Par LA DIVISION DES FORETS ET DES PRODUITS FORESTIERS DE LA FAO
POUR presque tous les pays du monde, le déficit de la production du bois, et particulièrement du bois d'oeuvre, est une grave préoccupation. Dans les pays dévastés par la guerre, il constitue l'un des principaux obstacles à la reconstruction. Aux Etats Unis même il ralentit le rythme des programmes, de construction. Si, dans l'état actuel des choses, la situation est grave, on peut se demander si elle est destinée à rester telle et si la production des forêts mondiales est réellement insuffisante pour assurer la satisfaction des besoins de tous les peuples du monde.
Les lignes qui vont suivre se proposent de montrer qu'on peut, au contraire, selon toute vraisemblance, même en se bornant aux forêts dès maintenant accessibles, attendre d'une connaissance plus approfondie de ces forêts, d'une meilleure utilisation de leur produits et de l'amélioration des méthodes de sylviculture - toutes choses qui sont actuellement en cours - des conclusions plus rassurantes pour l'avenir.
Le rapport présenté à la Conférence annuelle de la FAO en 1946 à Copenhague par la Division des Forêts et des produits forestiers de la FAO offre dès ses premières pages un tableau dont certains éléments ne peuvent manquer d'attirer l'attention non seulement de l'économiste et du statisticien, mais aussi du sylviculteur.
Nous reproduisons comme Tableau 1 la portion de ce tableau qui renferme les chiffres auxquels nous faisons allusion.
Ainsi, quelles que puissent être les imperfections qui entachent obligatoirement une statistique mondiale de cette nature, il ressort de ce tableau que le prélèvement moyen annuel effectué par l'homme sur l'ensemble des forêts dont il dispose est de l'ordre de 0.4 m.3 par hectare. Si l'on excepte l'Europe, où il s'élève à 2,3 m.3 cette moyenne tombe à 0,34 m.3 et, dans aucune autre partie du monde elle ne dépasse 0,6 m.3
Ces chiffres paraissent extrêmement faibles, même en tenant compte du fait que le volume coupé annuellement se trouve réparti dans le tableau qui précède, aussi bien sur les forêts réellement exploitées que sur l'énorme surface encore réputée inaccessible. On reste surpris que, dans presque tous les pays, les spécialistes redoutent les effets du déboisement et dénoncent les méfaits d'une surexploitation des forêts.
1. Forêt de montagne de sapins blancs, Abies pindrow Espace., aux Indes
Pour serrer la question de plus près, il nous a paru intéressant de rechercher, pour les principaux pays forestiers du monde, à quel taux moyen à l'hectare ceux-ci évaluent la production ligneuse moyenne de leurs massifs. Les renseignements nécessaires nous ont encore été fournis par les tableaux figurant en appendice du rapport précité et dont nous avons nous-mêmes tiré le Tableau 2.
TABLEAU 1. - RÉPARTITION DES FORETS, 1937
Nous avons éliminé du Tableau 2 d'une part le S pays pour lesquels la statistique présentée par la FAO ne fournissait pas les chiffres nécessaires, et d'autre part, d'une façon systématique, les pays renfermant principalement ou uniquement des forêts du type équatorial ou tropical, forêts encore trop mal connues, en général, pour qu'on puisse se faire une idée exacte de leur production ligneuse réelle. Le tableau ci-dessus renferme du reste la plupart des pays producteurs de bois tendre, et l'on sait que c'est précisément le déficit au moins apparent du bois tendre qui cause à l'heure actuelle les difficultés majeures du commerce mondial du bois.
La caractéristique la plus frappante des chiffres obtenus pour l'accroissement à l'hectare, qu'il s'agisse de l'accroissement net ou de l'accroissement total, est évidemment leur diversité. L'accroissement total varie de 0,35 m.3 pour les forêts de l'Alaska à 6 m.3 pour celle du Danemark.
Il y a évidemment à ces écarts des raisons d'ordre naturel et des raisons d'ordre statistique. Nous voulons dire par là que les chiffres qui apparaissent dans les colonnes des accroissements à l'hectare totaux et nets correspondent tantôt à une réalité, d'ailleurs plus ou moins bien connue, tantôt à des interprétations différentes données de ces réalités par les statisticiens qui ont établi ces chiffres dans chaque pays.
FAO considère avec raison comme l'une de ses tâches essentielles de serrer de plus près cette question en obtenant de chaque pays des détails précis sur le mode de calcul qu'il emploie. Mais c'est là une tâche longue et difficile.
Nous nous proposons dans les lignes qui vont suivre, de rechercher les différents facteurs qui ont pu influer sur la diversité des chiffres obtenus, et, après les avoir analysés, d'examiner dans quel sens ces chiffres pourraient être modifiés pour correspondre à une réalité actuelle, et dans quel sens et à quelles conditions ils pourraient éventuellement, par une amélioration à plus ou moins longue échéance des méthodes de sylviculture, être amenés à évoluer.
TABLEAU 2. - SURFACES FORESTIÈRES ACCROISSEMENT ET PRODUCTION
Pays |
Surface des forêts |
Accroissement |
Accroissement à l'ha. |
Volume exploité annuellement |
||
Total |
Net |
Total |
Net |
|||
millions d'ha. |
millions de m.3 |
m.3 |
millions de m.3 |
|||
Iles Britanniques |
1,3 |
1,5 |
1,3 |
1,15 |
1,00 |
1,5 |
France |
10,5 |
26,8 |
26,8 |
2,55 |
2,55 |
20,2 |
Belgique et Luxembourg |
0,6 |
2,0 |
1,8 |
3,33 |
3,00 |
1,8 |
Hollande |
0,2 |
0,6 |
0,6 |
3,00 |
3,00 |
0,6 |
Danemark |
0,4 |
2,4 |
2,4 |
6,00 |
6,00 |
2,1 |
Allemagne |
12,6 |
41,7 |
41,7 |
3,31 |
3,31 |
56,0 |
Suisse |
0,9 |
3,1 |
3,1 |
3,44 |
3,44 |
3,2 |
Hongrie |
1,2 |
3,0 |
3,0 |
2,50 |
2,50 |
3,1 |
Espagne |
4,9 |
4,0 |
4,0 |
0,82 |
0,82 |
4,0 |
Italie |
5,8 |
12,5 |
12,0 |
2,16 |
2,07 |
12,0 |
Grèce |
2,4 |
4,2 |
4,2 |
1,75 |
1,75 |
4,6 |
Norvège |
7,7 |
11,7 |
10,6 |
1,52 |
1,32 |
11,7 |
Suède |
23,1 |
47,6 |
42,0 |
2,06 |
1,82 |
45,0 |
Finlande |
38,3 |
45,7 |
39,7 |
1,19 |
1,04 |
47,6 |
Pologne |
8,5 |
18,0 |
16,4 |
2,12 |
1,93 |
17,7 |
Tchécoslovaquie |
4,6 |
13,4 |
12,9 |
2,91 |
2,80 |
12,9 |
Autriche |
3,2 |
9,2 |
9,2 |
2,87 |
2,87 |
10,5 |
Portugal |
2,3 |
9,0 |
9,0 |
3,91 |
3,91 |
9,0 |
Yougoslavie |
8,1 |
16,0 |
16,0 |
1,98 |
1,98 |
22,6 |
Bulgarie |
2,6 |
3,0 |
3,0 |
1,15 |
1,15 |
3,0 |
Roumanie |
6,5 |
25,0 |
18,0 |
3,85 |
2,77 |
18,6 |
Canada |
334,5 |
154,0 |
80,0 |
0,46 |
0,24 |
67,0 |
Terre-Neuve |
11,6 |
12,5 |
4,0 |
1,08 |
0,34 |
2,4 |
Etats Unis |
255,2 |
319,8 |
248,3 |
1,25 |
0,97 |
322,0 |
Alaska |
40,5 |
14,0 |
0,2 |
0,35 |
0,00 |
0,4 |
Chine |
66,0 |
200,0 |
20,0 |
3,03 |
0,304 |
15,5 |
Japon |
25,9 |
90,0 |
90,0 |
3,47 |
3,47 |
75,0 |
U. R. S. S |
960,0 |
630,0 |
262,0 |
0,66 |
0,27 |
262,0 |
Nouvelle Zélande |
5,3 |
3,1 |
2,3 |
0,58 |
0,43 |
2,3 |
Notre examen portera donc en fait sur deux problèmes qui, à première vue, paraissent bien distincts. Il s'agira tout d'abord de rechercher comment l'information statistique peut être améliorée de façon à procurer des chiffres représentant exactement la situation de chaque pays et qui soient en outre sûrement comparables entre eux. Il s'agira ensuite de rechercher si, partant de cette situation, il parait possible, par des mesures appropriées, d'envisager pour l'avenir, une augmentation pour l'ensemble du monde, de la production ligneuse totale.
Mais au cours de notre étude, nous verrous qu'en réalité ces deux problèmes sont intimement liés. En effet, l'amélioration du point de vue statistique ne peut être obtenue que par une connaissance plus approfondie des forêts. Cependant, cette connaissance plus approfondie n'est que le premier pas, mais le pas essentiel, vers un traitement rationnel des forêts et vers des méthodes de sylviculture susceptibles d'améliorer l'accroissement ligneux. D'une façon générale, et ce sera la conclusion de cet article, les deux problèmes seront résolus par l'aménagement de la forêt et progresseront avec lui, étant entendu que la signification du mot aménagement doit être prise ici dans son sens le plus large.
On ne s'étonnera donc pas, dans les pages qui vont suivre, de voir ces deux problèmes traités ensemble et s'imbriquer tout naturellement l'un dans l'autre.
De prime abord, il nous parait tout à fait certain que les chiffres fournis concernant l'accroissement brut total à l'hectare, c'est-à-dire la production ligneuse réelle des forêts, ne constituent pour la plupart des Pays que des évaluations tout à fait approximatives ne reposant sur aucune détermination complète.
Il est, en tout cas, extrèmement instructif de constater que les pays indiquant les chiffres les plus élevés sont précisément des pays où des méthodes de sylviculture soigneusement contrôlées sont en honneur depuis longtemps déjà: Danemark (6 m.3), Japon (3,7 m.3), Suisse (3,44 m.3), Portugal (3,91 m.3).
C'est qu'en réalite il n'existe qu'un moyen de connaître avec précision la production ligneuse réelle d'un massif. C'est d'en exécuter des inventaires à intervalles aussi réguliers que possible et de déterminer cette production soit par la comparaison des inventaires (comptes exactement tenus des arbres éliminés dans l'intervalle de deux inventaires) soit au moyen de nombreux sondages à la tarière.
Sans doute l'inventaire à 100% d'un massif s'il est ou devrait être de pratique courante pour les forêts de l'Europe occidentale, n'est-il pas praticable sur les immenses étendues forestières de l'Amérique du Nord, ou ne peut-il y être considéré que comme un optimum difficilement réalisable.
Les méthodes de sondages par lignes et placeaux («sampling») que l'Amérique du Nord a largement développées au cours des trente dernières années, en constituent heureusement un succédané, dont, grâce à l'aide et aux perfectionnements de la photographie aérienne, le degré de précision a pu être amélioré au point que le volume et même la composition d'une forêt par classes de diamètres peuvent être connus par ces méthodes, avec un degré d'approximation aussi grand que l'on veut. Partant de ces inventaires, la production est généralement déterminée par de multiples sondages à la tarière, et parfois aussi par l'inventaire, à intervalles réguliers, de places d'essai convenablement choisies.
Mais on conçoit que la précision susceptible d'être obtenue par ces méthodes dépend essentiellement et de l'intensité du «sampling» et du choix convenable de l'emplacement des lignes et «samples,» donc de la connaissance plus ou moins approfondie que l'on possède des massifs forestiers.
Là aussi l'étude de plus en plus détaillée des forêts entraînera donc une meilleure appréciation de leur production et il est intéressant de constater qu'au fur et à mesure du développement et de l'application de ces méthodes, la production des massifs forestiers des Etats-Unis a pu être évaluée à un chiffre de plus en plus élevé. En 1931, alors que le service forestier de ce pays estimait la surface des forêts commerciales à 461,7 millions d'acres (187 millions d'hectares) et le matériel sur pied à 519 milliards de pieds cubes (14,7 milliards de m.3) - soit 1.000 pieds cubes par acre (70 m.3 à l'hectare) - la production était évaluée à 8,9 milliards de pieds cubes (252 millions de m.3) - soit 19 pieds cubes par acre (1,37 m.3 à l'ha.) - pour un taux d'accroissement annuel de 1,83%. En 1945, pour une surface de 439 millions d'acres (184 millions d'ha.) le matériel sur pied était évalué à 469,5 milliards de pieds cubes (13 milliards de m.3), soit 1.044 pieds cubes par acre (73 m.3 à l'ha.), et la production à 13,3 milliards de pieds cubes (378 millions de m3), soit 29 pieds cubes par acre (2,05 m.3 à l'ha.), pour un taux d'accroissement de 2,8%.
L'inventaire suppose l'aménagement de la forêt, dont il est - ou devrait être - la base. Mais le contraire n'est pas absolument exact. Beaucoup de forêts sont simplement aménagées par contenance, sans contrôle des résultats obtenus au moyen de comptages effectués à intervalles réguliers. A moins qu'il ne s'agisse, ce qui est l'exception, de futaies régulières types ou la moyenne des volumes récoltés chaque année correspond en principe à la production ligneuse, l'accroissement réel de ces forêts est inconnu, et on a l'exemple de graves mécomptes survenus par l'application rigoureuse de tels aménagements. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle la France, qui renferme aussi, il est vrai, de très nombreuses forêts particulières non aménagées, indique un chiffre de production relativement faible.
2. Mesure de l'accroissement aux Etats-Unis
Les constatations que nous venons de faire sont donc particulièrement encourageantes. Il semble bien que mieux les forêts seront connues et aménagées, et plus on constatera que la production ligneuse effective y est en réalité plus importante qu'on ne le pensait. Les forestiers ont assurément une tendance à sous-évaluer ce chiffre et on ne saurait leur en faire grief si l'on tient compte des risques de surexploitation qu'entraînerait, à l'opposé, une surévaluation. Mais il nous paraît certain, que même pour les pays faisant apparaître dès maintenant de gros chiffres dans la colonne des accroissements totaux à l'hectare, une amélioration substantielle peut encore être attendue d'une connaissance plus approfondie des forêts.
Dans le Tableau 2 on a, pour obtenir l'accroissement total à l'hectare, rapporté le chiffre évalué de l'accroissement total à la surface totale des forêts.
Il ne paraît pas douteux que cette surface, qui représente 27,6% de la surface des continents, englobe des terrains qui n'ont de forêt que le nom. Les uns comme dans la région australe ou sur certains versants des montagnes d'Europe ou d'Amérique, ne portent que des broussailles qui, en raison de leur éloignement de tout centre habité ne peuvent pas même être utilisées comme chauffage. Les autres, dans les régions septentrionales, ne portent que des arbres épars, très courts, dont la période de végétation est extrêmement réduite. Ces surfaces sont très importantes. Leur production ligneuse n'est pas rigoureusement nulle, mais elle est très faible, et comme, en raison de la valeur insignifiante des bois qu'elles portent, elle restera toujours sans utilité pour l'homme, même si elles sont ou deviennent accessibles, leur production nette, est, et selon toute probabilité, couvrant le futur prévisible restera, indéfiniment nulle.
L'incorporation de ces surfaces à la surface forestière est évidemment la principale raison pour laquelle la production à l'hectare de nombreux pays, et principalement des pays nordiques, apparaît si faible. C'est certainement le cas de la Russie, du Canada, de Terre-Neuve et de l'Alaska.
Cette incorporation présente des inconvénients, car, en minimisant l'accroissement à l'hectare réel des forêts effectivement productives, elle risque d'induire les forestiers à faire preuve dans ces massifs d'une prudence excessive.
Il serait certes bien préférable de tenir ces surfaces pour ce qu'elles sont réellement: des terres improductives au même titre que les étendues polaires ou les sommets de montagne. La seule différence est que pour certaines d'entre elles, dont l'étendue n'est peut-être pas négligeable, de véritables boisements sont peut-être susceptibles d'y être constitués. Mais il s'agit là d'une transformation à longue échéance, probablement impossible, d'ailleurs, pour les étendues les plus importantes.
Quoi qu'il en soit, une meilleure détermination de la surface de ces terres aura pour effet, non pas, assurément d'augmenter la production brute mondiale du bois, mais de permettre la détermination plus précise, et naturellement en augmentation, des chiffres de la production brute à l'hectare.
Il s'agit là d'un simple travail de reconnaissance, peut-être déjà mené à bien dans de nombreux pays, et d'une meilleure évaluation statistique sur laquelle la FAO a déjà porté ses efforts.
3. Douglas, Pseudotsuga taxifolia Britt., dans la forêt vierge
Dans les pays à populations dense où les forêts sont aménagées, régulièrement exploitées, desservies par de nombreuses voies d'accès ou susceptibles d'être vidangées aisément par tracteurs, cables, etc., tous les bois qui tombent dans un massif, soit qu'ils aient été abattus par le vent, soit qu'une attaque d'insectes, le feu, la maladie ou la vieillesse aient obligé à les abattre, soit enfin qu'ils aient fait l'objet de coupes régulières, tous ces bois, disons-nous, sont, en principe, sortis de la forêt et utilisés de quelque façon par l'homme. La seule condition requise est que, compte tenu de la valeur marchande ou d'utilité du bois amené au lieu de consommation, les frais d'achat, d'acquisition et de transport de ce bois ne soient pas ou ne paraissent pas excessifs à l'acheteur. Dans les pays auxquels nous faisons allusion, cette condition est très généralement remplie. Il n'y a d'exception que si l'arbre tombé se trouve totalement ou partiellement inutilisable (ce serait le cas de bois pourri ou presque entièrement carbonisé par l'incendie) ou s'il se trouve placé dans des conditions telles que sa sortie de la forêt soit économiquement impossible. Dans ces conditions, la totalité de la production ligneuse de la forêt peut donc être récoltée par l'homme. Il se peut, que, pour des raisons diverses, il exploite plus ou moins que le volume de cette production, mais, en fait, elle est entièrement, ou presque entièrement, disponible pour son usage.
Nous dirons, dans ce cas, que la production ligneuse nette est égale à la production ligneuse totale, et l'on s'explique ainsi que dans presque tous les pays de l'Europe occidentale, les chiffres donnés par la statistique pour chacune de ces productions soient identiques. Tout au plus peut-on s'étonner d'une part des écarts relativement importants que l'on rencontre entre ces chiffres pour des pays comme le Royaume-Uni, la Belgique et la Pologne., et d'autre part de leur concordance absolue dans les autres pays. Mais il s'agit évidemment là de certaines imprécisions d'ordre purement statistique, que des rectifications ultérieures corrigeront aisément. Ces rectifications n'auraient d'ailleurs pas d'influence, sans doute, sur le chiffre de la production totale à l'hectare.
Si, à l'opposé, nous considérons une forêt vierge, ce massif a, lui aussi, une production ligneuse réelle. Cette production ne s'accumule pas indéfiniment. La chose est certaine si l'on considère certains inventaires de forêts vierges effectués, en particulier, dans des sapinières balkaniques vierges, et le bon sens indique que la composition et le volume d'une futaie vierge doivent rester, à de faibles oscillations près, sensiblement constants.
4. Forêt vierge de Sequoia sempervirens Endl. aux Etats-Unis
Cette production est donc compensée par la mort ou la chute d'un volume égal d'arbres dont le bois, même s'il était encore au moment de cette chute, utilisable pour l'homme, restera en fait toujours inutilisé, parce que son extraction est économiquement impossible, puisque la forêt est inaccessible. Dans un tel massif il y a donc une production ligneuse brute, mais la production nette correspondante est rigoureusement nulle.
Sans parler des pays tropicaux où leur étendue est énorme, ces forêts occupent dans l'Amérique du Nord, en Russie et dans les pays scandinaves une surface considérable.
Deux cas ont pu se présenter. En premier lieu, les pays intéressés ont pu ne pas comprendre la production ligneuse de ces massis dans la production totale de leurs forêts. Comme dans le cas des forêts improductives que nous avons étudié précédemment, il en résulte évidemment que la production totale à l'hectare aussi bien que la production nette se trouve ramenée à un chiffre très faible. Mais la situation n'est pas la même. Ces forêts constituent une masse productive en réserve. Lorsque la nécessité l'y poussera ou que ses moyens seront devenus suffisamment puissants, l'homme pourra retirer de ces massifs un volume de bois au moins correspondant à cette production, et même probablement pendant un certain temps supérieur à cette production, en raison de l'accumulation de bois qu'il y trouvera. La production totale s'en trouvera augmentée aussi bien que la production nette, et dans le cas qui nous occupe, il en résultera aussi une augmentation de ces deux chiffres, rapportes a l'unité de surface.
En second lieu, les pays intéressés ont pu inclure la production ligneuses des forêts vierges dans la production totale, sans l'incorporer, bien entendu, dans la production nette. Ceci expliquerait les écarts considérables constatés entre la production totale et la production nette dans certains pays, comme l'U.R.S.S. Mais, dans ce cas même, on peut se demander comment a été évaluée la, production des forêts vierges. En ce qui concerne ces massifs, les placettes d'essai, même multipliées sont d'un faible secours, car la stabilité relative du peuplement, dont nous avons parlé tout à l'heure, ne peut se constater que sur des surfaces étendues, dépassant au moins une centaine d'hectares. En tout état de cause, et pour des raisons de simple prudence, cette production a dû être évaluée avec beaucoup de modération. Aurait-elle môme été chiffrée à sa valeur exacte que cette valeur se trouverait sans doute dépassée et améliorée, tout au moins au bout de peu de temps, lorsque la forêt serait soumise à des exploitations régulières. Des coupes bien conduites, en dégageant les sujets d'élite, en activant la régénération, permettraient en effet, quoiqu'avec un matériel sur pied beaucoup plus réduit, d'obtenir une production ligneuse plus abondante.
Dans tous les cas, en conséquence la mise en exploitation des forêts vierges conduira, croyons-nous, à moins de coupes brutales et excessives, à une augmentation de la production à l'hectare.
Il est vrai que l'évolution qui pousse l'homme rechercher la mise en exploitation de nouvelles forêts n'est pas tout à fait à sens unique, et que, dans des conditions économiques données, il peut être amené à en abandonner d'autres. Le cas s'est produit avant la deuxième guerre mondiale dans les pays d'Europe occidentale riches en taillis dont les produits ne trouvèrent plus d'écoulement en raison de la concurrence du charbon. Ces forêts risquaient assurément de retourner à l'état vierge. Mais il s'agissait là d'un phénomène passager et d'amplitude relativement faible, qui ne pourrait avoir, même s'il se reproduisait, qu'une influence insignifiante sur les statistiques mondiales.
Mais, entre la forêt aménagée et régulièrement exploitée et la forêt vierge, tous les intermédiaires sont possibles.
Dans telle région, à population éparse, on rencontrera une forêt où les coupes normales seront régulièrement exploitées, mais où les produits accidentels, généralement répartis sur de vastes surfaces, ne sont pas sortis de la forêt ou ne le sont que partiellement.
Dans telle autre forêt, l'éloignement du massif et la nécessité d'y prévoir, à chaque exploitation partielle, l'établissement de moyens de vidanges coûteux, obligeront à concentrer les coupes sur de faibles surfaces, et par conséquent à prévoir de longues rotations, avec des réalisations massives à chaque coupe. Dans l'intervalle des rotations, les produits accidentels ne sont pas réalisés, et, au moment même des coupes, les produits les moins intéressants, dont la valeur marchande ne couvrirait pas les frais de vidange et de transport, sont abandonnés. C'est ainsi que, dans certaines forêts du Karst, cependant régulièrement aménagées, les nécessités économiques obligent à adopter pour de riches futaies dont le taux d'accroissement est cependant de l'ordre de 2% des rotations de l'ordre de 22 à 25 ans, de telle sorte que les coupes en lèvent d'un seul coup 40 à 50% du matériel sur pied. Dans d'autres cas, c'est presque la coupe blanche que les mêmes nécessités économiques obligent à réaliser. Il en résulte bien souvent une perte considérable de revenus, car la régénération des surfaces ainsi exploitées peut alors nécessiter de très longues années.
Au point de vue statistique, le gaspillage du bois exerce surtout son incidence sur l'écart entre la production totale et la production nette. Et c'est évidemment pour cette raison que cet écart est surtout marqué dans les pays encore riches en forêts vierges: le Canada, l'U.R.S.S., les Etats-Unis. Mais le phénomène auquel nous faisons allusion n'est sans doute pas sans influence sur la production totale et sur la production à l'hectare. Il est évident, en effet, que quelles que soient d'ailleurs les exigences climatiques des essences qu'elle renferme, et mises à part les coupes blanches brutales parfois nécessaires pour la régénération de certaines essences, la meilleure façon de maintenir une forêt à l'optimum de sa production est d'y passer en coupes légères à de très courts intervalles. Le sylviculteur a ainsi la possibilité d'inter venir en temps opportun aussi bien pour assurer le dégagement des arbres d'élite que pour accélérer la régénération, et, s'il dispose d'un contrôle suffisamment précis de la production, il peut diriger l'intensité de ses opérations de façon à réaliser celles-ci au mieux des intérêts du peuplement.
Il n'est donc pas douteux qu'au fur et à mesure que les conditions économiques d'une forêt s'amélioreront, et en particulier que les produits y deviendront de plus en plus aisément accessibles, il deviendra en même temps possible d'y instaurer des méthodes sylvicoles qui auront pour effet d'augmenter la production à l'hectare, en même temps que les écarts entre la production totale et la production nette s'atténueront dans une très large mesure, jusqu'à tendre vers zéro.
Le chiffre de la production à l'hectare diminue tout naturellement, d'une façon générale, lorsqu'on se dirige vers le Nord, avec l'exception toutefois du Danemark, due sans doute à ce que les forêts de ce pays occupent en partie des terres exceptionnellement riches.
Le fait s'explique de lui-même par les variations du climat, et il est évidemment impossible d'espérer que la production à l'hectare des forêts scandinaves, par exemple, puisse jamais approcher celle de la Suisse.
Cependant, ce dernier pays renferme, comme les Alpes françaises, de très nombreuses forêts situées à haute altitude, où tout au moins les conditions climatiques sont comparables à celles des pays nordiques. Les forêts y renferment d'ailleurs beaucoup d'essences identiques, si l'on fait abstraction des questions de race. L'aspect des massifs et leur production y sont cependant bien différents, de sorte qu'il est permis de se demander à une époque où la culture la plus intensive possible des terrains forestiers dès maintenant accessibles s'impose comme une obligation, si la perfection plus ou moins grande des méthodes de sylviculture employées dans les différents pays, et même dans les massifs les plus sérieusement et les plus officiellement contrôlés, ne joue pas, elle aussi, un rôle de premier plan dans les écarts constatés sur la production à l'hectare des forêts mondiales.
Si on les compare, par exemple, aux forêts suisses, les forêts nordiques, et d'ailleurs celles aussi de beaucoup d'autres pays situées dans des conditions climatiques plus favorables, se caractérisent par un matériel à l'hectare faible ou extrêmement faible (descendant parfois à moins de 60 m.3) et par un faible diamètre de l'arbre moyen.
La faible valeur du matériel à l'hectare tient principalement au diamètre des arbres que les conditions de sol et de climat permettent à chaque terrain de porter. Sur les limites posées par la nature à la capacité de production du sol, il paraît difficile d'exercer une action de quelque importance. Cependant les recherches récentes relatives à la sélection et à l'hybridation, recherches très activement poussées par les Etats-Unis, les pays scandinaves et le Portugal, entrouvrent la porte à bien des espoirs. Si certains sylviculteurs redoutaient, au début de ces recherches que la quantité des bois Produits ne soit au détriment de certaines de leurs qualités, ces craintes paraissent aujourd'hui d'autant moins justifiées que les techniques de l'emploi du bois se modifient de façon plus profonde et nécessitent précisément des qualités compatibles avec un accroissement rapide.
Mais abstraction faite même des possibilités d'application de ces nouvelles recherches, il est encore permis de se demander si, en dehors des forêts de l'extrême nord, qui forment une transition obligée entre la forêt proprement dite et les terrains improductifs compris à tort sous cette dénomination, auxquels nous avons fait allusion dans les pages qui précèdent, l'excessive clarté de certains peuplements n'est pas due à des déficiences de la régénération naturelle. S'il en était ainsi, ces déficiences pourraient sans doute être comblées soit par la pratique de méthodes sylvicoles mieux adaptées aux conditions locales, soit par le recours aux plantations. Néanmoins, il faut bien reconnaître que l'un et l'autre de ces remèdes supposent des forêts situées dans des conditions d'accessibilité au moins moyennes. Comme nous l'avons vu, l'éloignement et la difficulté du transport des bois entraînent fatalement des coupes excessives dont la régénération est difficile, si l'essence traitée ne s'en accommode pas parfaitement. Mais ils rendent aussi difficile, si non impossible, l'exécution des plantations qui necessitent une main-d'oeuvre importante non seulement pour le travail même de plantation, mais encore pour l'entretien des pépinières à proximité des terrains à planter.
Les négligences en ce qui concerne la régénération des forêts, ne sont pas du reste le fait de tel ou tel pays seulement. Dans les forêts les plus soigneusement aménagées on rencontre des terrains où l'on a par trop compté sur la régénération naturelle pour boucher les trous ouverts soit par des chablis, soit par des coupes imprudentes. Le tempérament des différentes essences qu'on peut utiliser en plantations est maintenant suffisamment connu - et le choix est en général suffisamment grand - pour qu'on n'hésite plus, maintenant, sous prétexte que des échecs sont à redouter, à recourir à la régénération artificielle. Non pas, assurément, qu'on doive obligatoirement en - faire un système, puisque cette pratique en dehors des in convénients culturaux qu'elle présente peut-être, grève la forêt d'une dépense qu'elle ne peut pas toujours supporter. Mais en principe, il est anormal qu'un terrain forestier récemment exploité reste improductif pendant plusieurs années, et la régénération artificielle s'impose alors de toute évidence.
Par ailleurs, se pose la question du diamètre moyen qu'il est préférable d'obtenir dans un massif, question qui a déjà fait l'objet de longues discussions, mais non peut-être de recherches pratiques suffisamment poussées. Peut-être du moins ces recherches ont-elles trop souvent été dirigées vers l'étude de peuplements réguliers, alors que les possibilités qu'offre à cet égard la forêt jardinée, qui permet de tirer de chaque arbre, par une disposition judicieuse du massif, le maximum de la production qu'il est susceptible de fournir, ont été trop souvent négligées.
La tendance actuelle donne assurément la préférence aux bois de faible diamètre, tout au moins en ce qui concerne les résineux, et met en avant le développement toujours plus considérable des débouchés qui s'offrent à cette catégorie de produits. D'autre part, les forêts où on limite la dimension d'exploitabilité à un faible diamètre et par conséquent la révolution à un âge peu avancé présentent, pour les propriétaires forestiers, l'attrait d'un placement à un taux relativement élevé, ce qui est de nature à faciliter dans une large mesure l'oeuvre du reboisement.
C'est peut-être au Japon qu'on rencontre la limitation la plus typique du diamètre d'exploitabilité. Dans les forêts régulièrement aménagées, l'arbre moyen ne dépasse pas 30 à 35 cm. de diamètre, et la révolution est de l'ordre de 80 ans au maximum et plus généralement de 50 à 60 ans. Par contre, le volume du matériel réel moyen à l'hectare y est généralement très inférieur à 200 m.3 Cette limitation est peut-être due en partie au fait que la plupart des opérations de débardage sont faites à la main, mais elle est aussi basée sur des tables de production qui paraissent, à première vue, convaincantes, et qui indiquent qu'aux âges ci-dessus l'accroissement annuel à l'hectare subit effectivement un fléchissement sensible.
Cependant, la confiance qu'il faut accorder aux tables de production, établies dans des conditions très particulières, nous paraît devoir être limitée, et, dans les forêts de l'Europe occidentale il semble bien que les fortes productions à l'hectare atteignant ou dépassant 10 m.3, soient l'apanage des massifs riches en matériel et particulièrement en gros bois. Bien entendu, ce matériel fonctionne à un taux réduit et le système suppose l'immobilisation d'un capital considérable, mais le sol se trouve employé au maximum de sa capacité de production.
On se trouve donc en présence de deux politiques, entre lesquelles un choix s'imposerait. Mais il semble que, dans la période actuelle de déficit, chaque hectare de terrain forestier doit «rendre» son maximum de production ligneuse, compatible, bien entendu, avec les conditions économiques d'exploitation, la qualité, des produits, et le maintien en bon état de la forêt.
Les recherches de la sylviculture ne nous paraissent pas encore assez avancées dans les différents pays pour que, dans chacun d'eux, une politique forestière puisse être définie à cet égard. D'un autre côté, les recherches en cours dans plusieurs pays concernant la sélection, l'hybridation, la reproduction par voie végétative, l'action des mycorhizes, etc., peuvent modifier les conclusions d'une enquête entreprise à ce sujet.
Quelles que soient les conclusions de cette enquête, elles peuvent montrer la nécessité de réformes capitales, soit que les industries - du bois ou de la pâte doivent s'orienter vers l'utilisation du bois de plus ou moins fort diamètre et modifier en conséquence leurs techniques actuelles, soit que les états intéressés aient a prendre les mesures utiles pour améliorer leurs méthodes de sylviculture et en faciliter l'application même sur les forêts privées. Peut-être aussi, d'ailleurs, cette enquête mettra-t-elle en évidence l'intérêt de politiques différentes suivant la plus ou moins grande richesse des sols forestiers.
La question est en tous cas d'une importance capitale, et l'on peut s'attendre à ce que, quelle que soit la réponse qui y sera donnée dans les différents pays, l'amélioration des méthodes de sylviculture ait pour résultat d'augmenter la production à l'hectare.
D'une façon générale, on a vu que l'évolution qu'on peut attendre dans l'avenir soit d'une connaissance plus approfondie des forêts, soit d'une meilleure utilisation de leurs produits, soit enfin de l'emploi de méthodes de sylviculture plus intensives, doit tendre à l'amélioration de la production à l'hectare.
Dès maintenant, cette production à l'hectare est probablement plus forte qu'il n'est conjecturé et qu'il ressort des statistiques souvent basées sur de simples évaluations ou sur des méthodes de computation en voie d'application ou de perfectionnement.
Pour le reste, il dépend en grande partie de l'homme d'augmenter cette production et de la prélever en totalité pour la satisfaction de ses besoins tout en maintenant les massifs forestiers en bon état. La culture des forêts présente la particularité que la production d'un massif ne peut y être prélevée qu'en éliminant précisément une partie des producteurs. La tâche du sylviculteur consiste donc soit à assurer le remplacement des producteurs éliminés, soit à concentrer la production dans un nombre de tiges plus réduit, soit enfin à viser à la fois l'un et l'autre de ces deux buts.
Mais tous les moyens qui, dans les lignes qui précèdent ont été suggérés pour améliorer, soit réellement, soit statistiquement, le chiffre de la production à l'hectare peuvent se résumer en un seul; l'aménagement, des massifs forestiers. Cependant, par aménagement, il ne faut pas entendre seulement le fait de proportionner l'intensité des coupes dans une forêt à sa production ligneuse et de régler la marche de ces coupes. C'est là ce que nous appellerons - l'aménagement au sens strict et étroit du mot. Il existe aussi un aménagement au sens large, qui d'ailleurs conditionne l'aménagement au sens strict, inconcevable ou inapplicable sans lui.
C'est sur ces deux formes de l'aménagement - qui doivent toutes deux concourir au but que l'on se propose: l'amélioration de la production totale et de la production nette à l'hectare - que nous voudrions insister pour terminer.
L'aménagement au sens large a pour but la prise de possession complète de la forêt par l'homme. Son premier stade qui est encore loin d'être franchi dans tous les pays, consiste donc dans la reconnaissance précise des massifs susceptibles de produire du bois et dans leur délimitation détaillée.
Le second stade consiste dans la protection des massifs forestiers contre leurs principaux ennemis, et notamment contre le feu (car la lutte contre les insectes et les maladies cryptogamiques dépend plus généralement de l'application de bonnes méthodes de sylviculture, et par conséquent de l'aménagement au sens strict). La lutte contre le feu repose en partie, il est vrai, sur l'organisation de voies d'accès, mais l'expérience des dernières années a montré que, même sur des massifs réputés inaccessibles, les moyens dont l'homme dispose actuellement permettent d'organiser la défense contre le feu. Dans ce stade de l'aménagement au sens large, les Etats-Unis ont atteint un degré de perfectionnement inégalé. Grâce à l'application des techniques les plus modernes de l'aviation et de la motorisation agricole, soit aux méthodes préventives, soit à la lutte directe, grâce aux soins qu'ils apportent à l'amélioration du plus modeste outillage comme à l'organisation et à l'étude des modes les plus efficaces de lutte, on peut dire que les forestiers américains ont fait dans ce domaine des progrès remarquables. Entre leurs mains, et dans certaines régions des Etats-Unis, le feu devient même parfois un véritable instrument de sylviculture, dont les possibilités sont peut-être plus importantes qu'il n'apparaît à première vue.
Le troisième stade qui, même dans les pays où une Sylviculture intensive est pratiquée depuis longtemps, n'est pas toujours et partout atteint, consiste à mettre économiquement à la portée des utilisateurs la production de la forêt. Il comporte donc essentiellement l'étude et la réalisation de moyens d'accès et de réseaux de transport suffisamment développés pour que toutes les parties du massif soient économiquement exploitables.
Le quatrième stade, enfin, consiste à assurer aux produits du massif, et, autant que possible, à tous les produits des débouchés économiques suffisants. Ce troisième stade est du reste intimement lié au second, car la réalisation, souvent très coûteuse, d'un réseau de moyens de transport, ne sera effectivement possible que si la valeur des produits qu'on tirera de la forêt rémunère de façon satisfaisante le capital absorbé dans cette réalisation. Il est évident que, dans les cas extrêmes, un massif ne pourra être rationnellement exploité que si l'homme crée autour de lui des industries, scieries, usines de pâte, etc., qui vivront des produits de la forêt et qui en vivront grâce à leur proximité de cette forêt, car ils tireront d'une matière lourde et difficilement transportable des produits plus légers et plus précieux dont le prix de consommation pourra supporter plus aisément les frais de transport inhérents à la situation de l'industrie, tout en laissant à celle-ci une marge suffisante de bénéfices. Ce troisième stade peut comporter un développement plus large encore. Il comprendra éventuellement l'organisation de marchés locaux ou même mondiaux susceptibles d'absorber les produits des forêts mises en exploitation, ou tout au moins certaines catégories de ces produits. Il suppose donc des vues très larges sur les besoins du commerce du bois et c'est notamment dans ce stade qu'un organisme international comme la FAO peut être appelé à jouer un rôle prépondérant.
6. Plantation de teck, Tectona grandis L. f., aux Indes
L'aménagement au sens large du mot constitue donc une opération de longue haleine, comportant en général l'investissement de capitaux considérables. La plupart du temps, il suppose une action des Etats intéressés voire une action internationale - soit directe, soit indirecte. L'action directe consistera à organiser les expéditions de reconnaissance des massifs encore inexplorés, les opérations de lever et de délimitation, à prendre en charge ou à subventionner, suivant les cas, la construction des réseaux d'accès, l'installation des industries, à fournir le personnel technique nécessaire pour projeter et exécuter ces opérations, à surveiller et organiser les marchés nécessaires à l'écoulement des produits. Indirectement, les Etats agiront par l'élaboration d'une législation forestière aussi complète que possible et bien adaptée aux conditions respectives des pays; les pays dont les forêts présentent la meilleure production à l'hectare sont aussi ceux dont la législation forestière est la plus ancienne et la plus élaborée.
L'aménagement au sens strict est plutôt l'affaire de chaque propriétaire forestier pris individuellement que des Etats eux-mêmes. Cependant, il convient d'ajouter que, dans presque tous les pays, l'Etat est l'un des principaux propriétaires forestiers, et que, d'un autre côté, il peut et doit jouer, dans ce domaine aussi, un rôle extrêmement important, soit par l'exemple, soit par la propagande, soit par le contrôle.
Au reste, les principes qui doivent constituer la base d'un aménagement satisfaisant ne sont pas partout et toujours parfaitement établis. Les recherches en matière de sylviculture sont longues et difficiles. Elles supposent, elles aussi, l'intervention de l'Etat et même la coopération entre les Etats. Nous en avons donné tout à l'heure un exemple en ce qui concerne le choix entre une politique de production de petits bois à courte révolution ou de gros bois à longue révolution.
Quoiqu'il en soit, l'aménagement au sens strict consiste à mesurer la production de là forêt, puis à proportionner l'intensité des coupes à cette production, compte tenu des opérations désirables pour améliorer l'état du massif, enfin à régler la marche des coupes au mieux des intérêts, de la forêt et de son propriétaire. Il suppose aussi l'exécution, à intervalles réguliers, d'évaluations complètes du matériel permettant de suivre les fluctuations de la production et de constater les progrès ou les régressions dans la composition du matériel. Les frais qu'il entraîne doivent être normalement incorporés dans les frais de gestion de la forêt, car c'est une opération indispensable au bon entretien de celle-ci et que tout propriétaire forestier devrait considérer comme une obligation.
Mais l'aménagement au sens strict n'est possible, nous l'avons déjà indiqué, que si l'aménagement au sens large est pleinement réalisé. Ce serait un simple jeu de l'esprit que de régler les coupes dans une forêt dont les limites ne seraient pas même déterminées; dans une forêt dont l'existence même serait constamment menacée par le feu; dans une forêt où aucune coupe ne serait possible faute de moyens de vidange; dans une forêt dont les produits ne pourraient trouver acquéreur faute de débouchés.
Il existe certes des forêts aménagées alors que toutes ces conditions ne sont pas remplies ou ne sont qu'un parfaitement remplies. Mais les aménagements établis dans ces conditions doivent, en général, plus ou moins déroger aux principes de sylviculture sur lesquels ils devraient être basés afin de composer avec les nécessites économiques qu'impose l'insuffisance de l'aménagement au sens large. C'est ainsi, par exemple, que l'aménagement d'une forêt mal desservie prévoira des rotations trop longues pour que des opérations sylvicoles raisonnables puissent être conduites dans le massif. Nous dirons que l'aménagement ne constitue dans ce sens qu'un compromis entre les nécessités culturales et les nécessités économiques, et c'est malheureusement ce qu'on peut dire d'un trop grand nombre d'aménagements, même dans les pays les plus évolués à cet égard.
Toutefois cette brèche entre les nécessités économiques et les nécessités culturales tend maintenant à se combler. Les progrès seront sans doute très lents dans les pays où de vastes étendues de forêts sont encore hors de portée de l'homme, où l'aménagement au sens large en est encore à ses premiers pas. Mais sous la pression de besoins en bois constamment accrus par le développement de la civilisation, il n'est pas douteux que l'homme se trouvera tôt ou tard dans l'obligation de recourir à ces ressources encore inexploitées. D'autre part, sous la même pression et pour peu que l'impulsion première soit donnée par les Etats, il cherchera partout à tirer la production maximum des terrains forestiers dont il dispose déjà. Il y sera puissamment aidé par l'amélioration des méthodes de la sylviculture. Dans le domaine des forêts aussi le progrès est en marche. Il appartient aux forestiers de tous les pays d'y aider de toute leur science et de toute leur foi. La récompense de leurs efforts sera, clans les statistiques mondiales, l'augmentation du petit chiffre qui marque la production à l'hectare des massifs forestiers du globe.
L'enjeu qui se trouve en question est bien digne de ces efforts. Les terres forestières ne sont pas en effet, comme on le croit trop souvent, des parentes pauvres des terres agricoles. L'utilité de leurs produits ne peut, assurément, se comparer à la même échelle, mais, dans un ordre différent, elle est certainement aussi grande que celle des produits des terres agricoles, dont la consommation et même les possibilités de production dépendent dans une large mesure de l'existence même de la forêt.
Quant à la puissance de production, tout en ne nécessitant que des soins infiniment moins importants et moins coûteux, celle des terres forestières est aisément comparable à celle des terres agricoles. Un hectare de forêt en bonne condition de sol peut produire chaque année 10 m.3 de bois représentant à l'état sec 5.000 kg. de matières utilisables par l'homme. Or, un hectare de maïs, par exemple, produit annuellement environ 1.800 kg. de produits alimentaires, et, pour prendre une matière fibreuse entièrement comparable au bois, la productivité du coton est seulement dans les mêmes conditions, de l'ordre de 300 kg. Tout en assurant aux terres agricoles une indispensable protection, la forêt est donc par elle-même une source de richesse telle que rien ne saurait être épargne pour en augmenter la puissance.
Les clichés 1, 5, et 6 illustrant cet article ont été obligemment prêtés par F. R. I. Dehra Dun, Inde; et les clichés 3, 4, et 5 par U. S. Forest Service.