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3. LE SECTEUR DES PECHES ET DE L'AQUACULTURE

Les eaux lacustres sous la souveraineté du Rwanda occupent près de 6% de la superficie du pays, soit 1.500 km2 environ, dont 65% sont occupés par la partie rwandaise du lac Kivu, à l'ouest du pays. Les autres lacs, dont le nombre dépasse la trentaine, appartiennent au système hydrographique situé en amont du Nil, et couvrent une surface d'un millier de kilomètres carrés.

On peut distinguer 6 grands types de lacs: le lac Kivu, les lacs du Nord, le lac du plateau central, le lac Muhazi, les lacs de la dépression du Bugesera, les lacs du Sud-Est et les lacs du parc national de l'Akagera. La figure 1 renseigne sur la situation générale du réseau hydrographique du Rwanda. L'annexe 2 donne un récapitulatif des principales données physiques et socio-économiques des plans d'eau du Rwanda.

Figure 1

Figure 1 : Situation générale du réseau hydrographique du Rwanda.

3.1 CARACTERISTIQUES DE LA PECHE AU RWANDA

3.1.1 Généralités

La pêche au Rwanda a été très peu pratiquée jusque dans les années 70, date à laquelle le projet de développement de la pêche au lac Kivu a été instauré. Ce projet a été fortement soutenu par les autorités rwandaises, qui en ont fait une priorité absolue dans le cadre de la politique d'autosuffisance alimentaire. En effet, le Rwanda connaît une croissance démographique galopante (3.7% /an) et une densité sur les terres cultivables de 250 habitants/km2. Cet état de fait a entraîné plusieurs conséquences graves dont: une pénurie en terres cultivables, un manque nutritionnel chronique en protéines animales, et un sous-emploi de la population. Selon la Banque mondiale, le chômage atteint 30% environ de la population totale en zone rurale.

La pêche au Rwanda est pratiquée dans 3 types de milieu: les lacs naturels dont 3 lacs frontaliers, les petits lacs de barrage aménagés à diverses fins, et les rivières. L'essentiel des captures provient des lacs naturels, alors que les rivières contribuent pour moins de 5% à la production halieutique totale.

La pêche au Rwanda étant une activité récente, il n'existe pratiquement pas de pêche traditionnelle d'où une absence de systèmes d'aménagement traditionnels. Les pêcheurs exercent en général leurs activités à temps partiel en complément de leurs activités agricoles, sauf sur les lacs Kivu et Ihema où la pêche est une activité professionnelle à part entière.

Les revenus des pêcheurs varient suivant les lacs, leur richesse en poisson et l'effort de pêche exercé. L'importance socio-économique de la pêche est mal connue, mais on estime qu'environ 30.000 personnes bénéficient directement de la pêche sur le lac Kivu.

3.1.2 Les techniques de pêche

Sur le lac Kivu, la technique de pêche utilisée est particulière. La pêche professionnelle s'y pratique la nuit à l'aide de filets soulevés qui capturent le poisson attiré par des lampes. Les embarcations se composent de trois pirogues reliées l'une à l'autre (trimaran) sur lesquelles travaillent un équipage de huit à dix pêcheurs.

Sur les autres lacs, la pêche se pratique à l'aide de pirogues monoxyles (de 4 à 8 m), depuis lesquelles les pêcheurs (de 1 à 3) posent leurs filets maillants. La pêche à la ligne à partir du bord est une pratique courante. Les sennes tournantes ne sont utilisées que pour les pêches expérimentales à l'Haplochromis. Les sennes de plages ne sont pas réglementaires et ne sont utilisées que par les braconniers.

3.1.3 La composition des stocks halieutiques

La faune ichtyologique est peu diversifiée en raison de la jeunesse des lacs et de l'existence d'obstacles naturels (chutes) qui ont empêché la colonisation de la partie supérieure du réseau hydrographique par diverses espèces caractéristiques du bassin du Nil. En conséquence, de multiples niches écologiques sont restées vacantes dans ces milieux aquatiques. C'est pourquoi diverses introductions d'espèces, malheureusement souvent anarchiques et peu suivies, ont été effectuées sans améliorer de manière significative la situation. Toutefois, l'introduction de Tilapia nilotica, espèce la plus appréciée par les consommateurs et exploitée aujourd'hui dans tous les lacs du pays, et de Limnothrissa miodon (Isambaza), espèce introduite du lac Tanganyika en 1958 et exploitée dans le lac Kivu depuis 1979, ont permis le développement de nouvelles pêcheries. Par ailleurs, l'introduction de Clarias dans les lacs Rweru et Muhazi a permis récemment sa mise en exploitation.

Les lacs les plus riches en espèces se situent à l'est du pays, tandis que les deux lacs du Nord, Bulera et Ruhondo n'abritent que 3 espèces de poissons. Le lac Muhazi est également pauvre en espèces, même si des Protoptères y ont été introduits récemment.

Les possibilités et les problèmes d'introduction de nouvelles espèces seront discutés plus loin, ainsi que les possibilités d'exploiter dans plusieurs lacs rwandais d'importants stocks d'Haplochromis qui n'ont pas encore fait l'objet d'une exploitation commerciale, faute d'un marché rémunérateur.

3.1.4 Production nationale et niveau d'exploitation des pêcheries

En raison du manque de données statistiques fiables, les chiffres avancés dans le présent document ne sont que des estimations. La production nationale totale en produits de la pêche peut être estimée pour les dernières années entre 2.000 et 3.500 t. Les dernières estimations extrapolées pour 1990 se montent à 3.280 t, dont 2.080 t pour le lac Kivu toutes espèces confondues, et 1.200 t pour les autres lacs rwandais.

Le Tableau 1 permet d'apprécier l'évolution de la production nationale au cours des 15 dernières années. Cependant, les données y figurant doivent être considérées avec circonspection en raison des faiblesses du système de collecte des données statistiques.

TABLEAU 1: EVOLUTION DE LA PRODUCTION NATIONALE DE POISSONS D'APRES DES ESTIMATIONS (EN TONNES).

75767778798081828384858687888990
1198100814547097972042222511741210785147114851630147024863280

Source: principalement BUNEP (1989)

L'évolution de la production telle quelle apparaît dans le Tableau 1 met en évidence de très fortes variations suivant les années. L'augmentation importante au cours des récentes années doit cependant être imputée à la prise en compte de 1000 t d'Haplochromis, de Tilapia supposés être pêchés dans la partie rwandaise du lac Kivu, et aussi d'Isambaza du lac Kivu vendu hors projet.

Il est toutefois difficile de préciser quels sont les facteurs qui agissent sur la variation de la production de poissons au Rwanda. Parmi ces facteurs, on peut notamment citer le niveau hydrologique, la transparence des eaux liée à la richesse en plancton, l'effort de pêche, l'assistance technique et financière ou encore les exigences de la commercialisation.

Actuellement, seuls le lac Kivu dont les variations de stocks sont suivies en permanence par le projet de pêche basé à Gisenyi, et les lacs du parc de l'Akagera, dont la gestion est du ressort principal de l'office rwandais du tourisme et des parcs nationaux (ORTPN), sont exploités d'une manière rationnelle, ces derniers semblant même pour l'instant sous-exploités. Ailleurs, l'effort de pêche est presque partout excessif, et des phénomènes de surpêche peuvent être observés. Les facteurs responsables de la surexploitation sont: le nombre trop important de pêcheurs professionnels et occasionnels, une fréquence de pêche excessive, l'utilisation de filets à petites mailles, et le braconnage.

Sur les plans d'eau tels que Mugesera, Bilira, Saké, où aucun projet de développement n'a été établi, la situation de surpêche est dramatique.

Bien qu'ils soient ou aient été sous l'égide d'un projet, la production des lacs Muhazi, Nasho, Mpanga et Cyambwe a suivi une évolution fluctuante. Le contrôle de l'effort de pêche dans ces lacs n'a jamais été effectif.

Enfin, dans tous les lacs du Rwanda, à l'exception des lacs Kivu et Ihema, la ressource Tilapia est partout surexploitée.

Le Service pêche et aquaculture encourage actuellement la professionnalisation de la pêche en vue de remédier aux problèmes de surexploitation. Les choix stratégiques entrepris pour limiter l'effort de pêche devront dès lors accorder une attention particulière à la répartition des privilèges, licences ou concessions, afin de prendre en compte toutes les catégories de pêcheurs, y compris les pêcheurs occasionnels en situation précaire. L'annexe 2 donne une récapitulatif des données physico-chimiques et socio-économiques des plans d'eau rwandais.

3.1.4.1 Le lac Kivu

La pêche au lac Kivu, jusqu'au démarrage du projet pêche en 1979, fut une activité mineure et dispersée. Elle n'avait jamais fait l'objet d'une étude particulière. Les pêcheurs pratiquaient leurs activités à proximité du littoral à l'aide de nasses et de filets maillants, ils capturaient surtout des Haplochromis et Tilapias (introduits par accident dans le lac, depuis les étangs piscicoles). Ces pratiques continuent aujourd'hui.

Le projet de Développement de la pêche au lac Kivu en est à sa troisième et dernière phase. Il a débuté modestement en 1979 à la suite de l'introduction réussie du clupéidé Isambaza (Limnothrissa miodon) en provenance du lac Tanganyika.

Compte-tenu d'une absence de tradition de pêche dans une pêcherie quasiment monospécifique, dans un pays sans tradition de consommation de poisson, le projet est intervenu dans tous les secteurs du développement de la pêche.

Les unités actives sur le lac Kivu sont actuellement estimées à 227 trimarans (contre 4 en 1974), soit un investissement d'environ $E.U. 1,1 million, rendu possible grâce à un système de crédit mis en place par le projet et dont le montant total s'élève à 300.000 $US1 (remboursé en totalité). Ces unités procurent un travail régulier à près de 2.000 pêcheurs auxquels il faut ajouter environ 3.000 femmes s'occupant de la commercialisation des poissons. Chacune de ces personnes faisant vivre en moyenne de 6 à 7 membres de la famille, de 30 à 35.000 personnes pourraient vivre actuellement du secteur de la pêche au lac Kivu.

La production potentielle du lac Kivu n'est pas connue. Les estimations sont fort variables et les recherches menées par le projet tendent à préciser ces données. A l'heure actuelle le projet estime la production potentielle de la partie rwandaise à 3.000 t environ.

L'évolution de la production d'Isambaza des unités trimarans débarquant au projet suit une courbe spectaculaire depuis 1979. Elle passe de 0,7 t en 1979 à 454 t en 1990. La production totale du lac en 1990 s'approcherait, selon les estimations du projet, à 2.580 t, à supposer que la production débarquée au projet constitue environ un quart de la production totale, comme semblent l'indiquer les enquêtes KIVUSTAT menées début 1990. Les captures des unités rwandaises s'approcheraient quant à elles de 1.080 t.

TABLEAU 2 PRODUCTION EN TONNES DES ISAMBAZA DEBARQUES AU PROJET ENTRE 1979 ET 1990

197919801981198219831984198519861987198819891990
0,741,466,283,391,5199,3329,7249,6401,9219,9301454

Il n'est pas possible à l'heure actuelle de déterminer quelle est la capture annuelle d'Haplochoromis, mais les enquêtes effectuées ont mis en évidence son importance. Des extrapolations statistiques indiqueraient une production d'environ 1.000t /an débarquée et vendue directement sur les marchés locaux.

1 Taux de change: FRW 80 = 1 $US (octobre 1990)

3.1.4.2 Les lacs de l'Est

Ce sont les lacs les plus riches en espèces de poisson en raison du contact avec le fleuve Akagera. Il n'y a jamais eu d'introduction de nouvelles espèces dans ces lacs.

Le lac Ihema, situé au sud du parc de l'Akagera est le seul à être régulièrement exploité. Les activités de pêche y sont entièrement gérées par l'ORTPN qui sélectionne les pêcheurs, fixe le nombre d'unités de pêche, délimite les zones de pêche, et fournit le matériel aux pêcheurs.

Actuellement son niveau d'exploitation se situe entre 180 et 200 tonnes/an. La pêcherie est basée essentiellement sur Tilapia spp. et Clarias gariepinus qui ne représentent que 30% de l'ichtyomasse. Les potentialités du lac sont de l'ordre de 400 à 450 tonnes/an et pourraient être atteintes en pêchant les Haplochromis spp. (36,5% de l'ichtyomasse avec un rendement maximum soutenu évalué à 187 tonnes/an) capturables à la senne tournante ou à la senne danoise, ainsi que les Mormyridae (± 10% de l'ichtyomasse) capturables aux filets maillants (mailles de 31,5 mm entre-noeuds) dans la zone côtière nord non fréquentée par les jeunes Tilapia spp.

Les pêcheurs vendent toute leur production au projet, et sont soumis à une redevance mensuelle de FR 500. L'exploitation du lac bénéficie de conditions particulièrement favorables qui sont les suivantes:

L'exploitation des autres lacs du parc de l'Akagera s'est faite sans études préalables. Les pêcheurs y sont généralement actifs jusqu'à ce qu'apparaisse une rente négative. De plus, le coût de transport (pirogues, pêcheurs et poissons) a grevé la rentabilité de cette entreprise. Il apparaît donc beaucoup plus logique de diversifier la pêche sur le lac Ihema où se trouvent toutes les installations nécessaires à la conservation, à la transformation et au transport du poisson. Cela permettrait d'améliorer nettement la rentabilité de la pêcherie sans investissement ni coûts de fonctionnement supplémentaires.

Les lacs Rwampaga, Nasho et Cyambwe, situés au sud de l'Akagera, bénéficient du même environnement favorable que le lac Ihema, mais la pêche y pose des problèmes d'exploitation particuliers. Le nombre de filets maillants y est trop important et les problèmes de braconnage sont fréquents. La situation est rendue plus difficile encore par la proximité de la frontière tanzanienne et par l'intensité des activités de fraude.

Sur le lac Rwampanga, le problème principal est le vol de filets. Les questions les plus cruciales sur le lac Nasho sont l'utilisation d'un maillage trop petit et la pratique de la pêche à l'insecticide. Quant au lac Cyambwe, il semblerait que les pêcheurs soient en nombre trop important.

Autour des 3 lacs, les pêcheurs sont organisés en coopératives qui semblent avoir connu de nombreux problèmes de gestion (cumul de fonction, exclusion des pêcheurs les plus pauvres, etc.).

3.1.4.3 Les lacs du Sud-Est

Les lacs Mugesera, Saké et Bilira sont situés à l'intérieur du pays. Ils ne bénéficient à ce jour d'aucun encadrement de la part du Ministère de l'Agriculture de l'Elevage et des Forêts (MINAGRI). Ces lacs sont très mal exploités par un nombre excessif de pêcheurs. On y utilise des techniques inadéquates et néfastes pour les juvéniles et les géniteurs (pêche à la frappe, pêche à la senne de plage avec des mailles trop petites). Suite à cet état de fait, de nombreux pêcheurs se sont déplacés sur le lac Rweru. Les rapports entre les salariés et patrons devraient être examinés de près; en effet, il semble que les pressions financières exercés par les patrons sur les salariés incitent ces derniers à des pratiques illégales. Ceci rentre dans la politique d'encadrement et de définition des groupes cibles, statuts des coopératives, accès au crédit, limitation de l'effort de pêche par unité de pêche, etc. Par ailleurs, ces pêcheurs sollicitent un appui technique pour former et stabiliser les pêcheurs et leur groupements. A cet égard un effort de coordination sera nécessaire entre communes riveraines. Enfin, les stocks d'Haplochromis (apparemment importants) devraient faire l'objet d'une pêche expérimentale à la senne tournante en coordination avec les travaux menés sur d'autres lacs et après détermination des débouchés commerciaux (études de marchés). Il serait souhaitable qu'un projet prenne en charge l'encadrement de la pêche sur ces trois lacs suite à une étude biologique de base et une enquête socio-économique de la population de pêcheurs.

3.1.4.4 Les lacs du Bugesera

Les lacs du Bugesera comprennent 6 petits lacs intérieurs constitués par les lacs Kidogo, Gashanga, Rumira, Mirayi, Kilimbi et Gaharwa, et par 2 lacs frontaliers avec le Burundi, les lacs Rweru et Cyohoha-Sud. Les petits lacs intérieurs sont relativement productifs et accueillent un nombre important de pêcheurs aux filets maillants. En général, ces lacs sont surexploités. Cependant, il existe des pêcheries, telles que celle de Kilimbi, où des groupements locaux ont réussi à contrôler l'effort de pêche.

Le lac Rweru, dont seulement 20% de la surface est en territoire rwandais, bénéficie de mesures d'aménagement communes qui viennent tout juste d'être mises en oeuvre avec l'appui du projet régional RAF/87/099 basé à Bujumbura. Les pêcheurs rwandais se sont organisés en groupements, ce qui rend plus facile les négociations avec la contrepartie burundaise; les phénomènes de surpêche sont endémiques, les sennes de plage ont été récemment interdites du côté burundais, les filets maillants de petite maille sont trop souvent utilisés. De plus, des pêcheurs braconnièrs, vivant dans des îles flottantes, pourraient être les auteurs de vols de filets répétés.

TABLEAU 3: TABLEAU RECAPITULATIF DE LA PECHE 1980–1989 SUR LES LACS DU BUGESERA.

AnnéeNbre lacsNbre pêcheursNbre filetsNbre pirogueTilapiaClarias
Nbre poissonstonnage
198093992.6652961.199.276--
198193492.3143151.380.544--
198282881.7322721.299.980299,8-
198382942.5502871.446.031338,9-
198482902.3013161.033.201234,1-
198582862.4212731.007.667--
198684143.6823751.084.759--
198784444.3404291.815.921361,6-
198883923.0314121.645.766289,1-
198994502.697*464-362,825,4

Source : BGM, 1990
* En 1989, la diminution du nombre de filets fait suite à l'uniformisation de la grandeur des mailles sur les lacs; certains pêcheurs n'ont pu acheter immédiatement le matériel réglementaire.

Au lac Cyohoha-Sud, la situation semble meilleure qu'au lac Rweru. Les pêcheurs se sont constitués en groupements et le maillage utilisé est dans les normes. Les pêcheurs burundais sembleraient pêcher avec des mailles plus petites, ce qui pourrait avoir un impact sur les stocks rwandais.

3.1.4.5 Les lacs du Nord

Le lac Bulera, très pauvre en espèces, est fermé à la pêche depuis août 1990, suite à une surexploitation. Mais le braconnage y est toujours pratiqué.

Le lac Ruhondo a également été fermé en août 1990, en raison d'un effort de pêche à la ligne et aux filets maillants excessif. De plus la pêche à la frappe et l'utilisation de sennes de plage à très petit maillage ont eu des effets néfastes sur les stocks de Tilapia. Le développement de la pêche dans ces deux lacs est suivi par un projet financé par le Gouvernement rwandais. Il a été proposé, lors du séminaire de décembre 1990, que le document de projet soit révisé afin de mieux cerner les objectifs et de mieux articuler la stratégie de développement.

Le lac Muhazi est aussi compris dans les lacs du nord. Ce lac présente des caractéristiques géographiques qui rendent difficile le contrôle des activités de pêche qui sembleraient assez intenses. Le nombre des pêcheurs y est trop important et des techniques de pêches nuisibles y sont couramment utilisées (pêche à la frappe, senne de plage, mailles trop petites). Une relative pauvreté en ressources halieutiques a encouragé le projet pêche au lac Muhazi (financé par la Belgique) à introduire des protoptères suite à l'introduction de Clarias. Le projet s'est également préoccupé de réempoissonner le lac en Tilapia et poursuit des recherches pour l'exploitation des Haplochromis et leur transformation en farine. A l'heure actuelle le projet n'a pas été en mesure de contrôler l'effort de pêche malgré la formation de groupements et des tentatives de réduction du nombre de pêcheurs. A noter également que Les vols de filets y sont chroniques.

3.1.4.6 Les lacs de barrages

On a construit à diverses fins (mines et irrigation) dans la plupart des Préfectures du Rwanda une série de petits barrages qui font l'objet depuis 1982 d'empoissonnements occasionnels en alevins de T. nilotica et parfois de carpes communes. Des carpes ont également été introduites dans les petits lacs naturels du Nord très pauvres en espèces. Ces lacs sont généralement exploités par les populations locales, parfois par les communes ou par des privés. Malheureusement, l'absence de suivi technique et scientifique ne permet pas d'évaluer les résultats de ces actions. On sait toutefois que la carpe commune s'est reproduite dans les lacs Karago et Nyirakigugu et a fait l'objet d'une exploitation appréciée localement. Une pollution récente du lac Karago semble toutefois avoir anéanti le stock piscicole.

3.1.4.7 Les rivières

Le Rwanda est traversé par de nombreux cours d'eau de faible importance. La plupart charrient des quantités importantes de matières minérales en suspension (érosion des collines) ce qui rend leurs eaux très turbides et réduit nettement leur productivité potentielle. Il en résulte que les captures occasionnelles de poissons dans ces rivières sont négligeables.

Il faut cependant signaler qu'en période de montée des eaux un certain nombre d'espèces (Clarias gariepinus, Labeo spp., Barbus spp., Schilbe, etc.), effectuent des migrations de montaison et/ou littorales et sont alors capturées par des filets maillants qui barrent complètement certaines rivières. Il serait nécessaire de réglementer l'utilisation de certains engins pour protéger les reproducteurs en migration.

Enfin, il faut signaler que depuis 1988, on assiste au développement sur les rivières Mukungwa et Akagera d'une plante introduite; la jacinthe d'eau (Eicchornia crassipes). Cette plante commence à s'installer dans un série de lacs (Rwampanga, Ihema, etc.), ou son développement risque d'être dommageable pour les stocks piscicoles. Il y a lieu de suivre sérieusement cette évolution.

3.1.5 Organisation socio-économique des pêcheurs

3.1.5.1 Les groupements et les coopératives

Il existe aujourd'hui dans le domaine de la pêche au Rwanda, une coopérative agréée le 23 janvier 1980, deux groupements à vocation coopérative et une union de trois associations coopératives en attente de personnalité juridique, toutes situées autour des lacs du sud Akagera (lacs Bulera, Ruhondo, Mpanga, Mugesera). Le nombre de groupements associatifs informels dans le domaine de la pêche au Rwanda est assez mal connu. L'IWACU (Centre de Recherche et de Formation Coopérative du Rwanda) recensait récemment au Rwanda plus de 30.000 groupements économiques, tous secteurs confondus. Pour le secteur de la pêche, il est probable que le nombre de groupements soit assez important, les pêcheurs se regroupant selon leurs intérêts économiques ou sur la base des liens de lignage.

L'échec des groupements à vocation coopérative dans la pêche est dû au manque de cohésion entre les principaux intéressés. En effet, des groupements institutionnels ont tenté de se créer à partir d'intérêts particuliers, et surtout individuels (accès à la formation, accès au crédit, etc.). Or aucun intérêt de type collectif, tel que la gestion des ressources ou la gestion du capital social, n'a été encouragé, ce qui a rendu très vulnérable les essais de groupements. En d'autres termes, les pêcheurs ne se sont jamais senti réellement impliqués. Ce constat trouve aussi son origine dans le fait que, d'une part, l'absence de traditions coutumières de la pêche au Rwanda n'a pas pu servir de catalyseur aux groupements, et, d'autre part, les pêcheurs étant souvent illettrés n'ont pas pu participer de manière active à la gestion des groupements. Enfin, le cumul de fonctions des secrétaires de coopératives a souvent rendu occulte la gestion, ce qui a plongé ces associations dans un marasme financier, et a aussi suscité la méfiance des pêcheurs.

Pourtant, certains pêcheurs voudraient travailler au sein des coopératives afin de bénéficier, notamment, des possibilités d'épargne et de crédit à travers la mensualisation des produits monétaires de leur vente de poisson, et d'un certain pouvoir de lutte contre les vols de filets.

Afin de faciliter le développement de groupements à vocation coopérative, il est nécessaire de revoir les statuts juridiques, de définir de manière précise les règlements internes de gestion, et d'assister les personnes en charge de l'encadrement technique et économique en les plaçant éventuellement sous l'autorité de la Division pêche et aquaculture.

Avec la mise en place d'une nouvelle législation des pêches (Cf 5.2), les groupements de type associatif pourraient être encouragés.

Par ailleurs, le renforcement de la contribution des organisations non-gouvernementales (ONG) au processus de développement au Rwanda pourrait avoir un impact positif sur la création de groupements à vocation coopérative dans la pêche. En effet, les ONG sont souvent intéressées aux mouvements de type associatif. L'IWACU a lancé en 1980 un programme de formation en gestion, comptabilité et recherche pour les coopératives. L'association pour le développement rural intégré (ADRI) encourage la formation de groupements et les assiste dans l'élaboration de projets et le suivi administratif. D'autres ONG participent également à des programmes d'assistance technique et économique auprès d'entrepreneurs.

3.1.5.2 Le crédit

Dans le domaine de la pêche, seuls les projets du lac Kivu et le projet pêche à Mpanga ont institué un programme de crédit. Le premier a cessé ses activités de crédit dès la réalisation de l'objectif du programme et après qu'une partie des dettes contractées par les pêcheurs aient été recouvrées. Le second a enregistré de très mauvais résultats imputables à diverses erreurs de gestion.

Pourtant, les entretiens avec les pêcheurs au Rwanda montrent que leur préoccupation majeure est la régularité et la rapidité de l'approvisionnement en matériel de pêche réglementaire. Dans la mesure où ceci représente un élément important pour l'aménagement des pêches, il serait souhaitable que soit mis en place un projet de crédit. Pour ce fait, il faudrait auparavant disposer de connaissances précises des structures de production, de la division du travail, du partage des bénéfices, ainsi que des systèmes de crédit existant auprès des groupements.

Le système local des tontines (IWACU relève dans une étude récente que la seule commune de Byumba compte 95 tontines regroupant 5.300 membres), devrait être pris en considération lors de l'identification de projets incluant un volet crédit. Les processus de partage des risques et de responsabilisation des membres sont particulièrement intéressants. Au sein des communautés de pêcheurs, le concept de la responsabilisation va de pair avec un aménagement sain des pêcheries.

Les banques populaires, dont les activités sont en général sollicitées par les communes, pourraient jouer un rôle important dans le développement des pêcheries. La tendance au sein des banques populaires est aujourd'hui d'augmenter la représentation des principaux actionnaires et à les rendre plus autonomes des autorités administrative; en fait le nombre des paysans a augmenté dans les conseils d'administration et celui des représentants communaux a diminué. Considérant la complexité des problèmes d'aménagement des pêches il faudrait cependant qu'un représentant communal formé en la matière et qu'un représentant des groupements participe aussi au conseil d'administration afin de faciliter la gestion d'une éventuelle ligne de crédit aux pêcheurs.

En raison de la politique actuelle de limitation de l'effort de pêche sur les lacs rwandais, la mise sur pied de programmes de crédit ou d'une ligne crédit-pêche au sein des structures déjà existantes ne semble toutefois pas prioritaire. Mais afin de ne pas décourager les efforts actuels entrepris pour approvisionner les pêcheurs en matériel de pêche, il faudrait que la Division des pêches, à travers ses structures d'encadrement, poursuive un effort de formation en insistant sur les structures associatives susceptibles de garantir le remboursement des dettes contractées.

3.1.5.3 Les revenus des pêcheurs

Les études montrent qu'il existe des variations saisonnières significatives au Rwanda en ce qui concerne la production par pêcheur sur un même plan d'eau, et la production totale par plan d'eau. Ces variations peuvent être attribuées à la différence d'investissement entre les pêcheurs (nombre de pirogues, état des filets, etc.), et le niveau des dépenses d'exploitation par pêcheur, à savoir: l'intensité d'utilisation de l'équipement, qui a une incidence directe sur le coût de réparation et de remplacement de l'équipement.

Selon le modèle statistique élaboré par le BUNEP, et donné en annexe 3, on observe qu'avec le même coût total d'investissement et les mêmes dépenses d'exploitation, la capture par pêcheur et par lac peut différer considérablement. Dès lors, il parait important de relever ces paramètres dans la perspective d'une assistance financière aux pêcheurs.

Les pêcheurs que la mission FAO a rencontré gagnent entre FRW 3.000 et 14.000/mois suivant l'intensité de leurs activités et la richesse des plans d'eau.

Ce sont en général les femmes des pêcheurs qui possèdent des terres qui se chargent des cultures pendant que leurs maris pêchent ou se reposent après une nuit de pêche.

Un survol rapide de la situation socio-économique des pêcheurs sur les plans d'eau rwandais semble indiquer que les pêcheurs les plus vulnérables économiquement sont ceux qui ne possèdent pas de terre et qui travaillent à la solde des patrons - souvent membres influents d'un groupement - ou ceux qui, sans emploi alternatif et sans terre, pratiquent la pêche à l'aide d'engins rudimentaires. Ces pêcheurs apparemment sont souvent responsables d'exactions: vols de filets, méthodes de pêche prohibées, etc. Il est nécessaire que soit entreprise rapidement une étude socio-économique qui permette notamment une approche équitable dans la politique de partage des plans d'eau.

3.2 CARACTERISTIQUES DE LA PISCICULTURE AU RWANDA

3.2.1 Evolution de la pisciculture au Rwanda

L'introduction de la pisciculture au Rwanda date de 19502. Elle a été soutenue par un programme de vulgarisation en milieu rural basé sur la polyculture de trois espèces de Tilapia: Tilapia nilotica, T. macrochir et T. rendalli. Des rendements de 11,2 kg/are/an ont été observes par endroit à cette époque.

2 Le développement de la pisciculture au Rwanda est détaillé dans différents documents (Schmidt et Vincke, 1981; Hishamunda et Moehl, 1989; Deceuninck, 1990)

En 1968, une mission FAO relève un taux de production de 450 kg/ha/an alors que 45% seulement du poisson atteignait une taille commerciale. En conséquence, la mission s'employa à inventorier et sélectionner les reproducteurs à la Station piscicole de Kigembe remise en activité en 1965. La station développe ses efforts de vulgarisation au Rwanda central, une région pauvre en ressources lacustres. Suite à ces efforts, une production de 900 kg/ha/an fut enregistrée dans certains étangs, sans pour autant avoir suscité un développement de l'aquaculture. Une deuxième mission FAO (1972–1973) relève que la Station piscicole de Kigembe n'a pas joué le rôle moteur qu'on attendait d'elle.

Tableau 4: EVOLUTION DES ETANGS ET DE L'ALEVINAGE 1984–1989 (SOURCE: RAPPORTS ANNUELS SNP KIGEMBE)

 19841985198719881989
Nbre total d'étangs  1.569  1.229      2.408     2.8893.166   
Superficie en ares     4.651,5  4.257         8.606,8        9.641,910.461,5
Nbre d'étangs PPN    525       1.623     2.2202.617   
Superficie en ares           5.842,7        7.248,98.657,5
Nbre d'étangs construits    211      87         373        512468   
Superficie           1.214,6        1.320,91.257   
Nbre d'étangs renouvelés en 1990     242         339        301436   
Superficie en ares          1.194,7        1.005,91.450,2
Nbre d'étangs empoissonnés en 1990    378    389        790     1.0591.205   
Superficie en ares          1.882,2        3.497,81.620,8
Nbre alevins ayant servi à l'empoissonnement des étangs89.05189.317 273.273 313.887371.733   
Nbre alevins PPN (centre)     90.27031.829   
Nbre alevins pisciculteurs PP   273.684335.228   
Nbre autres alevins       9.9334.676   
Nbre étangs vidangés     165    297       455       608948   
Superficie en ares         1.881,3 3.347,7

Les contraintes du développement de la pisciculture furent identifiées par plusieurs études; on peut notamment relever le manque de personnel d'encadrement technique compétent, le manque d'apports réguliers en alevins, une demande en poissons insuffisante, la construction d'étangs onéreuse, et enfin un manque de clarté quant aux objectifs des interventions.

Depuis 1980, les efforts de développement de la pisciculture s'intensifient. A la demande de l'USAID, la FAO a conduit une étude de faisabilité de la pisciculture rurale assez approfondie. Les résultats ont montré que la pisciculture rurale pouvait être faisable et rentable, à condition toutefois de pouvoir augmenter la charge en poissons. La même étude souligne que, durant les 20 dernières années, les résultats ont été assez décevants en matière de développement de l'aquaculture en raison du manque de vulgarisateurs bien formés et de l'absence d'une technologie de pisciculture adaptée au Rwanda. La FAO identifie alors un projet de 4 ans en fixant des objectifs apparemment vraisemblables (2.400 étangs de 4 ares environ qui produiront 180 t de poissons/an) pour une valeur de FRW 13,5 millions. A la fin du projet, la production piscicole pourrait s'accroître de 10% /an.

Sur cette base, l'USAID a lancé le Projet de pisciculture nationale (PPN 1983–1988) destiné à relancer l'activité piscicole dans la partie Ouest du Rwanda, avec l'aide de l'Université d'Auburn pour un coût total de 2,5 millions $US sans compter la contrepartie du Gouvernement rwandais. A la fin du projet, le Service de pisciculture nationale nouvellement baptisé connaît des difficultés dues à des compressions budgétaires du Gouvernement rwandais. Néanmoins, on observe une augmentation constante pendant ces années du nombre des étangs, des pisciculteurs et de la productivité comme l'indique le Tableau 4.

3.2.2 Situation actuelle de la pisciculture au Rwanda

La pisciculture rwandaise n'a jamais connu un caractère intensif prononcé. En effet, les interventions recensées jusqu'en 1983 mettent l'accent sur la recherche, sur la production d'alevins pour diffusion en milieu rural (où le problème des intrants a toujours été épineux), ou sur l'empoissonnement des lacs par des alevins produits en stations. Ces interventions ont permis de définir progressivement une technologie de pisciculture adaptée aux conditions locales, et vers 1985–1986 une technologie appropriée fut mise en application donnant des résultats de production atteignant aujourd'hui jusqu'à 50 kg/are/an.

Les efforts récents du SPN dans le cadre du projet USAID tendent à améliorer le rapport intrant/production en minimisant les effets des basses températures et en maximisant le peu d'intrants disponibles. Ces techniques font partie d'un programme de vulgarisation intensif qui, en 4 ans, a amélioré la productivité effective de 3,4 kg/are/an à plus de 15 kg/are/an, certains paysans atteignant même une production de 30 à 50 kg/are/an.

Selon le Service de pisciculture nationale et le Centre de Rwasave la production totale de la pisciculture au niveau national peut-être estimée aujourd'hui aux environs de 60 t/an, en incluant la production des Centres piscicoles et celle des étangs qui ne sont pas vidés par les moniteurs. Le nombre total d'étangs atteint plus de 3.000.

La pisciculture rurale est basée essentiellement sur l'élevage de Tilapia nilotica. La récolte a lieu 7 à 10 mois après la mise en charge. L'essentiel des intrants est assuré par l'apport hebdomadaire de matières organiques (2 à 10 kg/are/semaine de matière sèche soit 10 à 50 kg/are/semaine de matière fraîche). Le niveau de production piscicole des étangs ruraux varie avec l'intensité de la fertilisation organique entre 10 et 75 kg/are/an. Or, certains agronomes considèrent qu'une utilisation intense de matières organiques n'est pas acceptable vu les besoins actuels en fumure des sols de culture.

Les infrastructures piscicoles gouvernementales sont nombreuses, et réparties dans les 10 Préfectures du pays. La plus grande station qui sert de base au service de pisciculture nationale est celle de Kigembe; elle comprend 32 étangs de 6 à 50 ares et 45 petits étangs dont la superficie totale est de 9,6 ha.

La station piscicole de Rwasave (SPIR) construite vers les années 1950 et qui avait été complètement abandonnée a été remise en état grâce à une subvention du FED. Actuellement, cette station est gérée par la faculté d'agronomie de l'Université nationale du Rwanda (UNR) à Butare. Soixante-onze étangs couvrent une surface de 8,7 ha qui servent à la vulgarisation, à la recherche, à l'agropisciculture, à la reproduction, au prégrossissement et au grossissement. L'encadrement du service pisciculture couvre aujourd'hui plus de 70 communes sur l'ensemble du Rwanda. Le budget du développement piscicole mis à disposition se monte à FRW 50 millions/an pour les 5 prochaines années. L'annexe 4 indique les principales stations piscicoles au Rwanda, leurs gestionnaires et leurs fonctions.

3.2.3 Contexte socio-économique de la pisciculture au Rwanda

On estime actuellement à 12.500 le nombre de personnes vivant autour de l'activité piscicole, avec 7 personnes par famille pour un total de 17.865 familles. En ce qui concerne les revenus, on estime que pour une production piscicole égale ou inférieure à 10 kg/are/an, la pisciculture n'est pas compétitive avec les productions agricoles classiques. Toutefois pour une production piscicole de 15 à 20 kg/are/an, les revenus seraient supérieurs à toute autre activité agricole (Hishamunda et Moehl, 1989). En conséquence, il apparaît que l'avenir de la pisciculture passera par l'intensification de la production par unité de surface.

Généralement les sous-produits agricoles sont utilisés comme aliments pour poisson. Or, au Rwanda, peu de sous-produits agricoles sont utilisés pour l'alimentation animale puisque les quelques stocks sont soit invendables (10.000 t de drêche de Brasserie jetées au lac Kivu), soit s'accumulent dans des hangars au désespoir des producteurs. Il y a lieu d'examiner de façon critique cette situation qui pourrait être imputable à un problème économique (prix de transport et prix du produit trop élevé, prix de vente du poisson trop faible, pouvoir d'achat de la population insuffisant), culturel ou autre. Des solutions différentes devraient être trouvées au cas par cas, les paramètres production/intrants s'articulant différemment suivant les zones géographiques.

TABLEAU 5 DONNEES SOCIO-ECONOMIQUES SUR LA PISCICULTURE 1985–1989
(SOURCE: RAPPORTS ANNUELS DE SNP KIGEMBE)

 1985198719881989
Qnté de poissons récoltés (kg)  21.741,5    27.323,4 
Qnté d'alevins vendus (kg)        1.643,8 
Productivité moyenne (kg/ha/an)595,9   1.446,6      1.546,3      1.561,2
Valeur de la production (FRW)     2.318.550  3.247.326
Nbre de pisciculteurs indiv.    686       853  1.040
Nbre de groupements      1.117  1.197
Nbre d'institutions    126        88       87
Nbre de membres institutions     6.10011.455
Nbre d'établissement gouv.    164  
Nbre de familles 2.368  17.60117.865
Nbre total de pisciculteurs   19.73323.979
Nbre de pisciculteurs indiv. qui ont abandonné         22       26
Nbre de pisciculteurs qui ont       120     158
commencé    
Nbre de groupements qui ont         21       45
abandonné    
Nbre de groupements qui ont commencé         62      180
Institutions qui ont abandonné           5      180
Institutions qui ont commencé           6        15

TABLEAU 6: COMPARAISON DES VALEURS MONETAIRES DE LA PISCICULTURE ET D'AUTRES CULTURES DANS LES MARAIS

CultureProductionPrix unit.
(FRW)
Valeur/are
 (FRW)
% poisson a% poisson b
Haricot8 kg/are   (1)33(2)  26412,1      4,4
Sorgho11,5kg/are (1)35(2)  40318,5      6,7
Patate douce70 kg/are   (1)11(2)  77035,4    12,8
Mais13 kg/are   (1)18(2)  23410,8      3,9
Pomme de terre80 kg/are   (3)12(2)  96044,1    16,0
Soja8 kg/are   (3)34(2)  27212,5      4,5
Riz (paddy)27 kg/are   (3)25(4)  67531,0    11,3
Poisson14,5 kg      (a)  150/kg 2175100         36,3
40 kg         (b)  150/kg6000275,9  100

Source: (1) ISAR, juin 1987
(2) SESA, février 1987
(3) Rutunga et al, mai 1987
(4) Nyarwaya, mars 1987

Légende (a) Rendement en pisciculture avec les méthodes de gestion ordinaire chez les familles paysannes rwandaises.

(b) Rendement en pisciculture associée.

De plus, à certaines exceptions près (Ruhengeri par exemple), il semble que les marges bénéficiaires des pisciculteurs soient trop réduites pour justifier des dépenses importantes de transport. Un renforcement de l'organisation inter-étangs pourrait convaincre les pisciculteurs de mettre sur pied un système de distribution des dépôts de drêche.

Enfin, il faut noter que la productivité par type d'étangs selon leur statut juridique varie sensiblement (Tableau 7). Aussi, il est souhaitable que ce facteur puisse rentrer en compte pour l'aménagement des étangs piscicoles.

TABLEAU 7: PRODUCTIVITE DE LA PISCICULTURE PAR TYPES D'ETANGS

Type d'étangIndividuel familialCollectif groupementInstitutionnel écoles, etcGouvernemental communal
Productivité moyenne (kg/ha/an)1.605,51.294,51.255926

Source: SPN, 1987

3.2.4 Potentialités et propositions de développement de la pisciculture

La production totale de la pisciculture comparée à celle de la pêche ne doit pas être un critère exclusif d'évaluation. La diversification des risques de la part du paysan, la sécurité alimentaire, la contribution même minime de la pisciculture aux revenus, devraient être autant de critères d'évaluation pour justifier son développement.

Il existe cependant au Rwanda une controverse quant à l'orientation des projets de pisciculture. Un débat de fond est en cours pour déterminer le rôle et la stratégie du développement de la pisciculture. Le service de pisciculture national s'oriente vers une concentration géographique des efforts de vulgarisation et d'encadrement pour éviter de disperser ses efforts entre une multitude d'étangs éloignés les uns des autres. L'objectif pourrait ainsi être d'améliorer le rapport coût/bénéfice de l'exploitation des étangs par une utilisation optimale de la surface utilisée, et par un transfert de technologie rendue plus facile auprès des pisciculteurs existants.

Le milieu d'élection pour l'avenir de la pisciculture au Rwanda semble se situer dans les marais. Une technique alternative au drainage consiste à développer un écosystème agropiscicole (billons surélevés alternants avec étangs) qui, en intégrant les activités agricoles et piscicoles, valorise au mieux la surface marécageuse investie, la présence d'eau et la disponibilité sur place de déchets agricoles. Les vases organiques peuvent être récupérées pour fertiliser les sols des billons adjacents (Barbier et al., 1985). Ce système permet 2 à 3 récoltes par an de produits agricoles et 1 récolte par an de poissons (11 à 27 kg/are/an). Cependant, des problèmes de nanisme peuvent apparaître suite à une mise en charge anarchique et à un envasement de certains bassins et des canaux de circonférence. La situation pourrait être améliorée par un encadrement plus soutenu, en particulier pour la construction des bassins.

Par la suite, il y a lieu d'améliorer la fertilisation organique des étangs et d'amener les pisciculteurs à utiliser un des rares sous-produits agricoles locaux: le son de riz de la rizerie de Butare par exemple. Il y a évidemment d'autres sous-produits agricoles en d'autres régions (drêche de brasserie à Gisenyi, son de blé à Ruhengeri et Byumba) mais le coût de transport et les faibles taux de conversion alimentaire risquent de grever sérieusement la rentabilité de leur utilisation.

Une autre pratique classique pour intensifier la production piscicole sans coût supplémentaire est d'y associer des élevages de poules, porcs, canards, etc. Les expériences de démonstration menées à Kigembe et à Rwasave indiquent des productions piscicoles de 40 à 60 kg/are/an avec respectivement les porcs et les poules. Cette pratique commence à être vulgarisée en milieu rural et pourrait être une voie intéressante pour l'avenir de la pisciculture au Rwanda.

En ce qui concerne les différentes espèces de poissons élevées en étangs, les résultats actuels montrent que la souche egyptienne de Tilapia nilotica convient parfaitement aux conditions du pays. Pour le développement rural, il vaudrait mieux se limiter actuellement à vulgariser cette seule espèce tout en développant des techniques plus modernes et plus performantes. Une espèce nouvelle commence aussi à montrer des résultats intéressants en pisciculture à la SPIR (Rwasave); il s'agit de Clarias gariepinus exploité en polyculture avec le Tilapia nilotica; la production d'alevins de Clarias doit être garantie cependant par les stations.

Pour l'aménagement des marais, la Division pêche et aquaculture devrait établir des relations techniques plus étroites avec la Direction générale du génie rural et de la Conservation des sols et plus particulièrement avec la Division aménagement hydro-agricole chargée de mettre en valeur une série de marais du pays afin d'intégrer la pisciculture voire l'agropisciculture dans leur plan d'aménagement.

Par ailleurs, la rizipisciculture, récemment introduite au Rwanda, pourrait se développer rapidement. La riziculture couvrait 3 184 ha en 1987 et produisait 6.581 t de riz paddy. Compte-tenu des résultats encourageants de la rizipisciculture, obtenus avec la carpe commune, il conviendrait de continuer l'étude des possibilités de développement grâce à un projet pilote réduit (rizipisciculture).

La pisciculture en cage, encore à l'étude au lac Muhazi, ne devrait pas être vulgarisée avant d'avoir prouvé sa rentabilité économique. Le rapport d'évaluation de Mme Veverica (1990), souligne sa vulnérabilité et les marges extrêmement réduites de son succès à l'heure actuelle. Il faudra songer à répéter les essais dans d'autres milieux, au large de la Bralirwa par exemple, et étudier des systèmes locaux de construction de cages à meilleur marché.

Il faut signaler par ailleurs que diverses ONG et projets de développement s'intéressent occasionnellement à la pisciculture en encourageant son développement de manière parfois un peu anarchique. Il y aurait lieu à l'avenir de rationaliser ces actions et de les coordonner avec la Division pêche et aquaculture afin d'harmoniser au moins les directives données aux pisciculteurs.

3.3 LES IMPORTATIONS DE POISSON AU RWANDA

Les importations de poissons, sous forme transformé (séché, fumé) représentent une part importante de la production apparente du Rwanda. Les pays exportateurs vers le Rwanda sont la Tanzanie, le Burundi et le Zaïre. Les registres officiels ont relevé des importations pour le Ndagala séché de 41 t en 1980, 49 t en 1985 et 56 t en 1989, et pour les conserves de poisson de 455 t en 1985 et 643 t en 1989. En ce qui concerne les autres produits halieutiques importés, la quantité est négligeable.

Cependant, toutes les informations récoltées par la mission au niveau des marchés et des postes de douanes tendent à montrer que la quantité totale de poisson importé est bien plus importante que celle qu'indiquent les registres officiels. Malheureusement, l'estimation de la quantité de produits non déclarés est très difficile. Le Ndagala séché en provenance de Tanzanie représente vraisemblablement la part la plus importante du poisson importé non déclaré.

La part des importations dans la disponibilité apparente au Rwanda représentait, selon les sources officielles, 2% en 1980, 37,1% en 1985 et 28% en 1989. Mais de toute évidence, si l'on prend en compte les importations non déclarés, il est fort probable que les importations représentent une quantité supérieure à la production domestique rwandaise.


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