H. G. WILM
Associate Dean, State University College of Forestry, Syracuse, New York
Dans le cadre de son programme de travail, la Division des Forêts de la FAO prépare une étude sur l'influence de la foret sur l'eau, le sol et le climat et ses incidences sur la politique d'utilisation des terres. Le présent article est un extrait de la conclusion, chapitre du au Dr Wilm. Ont également contribué à cette étude: le Prof. Joseph Kittredge, le Dr R. J. van der Linde, le Dr Marvin D. Hoover, et c'est le Prof. Aldo Pavari qui a rédigé l'introduction générale.
Si des principes généraux peuvent être énoncés au sujet des influences de la forêt dans les zones arides ou tropicales humides, ce sont probablement les suivants: ces influences sont plus frappantes et plus prononcées que dans les zones plus tempérées et, par suite, la nécessité d'une gestion avisée et prudente de la végétation forestière s'y fait ressentir plus impérativement pour la régularisation optimum des eaux et le maintien des terres. S'il en est bien ainsi, cela veut dire que celui qui gère des terres consacrées à la forêt doit tout particulièrement s'attacher à comprendre les principes qui règlent les influences de celle-ci. Il pourra ainsi savoir comment protéger ou traiter la végétation qui couvre ses terres pour atteindre les objectifs recherchés. Avant d'exposer les politiques et les procédés d'aménagement des terres, nous passerons en revue, en les résumant, ces principes pour mettre en valeur les relations entre la végétation forestière et le climat, surtout en ce qui concerne les précipitations, le ruissellement superficiel et le maintien des terres ainsi que le régime des cours d'eau. Nous insisterons sur les effets de la gestion des forêts dans leur rôle sur l'aménagement des bassins de réception.
Lorsqu'on envisage les rapports entre les forêts et l'eau, l'une des choses à laquelle on pense d'abord et le plus souvent est leur influence sur le climat. Comme on l'a déjà remarqué (Kittredge, 1948), il est difficile de prouver ou de réfuter cette influence à l'échelle des climats régionaux étudiés en général. Les zones comparées sont obligatoirement étendues et les variations tendent à masquer tout effet régional dû à la présence ou à l'absence de végétation forestière. Cependant, au moins dans certains cas, il y a de bonnes raisons logiques de croire à un effet régional. Lorsqu'on rencontre une végétation forestière dans des zones exposées à des masses d'air maritime chaud, il est, très vraisemblable de penser que la présence de la forêt a une influence tangible sur le total des précipitations et peut être sur le climat régional. Les forêts de Sequoia sempervirens le long de la côte du Pacifique aux Etats-Unis et certaines forêts d'Afrique occidentale en sont des exemples.
Tout à fait en dehors d'hypothétiques effets régionaux, on sait que la végétation forestière a de notables effets sur le climat local de la zone qu'elle recouvre et les zones attenantes. Comme peuvent le constater tous ceux qui ont profité de l'abri d'arbres ou de rideaux de protection, la présence de végétation forestière tend partout à améliorer le climat local. Les maximums de températures sont abaissés et les minimums sont élevés; l'état hygrométrique de l'air est légèrement supérieur et la vitesse du vent peut être plus ou moins réduite.
Il s'agit là d'influences généralement bénéfiques, surtout dans les régions arides. Mais ce qui est le plus intéressant pour qui s'occupe de l'aménagement de bassins de réception, c'est l'influence des forêts sur les précipitations locales, le ruissellement, l'érosion du sol et les déperditions d'eau.
Lorsque les pluies tombent sur un terrain recouvert par une forêt, le premier effet de celle-ci est l'interception. Suivant le caractère de la pluie et la densité de la végétation, une quantité variable d'eau est retenue par la voûte foliacée de la forêt et évaporée dans l'atmosphère sans atteindre le sol. Des données expérimentales obtenues sur divers types de forêts et sous divers climats montrent que la quantité de pluie interceptée par la voûte foliacée de la forêt est une fonction purement automatique des surfaces que présente la végétation pour emmagasiner l'eau au moment du début de la pluie. Dans une forêt dense avec des arbres aux larges cimes bien fournies, on pourra alors s'attendre à l'interception des quantités maximums d'eau lors de n'importe quelle averse, alors que le couvert d'une végétation éparse ne devrait produire que l'interception minimum. En dehors de l'influence de la nature et de la densité de la végétation, il faut également noter que l'interception tend à diminuer avec le développement de l'averse lorsque la voûte foliacée devient plus humide. Vers la fin d'une forte averse de longue durée, les cimes retiennent seulement la quantité additionnelle d'eau suffisante pour compenser l'évaporation qui se produit à la surface des feuilles au cours de l'averse. C'est pourquoi il faut s'attendre à constater les plus fortes pertes d'eau au détriment du sol sous les climats caractérisés par de nombreuses petites averses de faible importance entrecoupées par des périodes de temps clair. Mais dans tous les cas, l'interception se traduit par une perte d'eau due à l'évaporation.
En dehors de cette perte, la végétation forestière consomme également de l'eau du fait de l'évaporation et de la transpiration. Lorsque la pluie a traversé la voûte foliacée de la forêt, elle pénètre dans le sol, en tout ou partie. Une certaine quantité est utilisée à remplir la capacité disponible pour son stockage dans les «pores» du sol; les espaces capillaires sont d'abord remplis puis, s'il y a une quantité d'eau suffisante, les espaces non capillaires de plus grande dimension le sont également. Tandis que l'averse se poursuit, l'eau emmagasinée dans les espaces non capillaires descend par gravité, soit pour être stockée plus profondément dans les nappes phréatiques, soit pour s'écouler à travers le sous-sol vers les cours d'eau. L'eau qui reste échappe dans le sol à la gravité et est, en tout ou partie, ramenée dans l'atmosphère directement par évaporation ou indirectement par la transpiration par l'intermédiaire des racines et des feuilles des végétaux. Les volumes d'eau consommés de cette manière varient avec la température, l'humidité et l'importance du vent ainsi qu'avec le volume de l'eau stockée dans le sol, le développement et la profondeur des systèmes radiculaires et la périodicité des averses.
On peut évaluer les quantités relatives d'eau consommées par l'évaporation directe ou par la transpiration au travers de la végétation, bien que, dans l'état actuel des choses, il soit difficile de les mesurer séparément. L'évaporation directe se produit à partir de l'eau restant à la surface du sol ou dans les interstices de celui-ci. Les taux d'évaporation les plus grands se rencontrent en surface ou à proximité de celle-ci; ils décroissent rapidement avec la profondeur, pour atteindre des valeurs négligeables à des profondeurs de l'ordre d'un demi - mètre dans la plupart des sols. Il peut, bien entendu, en être autrement si le sol est profondément craquelé et fissuré dans sa partie superficielle. En effet, la surface de terre exposée à l'air est alors augmentée et se prolonge dans les couches superficielles.
Quant à la transpiration, le volume total d'eau éliminé est fonction de plusieurs facteurs interdépendants: non seulement le volume disponible d'eau stockée dans le sol mais également la profondeur et la densité des systèmes radiculaires ainsi que la profondeur du plan d'eau du sol. Les plus grandes quantités d'eau sont consommées par la transpiration consécutive à l'action de systèmes radiculaires puissants et complets agissant dans un sol profond où l'eau stockée atteint les couches les plus basses. A l'opposé, la transpiration peut être très limitée en présence d'une végétation peu dense ou dans un sol hydrologiquement superficiel, c'est-à-dire dans lequel la pénétration de l'eau est restreinte, soit du fait de l'existence d'une couche compacte, comme une roche ou de l'argile, à faible distance de la surface, soit en cas de précipitations insuffisantes ne pénétrant jamais à quelque profondeur.
La transpiration diminue évidemment dans le même sens que la densité de la végétation, alors que l'évaporation tend à augmenter. C'est pourquoi, sur les sols superficiels, la somme de l'évaporation et de la transpiration tendrait à rester constante même lorsque la densité de la végétation varie. C'est ce qu'ont observé Wilm et Dunford au Colorado (Etats-Unis, 1948). Lorsque le sol est profond, la végétation dense et les précipitations abondantes, comme c'est le cas dans la chaîne des Appalaches méridionales, on constate au contraire que l'enlèvement de la végétation réduit l'ensemble évaporation/transpiration et augmente notablement la quantité d'eau accumulée (Hoover, 1944).
Ces idées méritent peut être d'être précisées. Suivant le concept de «l'évaporation/transpiration potentielle» de (1955), il est possible de calculer la quantité d'eau qui sera évacuée dans l'atmosphère sur une surface donnée pour tout ensemble défini de conditions dans le cas d'un approvisionnement du sol en eau abondant et sans interruption. Lorsqu'il en est ainsi, la transpiration des végétaux tend à être fonction de la radiation solaire qu'ils reçoivent. Mais, lorsque l'approvisionnement en eau du sol diminue, les stomates des végétaux se ferment et la transpiration diminue même si la radiation solaire demeure élevée.
C'est pourquoi les pertes effectives en eau pour un volume de sol donné sont en général inférieures aux quantités «potentielles» du fait des déficiences en approvisionnement en eau du sol. Sous les climats arides, le total des précipitations peut ne représenter qu'une petite fraction de la consommation potentielle, et ce potentiel ne peut être atteint que dans les zones à plan d'eau constamment élevé (Wilm, 1952). Aussi est-ce seulement dans de telles zones - le long des cours d'eau ou dans les oasis - qu'une végétation abondante peut se développer. Dans quelques stations arides, comme dans le sud-ouest des Etats-Unis, une telle végétation diminue sérieusement les quantités d'eau accumulées.
A l'opposé, lorsqu'il n'existe pas d'eau de rétention utilisable, la consommation d'eau dans les zones arides se limite à la quantité d'eau qui pénètre dans le sol du fait des pluies. Déduction faite du ruissellement, cette consommation ne représente que quelques centimètres par an. L'eau ne pénètre dans le sol qu'à une faible profondeur avant d'être consommée et, par suite, elle est absorbée aussi bien par l'évaporation que par la transpiration, qu'il existe ou non une végétation. Dans de telles conditions, la végétation n'a que peu ou pas d'influence sur la consommation d'eau, mais il n'en est pas moins vrai qu'elle joue un rôle important pour la stabilisation du sol.
Si on poursuit ce raisonnement, on en conclut que l'ensemble évaporation/transpiration effectif peut augmenter si l'approvisionnement en eau disponible augmente et ceci jusqu'à un maximum correspondant à l'évaporation/transpiration potentielle. On constate qu'en général il en est bien ainsi; cependant deux exemples montreront qu'il ne faudrait pas simplifier à l'extrême les principes exposés.
En premier lieu, on en déduit souvent que l'évaporation/transpiration effective est indépendante des variations de la végétation tant que la surface du sol est bien couverte. Ceci pourrait être vrai si l'approvisionnement en eau disponible pour la végétation ne variait pas avec celle-ci. Il en est ainsi dans les zones à plan d'eau constamment élevé, ou pour des sols et des systèmes radiculaires superficiels. Mais supposons qu'il s'agisse d'une région aux sols profonds et bien drainés, soumise à des précipitations abondantes mais bien distribuées avec des périodes ensoleillées entre les pluies. S'il n'y avait pas de végétation ou si celle-ci n'avait que des systèmes radiculaires superficiels - disons de moins d'un demi-litre de profondeur - le total de l'eau utilisée pour l'évaporation/transpiration serait très certainement bien inférieur à celui qui existerait si la végétation était constituée par une forêt d'âge mûr avec des systèmes radiculaires profonds et bien développés, prospectant une couche de terre atteignant peut-être deux mètres d'épaisseur. L'influence de la suppression d'une telle forêt et de son remplacement par un jeune taillis feuillu est bien illustrée par les expériences faites dans le sud-est des Etats-Unis (Hoover, 1944; Kovner, 1945). On y constate que l'exploitation d'une forêt feuillue parvenue à maturité a réduit l'évaporation/transpiration annuelle de 1 mètre environ à 50 centimètres environ. Lorsque le taillis vieillit, la quantité d'eau utilisée annuellement augmente de nouveau Légèrement. Cependant, même 12 ans après la coupe à blanc, la quantité d'eau utilisée était encore inférieure de plusieurs centimètres à ce qu'elle était avant le traitement.
En second lieu, on admet souvent que l'augmentation de la possibilité de l'évaporation/transpiration est en relation directe avec la pluviosité annuelle. Cela peut être généralement exact lorsque la pluviosité totale annuelle ne dépasse pas nettement l'évaporation/transpiration potentielle. Mais, en régions humides à pluviosité excessive, il est logique de penser que la possibilité de l'évaporation/transpiration peut en fait diminuer lorsque la pluviosité continue à augmenter. C'est ce que semblent indiquer les rapports pluviosité/ruissellement dans les monts Luquillo à Porto Rico: la pluviosité y est d'environ 5 mètres et les indications approximatives que l'on possède sur le ruissellement font ressortir la consommation totale par évaporation/transpiration aux environs de 50 centimètres ou moins. Notons, en passant, que cette région particulière est caractérisée par une forêt dense (rain forest) naine, ce qui pourrait également indiquer des taux de transpiration réduits.
En dehors de ses effets sur le volume de l'évaporation/transpiration, la végétation forestière exerce d'autres influences extrêmement importantes sur la distribution de l'eau. Lorsque la pluie a traversé la voûte foliacée de la forêt, elle ne peut pénétrer que partiellement dans le sol où elle est stockée sous forme de nappe ou d'eau de rétention d'où elle s'écoule ensuite doucement vers les cours d'eau. Suivant l'intensité de la pluie et la compacité du sol en surface, des quantités plus ou moins grandes d'eau peuvent ruisseler sur la terre. L'aménagement des terres ne peut pas régler l'importance des précipitations, mais la croissance, le traitement ou la détérioration de la végétation peuvent avoir une influence très nette sur la compacité des couches superficielles du sol. Lorsqu'on laisse la végétation forestière se développer normalement, elle tend à créer des conditions de milieu de plus en plus favorables à la formation d'un sol perméable. Les matières organiques se déposent tout d'abord à la surface du sol sous forme de litière. Lorsque celle-ci commence à se décomposer, les produits de cette décomposition organique gagnent les couches superficielles du sol et y assurent des conditions favorables aux bactéries et autres organismes végétaux ou animaux qui concourent à l'élaboration de la structure du sol. En outre, un réseau de radicelles, en pénétrant dans les couches les plus superficielles du sol, assurent une stabilité mécanique et créent, lorsqu'elles meurent et pourrissent, des myriades de canaux souterrains.
C'est ainsi qu'au bout d'un certain temps la couverture forestière réalise les conditions optimums pour la pénétration et le stockage de l'eau. A l'opposé, l'enlèvement de la végétation - même s'il n'apporte aucun trouble du point de vue mécanique - conduit, par les modifications qu'il entraîne, à une dégradation plus ou moins accentuée. La suppression du couvert de la voûte foliacée expose la couverture morte et l'humus à une oxydation accrue au contact de la pluie et à l'enlèvement par le vent. La détérioration progressive de la micro faune et de la microflore, la disparition des racines actives sans qu'elles soient remplacées, le tassement dû à la pluie, tout ceci tend à durcir les couches superficielles jusqu'à ce que, le stade critique de la détérioration étant atteint, le ruissellement superficiel commence à se produire. Si, à ce moment-là, la végétation n'est pas réinstallée, un nouveau cycle de détérioration progressive se produit. Le ruissellement en surface déplace les éléments fins qui gagnent les interstices de la partie supérieure du sol; il s'ensuit une diminution de porosité qui se traduit par une augmentation du ruissellement en surface et ainsi de suite. Ce cycle atteint à la fin un équilibre stable correspondant, pour le bassin de réception, à de faibles possibilités d'infiltration et de stockage de l'eau ainsi qu'à des taux excessifs de ruissellement superficiel. Les cours d'eau enfreint en crue durant les périodes de pluie, alors qu'ils sont partiellement à sec entre celles-ci.
Cette dégradation du bassin de réception est aggravée par le tassement mécanique du sol dû à l'ouverture des coulées de traînage et à la construction des routes ainsi que par le transport des grumes, la pression des matériels lourds d'exploitation et le piétinement des animaux, qu'ils soient au travail ou au pâturage. En particulier, sur les terrains soumis au pâturage ou au parcours, le piétinement des animaux peut jouer un rôle important dans la détérioration d'un bassin de réception. Le piétinement des êtres humains peut également en faire autant dans les régions à population très concentrée.
De ce qui précède, on peut déduire que, dans l'ensemble, l'aménagement et la protection d'un bassin de réception a pour objectif d'éviter les causes de détérioration de la couverture forestière de façon à ne pas atteindre le stade critique de dégradation. Dans certaines régions, sur des sols relativement poreux et avec des pluies de faible importance, il est possible d'exploiter assez intensivement la végétation sans causer de dégâts graves. Dans d'autres régions, avec des pluies importantes et sur des sols se dégradant facilement, on peut être contraint au respect intégral de la végétation.
En résumé, on peut faire quelques remarques sur les effets de la forêt sur l'approvisionnement en eau, la stabilité du sol et le régime des cours d'eau. Il est bien évident que la végétation consomme des quantités variables d'eau suivant sa nature et le climat. Cette consommation d'eau représente généralement un facteur important dans l'aménagement d'un bassin de réception; bien que, sous des climats extrêmement arides ou extrêmement humides avec des sols superficiels du point de vue hydrologique, la présence ou l'absence de végétation puissent ne causer que de faibles différences dans la consommation totale d'eau de pluie. Cette présence peut cependant exercer une très grande influence sur la stabilisation des terres et la régularisation des cours d'eau.
En conséquence, si l'objectif principal de l'aménagement de la région est la régularisation des eaux et la stabilisation des terres, il conviendra de s'attacher à maintenir la couverture végétale la plus dense possible. Si, à l'opposé, on se propose de disposer de la quantité maximum d'eau compatible avec la stabilité des terres et la régularisation des eaux, celui qui aménage la région devrait s'attacher à maintenir la végétation à la densité minimum permettant de ne pas dépasser le niveau critique de détérioration.
Il faut noter que ces idées conduisent à suivre, en vue de l'aménagement et de la protection, une politique différente de celle qui ne tendrait qu'à la production de bois; les deux choses peuvent être incompatibles. L'idée directrice de toute politique forestière est de produire les volumes maximums de bois à l'unité de surface. Au contraire, celui qui aménage un bassin de réception cherche à maintenir la couverture forestière à la densité qui permet d'atteindre les buts fixés quant à l'accumulation d'eau, la stabilisation du sol et la régularisation des cours d'eau. Dans certains cas, cela implique la protection totale de la végétation sans aucune récolte de bois. D'autres fois, lorsque les quantités d'eau consommée sont importantes, cela signifie le maintien des peuplements forestiers à une densité nettement inférieure à celle que souhaiterait le sylviculteur pour obtenir la production maximum de bois. Bien entendu, dans tous les cas, il faut tenir compte des différents objectifs de façon à procurer, à long terme, les plus grands profits pour la majorité des populations intéressées.
Zones arides
En ce qui concerne les influences de la forêt, on peut admettre que les zones arides du globe présentent deux caractéristiques saillantes. La première est une évidente pénurie en eau; il s'ensuit, avec le développement de la civilisation, une demande intense. La seconde est le développement typiquement lent et épars de la végétation; en conséquence, cette dernière souffre gravement de toute exploitation et ne se reconstitue que lentement. Ces facteurs exigent d'apporter le plus grand soin à l'établissement des plans d'aménagement des terrains forestiers pour obtenir l'optimum de production en eau et de stabilité du bassin de réception. Tout particulièrement dans les zones plus sèches, tout empiétement de quelque importance sur la forêt se traduit par une réelle perturbation des conditions du bassin de réception; il faut longtemps pour y remédier et on dépasse souvent le stade critique pour pénétrer dans un dangereux processus de détérioration qui peut conduire au désert permanent ou semi-permanent. En Afrique occidentale, par exemple, les coupes et le parcours dans les forêts de la Nigeria septentrionale et de la région du Soudan ont progressivement amené la dégradation de la forêt à feuilles caduques, le développement des différents types de savanes et la progression vers le sud du désert du Sahara (Stebbing, 1939). Dans certains cas, cependant, probablement lorsque le sol est plus perméable, la dégradation de la forêt à feuilles caduques peut ne pas se traduire par la détérioration des conditions du bassin de réception:
Un type dégradé de forêt à feuilles caduques dans lequel les espèces résistant au feu prédominent naturellement, se transforme, au cours d'années ou de siècles de ce traitement, en un peuplement dont la croissance en hauteur devient plus faible, avec des fûts tordus et un couvert incomplet. Tout cela était sous nos yeux aujourd'hui, la forêt n'arrivait en général qu'à une hauteur moyenne d'environ 25 à 30 feet (7 à 10 mètres) bien que nous ayons traversé ries parcelles, généralement avec une végétation dense d'«herbe à éléphant», où les arbres étaient plus grands et où le couvert dense était même complet en quelques endroits.Ce sont les caractères généraux de la forêt qui retenaient mon attention et cette question continue à m'intéresser. Dans cette région, ainsi que je l'avais noté, l'eau est restée abondante dans les cours d'eau et il est évident que la création d'une réserve main tiendrait et préserverait les conditions existantes qui sont bonnes. Il est aussi évident que, si on laisse les habitants incinérer comme ils le font actuellement la forêt existante se détériorera progressivement jusqu'au moment où l'approvisionnement en eau en sera affecté et l'actuelle prospérité apparente de cette région sera diminuée. (Stebbing, 1939, page 41.)
Stebbing suggère l'installation de rideaux d'arbres orientés est - ouest pour arrêter la progression en direction du sud du désert du Sahara: un au travers de la Haute-Volta, en direction du lac Tchad, et un autre traversant le Ghana et la Nigeria, à peu près à la latitude de Kintampo. Il semble également être en général partisan d'interdire, dans les zones boisées, le libre usage afin de préserver les bassins de réception. Partout où l'on pratique l'agriculture nomade, il suggère d'employer, dans les zones exploitées, la méthode taungya consistant à planter des arbres aussitôt après la coupe et à associer des cultures à ces plantations; cette pratique représente un moyen de restaurer le sol. La méthode taungya pourrait être combinée avec une rotation contrôlée des cultures itinérantes, de façon à offrir le maximum de possibilités de remise en état des terres.
Dans les régions semi-arides des Etats-Unis, telles que les chaînes extérieures des montagnes Rocheuses et certaines parties de l'Arizona et du Nouveau-Mexique, de grandes surfaces ont été sérieusement dégradées par des années d'exploitations, d'incendier répétés et de pâturage abusif. Le résultat a été, dans certains cas, la disparition ou l'enlèvement de la couverture forestière; dans d'autres, l'invasion des pâturages par les petits pins à grosses graines (pinyon pine) et les genévriers. Dans ces régions, une solution a consisté dans la création de «forêts nationales» dans lesquelles l'exploitation des arbres, le pâturage et le feu sont réglementés par le gouvernement fédéral. Parfois, cependant, cela a eu pour conséquence une surexploitation ultérieure des terrains situés en dehors des forêts nationales.
De ces exemples et d'autres qu'on pourrait citer, il ressort de façon évidente que, dans les zones arides, l'aménagement des bassins de réception exige une attention toute particulière. Il est possible d'exploiter parfois une très forte proportion d'arbres à condition d'installer à leur place un tapis de graminées appropriées ou d'autres plantes fourragères et de pouvoir réglementer le pâturage. Sinon, cela a trop souvent pour conséquence un long cycle de grave détérioration.
Zone tropicale humide
Sur les grandes superficies de cette zone, le climat et la végétation posent un ensemble de problèmes complètement différents. En général, la pluviosité y est excessive, à tel point que l'évaporation/transpiration peut rester inférieure au maximum théorique. Sauf dans les régions les plus humides, la végétation se développe rapidement et fournit un couvert presque impénétrable qui assure au sol une protection plus que suffisante contre l'érosion. Lorsque la forêt est supprimée, qu'elle soit exploitée ou brûlée, elle se réinstalle si rapidement que le sol est à nouveau complètement couvert en un temps remarquablement court. Pendant le même temps, l'érosion superficielle est importante sur les terres mises à blanc, et l'agriculture nomade a souvent été accusée d'être à la base des envasements, des crues et de la détérioration du sol. Ceci est également lie à l'existence des populations pauvres.
Toutes ces affirmations sont sans doute exactes, au moins jusqu'à point, mais on est en droit de supposer que quelques-unes sont exagérées. Il est certain que, comme toute forme primitive d'agriculture, la culture itinérante se traduit par une perte d'efforts humains et un appauvrissement du sol. De même, cette forme d'agriculture s'accompagne d'érosion sur les versants en pente et dans les régions à pluviosité torrentielle. Cependant, vouloir généraliser à l'extrême et en tirer des conclusions à long terme est une autre question.
A Porto Rico, par exemple, on a considéré que l'agriculture nomade était une cause grave d'envasement de réservoirs importants. Mais l'analyse quantitative effectuée par le Service de la conservation du sol des Etats-Unis (Noll, 1953) sur l'envasement du réservoir Caonillas indique seulement une perte annuelle de terre d'environ 0,65 millimètre dans le bassin de réception. Ce taux d'érosion indiquerait pour le réservoir une possibilité d'existence d'environ 800 ans - plus longue que celle que l'on peut attendre dans de nombreuses régions au climat plus clément et où la culture pose moins de problèmes frappants. Là, comme partout, l'érosion la plus importante à l'unité de surface vient du fait des sols mis complètement à nu par la culture. Au moment où l'étude a été faite, ces sols représentaient 3 pour cent du bassin de réception mais causaient 23 pour cent des pertes de terre. Les terres occupées par le caféier couvraient 26 pour cent de la surface et causaient 40 pour cent des pertes. Noll pense qu'on pourra considérablement réduire cette érosion en conservant la couverture vivante sous les caféiers. Les pâturages non améliorés occupaient 37 pour cent de la surface du bassin de réception et causaient 21 pour cent des pertes de sol, et les forêts bouissonnantes, occupant 26 pour cent de la surface, causaient 14 pour cent des pertes. Pour diminuer l'érosion et la détérioration du sol, Noll recommande un meilleur aménagement des terres occupées par le café, une amélioration des pâturages grâce à la fertilisation ou à d'autres moyens, des façons assurant la conservation des terres de culture, un type d'agriculture axée sur les prairies et une augmentation de la surface de la forêt. Dans toute la mesure du possible, il faut contrôler l'agriculture nomade partout où elle est pratiquée, peut-être en l'associant avec le reboisement des zones mises à blanc par un système du genre taungya.
Aussi bien dans la zone aride que dans la zone tropicale humide, l'exploitation incontrôlée des forêts présente des dangers évidents. Dans les régions arides, elle signifie une grave détérioration du sol et cause des crues subites et la baisse des eaux dans les rivières en été. Dans les régions humides, elle signifie des taux d'érosion excessifs et une réduction de la productivité du sol. Dans les deux cas, ses conséquences réclament l'existence de politiques définies de contrôle de l'exploitation de la forêt: dans certains cas, pour assurer la complète protection des terres des bassins de réception, dans d'autres, pour permettre la gestion des forêts et des terrains de parcours tout en restant dans les limites qui permettent de ne pas causer de détériorations dépassant le niveau critique. Dans les régions arides, le principal objectif d'une telle protection et d'un tel aménagement devrait être le contrôle du bilan en eau et la recherche du maximum de stabilité du sol. Dans les régions tropicales humides, les buts à atteindre deviennent l'augmentation de la productivité du sol tout en maintenant l'érosion à un niveau raisonnable.
Dans les deux cas, partout où les bassins de réception posent des problèmes de quelque importance, toute politique de protection ou d'aménagement de la forêt devrait être dominée par l'idée d'assurer à celle-ci la densité optimum. Lorsque la régularisation des court d'eau ou la stabilisation du sol ont une importance cruciale, la densité optimum peut correspondre au maximum compatible avec une protection complète ou avec la gestion la plus prudente de la couverture forestière. Lorsque les sols sont stables, la pluviosité et les quantités d'eau faibles et qu'il est essentiel de disposer des quantités maximums d'eau, la densité optimum de la végétation forestière peut être nettement inférieure à celle que requièrerait la production de bois maximum. L'objectif à atteindre pourra alors être le maintien des peuplements forestiers à la densité la plus faible compatible avec la stabilité du bassin de réception. Dans quelques régions, on pourra même, pour y parvenir, recourir à l'enlèvement de tous les arbres et an remplacement de la couverture qu'ils assuraient; par celle de plantes fourragères ou d'arbustes.
Il conviendrait cependant d'insister sur le fait que cet échafaudage de conclusions et de recommandations est basé en grande partie sur l'extrapolation des connaissances actuelles, acquises surtout dans les zones tempérées. Dans l'ensemble des zones arides et tropicales humides du monde, la recherche quantitative représente une très grande nécessité ainsi que les projets d'installations-pilotes destinées à mettre au point les meilleures méthodes d'aménagement des forêts et des terrains de parcours des bassins de réception.
Tant que ces recherches ne seront pas achevées et couronnées de succès, il restera difficile pour celui qui aménage les terres ou définit une politique d'évaluer les valeurs relatives de la protection complète et d'un aménagement raisonnable et même de définir ce qu'est ce dernier.
HOOVER, Marvin D. Effect of removal of forest vegetation on water yields. Trans. Amer. Geographical Union Part IV, pp. 969-975. 1944.
KITTREDGE, Joseph. Forest influences. 394 p. illus. McGraw Hill Book Col, New York, Toronto, Londres, 1948.
KOVNER, J. L. Changes in streamflow and vegetation characteristics of a southern Appalachian watershed brought about by forest cutting and subsequent natural regrowth. Thèse de doctorat, dactylographiée, 245 p. State University College of Forestry, Syracuse University, Syracuse, New York, 1965.
NOLL, John J. The silting of Caonillas Reservoir. Porto Rico. 22 p., ronéoté, illus. Soil Conservation Service, U.S. Dept. of Agric. Tech. Paper 119, 1953.
STEBBING. E. P. The forest of West Africa and the Sahara. 245 P. illus. W. et R. Chambers, Ltd., 1937.
THORNTHWAITE, C. W. The water balance. Climatology, Vol. VIII, N° 1, 104 p. The Drexel Inst. of Technology, Laboratory of Climatology, Centerton, New Jersey, 1955.
WILM, H. G. The relation of different kinds of plant cover to water yields in semi-arid areas. Proceedings, Sixth International Grassland Congress, pp. 1046-1050, 1962.
WILM H. G. et DUNFORD E. G. Effect of timber cutting on water available for stream flow from a lodgepole pine forest. U.S. Dept. of Agric. Tech. Bull. 968. 43 p. illus. 1948.
(Traduit de l'anglais)