’il est vrai que l’accès aux technologies et le taux d’adoption varient largement à l’échelle mondiale ainsi qu’à l’intérieur des pays (voir la section suivante sur la fracture numérique), les technologies peuvent être présentes à chaque stade de la production, de la commercialisation et de la transformation.
Technologies de l’information et de la communication (TIC). Renvoie à l’intégration des télécommunications, des ordinateurs et des systèmes nécessaires pour permettre aux utilisateurs d’accéder à l’information, de la stocker, de la partager et de l’utiliser.
Technologies numériques. Désigne de façon générique les outils informatisés utilisés pour générer, stocker et utiliser des données à des fins variées.
Plateformes numériques. Désigne les pôles d’activité virtuels où s’échangent des biens et des services (commerce électronique).
Internet des objets (IDO). Renvoie à la collection des appareils et dispositifs connectés à internet et qui permettent d’obtenir des informations sur le monde réel. Les informations collectées sont traitées à l’aide de logiciels (applications).
Technologie des registres distribués. Désigne en substance un système d’enregistrement décentralisé et reposant sur le consensus (voir l’encadré 4.6 pour plus d’informations).
Agriculture de précision. Désigne une méthode de gestion globale de l’exploitation à l’aide de technologies de l’information, de données de géolocalisation et de navigation par un système de satellites (GNSS), de dispositifs de télédétection et de la collecte de données de proximité.
Intelligence artificielle. Renvoie aux systèmes logiciels conçus pour prendre des décisions qui, normalement, nécessitent le niveau d’expertise d’un humain, souvent à partir de données en temps réel.
Données massives. Désigne les grandes quantités de données générées en continu par la population mondiale lors des échanges quotidiens des individus avec des produits ou des services numériques, échanges dont elles représentent un sous-produit.
SOURCES: West. 2018; United Nations Global Pulse. 2013; Đurić. 2020.1,2,7
Les technologies de registres distribués, comme la chaîne de blocs, peuvent offrir de nombreux avantages en aval en procurant un moyen sûr et décentralisé de mener à bien des transactions le long d’une chaîne de valeur, même en l’absence d’une relation de confiance avec la partie concernée. Combinées à des capteurs, qui fournissent des informations sur le respect des délais de livraison à chaque stade de la chaîne de valeur ainsi que sur la qualité du produit, les technologies de registres distribués peuvent perturber les activités de coordination verticale, auxquelles participent un grand nombre d’acteurs, de la fourche à la fourchette.
Ces changements s’opèrent dans le contexte d’une évolution plus large des systèmes alimentaires mondiaux, dont les technologies numériques concourent à régler le rythme. Les préférences des consommateurs changent, sous l’influence de la croissance économique, de l’urbanisation et des modes de vie modernes, ce qui retentit sur les marchés. Petit à petit, les consommateurs deviennent plus exigeants, qu’il s’agisse de la valeur des aliments, de leurs caractéristiques nutritionnelles ou de la garantie de qualité.
Pourtant, une fracture numérique sépare les pays, résultat des différences d’accès à l’information et aux technologies. Cette fracture numérique existe aussi à l’intérieur des pays, entre zones rurales et zones urbaines, entre hommes et femmes, et entre secteurs. Enfin, cette fracture numérique n’est nulle part plus patente que dans l’agriculture. Les exploitations à orientation commerciale et les entreprises des pays développés et des économies émergentes font déjà un usage intensif des technologies, tandis que les petits exploitants de nombreux pays en développement continuent de batailler pour accéder à l’information, aux marchés et aux intrants.
L’innovation technologique est un moteur fondamental de la croissance économique. Il est courant que des améliorations suivent l’introduction d’une innovation et que celle-ci se retrouve utilisée différemment de ce qui avait été initialement envisagé. Il peut s’écouler du temps avant qu’une innovation investisse les marchés à grande échelle. Ce délai est souvent dû au coût d’adoption de la technologie, mais l’acceptation et la familiarité jouent également un rôle, en particulier dans le cas des innovations les plus complexes.
Les téléphones fixes ont été remplacés par des téléphones portables comme moyen de communication, et les abonnements au haut débit mobile ont aussi largement supplanté les abonnements au haut débit fixe (figure 4.1). La vitesse d’adoption de la téléphonie mobile a tenu en partie au fait que les coûts d’infrastructure occasionnés par cette technologie étaient plus faibles. Les communications se sont considérablement améliorées et, en moyenne, la majeure partie de la population mondiale vit désormais dans la zone de portée d’un signal mobile, que ces personnes soient ou non abonnées ou utilisatrices.
Cela étant, on observe de grands écarts selon les pays dans la couverture des réseaux et dans le fait de posséder un téléphone mobile, et ces écarts reflètent principalement les différences de revenu moyen par habitant (figure 4.2). Les écarts entre pays sont moins importants lorsqu’on prend comme point de comparaison la couverture réseau que lorsqu’on opte pour le nombre d’abonnements, lequel fournit une meilleure indication de l’accès à la téléphonie mobile. Ainsi, la Thaïlande compte près de 180 abonnements pour 100 habitants – de nombreuses personnes possèdent plus d’un appareil ou d’une carte d’identification d’abonné (SIM, Subscriber Identity Module), tandis que d’autres ne possèdent aucun appareil. À l’inverse, les dernières données en date pour le Niger font état de 40 abonnements à la téléphonie mobile pour 100 habitants6.
En 2019, on estimait qu’à l’échelle mondiale, 54 pour cent environ des personnes utilisaient internet4. L’accès à internet s’est rapidement démocratisé, mais des écarts subsistent entre les pays, qui se creusent progressivement à mesure que le revenu moyen par habitant baisse. Non seulement cet accès est plus rare dans les pays les moins avancés, mais le taux d’adoption aussi est plus faible (figure 4.3).
L’accès à internet est faible dans les pays les moins avancés, puisque 19 pour cent environ de la population utilisait internet en 2019. Cette même année, en Afrique, 18 pour cent seulement des ménages pouvaient accéder à internet de chez eux, et 34 habitants sur 100 uniquement disposaient d’un abonnement actif au haut débit mobile3.
D’importants écarts de connectivité subsistent entre les zones urbaines et rurales, ce qui constitue un problème pour les agriculteurs qui voudraient adopter de nouvelles technologies, innover et participer aux marchés. En moyenne, 10 pour cent seulement des ménages de l’Afrique rurale ont accès à internet, mais ces taux peuvent être bien plus bas dans certains pays de la région5. Les inégalités entre hommes et femmes n’épargnent pas le monde numérique, et les femmes rurales constituent le groupe dont l’accès à internet est le plus faible. À l’échelle mondiale, 48 pour cent des femmes ont accès à internet, contre 58 pour cent des hommes3.
Les zones rurales des pays développés sont mieux connectées à internet. Le Danemark présente le taux de connectivité le plus élevé: 97 pour cent des hommes et des femmes vivant en milieu rural utilisent internet et l’on n’observe pratiquement aucune différence entre les zones rurales et urbaines. Dans les pays en développement, le fossé entre les zones urbaines et rurales est important. D’après les informations disponibles, dans l’État plurinational de Bolivie, 15 pour cent des femmes rurales utilisent internet, contre près de 53 pour cent des femmes urbaines. Au Niger, ce sont seulement 0,6 pour cent des femmes rurales qui utilisent internet (figure 4.4)6.
Les smartphones – des téléphones portables équipés d’un écran tactile et permettant d’accomplir un certain nombre de tâches complexes, semblables à celles effectuées avec un ordinateur – ont constitué une percée technologique essentielle. Ils permettent en effet aux ménages de se connecter à internet sans ordinateur. De fait, depuis 2014, le nombre de ménages ayant accès à internet est supérieur à celui des ménages équipés d’un ordinateur3. Abaisser le coût des smartphones peut contribuer à réduire significativement la fracture numérique.
Le Danemark et la République de Corée affichent des taux d’abonnement supérieurs à un smartphone par habitant. Cela étant, le nombre d’abonnements au haut débit mobile portant sur des services vocaux et de données – qui offre une indication du nombre d’abonnés possédant un smartphone – demeure faible dans de nombreux pays (figure 4.5).
L’accès à internet est indispensable pour garantir une égalité d’accès à l’information et aux services. Il est donc urgent de réduire la fracture numérique entre pays, entre zones urbaines et rurales, et entre hommes et femmes. L’inclusion des plus âgés et des groupes vulnérables est tout aussi nécessaire, car ils doivent faire face à des contraintes supplémentaires.
Les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer dans la mise en place d’environnements propices à l’innovation et à la poursuite de l’évolution technologique7. Les axes de développement établis de longue date demeurent essentiels si l’on veut que les ménages ruraux puissent profiter de la révolution numérique. L’accès à l’éducation et l’amélioration des infrastructures matérielles seront indispensables pour permettre aux petits agriculteurs de prendre part à l’économie moderne. Un environnement propice à la numérisation de l’agriculture nécessite i) d’étendre et d’améliorer les infrastructures – à la fois celles des TIC et d’autres; ii) de renforcer les capacités des individus à utiliser efficacement internet afin de leur permettre de tirer profit de la numérisation; et iii) de concevoir un cadre réglementaire qui, à la fois, soit favorable à l’innovation et tienne compte des spécificités et des risques qu’entraîne la numérisation.
Les villages Taobao en Chine (voir l’encadré 4.3) concrétisent un modèle innovant de développement économique au moyen du commerce électronique. Avant de mettre en place les plateformes commerciales électroniques intégrant les agriculteurs, il a d’abord fallu réunir des niveaux d’instruction plus élevés, des moyens logistiques et des infrastructures de communication. Ce modèle fonctionnel original des villages a mis en lumière comment relever les défis d’ordre réglementaire.
Des partenariats innovants seront nécessaires pour renforcer l’inclusion numérique. La réussite de la numérisation des chaînes de valeur agroalimentaires – une réussite susceptible de générer des avantages dans les domaines sociaux, économiques et environnementaux – nécessitera des partenariats public-privé et une coopération multipartite.
La progression des technologies numériques dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture a suivi des voies différentes dans les pays développés et dans les pays en développement. Internet a permis la création d’une pléthore de technologies. Certaines d’entre elles montrent déjà leur potentiel et leurs effets, comme dans le cas des plateformes de commerce électronique. D’autres, telles que la technologie des registres distribués, n’ont pas encore été adoptées à grande échelle. Si l’on veut qu’elles contribuent favorablement au développement durable du secteur et qu’elles servent tous les objectifs économiques, sociaux et environnementaux, il est indispensable de mieux comprendre ce qu’elles peuvent offrir et quelles sont leurs limites.
L’agriculture est le secteur dans lequel la fracture numérique apparaît le plus clairement. Que ce soit dans les pays développés ou dans les économies émergentes, l’utilisation des technologies en agriculture a bien progressé. Le rythme rapide de l’innovation, qui permet aux technologies numériques de collecter, de stocker et d’analyser des données, est en train de révolutionner les systèmes de production et les chaînes de valeur. L’agriculture de précision, par exemple, s’affirme comme une solution axée sur l’innovation dans nombre de régions et de pays, tels que l’Europe centrale et septentrionale, l’Amérique du Nord, l’Argentine et l’Australie, où les grandes exploitations permettent des économies d’échelle et une rentabilité plus élevée des investissements dans les technologies8.
Les méthodes de l’agriculture de précision font appel à des systèmes de localisation par satellite, à la télédétection et à l’IDO pour gérer les cultures et optimiser l’utilisation de la main-d’œuvre, des engrais, des pesticides et de l’eau. Ces méthodes génèrent des gains d’efficience, mais peuvent aussi accroître la sécurité sanitaire des aliments et réduire l’impact environnemental des pratiques agricoles. Les opérations d’agriculture de précision produisent également des données qui peuvent enrichir le stock de données massives et alimenter l’analytique, soutenant ainsi la prise de décision. Les effets des avancées technologiques de ce type sur les marchés de l’emploi agricole, des capitaux et des intrants alimentaires et agricoles peuvent être considérables.
Pourtant, dans certains pays en développement, le taux d’adoption des technologies numériques est faible. Les applications se limitent souvent à l’envoi de minimessages sur un téléphone portable ou à de simples vidéos numériques de conseil visionnées hors connexion, qui fournissent des informations aux agriculteurs dans les zones rurales. Un certain nombre d’initiatives s’emploient toutefois à résoudre des problèmes particuliers auxquels se heurtent les petits agriculteurs, et ont produit de multiples avantages (voir l’encadré 4.2).
L’initiative e-Choupal vise à aider les petits agriculteurs à surmonter de multiples défaillances de marchés en Inde (www.echoupal.com). Elle opère par l’intermédiaire d’un réseau de kiosques internet gérés par un agriculteur qui fait office de coordonnateur. L’agriculteur fournit un accès à la plateforme en ligne e-Choupal, qui propose des informations sur les pratiques agricoles et les prix du marché, des bulletins météorologiques et les conseils d’experts agricoles. D’après les informations disponibles, e-Choupal touche 4 millions d’agriculteurs dans l’ensemble du pays. Elle s’associe également avec des banques pour faciliter l’accès des agriculteurs aux services financiers et a construit un réseau d’entrepôts qui fournit des intrants aux exploitants et évalue la qualité de leur production. Les données recueillies indiquent que les services d’e-Choupal ont contribué à améliorer les pratiques agricoles et à augmenter les revenus des exploitations. Ainsi, le lancement des kiosques e-Choupal a eu un effet positif sur les prix du soja, qui ont connu une hausse comprise entre 1 et 3 pour cent. Cette innovation s’est également traduite par un accroissement de 19 pour cent de la production de soja, qui a entraîné une augmentation globale de 33 pour cent du bénéfice net des agriculteurs. Une partie de cette augmentation est venue d’une redistribution des excédents, des négociants aux exploitants. Des données montrent également qu’une part comprise entre 1 et 5 pour cent des marges bénéficiaires des négociants a été transférée aux agriculteurs.
Esoko a commencé à fonctionner en 2005, fournissant aux petits agriculteurs du Ghana des informations sur les prix du marché, par SMS (https://esoko.com). Au fil du temps, cette initiative s’est transformée en une application sur internet et sur téléphone portable offrant ses services par l’intermédiaire de SMS, de messages vocaux et de centres d’appel. Cela comprend des messages d’informations de vulgarisation, des enquêtes auprès des agriculteurs et des sondages par SMS, des services de mise en relation sur une place de marché et une collecte de données. La plateforme assure des communications et un flux d’information bidirectionnels entre les agriculteurs et d’autres acteurs de la chaîne de valeur. Cet outil a permis d’enrichir les connaissances des exploitants et d’améliorer leur accès à des intrants de qualité, au crédit et aux marchés formels. Le modèle fonctionnel associant la voix, la vidéo et des centres d’appel permet que les services soient aisément accessibles aux agriculteurs qui ne maîtrisent pas la lecture. Actuellement, Esoko fonctionne dans dix pays d’Afrique et, d’après les informations disponibles, permet à plus d’un million d’agriculteurs d’accéder à des services essentiels. Les données indiquent que les exploitants qui font appel à ces services ont vu leurs revenus augmenter dans une proportion comprise entre 10 et 11 pour cent, en raison très probablement d’une meilleure information, qui a renforcé leur pouvoir de négociation avec les partenaires commerciaux. Certaines données semblent indiquer que cet effet varie selon le type de culture considéré; pour l’igname, par exemple, les effets sur le revenu n’ont été observés que lors de la première année de participation.
SOURCES: Nakasone, Torero et Minten. 2014; Trendov, Varas et Zeng. 2019; Aker, Ghosh et Burrell. 2016; Halewood et Surya. 2012; Tinsley et Agapitova. 2018; Goyal. 201018, 21, 22, 23, 24, 25.
En moyenne, la productivité agricole est plus élevée quand les pays adoptent de bonnes pratiques réglementaires9. Une réglementation efficace peut en effet améliorer l’accès aux technologies numériques, renforcer la coordination entre les acteurs de la chaîne de valeur alimentaire et encourager la productivité et la croissance des revenus. La fracture numérique entre pays développés et pays en développement dans le secteur agricole devient plus patente lorsqu’on s’intéresse à l’environnement dans lequel opèrent les exploitations.
Un nouvel ensemble de données produit par le projet «Améliorer le climat des affaires dans l’agriculture» (EBA, Enabling the Business of Agriculture) de la Banque mondiale permet une analyse comparative des réglementations qui favorisent un environnement propice à la fourniture et à l’utilisation des services des technologies numériques, en ciblant en particulier les zones rurales. Les données EBA englobent des informations sur le cadre gouvernant la délivrance de licences aux opérateurs de téléphonie mobile, la gestion du spectre des fréquences et le partage des infrastructures10.
La note mesurant l’amélioration du climat des affaires dans l’agriculture, dans le domaine des TIC, (EBA TIC) révèle l’étendue de la fracture numérique dans le secteur agricole entre les pays développés et les pays en développement (figure 4.6). L’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud et de l’Est rencontrent de grandes difficultés pour promouvoir les technologies numériques dans le secteur agricole. Aucun des pays de ces régions n’a édicté de règlements stimulant la concurrence entre les opérateurs de téléphonie mobile qui cherchent à entrer sur les marchés des télécommunications. À l’inverse, les pays à revenu élevé membres de l’OCDE se sont dotés de puissants cadres réglementaires incitant le secteur privé à renforcer la connectivité en dehors des centres urbains.
Pour faire en sorte que les taux d’adoption des technologies numériques en zones rurales augmentent dans les pays en développement, il faut investir dans les facteurs liés à l’offre et ceux liés à la demande. Du côté de l’offre, les facteurs cruciaux sont la couverture réseau en zone rurale et la disponibilité des applications numériques. Du côté de la demande, ce sont les compétences et la culture numériques qu’il faut renforcer, en particulier chez les petits exploitants. Avancer sur ces points requiert une batterie d’interventions des pouvoirs publics et, plus important encore, un environnement réglementaire propre à attirer les investissements du secteur privé11. Une réglementation efficace, favorisant également la concurrence, sera essentielle pour étendre l’accès au haut débit et abaisser le coût d’utilisation entre pays et à l’intérieur des pays. La participation des États aux investissements, par le truchement de partenariats public-privé, permet de faire en sorte que les déficits d’infrastructures et les lacunes d’accès soient comblés aussi en zones rurales. Les partenariats public-privé seront essentiels pour fournir des incitations à l’investissement privé dans les pays en développement pauvres5.
Les coûts élevés d’information et de transaction expliquent pourquoi les marchés agricoles de nombreux pays en développement demeurent étroits ou sont manquants. Améliorer les infrastructures aide les marchés à se développer. Des dispositifs institutionnels, tels que l’agriculture contractuelle, visent à réduire les coûts liés à la recherche d’un négociant avec qui discuter un marché, négocier, conclure un accord et le suivre (voir la troisième partie pour une analyse de l’agriculture contractuelle). Les chaînes de valeur alimentaires modernes entraînent des coûts supplémentaires, souvent liés aux informations relatives aux préférences des consommateurs, en particulier en matière de qualité et de sécurité sanitaire des aliments. Les technologies numériques peuvent aider à réduire ces coûts et à favoriser l’accès aux marchés, en remédiant à un grand nombre des problèmes que les petits exploitants rencontrent lorsqu’ils veulent prendre part à l’économie formelle et aux chaînes de valeur7. Ainsi, les coûts de recherche sont nettement moins élevés dans un environnement numérique qu’ils ne le sont dans le monde physique, analogique, ce qui augmente à la fois la qualité des recherches et le périmètre exploré.
Des coûts de recherche moindres peuvent améliorer considérablement la mise en relation des acheteurs et des vendeurs, comme dans le contexte d’une plateforme de commerce électronique, et réduire les coûts de négociation tout en renforçant potentiellement le pouvoir de négociation de l’agriculteur12. Le fait d’élargir le cadre de mise en relation au moyen de technologies numériques permet aux acheteurs et aux vendeurs de parvenir à un accord qui correspond plus étroitement à leurs préférences respectives. La facilitation des échanges peut agir sur les prix et sur la dispersion des prix. Ainsi, une baisse des coûts supportés par les agriculteurs pour trouver les négociants qui leur offrent le meilleur prix pourrait réduire la dispersion des prix entre exploitants et entre marchés. Tous ces avantages contribuent à améliorer le bien-être.
Les technologies numériques facilitent également les vérifications nécessaires pour connaître la réputation des acheteurs comme des vendeurs et s’assurer qu’ils sont dignes de confiance. Les technologies de registres distribués, par exemple, peuvent faciliter l’accès aux antécédents des entreprises sous différents angles: niveaux de prix, méthodes de production, qualité des produits et autres attributs. Il est ainsi plus aisé d’établir des contrats et de mettre en place des marchés de produits différenciés et certifiés, susceptibles de procurer des surprix et de générer des résultats sur les plans environnemental et social (voir la troisième partie pour une analyse des systèmes de certification de la durabilité).
En outre, cette baisse du coût des échanges peut influer sur l’organisation des entreprises, et faciliter l’intégration verticale et les chaînes de valeur mondiales (voir la deuxième partie pour une analyse des chaînes de valeur mondiales). Les données disponibles sur le secteur manufacturier indiquent qu’un coût d’information bas permet aux responsables de mieux appréhender une situation qui se déroule à distance, tout en facilitant la résolution des problèmes par les employés qui travaillent en première ligne13.
Alors que le coût de transport dans le monde numérique est pratiquement nul – l’information peut être aisément reproduite et diffusée –, le poids de la distance physique dans la détermination du coût des échanges demeure important. Les technologies numériques permettent aux producteurs et aux consommateurs, où qu’ils soient dans le monde, d’accéder à des informations plus fournies sur les produits, mais l’incidence de cette possibilité sur les échanges est difficile à évaluer. Peu de données l’attestent, mais quelques études semblent indiquer que, si les flux commerciaux diminuent avec la distance, d’après les informations disponibles à la fois en ligne et hors ligne, l’éloignement pourrait avoir moins d’importance en ligne14.
Ainsi, ePhyto est une solution logicielle qui normalise les informations phytosanitaires et les stocke à distance (au moyen d’un système infonuagique). Développée par la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV), cette plateforme offre une passerelle pour les certificats phytosanitaires électroniques émis par les pays exportateurs et requis par les pays importateurs. Les certificats peuvent être établis et échangés sous forme numérique; ePhyto facilite donc les échanges en réduisant le coût du tri, de la distribution, de la recherche et de l’archivage de ces documents. Stocker des certificats phytosanitaires sur une plateforme électronique abaisse également le risque de certificat frauduleux, améliore les communications et limite les possibilités de malentendus et de différends. La plateforme permet donc d’accroître l’efficience et de réduire les retards. En outre, cette innovation présente un caractère inclusif particulier pour les pays en développement à faible revenu, car ils peuvent adhérer au système électronique sans avoir à supporter la totalité des coûts de création et de mise à jour du logiciela.
En un mot, les technologies numériques offrent la possibilité de résoudre une série d’asymétries de l’information sur les marchés, d’améliorer l’accès des agriculteurs à ces marchés et de réorganiser la gestion des chaînes de valeur5. Elles représentent également un outil essentiel pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et atteindre les objectifs de développement durable qui y sont associés, car elles peuvent servir à promouvoir un système alimentaire plus productif, résilient, durable et transparent7.
L’information sur les prix est particulièrement importante pour les agriculteurs. Les prix signalent les occasions favorables aux producteurs, aux consommateurs et aux négociants – par exemple, une demande très forte qui ouvre la possibilité de vendre à un meilleur prix. Les prix reflètent l’évolution des préférences des consommateurs et transmettent des informations qui aident les agriculteurs à décider ce qu’ils doivent produire et en quelle quantité.
Actuellement, les téléphones portables représentent la forme de technologie numérique la plus répandue, et les applications fournissant des informations sur les prix, la technologie numérique la plus fréquemment utilisée dans l’agriculture. Néanmoins, les données probantes relatives à l’influence de l’information sur les prix ne vont pas toutes dans le même sens.
Un certain nombre d’études font état d’estimations différentes des effets de la diffusion d’informations relatives aux prix sur les prix de vente et les bénéfices des petits exploitants. Ainsi, sur les hauts plateaux du centre du Pérou, les informations sur les prix diffusées par SMS ont entraîné une hausse des prix de vente des agriculteurs comprise entre 13 et 14 pour cent, en particulier pour les cultures périssables, pour lesquelles des informations sur les marchés sont précieuses15. Au Cambodge, où les marchés locaux du riz peuvent être qualifiés d’oligopsoniques et où les agriculteurs vendent à un prix inférieur au prix de gros moyen, l’amélioration de l’information grâce aux données diffusées sur les téléphones portables a entraîné une augmentation du prix du riz à la production comprise entre 4 et 5 pour cent environ16. À l’inverse, dans l’état indien du Bengale-Occidental, alors que l’environnement de marché se caractérise par des coûts de transaction élevés et des marges importantes pour les intermédiaires, il s’est avéré que le pouvoir de négociation des cultivateurs de pommes de terre ne bénéficiait aucunement des informations sur les prix fournies par différents canaux, y compris sur les téléphones portables17.
De façon générale, la plupart des études s’accordent sur le fait que l’utilisation de téléphones portables réduit l’instabilité des prix et améliore l’intégration des marchés18. Dans le Niger rural, ces appareils ont contribué à réduire la dispersion des prix du niébé, une denrée périssable, mais pas du mil ni du sorgho, deux produits stockables. Bien qu’aucune augmentation des prix payés aux agriculteurs n’ait été constatée, les informations diffusées ont entraîné une plus forte réduction de l’instabilité des prix sur les marchés éloignés et durant les périodes de marché étroit19.
D’autres études laissent entrevoir des effets d’une autre nature. En Colombie, on a observé que les informations sur les prix orientaient différemment les décisions selon la taille de l’exploitation. Les petits exploitants réagissaient en plantant les cultures pour lesquelles ils recevaient des informations par SMS, tandis que les plus gros se servaient de ces mêmes informations pour rechercher de nouveaux marchés. Par contre, les informations sur les prix n’entraînaient aucune hausse des prix à la production, quelle que soit la taille de l’exploitation20.
Au Niger non plus, l’utilisation du téléphone portable n’a pas eu d’effet sur les quantités produites, pas plus que sur la participation aux marchés ou sur les prix payés aux producteurs. On a constaté néanmoins que les ménages équipés de téléphones portables produisaient un panier de cultures plus varié, comprenant en particulier des cultures commerciales marginales produites par les femmes26.
Les informations sur les prix diffusées par l’intermédiaire des téléphones portables sont utiles pour améliorer le bien-être dès lors que les autres défaillances de marchés ne sont pas rédhibitoires. C’est le cas, par exemple, lorsque l’infrastructure de transport est suffisante pour permettre les arbitrages, que les marchés de produits sont concurrentiels et que les marchés connexes, comme ceux des intrants et du crédit, fonctionnent aussi correctement.
Les initiatives qui donnent de bons résultats ne se contentent pas de diffuser des informations sur les prix par téléphone portable, mais combinent diverses technologies et outils numériques pour informer les agriculteurs sur d’autres caractéristiques des marchés ainsi que sur le crédit, les pratiques agricoles et les conditions météorologiques (encadré 4.2).
Dans le secteur agricole, l’utilisation de plateformes de commerce électronique est encore embryonnaire comparée au commerce en ligne de biens de consommation. Le recours généralisé à ce type de plateformes pourrait perturber les chaînes de valeur agricoles classiques, réduisant nettement le nombre d’intermédiaires nécessaire à chaque stade de la chaîne ou modifiant la façon dont ces intermédiaires travaillent. Diverses plateformes de commerce électronique sont apparues pour relier directement les agriculteurs aux ménages ou aux restaurants ou pour permettre à de nouveaux intermédiaires du commerce de gros d’opérer différemment, regroupant la production d’un grand nombre de petits agriculteurs pour la revendre de façon plus efficiente27.
Dans les pays développés et les économies émergentes, les styles de vie modernes déterminent les préférences alimentaires: les citadins disposent de peu de temps et demandent des repas plus commodes à préparer. La sensibilisation croissante des consommateurs aux questions de santé et de durabilité suscite une demande d’information accrue sur l’origine des aliments et sur les méthodes de production utilisées (voir la première partie). Ces déterminants ont déclenché une prolifération de plateformes de commerce alimentaire en ligne occupant différents créneaux, des produits frais aux repas prêts à consommer7,b.
Dans les pays en développement, les plateformes de commerce électronique peuvent réduire les coûts de recherche et favoriser une mise en relation efficiente des agriculteurs et des consommateurs, ce qui facilite l’accès des premiers aux marchés et améliore leur revenu et leur bien-être. Le fait de raccourcir la chaîne de valeur peut aussi réduire globalement les coûts de transaction et améliorer la transparence des prix, remédiant ainsi à un certain nombre de défaillances des marchés. La croissance exponentielle des villages Taobao en République populaire de Chine illustre le potentiel du commerce électronique en matière de création d’emplois, de génération de revenu et d’amélioration de la participation aux marchés. La participation accrue des petits exploitants à l’économie numérique par le truchement du commerce électronique offre à des groupes marginalisés des possibilités de profiter de la croissance économique et constitue à ce titre un point essentiel pour le développement durable. Les quelque 3 000 villages Taobao génèrent un chiffre d’affaires en ligne annuel de plus de 1 million d’USD et soutiennent un secteur des services en croissance (voir l’encadré 4.3)32.
Taobao est la principale plateforme de commerce électronique en République populaire de Chine. Elle fournit le marché intérieur, tandis que son propriétaire, Alibaba, sert un marché plus vaste, anglophone. Les villages Taobao utilisent les services d’appui d’Alibaba (logistique, renforcement des capacités) pour vendre une grande diversité de produits en ligne. La croissance exponentielle des villages Taobao a attiré fortement l’attention sur le potentiel du commerce électronique en matière de développement rural, d’emploi et de croissance des revenus.
Les premiers villages Taobao se sont développés à proximité de zones commerciales établies, dans les régions côtières de l’est du pays principalement. Les tout premiers ont été encouragés par le lancement d’un projet, mais d’autres ont suivi rapidement dans les zones côtières où les conditions étaient propices au commerce électronique. Ces conditions comprenaient un bon réseau d’infrastructure, un accès fiable à internet et de plus hauts niveaux d’instruction, autant de facteurs qui permettaient aux agriculteurs de se lancer dans le commerce en ligne. Alibaba et les pouvoirs publics ont soutenu le mouvement durant sa période d’incubation au moyen de services logistiques et de services spécialisés pour aider le concept à gagner l’intérieur des terres. Dans certains cas, Alibaba et les administrations locales ont subventionné les coûts de transport au premier stade du projet.
La diffusion de l’accès à internet a rendu le commerce électronique plus aisé dans les zones rurales et créé un effet multiplicateur. À mesure que le nombre de ménages ruraux se consacrant au commerce électronique grossissait, une multitude de services se développaient autour du modèle économique, créant des emplois dans les secteurs du transport terrestre et maritime, et dans les services numériques d’appui de l’activité principale. Le premier village Taobao a démarré ses activités de commerce électronique en 2012. Le nombre de villages similaires a ensuite connu une croissance exponentielle, passant de 212 villages en 2014 à plus de 3 200 en 2018.
Taobao offre des avantages aux agriculteurs ainsi qu’aux consommateurs. Les agriculteurs peuvent s’inscrire gratuitement sur la plateforme (Taobao tire ses recettes de la publicité), ce qui élimine un sérieux obstacle à l’entrée. Le système détaillé de notation en ligne par les clients encourage la transparence et favorise la concurrence entre vendeurs. Les clients ont également un plus grand choix de produits qu’ils n’en auraient dans un magasin traditionnel.
Le village Taobao type a accès à internet en haut débit, à un réseau de communication mobile et à de bonnes infrastructures. Fait important, on constate que plus un ménage habite loin d’une gare ferroviaire, plus il est probable qu’il se lance dans le commerce électronique. La proximité d’une gare signifie que le ménage peut accéder aux marchés traditionnels. Le commerce électronique apparaît donc comme un substitut des marchés traditionnels pour un grand nombre d’agriculteurs.
Les chefs de ménage qui se lancent dans le commerce électronique sont généralement plutôt jeunes et ont une meilleure instruction. En outre, cette participation au commerce en ligne se traduit par des revenus plus élevés pour le ménage, cette augmentation étant relativement importante pour les ménages les plus modestes.
La création et la concentration de villages Taobao génèrent également des résultats intéressants sur le plan social, car cela fournit aux jeunes diplômés et aux femmes des incitations à rester en zone rurale ou à y revenir. En découle une multitude d’effets, parmi lesquels: le soutien à la cohésion sociale et familiale, l’allègement des pressions sur les villes et la transformation des zones rurales en des lieux où il fait bon vivre et travailler.
À mesure que l’innovation technologique désorganise les activités commerciales traditionnelles, des lacunes apparaissent dans la réglementation. En République populaire de Chine, les écarts entre produits vendus et livrés, les problèmes de qualité et la participation d’entreprises sans licence se sont multipliés avec l’augmentation du commerce alimentaire en ligne, si bien que le nombre d’actions en justice liées au commerce électronique a augmenté de plus de 40 pour cent en 2017, et que plus de la moitié de ces actions concernaient l’alimentation. Les pouvoirs publics ont révisé le cadre juridique pour l’étendre au commerce électronique de produits alimentaires en 2015, avant d’y apporter de nouvelles améliorations en 2016 et 2017. Ce nouveau cadre réglementaire introduisait une législation adaptée aux spécificités qui sont apparues avec le commerce alimentaire en ligne. Il a créé des obligations pour les plateformes de commerce électronique, établissant de fait une responsabilité partagée entre les secteurs public et privé. En plus des changements apportés à la législation nationale, les provinces ont pris des mesures pour réglementer les petites entreprises alimentaires opérant en ligne.
SOURCES: Xiao. 2017; Banque asiatique de développement. 2019; Luo et Niu. 2019; Qi, Zheng et Guo. 2019; et Xiao. 201930, 31, 32, 33, 34.
Certaines plateformes de commerce électronique proposent des plateformes logistiques physiques et des services d’entreposage situés près des consommateurs, réduisant ainsi les coûts de transport et les délais de livraison, deux défis critiques pour les petits exploitantsc. Le modèle économique de ces plateformes exige généralement des capitaux importants et présente un plus haut niveau de risque financier, car elles doivent s’assurer que les agriculteurs honoreront leurs obligations et que la capacité de stockage sera utilisée de façon efficiente. C’est pourquoi, dans de nombreux pays en développement, les plateformes de commerce électronique n’assument pas la responsabilité du stockage ni du contrôle de qualité7.
Au niveau du commerce de détail, conscientes qu’un nombre croissant de consommateurs veulent pouvoir faire leurs courses d’alimentation en ligne, les grandes chaînes de supermarchés offrent désormais un site d’achat en ligne et des services de livraison (voir la première partie pour une analyse du commerce alimentaire de détail en ligne). Durant la pandémie de covid-19, les restrictions de circulation destinées à contenir la propagation du virus ont entraîné une augmentation spectaculaire de la demande d’achat en ligne de produits alimentaires et de services de livraison à domicile dans certains pays. À titre d’exemple, une analyse préliminaire prévoit que le marché de l’épicerie en ligne croîtra de 33 pour cent en 2020 au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord28. En République populaire de Chine, les estimations indiquent que la part du marché en ligne est passée de 11 pour cent à 38 pour cent du total des achats alimentaires au détail en février 202029. À mesure que le commerce électronique prend de l’importance dans le monde, il est possible que des effets préjudiciables se fassent jour, sur le plan environnemental, par exemple, du fait de la pratique du suremballage.
L’épargne et le crédit facilitent les investissements sur l’exploitation et aident les ménages agricoles à accumuler des actifs qui améliorent la productivité, renforçant la sécurité alimentaire et la résilience. Une faible densité de population, de piètres infrastructures et un déficit d’information sur les garanties augmentent le coût des services financiers et se soldent par des marchés manquants pour le crédit et l’assurance. Ouvrir une agence dans une région isolée et peu peuplée entraîne pour la banque des coûts fixes très élevés par rapport au volume d’affaires que cette agence traitera. Les technologies numériques abaissent les coûts et permettent aux établissements financiers de s’implanter sur les marchés ruraux sans avoir à y établir une présence physique coûteuse, entraînant de ce fait l’inclusion de groupes de population qui jusque-là n’avaient aucun accès à une banque.
Les transferts et les paiements, le crédit et l’épargne sont des exemples de services financiers offerts au moyen des technologies numériques. Les services utilisant les téléphones portables, comme le système M-Pesa, initialement lancé au Kenya, facilite les transferts d’argent au sein du monde en développement. Depuis son lancement en 2007, M-Pesa a élargi son offre à d’autres services, comme l’épargne. M-Pesa permet aux utilisateurs enregistrés d’envoyer, de recevoir et de déposer de l’argent moyennant une petite commission. Au fil du temps, M-Pesa a étendu ses services aux petites entreprises, qui peuvent recevoir des paiements de leurs clients, mais aussi payer leurs salariés directement sur leur compte M-Pesad.
Cela étant, aucun consensus clair ne se dégage concernant les effets de l’utilisation de services bancaires mobiles par les ménages. Certaines études constatent que le système M-Pesa est utilisé principalement pour les transferts d’argent, en particulier les envois de fonds des villes vers les zones rurales, plutôt que pour l’épargne35. D’autres données montrent que les personnes qui n’utilisent pas ce système, ou qui l’utilisent mais pas pour épargner, sont plus couramment des pauvres, des personnes sans instruction et des femmes36.
Une étude fondée sur des données collectées auprès de 379 ménages de trois provinces du Kenya a établi que les transferts d’argent via le système M-Pesa augmentaient la participation aux marchés de 37 pour cent, aboutissant à une hausse des revenus des ménages37. Il semble également que les transferts par téléphone portable puissent accroître la résilience dans les moments difficiles, en réduisant les coûts de transaction. Ainsi, on a estimé que le système M-Pesa avait aidé 2 pour cent de Kényans à se sortir de la pauvreté, car les ménages qui l’utilisaient étaient mieux armés pour atténuer les chocs dommageables. Ce type d’effets s’est avéré plus marqué lorsque le chef de ménage était une femme38.
Les plateformes numériques qui facilitent les relations entre acteurs d’une chaîne de valeur peuvent renforcer l’accès aux services financiers (voir l’encadré 4.4). Au Ghana, l’application mobile AgroTech Smartex – conçue et mise en œuvre par la Fondation Grameen – vise à renforcer les liens entre agriculteurs, agents de vulgarisation, fournisseurs d’intrants et négociants. Elle facilite également l’accès au crédit en raison d’une tenue de comptes et d’un suivi de meilleure qualité. L’application collecte des données, notamment le profil de l’agriculteur et des informations sur l’exploitation, comme les cultures produites, les rendements, les intrants et l’historique des sommes empruntées et remboursées. Ces données peuvent être utilisées pour attirer des prêteurs institutionnels (banques et établissements de microfinance, par exemple) et des négociants, ou pour convaincre les fournisseurs d’accepter une vente d’intrants à crédit39.
Tulaa est une plateforme numérique de prêt aux jeunes entreprises qui lie les agriculteurs, les fournisseurs d’intrants, les négociants, les établissements financiers et les assureurs. Son modèle fonctionnel remédie à un certain nombre de défaillances des marchés en fournissant un accès au crédit pour l’achat d’intrants tels que des semences améliorées et des services de vulgarisation visant à accroître les rendements et l’accès aux marchés. Outre les applications mobiles, fonctionnant sur téléphone portable, Tulaa utilise des données satellitaires et fait appel à l’intelligence artificielle pour fournir aux agriculteurs des conseils agronomiques spécifiques durant le cycle végétatif, en fonction de l’emplacement exploité, de la culture mise en place et des intrants achetés.
Tulaa met les différents acteurs des chaînes de valeur en relation directe, éliminant la nécessité de prêts en numéraire ou de décaissement des crédits. Les prêteurs versent directement l’argent des prêts aux fournisseurs d’intrants par le truchement de la plateforme numérique. Les négociants remboursent les prêts au nom des agriculteurs, qui reçoivent le solde en paiement sur leur compte de transfert monétaire par téléphone portable. Les coûts de transaction sont ainsi réduits.
Tulaa a développé une application mobile qui permet à son personnel ou aux détaillants d’intrants affiliés d’enregistrer les agriculteurs, de sorte que ceux-ci puissent acheter des lots d’intrants à crédit. Pour s’enregistrer, les agriculteurs fournissent des informations sur leurs cultures, la localisation de leur exploitation, les quantités produites et les intrants qu’ils souhaitent acquérir. Chaque agriculteur doit posséder une carte d’identification d’abonné (SIM) enregistrée et un compte de transfert monétaire par téléphone portable (au Kenya, le prestataire est M-Pesa), pour pouvoir recevoir le solde du produit de la vente de sa récolte, une fois le prêt remboursé en totalité par le négociant des produits.
La plateforme est proposée aux entreprises agricoles et aux entreprises clientes moyennant une redevance annuelle de licence. Ces clients et d’autres partenaires, y compris les organismes de microfinance, accèdent à la plateforme Tulaa au moyen de téléphones portables ou d’ordinateurs; ils y trouvent des tableaux de bord de compte comprenant une fiche descriptive et une série d’informations sur les transactions.
Dans la plupart des cas (plus de 90 pour cent), les agriculteurs demandent un prêt pour couvrir le coût des intrants. En cas de demande de prêt, l’agriculteur effectue un dépôt de garantie auprès du prêteur, qui peut être la plateforme Tulaa elle-même ou un partenaire, comme l’établissement de microfinance Musoni au Kenya. Lorsque le prêt est accordé par un organisme de microfinance, il peut être demandé aux agriculteurs d’épargner un pourcentage de la valeur totale des intrants.
Tulaa a levé des capitaux auprès de plusieurs donateurs et investisseurs, y compris le Groupe consultatif d’assistance aux plus pauvres (GCAP) et l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Lancée en 2017, Tulaa comptait approximativement 9 000 utilisateurs agriculteurs au Ghana et au Kenya en 2018 et avait apporté son concours dans plus de 1 million d’USD de commandes. L’offre groupée de services de Tulaa comprend également une assurance indicielle basée sur les conditions météorologiques, proposée en partenariat avec ACRE Afrique, une compagnie d’assurances (voir l’encadré 4.5).
SOURCE: IFC et Fondation Mastercard. 201840.
Il est probable que le changement climatique va accroître la fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes, et l’incertitude autour de la variabilité du climat freine l’investissement dans les technologies productives, faisant parfois de la pauvreté un piège41. L’assurance agricole peut encourager les investissements sur l’exploitation, dans les technologies et les intrants, mais elle peut aussi renforcer la résilience en facilitant l’adoption d’approches de production durables.
Les programmes d’assurance innovants, comme ceux qui proposent une assurance indicielle fondée sur les conditions météorologiques, diffèrent des programmes d’assurance dommages classiques. Cette dernière en effet coûte cher lorsqu’il faut administrer les contrats et déterminer les pertes de récolte ou de bétail pour un grand nombre d’agriculteurs dispersés. La couverture offerte par l’assurance indicielle, à l’inverse, est fondée sur un indice qui reflète des conditions météorologiques corrélées à ces pertes; il peut s’agir de la vitesse du vent, de la température ou de la pluviométrie au cours d’une période donnée. Dans un programme reposant sur un indice météorologique, les agriculteurs sont payés, par exemple, chaque fois que la pluviométrie ou la température est supérieure ou inférieure à un seuil spécifique, susceptible de provoquer une chute notable des rendements.
Les innovations numériques dans l’observation de la Terre et dans l’estimation des précipitations et la télédétection par satellite, combinées à des données in situ, permettent d’étayer les programmes d’assurance indicielle à moindre coût. Les assureurs n’ont pas besoin de procéder à des évaluations sur le terrain, comme dans le cas d’une assurance récoltes multirisque, ce qui fait baisser le montant des primes. Les programmes d’assurance indicielle permettent d’assurer des millions de petits exploitants qui jusque-là, pour un grand nombre d’entre eux, étaient considérés comme non assurables.
La compagnie ACRE en Afrique subsaharienne représente le plus vaste programme d’assurance indicielle fondée sur des conditions météorologiques du monde en développement pour lequel les agriculteurs paient une prime. C’est aussi le premier programme d’assurance agricole du monde à utiliser la téléphonie mobile pour toucher les petits exploitants (voir l’encadré 4.5)42.
ACRE est une compagnie privée travaillant avec un réseau de partenaires qui comprend des assureurs, des réassureurs, des entreprises agroalimentaires, des établissements de microfinance, des organisations non gouvernementales et des fournisseurs d’intrants.
La compagnie offre trois produits indiciels fondés sur les conditions météorologiques:
Une assurance liée à un prêt. Le principal produit d’ACRE est lié à un crédit octroyé par des établissements de microfinance et permettant d’acheter des intrants agricoles. ACRE assure le prêt, et donc l’investissement, qui doit être d’une valeur minimum de 100 USD. Selon la culture concernée, le coût de la prime varie de 5 à 25 pour cent de la valeur des intrants, payé soit par les agriculteurs, soit par l’établissement de microfinance. En cas de sinistre, le prêt est couvert par l’assurance. Le programme d’assurance comprend également une formation agronomique des agriculteurs par des agents de l’établissement de microfinance.
Une garantie de réensemencement. Cette garantie est offerte en collaboration avec des entreprises semencières. Chaque sac de semences reçu par un agriculteur contient une carte à gratter où figure un code. Pour enregistrer et payer la garantie, l’agriculteur doit envoyer ce code à ACRE par SMS. La garantie démarre au moment de l’enregistrement et se termine deux semaines plus tard. S’il se produit un épisode de sécheresse durant cette période, les petits exploitants reçoivent un bon pour un nouveau sac de semences, ce qui leur permet de refaire leur semis au cours de la même saison.
Une assurance récoltes hybride – indicielle et multirisque. Ce produit combine l’approche classique, fondée sur le rendement, et l’approche basée sur un indice. À la différence d’une assurance classique, elle s’étend sur la totalité du cycle végétatif, à partir de l’étape de germination, et fournit donc une couverture complète.
ACRE a mis en place des canaux de distribution innovants en nouant des liens forts avec le secteur privé. Les fournisseurs d’intrants et établissements de microfinance fonctionnent comme des agrégateurs, car ils sont en contact avec un grand nombre de personnes qui, sans cela, ne pourraient être touchées qu’à grands frais. Tous les produits d’ACRE utilisent les services bancaires sur téléphone portable, y compris le système M-Pesa en Afrique de l’Est.
Une étude d’impact de 2012 a constaté que les agriculteurs assurés investissaient 19 pour cent de plus que les exploitants sans assurance et que leurs revenus étaient 16 pour cent plus élevés que ceux des non-assurés. Presque tous les agriculteurs assurés (97 pour cent environ) avaient souscrit des prêts liés à l’assurance. Un grand nombre d’entre eux n’auraient pas eu droit à un crédit sans cette assistance. En 2018, d’après les chiffres cumulés, plus de 1 700 000 agriculteurs du Kenya, du Rwanda et de Tanzanie étaient assurés pour plus de 181 millions d’USD contre divers risques météorologiques (voir www.acreafrica.com/).
SOURCE: Adapté de Tinsley et Agapitova. 201824.
La technologie des registres distribués est une innovation de rupture qui peut avoir des effets dans de nombreux secteurs. Elle est actuellement au centre des débats sur les applications numériques, y compris celles afférentes à l’alimentation et à l’agriculture. En substance, il s’agit d’un système d’enregistrement décentralisé reposant sur le consensus, et son utilisation dans les chaînes de valeur agroalimentaires peut avoir un impact considérable. Ces dernières comprennent en effet un grand nombre de stades de production à l’intérieur des pays et d’un pays à l’autre, et font intervenir de nombreux acteurs, dont des agriculteurs, des négociants, des transformateurs, des banques, des détaillants et des consommateurs.
Actuellement, la chaîne de blocs – la technologie de registres distribués la mieux connue – n’est que marginalement utilisée dans les chaînes de valeur agroalimentaires, mais de nombreuses initiatives pilotes sont en cours pour évaluer les possibilités qu’elle offre (pour des exemples, voir les encadrés 4.7 à 4.12). Les effets de cette technologie sur les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture seront plus évidents dans les années à venir, lorsque son utilisation aura atteint une taille critique. L’encadré 4.6 explique les origines de la chaîne de blocs, ses finalités et la façon dont elle fonctionne.
La technologie des registres distribués est apparue en 2008 comme système d’appui d’une cryptomonnaie, le Bitcoin. L’objectif était d’obtenir un mécanisme pair-à-pair reposant sur le consensus et permettant d’exécuter des transactions financières sans recourir à une banque.
Cette technologie permet la création et l’utilisation d’un registre de tout type d’information, géré de façon décentralisée et sur la base du consensus. La chaîne de blocs, par exemple, fonctionne comme un livre comptable, dans lequel toutes les transactions sont enregistrées chronologiquement. Cet enregistrement se fait de façon simultanée sur tous les ordinateurs des parties à la transaction, ainsi que sur ceux des teneurs de registre du réseau (chacun des ordinateurs des teneurs de registre est appelé un «nœud» dans le jargon de la chaîne de blocs).
Dans une chaîne de blocs, toute nouvelle transaction (appelée «bloc») est liée à celle qui la précède (puis à celle qui la suit) au moyen d’un code extrêmement complexe généré de façon automatique par un algorithme. Dans la pratique, une fois la transaction exécutée, l’information est insérée dans la chaîne de blocs, vérifiée par les teneurs du registre et répliquée en chaque point du réseau. Un mécanisme complexe d’obtention du consensus se déclenche afin de vérifier la transaction; pour ce faire, les teneurs du registre (nœuds) doivent évaluer la nouvelle information et accepter l’entrée correspondante (figure 4.7).
Une fois la transaction vérifiée, il est difficile de la changer, à moins de déclencher à nouveau le mécanisme d’obtention du consensus. L’immutabilité de la chaîne de blocs est une caractéristique essentielle de cette technologie, sans laquelle les utilisateurs pourraient aisément opter pour d’autres solutions. En outre, le processus de vérification est décentralisé, réparti entre des teneurs de registre dispersés qui doivent parvenir au consensus, et ne dépend donc pas d’un arbitre ou autre tiers de confiance. Autre caractéristique essentielle, les utilisateurs endossent aussi souvent le rôle de teneur du registre.
Les technologies de registres distribués peuvent être accessibles sur autorisation, ce qui signifie qu’un ou plusieurs participants détiennent un certain pouvoir de contrôle et décident qui peut participer et quelles actions un participant peut effectuer. Cet aspect peut influer sur la fonction de la plateforme exécutant la chaîne de blocs. Ainsi, avec moins de participants, la somme d’informations permettant de vérifier les transactions est réduite, et avec moins de teneurs de registre, la plateforme de registre distribué se rapproche d’un mécanisme plus centralisé, qui ressemble à d’autres solutions numériques, comme les bases de données ordinaires.
Lorsque les plateformes sont accessibles sans autorisation, en revanche, n’importe qui peut y participer. Cette participation vaut acceptation des règles de la plateforme. Cela permet une interaction entre pairs, davantage d’informations sur les transactions et un consensus plus efficace. Les technologies de registres distribués peuvent aussi autoriser des transferts d’actifs sans qu’il soit besoin de recourir à un intermédiaire.
Les utilisateurs de la chaîne de blocs sont pseudonymisés. Dans le système bancaire classique, l’identité des parties à une transaction est enregistrée. Dans une chaîne de blocs, chaque utilisateur et chaque teneur du registre utilise un pseudonyme, qui prend la forme d’une adresse alphanumérique unique (ou d’une clé publique), et la technologie fait qu’il est extrêmement difficile de dévoiler l’identité réelle d’un utilisateur.
Pour utiliser la chaîne de blocs, une personne ou une entreprise doit disposer d’une connexion à internet, d’un appareil configuré pour accéder à ce réseau et du logiciel de la chaîne de blocs. Les utilisateurs peuvent développer leur propre logiciel de chaîne de blocs ou s’associer à une plateforme offrant un programme à fins multiples de ce type, comme la plateforme Ethereum.
Les avantages de la chaîne de blocs aux yeux des utilisateurs sont les suivants: i) un fonctionnement pair-à-pair qui élimine la nécessité d’un intermédiaire; ii) une plus grande transparence, les enregistrements étant accessibles à tous, à tout moment; iii) une meilleure traçabilité, puisque l’historique des transactions est enregistré et ne peut être changé et que tout le monde peut le voir; et enfin iv) un risque de falsification des données extrêmement réduit. Ces caractéristiques concourent à une plus grande efficience des marchés, à la fois en abaissant les coûts de transaction et en améliorant l’information. Étant donné que les informations disponibles sur les transactions passées influent sur l’idée que l’on se fait de la capacité d’un fournisseur à répondre aux attentes, les technologies de registres distribués peuvent faciliter considérablement l’entrée sur les marchés, et donc renforcer la concurrence.
SOURCES: Đuric’. 2019; Cong & He. 2018; Catalini et Gans. 20197,43,44.
Dans les chaînes de valeur agroalimentaires, cette technologie peut présenter un intérêt particulier pour lancer des «contrats intelligents» qui auront été conçus de façon à s’exécuter automatiquement une fois un certain nombre de conditions préalables remplies. Dans un contrat intelligent, les clauses qui régissent l’échange de biens ou de services sont inscrites dans le code et les actions (un paiement, par exemple) se déclenchent automatiquement une fois les conditions remplies (les produits ont bien été livrés, par exemple). Ce type de contrats permet de réduire considérablement les coûts de transaction et d’augmenter l’efficience et la transparence des opérations.
Ainsi, l’exportation de produits agricoles, disons des céréales, fait intervenir un réseau complexe d’intermédiaires: des agriculteurs, des grossistes et des acheteurs, mais aussi un grand nombre de prestataires offrant des services logistiques tels que transport, stockage, contrôle de qualité, transport maritime, services portuaires et douaniers et gestion du crédit commercial, ainsi que des services liés au contrat et à l’authentification. À chaque stade de la chaîne de valeur, le produit doit être stocké, manipulé et transporté conformément à des normes spécifiques définissant le taux d’humidité, la température et le seuil d’impureté.
Cette chaîne de valeur mondiale génère des coûts de transaction et une somme de tâches administratives considérables, qui peuvent être fortement réduits en faisant appel à la chaîne de blocs et à des contrats intelligents (voir la figure 4.7). À chaque stade de la chaîne de valeur, dès que la transaction correspondante est exécutée, l’information est envoyée aux teneurs du registre. Ce transfert d’information est effectué par le fournisseur, l’acheteur ou d’autres prestataires de services ou par des appareils IDO, comme des capteurs qui suivent les marchandises et indiquent leur position, leur température et d’autres paramètres de qualité. À chaque stade de la chaîne de valeur, les teneurs du registre vérifient les informations transmises. Une fois la transaction correspondant à chaque stade terminée et le consensus réuni, un bloc est ajouté à la chaîne et le fournisseur et les prestataires de services sont payés au moyen des contrats intelligents.
La technologie de la chaîne de blocs pourrait changer radicalement les pratiques commerciales et réduire, modifier ou éliminer totalement la nécessité d’un certain nombre de services intermédiaires dans une chaîne de valeur. Elle ouvre des possibilités à la fois aux pays en développement et aux pays développés. Dans les pays en développement, elle permet de pallier les défaillances des marchés et d’armer les petits agriculteurs (voir les encadrés 4.8, 4.9 et 4.10, par exemple). Dans les économies développées, les utilisateurs recherchent plutôt une efficience et une transparence accrues dans le fonctionnement des chaînes de valeur (voir les encadrés 4.7, 4.11 et 4.12).
Le caractère public et décentralisé de la technologie fait que chaque participant voit en temps réel les données saisies par les autres, ce qui améliore la fluidité de l’information, l’efficience et la coordination. L’encadré 4.7 présente un exemple de chaîne de blocs qui vise précisément à améliorer la coordination, l’efficience et la transparence dans le secteur du négoce de produits agricoles.
En décembre 2018, un consortium de négociants en produits de base, comprenant Louis Dreyfus Co (LDC), Shandong Bohi Industry, ING, Société Générale et ABN Amro, a exécuté une vente pilote de 60 000 tonnes de soja produit aux États-Unis d’Amérique et destiné à la République populaire de Chine, en utilisant pour ce faire la technologie de chaîne de blocs. D’après les informations communiquées, ce mode opératoire a permis d’exécuter la transaction en cinq fois moins de temps que ce qu’il aurait fallu avec des documents imprimés.
Franchissant une étape supplémentaire, ADM, Bunge, Cargill, COFCO International, LDC et Glencore Agriculture se sont associés pour développer un prototype de plateforme numérique fondée sur la chaîne de blocs, destiné au négoce international de produits agricoles de base vendus en vrac. Baptisé Covantis, ce partenariat a été lancé officiellement en mars 2020 (www.covantis.io). Le développement du prototype se fait en partenariat avec ConsenSys, une entreprise technologique, et les essais devraient commencer en 2020 également. L’accès au prototype sera accordé sur abonnement.
Le négoce international de produits de base est fortement tributaire de processus chronophages car souvent manuels et reposant sur le papier. Les échanges internationaux et le transport maritime de produits de base en vrac font intervenir un grand nombre d’intermédiaires. À mesure que les produits progressent le long de la chaîne de valeur, il est souvent nécessaire d’émettre de nouveaux documents qui confirment les informations précédemment transmises (dates, origine, destination, quantité, qualité, etc.), ce qui crée des redondances et accroît le risque d’erreur. Les besoins de coordination à l’intérieur d’une entreprise de négoce donnée sont également considérables, car les contrats avec les agriculteurs, le transport terrestre des produits, leur transport maritime et d’autres services sont souvent gérés par des personnes différentes. En faisant appel à la numérisation, Covantis vise à améliorer nettement l’efficacité des transactions, à accroître la visibilité en temps réel sur les opérations, à réduire le risque d’erreurs manuelles et à raccourcir les délais d’attente.
Cette initiative réunissant six des négociants en produits agricoles de base les plus importants, son influence pourrait être suffisante pour déclencher une vague de changement technologique à l’échelle du secteur.
La technologie de la chaîne de blocs peut être mise en œuvre pour remédier à de multiples défaillances des marchés. Souvent, les petits agriculteurs n’exercent pas leur activité dans l’économie formelle, ce qui signifie que les transactions se règlent en liquide et ne donnent lieu à aucun enregistrement susceptible d’être conservé. La technologie de la chaîne de blocs peut aider à garder une trace de ces informations financières, permettant aux agriculteurs de se créer un historique et d’acquérir une identité numérique. Cet enregistrement peut les aider à asseoir leur réputation commerciale, améliorant ainsi leur accès aux marchés et renforçant leurs possibilités d’obtenir un crédit auprès des établissements financiers de l’économie formelle (voir l’encadré 4.8)7.
BanQu (https://banqu.co) est une entreprise utilisant la technologie de la chaîne de blocs dans des chaînes de valeur. La solution de chaîne de blocs de BanQu tient un registre de transactions, que les petits agriculteurs peuvent utiliser comme preuve des opérations menées à bien et du revenu qu’ils en ont tiré. Le principe de départ est que, si un agriculteur peut fournir la preuve de ses antécédents de participation à une chaîne de valeur donnée, indépendamment de l’acheteur, alors cette identité incontestable peut lui ouvrir des débouchés ainsi qu’un accès à des services financiers. Pour établir cette identité et ces antécédents, les agriculteurs participants mettent l’historique de leurs opérations à disposition sur la plateforme BanQu (quantités livrées, dates de livraison, prix et total des paiements reçus par l’agriculteur).
Dans le dispositif BanQu, l’acheteur prend l’initiative d’utiliser la plateforme pour rechercher un agriculteur, établir le contrat, puis, une fois la transaction exécutée, payer les produits concernés au moyen de jetons virtuels. Ces jetons peuvent être épargnés, échangés contre des espèces ou utilisés pour payer des factures ou pour envoyer des fonds. L’acheteur partage également avec d’autres acteurs les antécédents en affaires et l’identité de l’agriculteur participant enregistré sur la plateforme BanQu. En contrepartie de ce travail, l’acheteur sait avec certitude qui a cultivé le produit considéré et où. À long terme, les enregistrements s’accumulant dans la chaîne de blocs de BanQu, le temps et l’énergie dépensés par l’acheteur pour rechercher un agriculteur et gérer l’achat devraient diminuer.
BanQu se sert de l’immutabilité de la chaîne de blocs (les données sont protégées contre la falsification et la suppression) ainsi que du consensus entre de nombreux participants. Dans le dispositif de chaîne de blocs, l’acheteur, l’agriculteur et BanQu acquièrent et gèrent un enregistrement identique de chaque transaction. L’innovation de ce dispositif vient du fait que l’entreprise ne détient pas les données. Il n’y a pas de base de données unique et exclusive. Si sa relation avec un acheteur s’interrompt, l’agriculteur peut continuer d’accéder à l’historique de ses transactions. Utilisant des SMS enregistrés pour justifier de leur qualité, les agriculteurs peuvent aussi se connecter à la plateforme. Les avantages que partagent l’entreprise acheteuse et l’agriculteur sont un historique de prix exact, des paiements sécurisés, aucun besoin d’imprimer et de stocker les reçus, une relation directe entre acheteur et producteur, et un dossier à présenter aux agrégateurs intermédiaires (ce qui peut permettre de débloquer des débouchés commerciaux et des possibilités de financement). D’après BanQu, en mars 2019, la plateforme avait enregistré 70 000 ménages répartis dans 15 pays.
SOURCE: Adapté de Michelson. 202048.
Il y a très peu d’exemples d’applications de chaîne de blocs visant à améliorer l’inclusion financière dans les pays en développement. Le PAM a mené une expérimentation de cette technologie en vue d’évaluer les possibilités qu’elle offre en matière de transferts de type monétaire au titre de l’aide humanitaire. Le projet pilote intitulé «Building Blocks» a été lancé en 2017. D’abord conçu pour venir en aide à 10 000 Syriens réfugiés en Jordanie, il a ensuite été élargi, en 2018, à 100 000 Syriens dans deux camps de réfugiése. Le PAM a viré les fonds nécessaires à un prestataire de services financiers, mais la valeur du transfert en espèces attribué à chaque bénéficiaire a été inscrite dans un compte de chaîne de blocs propre au bénéficiaire, qui a pu l’utiliser pour des achats d’épicerie dans des magasins partenaires. L’identité du bénéficiaire était vérifiée par reconnaissance biométrique de l’iris47.
Le projet a réduit le montant des commissions versées aux prestataires tiers de services financiers, cette baisse pouvant aller jusqu’à 98 pour cent. Outre ces économies sur les commissions, la chaîne de blocs a contribué à renforcer la sécurité et le respect de la vie privée des réfugiés. Elle a également permis de réaliser des gains d’efficience puisqu’elle a supprimé la vérification croisée des données enregistrées chez les prestataires de services financiers, chez les fournisseurs et en interne47.
Les solutions reposant sur la chaîne de blocs pourraient réduire le nombre d’intermédiaires le long de la chaîne de valeur, ce qui permettrait une relation plus directe entre les agriculteurs et les marchés et un raccourcissement de la filière. Dans une chaîne de blocs, des contrats intelligents peuvent aussi aider à gagner la confiance des participants et à favoriser la transparence. Ainsi, de nombreuses cultures nécessitent de faire appel à des travailleurs saisonniers, et les marchés informels du travail saisonnier sont courants dans l’agriculture. Des contrats de travail intelligents, à la fois immuables et publics, pourraient réduire les coûts et accroître la transparence, surtout lorsque les saisonniers viennent de l’étranger. Dans ces applications de la chaîne de blocs, les informations pourraient être mises à la disposition de l’employeur et du salarié ainsi que des autorités telles que les services de l’immigration et les programmes de protection et d’assurance sociale7. D’après les informations communiquées, certaines entreprises étudient l’utilisation de contrats de travail intelligents pour éradiquer les pratiques inéquitables lors du recrutement des travailleurs dans leurs chaînes de valeur45.
Les contrats intelligents pourraient aussi réduire considérablement le coût des assurances agricoles (voir l’encadré 4.9). Dans le cas des risques liés au changement climatique, par exemple, les assurances fondées sur un indice des conditions météorologiques pourraient combiner des informations provenant de plusieurs sources (stations météorologiques, satellites et capteurs) et la technologie de la chaîne de blocs pour, à la fois, déterminer si les agriculteurs doivent être indemnisés et déclencher le paiement.
Les produits d’assurance agricole demeurent chers et sont inabordables pour la vaste majorité des petits agriculteurs. Pourtant, l’assurance est un mécanisme de survie précieux dans les situations difficiles.
L’initiative Blockchain Climate Risk Crop Insurance, née d’un partenariat entre The Lab, Sprout Insure, ACRE Afrique et Etherisc, vise les petits agriculteurs d’Afrique. Elle a permis d’élaborer une assurance récoltes indicielle fondée sur les conditions météorologiques locales et utilisant la technologie de la chaîne de blocs (voir aussi l’encadré 4.5). La police d’assurance est un contrat intelligent dont l’exécution se déclenche automatiquement si un phénomène météorologique extrême se produit. Le projet doit démarrer en 2020 sous la forme d’une expérimentation de quatre ans au Kenya. Au cours de cette phase pilote, l’objectif est d’associer la technologie de la chaîne de blocs à une infrastructure d’assurance indicielle existante pour tester l’innovation et démontrer son utilité.
Lier les paiements au titre de l’assurance à un indice météorologique peut s’avérer avantageux à la fois pour les agriculteurs et pour les assureurs. En effet, en associant la technologie de la chaîne de blocs à une assurance indicielle fondée sur les conditions météorologiques, on peut réduire les montants de prime payés par les agriculteurs, ainsi que les délais d’indemnisation. Les premières estimations effectuées dans le cadre du projet indiquent que, sur le long terme, ce modèle pourrait abaisser le coût d’émission d’une police d’assurance dans une proportion pouvant aller jusqu’à 41 pour cent – ce qui se traduit par une diminution des primes allant jusqu’à 30 pour cent – et ramener la durée du cycle de traitement des sinistres de 3 mois à 1 semaine. Ce modèle peut aussi faciliter les versements et accroître la transparence, ce qui profite aux deux parties.
SOURCES: Tinsley et Agapitova. 2018; Global Innovation Lab for Climate Finance. 201924, 49.
La chaîne de blocs peut faciliter la traçabilité des aliments le long de la filière, en permettant l’enregistrement de l’origine, puis du parcours d’un produit, aux différents stades de sa production, de sa transformation et de sa distribution. Améliorer la capacité de suivre ainsi les produits peut être précieux à plus d’un titre. D’abord, la technologie de la chaîne de blocs permet aux acteurs de savoir en temps réel à quelle étape de son parcours le produit se trouve, ce qui aide à repérer les retards, les irrégularités et les goulets d’étranglement, et donc à améliorer la coordination. Ensuite, la prise d’actions correctives s’en trouve considérablement facilitée s’il arrive que des produits alimentaires insalubres atteignent le marché. Enfin, on peut ainsi répondre à la demande croissante des consommateurs d’être mieux informés sur le lieu et les méthodes de production des aliments. La possibilité de partager et de garantir ces informations devient un critère essentiel pour gagner la confiance des consommateurs.
Il peut arriver que les produits alimentaires soient accidentellement contaminés le long de la chaîne de valeur. Le cas s’est produit par exemple en 2006 aux États-Unis d’Amérique, et il a fallu près de deux semaines aux responsables des services de santé pour déterminer la source d’un foyer de contamination dû à la présence de E. coli dans des épinards. Dans un autre cas, en 2017, quelque trois semaines ont été nécessaires pour isoler la source d’un foyer de salmonellose lié à des papayes50.
Ces délais sont dus à la complexité de la chaîne de valeur et à la nécessité pour de nombreuses parties prenantes de vérifier de multiples enregistrements et de remonter chaque étape de la chaîne. Dans les deux cas, les foyers étaient liés à un seul fournisseur, mais le temps qu’il a fallu pour établir l’identité de ce fournisseur et son lieu d’activité a entraîné une perte de confiance dans les produits concernés et a conduit des consommateurs à renoncer totalement à consommer les produits en question par peur qu’ils ne soient contaminés. De nombreux agriculteurs ont vu leur revenu baisser alors que leurs produits étaient parfaitement sains. La sécurité sanitaire des aliments et une meilleure traçabilité sont les principales raisons qui incitent certains supermarchés à mener des projets pilotes de chaîne de blocs sur les chaînes de valeur de produits (voir l’encadré 4.10).
Walmart et IBM ont mené un projet pilote sur les chaînes de valeur de Walmart pour la mangue et le porc. Ce projet avait pour but de vérifier dans quelle mesure la technologie de la chaîne de blocs pouvait rendre plus aisée la traçabilité, étayer les contrôles de la sécurité sanitaire des aliments et garantir l’authenticité des aliments. Walmart a choisi de mener ce projet pilote sur les mangues fraîches provenant du Mexique, en raison de la complexité de cette filière. Le recours à la technologie de la chaîne de blocs a réduit le temps nécessaire pour retrouver l’origine d’un paquet préemballé de mangues, de près de sept jours à exactement 2,2 secondes. La technologie a permis aux acteurs de la chaîne de valeur de déterminer le parcours exact suivi par le produit, de l’exploitation jusqu’au magasin. La solution utilisant la chaîne de blocs a également permis à Walmart de suivre la vitesse à laquelle les mangues progressaient le long de la filière et de déterminer où se produisaient des ralentissements.
En République populaire de Chine, Walmart s’est appuyée sur la technologie de la chaîne de blocs pour garantir l’origine et l’authenticité du porc. Dans ce pays, la demande de viande de porc a augmenté à un rythme élevé et soutenu au fil des années, et le projet pilote d’utilisation de la chaîne de blocs a réussi à accroître la transparence et à remédier aux problèmes de confiance des consommateurs. Il a produit d’autres avantages aussi, comme une réduction du délai d’accès aux certificats vétérinaires ainsi qu’une plus grande confiance dans le contrôle vétérinaire.
De nombreuses autres initiatives sont en cours dans les chaînes de valeur agroalimentaires pour tester la chaîne de blocs comme solution aux problèmes de traçabilité. Carrefour, par exemple, a développé une chaîne de blocs pour les poulets vendus sous sa marque, ce qui permet à l’enseigne d’informer les consommateurs de façon plus détaillée sur la sélection des volailles et la chaîne d’approvisionnement. Une autre entreprise, Bext360, travaille à l’application de solutions de chaîne de blocs au secteur du café pour suivre le produit du producteur aux consommateurs (www.bext360.com).
SOURCES: IFC & Mastercard Foundation. 2019; Kamilaris et al. 2019; Kamath. 2018; IFC. 2019; Jouanjean. 2019; Yiannas. 2018.40,45,50,51,52,53
Cette technologie offre également la possibilité de maîtriser les tentatives de falsification des produits alimentaires. Les produits de grande valeur sont plus particulièrement exposés aux irrégularités, comme l’ajout d’un produit moins cher ou le remplacement d’un ingrédient par un substitut meilleur marché. La plus grande transparence offerte par la technologie de la chaîne de blocs rendrait plus difficiles, par exemple, les tentatives d’augmenter frauduleusement le poids du produit ou de remplacer certains de ses ingrédients sous le couvert de l’anonymat (voir l’encadré 4.11 pour un exemple d’utilisation de la chaîne de blocs pour des épices). L’immutabilité de la chaîne de blocs pourrait aussi décourager d’autres irrégularités intentionnelles.
Les épices et les herbes condimentaires sont utilisées dans une large gamme d’aliments et de produits alimentaires et constituent un segment distinct du secteur. Elles sont principalement distribuées sous leur forme sèche ou séchée (caractérisée par une faible activité hydrique), et sont associées à des chaînes de valeur longues et complexes. Elles sont cultivées dans le monde entier et passent par de nombreux points de contact, ce qui peut augmenter le risque de fraude alimentaire: dilution, substitution ou améliorations non autorisées, entre autres. Les épices et les herbes condimentaires sont particulièrement exposées à la fraude car elles ont une valeur élevée par unité de poids et les falsifications du produit fini sont difficiles à déceler pour le consommateur final. Les problèmes d’authenticité courants résultent de i) l’ajout de produits de moindre valeur (matière étrangère ou autre partie du produit, comme la peau ou l’écorce), ce qui permet d’augmenter le volume, mais diminue la saveur, et ii) l’emploi d’additifs non autorisés destinés à «améliorer» la couleur, comme des colorants pour masquer la dilution. Les épices moulues, en particulier, sont sujettes à falsification car le broyage ou la mouture réduit en poudre aussi bien l’épice que le produit ajouté. À titre d’exemples de produits ajoutés pour accroître le volume d’une épice moulue, on peut citer les parches de café, des produits amylacés et la poudre de craie.
Le safran est l’une des épices les plus chères sur le marché, produite à partir des stigmates des fleurs de crocus à safran (Crocus sativus). En 2017, le marché total du safran était évalué à 390 millions d’USD et il devrait augmenter pour atteindre 555 millions d’USD environ en 2026. Le safran est aussi le quatrième produit le plus falsifié dans le monde, en grande partie du fait de l’absence de réglementation des filières et de l’absence de méthodes de surveillance et de méthodes techniques. Une enquête sur le safran en Inde a constaté que 44 pour cent des échantillons étaient frelatés, contenant des parties de la plante autres que les stigmates ou des parties d’autres plantes. La même enquête a révélé qu’aucun des échantillons ne correspondait aux niveaux de qualité I ou II définis par l’ISO (Organisation internationale de normalisation).
Devant la fraude sur les épices, QuillHash (www.quillhash.com), une entreprise de développement travaillant sur la chaîne de blocs, a créé QuillTrace, une solution d’achat fondée sur cette technologie et conçue pour contrer les pratiques malhonnêtes sur ce segment. Étant donné que chaque étape de la chaîne, de la récolte au conditionnement, peut être enregistrée dans la chaîne de blocs, il devient plus difficile pour les différents acteurs de gonfler les quantités à un stade ou un autre de la filière. Les informations sont suivies de la production au point de livraison, ce qui permet de s’appuyer sur QuillTrace pour faire des analyses, planifier les activités et contrôler la qualité et les volumes en recoupant les données issues de l’ensemble de la filière. En outre, l’intégration de dispositifs IDO offrant un suivi en direct assure une visibilité totale à toutes les parties et permet à chacune d’elles d’accéder aux données à tout moment. Les informations sur le parcours du safran, du producteur au détaillant, peuvent aussi être partagées avec le consommateur final, ce qui permet à celui-ci de vérifier l’authenticité du produit.
SOURCES: Hoffman. 2020; Mzabri, Addi & Berrichi. 2019; Silvis et al. 2017; Shahbandeh. 2019; The Telegraph. 2018.54,55,56,57,58
Améliorer la traçabilité à l’aide de la technologie de la chaîne de blocs faciliterait la vérification de l’authenticité des produits certifiés durables (voir aussi la deuxième partie pour une analyse des systèmes de certification de la durabilité dans les chaînes de valeur et la troisième partie pour une analyse de la participation des agriculteurs à ces systèmes). Les normes de durabilité et l’étiquetage correspondant fournissent aux consommateurs des informations sur les aspects environnementaux et sociaux de la production et peuvent aboutir à une meilleure gestion des ressources naturelles et à l’intégration des petits agriculteurs dans les marchés mondiaux. Une meilleure traçabilité permet de renforcer la confiance et d’amener les consommateurs à modifier leurs modes de consommation, ce qui influe sur les incitations et les allocations passant par les marchés et peut favoriser des résultats durables pour tous. Des solutions prometteuses fondées sur la chaîne de blocs commencent aussi à apparaître pour relever les défis liés à la biodiversité (voir l’encadré 4.12).
Au fil des années, on observe une plus grande sensibilisation aux dangers que représentent des pratiques de pêche non durables. Le cas du thon est exemplaire. Le thon est un produit très important en raison de sa grande valeur économique et de l’important volume d’échanges qu’il génère. Sa gestion durable présente des défis de taille car le thon fait partie des grands migrateurs et son cycle biologique se déroule dans plusieurs zones, placées sous des juridictions différentes (stock chevauchant). En 2015, sur les sept principales espèces de thon, on estimait que 43 pour cent des stocks mondiaux étaient exploités à des niveaux biologiquement insoutenables.
En 2018, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a lancé un projet pilote de chaîne de blocs dans le secteur du thon aux Fidji. L’objectif était de créer une chaîne d’approvisionnement en thon transparente et offrant une bonne traçabilité, afin que l’on puisse déterminer l’origine des thons et encourager la lutte contre les pratiques de pêche illégales et les violations des droits de l’homme. La solution pilote conjuguait la radio-identification (RFID) et des codes QR pour saisir l’information tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Chaque poisson remonté sur un bateau de pêche recevait une étiquette d’identification et les données correspondantes étaient transmises et enregistrées dans une chaîne de blocs à l’aide d’un appareil mobile équipé d’un accès à internet. L’étiquette suivait ensuite le poisson et s’enregistrait automatiquement sur les différents dispositifs placés le long de la chaîne de valeur (bateau, dock et usine de transformation). À l’étape du conditionnement, l’étiquette était remplacée par un code QR identifiant le produit.
Ce projet pilote a obtenu des résultats prometteurs en matière de traçabilité, mais a aussi rencontré des écueils. Ainsi, il a mis en évidence la nécessité d’une action importante et transversale pour faire passer au numérique un secteur qui utilise principalement des documents imprimés, y compris dans les services de l’État. Il a également souligné l’importance d’une main-d’œuvre spécialisée, capable de résoudre les problèmes techniques. Enfin, l’approche ascendante du projet ne permettait pas au consommateur final de connaître la provenance du poisson, car tous les acheteurs internationaux ne participaient pas à l’expérimentation.
La demande accrue d’informations formulée par les consommateurs devrait inciter les acteurs de la chaîne de valeur à adopter des pratiques de pêche plus durables et à imposer une transparence totale le long de la filière. Il existe beaucoup d’autres initiatives d’utilisation de la chaîne de blocs à des fins de traçabilité dans les chaînes de valeur des produits comestibles de la mer, comme Hyperedger Sawtooth et Balfegó*.
SOURCES: Kamilaris et al. 2019; FAO. 2018; Cook. 201845,59,60.
En dépit des possibilités qu’elle offre dans les chaînes de valeur agroalimentaires, la chaîne de blocs n’a pas encore été adoptée à grande échelle. La lenteur de la diffusion et de l’adoption de cette technologie ne doit toutefois pas être interprétée comme un signe d’échec. Le processus peut prendre de nombreuses années malgré les gains potentiels de productivité que la chaîne de blocs permet de réaliser dans de nombreux secteurs44. Sa complexité technologique pourrait avoir un effet dissuasif sur l’adoption, tout comme l’importance de la capacité de traitement informatique qu’elle nécessite et les coûts résultant d’une consommation électrique élevée. On s’attend à ce que ces difficultés fassent obstacle à une adoption plus large des technologies de registres distribués à court terme.
La chaîne de blocs est cumulative, ce qui signifie que les transactions s’ajoutent les unes aux autres. La fiabilité du système passe par un grand nombre de teneurs de registre pour asseoir les mécanismes d’obtention du consensus et de vérification des transactions, ce qui impose des capacités de stockage et une capacité mémoire importantes. Autre conséquence, la vitesse d’enregistrement des transactions est relativement lente, puisque la chaîne de blocs doit synchroniser celles-ci sur tous les nœuds61. Les contraintes de taille et de quantité de blocs susceptibles d’être créés dans un délai donné limitent le nombre de transactions qu’il est possible de traiter par seconde44.
Le développement et la mise en œuvre d’une nouvelle solution de chaîne de blocs peuvent revenir cher. Si les coûts d’entrée correspondent à des investissements qui produiront des bénéfices sur la durée, il est probable que le coût énergétique de la technologie telle qu’elle se présente actuellement continuera d’augmenter, produisant des résultats environnementaux préjudiciables. Le niveau élevé des dépenses d’exploitation est dû à l’électricité nécessaire pour valider un nombre de transactions qui ne cesse de croître61.
Utiliser une chaîne de blocs ne demande pas de posséder une culture numérique plus importante que celle nécessaire à l’utilisation d’applications mobiles; en revanche, développer une solution fondée sur un registre distribué exige un savoir-faire technologique considérable. De nombreux projets pilotes de chaîne de blocs appliquée à des chaînes de valeur agroalimentaires sont en cours dans les pays développés, mais les pays en développement accusent un retard, malgré les possibilités que leur offre cette technologie. Ce retard s’explique par le fait que les applications de chaîne de blocs nécessitent une alimentation électrique stable, une puissance de calcul et une quantité de mémoire importantes, un accès haut débit à internet et une main-d’œuvre qualifiée, autant d’éléments qui ne sont pas toujours disponibles dans les pays en développement. Tous les pays ne disposent pas d’une main-d’œuvre possédant les compétences nécessaires à l’application de la chaîne de blocs aux différents marchés agroalimentaires ou à d’autres secteurs de l’économie, ce qui n’est pas sans conséquences sur la fracture numérique entre les pays et entre les secteurs.
On s’attend toutefois à ce que ces obstacles se réduisent à mesure que la technologie évolue. Le secteur public comme le secteur privé auront un rôle clé à jouer dans cette évolution et dans l’application de la technologie aux secteurs de l’alimentation et de l’agriculture52. Les domaines traditionnels du développement, comme les infrastructures et l’éducation, y compris la culture numérique, demeureront essentiels pour permettre aux acteurs de tirer profit de la numérisation de l’économie et pour faciliter l’adoption de la technologie de la chaîne de blocs.
À l’heure actuelle, de nombreux projets pilotes sont menés en parallèle, utilisant des systèmes de chaîne de blocs différents. Ils sont en grande partie réalisés par le secteur privé, le secteur public étant très à la traîne dans ce domaine. Ce retard pourrait aboutir à une occasion manquée d’accroître l’efficience des mesures de politique agricole, comme le paiement des services environnementaux ou le respect des exigences de sécurité sanitaire des aliments et des mesures SPS. Pour intégrer pleinement les technologies de registres distribués dans les chaînes de valeur agroalimentaires, il faudrait parvenir à l’interopérabilité, entre les systèmes utilisés par les différents agents (pouvoirs publics, producteurs et partenaires commerciaux) et entre les pays.
Les technologies numériques peuvent être source de gains considérables, mais de nombreuses questions demeurent sans réponse. Il est encore difficile de prévoir l’intégralité des effets que les applications numériques peuvent avoir sur les marchés agricoles et alimentaires.
Il reste de nombreux obstacles à l’adoption à grande échelle de ces technologies, et il est probablement préférable d’en réserver l’utilisation aux situations dans lesquelles elles apportent des avantages qu’aucune autre technologie ne peut offrir: en tout premier lieu, lorsqu’elles permettent de pallier directement et efficacement les défaillances des marchés; en deuxième lieu, lorsqu’il y a d’importants gains d’efficience à réaliser pour tous; en troisième lieu, et particulièrement dans le cas de la chaîne de blocs, en l’absence d’une relation de confiance entre les parties62.
Les questions et les risques potentiels à prendre en compte sont nombreux dans le contexte des marchés agricoles et alimentaires. Cela concerne les effets que les technologies numériques pourraient avoir sur la participation aux marchés, les questions de données et le pouvoir de marché.
Les technologies numériques peuvent donner des moyens d’action à tous les acteurs d’une chaîne de valeur – y compris les petits agriculteurs des pays en développement – en réduisant les coûts de transaction et les obstacles à l’entrée. À l’inverse, elles peuvent aussi exclure des marchés les petits exploitants qui ne peuvent pas supporter les coûts initiaux d’accès à l’économie numérique ou qui n’ont pas les compétences requises pour ce faire. L’exclusion de l’économie numérique viendrait alors s’ajouter aux problèmes que les petits agriculteurs rencontrent déjà et saperait encore davantage le secteur de la petite agriculture et les moyens d’existence de millions de personnes vivant en zone rurale dans les pays en développement. Le risque de se retrouver exclus d’une économie où le numérique tient une place croissante est particulièrement élevé pour les petits exploitants qui ne maîtrisent pas la lecture. Certaines technologies pourraient certes contribuer à faciliter l’inclusion de ces exploitants (voir l’encadré 4.2, par exemple), mais il est indispensable de redoubler d’efforts pour éliminer l’analphabétisme et faire en sorte que chacun ait les compétences nécessaires pour utiliser internet pleinement et efficacement.
L’exclusion de certains groupes des marchés peut être un résultat involontaire des technologies numériques. En agriculture, de nombreuses raisons peuvent expliquer qu’un agriculteur ne parvienne pas à remplir ses obligations contractuelles. Il peut, par exemple, être empêché de livrer les quantités spécifiées de produits présentant les niveaux de qualité donnés en raison de phénomènes météorologiques extrêmes, d’attaques de ravageurs, de maladies, ou d’un manque de crédit. Dans ce cas, la nature immuable, publique et permanente de la chaîne de blocs pourrait jouer en défaveur des petits agriculteurs, plus susceptibles de pâtir de ces difficultés. Il se créerait alors une nouvelle asymétrie de l’information, qui pourrait aboutir à l’exclusion de certains agriculteurs des marchés, limitant de fait leurs possibilités de gagner leur vie. À l’heure actuelle, on ne sait pas encore si et comment les agents utilisant la chaîne de blocs pourraient tenir compte de problèmes de ce genre et d’autres spécificités de la petite agriculture.
On s’attend à ce que la numérisation du secteur ait une incidence considérable sur les marchés du travail agricole. L’automatisation pourrait réduire, voire éliminer, certains types d’emplois manuels sur les exploitations et dans certains services intermédiaires, accentuant l’impact de la transformation structurelle sur la main-d’œuvre des zones rurales. Les nouvelles possibilités d’emploi tendront à privilégier les personnes présentant un plus haut niveau de compétence. Progressivement, à mesure que les avancées technologiques se diffuseront, des compétences plus pointues seront nécessaires pour travailler sur une exploitation et participer efficacement aux chaînes de valeur agroalimentaires. Cette évolution augmentera les possibilités d’emploi des travailleurs hautement qualifiés, mais risque d’aggraver encore la marginalisation de ceux qui le sont moins.
Pour prendre part efficacement aux chaînes de valeur agroalimentaires, les agriculteurs comme les ouvriers agricoles devront être capables d’accéder aux technologies numériques et devront posséder les compétences nécessaires pour utiliser ces technologies. Il sera alors essentiel de renforcer les capacités et la culture numérique de la main-d’œuvre travaillant dans les chaînes de valeur agroalimentaires, à quelque niveau que ce soit.
La gestion des données est au premier plan des inquiétudes que suscitent actuellement les technologies numériques, et le manque de confiance qui entoure ces questions de données constitue un obstacle majeur à la numérisation de l’agriculture. Cela fait des siècles que les agriculteurs créent, diffusent et utilisent des informations. Depuis le milieu du XIXe siècle, l’agriculture est influencée par les données – les informations qui ont été collectées, analysées et communiquées. La création du Ministère de l’agriculture des États-Unis en 1862 s’est traduite par des rapports annuels qui, sur la base d’enquêtes nationales, ont diffusé des informations sur les rendements, les prix et les nouvelles pratiques agricoles. Dès 1905, avec la création de l’Institut international d’agriculture – le prédécesseur de la FAO –, on a pu disposer d’informations sur la production, les échanges et les prix mondiaux63.
Les technologies numériques ont révolutionné la collecte de données, qui avait toujours été un processus long et coûteux, mais se sont aussi traduites par l’interception et la collecte de données en temps réel au moyen d’ordinateurs, de smartphones, d’internet et de dispositifs IDO. Chaque personne génère une somme considérable de données personnelles qui, dans la limite des cadres juridiques applicables, peuvent avoir une valeur pour les secteurs public et privé. Tous les secteurs économiques, y compris l’alimentation et l’agriculture, deviennent progressivement de plus en plus gourmands en données.
Les données massives diffèrent des données «analogiques» qui étaient collectées et analysées jusqu’ici, que ce soit par leur volume ou par les possibilités d’analyse qu’elles offrent. L’analyse des données massives peut en effet mettre en lumière des schémas indétectés ou des relations inattendues, qui viennent étayer la prise de décision. Dans le domaine agricole, par exemple, l’analyse de dix ans de conditions météorologiques et de données sur les cultures en Colombie a fait apparaître des motifs spécifiques d’influence des variations climatiques sur les rendements du riz. Cette analyse pourrait permettre d’être plus précis dans les prévisions propres à chaque site, et de conseiller les agriculteurs pour les aider à changer leurs dates de semis et à tirer profit d’une énergie solaire optimale lors de la phase de mûrissement64.
Des informations de ce type, intelligentes face au climat et adaptées à chaque lieu, peuvent être source d’avantages considérables et durables pour les agriculteurs et la société en général. Dans les pays développés, le secteur privé – les grandes entreprises fournissant semences et produits agrochimiques et les fabricants de matériel agricole, notamment – s’intéresse déjà à ces applications innovantes d’«agriculture intelligente» fondées sur les données massives. Ces entreprises ont investi des sommes considérables dans les technologies et les services numériques, démultipliant les économies d’échelle et leurs parts de marché. Armées d’une multitude de technologies et de dispositifs numériques, elles collectent des informations sur les pratiques agricoles et les exploitations de leurs clients, et réunissent des données sur les conditions météorologiques et l’état des sols. Après avoir traité et analysé ces éléments, elles communiquent les connaissances ainsi produites à leurs clients, en retour. Ce faisant, les entreprises améliorent l’efficacité de la production et, dans de nombreux cas, offrent des avantages plus vastes, comme la préservation des ressources naturelles et la réduction à un minimum de l’utilisation des engrais ou des pesticides. La vente d’intrants innovants et l’apport d’un savoir-faire spécifique aux agriculteurs par l’intermédiaire des technologies numériques génèrent aussi, pour ces entreprises, des recettes qui sont souvent protégées par des brevets et la législation sur le droit d’auteur – dans le cas inverse, les entreprises ne seraient nullement incitées à se lancer dans la recherche-développement autour de ces technologies.
Cela étant, la nature et la propriété des données en question ont suscité des inquiétudes. En fait, le spectre des données personnelles et publiques est très large. À l’une des extrémités se trouvent les données ouvertes, gratuites et accessibles à tous, qui peuvent servir à accélérer le développement fondé sur les donnéesf. À l’autre extrémité figurent les données privées, qui ont généralement trait aux informations personnelles d’un individu et qui ne devraient être communiquées que volontairement. La propriété de certaines des données de ce spectre, collectées au moyen de technologies numériques, soulève des questions. C’est le cas notamment des données générées par un dispositif IDO installé sur une exploitation, qui sont ensuite traitées et analysées par les fournisseurs d’intrants ou d’autres entreprises.
Les inquiétudes concernant la propriété des données, leur portabilité, le respect de la vie privée, la confiance et la responsabilité dans les relations commerciales régissant l’agriculture intelligente alimentent la réticence des agriculteurs à adopter les technologies numériques. Des travaux supplémentaires s’imposent pour élaborer des systèmes qui tiennent compte des préoccupations relatives à la vie privée sans pour autant compromettre l’innovation et les progrès technologiques. En 2014, par exemple, les organisations d’agriculteurs et les fournisseurs de technologies agricoles des États-Unis d’Amérique se sont mis d’accord sur un ensemble de principes de respect de la vie privée et de sécurité, applicables aux données massives, qui déterminent comment ces informations sont collectées, protégées et partagéesg. Dans de nombreux pays, les responsables de l’élaboration des politiques sont conscients du fait que l’utilisation et le stockage des données des agriculteurs sont des sujets potentiellement sensibles, mais il est difficile à la législation de soutenir le rythme de l’innovation technologique. Des travaux sont en cours dans ce domaine, même s’il reste beaucoup à faire (voir l’encadré 4.13).
Le Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture est une conférence internationale annuelle qui réunit les ministres de l’agriculture et des représentants de haut niveau des organisations internationales, de la société civile et du secteur privé. Durant trois jours, le Forum, accueilli à Berlin par le ministère fédéral allemand de l’alimentation et de l’agriculture, offre une tribune mondiale où débattre des enjeux critiques pour l’avenir de l’alimentation et de l’agriculture dans le monde en les abordant sous différents angles, et où élaborer des solutions mondiales. Dans ce contexte, les ministres de l’agriculture présents au Forum de 2019 ont publié un communiqué dans lequel ils prenaient acte des possibilités offertes par la numérisation de l’agriculture de contribuer pleinement à la concrétisation des objectifs de développement durable. Ils demandaient à la FAO et à d’autres organisations internationales d’envisager la mise en place d’une plateforme inclusive consacrée aux applications numériques dans l’agriculture et permettant d’en étudier les avantages et les risques.
Les technologies numériques peuvent promouvoir une agriculture durable, mais comportent aussi des risques. La protection des données personnelles et privées et la façon dont s’effectue le partage des données, par exemple, demeurent des sujets de préoccupation. La numérisation implique souvent une large utilisation des données et nécessite des cadres d’action et des cadres réglementaires à toute épreuve, pour gagner la confiance des utilisateurs dans les applications numériques. À mesure que les données prennent de l’importance dans l’agriculture, l’utilisation des technologies numériques, pour enrichir les données massives et alimenter les applications d’intelligence artificielle par exemple, pourraient avoir des effets considérables sur la gestion des exploitations, mais aussi sur les marchés. À long terme, les technologies numériques pourraient aussi influer sur les structures et la main-d’œuvre agricoles, apportant des changements économiques et sociaux dans le secteur.
En réponse à la demande du Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture de 2019, la FAO et d’autres organisations internationales ont proposé de créer une plateforme inclusive destinée à faciliter les échanges sur les technologies numériques et l’agriculture. Baptisée «Plateforme internationale pour l’alimentation et l’agriculture numériques», elle réunira les pouvoirs publics, les organisations d’agriculteurs, le secteur privé, les organisations internationales, la société civile et la société du savoir, afin d’examiner comment maximiser les avantages des technologies numériques dans l’agriculture et réduire autant que possible les risques y afférents.
En janvier 2020, les ministres de l’agriculture présents au Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture ont étudié la proposition de création de la Plateforme internationale pour l’alimentation et l’agriculture numériques. Ils ont reconnu que sa présence dans le paysage des initiatives internationales comblerait des lacunes dans la compréhension des effets des technologies numériques sur l’agriculture et répondrait aux besoins les plus pressants du système alimentaire. Les objectifs clés de la Plateforme seront de fournir un espace commun à toutes les parties prenantes et de faciliter les débats et la convergence de vues. Ces discussions peuvent amener au consensus sur les actions à mener et sur des directives volontaires fondées sur les travaux de recherche, des recommandations et des pratiques exemplaires concernant les cadres d’action des pouvoirs publics.
L’autre objectif essentiel de la Plateforme sera de combler le fossé entre les instances internationales traitant de l’économie numérique et celles s’intéressant à l’alimentation et à l’agriculture. Les technologies numériques, qui sont en train de transformer l’économie et la société, ont des conséquences spécifiques sur l’agriculture; aussi est-il nécessaire de mieux sensibiliser les décideurs publics chargés de l’économie numérique. À titre d’exemple, le Sommet mondial organisé par l’Union internationale des télécommunications (UIT) et intitulé «AI for Good» (L’intelligence artificielle au service du bien social) devrait débattre aussi des effets de l’IA sur l’agriculture (et des principes d’application volontaire associés qui permettraient de s’assurer d’un développement agricole durable au moyen de l’IA); la Plateforme ferait en sorte que l’agriculture figure dans les débats et dans le consensus sur les directives générales, les standards et les normes en matière d’IA.
Le champ d’action et la fonction de la Plateforme internationale pour l’alimentation et l’agriculture numériques telle qu’elle est proposée auraient des effets considérables sur l’accroissement des avantages de la numérisation dans l’alimentation et l’agriculture, contribuant à améliorer les moyens d’existence ruraux et les économies locales.
SOURCES: Adapté de FAO. 2020; Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture. 202065,66.
La concurrence est indispensable pour recueillir les avantages des marchés et favoriser la croissance économique. Les marchés doivent être concurrentiels si l’on veut qu’ils contribuent à une allocation de ressources qui, conjuguée à des mesures et une réglementation efficaces, soit susceptible de favoriser un développement durable. Or, les technologies numériques peuvent modifier la concurrence sur les marchés agricoles et alimentaires. Plus spécifiquement, la façon dont une chaîne de blocs est configurée influe sur les informations mises à la disposition des participants et peut produire une large palette d’effets sur la compétitivité.
Une chaîne de blocs peut, par exemple, donner accès à des enregistrements afférents aux transactions, qui renseignent sur la réputation des fournisseurs et peuvent donc faciliter la concurrence. En outre, le processus de consensus décentralisé permettant de vérifier les transactions évite le recours à des mécanismes de contrôle par des tiers, qui demandent une main-d’œuvre importante et confèrent souvent un pouvoir de marché excessif. Cela étant, la chaîne de blocs, de par sa nature, peut aussi être conçue pour garantir la confidentialité de certaines informations67. On le voit clairement avec les cryptomonnaies, comme le Bitcoin, qui peuvent être utilisées par des personnes ne souhaitant pas révéler leur identité.
Le caractère décentralisé de la chaîne de blocs peut améliorer la concurrence par une meilleure information, mais peut aussi susciter des craintes de manquements potentiels à un comportement concurrentiel44. En principe, une information plus riche, la capacité de s’engager sur des prix convenus au moyen de contrats intelligents et une réduction du coût des transactions et du coût d’accès aux marchés sont susceptibles de renforcer considérablement la concurrence sur ces marchés. De façon générale, cela implique un moindre risque de comportement collusoire contraire aux règles de la concurrence – comme lorsque des entreprises s’entendent entre elles pour offrir un prix donné aux agriculteurs et augmenter ainsi leurs profits.
Dans le monde analogique, l’information est difficile à obtenir – il y a asymétrie de l’information. Les entreprises ne peuvent pas totalement connaître les quantités achetées par leurs rivales ou les prix que celles-ci ont payés. Pour conclure une entente collusoire, elles doivent communiquer et accepter de coordonner leur comportement sur le marché68. Dans le monde de la chaîne de blocs, il n’y a pas d’asymétrie de l’information, et cela peut faciliter la collusion et d’autres formes de comportement non concurrentiel, de diverses façons.
Si l’on applique les informations disponibles dans la sphère de la chaîne de blocs aux modèles économiques de comportement non concurrentiel, l’analyse indique que, en théorie, les chaînes de blocs peuvent aboutir à une collusion tacite. Dans ce cas, la collusion tacite découle d’actions informulées prises par les entreprises, qui font obstacle au comportement concurrentiel et sont susceptibles d’influer sur les prix ou les quantités, et donc sur le bien-être. Ce type de collusion peut faire penser à un cartel43.
Les informations disponibles grâce à la chaîne de blocs permettent aux entreprises d’inférer plus facilement le comportement de leurs rivales. Comme elles peuvent observer en temps réel les actions de chacune d’elles, il leur est possible de suivre les transactions et de détecter le moment où une entreprise déroge aux règles de la concurrence. Il est alors possible soit de réagir pour rétablir la compétitivité, soit de saisir l’occasion de s’associer à l’action non concurrentielle pour maximiser son bénéfice – il y a alors collusion tacite43.
Théoriquement, il peut se produire une collusion tacite dans la chaîne de blocs si, par exemple, une entreprise voit qu’un de ses concurrents propose à des agriculteurs un contrat pour une quantité donnée à un prix inférieur et qu’au lieu de fixer son prix conformément à l’offre et à la demande, cette entreprise propose également un prix inférieur. Le nombre d’entreprises participant à la chaîne de blocs pourrait avoir une influence sur ce type de résultats théoriques. Ainsi, dans des chaînes de blocs accessibles sans autorisation, le nombre d’entreprises participantes est potentiellement important, comparé à celui des chaînes accessibles sur autorisation. Il est possible toutefois qu’à mesure que la technologie évolue, les entreprises acquièrent la capacité de traiter et d’analyser presque en temps réel de grands volumes de données issues de la chaîne de blocs, ce qui facilitera la collusion tacite67.
La chaîne de blocs pourrait aussi être délibérément programmée pour faciliter un comportement collusoire. La technologie permet de créer des contrats intelligents (qui s’exécutent automatiquement) formulés pour coordonner et réglementer les agissements collusoires d’un grand nombre d’acteurs, ce qui accroît la capacité des contrevenants à harmoniser leur comportement67. Cela pourrait être rendu possible par l’introduction de «chaînes secondaires» qui stockeraient des informations confidentielles en parallèle de la chaîne de blocs principale.
Certains analystes indiquent en outre que les contrats intelligents peuvent contribuer à stabiliser ces accords collusoires non tacites. En effet, des contrats intelligents entre entreprises peuvent prévoir des clauses punissant automatiquement celles qui s’écartent d’un comportement collusoire, renforçant les incitations des participants à adhérer à ce type de comportement et augmentant la stabilité de l’accord de collusion67.
La technologie de la chaîne de blocs peut aussi influencer la nature et les options de la surveillance réglementaire. Dans la chaîne de blocs, les utilisateurs utilisent des pseudonymes, ce qui complique l’identification des participants et la conduite d’enquêtes les concernant. Les transactions peuvent être codées et n’être visibles que par les parties concernées67. D’un autre côté, les autorités chargées de la lutte antitrust et de la concurrence pourraient avoir accès aux informations des chaînes de blocs et observer ainsi plus finement le comportement des marchés – tout comme les entreprises peuvent inférer des manquements dans le comportement concurrentiel, les autorités de réglementation peuvent observer les comportements qui témoignent d’une collusion tacite. Les poursuites judiciaires destinées à combattre ce détournement des chaînes de blocs sont toutefois très loin d’être simples. Il faudra du temps pour faire apparaître dans quelle mesure les autorités de réglementation peuvent réussir à prévenir ou à corriger la collusion tacite dans les chaînes de blocs.
Les pouvoirs publics devraient se concentrer sur la mise en place d’un environnement porteur qui encourage les nouveaux entrants et facilite l’innovation et la diffusion des technologies numériques. Concernant la chaîne de blocs, l’une des solutions proposées pour prévenir la collusion consiste à séparer les teneurs de registre à l’origine du consensus et les entreprises participantes43. Actuellement, les utilisateurs de la chaîne de blocs peuvent aussi endosser le rôle de teneur de registre et avoir accès à l’ensemble des informations disponibles.
Il est aussi possible de préserver la compétitivité en soumettant les teneurs du registre à un audit ou en ajoutant des teneurs de registre à vocation réglementaire. D’aucuns font valoir également qu’il serait possible de programmer les applications de chaîne de blocs de façon à restreindre le partage des informations, mais cela aurait pour conséquence de diminuer la qualité du consensus et d’empêcher l’utilisation des contrats intelligents puisque certaines données (codées) ne pourraient pas être validées43. Recourir à des données codées annulerait aussi l’un des principaux avantages de la technologie de la chaîne de blocs, à savoir une plus grande transparence.
Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour que l’on comprenne mieux les risques que présentent les technologies numériques en matière de pouvoir de marché, de possibilité de collusion et, plus généralement, de formation de monopoles numériques. Les pouvoirs publics devront s’équiper pour réglementer de façon efficace l’économie numérique. Il est essentiel et urgent que les services responsables de la lutte antitrust et de la concurrence acquièrent une compréhension fine de ces technologies en pleine évolution qui vont modeler notre avenir. Cela supposera d’investir pour renforcer les compétences techniques nécessaires aux agents chargés de la réglementation et de son application pour comprendre la technologie de la chaîne de blocs et pouvoir détecter et décourager la collusion.
Les cadres juridiques devront évoluer avant qu’ils ne deviennent obsolètes, de façon à prendre en compte les risques énumérés précédemment. Dans le même temps, il est important de faire en sorte que la législation ne sape pas l’investissement et l’innovation technologique. Apporter des réponses à ces besoins contradictoires est l’un des enjeux pour l’avenir.
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