L'alimentation de rue en Afrique
Street food in Africa
Los alimentos de venta callejera en Africa
C. Canet et C. N'Diaye
Colette Canet et Cheikh N'Diaye sont respectivement fonctionnaire en nutrition (contrôle et contamination alimentaire) au Service de la qualité et des normes alimentaires à la Division de l'alimentation et de la nutrition de la FAO, Rome, et fonctionnaire régional chargé de l'alimentation et de la nutrition, au Bureau régional de la FAO pour l'Afrique, à Accra, Ghana.
L'Afrique dans son ensemble produit une grande variété de produits végétaux et animaux. Dans de nombreux pays, l'agriculture reste la principale activité économique. Elle est caractérisée par une faible productivité de la terre et l'existence d'une myriade de petites exploitations traditionnelles et familiales. Son secteur agroalimentaire est régi par une série de contraintes situées en amont et en aval du secteur agricole proprement dit.
Le secteur informel de l'alimentation a été défini comme «le secteur produisant des aliments et des boissons prêts à être consommés, préparés et/ou vendus par des vendeurs, spécialement dans les rues et dans les autres lieux publics similaires» (FAO, 1990). Il peut, à première vue, paraître tout à fait marginal lorsqu'on le compare aux grands secteurs de la production agricole, de l'industrie agroalimentaire et de la commercialisation des produits agricoles et alimentaires. Il prend cependant une dimension toute particulière dans les centres urbains africains où l'urbanisation rapide et les difficultés économiques ont favorisé l'augmentation du nombre de vendeurs d'aliments sur la voie publique.
A ce jour, diverses activités ont été menées dans le secteur de l'alimentation de rue. Ces actions ont permis de mieux cerner la situation, d'identifier les problèmes spécifiques qui en découlent et de proposer, voire de mettre en uvre, dans certains pays des stratégies visant à contrôler les effets négatifs de la vente des aliments sur la voie publique tout en conservant les aspects positifs du secteur, principalement socioéconomiques et nutritionnels (FAO, 1984-1996; 1996).
CARACTÉRISTIQUES DU SECTEUR EN AFRIQUE
Le secteur informel de l'alimentation recouvre principalement l'alimentation de rue qui constitue une solution aux nombreux problèmes et besoins des populations citadines.
Ce secteur offre aux populations des villes des aliments prêts à être consommés, au goût populaire et à des coûts acceptables. En effet, de par l'absence de moyens de transport adéquats et de temps, de nombreux travailleurs, étudiants, écoliers, etc., ne peuvent rentrer chez eux pour les repas. Par manque de système efficace de restauration collective comme les cantines sur les lieux de travail, ils achètent dans la rue de quoi se nourrir à peu de frais par rapport à ce que leur coûterait un repas au restaurant ou même à la maison. Les conditions d'hébergement précaires dans certaines zones urbaines, en particulier celles des familles les plus défavorisées, ne permettent pas toujours la préparation des repas à la maison et les conduisent à dépendre de l'alimentation de rue. La demande croissante de mets et d'aliments préparés et vendus sur la voie publique s'explique aussi par les phénomènes de migration qui entraînent l'augmentation du nombre de personnes vivant seules, souvent en situation difficile et ayant de faibles revenus. Consommer ses repas dans les rues, le matin ou à midi devient un lieu commun en Afrique. Les hommes célibataires de moins de 30 ans, y compris les écoliers et les étudiants, sont les consommateurs les plus nombreux et assidus (tableau 1).
TABLEAU 1
Typologie des consommateurs - pourcentage par rapport au total du groupe considéré (sexe, état civil, âge et taux de fréquentation)
Pays
|
Hommes
|
Célibataires
|
Moins de 30 ans
|
Fréquentation |
|
(1 fois/jour) |
(2 fois/jour) |
||||
Côte d'Ivoire |
|||||
(Abidjan) |
74 |
66 |
35 |
52 |
- |
Ghana |
|||||
(Accra) |
65 |
71 |
75 |
36 |
44 |
Mali |
|||||
(Bamako) |
- |
- |
60 |
58 |
- |
Maroc |
|||||
(Rabat-Salé) |
(majorité) |
(majorité) |
60 |
- |
- |
Nigéria |
|||||
(Ibadan) |
58 |
49 |
70 |
40 |
34 |
(Lagos) |
70 |
31 |
56 |
46 |
26 |
(Kaduna) |
62 |
66 |
75 |
43 |
14 |
Ouganda |
|||||
(Kampala) |
76 |
58 |
77 |
- |
- |
Zaïre |
|||||
(Kinshasa) |
95 |
53 |
(âge moyen 38 ans) |
- |
- |
(-) pas d'information disponibleNote: Ce tableau a été dressé à partir d'études plus ou moins ponctuelles effectuées de 1987 à 1995 avec des objectifs divers et selon des méthodologies différentes.
Ces chiffres sont donc indicatifs et ne peuvent que difficilement être comparés entre eux.
Source: FAO, 1984-1996.
Le secteur informel de l'alimentation est une source non négligeable d'emplois en milieu urbain, spécialement pour les personnes dont le niveau d'éducation n'est pas très élevé et qui ne trouveraient peut-être pas d'autre emploi. Ainsi, dans beaucoup de villes de pays en développement, le quart des actifs, notamment les femmes, vivent de la vente des aliments de rue (tableau 2). Les vendeurs sont souvent des vendeuses: il existe une spécialisation sexuelle marquée selon les produits vendus. Très souvent, la famille entière participe aux divers stades de l'achat des produits et matières premières, à la préparation des aliments et à leur vente. Nombre d'enfants assurent la vente ambulante des aliments. De nombreuses vendeuses sont entrées dans le secteur de l'alimentation de rue pour assurer, en premier lieu, les besoins alimentaires de leur famille. Les aliments vendus sur la voie publique s'avèrent souvent une source de revenus sûre et importante (tableau 3). Il faut aussi noter que les denrées alimentaires proposées à la vente ambulante sont le plus souvent préparées à partir de produits locaux. L'importance économique et sociale du secteur informel de l'alimentation est facilement illustrée par quelques chiffres: un chiffre d'affaires journalier de 140 millions de francs CFA a été calculé pour la seule ville de Ouagadougou, il est estimé à 9 milliards de FCFA annuellement à Cotonou, et s'élève à 737 millions de FCFA pour le secteur de l'alimentation de rue situé autour des écoles à Bamako.
TABLEAU 2
Les femmes dans l'alimentation de rue
Pays |
Pourcentage de femmes parmi les vendeurs |
|
Bénin (Cotonou) |
90 |
|
Congo (Brazzaville) |
55 |
|
Côte d'Ivoire (Abidjan) |
81 |
|
Ghana (Accra) |
94 |
|
Kenya |
75 |
|
Lesotho |
85 |
|
Mali (Bamako) |
80 |
|
Mauritanie (Nouakchott) |
75 |
|
Nigéria: |
|
|
|
(Ibadan) |
86 |
(Kaduna) |
79 |
|
(Lagos) |
81 |
|
Sénégal (Dakar) |
77 |
|
Togo |
87 |
|
Ouganda (Kampala) |
72 |
|
Zaïre (Kinshasa) |
82 |
|
Zambie |
70 |
Note: Ce tableau a été dressé à partir d'études plus ou moins ponctuelles effectuées de 1987 à 1995 avec des objectifs divers et selon des méthodologies différentes.Ces chiffres sont donc indicatifs et ne peuvent que difficilement être comparés entre eux.
Source: FAO, 1984-1996.
TABLEAU 3
Revenus journaliers par vendeurs provenant de l'alimentation de rue
Pays |
Revenus/jour |
Bénin (Cotonou) |
1 500-15 000 FCFA |
Burkina Faso |
7 102 FCFA |
Congo |
2 000-20 000 FCFA |
Côte d'Ivoire (Abidjan) |
3 000-10 000 FCFA (22 000 FCFA mensuel1) |
Madagascar |
71-143 FF/mois |
Malawi |
60-250 K/mois |
Mali |
1 000-3 000 FCFA |
Maroc (Rabat-Salé) |
1 715 DH2 (800 DH/jour)1 |
Mauritanie (Nouakchott) |
200-5 000 UM (supérieurs aux salaires publics) |
Nigeria |
25 $EU/mois1 |
(Ibadan) |
2,5 $EU |
(Lagos) |
3,5 $EU |
(Kaduna) |
3,5 $EU |
Tanzanie |
120 Tsh (24 Tsh/jour)1 |
Togo |
1 500-15 000 FCFA |
Ouganda (Kampala) |
10 $EU (50 $EU/mois)1 |
1 Salaire minimum garanti dans le pays.2 150 pour cent des vendeurs de nuit ont un revenu supérieur à celui d'un enseignant de l'école secondaire.
Note: Ce tableau a été dressé à partir d'études plus ou moins ponctuelles effectuées de 1987 à 1995 avec des objectifs divers et selon des méthodologies différentes.
Ces chiffres sont donc indicatifs et ne peuvent que difficilement être comparés entre eux.
Source: FAO: 1984-1996.
Malgré l'énorme activité économique engendrée par la vente d'aliments sur la voie publique et malgré son rôle de réponse aux besoins alimentaires, socioéconomiques et culturels de la communauté, ce secteur n'est pas reconnu comme tel dans de nombreux pays et est encore traité en tant que «commerce parallèle». L'absence de surveillance officielle de la vente ambulante des aliments préparés sur la voie publique entraîne toutes sortes de problèmes mettant directement en jeu la santé des consommateurs.
Les études entreprises à ce jour (FAO; 1990; 1984-1996; Dawson et Canet, 1991) font état de l'utilisation de matières premières et ingrédients de mauvaise qualité microbiologique, voire en état de décomposition, d'eau non potable sous forme de boissons diverses ou sous forme de glace, d'additifs alimentaires non autorisés ou en quantité impropre, de vaisselles et emballages impropres au contact avec les aliments ou insuffisamment nettoyés. Des mauvaises techniques de préparation, d'emballage, de conservation et de vente des aliments dans un environnement précaire (manque d'eau potable, proximité de voies d'évacuation des eaux usées, des égouts et tas d'ordures, chaleur ou ensoleillement excessifs risquent également d'être à l'origine de contamination microbiologique). D'autre part, les fraudes et falsifications sont nombreuses dans le secteur informel de l'alimentation, à savoir l'omission d'ingrédients essentiels ou la réduction en teneur de certains ingrédients (par exemple des jus de fruits sans fruits, des sauces à la viande où seuls les os sont présents). Quelques données ponctuelles ont été obtenues sur les types de contamination microbiologique (moisissures, flore totale, salmonelle, staphylocoques, etc.) ou chimique (rancidité des huiles, aflatoxines, etc). Il est cependant difficile d'évaluer les effets sur la santé et la nutrition des aliments contaminés ou falsifiés. Des cas d'intoxications alimentaires causées par les aliments de rue ont été reportés dans plusieurs pays et la presse s'en fait souvent l'écho lorsque les cas sont particulièrement nombreux ou mortels.
Finalement, on ne saurait ignorer les conséquences sur l'environnement urbain de la préparation et de la vente des aliments sur la voie publique: fumées des «cuisines», encombrement des voies de circulation (rues et trottoirs), ordures et eaux usées jetées sur la voie publique aggravant ainsi la situation déjà précaire de l'infrastructure des villes des pays africains, caractérisée principalement par le manque d'adduction en eau potable et de moyens d'évacuation des déchets et eaux usées.
ASSISTANCE AU SECTEUR
Diverses actions ont été menées dans ce domaine par les organisations internationales telles que la FAO, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), en collaboration avec leurs Etats Membres, et, dans la mesure du possible, elles ont été adaptées en fonction des besoins et de la situation de chaque pays ou des villes.
Les études de diagnostic du secteur informel de l'alimentation ont servi de base aux réunions régionales (FAO, 1992; 1994) et ont permis de suggérer les actions à réaliser en Afrique pour que le secteur informel de l'alimentation puisse jouer un rôle positif dans le développement des économies locales en contrôlant ses aspects négatifs sur la santé publique et l'environnement. Ces études et rencontres ont débouché sur la motivation et la mobilisation des autorités locales dans ces pays, qui ont amené des actions concrètes sur le terrain.
Les réunions régionales tenues au Bénin en 1994 et au Ghana en 1992 (FAO, 1992; 1994) ont mis l'accent sur la nécessité de reconnaître officiellement l'alimentation de rue afin de l'intégrer au secteur formel. Elles ont, par ailleurs, recommandé une meilleure coordination des actions des autorités nationales et locales pour assurer la salubrité des aliments préparés sur la voie publique et souligné les besoins en formation en hygiène alimentaire des vendeurs ainsi que la nécessité d'éduquer les consommateurs.
Cette approche a donc été suivie dans le cadre d'activités expérimentales de développement menées sur le terrain. Des projets ont été mis en uvre notamment en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Mozambique, au Nigéria et au Zaïre (FAO, 1984-1996) pour assister les autorités concernées à élaborer et mettre en uvre des programmes d'action visant l'amélioration de la situation de l'alimentation de rue.
Ces projets ont tablé sur la mise en place d'équipes de travail multidisciplinaires pour gérer l'approche multisectorielle et la nécessaire coordination de tous les acteurs, administrations nationales ou locales, ONG, particuliers, vendeurs, consommateurs, etc.
Le point a été fait sur la réglementation en vigueur dans ces pays et les besoins spécifiques de mise à jour dans le secteur de l'alimentation en ce qui concerne par exemple les codes d'hygiène, le droit foncier, les procédures d'autorisation diverses. On prépare également des codes d'usages pour les pratiques à utiliser dans le secteur informel de l'alimentation. La sensibilisation des fonctionnaires ayant en charge ces domaines est une priorité, leur association tout au long du projet a aidé à leur prise de conscience des problèmes de terrain (figure 1). L'organisation de réunions au niveau national ou municipal des secteurs concernés a permis à tous de se familiariser avec les études faites dans le cadre des projets. La formation des agents chargés du contrôle du secteur de l'alimentation de rue, en particulier les inspecteurs alimentaires, a été assurée dans le cadre des projets à travers des sessions théoriques et pratiques sur le terrain. Quelque 40 personnes (Côte d'Ivoire, Ghana et Zaïre) y ont participé.
1. Exemple de fiche de sensibilisation des administrations concernées par la promotion et le contrôle de l'alimentation de rue
Des actions ont été menées pour que les vendeurs s'organisent sous forme d'association, afin de leur permettre un meilleur accès aux cours de formation ainsi qu'un certain accès aux crédits (Côte d'Ivoire et Zaïre). Là où de tels groupements existaient déjà (Ghana), ils deviennent des interlocuteurs privilégiés du projet. Ces groupements ou associations ont aussi pour rôle primordial de participer avec les autorités locales aux prises de décisions sur les aspects les concernant, en particulier sur l'infrastructure des zones à haute densité du secteur et sur les activités de surveillance et de contrôle de la qualité que ces autorités se doivent d'exercer. La formation de ces groupements a certainement aidé à la prise de conscience des vendeuses de leur identité et professionnalisme. Elles ont participé très activement aux différents projets tant dans la définition des infrastructures que des besoins en formation.
Sur les sites pilotes, différentes approches ont été testées selon les conditions et besoins existant dans le secteur de l'alimentation de rue. L'amélioration des infrastructures et de leur environnement est une nécessité si le secteur de l'alimentation de rue est à intégrer à terme dans les espaces urbains et l'économie des pays. Des modèles sanitaires et architecturaux ont été testés. Ils devaient répondre à divers critères de prix, de sécurité (vol), des matériaux locaux, de la clientèle (restauration du matin, midi ou soir, restauration rapide ou de loisir), du terrain (public ou non, assaini ou non, emplacement, etc). Ainsi, on a expérimenté des stands démontables avec usage collectif des infrastructures d'hygiène ou des établissements fixes de type individuel, en adoptant ces types de «construction» à diverses conditions existantes: municipalité en tant que propriétaire des terrains et vendeuses locataires, droit de construction accordé ou non, existence de groupements et associations de vendeuses ou vendeuses à titre individuel et titres d'occupation des sols variés qui sont parfois concédés. Les équipements correspondants ont été également développés: systèmes de ramassage d'ordures, poubelles, lavoirs, filtres à graisse, séchoirs, toilettes, etc. Une approche de type participatif a été utilisée par l'équipe des ingénieurs sanitaires et des constructeurs lors de l'identification des besoins et la construction (emplacements, commodité des installations, etc.) (figures 2, 3 et 4).
2. Construction de lavoirs, structure à usage collectif
3. Cuisines/magasins du maquis pilote Miran (Port-Bouët Vridi)
4. Evolution du maquis pilote de Vridi, Abidjan
En Côte d'Ivoire, le terme «maquis» désigne les emplacements des vendeuses d'alimentation de rue. Le maquis de Vridi a été l'un des sites pilotes du TCP/IVC/2353. Avant le projet, les stands entassés des vendeuses se composaient de poteaux de bois soutenant des tôles et de quelques tables et chaises pour les clients. Aucune infrastructure sanitaire n'était disponible à proximité de ce terrain vague coincé entre une usine et des voles routières. Par le projet, différents espaces ont été prévus (restauration, cuisines, magasins et sanitaires) de façon à associer hygiène et attrait. (Fig. 4)
Enfin, on a formé tous les vendeurs (en fait des vendeuses) sur les quatre sites pilotes des projets du Zaïre et de la Côte d'Ivoire (environ 70 personnes). Ces programmes ont été essentiellement des séances de travail pratique en collaboration directe avec les vendeuses sur les lieux mêmes de production et vente des aliments de rue, dans l'ensemble des structures «améliorées». Les programmes de formation ont été préparés à partir des résultats d'enquêtes sanitaires préliminaires, et on a établi des guides de bonnes pratiques comme aide-mémoire pour les vendeuses et pour les agents chargés du contrôle. Des versions en langue locale ont été distribuées. A la demande des vendeuses, des formations en gestion et maintenance des infrastructures ont eu lieu à Abidjan.
Ces projets comportent en général non seulement des activités importantes de formation des vendeurs en hygiène alimentaire et en bonnes pratiques de préparation des aliments mais aussi la préparation de campagnes d'éducation des consommateurs (préparation de campagnes télévisées sur des thèmes d'hygiène identifiés comme prioritaires, réalisation de stands pilotes sur les marchés et distribution de documents de vulgarisation).
Il est évident que, dans un premier temps, ces activités ne pouvaient être qu'expérimentales: elles ont montré leur viabilité dans ce contexte. Il faut envisager le financement de programmes plus importants de «restructuration» des infrastructures du secteur informel de l'alimentation, la formation continue des agents municipaux chargés du contrôle, celle des vendeurs et l'éducation des consommateurs. Il est à noter qu'à Abidjan, un nombre non négligeable de vendeuses a approché le Comité national pour l'alimentation et le développement (CNAD), afin qu'il poursuive l'expérience entreprise avec les municipalités. Ces vendeuses demandaient une assistance technique mais assuraient pouvoir subvenir en partie au financement des structures. Au Zaïre, des ONG travaillaient en collaboration avec le Centre national de planification de nutrition humaine (CEPLANUT) pour étudier les possibilités de renouvellement des opérations, en les accompagnant de systèmes de crédit aux vendeuses.
STRATÉGIES FUTURES
En se basant sur les conclusions et recommandations des experts et participants que la FAO a réunis à l'occasion de diverses réunions régionales (FAO, 1992; 1994) et internationales (Dawson et Canet, 1991; FAO, 1996) sur le secteur informel de l'alimentation et sur l'évaluation des résultats obtenus dans les projets (FAO, 1984-1996), diverses mesures semblent permettre d'améliorer la situation de l'alimentation de rue, à savoir l'actualisation et l'application de la réglementation adéquate, l'amélioration des techniques et méthodes de préparation, de manipulation et de conservation des aliments, la formation des vendeurs dans ces techniques et autres notions d'hygiène alimentaire, et l'éducation des consommateurs (FAO/OMS, 1990). Pour ce faire, il faut pouvoir s'appuyer sur des infrastructures gouvernementales ou municipales appropriées, des agents de l'inspection alimentaire bien formés, des laboratoires de contrôle correctement équipés et disposer de codes de conduite pour les vendeurs du secteur informel de l'alimentation. Un système équitable de licences et d'inspections, complété par des activités éducationnelles est un des meilleurs moyens de sauvegarder à long terme la santé publique et d'assurer le développement harmonieux de cet important secteur.
Le renforcement des structures des services urbains est aussi un élément essentiel qui relève principalement des municipalités dans la plupart des pays mais qui nécessite souvent des ressources importantes. Des systèmes satisfaisants de voirie et d'eau potable, qui donneront au secteur informel de l'alimentation des conditions hygiéniquement plus convenables d'exercice, sont nécessaires et il reste à étudier les emplacements les plus appropriés dans les villes pour l'alimentation de rue ainsi que les infrastructures que devraient comporter de tels emplacements selon les besoins des vendeurs, des consommateurs et des conditions urbaines prévalentes.
L'accent devra être mis sur la mise au point de systèmes et règlements appropriés pour l'intégration du secteur des aliments de rue au secteur formel tout en évitant qu'un excès de réglementation ne fasse disparaître les avantages socioéconomiques et nutritionnels considérables que ce secteur crée en faveur des masses urbaines et rurales à faibles revenus.
Des actions de formation et de vulgarisation en faveur des vendeurs ambulants en hygiène alimentaire et de bonnes pratiques de préparation et conservation des aliments seront nécessaires. A présent, un manuel pour la formation de formateurs est en préparation dans la région, basé sur les expériences des pays dans ce secteur. L'éducation des consommateurs devrait aussi avoir une place importante dans ces programmes.
La création de groupements (ou associations) de vendeurs et de consommateurs devrait être intensifiée. Les opérateurs du secteur informel de l'alimentation pourraient plus aisément accéder à la formation organisée par les autorités sanitaires du pays. Ils auraient aussi de meilleurs moyens d'accès aux crédits pour améliorer les conditions de leur poste de travail et de vente. Ils pourraient participer aux prises de décisions, en particulier au niveau municipal, sur les problèmes de voirie, d'eau potable, de nettoyage des voies publiques. Le fait qu'en Afrique la plupart des vendeurs des aliments de rue sont des femmes doit être largement pris en compte lors de la formulation de programmes d'assistance.
Les écoles sont une des principales cibles des vendeurs d'aliments préparés dans les rues en Afrique, les vendeuses se regroupant autour des écoles et collèges d'enseignement et interférant avec, quand ils existent, les programmes des cantines scolaires. Les actions visant à l'amélioration du secteur pourraient être menées en priorité à ces endroits stratégiques de l'alimentation de populations à risque.
Certaines données manquent encore sur le secteur de l'alimentation de rue comme des informations chiffrées sur l'impact du secteur sur l'économie locale en termes d'emploi et de production agricoles. L'impact nutritionnel du secteur n'a pas été chiffré. Quelle est la part consacrée au secteur informel de l'alimentation dans les dépenses alimentaires des ménages? Si l'on connaît la composition des aliments vendus dans les rues, on ne sait toujours pas quelle part des besoins nutritionnels journaliers de la population, et de ses différents groupes socioéconomiques, couvre l'alimentation de rue.
RÉFÉRENCES
Dawson, R.J. et Canet, C. 1991. International activities in street foods. Food Control, juillet 1991, p. 135-139.
FAO. 1990. Les aliments vendus sur la voie publique. Rapport d'une consultation FAO d'experts, 5-9 décembre 1988, Yogyakarta, Indonésie. Rome.
FAO. 1992. Report of the Intercountry Workshop on Street Foods, Accra, Ghana.
FAO. 1994. Rapport sur le séminaire régional sur le secteur informel de l'alimentation en Afrique francophone, Cotonou, Bénin.
FAO. 1996. Report of the technical meeting on street foods, Calcutta, Inde, 6-9 décembre 1995. (version provisoire)
FAO/OMS. 1990. Draft code of hygienic practice for the preparation and sale of street foods. Programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires. Alinorm 91/15, Appendix III. Rome.
Résumé
La place du secteur de l'alimentation de rue dans le processus d'urbanisation et dans le fonctionnement de l'économie urbaine reflète le mode de vie et de survie dans les ville africaines. Les femmes y jouent un rôle important. Elles choisissent un secteur où elles sont traditionnellement compétentes et qui présente certains avantages non négligeables, comme ceux de nécessiter peu d'investissement (équipements disponibles au foyer), de leur permettre de concilier leurs travaux domestiques avec l'artisanat marchand et de nourrir à coût réduit leur famille. Si le secteur de l'alimentation de rue non seulement se maintient mais continue à se développer dans les villes, c'est qu'il répond à une forte demande des populations urbaines. Il propose à la fois des aliments traditionnels à base de produits locaux et des plats nouveaux adaptés aux conditions de vie urbaine et aux revenus faibles de nombreux résidents urbains. Le secteur de l'alimentation de rue a envahi les zones de forte activité économique et de forte concentration démographique. Il est également présent le soir dans les zones d'habitat, en relation avec les activités de détente. La structure du tissu urbain des pays africains, conçue sur des trames d'urbanisme occidentales s révèle inadaptée à l'accueil du secteur de rue qui prolifère dans tous les interstices et les espaces de respiration de la ville. Ce secteur devient le symbole de la vie animée de la rue en Afrique mais au-delà se cachent l'instabilité et la précarité dues à la non reconnaissance juridique du secteur et de ses acteurs. De là les conditions sanitaires et des pratiques hygiéniques déplorables amenant la contamination en particulier microbiologique des aliments du secteur, la négligence de la protection de l'environnement, les rapports de force, voire la violence entre les acteurs.
Dans les pays africains, plusieurs administrations aux niveaux national et municipal interviennent dans la gestion du secteur de l'alimentation de rue et différents contrôles s'appliquent. Cependant, la faiblesse des institutions, leur manque de coordination, leur manque de ressources humaines et financières, l'inadéquation des structures et des méthodes de travail ne permettent pas aux différents services concernés de s'acquitter efficacement de leurs tâches de contrôle et d'éducation.
A ce jour, diverses activités ont été menées afin de mieux cerner la situation, d'identifier les problèmes spécifiques qui en découlent et de proposer des stratégies visant à contrôler les effets négatifs de la vente des aliments sur la voie publique tout en conservant les aspects positifs du secteur, principalement socioéconomiques et nutritionnels. Les priorités retenues visent à considérer l'approche multisectorielle comme essentielle à la compréhension et à la gestion du secteur. La reconnaissance du secteur et sa réglementation est l'élément indispensable si le secteur de l'alimentation de rue est à intégrer à terme dans les espaces urbains et l'économie des pays, ce qui passe par une réévaluation des fonctions de la ville, de son organisation spatiale et de sa gestion. L'amélioration des infrastructures et de leur environnement est une nécessité, les modèles sanitaires et architecturaux testés dans quelques pays sont présentés. Enfin, la formation des opérateurs est un élément essentiel à l'amélioration du secteur. Des programmes de formation de toutes les vendeuses et des personnels de contrôle ont été préparés ainsi que des campagnes d'éducation des consommateurs. Le financement de programmes plus importants de «restructuration» des infrastructures du secteur de l'alimentation de rue, la formation continue des agents municipaux chargés du contrôle, celle des vendeurs et l'éducation des consommateurs est un défi qui devrait recevoir une attention accrue de la part des autorités africaines.
Summary
The role of the street food sector in the urbanization process and the urban economy reflects the way of life and the survival strategies adopted in African cities. Women have an important role in this sector; the sector draws upon their traditional skills and offers appreciable advantages such as low start-up capital requirements (as equipment is available in the home), the reconciliation of household duties with small-scale trading and the possibility of feeding their families at lower cost. That the street food sector not only survives but also flourishes in urban areas is the result of great demand for it, as it offers both traditional foods based on local products and new dishes adapted to urban living conditions and the low incomes of many city dwellers. Street foods have invaded areas of busy economic activity and heavy population concentration. The sector also has a leisure function in the evening in residential areas. The African urban fabric is based on Western concepts of town planning and is therefore unsuited to the street food sector, which proliferates in gaps between buildings and in urban open spaces. The sector has come to symbolize street life in Africa, but behind the scenes its operators live in an unstable and precarious state because the sector lacks legal recognition. This explains the deplorable sanitary conditions and lack of hygiene which result in food contamination (particularly microbiological), disregard for environmental conservation and the use of force and even violence among the sector's practitioners.
In Africa the street food sector is regulated by national and municipal administrations and control takes various forms. The authorities in question, however, fail to carry out their regulatory and educative responsibilities properly because of poor institutional capacity, lack of coordination, shortage of personnel and funds and unsuitable structures and operating methods.
A number of activities have been conducted to shed light on the situation, to identify the problems and to suggest strategies that will mitigate the negative aspects of street food operations while safeguarding the positive features, which are mainly socio-economic and nutritional. It is a priority that a multisectoral approach be considered vital to understanding and managing street food activities. The sector needs to be recognized and regulated if it is to become an integral part of the urban setting and national economy. Such integration requires a reappraisal of the functions, organization and administration of towns and cities. Hygienic facilities and designs for improvement of the street food infrastructure and environment have been tested in several countries. Finally, the operators themselves need to be trained if the sector is to be enhanced. Training programmes have been devised for women vendors and food inspectors, along with awareness campaigns to educate consumers. The funding of broader restructuring programmes for the street food sector, the ongoing training of municipal inspectors and vendors and the raising of consumer awareness are challenges that merit more of the African authorities' attention.
Resumen
El lugar que ocupa el sector de los alimentos callejeros en el proceso de urbanización y en el funcionamiento de la economía urbana es un reflejo del modo de vida y de supervivencia en las ciudades africanas. Las mujeres desempeñan una función importante en este sector. Lo eligen porque son tradicionalmente competentes en él y presenta ciertas ventajas no desdeñables, como las de requerir poca inversión (equipo disponible en el hogar) y permitirles conciliar sus tareas domésticas con el comercio artesal y alimentar a sus familias con un costo reducido. Si el sector de los alimentos callejeros no sólo se mantiene sino que sigue desarrollándose en las ciudades es porque responde a una fuerte demanda de la población urbana. Ofrece tanto alimentos tradicionales a base de productos locales como nuevos platos adaptados a las condiciones de vida urbana y a los bajos ingresos de muchas de las personas que viven en las ciudades. Desde el punto de vista espacial, el sector de los alimentos callejeros ha invadido las zonas con una intensa actividad económica y una fuerte concentración demográfica. También es perceptible por la noche en las zonas residenciales, asociado con actividades de esparcimiento. La estructura del tejido urbano de los países africanos, concebida con arreglo a la trama del urbanismo occidental, resulta inadecuada para acoger al sector de la venta callejera que prolifera en todos los intersticios y los espacios de expansión de la ciudad. Este sector se convierte en el símbolo de la vida animada de la calle en Africa, pero este hecho oculta la inestabilidad y precariedad derivadas de la falta de reconocimiento jurídico del sector y de sus agentes. De ahí las condiciones sanitarias y las prácticas higiénicas deplorables que dan lugar en particular a la contaminación microbiológica de los alimentos callejeros, la negligencia de la protección del medio ambiente y las relaciones de fuerza e incluso de violencia entre los agentes.
En los países africanos, varias administraciones de nivel nacional y municipal intervienen en la gestión del sector de los alimentos callejeros y aplican diversos controles. No obstante, la debilidad de las instituciones, su falta de coordinación, su carencia de recursos humanos y financieros, la inadecuación de las estructuras y métodos de trabajo no permiten a los diferentes servicios competentes desempeñar eficazmente sus tareas de control y educación.
Hasta la fecha, se han emprendido diversas actividades con el fin de analizar mejor la situación, determinar los problemas específicos y proponer estrategias orientadas a controlar los efectos negativos de la venta de alimentos en la vía pública, conservando al mismo tiempo los aspectos positivos del sector, principalmente socioeconómicos y nutricionales. Las prioridades establecidas tienden a considerar que un enfoque multisectorial es esencial para la comprensión y gestión del sector. El reconocimiento y reglamentación del sector son elementos indispensables para integrar con el tiempo el sector de los alimentos callejeros en los espacios urbanos y la economía de los países. La integración de este sector pasa por una reevaluación de las funciones de la ciudad, de su organización espacial y de su gestión. Es necesario mejorar las infraestructuras y su entorno, teniendo presentes los modelos sanitarios y arquitectónicos ensayados en algunos países. Por último, la formación de los agentes es un elemento esencial para la mejora del sector. Se han preparado programas de formación para todas las vendedoras y para el personal encargado del control, así como campañas de educación para los consumidores. El financiamiento de los programas más importantes de «reestructuración» de las infraestructuras del sector de los alimentos callejeros, la formación permanente tanto de los agentes municipales encargados del control como de los vendedores y la educación de los consumidores es un desafío al que las autoridades africanas deberían prestar especial atención.