F.F. Korten
Frances F. Korten est adjointe au Représentant de la Fondation Ford à Manille (Philippines).
Analyse de la contribution croissante des organisations no'' gouvernementales (ONG) à l'élaboration des politiques et programmes forestiers.
L'opinion publique s'intéresse depuis peu à la foresterie, qu'elle jugeait naguère technique et lointaine. Dans les pays développés comme dans les pays en développement, cet intérêt est dû à une prise de conscience croissante du rôle des forêts, non seulement comme source de bois destinée à satisfaire les besoins de la société, mais aussi comme instruments régulateurs de l'équilibre écologique local cl mondial, réservoirs de diversité biologique et moyens de subsistance pour des groupes autochtones et d'autres populations marginalisées. Les forêts étant de plus en plus menacées par les familles d'agriculteurs avides de terres, l'exploitation du bois et des projets de développement visant des objectifs aussi divers que la construction de barrages hydroélectriques ou l'aménagement de terrains de golf, le secteur forestier professionnel se trouve impliqué dans une controverse de plus en plus vive.
Depuis des années, le secteur forestier professionnel est dominé par trois acteurs principaux: les organismes gouvernementaux chargés des forêts, qui déterminent les politiques et réglementent l'exploitation des forêts; les écoles forestières, qui ont mis au point une science de l'exploitation et de la conservation des forêts et fournissent aux gouvernements et à l'industrie un flux régulier de spécialistes des forêts: et les industries forestières qui appliquent la foresterie et les technologies de traitement du bois pour créer des emplois, du capital et des produits. Dans les pays en développement, les deux dernières décennies ont vu apparaître d'autres acteurs - les organismes d'aide internationale et les banques multilatérales qui, directement ou indirectement, exercent une influence considérable sur le secteur forestier.
Les forêts suscitant depuis peu un intérêt croissant, un nouveau type d'organisation figure parmi ces protagonistes. Dans des négociations à un niveau aussi élevé que le Programme d'action forestier tropical (PAFT), comme au niveau très concret d'un village péruvien, les ONG jouent un rôle de plus en plus critique dans l'élaboration des politiques et programmes forestiers.
La diversité des ONG rend leurs relations avec le secteur forestier relativement complexes. Les ONG diffèrent, en effet, par leur champ d'action (local, national ou international), leur orientation financière (elles ont ou non un but lucratif), les particuliers à l'égard de qui elles sont responsables en dernier ressort, les questions qui les intéressent et leur rôle dans le traitement de ces questions. Le présent article s'intéresse essentiellement aux organisations bénévoles (c'est-à-dire aux ONG à but non lucratif, motivées par un certain sens des valeurs et de leur mission), par opposition aux entreprises chargées d'un service public (qui réagissent avant tout à une demande).
En règle générale, les ONG partagent une ambition commune qui consiste à répondre à des besoins que d'autres institutions ne parviennent pas à satisfaire (Brown et Korten, 1991). Comme elles s'intéressent surtout aux questions qui n'ont pas encore trouvé de solution satisfaisante, elles sont enclines à proposer des solutions novatrices à d'importants problèmes, ce qui leur vaut une image de trouble-fête prêts à bouleverser les méthodes éprouvées d'institutions plus anciennes.
Dans le secteur forestier, les ONG ont une perspective distincte due en partie au fait qu'elles ne partagent pas avec les institutions traditionnelles du secteur leur préoccupation dominante pour le bois d'uvre. Certaines ONG s'intéressent à l'environnement et cherchent à protéger les forêts à cause de leur rôle critique dans la conservation de l'écosystème. Dans d'autres cas, c'est la pauvreté - le sort des personnes vivant dans ou à proximité de la forêt et qui en tirent à grand peine leur subsistance - qui attire les ONG vers le secteur forestier. D'autres ONG sont préoccupées de justice sociale, notamment en ce qui concerne les populations autochtones et les habitants marginalisés des forêts, dont la culture et les droits sont piétinés par la société.
Ces préoccupations ne sont pas nouvelles pour le secteur forestier. Des universitaires enseignant dans les écoles forestières et autres contribuent à sensibiliser l'opinion aux problèmes d'environnement, de pauvreté et de justice sociale, et certains dirigeants politiques plaident pour l'adoption de politiques plus responsables. Mais il a fallu du temps pour que ces besoins fassent partie intégrante du programme des principales institutions forestières et, dans le monde réel du pouvoir et de la politique, ils ont souvent été sacrifiés. Les ONG se sont ainsi retrouves en première ligne pour défendre ces besoins sacrifiés. Compte tenu de leur indépendance et de leurs dimensions relativement réduites, les ONG sont souvent en mesure de prendre des positions plus controversées, d'agir plus rapidement et d'innover plus facilement que des organisations plus importantes et plus traditionnelles.
Les besoins que défendent les ONG les gens et la faune sauvage, le sol et l'eau, la durabilité et la justice - ont pris un caractère d'urgence aujourd'hui où le monde commence à comprendre que l'humanité a accaparé l'espace écologique de la planète pour satisfaire ses besoins et qu'une exploitation aussi insouciante aura, à plus ou moins long terme, des conséquences catastrophiques pour toute l'humanité.
A une époque où les questions écologiques et sociales lices aux forêts et à la foresterie font les gros titres des journaux, la crise de plus en plus aiguë aiguillonne les ONG, influence l'opinion publique et encourage les penseurs novateurs du secteur forestier traditionnel. Ce sont ces forces qui ont permis aux ONG de se faire admettre et respecter par le secteur forestier.
RÔLES ET CONTRIBUTIONS DES ONG Qu'ont fait les ONG pour obtenir cette reconnaissance? Tout d'abord, elles ont mis en cause les postulats traditionnels à la lumière des réalités nouvelles: deuxièmement, elles ont mis au point de nouvelles politiques qui correspondent aux besoins actuels; troisièmement, elles ont travaillé sur le terrain pour mettre en uvre des programmes conformes à leurs préoccupations. A chacun de ces rôles correspond un mode de relation différent entre les ONG et les acteurs traditionnels du secteur forestier.
La relation la plus dérangeante est celle qui découle du premier de ces rôles. Personne n'aime voir contester des postulats et des doctrines établis, et les acteurs du secteur forestier ne font pas exception. Par conséquent, les relations entre les ONG et les forestiers, que ce soit au niveau du gouvernement' de l'industrie, des universités ou des organismes d'aide, sont souvent tendues lorsque les ONG remettent en question les credo de la foresterie.
Des ONG ont eu l'audace de contester le jugement de gouvernements ayant fait passer sous le contrôle de l'Etat des terrains boisés qui relevaient naguère de la juridiction commune ou locale. Dans beaucoup de pays, de vastes superficies ont été déclarées forêts domaniales, alors qu'elles étaient habitées par des populations dont les ancêtres vivaient là avant même que l'Etat n'existe. Des ONG comme le Centre pour les droits juridiques et les ressources naturelles des Philippines ont contesté la légalité de ces décisions et ont demandé que soit reconnu un droit de propriété ancestrale aux populations qui vivent dans les forêts depuis des temps immémoriaux (La Vina, 1990). Ces ONG, qui comptent généralement parmi leur personnel de jeunes juristes spécialistes des droits de l'homme, commencent à obtenir la reconnaissance de nouveaux droits pour les populations autochtones (Durning, 1991). Leur plaidoyer en faveur de ces populations repose essentiellement sur deux arguments, à savoir le fait qu'elles occupent les lieux depuis longtemps, qui justifierait à lui seul leurs revendications, et les avantages écologiques que présentent la conservation et la gestion des terrains boisés par les populations autochtones.
Les ONG contestent également le bien-fondé de l'exploitation des forêts primaires. Si les taux d'exploitation actuels se maintiennent, font-elles observer, dans quelques décennies le monde aura épuisé la totalité de ses forêts primaires et devra trouver d'autres ressources pour satisfaire ses besoins. Selon elles, il vaudrait mieux organiser dès maintenant cette transition et conserver ce qui reste des forêts primaires, compte tenu de leur intérêt capital sur les plans récréationnel, biologique et culturel.
Pour enrayer la destruction des forêts naturelles primaires ces groupes ont recours à des méthodes très diverses. En Thaïlande, après des inondations et des glissements de terrain catastrophiques attribués à une exploitation excessive des forêts, des ONG comme le Projet pour le redressement écologique et d'autres ONG thaïlandaises particulièrement actives ont réagi incitant avec succès le public à exiger l'interdiction absolue de toute exploitation commerciale des forêts primaires.
Un comité de protection des forêts du sud-ouest du Bengale, Inde
Pour tenter de conserver les forêts, les ONG des pays développés recourent depuis peu à la tactique controversée du boycottage par les consommateurs. Ainsi, un groupe d'ONG des Etats-Unis s'intéressant à l'environnement a menacé de boycotter les produits de la firme Scott Paper qui prévoyait d'installer une énorme usine de pâte et de papier dans les forêts vierges de l'Irian Jaya en Indonésie. Les actions judiciaires sont une tactique courante aux Etats-Unis. Plusieurs groupes américains de défense de l'environnement ont allégué la loi sur les espèces menacées (Endangered Species Aet) pour obtenir des injonctions interdisant l'exploitation de certaines forêts situées dans le nord-est des Etats-Unis et qui abritent la chouette tachetée (Strix occidentalis).
Les ONG ont également pris pour cible les taux de redevance que les gouvernements devraient exiger des concessionnaires d'exploitation de forêts En Indonésie, le principal groupe de défense de l'environnement, Wahana Lingkunga Hidup Indonesia (WALHI), a publié récemment une analyse économique des «loyers», collectés par le gouvernement auprès du secteur forestier. Ce rapport a bénéficié d'une large publicité et suscité des débats passionnés. L'analyse de WALHI montre que le gouvernement récupère de 17 à 22 pour cent de la rente économique potentielle des opérations d'exploitation des forets domaniales. Si l'on compare ce chiffre aux 85 pour cent spécifiés dans les contrats pétroliers du gouvernement, on peut calculer que le manque à gagner du gouvernement, dû à la différence entre ces deux taux, s'élève à 2,5 milliards de dollars des Etats-Unis pour la seule année 1990 (WALHI, 1991).
Cet esprit de contestation a considérablement hérissé le secteur forestier, mais a permis de soulever des questions que toute société préoccupée de durabilité et de justice doit se poser.
A mesure que s'aggravent les crises économiques et sociales liées à la foresterie, les responsables politiques, les universitaires, les organismes d'assistance et même les industriels se montrent de plus en plus sensibles aux arguments des ONG. Aussi, dans de nombreux pays, les ONG se trouvent-elles désormais en mesure d'influencer les politiques forestières.
La création et la protection de parcs et de réserves naturels est un domaine où la collaboration des ONG est de plus en plus recherchée. Par exemple, le Fonds mondial pour la nature (WWF), préoccupé par les risques de disparition de la diversité biologique à Madagascar, a travaillé avec le gouvernement à l'élaboration d'un plan d'action. Publié en 1986, ce plan fixe des priorités claires et propose des programmes concernant les parcs et les réserves naturels du pays. Le WWF a ensuite aidé le gouvernement à organiser la conversion de 3 millions de dollars de dette en investissement écologique, ce qui a permis à la Direction des eaux et forêts de mettre en uvre avec le WWF le plan en question (WWF/Conservation Foundation, 1990).
Les ONG jouent également un rôle très actif dans la formulation ou la modification de politiques garantissant ou protégeant l'accès des populations locales aux ressources forestières. Au Brésil, les ONG ont largement contribué à obtenir ces droits pour les seigneurs d'arbre à caoutchouc. Le Conseil national des saigneurs d'arbre à caoutchouc (organisation locale rendue célèbre par le martyre de son dirigeant Chico Mendez) et l'institut des études amazoniennes (ONG locale composée essentiellement d'activistes pour la défense des droits de l'homme) ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il mette un terme à la destruction des forêts causée par les éleveurs de bétail qui brûlent la forêt pour défricher la terre. Ils ont plaidé pour la désignation d'un nouveau type d'utilisation des terres - la réserve extractive - qui leur donnerait le droit de protéger cette zone tout en l'exploitant de manière durable pour en tirer des produits forestiers non ligneux (Allegretti, 1990). Deux ONG de défense de l'environnement, basées aux Etats-Unis, l'Environmental Defense Fund et le National Wildlife Federation, ont appelé l'attention de la communauté internationale sur cette cause. Dès 1990, le Gouvernement brésilien répondait de manière positive à ces demandes en supprimant les subventions qui avaient encouragé le déboisement et en désignant comme réserves extractives plus de 3 millions d'ha de forêt amazonienne (Anderson, sous presse).
Au niveau international, les ONG jouent également un rôle croissant dans l'élaboration des politiques forestières. Elles participent de plus en plus activement au Programme d'action forestier tropical (PAFT) lancé en 1985 par la FAO, la Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l'institut mondial pour les ressources. A l'origine, le PAFT devait fournir un cadre pour répondre à la crise forestière de plus en plus aiguë, mais beaucoup d'ONG ont estimé qu'il était vicié au départ par le fait que certains de ses auteurs faisaient du bois le problème principal et penchaient pour des prêts internationaux importants. Ces ONG ont critiqué le peu d'attention portée aux questions sociales et institutionnelles et l'appel lancé en faveur d'investissements massifs dans le secteur forestier (Winterbottom, 1990). Ces critiques ont suscité des révisions substantielles du Programme, qui prête plus d'attention désormais aux droits et aux besoins des populations résidant dans les forêts. Certaines ONG, toutefois, estiment que ces modifications ne vont pas assez loin et réclament des révisions supplémentaires (NDLR: voir l'article de Cabarle).
Maintenant que les politiques forestières répondent davantage à leurs préoccupations, les ONG doivent assumer une nouvelle responsabilité d'une importance capitale, à savoir contribuer à l'exécution des programmes et des activités spécifiques liés aux nouvelles politiques. Autrefois, les institutions forestières gouvernementales jouaient un rôle policier et leur personnel était souvent craint par les populations locales. Aujourd'hui, grâce à l'évolution des politiques gouvernementales, ces organismes éprouvent le besoin d'entretenir de nouvelles relations avec les villageois et beaucoup demandent de l'aide aux ONG. En Indonésie, lorsque l'Office national des forêts a décidé d'organiser des groupes d'agriculteurs qui participeraient au reboisement et à l'aménagement des forêts domaniales, il a passé contrat avec Bina Swadaya, importante ONG luttant contre la pauvreté, pour qu'elle forme son personnel aux méthodes de développement communautaire (Seymour, 1990).
Parfois, les ONG réagissent d'elles-mêmes aux occasions que leur offrent les nouvelles politiques. Lorsque les agriculteurs ont obtenu de meilleurs statuts d'occupation des terres boisées appartenant à l'Etat de nombreuses ONG des Philippines ont commencé à aider les communautés agricoles à se familiariser avec les méthodes d'agroforesterie durable (Upland NGO Assistance Committee, I991a). Au Brésil, le Centre de recherche Woods Hole travaille avec les saigneurs d'arbre à caoutchouc pour délimiter les frontières des nouvelles réserves à l'aide de photos prises par satellite, et une ONG locale, EcoTech, collabore avec les saigneurs d'arbre à caoutchouc à la mise au point d'une technologie appropriée pour la transformation des produits forestiers non ligneux provenant des réserves. Cultural Survival, ONG de défense des droits de l'homme basée à Boston, aide les saigneurs d'arbre à caoutchouc à exporter des produits, comme la noix du Brésil, qui sont vendus dans les pays développés sous une étiquette écologique.
Les exemples cités ci-dessus ne représentent qu'un petit échantillon de la large gamme d'activités menées par les ONG dans le monde entier en matière de foresterie. Mais la question qui demeure au centre des préoccupations du secteur forestier, à savoir la satisfaction des besoins de la population en bois, pâte et papier grâce à la production de bois d'uvre, est absente de la plupart des activités des ONG. Poursuivant d'autres objectifs, les ONG ont en général négligé ce besoin légitime. Mais aujourd'hui elles sont de plus en plus nombreuses à essayer de combiner leur intérêt pour les gens et l'environnement et la nécessité de produire du bois d'uvre.
Des efforts sont faits au niveau politique pour encourager, par exemple, le commerce des grumes provenant uniquement de forêts soumises à un aménagement durable. La Rainforest Alliance a établi une liste de critères de bonne gestion pour les opérations d'exploitation forestière et accorde son sceau «Smart Wood» (bois futé) aux exportations de bois dur tropical provenant de sources répondant à ces critères. Les espoirs de rendre ces normes effectives au niveau national ont été réduits à néant par une décision récente du groupe chargé du règlement des différends de l'Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers (GATT). Ce groupe a décidé qu'aucun pays n'a le droit de refuser les produits d'un autre pays en alléguant la méthode de production. Le groupe du GATT voit dans une telle discrimination un obstacle au libre-échange. Cette décision a amené les ONG à passer au crible et à contester les postulats fondamentaux sur lesquels reposent les négociations du GATT (Rainforest Action Network, 1991).
D'autres ONG agissent au niveau communautaire. Les modèles de foresterie communautaire qu'elles ont mis au point commencent à influencer les politiques nationales en matière de production de bois d'uvre. Aux Philippines, par exemple, le Département de l'environnement et des ressources naturelles a invité les ONG à organiser la participation des communautés à son nouveau
Programme de foresterie communautaire, qui encourage les populations vivant en lisière des forêts à inventorier et à gérer les forêts et les grumes dans une perspective durable. Cet effort s'inscrit dans le cadre du plan forestier général du gouvernement, qui prévoit que la foresterie communautaire jouera un rôle important dans la production de bois (DENR, 1990).
Dans la forêt tropicale de Palcazu au Pérou, une ONG costa-ricienne, le Centro Científico Tropical, et le Ministère de l'agriculture participent avec les Indiens Amuesha à un projet pilote qui consiste à couper le bois sur des bandes étroites (technique appelée coupe blanche par bandes, mise au point par un projet du gouvernement avec l'assistance de l'Agence pour le développement international ), de façon à faciliter la régénération rapide de la forêt et à utiliser des animaux pour extraire les grumes afin de minimiser les dégâts causés aux forêts (Cabarle, 1991; Hartshorn, Simeone et Tosi, 1987). En Inde, le Gouvernement du Bengale occidental encourage la constitution de comités villageois de protection des forêts, qui bénéficient d'avantages directs, dont le droit d'utiliser les produits ligneux non forestiers et un accord de partage avec le gouvernement pour l'exploitation durable de la forêt de sal (Shorea robusta) au terme d'une rotation de 10 à 15 ans (Malhotra et Poffenberger, 1989).
Ces programmes fondent leurs espoirs sur le fait que les communautés locales sont tributaires des forêts pour la satisfaction de besoins fondamentaux comme l'eau, le combustible, le fourrage et les matériaux de construction. Ces groupes, qui ont tout intérêt à ce que la forêt survive, devraient exercer leurs nouvelles responsabilités avec plus de sérieux que ne le font les grands concessionnaires, qui vivent généralement fort loin des forêts qu'ils exploitent. La réussite de ce type d'entreprise au niveau local dépendra en partie de la capacité des ONG à constituer des organisations communautaires solides et à leur inculquer une vision à long terme de l'avenir.
Le présent article révèle que les ONG sont devenues de plus en plus efficaces pour ce qui est de faire reconnaître les statuts d'occupation traditionnelle, obtenir le droit d'utiliser les terrains boisés au nom des populations locales, promouvoir l'agroforesterie, faciliter la commercialisation des produits forestiers ligneux et encourager l'exploitation durable des grumes. Il est probable que leur rôle dans la contestation des hypothèses de départ, l'élaboration de nouvelles politiques et l'exécution des programmes ne fera que s'amplifier dans les années à venir.
Il faut s'attendre que les ONG commencent à contester des postulats encore plus fondamentaux, puisque l'on sait désormais que pratiquement toutes les activités humaines ont de vastes répercussions sur l'environnement et la société, sur une planète dont la viabilité écologique est menacée. Lors du forum des ONG qui s'est tenu en même temps que la réunion annuelle de 1991 de la Banque mondiale à Bangkok, certaines ONG, qui s'étaient contentées jusque-là de critiquer des projets spécifiques de la Banque mondiale, ont commencé à mettre en cause le modèle général de développement prôné par la Banque. Elles se sont inquiétées de ce que la promotion de la libéralisation des échanges, les investissements étrangers et la création d'une dette extérieure risquent dans bien des cas d'accélérer un type d'exploitation des ressources naturelles extrêmement dangereux pour l'environnement et pour les populations (People's Forum, 1991).
Les ONG vont aussi probablement élargir le champ de leurs préoccupations en matière d'élaboration de politiques forestières. Par exemple, les ONG ont convaincu récemment le Gouvernement philippin de les inclure dans le nouveau Comité de coordination du secteur forestier, où elles participeront avec les industriels et de hauts fonctionnaires à l'examen de toutes les politiques forestières et non pas seulement celles lices aux programmes communautaires sur lesquels portait précédemment l'essentiel de leurs efforts.
En ce qui concerne l'exécution des programmes, les ONG vont sans doute être de plus en plus sollicitées par les gouvernements, notamment pour ce qui est d'aider les villageois qui vivent à proximité des forêts et de protéger un environnement menacé. En 1990, le Ministère indien de l'environnement et de la foresterie a publié des instructions encourageant tous les départements chargés des forêts domaniales à collaborer avec les ONG à la constitution de comités villageois de protection des forêts dans tout le pays (Poffenberger, Bhatia et McGean, 1990). Une telle invitation a de quoi intimider même des ONG aussi actives que les ONG indiennes.
Cette reconnaissance du secteur forestier entraîne bien évidemment des difficultés et des dangers. Les ONG qui continuent à remettre en cause les hypothèses de départ devront réfléchir avec soin aux solutions de rechange qu'elles proposent et à d'éventuels effets négatifs de ce qui semble à première vue une amélioration par rapport aux politiques actuelles. En ce qui concerne l'élaboration des politiques, elles devront veiller à considérer non seulement les besoins humains et écologiques propres aux zones boisées, mais aussi les besoins en produits ligneux au-delà des zones forestières. Elles devront apprendre à faire des compromis, sans perdre pour autant leur idéalisme et leur intégrité et tout en essayant de satisfaire le tissu complexe des intérêts sociaux. Elles devront trouver le moyen de rester en contact avec les réalités locales, tout en agissant de plus en plus à un niveau politique élevé. En ce qui concerne l'exécution des programmes, elles devront poursuivre de nouvelles stratégies afin d'accroître spectaculairement leur impact, non seulement en multipliant le nombre d'ONG, mais en encourageant la participation spontanée des villageois grâce à des politiques appropriées, à des échanges entre les populations et à la constitution de fédérations autonomes d'organisations populaires.
Le succès engendre presque toujours de nouveaux dangers. L'un des plus évidents est celui de susciter des espoirs excessifs. Si les ONG ont obtenu des succès remarquables dans certaines communautés, leur influence est encore assez ponctuelle et leur rôle est ténu, voire inexistant, dans certains pays. Les gouvernements et les organismes d'assistance ne peuvent pas espérer confier aux ONG, qui n'ont pas l'infrastructure massive ni le financement assuré des agences gouvernementales, la tâche fondamentale de toucher systématiquement l'ensemble du pays. Le gouvernement et les ONG devront au contraire associer leurs efforts, le gouvernement fournissant aux ONG davantage de possibilités d'exercer leur rôle distinctif sans les accabler de tâches qui reviennent plutôt aux gouvernements (NDLR: voir l'article de Maniates).
Le sens même des ONG est menacé par des politiques qui encouragent la formation de groupes se présentant comme des ONG, mais qui sont essentiellement des organisations à but lucratif, par opposition à des organismes de développement. Des programmes mal conçus qui mettent à la disposition des ONG des fonds importants constituent une menace particulière. L'imprécision même du terme ONG secteur défini par ce qu'il n'est pas encourage de telles déviations et risque de diluer les contributions qui ont permis aux ONG d'être reconnues par le secteur forestier.
Une situation de ce type s'est produite récemment aux Philippines. Grâce à un prêt d'un montant de 240 millions de dollars accordé par la Banque asiatique du développement et par le Gouvernement japonais au secteur forestier, les ONG ont été incitées à demander des contrats pour reboiser les zones dénudées. Dès que la nouvelle s'est répandue que ces fonds étaient disponibles, de nombreux groupes se sont constitués, se présentant comme des ONG, mais qui cherchaient essentiellement à gagner de l'argent grâce à ce contrat. Beaucoup d'entre eux ont réussi à réaliser leurs objectifs à court terme en ce qui concerne la plantation d'arbres, mais leurs relations avec les populations vivant à proximité des zones reboisées laissaient à désirer, de même que le pronostic de survie à long terme des arbres plantés (Upland NGO Assistance Committee, 1991b).
Les programmes qui encouragent la formation de «fausses» ONG constituent un danger qu'il est difficile, mais crucial, de prévenir si les ONG veulent continuer à contribuer de la manière qui leur est propre à l'avènement d'un monde plus durable et plus juste. Pour faire face à ces dangers, tous les protagonistes doivent prendre leurs responsabilités. La situation exige notamment une réaction organisée de la part des ONG véritablement orientées vers le développement. Dans le cas du programme philippin, le Upland NGO Assistance Committee, consortium de sept ONG et groupes universitaires actifs dans le secteur forestier, a bien réagi. Il a commandé des études sur le problème, en a analysé les résultats au cours d'un atelier avec des responsables gouvernementaux et a constitué une équipe spéciale à laquelle participe le gouvernement pour modifier les politiques du programme. Les nouvelles politiques encouragent le gouvernement à signer des contrats pour la plantation, l'entretien et l'exploitation des arbres directement avec les populations vivant dans les zones reboisées. Le rôle des ONG a donc évolué, passant d'un rôle d'exécutant direct du reboisement à un rôle d'appui à la formation d'organisations populaires susceptibles d'obtenir ces contrats. On s'attend que, une fois les ONG confinées dans un rôle d'appui, la valeur des contrats qu'elles obtiendront diminue, de même que l'intérêt de ceux qui ne partagent pas véritablement leur engagement à l'égard des populations et de l'environnement.
Les institutions traditionnelles du secteur forestier - gouvernement industries et universités - collaborent de plus en plus avec les nouveaux partenaires que sont les ONG. Les relations peuvent être assez tendues lorsque les méthodes traditionnelles sont soumises à un examen critique. Dans d'autres cas, les relations sont amicales et visent à trouver des solutions novatrices à des problèmes naguère négligés. A mesure que notre monde subit de nouvelles pressions démographiques et de nouvelles menaces écologiques, l'attention que portent les ONG aux questions d'environnement, de pauvreté et de justice sociale sera de plus en plus nécessaire, voire vitale. Une expansion de leur rôle à l'échelon local, national et international est à prévoir. Toutefois, elles ne peuvent pas assumer à elles seules les fonctions vitales des institutions établies du secteur forestier. Celles-ci devront donc apprendre à tirer parti de l'indépendance et de la souplesse des ONG, sans les accabler de tâches déraisonnables.
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