M. E. Chipeta
Mafa E. Chipeta est Forestier principal à la Division des politiques et de la planification du Département des forêts de la FAO.
Le présent article est basé sur un document préparé en vue de l'Atelier de travail Danemark/Afrique du Sud/PNUD sur les mécanismes et les sources de financement pour une foresterie durable, qui s'est réuni à Pretoria (Afrique du Sud) du 4 au 7 juin 1996. Il présente les perceptions des principales possibilités et contraintes en matière de financement du développement forestier dans les régions Asie et Pacifique, Afrique, et Amérique latine et Caraïbes Ces perceptions ont été dérivées d'une série d'études régionales de la FAO Cette dernière est convaincue que, dans la recherche de moyens novateurs permettant de mobiliser davantage de fonds pour la foresterie, il est important de tenir compte des préférences des bénéficiaires et des éléments qui, selon eux, constituent un obstacle, car ils peuvent donner des points de vue utiles qui aideront à définir des priorités et des approches de financement plus adaptées.
La FAO a réalisé des enquêtes au moyen de questionnaires dans les régions Asie et Pacifique (1993), Afrique (1995) et Amérique latine et Caraïbes (1996). L'Organisation a entrepris ce travail en vue de ses Commissions régionales intergouvernementales sur la foresterie, sous les auspices desquelles ont été organisés des séminaires spéciaux sur le financement. Les séminaires ont donné aux responsables principaux des forêts (les participants des Commissions sont les chefs des départements forestiers nationaux ou leurs représentants principaux) la possibilité de partager leurs expériences et leurs idées sur la manière la plus appropriée d'attirer des fonds pour développer la foresterie. Les résultats de l'enquête de la FAO ont été examinés par les commissions régionales pertinentes, et les rapports sur les régions Asie et Pacifique et Afrique sont disponibles (FAO, 1994 et 1996).
Dans les trois études régionales, la FAO a envoyé des questionnaires aux gouvernements, à des institutions donatrices et à des organismes de financement multilatéral en leur demandant de fournir des chiffres sur le financement intérieur et extérieur, public et privé. Les questionnaires s'articulaient autour de trois grands axes: ampleur des flux totaux de financement (intérieur et extérieur), domaines de financement et perceptions des possibilités et des contraintes. Le présent article porte sur ce troisième aspect.
C'est en Afrique que les taux de réponse des gouvernements ont été les plus élevés et en Asie et Pacifique que les donateurs ont le mieux répondu. Dans tous les cas, lorsque les réponses sont incomplètes, les résultats sont entachés d'une certaine incertitude, mais les perceptions identifiées grâce aux enquêtes éclairent sur les points de vue des intéressés, en particulier des bénéficiaires, qui étaient les premiers visés par les questionnaires.
Sept pays en développement, un pays développé, quatre pays donateurs situés en dehors de la région et huit institutions internationales ont répondu au questionnaire.
Possibilités
La région Asie et Pacifique offre un potentiel élevé pour l'investissement forestier. Ses forêts naturelles fournissent d'ores et déjà l'industrie de bois d'uvre tropicaux la plus dynamique du monde; les plantations de forêts d'exploitation dans les pays tempérés de la région ont aussi attiré des fonds importants pour développer l'industrie et d'autres ressources. Les principales possibilités identifiées sont les suivantes: création de nouvelles ressources forestières ou arborées, en particulier dans les pays très peuplés et fortement déboisés (notamment, investissement des populations rurales dans l'arboriculture dans des systèmes agricoles et dans de petites entreprises de transformation); établissement de nouvelles plantations pour accroître disponibilités de bois; transformation de produits forestiers non ligneux tels que le rotin en vue d'accroître la valeur ajoutée intérieure; et enfin, création d'infrastructures pour soutenir le tourisme basé sur les forêts et la nature.
Contraintes
Il ressort du séminaire sur l'investissement de la Commission forestière régionale que les principaux freins aux investissements dérivent des politiques inappropriées, de la faiblesse des capacités institutionnelles et de la complexité des procédures dans les pays bénéficiaires de l'aide ou dans les pays donateurs.
Le séminaire a mis en relief les trois problèmes clés suivants dans de nombreux pays en développement de la région: faible esprit d'entreprise des administrations forestières; lenteurs bureaucratiques; et politiques, lois ou pratiques foncières inappropriées. Il a, par ailleurs, noté le manque de projets viables et bien élaborés susceptibles d'attirer des fonds d'investissement, compte tenu de leur rareté et de la concurrence des projets non liés à la foresterie. En résumé, les autres facteurs gênant l'investissement dans de nombreux pays en développement sont, entre autres: l'absence ou la faiblesse des politiques visant à encourager la participation du secteur privé; les faiblesses institutionnelles (notamment pénuries de compétences); l'absence de mesures d'incitation; les conditions économiques médiocres et l'insuffisance des infrastructures physiques et autres; certaines politiques environnementales (par exemple celles qui découragent l'investissement dans l'exploitation des forêts); l'instabilité politique ou sociale; et enfin, le manque de compétitivité des coûts des salaires et des autres intrants. Les agriculteurs et les communautés rurales (qui, ensemble, ont un potentiel d'investissement important), sont gênés, d'une part, par des problèmes de trésorerie temporaires avant la récolte finale des produits des arbres; et, de l'autre, par le manque d'accès à l'équivalent du crédit agricole en foresterie.
En ce qui concerne les donateurs et les organismes extérieurs, le séminaire était d'avis que leurs politiques, priorités et procédures étaient parfois appliquées de façon trop rigide et sans prêter une attention suffisante à la situation particulière des pays bénéficiaires D'autres problèmes imputables aux donateurs ont été relevés: en finançant uniquement les secteurs qu'ils considèrent comme prioritaires, les donateurs favorisent un développement déséquilibré; la foresterie à vocation de production tend à être négligée du fait que les projets à but social ou écologique sont privilégiés; et enfin, en désignant souvent comme bénéficiaires uniquement les plus pauvres, les donateurs laissent passer d'autres bonnes possibilités d'investissement.
En Afrique, 29 pays ont répondu, ce qui représente le nombre le plus élevé des trois enquêtes régionales. Un seul donateur - la Banque africaine de développement (BAfD) - ayant fourni des informations, les résultats reflètent essentiellement les points de vue des gouvernements bénéficiaires.
Possibilités
D'après les questionnaires reçus avant le séminaire, les principales possibilités perçues sont: les industries forestières, le commerce et l'utilisation des produits forestiers; et la conservation des forêts/protection de la nature et les plantations forestières. Le fait que la prise de conscience accrue de l'environnement et l'intérêt pour la conservation de la diversité biologique (dans laquelle les forêts peuvent jouer un rôle majeur) ne se soient pas traduits par une augmentation des investissements forestiers a suscité une vive inquiétude.
Les domaines de préoccupation de la BAfD, qui transparaissent dans ses politiques forestières, suggèrent plusieurs domaines d'investissement possibles, notamment: i) le développement de sources de matières premières industrielles pour atténuer la pression sur les approvisionnements en grumes de feuillus tropicaux; ii) l'approvisionnement en bois de feu; iii) le développement de l'agroforesterie; iv) les forêts de protection de l'environnement; v) l'expansion de la capacité de transformation; et vi) la formation et autres activités de renforcement des capacités institutionnelles.
Contraintes
Les principales contraintes identifiées par le séminaire sur le financement de la Commission sur la foresterie et la faune et la flore sauvages pour l'Afrique peuvent être résumées comme suit:
· le financement est généralement mal adapté à une activité rentable à long terme telle que la foresterie;· les sources de financement considèrent la foresterie comme un secteur moins attrayant que les autres secteurs (du fait que les avantages multiples de la foresterie sont évalués de façon incomplète);
· la foresterie n'est pas «vendue» comme il convient ou présentée de façon convaincante aux politiciens et aux autres entités concernées pour obtenir leur appui;
· les efforts visant à inciter tous les groupes d'intérêts à investir, en particulier le secteur commercial privé, sont limités;
· les politiques souvent dépassées, inadéquates ou en conflit les unes avec les autres n'encouragent pas l'investissement;
· les institutions sont faibles;
· le manque de volonté politique et d'engagement des gouvernements vis-à-vis de la foresterie, notamment l'échec à faire de la foresterie une composante essentielle des plans de développement nationaux;
· l'insuffisance des budgets de foresterie, souvent aggravée par l'application rigide des programmes d'ajustement structurel;
· la coordination insuffisante entre les principaux acteurs, notamment entre les donateurs ou les institutions de financement.
Les réponses des questionnaires avaient mis en lumière le manque de capitaux d'investissement ainsi que le manque de compétences dans le domaine de la préparation et de la présentation des projets. D'autres contraintes, qui n'ont pas été mentionnées ci-dessus, étaient l'absence d'incitations et d'appui aux investisseurs étrangers, l'absence d'une politique appropriée concernant les régimes fonciers, l'insuffisance des infrastructures, l'étroitesse des marchés intérieurs et la dévalorisation de la monnaie.
AMÉRIQUE LATINE ET CARAÏBES (1996)
Après l'expérience des régions Asie et Pacifique et Afrique, des efforts particuliers ont été déployés pour obtenir des réponses du secteur privé dans la région Amérique latine et Caraïbes mais avec un succès limité. Les réponses reçues venaient de 12 pays en développement, de deux pays donateurs, de trois banques de développement d'un projet régional et de cinq organismes du secteur privé.
Possibilités
Les principales possibilités perçues semblent être les suivantes: les plantations forestières en général, qu'il s'agisse de celles à vocation de protection ou de production les industries de transformation du bois (création de nouveaux établissements ou modernisation des anciens): l'aménagement durable des forêts: et l'utilisation des produits forestiers non ligneux, notamment les entreprises liées à la nature (en particulier l'écotourisme). Parmi les autres suggestions, on peut citer l'amélioration des technologies l'aménagement des espaces verts, l'aménagement des forêts par les municipalités et la protection de la diversité biologique. Il est intéressant de préciser que les banques de développement ont donné la préférence aux plantations à vocation de protection à la foresterie communautaire et à la conservation de la diversité biologique, alors que ces domaines d'investissement étaient rarement proposés par les pays.
Contraintes
Pour le secteur public, les contraintes ont été: l'instabilité de l'environnement politique et les procédures d'investissement peu satisfaisantes; des problèmes au niveau des régimes fonciers: la faible priorité accordée à la foresterie par les hautes autorités gouvernementales: le resserrement des budgets et du financement (notamment du crédit): l'insuffisance des connaissances techniques sur L'aménagement forestier durable et le manque d'informations sur les possibilités d'investissement et sur les débouchés commerciaux: les défauts dans la formulation et la mise en uvre des projets: et enfin, l'insuffisance des infrastructures.
Pour le secteur privé, les contraintes ont été: l'absence d'une politique claire concernant le mode de faire-valoir des terres forestières: l'absence d'une politique d'utilisation des ressources naturelles, notamment les restrictions de récolte pour des raisons écologiques «non justifiées»: l'absence ou l'inefficacité du système d'incitations fiscales et le faible appui des administrations publiques: l'insuffisance des infrastructures et des biens d'équipement (pièces détachées): la législation complexe et les lourdeurs bureaucratiques: le manque de débouchés commerciaux et efforts insuffisants, sinon nuis, pour promouvoir à l'échelle locale et mondiale, les utilisations potentielles des produits forestiers tropicaux (essences ligneuses peu exploitées): et l'insuffisance du crédit mis à la disposition des petits agriculteurs et des communautés rurales.
Pour les donateurs et les banques de développement qui ont répondu, les principales contraintes ont été les suivantes: l'instabilité de l'environnement politique qui rend l'investissement à long terme plus risqué; la faiblesse des institutions publiques; la connaissance insuffisante des marchés internationaux par le secteur privé, notamment des nouveaux débouchés pour les produits «verts» des forêts; et enfin, l'absence d'incitations en général, et en particulier pour l'aménagement durable.
Comme on pouvait s'y attendre, les possibilités et contraintes mises en lumière au cours des séminaires varient d'une région à l'autre, mais il existe des similitudes. En ce qui concerne les possibilités, on constate dans toutes les régions un grand intérêt pour le développement des ressources forestières, et plus particulièrement pour les plantations. On privilégie soit les forêts à vocation de conservation, soit celles à vocation de production, selon le cas. Une autre divergence significative transparaît: les régions Afrique et Amérique latine et Caraïbes accordent, par exemple, une grande importance aux industries forestières. Il est intéressant de noter que la communauté extérieure, notamment les banques de développement, tend à privilégier la conservation et que pratiquement aucune entité n'accorde spécifiquement la priorité aux industries forestières.
En ce qui concerne les contraintes, on suppose que la pénurie de fonds en elle-même est une préoccupation fondamentale dans toutes les régions; dans le cas de l'Afrique, elle est explicitement citée comme étant la préoccupation essentielle. Cependant, certains facteurs sont unanimement reconnus comme un obstacle majeur au financement, en particulier le caractère inapproprié ou l'instabilité des politiques, des lois et des règlements; dans la plupart des cas, les régimes fonciers et les politiques d'incitations ont été expressément mentionnés. L'impression générale est aussi que les décideurs privilégient d'autres secteurs par rapport à la foresterie, et dans le cas de l'Afrique, on considère que c'est parce que le secteur est mal «vendu» à ceux qui prennent les décisions et à ceux qui peuvent investir. Les faiblesses institutionnelles sont aussi généralement vues comme une entrave au financement et à l'investissement. L'incertitude économique et politique a également souvent été citée.
Il est intéressant de constater que, bien que les contraintes politiques et institutionnelles soient mises au premier plan, le renforcement des capacités n'est pas placé en tête des possibilités de financement ou d'investissement.
Il est clair qu'à l'avenir, l'un des premiers objectifs doit être de trouver des moyens de mobiliser davantage de fonds. Cependant, lorsque l'on prendra des mesures à cet effet, on devra accorder l'attention voulue aux autres contraintes exprimées. Un meilleur diagnostic des priorités et des contraintes sera un facteur de réussite important; pour mieux s'aligner sur les perceptions de ceux qui fournissent les fonds (sources de financement intérieures ou donateurs extérieurs), il faudra aussi plus d'informations.
Ainsi, il est tout à fait justifié de continuer à suivre les flux de financement, mais il est tout aussi important de s'intéresser en permanence aux perceptions des bénéficiaires et des bailleurs de fonds. En réalisant ces enquêtes, la FAO a fait ses premiers pas et atteint le stade où ses travaux futurs pourront donner de bons résultats sous réserve que les gouvernements, les donateurs et le secteur privé acceptent de fournir des données. Ils le feront s'ils comprennent l'utilité des échanges d'informations sur le financement, entre les pays. Sans une volonté de coopération, les systèmes d'information sur ce thème n'ont aucun avenir.
On notera que, jusqu'à présent, la FAO est l'organisme qui a obtenu le plus d'informations sur le financement public dans les pays en développement. A travers son Unité de soutien des Programmes d'action forestiers nationaux et ses Commissions forestières régionales, elle dispose aussi d'un cadre qui lui permet d'atteindre presque tous les pays. Compte tenu de cela, la FAO est prête à jouer son rôle dans toute initiative future visant à améliorer les informations sur le financement en général et sur l'investissement.
FAO. 1994. Séminaire en cours de session sur le financement forestier dans la région Asie-Pacifique. Quinzième session de la Commission des forêts pour l'Asie-Pacifique, Colombo, Sri Lanka, août 1993. Document FO:MISC/93/14. Rome.
FAO. 1996. Séminaire en cours de session sur le financement du développement forestier en Afrique. Dixième session de la Commission des forêts et de la faune sauvage en Afrique, Sanbonani, Afrique du Sud, novembre-décembre 1995. Document FO:MISC/96/1. Rome.
FAO. 1996. Enquête sur le financement du développement forestier en Amérique latine et les Caraïbes. Dix-neuvième session de la Commission des forêts pour l'Amérique latine et les Caraïbes, Panama, 17-21 juin 1996. Document FO:LAFC/96/5. Rome.
FAO. 1996. Enquête sur le financement du développement forestier en Amérique latine et les Caraïbes: Liste des tableaux. Dix-neuvième session de la Commission des forêts pour l'Amérique latine et les Caraïbes, Panama, 17-21 juin 1996. Document FO:LAFC/96/5/Supp. 1. Rome.