INTRODUCTION
Au nom de M. Klaus Töpfer, Directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l'environnement, je tiens à remercier la FAO, qui a organisé cette réunion, de nous avoir invités à participer à cette importante réunion sur les politiques nationales ayant une incidence sur les incendies de forêt. M. Töpfer transmet à tous les participants ses vux pour des débats fructueux.
Les incendies de forêt de 1997, en particulier en Indonésie, ont alerté la communauté internationale sur le fait que les agences de l'Organisation des Nations Unies sont mal préparées à faire face efficacement aux urgences environnementales catastrophiques, et en particulier aux grands incendies de forêt.
Les incendies survenant dans les forêts naturelles ou créées par l'homme, et autres feux de végétation, ont toujours existé, mais l'opinion publique mondiale ne s'en préoccupe que depuis quelques années. Au cours des deux dernières décennies, la conscience de la surexploitation des ressources naturelles de la planète s'est aiguisée. En particulier, la disparition rapide de la biodiversité dans les forêts tropicales humides a suscité une inquiétude croissante. La première série d'incendies de forêt catastrophiques à l'échelon mondial, reconnue au niveau international, a eu lieu en 1982-1983. Les incendies de forêt en Indonésie ont brûlé des millions d'hectares de forêts naturelles ou secondaires et d'autres types de végétation, et ont eu de graves répercussions sur la santé humaine et sur la situation économique de l'Indonésie et d'autres pays de la région. D'autres incendies de forêt de grande ampleur ont eu lieu en 1987, en 1991 et en 1994, à intervalles de plus en plus courts. Dans tout l'archipel et sur le continent asiatique voisin, l'environnement et les populations ont été gravement touchés. Des incendies catastrophiques se sont produits dans d'autres parties du monde et ont fait l'objet d'une attention croissante de la communauté internationale.
Le phénomène El Niño, processus de réchauffement de la surface de l'eau dans l'océan Pacifique dans l'hémisphère sud, qui influence le climat à l'échelle du globe, est étroitement associé au déclenchement des incendies. Ce phénomène El Niño a été particulièrement fort à l'automne 1997 et au début de cette année, entraînant des conditions de sécheresse particulièrement graves.
Dans le monde entier, des incendies catastrophiques de grande ampleur ont touché plusieurs régions au cours des 12 derniers mois: en Indonésie, aux Etats-Unis, au Brésil, au Canada, en Grèce, en Espagne, au Mexique et en Russie orientale. Mais dans de nombreux autres pays d'Amérique du Sud, d'Amérique centrale et d'Europe, les incendies ont aussi occasionné plus de dommages à l'environnement et de souffrances humaines qu'ils ne l'avaient jamais fait.
INFORMATIONS SUR L'ENGAGEMENT DU PNUE
Il faut d'abord rappeler que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et le PNUE ont instauré en 1994 une coopération étroite pour faire face aux catastrophes humanitaires et environnementales, concrétisé par la mise en place d'une unité commune au sein de la Division pour les interventions en cas de catastrophes (Disaster Response Branch) de l'OCHA à Genève.
L'OCHA et le PNUE n'ont pas tardé à surveiller de près les incendies de forêt en Indonésie en 1997, et sont restés en contact étroit avec les autorités nationales par l'intermédiaire de l'Unité commune PNUE/OCHA pour les urgences environnementales (Joint UNEP/OCHA Unit on Environmental Emergencies).
L'OCHA et le PNUE, par l'intermédiaire de cette unité, sont intervenus sur les incendies de forêt en Indonésie. Une mission de l'Equipe des Nations Unies pour l'évaluation et la coordination en cas de catastrophe (UNDAC) a été déployée sur la région et des moyens assez importants (humains, matériels et financiers) ont été mobilisés en temps voulu. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le PNUD dans cette entreprise.
L'Equipe de l'UNDAC est restée en Indonésie jusqu'au 18 novembre. En décembre et janvier, l'ampleur des incendies a été réduite temporairement par les pluies mais leur vigueur a repris en février. Une deuxième équipe de l'UNDAC s'est rendue en Indonésie du 28 mars au 7 avril 1998 pour réévaluer la situation après l'intensification des incendies.
Un peu plus tôt, le 6 mars 1998, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, avait demandé à Klaus Töpfer de coordonner les interventions de l'ONU sur les incendies en Indonésie. Le Directeur exécutif du PNUE a aussitôt créé une Equipe sur les incendies de forêt pour renforcer l'Unité commune PNUE/OCHA pour les urgences environnementales à Genève, en faisant appel à du personnel du PNUE appartenant à la Division de l'évaluation, au Bureau régional pour l'Asie et le Pacifique, à l'Unité pour la santé et le bien-être humains et à l'Unité biodiversité.
ACTIVITÉS SPÉCIFIQUES DU PNUE
Les activités menées par le PNUE en réponse aux incendies de forêt en Indonésie peuvent se répartir en sept grands groupes:
i. En réponse au mandat du Secrétaire général de l'ONU, le Directeur général du PNUE et le Sous-Secrétaire général de l'OCHA ont organisé fin avril 1998 à Genève trois réunions consécutives, ayant pour objet non seulement les incendies de forêt mais aussi les feux de tourbe et les feux de filons de houille. La première a réuni des experts internationaux de la lutte contre les incendies, dont beaucoup possédaient une expérience en Indonésie, afin d'identifier les priorités et de préparer un plan d'action à court terme. Les objectifs du plan étaient de circonscrire les incendies et d'empêcher leur réapparition dans des zones prioritaires de l'Est-Kalimantan et d'autres régions identifiées comme critiques par le Gouvernement indonésien. Le plan contenait des clauses concernant les équipements essentiels de lutte anti-incendie et d'autres équipements spécialisés, la formation, les compétences, l'appui aérien spécial et les communications. Lors de la deuxième réunion, les agences de l'ONU et d'autres organisations ont été invitées à présenter leurs points de vue sur les actions à moyen ou à long terme susceptibles d'éviter les incendies. La dernière réunion rassemblait les bailleurs de fonds, et nous y avons lancé un appel pour la coordination de l'aide internationale et avons discuté des efforts pouvant être entrepris par la communauté internationale, individuellement ou conjointement, pour aider l'Indonésie. Il a été admis que, ne serait-ce que pour circonscrire les incendies et les empêcher de se propager, les besoins s'élevaient à 10 millions de dollars pour les moyens de lutte et à 30 000 pompiers.La communauté internationale a répondu de façon positive à la situation d'urgence-incendie en Indonésie. L'appel à l'aide, basé sur les recommandations de la Réunion des experts de la lutte anti-incendie (Fire-Fighting Experts Meeting) tenue à Genève en avril 1998, a été lancé au moment où les incendies faisaient rage dans de grandes parties de la province indonésienne d'Est-Kalimantan, menaçant une grande partie de la région par une brume polluante (smog). Avec le double objectif de circonscrire les incendies et d'empêcher leur réapparition dans les zones prioritaires, on a identifié les priorités en matière d'assistance, comme les équipements essentiels pour la lutte anti-incendie et d'autres équipements spécialisés, les conseils des experts, la formation, la surveillance aérienne et l'amélioration des systèmes de communication.ii. Suite à ces réunions, l'Unité commune PNUE/OCHA pour les urgences environnementales (à Genève), a assuré la coordination du programme "Incendies de forêt en Indonésie" (Indonesian Fires) pour l'ensemble de l'ONU et a obtenu la mobilisation de fonds et d'autres aides internationales, pour un montant supérieur à 10 millions de dollars, de la part de pays donateurs tels que l'Allemagne, les USA, la Norvège et la Nouvelle-Zélande, et aussi du secteur privé; une partie de cette aide a été affectée au Plan régional d'action de l'ANASE contre la brume sèche de fumée (ASEAN Regional Haze Action Plan).
iii. Parallèlement, grâce à sa Base de données sur les ressources mondiales (Global Reserve Information Database, GRID) le PNUE a ouvert d'août à octobre 1998 un site Web d'images satellite sur l'état et la répartition des incendies, qui a été largement utilisé par les experts du monde entier, en particulier en Asie du Sud-Est.
iv. En collaboration avec le Centre mondial de surveillance de la conservation (World Conservation and Monitoring Centre, WCMC), le PNUE a financé l'ouverture du site Web du WCMC qui fournit des informations scientifiques détaillées sur les espèces menacées dans les pays concernés.
v. Le PNUE a également financé et facilité la production d'un film de la TVE (Television Trust for the Environment) sur les incendies de forêt en Indonésie (intitulé "Les primates, l'huile de palme et la pyromanie), qui a été diffusé tous les jours par la BBC du 19 au 25 février.
vi. Depuis le mois de mai, l'expert principal de notre bureau du GRID à Bangkok a apporté l'assistance technique du PNUE aux activités du Gouvernement indonésien en rapport avec le problème, en particulier dans les domaines de l'évaluation des impacts, de la détection précoce, et du renforcement des capacités en matière de préparation aux incendies.
vii. Le PNUE a aussi travaillé sur des questions apparentées en collaboration avec d'autres agences de l'ONU, notamment l'OMS, l'OIBT et la FAO. Le PNUE exécute actuellement un projet de 750 000 dollars US financé par le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) pour aider les gouvernements de la région de l'ANASE (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) à renforcer leurs capacités et leur préparation à des situations d'urgence-incendie futures. L'objectif de ce projet est d'aider à la lutte contre les incendies de forêt en Indonésie, et de prévenir la pollution atmosphérique due à la brume sèche de fumée à l'échelle régionale en Asie du Sud-Est. A cet effet, le projet fournit son concours à la coordination des efforts existants, à la conception et à la mise en place d'un système d'alerte précoce pour l'Asie du Sud-Est, comprenant la surveillance aérienne et par satellite, et à la sensibilisation du public, comprenant la diffusion des leçons à tirer. Ces activités sont élaborées et exécutées en collaboration étroite avec le Secrétariat de l'ANASE. Le système d'alerte précoce en cours de conception et de mise en uvre aura une résolution de 5 x 5 mètres, ce qui permettra une détection beaucoup plus précoce que le système précédent, qui a une résolution de 1 km2. Il est plus facile de maîtriser les petits incendies dès leur début.
En réponse à l'appel lancé conjointement par le PNUE et l'OCHA, l'Allemagne a fourni environ 5,5 millions de dollars US sous forme d'assistance directe pour 15 véhicules de lutte anti-incendie, des équipements de protection forestière pour 50 équipes de 20 personnes chacune, des petites unités mobiles de traitement de l'eau et des outils de forage. En outre, les Etats-Unis ont donné 2 millions de dollars US supplémentaires consacrés à des interventions d'urgence en 1998 - cette somme s'ajoutant aux 3,5 millions de dollars US fournis précédemment. D'autres pays ont également répondu et envoyé des équipements, des experts et des dons en espèces - notamment la Norvège et la Nouvelle Zélande.
Les activités du PNUE ne se sont pas limitées à l'Indonésie. L'organisation a été invitée par le Brésil et par la Fédération de Russie, par l'intermédiaire de l'Unité commune PNUE/OCHA pour les urgences environnementales, à apporter son assistance à la lutte contre les incendies ravageant les parcours et les forêts. Une Equipe pour l'évaluation et la coordination en cas de catastrophe (UNDAC) a été envoyée récemment en Russie, une autre l'ayant précédée au Brésil en avril-mai. L'équipe envoyée en Russie était chargée en particulier d'évaluer l'impact des incendies in situ, d'estimer les besoins complémentaires en terme d'aide internationale, et de préparer des recommandations pertinentes à l'intention de la communauté internationale.
QUELLES SERONT LES ACTIVITÉS FUTURES DU PNUE POUR FAIRE FACE AUX INCENDIES DE FORÊT ET AUX URGENCES ENVIRONNEMENTALES?
Elles se répartissent en six domaines principaux:
· Premièrement, toutes les recommandations d'ordre politique doivent considérer les incendies comme l'une des causes profondes de la déforestation. Le PNUE, en tant qu'agence directrice de l'élément de programme sur les causes profondes de la déforestation du Forum intergouvernemental sur les forêts (Intergovernmental Forum on Forests, IFF), et en partenariat avec le CIFOR, est prête à travailler avec la FAO et d'autres membres du l'Equipe de travail interorganisations sur les forêts (Interagency Task Force on Forests, ITFF) pour élaborer des options politiques permettant d'atténuer et de réduire les incendies de forêt dans le monde entier. Ceci doit être réalisé dans le cadre de l'ITFF, et le rôle de chaque agence travaillant sur les incendies de forêt doit être défini en fonction des avantages comparatifs de l'agence concernée.Comme vous le voyez, je suis passé de la réponse aux urgences environnementales aux systèmes d'alerte précoce, puis au renforcement des capacités et au besoin de mesures politiques et d'instruments appropriés. Il est évident que des mesures politiques et préventives sont nécessaires pour prévenir des incendies de forêt et des inondations qui, lorsqu'ils se produisent, entraînent souvent des pertes se chiffrant à plusieurs milliards de dollars. On évalue l'ensemble des pertes économiques dues aux incendies indonésiens de 1997-1998 dans les domaines du tourisme, de l'industrie, des transports, de l'agriculture, de la foresterie, et les coûts supplémentaires dans le domaine de la santé, à plus de 4 milliards de dollars. Et ceci ne prend pas en compte les pertes économiques résultant des effets néfastes sur la biodiversité et la disparition des fonctions des écosystèmes, ni les pertes en vies humaines.· Deuxièmement, il faut renforcer l'Unité commune PNUE/OCHA pour les urgences environnementales. Il faut développer les capacités de l'unité, ainsi que les capacités du reste de l'organisation à appuyer cette unité dans des domaines tels que l'évaluation, les services de conseils aux gouvernements, et l'élaboration des politiques (l'unité PNUE/OCHA n'intervenant que sur les situations d'urgence).
· Troisièmement, il faut établir des priorités pour la mise au point de systèmes d'alerte précoce en cas d'urgences environnementales dans des domaines choisis. En d'autres termes, nous ne nous concentrerons pas sur les urgences environnementales lorsqu'une autre agence a déjà été chargée des interventions. Par exemple, les marées noires dans les océans et sur les zones côtières sont sous la responsabilité de l'OMI (Organisation maritime internationale), et les accidents nucléaires sous celle de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique. Si ces organisations nous demandent de les aider, nous le ferons. Nous nous concentrerons sur l'alerte précoce et l'assistance en cas d'urgences environnementales dans quatre domaines: les incendies de forêt, les urgences en milieu d'eau douce, les accidents industriels et les accidents chimiques. La mise au point de systèmes d'alerte précoce en cas d'urgences environnementales a été adoptée comme l'un des six principaux domaines d'activité du PNUE par le Conseil de direction du PNUE lors de sa Cinquième session spéciale.
· Quatrièmement, il faut renforcer la mise en uvre des capacités en matière d'alerte précoce et d'intervention dans les pays en développement grâce au renforcement des structures. Ceci implique de faire participer les communautés locales, les ONG et la société civile aux systèmes d'alerte précoce. Les premières expériences montrent que la prévention et l'extinction des incendies sont mieux organisées à l'échelle locale.
· Cinquièmement, il faut favoriser la sensibilisation du public aux causes de certaines urgences environnementales choisies, et son engagement dans l'exécution des mesures préventives nécessaires.
· Sixièmement, il faut fournir aux gouvernements des services de conseil en matière d'élaboration d'instruments politiques pour la prévention et la lutte contre les urgences environnementales, en particulier par la mise au point d'instruments juridiques aux niveaux régional et national.
Malheureusement, lorsqu'une urgence environnementale se déclare, l'Organisation des Nations Unies n'est tout simplement pas équipée pour réagir rapidement et efficacement. Il peut être nécessaire d'utiliser les mêmes moyens et efforts qu'en temps de guerre. Il faut garder à l'esprit que la mission de l'ONU pour le maintien de la paix en Bosnie Herzégovine a nécessité 17 000 soldats. Selon les experts de la lutte anti-incendie réunis à Genève, il a fallu 30 000 pompiers entraînés uniquement pour circonscrire les incendies en Indonésie et les empêcher de se propager, sans même les éteindre.
Une bonne part du travail de prévention visant à limiter les urgences environnementales, et ceci s'applique certainement aux incendies de forêt et aux inondations, exige des modifications des politiques d'utilisation des terres et des politiques permettant de financer des mesures préventives, en particulier le renforcement des capacités nationales dans les domaines de l'alerte précoce, de la lutte contre les incendies et de la protection contre les inondations.
Monsieur le Président, je terminerai par une dernière remarque. Il est nécessaire de disposer d'instruments politiques non seulement au niveau national mais aussi au niveau international. Les gouvernements des pays membres de l'ANASE ont demandé au Directeur exécutif du PNUE, en collaboration étroite avec la Banque asiatique de développement, de les aider à élaborer et à négocier un "Protocole sur la pollution atmosphérique transfrontalière pour la région de l'ANASE". Compte tenu de notre expérience de médiateur ou de conseiller, on nous a demandé de participer aux négociations pour 24 conventions et directives n'ayant pas un caractère obligatoire, aux échelons mondial et régional. Il est encore prématuré de vous indiquer les éléments qui seront pris en compte par ce protocole. Nous organisons actuellement une mission d'établissement de la portée des impacts par des experts juridiques pour discuter les éléments à inclure dans un protocole avec les gouvernements de l'ANASE, leur Secrétariat, la Banque asiatique de développement et les agences partenaires de l'ONU. Un avant-projet de protocole sera ensuite préparé et des négociations intergouvernementales débuteront dès 1999. Nous serions heureux de pouvoir prendre en compte les recommandations de la présente réunion et leur pertinence pour la préparation de ce protocole. Il faudra le compléter par une législation à l'échelon national.
Encore une fois, Monsieur le Président, au nom de M. Töpfer, nous apprécions sincèrement votre invitation à intervenir dans cette réunion et à échanger des idées avec vous.
Merci.