Étant donné que la prochaine série de négociations qui doit s'ouvrir sous les auspices de l'OMC est censée être un "cycle pour le développement", les intérêts des pays en développement devraient recevoir la priorité dans tous les domaines des négociations, y compris pour ce qui est de la fixation des droits. Quels que soient les inconvénients des régimes préférentiels qui ont été évoqués ci-dessus, il est probable que les pays en développement continueront d'insister sur la nécessité d'obtenir un accès plus largement préférentiel aux marchés des pays développés, y compris pour les produits agricoles. Ainsi, la question des préférences commerciales sera très certainement sur la table de négociations. Toutefois, plutôt que de demander en gros que tous les pays développés accordent à tous les pays en développement les préférences commerciales les plus larges possibles pour tous les produits, il faudrait envisager aussi des approches de négociation plus différenciées. Certaines d'entre elles sont examinées plus loin.
Au niveau le plus fondamental, la question cruciale qui doit être abordée en premier est celle de savoir si les négociations doivent tendre à obtenir ce que l'on pourrait appeler des préférences "superficielles" pour tous les pays en développement ou si des préférences plus "profondes" pour les pays les moins avancés et les autres pays vulnérables constituaient un objectif plus prometteur. Dans cette distinction, l'on entend par préférences "superficielles" les marges préférentielles limitées pour des produits sélectionnés, parfois limitées par des contingents tarifaires, tandis que des préférences "profondes" constitueraient, à l'extrême, des droits préférentiels nuls pour tous les produits. Pourquoi faudra-t-il probablement faire un choix entre ces deux options, plutôt que de demander des préférences "profondes" pour tous les pays en développement? L'hypothèse à la base de cette suggestion est que les pays développés pourront ne se montrer disposés qu'à "accorder" des préférences relativement limitées, sous forme soit de préférences "superficielles", soit de préférences "profondes" pour un groupe plus restreint de ces pays. Simultanément, les pays en développement ne disposent que d'un "capital de négociation" limité de sorte qu'ils devront sans doute faire un choix quant à l'investissement le plus rentable de leurs efforts de négociation.
Pour opérer ce choix, il faudra prendre en considération plusieurs facteurs. L'un des aspects les plus importants est peut-être que des préférences "superficielles" risquent de perdre de leur valeur assez vite dès que les droits NPF seront réduits à nouveau, tandis que des préférences "profondes" pourront être plus durables en ce sens qu'elles ne seront pas érodées si rapidement. Un autre élément est la question de savoir quels sont les pays en développement qui "méritent" le plus des préférences. Comme indiqué ci-dessus, l'on peut soutenir que les pays les moins avancés et les autres pays vulnérables sont effectivement ceux qui ont le plus besoin de soutien dans les efforts qu'ils déploient pour accroître leurs exportations. Cet avis est probablement partagé aussi par la plupart des pays développés. Par conséquent, il pourra effectivement être plus facile de parvenir à l'issue des négociations à des préférences "profondes" pour ces pays plutôt que d'obtenir une amélioration marginale des préférences "superficielles" pour tous les pays en développement. Un indicateur de la mesure dans laquelle les pays développés (ou quelques-uns d'entre eux) sont disposés à accorder des préférences "profondes" pour les PMA est la récente initiative "tout sauf les armes" de la Commission européenne (voir plus haut la Section 2). Si elles sont acceptées par le Conseil des Ministres de l'UE, ces préférences "profondes" ne devront même pas être négociées au sein de l'OMC.
Une formule qu'il conviendrait d'envisager dans ce contexte consisterait à modifier la définition que donne actuellement l'OMC des PMA (qui est celle de l'Organisation des Nations Unies) dans la clause d'habilitation afin d'englober également les pays en développement vulnérables comme les petits pays en développement insulaires ou sans littoral auxquels pourraient être accordées des préférences plus marquées que celles prévues par le SGP. Comme on l'a vu plus haut (Section 4), les préférences sont particulièrement importantes non seulement pour les pays pauvres, mais aussi pour les petits pays et les autres pays vulnérables.
Il va de soi que si de telles préférences "profondes" devaient être accordées, et en définitive non seulement par l'UE mais aussi par les autres pays développés, cela n'aura pas et ne devra pas avoir pour effet d'éliminer les préférences actuellement accordées dans le cadre du SGP. Y a-t-il quelque chose à faire à ce dernier sujet lors des prochaines négociations? Plusieurs options viennent à l'esprit. L'une consisterait à consolider ces préférences à l'OMC.[30] Pour l'instant, elles sont accordées de manière unilatérale par les pays développés intéressés, sur la base de leurs législations nationales. Juridiquement, les pays en développement ne peuvent pas revendiquer un "droit" à cet égard. Simultanément, les conditionnalités dont sont assorties les préférences commerciales (dans des domaines comme les droits des travailleurs ou les normes environnementales) devraient être éliminées lorsqu'elles ne sont pas conformes aux normes générales convenues au plan multilatéral à l'OMC.
Une autre formule pouvant être envisagée consisterait à passer de droits préférentiels établis en chiffres absolus (qu'ils soient spécifiques ou ad valorem) à des droits définis en termes de marges préférentielles. Les préférences seraient ainsi définies par rapport aux droits NPF, c'est-à-dire exprimées en unités monétaires au-dessous des droits NPF (lorsque ces derniers sont spécifiques) ou en pourcentage de ces derniers (lorsque les droits NPF sont ad valorem). En déterminant ainsi les préférences commerciales, l'on éviterait l'érosion des préférences qui résulterait de toute nouvelle réduction des droits NPF.[31] Idéalement, il va de soi que ces marges préférentielles seraient ensuite consolidées à l'OMC.
Une option qui mérite incontestablement d'être poursuivie consisterait à accroître le volume des contingents tarifaires dans le cadre des régimes SGP. Évidemment, cela sera le plus utile lorsque les contingents préférentiels existants sont déjà pleinement utilisés. Cependant, même des contingents qui ne le seraient pas intégralement jusqu'à présent peuvent devenir un obstacle à l'avenir, et il pourra être utile par conséquent de les accroître aussi. Un autre domaine dans lequel des améliorations pourraient être apportées est celui des règles d'origine, lesquelles sont souvent trop complexes et empêchent une utilisation rationnelle des préférences commerciales.
Indépendamment de ces approches générales, l'on pourrait envisager aussi quelques améliorations des préférences concernant plus spécifiquement certains produits. Par exemple, des crêtes tarifaires persistent dans l'agriculture. L'on essaiera certainement, et cette idée a déjà été avancée par quelques pays dans leurs propositions initiales, d'adopter sous une forme ou sous une autre une formule de réduction des droits qui ait pour effet de réduire les droits élevés relativement plus que ceux qui le sont moins. La formule dite suisse, utilisée pour les réductions des droits sur les articles manufacturés lors du Cycle de Tokyo, est une formule qui pourrait permettre de parvenir à cet objectif. Néanmoins, il est loin d'être certain qu'une telle approche soit effectivement adoptée lors de l'actuelle série de négociations. Même si elle l'était, il subsistera sans doute d'importantes crêtes tarifaires. Dans ce contexte, les pays en développement pourraient suggérer que, pour les produits faisant l'objet de crêtes, il devrait être convenu tout au moins de réduire considérablement les droits préférentiels de sorte que les pays en développement puissent en tout cas avoir plus largement accès aux marchés en question.
La progressivité des droits continue aussi de poser un problème dans la nomenclature tarifaire que certains pays développés appliquent aux produits agricoles et aux denrées alimentaires traitées. La progressivité des droits est un sérieux obstacle aux efforts que déploient les pays en développement pour diversifier la structure de leurs exportations et en particulier pour accroître leurs exportations de produits traités de plus grande valeur. La question sera indubitablement évoquée à nouveau pendant les négociations en cours. Dans ce cas également, cependant, l'issue est incertaine. En conséquence, les pays en développement pourraient suggérer qu'il leur soit à tout le moins accordé un accès plus large aux marchés des produits traités des pays développés. Il faudrait par conséquent envisager de nouvelles préférences commerciales spécifiques lorsqu'il subsiste une progressivité même dans la nomenclature des droits préférentiels.
En résumé, l'on peut envisager plusieurs options concernant l'avenir des préférences commerciales à l'OMC. Plutôt que de s'employer à obtenir l'élargissement de préférences "superficielles" pour tous les pays développés dans le cadre de régimes comme le SGP, une formule intéressante pourrait être d'essayer d'obtenir des préférences "profondes" pour les PMA et les autres pays vulnérables. Dans ce contexte, la Clause d'habilitation pourrait être modifiée en incluant les petits pays et autres pays vulnérables, indépendamment des PMA, dans la catégorie des pays en développement qui peuvent bénéficier des préférences plus marquées que celles qui sont accordées dans le cadre du SGP. Le fonctionnement des systèmes généralisés de préférences existantes, lesquels doivent indubitablement être maintenus, pourrait être amélioré en consolidant les préférences sous l'égide de l'OMC; en éliminant les conditionnalités; en fixant des droits préférentiels en se référant aux droits NPF (plutôt qu'en les définissant en termes absolus); en élargissant les contingents tarifaires; en simplifiant les règles d'origine; et en accordant des préférences plus favorables lorsque les droits NPF donnent lieu à des crêtes et à une progressivité.