F. FRASER DARLING
Ce document de travail a été préparé pour la Conférence intergouvernementale d'experts sur les bases scientifiques de l'utilisation rationnelle et de la conservation des ressources de la biosphère, tenue à Paris du 4 au 13 septembre 1968. Il a été rédigé sur la base du projet présenté par M. F. Fraser Darling (Royaume-Uni), compte tenu des observations et des additions proposées par le professeur Vladimir Sokolov (U.R.S.S.), le professeur Frederick Smith (Etats-Unis d'Amérique), le professeur François Bourlière (France) et les secrétariats de l'UNESCO et de la FAO.
Les effets multiples que la présence physique et l'activité de l'homme ont eus sur la surface de la planète Terre au cours de la relativement brève histoire humaine tendent à prendre un caractère dynamique et à réagir les uns sur les autres; il est néanmoins utile d'essayer de les classer pour mieux comprendre les facteurs temporels et spatiaux en cause. Le monde qui existait avant que l'homme connaisse l'outil et le feu était un immense réservoir de ressources naturelles, organiques et minérales. Mais s'exprimer ainsi, c'est mettre la charrue devant les bufs: les richesses naturelles ne sont devenues des ressources que depuis que l'homme non seulement existe, mais est devenu capable de les utiliser. L'aptitude à reconnaître, à mettre en exploitation et à utiliser des ressources naturelles est un processus continu, et nous avons aujourd'hui une assez bonne connaissance archéologique et historique des rythmes d'exploitation qui ont prévalu dans différentes régions du monde, des brusques changements de rythme et de style qui ont résulté des mutations de la condition humaine, et de l'accélération prodigieuse de la vitesse à laquelle s'opèrent les changements depuis une centaine d'années. Nous sommes convaincus que l'ingéniosité de l'homme a pris le pas sur sa sagesse mais nous ne devons pas commettre l'erreur de croire qu'il serait sage d'exprimer nos idées en agitant constamment un doigt réprobateur et en secouant négativement la tête à la façon du prophète Jérémie. La civilisation est la fleur de l'évolution, mais elle n'aurait pu s'épanouir si l'homme ne s'était procuré les loisirs nécessaires à la réflexion et n'avait acquis une certaine liberté d'action en réussissant à utiliser pour ses besoins une part plus grande des richesses naturelles que ne l'exigeait sa simple subsistance.
Depuis les débuts de la civilisation, l'homme a modifié les processus naturels de son milieu en puisant dans les réserves organiques des écosystèmes de la planète. Allumer un feu de branches mortes pour avoir chaud, c'est déjà modifier un processus naturel de décomposition, qui aurait reconstitué de l'humus pour produire des cendres inorganiques. Pendant longtemps, l'homme est sans doute resté comparable à un animal indigène dont l'activité ne peut provoquer que des changements limités, mais au moment où s'est produite la grande poussée de la révolution néolithique, l'homme, qui vivait de chasse et de cueillette, avait déjà modifié plus ou moins involontairement certaines parties de son univers par l'usage du feu. Il importe d'avoir présent à l'esprit, lorsqu'on analyse l'influence de l'homme sur la biosphère, le fait que l'impact de l'espèce humaine dépasse de beaucoup le contact immédiat: un incendie se propage et modifie un complexe de végétation ou bien le feu sert à rabattre un troupeau de gros gibier, ce qui entraîne un gaspillage énorme de matières organiques pour l'obtention d'un avantage momentané, ou encore on brûle l'herbe saisonnièrement pour pousser les animaux vers de nouveaux pâturages, ce qui appauvrit inévitablement l'habitat. L'homme agissait dans une certaine mesure sur le comportement des animaux sauvages grâce à ces expédients, qui modifiaient lentement son propre habitat comme le leur.
Les hommes étaient si peu nombreux et le monde apparemment si vaste qu'il aurait alors été étrange de s'interroger sur le sort des richesses naturelles. Même au siècle actuel, des hommes ont estimé que leur devoir était de faire reculer le désert et se sont enorgueillis d'y être parvenus. A celui qui étudie la condition humaine, le principe de la protection de la nature peut paraître évident, mais il admet que la civilisation se paye par le sacrifice d'importantes richesses naturelles. A quelle époque se place le moment critique où l'homme devrait prendre plus clairement conscience de la situation, ce qui l'amènerait à cesser l'exploitation pure et simple de la nature et à combiner l'exploitation et la reconstitution des ressources? Il est possible que ce moment soit maintenant venu, bien que dans l'ensemble la planète continue de s'appauvrir. On peut même se demander si une reconstitution est encore possible, ou bien si l'enchaînement des causes et des conséquences, prenant une ampleur croissante, est arrivé à un point qui échappe à notre contrôle?
Il vaut la peine d'essayer de classer les effets de l'action de l'homme sur la biosphère, peut-être dans un ordre évolutif et qualitatif qui pourrait rester souple et permettre, après révision, d'établir un diagramme écologique de facteurs interdépendants. On pourrait ainsi le développer largement et en modifier l'économie. L'impact de l'homme ne doit pas être considéré comme étant nécessairement préjudiciable à son bien-être final, même si c'est le plus souvent le cas. Certains habitats modifiés par l'homme peuvent constituer des écosystèmes égaux ou supérieurs aux systèmes naturels du point de vue de la productivité et de l'enrichissement. Par enrichissement, il faut entendre ici le stockage de capital organique dans un sol de forêt tropicale ou de prairie (tchernoziom).
Nous nous sommes efforcés aussi de définir les nouveaux problèmes posés par l'accélération du développement, et d'énumérer les diverses mesures prises jusqu'à ce jour par l'homme pour éviter la détérioration du milieu.
L'impact de l'homme sur la biosphère, autrefois et aujourd'hui
LA RECHERCHE DE NOURRITURE
La chasse aux animaux par le feu
Le feu a été utilisé pour la chasse aux animaux, provoquant incidemment la destruction de forêts et empêchant leur reconstitution dans une large mesure. Certes, les savanes ainsi créées, comme dans certaines régions d'Afrique, peuplées d'une riche faune d'ongulés, peuvent donner naissance à un milieu écologique très productif en matières organiques. Mais les savanes du Brésil et de la Guyane semblent très nettement perdre de leur valeur qualitative. Est-ce parce qu'elles ne portent qu'un ensemble limité d'ongulés par comparaison avec celles d'Afrique? En Amérique du Nord, les Indiens avaient étendu les terrains de parcours des bisons en incendiant la forêt; les prairies humides ainsi créées conservaient une productivité extrêmement élevée, et il s'y accumulait d'immenses réserves de sols fertiles.
Parfois aussi, le terrain est brûlé volontairement pour obtenir de l'herbe fraîche, ce procédé appauvrit la flore originelle et bouleverse en conséquence les possibilités d'adaptation du pâturage aux variations saisonnières du climat. On peut citer comme exemple la production de pelouses à Molinia et à Scirpus dans les hautes terres d'Ecosse et l'élimination progressive de l'herbe, remplacée par une brousse à acacia et à lantanier dans certaines régions d'Afrique, et à mesquite (Prosopis) dans le sud-ouest de l'Amérique du Nord. De nombreuses et importantes variantes se produisent, selon la fréquence de l'écobuage et, notamment dans les pays tropicaux, le moment où se pratique cette opération par rapport à la saison sèche et à la, saison humide.
L'agriculture sédentaire
L'agriculture sédentaire, par opposition à l'agriculture itinérante, tend à épuiser le sol quand on néglige sa reconstitution ou que celle-ci est impossible, ou à le rendre aride si d'énergiques mesures de compensation ne sont pas prises. En Angleterre, les terres épuisées dites brecks résulteraient de leur mise en culture à l'époque néolithique. La «cuvette de poussière» (dust bowl) des Etats-Unis entre 1930 et 1940 a montré à quoi pouvait aboutir une exploitation continue sans reconstitution appropriée, quand plusieurs années de sécheresse se succèdent. D'une façon générale, l'agriculture doit maintenir le taux de matières organiques du sol, sinon celui-ci se durcit ou est emporté par le vent. Mais on peut donner de nombreux exemples d'une agriculture sédentaire qui s'est poursuivie avec succès pendant des siècles dans des conditions écologiques différentes, notamment en Extrême-Orient, dans le Proche-Orient, dans le bassin Méditerranéen et en Amérique centrale. L'exemple de l'ancien Néguev prouve l'efficacité des mesures de conservation de l'eau; leur abandon avait provoqué une détérioration presque complète de l'habitat.
L'agriculture itinérante
Les partisans de la conservation de la nature ont généralement tendance à condamner sans appel l'agriculture itinérante comme toujours préjudiciable à l'habitat. On peut cependant citer des cas où cette pratique accentue la variété et produit d'utiles effets marginaux (création d'écotones) pourvu que la population humaine soit peu nombreuse. Le système chitemene utilisé en Afrique centrale en est un bon exemple: les jardins ne dépassent pas une quarantaine d'ares et, comme ils sont entourés par la brousse et situés sur un terrain relativement plat, ils retournent bientôt à la brousse après trois à cinq ans d'exploitation; ils restent ensuite incultes pendant une quarantaine d'années. Dès leur abandon, les jardins sont envahis par des colonies de rats Tatera alors que le sol est encore meuble et friable. Pendant une année ou deux, ces rats, que capturent les jeunes garçons, constituent un apport secondaire de protéines. Ensuite, la brousse se rétablit progressivement et reconstitue le sol. Les méthodes agricoles des hanounoos aux Philippines fournissent un autre bon exemple de culture itinérante perfectionnée qui assure la conservation du sol.
Quand la population humaine augmente, la brousse doit être remise en culture trop tôt, ce qui entraîne une détérioration de l'habitat. Les cultures itinérantes pratiquées sur de fortes pentes sont presque toujours condamnables et sur certaines formations géologiques, comme les calcaires, la pratique du milpa peut aboutir rapidement à des résultats désastreux. La culture itinérante est le fléau de l'Amérique centrale et du nord de l'Amérique du Sud, où la pénurie de terres que provoque l'accroissement rapide de la population crée un enchaînement difficile à rompre. L'érosion a des effets à long terme sur de bien plus grandes étendues de pays parce qu'elle compromet l'équilibre hydrologique.
L'irrigation
L'irrigation est un procédé de mise en valeur très ancien et encore très répandu; mais lorsqu'il s'agit de travaux à grande échelle, l'amélioration ou le maintien de la fertilité du sol sur une longue période pose de nombreux problèmes. Comme l'irrigation intéresse souvent des régions arides où une forte évaporation a favorisé la concentration de sels dans le sol, elle tend à dissoudre ces sels et à les redéposer ensuite sous forme d'une croûte cristalline. Le réemploi de l'eau d'irrigation, comme dans le cas des eaux du Colorado, peut transformer des sols fertiles en sols salins et les rendre inutilisables aux niveaux inférieurs. C'est ce qui s'est; également produit pour la Bear River (Utah), ainsi que dans le cas du vaste programme du Sind. Une irrigation judicieuse, ou bénéficiant peut-être de circonstances favorables, utilise l'eau de pluie et, lorsque celle-ci est assez abondante, elle parvient à lessiver les sols, particulièrement salins des régions arides où elle est employée. Les travaux de la Gezireh, au Soudan, constituent un excellent exemple de ce cas: l'économie du pays a été considérablement améliorée par l'emploi des eaux non salines du Nil bleu (qui coule à une altitude plus élevée que le Nil blanc) captées pour être distribuées dans le triangle de la Gezireh. L'eau utilisée s'écoule dans le Nil blanc du côté le plus bas du triangle; le débit de ce fleuve est suffisant pour que ses eaux ne soient pas sensiblement salinisées par celles du Nil bleu qui traversent la Gezireh.
FIGURE 2. - L'agriculture itinérante en terrain escarpé. Province de Valdivia (Chili).
Surpâturage et surbroutage par les animaux domestiques
Lorsque le bétail est domestiqué, la sédentarisation limite ses mouvements, ce qui aboutit souvent au surpâturage. Un choix judicieux de différentes espèces d'animaux domestiques selon les conditions climatiques contribue au maintien de l'habitat; mais un équilibre judicieux peut être facilement bouleversé par les fluctuations des conditions naturelles. Il faut apprendre à utiliser rationnellement les pâturages; mais il peut arriver que les méthodes apprises ne soient pas généralement appliquées. Même les méthodes perfectionnées d'une station de recherches modernes peuvent se révéler insuffisantes, comme cela s'est produit pour le renne, en Alaska, où la dégradation a progressé plus vite que la recherche et a provoqué à la fois l'épuisement des pâturages et la diminution brutale du troupeau. A l'époque moderne, l'exploitation abusive des pâturages dans les pays d'Afrique aux mains des Européens et dans certaines parties de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, ainsi que des prairies à herbe courte d'Amérique du Nord, a rapidement provoqué une détérioration du sol.
Le nomadisme d'origine pastorale
Ce nomadisme mérite de retenir l'attention, car il est très facile à bouleverser ou à interrompre, au détriment de l'habitat. Il se pratique sous sa forme idéale dans les régions steppiques du globe et est alors le moins dommageable. Pour que la conservation de l'habitat soit assurée, il doit être essentiellement en mouvement.
En effet, dès que le nomade s'attache à l'excès, il met à rude épreuve le complexe floral, en l'appauvrissant par réduction du nombre des espèces. Les plus belles régions de nomadisme du monde furent les plaines de tchernoziom, comme celles du Kouban, que parcouraient les Scythes au temps d'Hérodote. La mobilité de ce peuple, qui ne vivait qu'en perpétuels déplacements, exaspérait Darius. Les nomades étaient tributaires des produits animaux, dont ils tiraient leur nourriture et leurs vêtements; comme consommateurs de protéines, ils constituaient une élite écologique, située au sommet de la pyramide ou chaîne alimentaire. Lorsque leur nombre s'accroissait, des familles, des clans ou des tribus entières étaient contraints d'essaimer. Nous connaissons par l'histoire certaines de ces effrayantes migrations de nomades. Ils utilisaient alors des steppes de moins bonne qualité, des lisières forestières sur les chaînes de montagnes, ce qui modifiait lentement mais inévitablement le milieu, d'ordinaire dans le sens d'une détérioration.
La transformation des steppes de tchernoziom, de productrices de protéines (bétail domestique en Ukraine et au Kouban, bisons dans la prairie américaine) en productrices essentiellement de glucides (blé et mais), a correspondu à un abandon par l'homme de sa position aristocratique sur le plan écologique. L'homme a remplacé désormais une communauté complexe de graminées par la monoculture d'une céréale annuelle, blé ou mais, dont il peut consommer la graine. Ainsi la riche steppe peut-elle nourrir une population beaucoup plus nombreuse, grâce au fait que des bouches humaines remplacent celles des chevaux, du gros bétail et des moutons; mais l'équilibre antérieur du système se trouve rompu. Le grain prélevé n'étant pas consommé sur place comme autrefois les produits animaux, il en est résulté une perte considérable de matières organiques. Le même phénomène s'est produit en Amérique du Nord, quand la culture a remplacé l'association Indien-bison. Les tchernozioms d'Amérique et d'Europe ont bien résisté à l'agriculture «extractive» à laquelle ils ont été soumis et il est probable que de judicieuses méthodes de culture permettront de les conserver en bon état; mais une «révolution de la charrue» de ce genre s'étend toujours à d'autres terres que celles qui peuvent le mieux la supporter. La culture sèche du blé a été pratiquée sur des steppes plus hautes, plus pauvres et plus arides, avec des conséquences désastreuses.
Partout où des populations sédentaires ont empiété sur les pâturages de nomades, il y a eu une dégradation de l'habitat, dont on a toujours fait grief aux nomades. Pourtant le nomadisme, système pastoral rigoureusement équilibré, est la moins traumatisante de toutes les influences humaines et constitue une forme d'exploitation qui permet de tirer profit de régions que l'homme ne pourrait utiliser d'aucune autre façon. C'est un système de structure essentiellement écologique, fondé sur le mouvement et l'exploitation saisonnière au moyen d'une large gamme d'animaux pâturants, dont l'adaptation à des habitats aux caractéristiques bien connues permet de produire beaucoup d'énergie sans perte de matière organique.
Le nomadisme a toujours un caractère fragile: les changements politiques apparemment peu importants le dépouillent des habitats nécessaires. Les Masaïs d'Afrique orientale sont une tribu nilotique qui occupait primitivement des terres humides et qui a été transplantée dans un pays de hautes steppes sèches. Cependant, disposant de connaissances exactes et précises, elle n'a pas détérioré son habitat jusqu'au moment où l'homme blanc a réduit par sa magie vétérinaire la mortalité qui maintenait autrefois l'effectif des troupeaux à un niveau compatible avec les ressources du sol. Les Masaïs et leur pays sont un bon exemple de parfaite harmonie entre le nomadisme et la population animale indigène. La faune sauvage, tolérée et respectée, continuait d'exister à côté des troupeaux d'animaux domestiques. Cette harmonie a probablement été réalisée d'abord dans le pays d'origine des Nilotiques, au Bahr-el-Ghazal, par exemple, où les Dinka admettent la présence de girafes dans leurs troupeaux de gros bétail. Les Nilotiques pratiquent un nomadisme saisonnier restreint entre la toich (plaine herbeuse inondable) et la brousse légèrement plus élevée où se rendent leurs troupeaux pendant la saison humide. Les connaissances pratiques et empiriques des Dinka, et leur disposition à vivre dans leur riche pays en respectant l'écosystème existant, sont illustrées en outre par le fait qu'ils tolèrent dans leurs toits de chaume la présence d'un petit serpent venimeux qui empêche les insectes de se multiplier à l'excès. Même dans ce paradis de l'élevage en symbiose, le progrès moderne et les bouches affamées d'autres régions imposent la culture du riz, l'élimination du gibier et l'apparition des consommateurs de glucides au ventre gonflé, mais inassouvi.
Nous terminerons cette section en citant un exemple de nomadisme allié au pouvoir politique et rendu juridiquement assez puissant pour dévaster un pays entier. Il s'agit du cas de la Mesta, association d'éleveurs de moutons transhumants qui existait en Espagne. Ferdinand et Isabelle conclurent avec elle une alliance avantageuse pour la couronne. Les troupeaux de moutons mérinos traversaient les terres cultivées et il devint même illégal d'élever des clôtures pour les en écarter. Il a fallu près de 200 ans au peuple espagnol pour vaincre la Mesta; mais les montagnes d'Espagne sont restées jusqu'à ce jour dénudées.
APPAUVRISSEMENT ACTIF DES RESSOURCES NATURELLES VIVANTES RENOUVELABLES
Le déboisement
Le déboisement existe depuis les temps les plus reculés et c'est probablement le type de changement d'habitat sur lequel on est le mieux renseigné. Le premier effet d'un déboisement limité est d'enrichir l'habitat en faisant intervenir un changement dans une situation où le changement était rare ou inexistant. Une clairière est recherchée par nombre d'animaux pâturants. Aux époques primitives et ultérieures, l'homme que la forêt encerclait complètement finissait par se trouver dans un état psychologique qui le contraignait à repousser la forêt et à en desserrer l'étau. L'horror sylvanum médiévale était très réelle et l'homme moderne, qui vit dans un monde où les forêts sont devenues rares, ne doit pas l'oublier s'il veut comprendre l'histoire.
Les Anglo-Saxons qui colonisaient une Grande-Bretagne formée d'«îles» de terres cultivées et de pâturages que reliaient des routes traversant un véritable océan de forêts ne savaient pas seulement manier des outils et travailler le bois; ils avaient en outre un remarquable sens de l'écologie. Pour créer à long terme de nouvelles terres arables, ils utilisaient, dans les forêts de chênes et de hêtres, ce qui équivaut sur le plan biologique à la charrue ou à une machine à essarter: le groin de troupeaux de porcs, descendants du sanglier d'Europe. Ces animaux récoltaient la glandée et, par un effet de concentration, empêchaient la régénération de La forêt. Lorsque les arbres étaient enfin abattus, l'herbe poussait sur la terre que les porcs avaient «cultivée»; des clairières ou des pelouses étaient ainsi créées, prêtes pour le laboureur. En Angleterre, pays tempéré et humide, l'évolution du système biologique forestier au système de l'herbage, avec quelques arbres çà et là, se fit sans grande perte de matières organiques, l'énergie libre produite étant vraisemblablement presque égale à celle de la forêt; de toute façon, elle était certainement mieux utilisée pour l'alimentation humaine.
Le fait que l'exportation des ressources naturelles tend à épuiser celles-ci a été l'objet de nombreuses études. Les forêts de chênes d'Angleterre n'ont pas toutes été abattues par la hâche des premiers Anglo-saxons. L'essor de l'Angleterre comme puissance maritime a entraîné le sacrifice de nombreux arbres; de même l'utilisation du fer a nécessité beaucoup de bois pour fondre le métal. Au début du XVIIe siècle, l'abattage des arbres fit en Angleterre l'objet de mesures restrictives. Les maîtres de forges se tournèrent alors vers les forêts d'Ecosse occidentale où les lochs permettaient aux vaisseaux chargés de minerai de fer de pénétrer profondément dans les forêts de pins d'Ecosse, où les vallées étaient riches en chênes. La dégradation fut rapide en raison des fortes précipitations, de l'acidité des sols et de la raideur des pentes. La Forestry Commission s'efforce aujourd'hui de réparer ces dégâts, mais cette opération se révèle très coûteuse étant donné que l'humus actif a disparu depuis longtemps des pentes jadis boisées.
L'abattage intensif des forêts d'Amérique du Nord est peut-être à l'origine des idées sur la conservation. Fairfield Osborn a déclaré en 1948 au sujet des Etats-Unis: «La manière dont notre nation a utilisé au cours du siècle dernier les forêts, les herbages, la faune sauvage et les ressources en eaux constitue le cas le plus radical de destruction que l'on connaisse dans la longue histoire de la civilisation. La rapidité des événements a été sans égale.» Un pareil exemple de destruction trouve peut-être sa contrepartie dans l'apparition aux Etats-Unis de la théorie et de la pratique de la conservation. De même, l'Afrique prend conscience, souvent à la suite de cas de destruction des ressources ou de dénudation du sol, de la nécessité de mes ares de conservation.
Sur un mode plus optimiste, signalons que le projet spécial pour l'Afrique exécuté conjointement par l'Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources et par la FAO a peut-être entraîné, comme d'ailleurs la conférence tenue à Arusha en 1961, un changement d'attitude à l'égard de la conservation dans les autres pays d'Afrique.
L'abattage des forêts tropicales est un exemple d'exploitation purement «extractive». Les quantités massives et impressionnantes de matières organiques qu'accumule cette forme de vie, la plus ancienne de la planète, tendent à en masquer la fragilité. Comme la plupart des formes de végétation forestière, la sylve tropicale est essentiellement une usine de photosynthèse de la cellulose, les protéines ne constituant qu'un produit très secondaire. Le sol de la forêt tropicale est à l'abri du soleil depuis des millénaires; les niches écologiques où les matières se décomposent et se transforment sont si bien pourvues que la nutrition des arbres est largement assurée et la vie des frondaisons luxuriante. Quand on abat la forêt, le sol fragile s'oxyde rapidement à la lumière du soleil et disparaît:
«Comme la neige, tombée sur la face poussiéreuse du désert,
Brille une heure ou deux avant de disparaître.»
Les forêts d'acajous d'Hispaniola ont disparu, celles du Honduras sont en voie de disparition; le résultat est bien connu.
Dans beaucoup de pays, notamment dans la zone tropicale, les ressources forestières ont été exploitées sans que rien ait été prévu pour assurer une production continue. On peut soutenir que l'économie locale et les structures politiques étant ce qu'elles sont, il n'y avait pas d'autre solution et que bon nombre de ces pays auront recours à de tels expédients dans l'avenir. Leur survie dépend en effet de rentrées d'argent qui leur permettent d'agir politiquement. La politique est particulièrement dépendante de solutions de ce genre. Nous devons comprendre que des décisions politiques sont (et ont été) l'un des principaux facteurs dont dépend le milieu naturel.
Le drainage des terres humides
En règle générale, les terres humides sont très productives en protéines animales - mammifères, oiseaux, poissons et invertébrés - mais non toujours sous une forme convenant pour l'alimentation humaine. Tout au long de l'histoire, on a eu recours au drainage en divers points du monde pour créer des canaux navigables et augmenter la surface des terres cultivables ou, parfois, mettre en culture des terres particulièrement fertiles. La Hollande et le «Fen country» d'Angleterre constituent d'excellents exemples de ces travaux, et l'on pourrait également citer de nombreuses régions des Etats-Unis d'Amérique. Un sol constitué de tourbe alcaline devient très fertile si on peut l'assécher suffisamment pour le cultiver, mais la contraction (en volume) est telle que la construction de digues et de systèmes de pompage devient nécessaire, les terres reconquises se trouvant alors au-dessous du niveau de la mer. La situation reste précaire et le sol même est si friable qu'il a tendance à être emporté par le vent. Il faut toujours se demander, dans ce cas, si on a la possibilité d'assurer la perpétuation des grands travaux nécessaires et si la fertilité potentielle des sols humides permettra d'amortir ces travaux. Là encore, l'écosystème se transforme, passant de la production de protéines à une production essentiellement céréalière (glucides). Certes, ce produit «dévalué» permet de nourrir plus de bouches; mais la perte - sur le plan esthétique - d'espèces animales admirables, notamment d'oiseaux, qu'entraîne le drainage des terres humides est considérable. Les Etats-Unis ont modifié dans une certaine mesure leur politique antérieure en permettant aux terres humides de se remplir à nouveau d'eau et de reprendre leur forme ancienne, comme c'est le cas par exemple pour les marais Klamath dans le nord de la Californie. Il faut dire qu'une telle politique n'est concevable que dans un pays assez riche pour produire des excédents de céréales et où la faune sauvage (protéines) commence à avoir une valeur extrinsèque sur le plan récréatif.
L'Everglades national park en Floride illustre magnifiquement la complexité des habitats des terres humides, ainsi que les conséquences d'un assèchement de régions de ce type. Il s'agit essentiellement d'une zone inhabitée réservée à la faune sauvage; elle est constituée par un socle oolithique uniforme situé légèrement au-dessus du niveau de la mer et doucement incliné vers le sud. L'existence de cette réserve dépend de l'écoulement saisonnier et très lent vers le sud de grandes quantités d'eau. Pendant la saison humide, les animaux se dispersent dans toute la région; puis ils se rapprochent des trous d'alligators pendant la saison sèche. Ces trous servent alors de réservoir de survie. Des travaux de drainage entrepris au nord de la réserve ont détourné une grande partie de l'eau qui aurait dû la traverser et ont abaissé le niveau de la nappe aquifère. En outre, une ponction a été faite à la sortie de ce système sous la forme d'un canal creusé entre la mer et l'Everglades national park pour permettre le passage des bateaux de plaisance. Ce canal accélère l'écoulement de l'eau et laisse parfois pénétrer de l'eau salée. Enfin, des braconniers ont pendant longtemps capturé des alligators. Si ces animaux ne sont pas mieux protégés, il faudra pratiquer artificiellement des trous d'alligators pour assurer la survie de nombreuses autres espèces végétales et animales. Le parc des Everglades est une grande réserve nationale, mais il prouve à l'évidence qu'une enclave de plusieurs milliers de kilomètres carrés n'est pas assez vaste pour être indépendante du point de vue écologique.
Les terres humides sont nombreuses à l'intérieur de l'Afrique et une meilleure exploitation ou mise en valeur des ressources piscicoles de ces régions est apparue depuis quelques années comme l'une des formes de développement les plus intéressantes. La Zambie fournit un excellent exemple d'amélioration des conditions alimentaires d'une population industrielle récente grâce aux pêches en eau douce dans les nombreux marais du pays. Néanmoins, pour faire face à l'accroissement démographique prévu, on envisage sérieusement de drainer des régions comme les platières de Kafue et de Chambeshi afin de les transformer en terres à blé. Or ces travaux auraient pour effet non seulement de réduire le volume des pêches, mais de chasser le gibier, bien que le lechwe rouge, antilope vivant en vastes troupeaux, puisse paître sur des terres gorgées d'eau et être élevé en vue de l'alimentation humaine.
Chasse excessive de certaines espèces animales méritant d'être préservées
La disparition ou la raréfaction de certaines espèces a modifié l'écosystème et l'habitat. Nos connaissances sur ce point sont assez limitées; si nous comprenons mieux le rôle des microhabitats (niches), il nous reste beaucoup à apprendre sur les habitats où l'occupant d'une niche a été chassé. L'éléphant se prêterait bien à une étude comparative, car il existe, d'une part, nombre d'habitats d'où il a disparu à une date récente par suite de chasses excessives, et d'autre part, des habitats où il s'est multiplié grâce à des mesures de protection.
Nous avons une idée assez précise de ce qui se passe dans ce dernier cas: formation d'herbages et élimination de la brousse accompagnée d'un recul de la mouche tsé-tsé. L'éléphant est l'agent de ce changement, mais c'est l'homme qui le provoque en modifiant les conditions de vie de l'animal. Les effets de l'appauvrissement de la faune de plaine dans la savane africaine n'ont pas été étudiés avec assez d'attention. Au bison des prairies nord-américaines a succédé la charrue, de sorte que nous imaginons mal les changements qu'une réduction du nombre de ces animaux aurait provoqués, si ce n'est qu'on assiste, à la limite de la prairie (dans le Wisconsin, par exemple), à l'apparition concomitante d'une forêt de même âge.
Extinction ou élimination intentionnelle de certaines espèces
Le loup constitue peut-être ici le meilleur exemple, en raison de la menace directe qu'il fait peser sur une activité pastorale extensive. Le comportement supposé du loup est devenu un mythe qui peut encore influer sur le sort de l'habitat. Naguère encore, dans l'Arctique, une prime était versée pour chaque loup tué, alors que l'homme était lui même loin de détruire assez de caribous pour assurer la sauvegarde des pâturages qui, une fois épuisés, risquaient de ne pouvoir se reconstituer qu'en un siècle peut-être; le caribou aurait alors eu le temps de disparaître! La diminution spectaculaire du nombre des rennes sur la côte ouest après trente ans de surpâturage a fourni pourtant une excellente illustration de ce danger; mais la légende du loup empêchait de discerner la cause véritable, pourtant évidente. Ces pâturages épuisés se distinguent encore des terres avoisinantes quand on les survole d'une altitude de 6 000 mètres.
La nécessité de déplacements fréquents ou continuels a été signalée dans les études sur le nomadisme pastoral. Les animaux sauvages se déplacent, mais non entièrement de leur propre initiative. Plusieurs cervidés ont une curieuse habitude appelée yarding: au cur de l'hiver, un vaste troupeau se met à tourner en rond dans un tout petit espace. La nourriture existe un peu plus loin, mais il ne se dirige pas vers elle, à moins que des loups ou d'autres prédateurs ne l'y contraignent. Nous ne saurons probablement jamais dans quelle mesure la diminution brutale du nombre des cerfs d'Amérique septentrionale (Oolocoileus hemionus) survenue en 1916 sur le plateau de Kaibab s'expliquait par le fait que cette fonction particulière du prédateur faisait défaut, ou simplement parce que le moment était venu d'une diminution absolue du troupeau; mais la signification de l'absence de prédateurs a été immédiatement comprise. On tuait encore des lions de montagne dans le parc national du Grand Canyon en 1950, si profonde est la haine qu'inspirent les grands prédateurs. La disparition des prédateurs a, sur l'habitat, des répercussions brutales qui peuvent être préoccupantes: en effet, ces animaux non seulement réduisent les populations d'autres animaux, mais obligent les troupeaux à se déplacer. Des travaux récents sur le rapport élans-loups et l'équilibre qui existe entre ces deux espèces dans l'Isle Royale du lac Supérieur ont montré comment un habitat boisé peuplé de troupeaux de ces grands cervidés peut se perpétuer lorsque l'homme laisse au loup le soin de faire tout l'«émondage» nécessaire.
CONSÉQUENCES DE L'EXTRACTION DE MINÉRAUX ET AUTRES ACTIVITÉS INDUSTRIELLES
Emanations et déchets toxiques
Le traitement de certains minerais s'accompagne d'émanations toxiques qui tuent les plantes et parfois les animaux. La stérilisation de certaines zones du Tennessee par le traitement de minerai de cuivre est bien connue. La fonderie d'aluminium installée au pied du Great Glen d'Ecosse produisait des vapeurs fluorées que les vents dominants du sud-ouest chassaient vers le nord-est, en remontant la vallée. Ces vapeurs abîmaient les pâturages, et les jeunes animaux en souffraient. Il fallut un très long procès avant que les épurateurs soient mis en place pour remédier à cette situation.
Les mines de plomb du Derbyshire et les usines de feldspath ont laissé des zones de déblais qui ont été recouvertes d'herbages si imprégnés de plomb qu'il était impossible d'y faire paître de jeunes animaux. Le sol est resté ainsi plusieurs siècles après la fermeture des mines.
Perturbation du drainage naturel
L'extraction du charbon et des schistes ne provoque pas seulement des subsidences; elle produit aussi de grandes quantités de débris qui sont généralement rejetés à la surface, au voisinage du puits de mine. Ces grands terrils enlaidissent le paysage et bouleversent souvent le drainage superficiel dans leur voisinage. Dans les cas les plus graves, ils constituent un danger pour les communautés humaines, comme l'a montré la tragédie d'Aberfan. Nous entrons progressivement dans une ère de valeurs nouvelles, où l'espace se raréfie au point de rendre intolérables ces paysages abandonnés. Le mariage récent de l'écologie et de l'aménagement des paysages ouvre les plus grands espoirs. Les comtés britanniques de Durham et du Northumberland ont entrepris de boiser les terrils; les résultats obtenus garantissent l'enrichissement et l'embellissement des paysages dégradés. Le National Coal Board of Britain a entrepris beaucoup de travaux miniers à ciel ouvert dans le nord de l'Angleterre, en mettant tout en uvre pour assurer la reconstitution ultérieure du paysage (cette activité absorbe jusqu'à 11 pour cent du budget de cet organisme). Des résultats tout aussi spectaculaires ont été obtenus dans plusieurs régions d'Allemagne.
Les travaux d'extraction minière par excavateurs ou par foreuses dans les collines du Kentucky laissent aux flancs de celles-ci des marques hideuses, et l'érosion des pentes qui en résulte a de graves répercussions sur les bonnes terres du bassin de l'Ohio qui s'étendent au pied de ces collines. Il est d'autant plus navrant d'apprendre que le charbon est ainsi extrait pour être vendu au prix le plus bas à la Tennessee Valley Authority, administration qui est donnée en exemple pour sa politique de restauration des terres. L'une des difficultés auxquelles nous nous heurtons très souvent en matière de conservation consiste à empêcher différents organismes d'un même pays de se nuire (pour ne pas parler d'organismes de pays différents). Là encore, nous manquons d'une bonne législation: le droit étant en grande partie affaire de précédents, il lui est difficile de s'adapter à des situations nouvelles que personne ne prévoyait dans le passé.
Le déversement de déchets dans les cours d'eau
Il s'agit là d'une cause évidente et bien connue de transformation de la biosphère. Le mal vient de l'idée fort ancienne qu'un cours d'eau est un égout naturel. La fabrication du papier est une industrie moderne - si l'on compte en siècles - que l'on peut accuser d'avoir pollué de nombreux cours d'eau des pays forestiers. Aux Etats-Unis, les cours d'eau de l'Etat du Maine, relativement peu peuplé, sont si pollués que les saumons ne peuvent s'aventurer dans la plupart d'entre eux. Dans les régions à forte densité humaine, le grand problème est celui des eaux d'égout. Nous en apprenons chaque jour davantage sur l'élimination des déchets industriels, mais les règlements sont en retard sur les faits. On a déjà à déplorer quelques accidents graves empoisonnement de cours d'eau et de l'eau de fossés - résultant de l'emploi des pesticides, produits récents. En comparaison, la négligence des bergers qui rejettent sans précaution les bains parasiticides dont ils se servent pour leurs moutons est peut-être une faute vénielle; elle n'en est pas moins l'indice d'un type de conduite irréfléchie qui aboutit à diffuser l'influence néfaste de l'homme au-delà de son habitat immédiat. On n'a pas encore suffisamment pris conscience du fait qu'une grande partie de la productivité marine du plateau continental dépend des estuaires.
CONSÉQUENCES DU SURPEUPLEMENT HUMAIN
Gains et pertes en ce qui concerne la flore et la faune
De toute évidence, et sans qu'il soit besoin d'insister sur ce fait, il doit nécessairement y avoir appauvrissement quand le grégarisme humain dépasse le cadre de la famille vivant de chasse et de cueillette. C'est une modification des écosystèmes dans le sens de la consommation directe d'une plus grande partie des produits naturels qui a permis la concentration démographique et l'essor de la civilisation. Certains animaux timides se tiennent à l'écart des collectivités humaines; d'autres s'y adaptent, sans perdre de leur caractère farouche: tel le renard des banlieues londoniennes. Les plantes, peu mobiles, ont moins de latitude et beaucoup d'espèces disparaissent. Le pied humain, socle de notre corps vertical, est beaucoup plus destructeur pour l'herbe que bien des gens ne se l'imaginent. Cette évidence s'impose même à un point presque critique dans certains grands parcs nationaux, comme ceux d'Amérique du Nord où l'on doit tracer de plus en plus d'allées goudronnées pour sauvegarder de fragiles associations floristiques dans des régions alpines, désertiques ou forestières. Les empreintes de pas peuvent rester visibles pendant des années dans un sol spongieux de forêt; les toundras de l'Alaska sont zébrées par les traces des véhicules à chenilles et des jeeps, dont certaines semblent indélébiles. On pourrait croire que les arbres des forêts sont insensibles aux piétinements humains; mais tel n'est pas le cas. Les Français sont obligés de protéger par une clôture individuelle les plus gros chênes de la forêt de Fontainebleau, car le tassement du sol que produisent les pique-niqueurs finit par tuer les arbres.
L'accroissement démographique rapide de l'Inde, pays où alternent saisons humides et saisons sèches, illustre bien à quel point le pied de l'homme est capable de détruire la végétation. Dans certains villages, une croûte de boue séchée étale sa nudité là où se trouvait il y a trois ans une jungle secondaire. Dans ces pays à constructions très légères - consistant parfois même en un simple assemblage de poteaux, de grosse toile et de tôle ondulée ce n'est pas une urbanisation planifiée et précise qui dénude la surface de la terre, mais c'est bien le passage des hommes et des animaux domestiques. Ceux-ci accélèrent la destruction générale de toute végétation, soit en la broutant, soit parce que la nécessité de les nourrir oblige leurs propriétaires à couper des branches d'arbres.
Certaines tribus vivant dans des habitats propices comprennent l'avantage immédiat que peuvent leur procurer des cultures pratiquées dans la zone marginale des forêts. Les Kikuyu du Kenya en fournissent un excellent exemple: ces peuplades ont repoussé la forêt à un point dangereux, notamment au cours des dernières années par suite du décuplement de la tribu à la faveur de la Pax Britannica.
En modifiant volontairement ou involontairement les écosystèmes, l'homme les simplifie généralement et rend possible l'invasion de végétaux et d'animaux représentant des étapes plus primitives de la série évolutive. Les graines des plantes annuelles et bisannuelles illustrent bien ce point. Le monde animal compte des envahisseurs toujours prêts, comme le rat brun et le moineau commun, qui ont suivi l'homme partout où celui-ci a cultivé le blé. Nous n'avons pas ici à examiner la question des espèces exotiques; mais leur influence sur l'habitat mériterait une étude spéciale en relation avec les changements que l'homme a produits dans la biosphère. Nous trouvons au moins un sujet de satisfaction relative dans l'existence de ces agréables quartiers résidentiels de banlieue, entourés de beaux jardins où la variété des oiseaux est plus grande que dans la campagne voisine. En fait, inconsciemment ou non, l'homme a ainsi créé une diversité et la nature l'a aussitôt récompensé par la manifestation de son charme multiforme.
Pollution de l'air, de l'eau et du sol
Nous avons choisi de traiter en dernier lieu le problème de la pollution, le plus grave de notre temps. L'époque est révolue où l'on pouvait considérer le nord industriel de l'Angleterre, la Ruhr allemande, le Jaroslavl et le Gorki russes et quelques autres lieux comme des zones polluées où l'on gagne de l'argent, mais où il faut si possible éviter de vivre: au cours des vingt-cinq dernières années, l'homme a pollué la planète entière, à tel point qu'on trouve dans les réserves adipeuses des pingouins et des phoques de la lointaine Antarctique des quantités appréciables de composés halogènes organiques; or ces produits, généralement appelés pesticides, n'ont pu être utilisés à moins de plusieurs centaines de kilomètres de ce continent. On sait maintenant que certaines espèces d'oiseaux que l'homme ne considérait pas comme nuisibles, mais protégeait pour son plaisir, ont virtuellement cessé de se reproduire. Nous portons ces produits polluants dans la graisse de notre organisme, et nous ignorons encore quels effets - bons ou mauvais - ils peuvent avoir sur nous; mais la plupart des gens qui réfléchissent s'inquiètent des conséquences possibles d'une accumulation de ces produits au cours des années. Certains pays développés ont réglementé l'utilisation des pesticides et réduit les doses permises; mais le contrecoup économique de ces mesures a été l'acheminement de grandes quantités de ces produits vers les pays tropicaux, où les animaux nuisibles pullulent et où l'utilisation des pesticides n'est guère réglementée. Les personnes informées savent qu'on ne peut empêcher la pollution de la biosphère en se bornant à contrôler l'utilisation de ces produits dans certains pays et en négligeant le reste du monde. Nous sommes aujourd'hui des citoyens du monde, que cela nous plaise ou non.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la radio-activité. Au cours des dernières années, la radio-activité de l'atmosphère, du sol, de l'eau et des organismes vivants s'est accrue dans de vastes régions du globe. Les explosions expérimentales de bombes A et de bombes H. ainsi que d'autres travaux concernant les radio-éléments, constituent l'un des plus grands dangers qui menacent la vie sur toute l'étendue de la planète.
Quel peut être, à l'échelle mondiale, le compte profits et pertes en ce qui concerne l'oxygène? Nous croyons que la teneur actuelle de l'atmosphère en oxygène (20 pour cent) résulte de l'activité photosynthétique des végétaux au cours de l'évolution, et de la lente sédimentation des matières organiques au fond des océans. Or étant donné qu'un avion à réaction brûle 35 tonnes d'oxygène pour traverser l'Atlantique, nous pouvons nous demander si la consommation d'oxygène à des fins industrielles ne dépasse pas aujourd'hui la production d'oxygène, surtout si l'on songe à la rapidité avec laquelle l'homme détruit les forêts et les autres formes de vie végétale? La consommation d'oxygène et la production de gaz carbonique sont liées dans une certaine mesure; nous savons que la teneur de l'atmosphère en gaz carbonique ne cesse de s'élever et que cette augmentation peut finalement provoquer une hausse telle de la température de l'atmosphère et des océans qu'il en résulterait une fonte considérable des glaces, laquelle élèverait de façon sensible le niveau des océans. Ainsi la pollution, la combustion et la destruction tendent ici, en dernière analyse, à modifier la biosphère.
Le déversement des eaux d'égouts dans les cours d'eau est une pratique très ancienne. Les lacs reçoivent ces effluents, et l'on signale des conditions eutrophiques en des points aussi distants que le lac Erié et le lac Baïkal. Dans certains lacs, les espèces vivantes sont asphyxiées par le manque d'oxygène et l'accumulation excessive des matières organiques. Les rives de nos rivières, de nos fleuves et de nos lacs commencent à être surpeuplées. Pour assurer l'existence de populations à forte densité, il faut traiter toutes les eaux d'égouts et les matières usées. Un réel effort est déployé dans ce sens, mais trop lentement. A Londres, une action civique a permis de commencer à épurer la Tamise, et il faut être reconnaissant aux amateurs de pêche à la truite d'avoir empêché la pollution de nombreux affluents de ce fleuve et d'autres rivières britanniques.
Le naufrage du Torrey Canyon a attiré l'attention du monde entier sur le risque grandissant de pollution de la mer par le pétrole brut et sur la menace secondaire que constitue l'utilisation, pour lutter contre ce fléau, de produits détergents plus nocifs pour la flore et la faune marines que le pétrole lui-même. Les compagnies pétrolières responsables ont décidé d'entreprendre d'importants travaux de recherche pour lutter contre les risques du transport du pétrole par mer. Ce produit représente la moitié du fret maritime mondial - soit 700 millions de tonnes transportées par 3 218 pétroliers l'année dernière. Diverses inventions - séparateurs de conception améliorée dans les ports, pannes de barrage en matière plastique autour des ports pétroliers, produits provoquant la floculation en cas d'épanchement en mer, agents de gélification permettant de solidifier le pétrole dans les navires en détresse - ainsi que les nouvelles méthodes de chargement et de lestage des pétroliers géants, sont la preuve de la bonne volonté des compagnies pétrolières, dont on aimerait trouver plus fréquemment l'équivalent dans les industries terriennes qui présentent un danger de pollution pour le milieu environnant.
Problèmes posés par un développement accéléré
Ce qui vient d'être dit s'applique pour une bonne part au long et lent processus d'évolution des civilisations qui a caractérisé le passé et qui a produit les nations développées actuelles, ainsi que les nations sous-développées de la génération précédente. Les progrès très rapides que font aujourd'hui les pays en voie de développement sont la cause de nouvelles formes spectaculaires d'interactions avec l'environnement, qui étaient moins apparentes aux siècles précédents. Le problème d'un développement accéléré et de ses conséquences dévastatrices n'apparaît nulle part plus clairement que dans de nombreuses régions tropicales ou subtropicales, où sont actuellement concentrés les deux tiers de l'humanité. Dans ces régions, la rapidité avec laquelle se transforment les rapports entre l'homme et son milieu est si grande qu'elle compromet sérieusement la possibilité d'un développement équilibré et, dans certains cas extrêmes, peut même aller jusqu'à menacer des populations entières d'extinction, comme quelques exemples actuels le prouvent.
Les effets secondaires (side-effects) de la modification à grande échelle des écosystèmes tropicaux
Les diverses biocnoses tropicales (tropical biotic communities) sont actuellement soumises à des modifications brutales et extensives, du fait de la mise en valeur de superficies chaque jour plus étendues et de l'emploi généralisé de moyens techniques puissants. La déforestation, l'irrigation, l'introduction de plantes et d'animaux exotiques, l'utilisation massive d'herbicides, l'éradication de certains agents pathogènes, etc., ont plus profondément transformé les paysages tropicaux en dix ans que l'action des agriculteurs ou des éleveurs traditionnels en dix siècles. A côté d'indéniables avantages économiques immédiats, ce «remodelage» des écosystèmes tropicaux a parfois entraîné une rupture brusque d'équilibres généralement millénaires entre l'homme et son milieu et créé des problèmes inattendus. L'introduction de bétail dans les savanes tropicales américaines a favorisé la multiplication des vampires hématophages vecteurs de rage. Les progrès de l'irrigation dans les savanes sahéliennes de l'Afrique ont entraîné l'extension de la bilharziose. La déforestation systématique a souvent permis la transmission à l'homme ou aux animaux domestiques de certains arbovirus normalement limités au cycle pathogène de la voûte forestière; quelques-uns de ceux-ci n'étaient capables que de causer des affections peu graves aux singes ou rongeurs arboricoles, alors qu'ils peuvent être beaucoup plus dangereux pour l'espèce humaine (fièvre jaune, dengue, Kyasanur forest diseuse, etc.). L'abandon de certains aliments végétaux et animaux traditionnels, ou leur remplacement par des espèces introduites de culture plus facile, a souvent aggravé certaines carences nutritionnelles. Il n'est pas jusqu'à l'éradication de quelques maladies tropicales qui ne puisse poser des problèmes à long terme. En Afrique occidentale, un certain nombre de populations paraissaient protégées contre les effets de la malaria par la possession à l'état hétérozygote de certaines hémoglobines anormales. Le parasite disparu, il ne subsistera plus de cette adaptation génétique au milieu que les effets défavorables.
Les conséquences biologiques, psychologiques et sociales de l'urbanisation accélérée et anarchique en milieu tropical
En Afrique comme en Asie et en Amérique tropicale, ces vingt dernières années ont vu la prolifération explosive des bidonvilles, shantytowns, barrios et favelhas de toutes sortes, où s'entassent des populations trop souvent mal nourries, illettrées et ayant souvent brutalement rompu avec leurs valeurs traditionnelles. Il en résulte toute une pathologie encore mal connue où les effets de la malnutrition et de la pauvreté viennent se superposer aux conséquences somatiques et psychiques de stress multiples. Le résultat en est la création d'un sous-prolétariat en mauvais état physique, qui prive de bras et de cerveaux l'agriculture, sans fournir pour autant une main-d'uvre qualifiée à l'industrie. Sur le plan de la santé publique, l'état sanitaire de ces bidonvilles constitue une menace perpétuelle pour les grandes agglomérations dont ils font partie.
Les conséquences biologiques, psychologiques et sociales des migrations
Cet attrait des villes neuves et des centres industriels entraîne des mouvements de population sans précédent qui déterminent des déséquilibres démographiques hautement préjudiciables au développement de nombreux pays tropicaux. Ces migrations sont, de plus, souvent sélectives; elles tendent à laisser dans les campagnes les groupes ou les individus les moins dynamiques et à condamner au chômage chronique la majorité des meilleurs éléments. Certaines de ces migrations entraînent parfois dans des zones qui leur sont climatiquement défavorables des populations biologiquement bien adaptées à des milieux spéciaux (hauts plateaux andins par exemple).
Il est urgent que de tels problèmes - et il y en a beaucoup - soient étudiés par des équipes polydisciplinaires comprenant à la fois des écologistes, des médecins, des psychosociologues et des économistes, afin que des solutions satisfaisantes leur soient trouvées le plus rapidement possible. Les écosystèmes tropicaux sont à la fois si nombreux, si complexes et si fragiles que rien ne serait plus préjudiciable aux intérêts des populations humaines qui y vivent que la pure et simple «transplantation» sous les tropiques de techniques (et parfois même de concepts) qui ont fait la preuve de leur utilité sous les latitudes tempérées. Ce n'est pas parce que l'avion a fait disparaître les distances - ou parce que l'on peut maintenant prévenir et guérir la plupart des maladies tropicales - que les différences écologiques essentielles entre les grands biomes ont disparu pour autant. Vouloir généraliser à l'ensemble de la planète le mode de vie des nations industrialisées des latitudes tempérées est une utopie dangereuse. Les «normes» occidentales doivent être adaptées aux milieux et aux civilisations, et non être importées telles quelles. Et ceci est aussi valable dans les domaines de l'économie et de la technique que dans ceux de la nutrition, du vêtement ou de l'habitat.
Influences humaines tendant à maintenir la qualité de l'environnement
Quelles que soient les erreurs commises dans le passé et aujourd'hui encore, et les nouveaux problèmes que suscite un développement accéléré résultant de la croissance démographique, économique et sociale, l'homme a déjà essayé de résoudre ces problèmes de la détérioration de l'habitat; les mentalités nouvelles et l'évolution des techniques lui donnent le désir et la possibilité de construire ou de reconstruire un environnement favorable au maintien de sa santé mentale et pouvant également lui assurer les biens et services nécessaires. En voici quelques exemples:
Plaisir direct que donnent à des hommes de niveaux très divers les formes organiques et la diversité de l'environnement
Nous avons de bonnes raisons d'y croire. En témoignent les grandes villas de l'antiquité, leurs jardins et leurs aménagements hydrauliques pour le plaisir esthétique. Nous pensons à la Chine, à Rome, à la Perse et à l'Italie de la Renaissance, aux parcs à la française et aux «jardins intimes» à l'anglaise. Les parcs de Capability Brown, en Angleterre, n'ont pu procurer à leurs propriétaires le plaisir que nous en tirons, aujourd'hui que les arbres ont atteint leur plein développement. L'art des jardins devient extrêmement populaire, et les municipalités osent de plus en plus affecter des crédits à l'entretien de leurs jardins publics. Une fréquentation accrue crée demande pour l'aménagement de l'environnement.
Création des parcs nationaux
Il s'agit là d'une contribution capitale à la civilisation, due à des hommes soucieux de protéger la nature et ayant l'intuition des aspirations futures de l'humanité. Les meilleurs résultats en matière de sauvegarde et d'étude de la nature sauvage ont été obtenus par la création de réserves et de parcs nationaux, où un personnel d'hommes de science travaille en permanence.
Constitution de zones vierges et de zones naturelles
Les mesures prises sont inspirées ici par un souci esthétique et spirituel et par un besoin biologique. Il existe chez l'homme un sentiment très répandu qui lui fait désirer l'existence de zones sauvages, même si nombreux sont ceux qui ne les connaîtront jamais. Savoir qu'elles existent est un motif de satisfaction et un réconfort. Du point de vue biologique, les zones naturelles sont d'indispensables réservoirs; leur étude fournira des bases de repère qui nous permettront d'étudier plus efficacement d'autres environnements.
L'agriculture selon les règles de la conservation
Certaines tribus vivant dans des habitats limités ou restreints sont parvenues empiriquement à des pratiques de conservation; mais la science de la conservation appliquée à l'agriculture, à l'utilisation de l'eau et à l'art du forestier est née d'un changement radical de mentalité après une exploitation effrénée. On pourrait dire, sous certaines réserves, que l'agriculture selon les règles de la conservation était assez solidement implantée dans les pays développés, mais que ces mêmes pays ont commis des erreurs grossières dans les pays sous-développés. Il est désormais possible d'y mettre un terme, si l'on procède à des études préliminaires sur les possibilités et les limites des sites et si l'on fait les investissements que nécessite leur protection.
Le goût du sport
Dans les pays développés, de nombreuses sortes de sports de plein air conduisent à un souci de l'environnement. Nous avons déjà mentionné l'entretien des rivières dans l'intérêt de la pêche; dans les pays occidentaux, une politique de diversification de l'agriculture et de protection des bois et couverts naturels a été appliquée dans l'intérêt du sport. La chasse a parfois entraîné la disparition des animaux sur de vastes étendues, mais une meilleure compréhension du rôle écologique des prédateurs est génératrice d'une plus grande tolérance. Dans l'ensemble, les exploitations agricoles dirigées par des hommes qui s'intéressent à la chasse présentent une plus grande variété que les autres dans toutes les formes de la vie animale et végétale. L'exploitant agricole en vient parfois ainsi à être un véritable naturaliste, épris de la vie naturelle même lorsqu'elle ne présente aucun intérêt pour la chasse.
Changements dans l'industrie
Aux Etats-Unis, l'agriculture s'est déplacée du littoral vers le Middle West. Les forêts, qui n'avaient jamais disparu, se reconstituèrent. Il y a soixante ans, ces forêts orientales fournissaient beaucoup de bois de chauffage. Aujourd'hui, le chauffage central au mazout est à peu près général, et les forêts ont repris de leur beauté. Bien plus, de nouvelles perspectives brillantes s'ouvrent à elles, car elles deviennent les lieux de détente des populations urbaines du littoral. L'opinion publique est maintenant fermement en faveur de la protection de cette agréable région de l'est du pays.
De même, en Europe, la concentration de l'agriculture sur les meilleurs sols, qui a entraîné l'abandon des terres marginales, a ouvert la voie au développement rural fondé sur le reboisement pour la protection du sol, l'aménagement des forêts pour la production du bois de charpente et les loisirs, la création de pares nationaux, et, de façon générale, la conservation, la récréation et un large aménagement des ressources naturelles.
Conclusions
pour conclure: cette dernière partie autorise-t-elle l'optimisme? Les écologistes peuvent difficilement se permettre d'être optimistes. Mais un pessimisme absolu conduit au défaitisme, qui n'est pas plus indiqué. Nous constatons qu'un désastre complet n'est pas inévitable et, si notre attention est suffisamment en éveil, dans le monde entier, nous pourrons faire beaucoup pour améliorer la situation. Le plus grand danger de tous est le fait que nous n'arrivons pas à dominer l'accroissement accéléré de la population humaine. Un sérieux coup de frein dans ce domaine éviterait le recours trop fréquent à une politique d'expédients, aggravée par une technologie ayant perdu le contact avec la philosophie de la science. En tant que corps social, les hommes de science doivent s'efforcer de faire admettre la nécessité d'aborder les problèmes mondiaux sous l'angle de l'écosystème, car c'est ainsi que l'on évitera une action technologique déséquilibrée. Nous n'avons pas encore compris que l'orientation et le frein politiques sont loin d'être aussi efficaces dans le cas de la technologie que dans celui d'autres grands domaines de l'activité humaine.