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Le transfert de technologie: quelques enseignements basés sur l'expérience Mali-Sud


Résumé
Recherche adaptative sur le transfert de technologie
Groupes cibles
Conditions économiques et techniques
Conditions techniques
Méthodes de transfert
Conclusion
Abstract
Références


Paul Kleene*

(* Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique BP 5035-34032 Montpellier Cedex; France)

Résumé

Cette communication examine quels sont les meilleurs moyens de transmettre les acquis de la recherche sur la traction animale aux paysans. De tels transferts doivent s'effectuer selon un processus continu et adaptatif conformément au type de groupe cible que constituent les usagers finals. Après avoir expliqué comment caractériser les groupes cibles selon les conditions économiques, techniques et sociologiques prévalantes, l'auteur décrit les méthodes de vulgarisation utilisables pour le transfert de technologie (démonstrations des techniques culturales, formation des paysans et stages de dressage des boeufs).

Recherche adaptative sur le transfert de technologie

L'objet de cette présentation n'étant pas la mise au point technologique mais son transfert nous n'exposerons pas davantage nos vues sur la mise au point technologique. Ceci dit, le feed-back des enseignements obtenus auprès des producteurs agricoles lors de la phase du transfert sont d'une importance primordiale pour la mise au point technologique qui se fait rarement une fois pour toute, mais qui est le résultat d'un processus d'aller retour multiple entre les praticiens paysans, les chercheurs, les vulgarisateurs et les fabricants.

Le transfert réussi dans le domaine de la Traction Animale est le résultat de l'intéraction positive entre un grand nombre de facteurs. La recherche adaptative suit forcément une approche systémique et une approche de recherche développement. Autrement dit, les problèmes du transfert doivent être appréhendés de façon 'holistic' (globale, englobant tous les points de vue possibles) et dans un contexte interventionniste.

Ce n'est que dans des situations d'action sur le développement (vulgarisation, formation, crédit) que l'on peut valablement étudier la problématique du transfert. Cette nécessité du créer des situations de recherche-actions a déjà été mise en lumière par Tourte dès 1965.

Groupes cibles

Tout d'abord, il faut clairement définir la zone de production agricole dans laquelle on veut introduire technologie. Souvent, cela consiste à faire un zonage à l'intérieur d'une grande région agricole en fonction de critères liés à la TA. Pour une même région, cela peut conduire à un 'sous-zonage TA' spécifique. Dans un souci de pragmatisme, on définira les sous-zones selon des limites aussi proches que possible des découpages administratifs, des secteurs d'encadrement, etc.

Les principaux critères de ce zonage de transfert sont le degré de présence, l'ancienneté, la nature et le niveau technique de la TA déjà existante. Il ne faut pas établir un zonage trop détaillé, sans quoi l'organisme de développement et/ou de vulgarisation ne pourra pas en tenir compte. En zone Mali-Sud, par exemple, on a d'abord distingué trois sous-zones en fonction du taux d'exploitations: plus de 70%, zone intermédiaire, moins de 10%.

Si, dans la première sous-zone, la question est d'améliorer des techniques existantes et d'introduire des techniques spécifiques, dans la dernière, la question est d'introduire la TA à partir de son point zéro.

Les expériences antérieures menées dans le cadre d'une recherche-action sur l'équipement en TA d'exploitations pratiquant la culture manuelle (Kleene et Kone 1990) ont montré que même dans des zones fortement équipées (plus de 70% des exploitations), l'apprentissage des techniques de la TA ne va pas sans graves problèmes pour certains paysans.

C'est pourquoi, dans la typologie des exploitations (voir Tableau 1), distinction a été faite entre les exploitations de type 'C' (non-équipées mais ayant déjà une pratique de la TA) et celles de type 'D' dont les exploitants n'ont aucune expérience personnelle de la TA. Pour un paysan, le fait d'avoir assisté à des travaux en TA chez ses voisins, ne change pas grand chose à son défaut de maîtrise technique, laquelle ne s'acquiert que par exercice direct.

Tableau 1. Typologie des exploitations et thèmes techniques proposés

Type d'exploitation

Propositions techniques

A: Exploitation équipée qui dispose au moins 2 paires de boeufs, d'une charrue, d'un multiculteur, d'un semoir, d'une charrete asine ou bovine, et d'un troupeau bovin d'au moins 10 têtes y compris les boeufs de labour.

· construction d'un parc amélioré + litière abondante (tiges des céréales)

· intensifications des cultures: fumière organique + travail du sol

· matériel agricole performant; charrue Rumpstadt, multiculteur Ariana, charrette bovine; amélioration productivité du troupeau; Plus en général les mêmes thèmes que B.

B: Exploitation qui dispose d'au moins 1 paire de boeufs et une charrue ou un multiculteur (1 unité de culture attelée), mais qui est encore sous-équipée.

· culture fourragère de niébé ou de mucuna

· conditionnement des boeufs d'attelage, construction d'une étable + litière;

· maîtrise des superficies cultivées, compte tenu de la capacité de travail des boeufs;

· amélioration des techniques culturales; grattage en sec, buttage cloisonné, multiculteur 5 dents; culture mécanisée de l'arachide (densité, sarclo-binage); compostages des tiges de céréales

· lutte anti-érosive, plantation haies-vives.

C: Exploitation non équipée, ou disposant d'une unité de culture attelée incomplète, mais qui connaît la culture attelée pour l'avoir pratiquée.

· crédit premier équipement: priorité au multiculteur (grattages, sarclo-binages) ;

· maîtrise des techniques culturales (sarclo-binages)

· limitation des superficies (coton surtout); soit: emprunter l'équipement.

D: Exploitation non équipée qui pratique la culture manuelle traditionnelle, qui ne connaît pas ou connaît mal la culture attelée.

· organisation d'un grenier de prévoyance au niveau de la communauté villageoise pour aider les plus nécessiteux;

· intensification partielle: introduction des techniques d'intensification, en culture manuelle, sur une petite superficie d'abord (0.25 à 0.5 ha).

Source: Kleene et al. 1989.

Conditions économiques et techniques

Comme nous l'avons déjà fait observer, le transfert de technologie dans le domaine de la TA ne peut réussir que si un grand nombre de conditions sont remplies simultanément.

Sur le plan économique, les principales de ces conditions sont:

· L'accès des exploitations cibles (par type) à suffisamment de terre cultivable pour rentabiliser l'attelage (en zone de savane, de 4 à 6 ha pour une paire de boeufs.)

· L'existence d'un marché assez bien organisé permettant aux paysans de vendre leur surplus de récolte, surplus résultant des progrès de productivité dus à la TA;

· Des rapports de prix qui induisent des marges brutes d'exploitation suffisamment incitatives pour pousser à l'investissement nécessaire à CA. Il est question ici de l'ensemble des rapports de prix, d'une part des boeufs, du matériel et des intrants, et d'autre part des produits agricoles.

En prenant pour référence la zone de savane de 900 à 1000 mm de pluviométrie, on peut poser, en gros et comme ordre de grandeur que:

· Les paysans-cultivateurs en culture manuelle atteignent le niveau de l'autosuffisance en matière alimentaire, mais ne produisent guère de surplus commercialisable. Ils cultivent entre 0.5 et 1 ha par actif sur des terres légères en culture pluviable.

· Au début de leur pratique de la CA bovine, la surface que cultivent les paysans est doublée en 2 ou 3 ans avec une superficie par actif qui atteint 1.5 ha. Les rendements moyens n'augmentent pas significativement. Dans ces conditions, la TA amène le doublement du produit brut.

· Des progrès très substantiels peuvent encore être obtenus, par une nouvelle augmentation de la superficie par actif (jusqu'à 2.5 et 3 ha dans la zone de Koutiala) et/ou par une croissance du rendement à l'hectare voeu ardent des agronomes (Berckmoes et al. 1989; Kleene et Kone 1990).

On constate souvent que, dans des zones de forte progression de la CA, une certaine pénurie apparaît sur le marché des boeufs, d'où une flambée des prix. C'est pourquoi les derniers venus à la CA font face à des rapports de prix bien plus défavorables que les premiers. Devant ce fait, dans le cadre de l'action de la Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles (CMDT), la Recherche-Développement a conseillé en 1984 de porter de 4 à 5 ans le délai de remboursement du crédit de premier équipement. Une action expérimentale de crédit avait permis de mieux cerner l'ensemble des mesures d'accompagnement nécessaires (Sanogo et al. 1989.)

Les conditions économiques favorables ou défavorables à l'introduction et/ou à l'amélioration de la TA ont été décrites en détail par Bigot et Binswanger (1988). Il est évident que la densité de la population agricole active par rapport à la disponibilité de terres cultivables est un facteur déterminant. Mais pour fixer les seuils d'introduction possibles pour la TA, beaucoup d'autres variables entrent en jeu, comme par exemple la fertilité et la texture des sols, la pluviométrie, le régime des pluies, la structure sociale des exploitations (équipement individuel et équipement des groupes de producteurs etc...)

Pour citer un cas extreme: à Java-Ouest, 3 à 4000 mm de pluie par an, sol volcanique riche, 2 à 3 cultures successives par an sur la même parcelle, très haut rendement (5 à 6 t/ha de paddy par cycle de culture), mais 1500 à 2000 habitants ruraux par km², la surface moyenne cultivée par unité de production atteint à peine 0.3 ha. Dans ce contexte la TA est en train de disparaître. La raison de ce phénomène serait l'impossible d'entretenir les buffles faute de place pour cultiver des fourrages.

En Afrique de L'Ouest, dans des zones à grande densité de population entièrement en culture manuelle, l'introduction de la TA s'avère très difficile. En théorie, des unités d'attelage pourraient être exploitées par un système de location ou de travail en régie, mais il faudrait alors, que la TA permette des rendements supérieurs à ceux de la culture manuelle. De tels systèmes n'ont guère été trouvés; cela constitue un défi pour la recherche système en amont.

Dans des zones moins peuplées, la faible rentabilité de la TA est souvent liée à de très faibles taux d'utilisation des attelages au cours de l'année. C'est une raison économique, mais la solution est d'ordre technique et social.

Conditions techniques

De grands efforts sont consacrés à la mise au point matériel agricole de la TA. D'importants progrès ont été réalisés dans ce domaine. Malheureusement on ne peut pas en dire autant des soins apportés aux animaux de trais, à leur dressage, leur harnachement, leur alimentation, leur entretient en général.

A la fin des années 70, environ 60% des exploitations du Mali-Sud disposaient déjà à au moins d'une paire de boeufs. Actuellement, le taux de 70% a été dépassé, un des plus élevés de l'Afrique de l'Ouest. Pourtant cette CA connaissait beaucoup de difficultés, les principales étant:

· Mauvais entretien des boeufs en saison sèche, manque de surveillance (pas de gardiennage), défauts d'abreuvement et d'alimentation correctes;

· Utilisation des animaux seulement pendant une très courte période de l'année, essentiellement la période des labours;

· Un système de dressage brutal, peu évolutif, basé sur la contrainte et conduisant à un taux d'échec élevé par perte des animaux.

La première mesure à prendre était d'introduire un paquet technologique de soins et conditionnement des boeufs en saison sèche (Vierstra et Sanog 1985). L'effet immédiat de cette action sur les performances des animaux incita les paysans à expérimenter d'autres 'produits' proposés pour la TA.

En zone Mali-Sud, une meilleure rentabilité des attelages a été obtenue par, entre autres, les mesures suivantes:

· Introduction du semoir Super-Eco à partir de 1978, par la CMDT;

· Mise en évidence de l'importation du travail des outils à dents, d'abord par la Recherche-Développement, puis par la CMDT. Travail en sec, en semi-humide et travail d'entretien (sarclo-binage);

· Introduction du billonnage cloisonné, lequel conduit à une meilleure rétention des eaux de pluie.

En ce qui concerne le dressage, la reprise de cette technique a été introduite dans le cadre de l'attribution des crédits de premier équipement, notamment par l'organisation de stages de dressage de 3 semaines, au niveau de village et sans investissement lourd.

Sangaré et al (1986) ont donné une description détaillée de cette action, cependant que Mangroop (1989) a préparé des manuels pratiques et des aides audiovisuelles facilitant la diffusion rapide de ces techniques, cette énumération non exhaustive des conditions techniques et économiques de la réussite du transfert de la technologie de la TA serait très insuffisante si n'était mentionnée l'obligation de disposer d'un système de crédit efficace, particulièrement en ce qui concerne l'acquisition des animaux de trait. Cette forme de crédit est considérée comme l'une des plus difficiles. De très nombreux échecs ont été enrégistrés dans ce domaine, alors qu'il est d'une importance vitale pour briser le cercle vicieux de la faiblesse de la productivité en culture manuelle.

Méthodes de transfert

Ainsi que nous l'avons souligné, aucun transfert de technologie dans le domaine de la TA ne peut réussir si certaines conditions économiques et techniques ne sont pas remplies. Si ces conditions sont satisfaites, le transfert par lui même, pose peu de problèmes. Il doit se faire en étroite collaboration entre chercheurs, techniciens et vulgarisateurs, d'abord à une échelle intermédiaire entre le 'village de recherche' et la vulgarisation de masse. Il s'agit de mener, sur des échantillons suffisamment grands, mais contrôlables, des actions de prévulgarisation qu'il faut dûment évaluer (Verbeek et al. 1986).

C'est sur ces prototypes, testés de concert avec la vulgarisation améliorés dans leurs points faibles, que des actions de communication qui responsabilisent au maximum les groupes et collectivités paysannes.

Des démonstrations techniques assurées par des paysans volontaires et réellement représentatifs selon la typologie sont probablement le meilleur moyen de diffusion rapide. La pratique du cadeau est à proscrire, le paysan volontaire devra supporter lui-même tous les travaux et toutes les charges financières. La qualité de la démonstration technique doit être exemplaire. Pour parvenir à ce résultat il faut avoir un staff de techniciens réellement motivés, armés d'une véritable compétence pratique et supporté par une logistique efficace.

Dans le cas du Mali-Sud, la formation pratique des paysans et des agents de développement, dans le cadre des stages de dressage de boeufs, constitue le pivot du système de transfert.

Le stage permet d'aborder, outre le dressage proprement dit, tous les problèmes de la CA, dans un contexte idéal de fomation-démonstration.

Si, de plus, les stagiaires sont régulièrement suivis après le stage dans des démonstrations de groupe, comme prévu dans l'Approche Village (Verbeek et al. 1986), on peut atteindre un taux élevé de réussite technique et économique (Sanogo et al. 1989).

Conclusion

Au cours de cette communication, nous avons d'abord souligné l'importance du patrimoine universel en technologie de la TA dans lequel choisir la technologie à diffuser.

Une approche système, appliquée dans un cadre Recherche-Développement permet l'identification des groupes cibles, de leurs besoins, et de leur aptitude à adapter la technologie proposée.

Le transfert de technologie se fait selon des méthodes essentiellement basées sur des démonstrations pratiques organisées dans un cadre de formation qui reconnaît pleinement la responsabilité, le savoir faire et le libre volontariat des paysans.

Même si l'on applique des méthodes très performantes de communication, le transfert ne se fera pas si la technologie proposée n'est pas réellement performante et si les conditions économiques techniques et logistiques de son introduction ne sont pas réunies. Beaucoup d'efforts devront être faits pour améliorer l'ensemble de ces conditions et créer ainsi un climat favorable à l'introduction et/ou à l'amélioration de la TA.

Pour ce faire, on doit disposer de chercheurs pragmatiques, qui acceptent de s'intéresser à l'intéraction des facteurs techniques et socio-économiques, et prêts à collaborer sur le terrain avec les agents de vulgarisation et les paysans.

La recherche adaptative sur le processus et les conditions du transfert technologique en TA mérite autant d'estime de la part du monde académique que tout autre domaine de la science.

Abstract

This paper discusses the best ways to transfer the results of research on draught animals and related topics to farmers. Such transfer of technology should be a continuous and adaptive process according to the nature of the target groups who are the ultimate users. The author describes how to characterise target groups according to prevailing financial, technological and sociological conditions. Extension methods for transfer of technology are described including demonstrations of cultivation techniques in villages and training schemes for farmers and their animals.

Références

Berckmois, W., Jager, E. et Koe, Y. 1989. L'intensification agricole au Mali-Sud souhait ou réalité? KIT/CMDT/IER Bulletin KIT 318.

Kleene, P. et Kone, Y. Conseil de Gestion et vulgarisation agricole en zone Mali-Sud. IER/KIT, Bamako/Amsterdam (Collection systèmes de production rurale au Mali 3) à paraître 1990.

Kleene, P., Sanogo, B., Vierstra, G. 1989. A Partir de Fonsébougou présentation, objectifs et méthodologie du Volet Fonsébougou (1977-1987), IER/KIT, Bamako, Amsterdam (même collection, 1).

Pingali, P.L., Bigot, Y. et Binswanger, H.P. 1987. Agricultural mechanisation and the evolution of farming systems in Sub-Saharan Africa BIRD. John Hopkins Press, Baltimore, USA.

Sangré, M., Lachette, C., Mungroop, R., et Berthe, A. 1986. Contraintes et amélioration de la traction animale en zone Mali-Sud: L'expérience de la DRSPR, In Starkey P. and Ndiamé F.(ed.) Actes du 2ème Atelier International sur la Culture Attelée en Afrique de l'Ouest Freetown, Sierra Leone.

Sanogo, B., Mungroop, R., Kleene, P. 1989. Le passage de la culture manuelle à la culture annelée bovine: Stratégies mise au point dans le villages de Yaban-Djirigosola en Zone Mali-Sud. In Les cahiers de la Recherche-Développement 21, mars. DSA-CIRAD, Montpellier. 78-86.

Tourte, R. 1965 - In Agronomie Tropicale, Paris. A compléter.

Verbeek, K., Sanogo, B. et Kleene, P. 1986. The FSR and D extension linkage: experience from Mali. In Selected Proceedings of the Kansas University FSR Symposium, Manhattan. 152-164.

Vierstra, G. et Sanogo, B. 1985. Maintenir la condition des boeufs d'attelage pendant la saison sèche; l'expérience du Mali-Sud Sur Atelier FSR, SAFGRAD, Ouagadougou, KIT, Amsterdam.


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