ANNEXE 1: ÉTUDE DE CAS
N° 5
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Introduction[268]
Lun des problèmes essentiels des systèmes dexploitations agricoles dans lesquels de nombreux petits producteurs dépendent principalement de cultures vivrières à bas rendement, est celui de la production de revenu. Quelques ménages agricoles sont tout juste à un niveau de subsistance; les revenus monétaires sont vitaux, non seulement pour leur assurer une nutrition correcte et laccès aux services dont ils ont besoin, mais aussi comme source de demande pour les produits et services locaux qui fournissent des moyens de subsistances à de nombreux autres ménages. Même là où les rendements et les superficies cultivées augmentent, la détérioration des conditions de commercialisation et la baisse des prix nationaux des cultures vivrières conduisent à la diminution des revenus des petits agriculteurs de nombreux systèmes dexploitation agricole, les entraînant dans une pauvreté plus grande et étranglant la croissance économique rurale. Il sest souvent avéré difficile de créer les conditions initiales de croissance des revenus ruraux. Les projets de développement ont tendance à mettre laccent sur le renforcement des technologies, du capital humain et des infrastructures plutôt que sur laccroissement direct des revenus agricoles; dans tous les cas, leur impact à tendance à diminuer une fois le projet terminé.
Létude de cas suivante présente un exemple de croissance importante et durable des revenus familiaux de petits agriculteurs du système maïs-haricot des collines dAmérique centrale, à la suite dune diversification dans lhorticulture dexportation. Le cas est particulièrement intéressant car il touche une population largement indigène, dont une grande partie ne parle pas lespagnol, et que le contrôle du marché du pois mange-tout des Etats-Unis sest fait entièrement à partir dune production à petite échelle effectuée par plus de 20 000 unités de production familiale.
Ces petits agriculteurs ont atteint cette position dominante sans aucun appui extérieur de la part du gouvernement ou des agences de développement. Elle a pour point de départ les activités du secteur privé en réponse à de nouvelles possibilités sur le marché international. Cependant, létude montre que lefficacité des actions du secteur privé, et donc le succès des petits producteurs, fut grandement facilité par lapparition simultanée dune association du secteur privé qui se consacrait aux produits non traditionnels et dune série de mesures gouvernementales qui soutenaient généralement les besoins dun secteur dexportation naissant. Ainsi, cest un environnement favorable au développement des activités commerciales qui est, au moins en partie, responsable de laugmentation importante des revenus des familles dagriculteurs indigènes pauvres.
DESCRIPTION DU SYSTÈME
Le système dexploitation agricole maïs-haricot des collines dAmérique centrale couvre 650 000 km2, il sétend sur la longue chaîne montagneuse reliant lAmérique du Nord à lAmérique du Sud à travers le Mexique et lAmérique centrale[269]. Il est entouré sur presque toute sa longueur, des deux cotés Pacifique et Caraïbes, par le système dexploitation agricole mixte plantation-côtier. Comme cela est fréquent dans la région, le système dAmérique centrale est très dualiste, il comprend un grand nombre de petits producteurs pauvres ou extrêmement pauvres, qui occupent les collines et les terres en pente marginales, tandis que les meilleurs terres des vallées et des basses terres du système sont la propriété de grands domaines ou dexploitations commerciales familiales qui se consacrent à la production du café, de la canne à sucre, du caoutchouc, des bovins et à dautres activités agricoles. Comparé à dautres pays dAmérique latine, la proportion de la population rurale est importante en lAmérique centrale, elle atteint plus de 60 pour cent de la population totale au Guatemala; lagriculture joue un rôle important, elle représente 28 pour cent du PIB du Nicaragua.
Les niveaux de pauvreté du système sont élevés - plus de 80 pour cent de la population des hautes terres du Guatemala,[270] où cette étude de cas a été réalisée, sont considérés comme extrêmement pauvres - et la pauvreté est souvent directement corrélée avec le pourcentage dindigènes (65 pour cent de la population du Guatemala, peut être plus de 90 pour cent dans la zone du système dexploitation agricole). La croissance de la population entraîna un morcellement accru des exploitations et une réduction de leur taille[271], qui à son tour augmenta la pression sur les ressources en terre et en eau et conduisit à repousser les limites agricoles (souvent sur des pentes et des sols incapables de permettre une production agricole durable) et à augmenter la pauvreté. Au cours des années 80, des études de la FAO estimèrent que lérosion et la dégradation grave des sols touchaient 35 pour cent des terres du Guatemala, montrant que le problème des terres en pente du système dAmérique centrale allait probablement saggraver. Limportance cruciale de la terre est mise en évidence par les nombreux conflits armés ruraux qui se sont déclarés au cours des 30 dernières années à lintérieur des limites du système.
La production de maïs et de haricots, largement autoconsommée, est la principale activité de la plupart des petits agriculteurs. Les rendements sont bas[272] en raison de lemploi limité dintrants externes et des sols marginaux. Lorsque laltitude et les sols le permettent, le café est la culture de rente favorite; toutefois, les communautés près des centres urbains peuvent traditionnellement produire des fruits et du maraîchage. Le bétail peut jouer un rôle important qui diminue avec laltitude sauf sur les hauts plateaux du Guatemala et du Mexique où les moutons sont fréquents. Les communautés plus isolées ont souvent recours aux migrations saisonnières ou de longue durée pour complémenter leur revenu monétaire. En dépit de ces possibilités, le maïs et les haricots continuent de jouer un rôle culturellement essentiel pour la nutrition et les finances de la majorité des petits producteurs; la vente des surplus de ces productions fournit le revenu de base de la majorité des familles. Toutefois, les prix nationaux réels de ces produits ont stagné ou ont même baissé au cours des dernières décennies en raison de louverture des marchés locaux à lextérieur et, dans une moindre mesure, de la protection du marché interne.
Le système possède peu dinfrastructures et de services publics, particulièrement lorsquon séloigne des centres administratifs. Les guerres civiles répétées ont creusé lécart entre les grands centres urbains et les communautés rurales. Même au Costa Rica, souvent considéré comme un modèle de développement économique dans la région, des données récentes montrent que lindice de développement humain est neuf fois supérieur dans les principales zones urbaines que dans les communautés rurales indigènes[273]. Les 30 prochaines années paraissent sombres pour les petits producteurs qui dépendent du maïs et des haricots et pour leurs enfants, qui hériteront de fermes encore plus petites et plus dégradées que leurs parents.
LE CAS ET SON CONTEXTE
Sur une période denviron 20 ans, de 1974 à 1994, un certain nombre de changements importants, qui ont profondément affecté la vie de plus de 150 000 habitants pauvres des hauts plateaux ruraux, sont intervenus au Guatemala. Ces changements peuvent être groupés grossièrement en trois catégories.
a) Lémergence de petits producteurs et dentreprises de petite et de moyenne taille, acteurs essentiels de la création dun commerce dexportation important de petits pois mange-tout, de brocolis et plus récemment dautres produits.
b) La création et la croissance dune association de commercialisation à lexportation GEXPRONT et son rôle dans la croissance du secteur agricole non traditionnel.
c) La reconnaissance par le Gouvernement du Guatemala de limportance des exportations, de leur rôle moteur dans la croissance économique et ladoption de politiques facilitant les exportations.
Bien quils soient décrits séparément ci-dessous afin dexpliquer les actions prises et de décrire clairement le rôle de chaque groupe, le développement et limpact des trois ensembles de facteurs sont nettement reliés entre eux et doivent être interprétés comme tel.
Lapparition des petits pois mange-tout et des brocolis au Guatemala
Au début des années 70, la demande croissante en petits pois mange-tout (Pisum sativum) aux Etats-Unis due faire face à une contrainte majeur: lapprovisionnement en frais de Californie nétait disponible que de juin à octobre et les importations surgelées de Taiwan (province de Chine) ne donnaient pas satisfaction. Une source nouvelle de petits pois mange-tout pouvait être très profitable. On pensa dabord au Chili mais en 1974 un entrepreneur américain commença à expérimenter la production de petits pois mange-tout au Guatemala. Cette culture était, sur le plan agronomique, bien adaptée aux conditions de laltiplano du centre et de louest du Guatemala où les conditions climatiques tempérées permettaient de récolter doctobre à mai. Les résultats des parcelles pilotes furent encourageants et un certain nombre dagro-industries commencèrent la production.
La demande en petits pois mange-tout continua à croître rapidement au cours des années 70 et 80, mais lexpansion de la production savéra difficile au Guatemala; lacquisition de terres sur les hauts plateaux densément peuplés où peu de propriétaires possèdent des droits légaux était onéreuse et prenait beaucoup de temps. Loffre ne pouvait pas satisfaire la demande et les sociétés agro-industrielles durent se tourner de plus en plus vers les producteurs indépendants pour fournir les acheteurs. Au début des années 80, un certain nombre de petits producteurs commencèrent à court-circuiter lagro-industrie et à négocier directement avec les petits transformateurs et exportateurs.
En dépit de leur manque de formation ou de capital, les producteurs indigènes locaux bénéficièrent dun certain nombre davantages. Parmi les premiers producteurs, nombre dentre eux étaient plus ou moins habitués aux productions horticoles, ayant cultivé des oignons, des tomates et des cultures semblables pour les marchés locaux. Leurs terres était disponibles sans frais monétaire et leur désir doptimiser la mainduvre familiale convenait parfaitement à une culture nécessitant 516 journées de travail par hectare sur une période de quatre mois.
La main-duvre, même payée avec les bas salaires des zones rurales du Guatemala, représentant 35 pour cent des coûts totaux, les petits agriculteurs utilisant la main-doeuvre familiale non payée pouvaient tirer des revenus très importants des petits pois mange-tout comparé aux autres cultures traditionnelles. Un quart dhectare de petits pois mange-tout (exploitation typique) pouvait générer un revenu de 500 dollars EU, sans prendre en compte le revenu de la terre et la main-duvre. Par contre, dans la même zone le maïs ne rapportait que 50 dollars EU. Les opérateurs de lagro-industrie furent incapables de les concurrencer[274]. De plus, une lirrigation de complément, permit de produire deux cultures consécutives - petits pois mange-tout et brocolis - sur une année et une culture de maïs lannée suivante. En conséquence, la production de brocolis, déjà connue au Guatemala mais considérée jusque là comme peu intéressante par les petits producteurs, vit son importance augmenter considérablement. Etant donné que de très petites surfaces permettaient des augmentations importantes du revenu des ménages, ceux-ci purent continuer à cultiver le maïs et le haricot sur les surfaces cultivées restantes. Au milieu des années 90 on estimait à 21 500 le nombre de familles produisant des petits pois mange-tout et/ou du brocoli, équivalent à une production totale de 23 000 tonnes de petits pois mange-tout et 43 000 tonnes de brocolis par an sur approximativement 4 350 ha.
La croissance des producteurs indépendants nétait possible quavec la croissance correspondante des intermédiaires et des exportateurs. La gestion de la production journalière dun si grand nombre de producteurs dispersés sur quelque 3 000 km2 de hauts plateaux mal desservis par les services ruraux, son tri, son empaquetage et son expédition par bateau dans les 24 heures après la récolte, demandent un système de distribution sophistiqué. Aucune estimation nexiste quant au nombre dintermédiaires impliqués, mais au moment de létude, au milieu des années 90, au moins 50 entreprises exportaient régulièrement des petits pois mange-tout pendant la saison de récolte, certaines utilisaient le fret aérien, dautres des containers frigorifiques (principalement pour lEurope)[275].
Dans les années 90, de nombreux producteurs - estimés à plus de 60 pour cent - eurent des contrats réguliers avec des intermédiaires locaux, qui représentaient des exportateurs spécifiques. La production contractuelle permet aux producteurs davoir accès à un fonds de roulement, généralement sous la forme de semences et de produits phytosanitaires. Dun autre côté, la possibilité pour les exportateurs de planifier et de coordonner les dates de récolte et les volumes afin de maximiser les quantités aux moments où les prix sont les plus hauts, était un stimulant très important. Certains agriculteurs restèrent indépendants, vendant leur produit, souvent en lots de moins de 100 kg, au cours de ventes aux enchères spécialisées dans des communautés autour de laltiplano. De 17 heures à minuit, les intermédiaires équipés de camionnettes collectent les lots des contrats et achètent aux enchères des quantités hors contrat afin de remplir leurs quotas de la nuit, soit pour la vente directe à un exportateur, soit pour la vente avant laube à un des cinq principaux centres de grossistes qui travaillent sur ce marché. Au plus fort de la récolte, des quantités allant jusquà 1,5 millions de livres (650 tonnes) sont acheminées par ces canaux chaque semaine. Au cours des années 80 et 90, de nouveaux produits non traditionnels firent leur apparition chez les petits exploitants (petits légumes, mini épis de maïs, sugar-snaps [pois mange-tout sans parchemin à lintérieur de la gousse], mûres et surtout framboises) diversifiant ainsi les productions.
Le rôle de GEXPRONT
En 1978, le Gouvernement du Guatemala créa une agence du secteur public appelée GUATEXPRO, pour la promotion des exportations nationales; cette institution ne dura que deux ans. Néanmoins, elle convainquit un certain nombre dexportateurs de produits non traditionnels qui navaient pas derrière eux la puissance des secteurs du sucre, du café ou de lélevage, quils avaient besoin dun forum capable dinfluencer et de coordonner les entreprises, surtout petites et moyennes, actives dans ce secteur. Ainsi fut fondée en 1982, lAssociation des exportateurs non traditionnels du Guatemala (GEXPRONT). En 1986, lorsque lUSAID commença ses opérations dassistance financière, GEXPRONT reçut une aide importante de cette agence. GEXPRONT est composé de cinq commissions; toutefois, cette étude de cas ne sintéresse quà celle opérant dans le domaine des produits agricoles. En 1995, la commission agricole de GEXPRONT (maintenant nommée AGEXPRONT) avait 250 membres adhérents. En collaboration avec les autres commissions, et souvent aussi avec dautres entités du secteur privé, telles que la Chambre de commerce et dindustrie, AGEXPRONT fit du lobbying en faveur dun certain nombre de changements essentiels du secteur de lexportation et contribua à ces changements. Elle soccupa peu du développement direct du marché, bien que certaines de ses activités aient eu pour but daider les entreprises à établir des relations commerciales avec des acheteurs doutre-mer. AGEXPRONT se concentra plutôt sur la résolution des problèmes du système qui empêchaient ses membres de mener à bien et détendre leurs opérations. Il sagissait généralement de problèmes de première importance pour les petites entreprises, qui mettaient souvent en jeu des fonctions de gestion considérées jusque là comme relevant de la seule compétence du secteur public. En dehors de sa contribution aux changements de politiques gouvernementales (voir ci-dessous), les changements fondamentaux institués par AGEXPRONT au cours de la première décennie ont porté sur les points suivants:
Création dune foire annuelle dexportation «Agritrade» afin de promouvoir les contacts entre les grossistes étrangers, les courtiers et les exportateurs locaux.
Participation à la création de COMBEX-IM, une société privée à but non lucratif, chargée de la gestion de tous les avions cargo passant par laéroport international du Guatemala, afin de rationaliser les procédures de manutention des cargos et détendre lespace de stockage à température ambiante et en chambre froide pour les denrées périssables.
Programmes de précertification des exportations agricoles, comprenant le paiement des coûts des inspecteurs de lUSDA stationnés au Guatemala et la certification du personnel guatémaltèque aux Etats-Unis permettant à la plupart des containers dentrer aux USA par les ports désignés sans être arrêtés à leur arrivée.
Organisation des visites dexperts internationaux qui, contre le paiement dhonoraires par un membre dAGEXPRONT, visiteraient les installations des exportateurs et donneraient des conseils. Les petites entreprises purent ainsi avoir lavis dexperts à un coût bien inférieur au coût normal.
Accord avec le Ministère des affaires étrangères pour la prise en charge dune partie du coût des attachés commerciaux basés dans les cinq principales villes de négoce, permettant ainsi à AGEXPRONT de participer à la définition des obligations des intervenants, dévaluer leurs performances et dassurer une capacité de réaction plus rapide aux besoins des exportateurs.
Au début des années 90, les rendements commencèrent à stagner pour les brocolis et les petits pois mangetout, et la fourniture de produits devint à nouveau un problème, bien que la gamme des cultures non traditionnelles pratiquées se soit étendue. La faiblesse des infrastructures rurales freinait louverture de nouvelles zones de production, et les meilleures terres pour la production des brocolis et des petits pois mange-tout avaient déjà été utilisées. Les marchés étrangers attachèrent de plus en plus dimportance aux problèmes de contamination chimique. Pour répondre à ces nouveaux problèmes, les programmes dassistance dAGEXPRONT commencèrent à modifier leurs priorités:
On créa des sous-commissions régionales qui rassemblaient les exportateurs de zones géographiques spécifiques afin de résoudre des problèmes régionaux tels que les routes et lélectricité.
A la demande des producteurs, lUSAID finança la moitié des frais de recherche en matière de production, dès lors que les sociétés ou les groupes sectoriels étaient décidés à financer lautre moitié.
Un accord fut négocié avec les représentants du secteur pour collecter des taxes auprès des exportateurs de petits pois mange-tout[276] afin de financer les activités de recherche et de vulgarisation de cette culture.
On obtint des fonds des secteurs public et privé pour financer des tests et lapprobation officielle de lutilisation du clorotalonil sur les petits pois mange-tout. Bien quapprouvé pour les brocolis, lutilisation de ce fongicide interdite sur les petits pois entraînait un nombre de conflits croissants avec les autorités sanitaires des Etats-Unis.
Toutes les sociétés travaillant dans les brocolis surgelés se mirent daccord pour contribuer, selon leur volume dopération, au financement de deux agents de vulgarisation chargés dassister tout producteur de brocolis quelque soit lusine de transformation à laquelle il vendait sa production.
Dans la deuxième moitié des années 90, GEXPRONT dut faire face à un nouveau défi: laide financière de lUSAID, qui diminuait depuis quelques années, sarrêta complètement. Les contributions des membres et le revenu des activités sponsorisées ne suffirent pas à maintenir les programmes de recherche qui répondaient à la demande des producteurs et dautres activités de coût élevé. AGEXPRONT renforça alors ses liens avec le Ministère de lagriculture et persuada le gouvernement quune agence du secteur privé pourrait utiliser plus efficacement des fonds publics que le ministère lui-même. En conséquence, beaucoup de ces programmes furent maintenus opérationnels avec le financement du secteur public.
Le rôle du gouvernement
Bien quil ny ait aucun doute sur le rôle essentiel des petits agriculteurs et des exportateurs avec lesquels ils firent du commerce dans le succès de la production et de lexportation des petits pois mange-tout, le gouvernement joua lui aussi un rôle important au cours des 20 dernières années, en mettant en place un cadre législatif et politique approprié qui a permis au secteur dexportations non traditionnelles de prospérer. Les mesures essentielles furent les suivantes:
Au milieu des années 80, le gouvernement dévalua le quetzal, mettant fin à une longue période de surévaluation de la monnaie qui avait favorisé les importations au détriment des exportations.
Il créa CONAPEX pour coordonner les actions des secteurs public et privé dans le domaine des exportations. Il y inclut, en plus de la Chambre de commerce et dindustrie, les Ministères des finances, de lagriculture, du commerce et des relations étrangères et la Banque centrale. GEXPRONT en fut un des membres fondateurs.
CONAPEX coordonna la création de Ventanilla unica (système de comptoir unique), permettant aux exportateurs de donner leur accord à toutes les licences dexportation et aux procédures dautorisation à partir dun lieu unique.
En 1989, une nouvelle législation permit dimporter hors taxe les équipements et le matériel destinés à la production pour lexportation.
Pendant une décennie, au cours des années 90, le gouvernement subventionna le développement des systèmes de petite irrigation sur les hautes terres, augmentant ainsi considérablement la capacité des producteurs locaux à faire la double culture des petits pois mange-tout et des brocolis.
A la fin des années 1990, le Ministère de lagriculture (MAG) réduisit fortement son personnel et ses dépenses internes, mais augmenta de façon importante le montant des fonds publics destinés, par lintermédiaire de GEXPRONT, à aider les activités des petits producteurs. Il forma aussi des groupes régionaux de développement, incluant le secteur privé, qui essayèrent de coordonner le développement des secteurs privé et public dans les zones rurales les moins favorisées. AGEXPRONT joua un rôle majeur dans le travail de ces comités.
IMPACT
Les résultats
On ne saurait mettre en doute limpact énorme qua eu le développement des exportations des petits pois mange-tout et des brocolis sur les petits agriculteurs indigènes de laltiplano guatémaltèque. De 1980 à 1993, la part du Guatemala dans le marché des pays de lOCDE pour les produits maraîchers frais, surgelés et transformés quintupla, passant de 0,09 pour cent à 0,45 pour cent[277], même si, dans le même temps, la production de ces cultures à léchelle commerciale déclina jusquà devenir presque nulle. En 1995, le Guatemala fournit un tiers des importations des Etats-Unis en petit pois mange-tout, pour une valeur de 55 millions de dollars EU par an. Comme aucune famille navait la capacité de travail, de capital ou leau nécessaire à la culture de grandes surfaces de maraîchage intensif, les revenus furent largement répartis à lintérieur de la communauté indigène. La taille moyenne des surfaces consacrées à ces cultures était de 0,24 ha et on ne trouva aucun producteur avec une surface supérieure à 0,5 ha.
En 1996, on estima que 21 500 familles indigènes étaient impliquées dans la production directe de ces deux cultures, générant des revenus agricoles bruts pour la région estimés à 30 millions de dollars EU, soit presque 1 400 dollars EU par famille. Sur une base de 516 jours de travail par ha pour le petits pois mange-tout et 191 pour les brocolis, on peut calculer que le revenu moyen familial fut obtenu par le travail moyen de 0,5 à 0,6 personne par an correspondant à un profit denviron 2 500 dollars EU/personne employée/an[278].
On a calculé que 28 millions de dollars EU revenaient annuellement aux grossistes, à la transformation, à lempaquetage et aux exportateurs du Guatemala, certains vivant en zones rurales. En fait, une étude entreprise en 1994 estima que le coefficient multiplicateur indirect du travail associé aux activités agricoles non traditionnelles[279] était de 0,26; elle montrait quun total de 27 000 familles avaient pu trouver du travail grâce à ces activités, sans compter celles occupées à produire le petit maraîchage, les groseilles et dautres nouvelles cultures. En estimant à six personnes la taille moyenne dune famille (chiffre probablement inférieur à la réalité), ces deux cultures non traditionnelles ont probablement contribué à la réduction de la pauvreté de 160 000 ruraux pauvres du Guatemala. Ces chiffres ne tiennent pas compte des fournisseurs de biens et de services des zones rurales qui purent développer des activités pour répondre à la croissance de la demande rurale; aucune donnée les concernant nest disponible.
Principaux facteurs opérationnels
Bien que linnovation et le risque pris par les producteurs indigènes et les petites entreprises commerciales aient été essentiels pour le succès du système petits pois mange-tout et brocolis du Guatemala, un certain nombre dautres facteurs furent probablement également importants. Les faibles coûts dentrée de ces deux productions et lexportation des petits pois mange-tout donnèrent naissance à un système qui fut particulièrement compétitif, sans avantage apparent déchelle comme cela avait été le cas pour la surgélation des brocolis (contribuant peut-être à des revenus beaucoup plus faibles que cette culture). En conséquence, les producteurs récupèrent pour leur propre profit plus de 40 pour cent du prix des petits mange-tout arrivés à destination, ce qui représente une proportion importante pour un produit périssable dexportation.
Le rôle dAGEXPRONT, qui créa (et qui, en collaboration avec le gouvernement, promut) un cadre dans lequel un tel comportement compétitif pouvait se développer en fournissant aux nouveaux entrants le support commercial et les installations qui auraient autrement été très onéreux à développer, fut aussi très important. En général, AGEXPRONT résista à la tentation de choisir les meilleurs, ne se comportant quune fois ainsi avant 1996. Il en était probablement mieux ainsi: lenthousiasme pour les asperges, identifié dans une étude de 1987, conduisit à un certain nombre dinvestissements importants qui furent tous des échecs.
Contrairement au comportement des associations commerciales dexportation, AGEXPRONT assura un rôle leader dans la promotion des liens entre les entreprises et les producteurs, voyant là un moyen essentiel daugmenter la disponibilité des produits, et donc du chiffre daffaire pour ses membres. Dès le début, AGEXPRONT encouragea les exportateurs à développer leurs activités dans une même ligne de produits (melons, mangues, petits pois mange-tout, brocolis, fleurs coupées, etc.) et à former des sous-commissions dont le but était didentifier et daplanir les obstacles communs au développement des productions. Cest cette stratégie qui conduisit directement à létablissement des programmes de recherche de terrain financés en partie par lUSAID et, par la suite, à celui des services de vulgarisation financés par le privé lorsque les exportateurs se mirent daccord sur la nécessité de traiter le problème des faibles rendements, des contaminations et autres. En 1997, AGEXPRONT créa sa nouvelle sous-commission pour les exportateurs de produits écologiques et pour les services.
La relation entre le secteur privé et le Gouvernement du Guatemala fut aussi essentiel pour le développement rapide du secteur des exportations non traditionnelles et donc, finalement, pour la création de revenu pour les petits producteurs. Bien que les attitudes du gouvernement aient changé au cours des 20 dernières années et que toutes les politiques naient pas été à lavantage du secteur (à la suite du réajustement du taux de change dans les années 1980, il y eut encore une longue période de surévaluation de la monnaie au cours des années 90) le gouvernement a, en général, appuyé les petites entreprises. A plus long terme, la volonté du MAG dutiliser AGEXPRONT comme un bras exécutif pour canaliser et gérer les fonds du secteur public a montré que le financement international nétait pas la seule voie daccès au financement dont les entités du secteur privé ont besoin pour continuer leurs activités.
Durabilité
Les petits producteurs non traditionnels de fruits et de maraîchage du Guatemala doivent faire face à une forte concurrence de la part de nombreux autres producteurs. Néanmoins, ils se sont arrangés pour maintenir et même renforcer leur position en utilisant le climat favorable, le faible coût de la main-duvre familiale et un système de commercialisation efficace. Les menaces les plus sérieuses sur le secteur proviennent de sa plus grande force: sa production très dispersée et atomisée et son système de commercialisation. Elles ont causé de sérieuses inquiétudes en matière de contamination, dabord à partir des produits phytosanitaires interdits et plus récemment à la suite de contamination biologique suspecte de groseilles avec de la cyclosporine. En raison du grand nombre de producteurs et dexportateurs il est très difficile de déterminer la source dune quelconque contamination ou infestation, aussi une expédition peut-elle être entièrement contaminée par un seul producteur. Une deuxième menace potentielle sur la durabilité du système réside dans les difficultés encore rencontrées par les exportateurs pour répondre à la demande en période de pointe (et donc de faire concorder les prix).
Le contrôle de la production est certainement plus facile lorsque la production est le fait dun petit nombre de producteurs, mais il nest pas impossible pour des systèmes de production dispersée. Le futur du système actuel pourrait bien dépendre de la possibilité de convaincre les petits agriculteurs de limportance critique dune bonne gestion sanitaire et chimique de leurs produits et de la nécessité de faire correspondre leurs périodes de semis avec la demande du marché. Assez curieusement, cela pourrait permettre aux agriculteurs indigènes participants de se propulser dans les techniques de production du XXIe siècle, grâce aux systèmes de prévision des récoltes basés sur lutilisation dInternet, de codes informatiques sur les lots des producteurs, de léchantillonnages automatisés et de lanalyse des produits.
Il est encourageant de voir quil semble inévitable, quà lavenir, la part des productions des Etats-Unis diminue fortement dans leur propre marché intérieur, même si la demande en produits horticoles exotiques de haute valeur et en fruits continuera de croître. La concurrence pour lutilisation des terres de Californie, principale zone de production aux Etats-Unis est forte; de plus, la production continue de cultures nécessitant beaucoup de main-duvre, même à labri de droits ou de pseudo droits de douane élevés peut navoir quun temps. Cette situation peut ouvrir de nouvelles perspectives de croissance importantes pour le Guatemala, si la concurrence mexicaine peut être tenue à distance27.
Finalement, il est un peu inquiètant que le secteur ait accompli si peu de progrès dans la création de valeur ajoutée par la transformation. Au milieu des années 90, les produits frais représentaient encore près de 90 pour cent de la valeur des exportations non traditionnelles, et encore les 10 pour cent transformés étaient surtout exportés sur les marchés régionaux dAmérique centrale et non sur les marchés internationaux.
RECOMMANDATIONS POUR LES ACTIVITÉS FUTURES
Leçons
Un certain nombre de leçons importantes peuvent être tirées du cas présenté ci-dessus:
La diversification vers des cultures dexportation de haute valeur, souvent considérée comme nétant réalisable que par un petit nombre de producteurs, peut en fait avoir un impact important aussi bien en ce qui concerne le nombre de bénéficiaires que les revenus générés; elle peut être une force dentraînement permettant une croissance économique rurale accrue.
Les petits producteurs indigènes, peu éduqués, sont capables, même sans formation extérieure ou sans assistance, de sadapter avec succès à une demande nouvelle en cultures périssables. Que de tels groupes puissent concurrencer lagro-industrie démontre quils possèdent réellement des avantages comparatifs.
Les efforts de précurseurs des entreprises de lagro-industrie peuvent fournir des possibilités aux petits producteurs en leur démontrant que des productions sont agronomiquement possibles et en ouvrant des canaux de commercialisation.
Une production ouverte et concurrentielle, et un environnement commercial peuvent avoir un impact important en garantissant que les bénéfices du système seront partagés équitablement.
La capacité des petites et moyennes entreprises à collaborer au lobbying et aux activités dappui au secteur peut être très importante, particulièrement pour réduire les barrières dentrée et pour obtenir le support des politiques du gouvernement.
Lamélioration des transports, du financement, des contacts avec le marché et du respect des réglementations peut considérablement améliorer les performances du secteur. Tenter de ne choisir et de naider que les «gagneurs» est dangereux et a donné de mauvais résultats, surtout lorsque cela est pratiqué par le gouvernement.
Reproductibilité
La question de la reproductibilité de cette étude, qui décrit plutôt une série dévénements quune intervention spécifique, a moins dimportance que pour les autres études de cas. Néanmoins, il est bon de faire certains commentaires. Aucun des éléments qui ont contribué au développement des exportations de petits pois mange-tout et de brocolis nest unique. Un certain nombre de cultures, gourmandes en main-duvre et daccès facile, représentent des possibilités de diversification pour les populations des petits agriculteurs pauvres de nombreux systèmes agricoles. Bien que rarement aussi actives que GEXPRONT et souvent difficiles à maintenir lorsque le financement extérieur sest tari, des associations dexportateurs existent dans de nombreux pays. Il existe aussi de nombreux pays où les gouvernements ont fait des efforts pour promouvoir des exportations non traditionnelles. Finalement, il existe de nombreux exemples de cas où le secteur privé a été à lorigine de lapparition de nouvelles cultures et de produits non traditionnels, tels que les fleurs coupées en Colombie, les crevettes en Equateur, ou le jus dorange au Brésil. Ce qui est inhabituel dans le cas du Guatemala est le niveau auquel le secteur privé a su pousser un partenariat réussi avec les petits producteurs pauvres pour dominer le plus grand marché du monde pour un produit spécifique28. Dautres cultures ont aussi connu le succès en utilisant la même formule.
Pour les gouvernements et les agences extérieures de financement, la clé de la reproductibilité de cette expérience réside probablement dans laccent mis plus sur lenvironnement dans lequel ils évoluent que sur les producteurs eux-mêmes, en terme de diversification et de projet dappui au revenu. Cet environnement inclut bien évidemment des éléments sous le contrôle du gouvernement, tels que linfrastructure, le contrôle des réglementations, les politiques fiscales et le taux de change; il dépend aussi beaucoup des activités du secteur privé dans les domaines de la commercialisation, du financement, de loffre dintrants, et de la création demploi; en effet le secteur public ne peut répondre durablement à aucune demande dans ces domaines, demande qui ne peut pas non plus être prise en charge par les producteurs eux-mêmes.
Toutefois, il est possible que le secteur privé ait à faire face à des obstacles, parfois sérieux, à ces activités. Sils peuvent être levés, lenvironnement pour la diversification et la création de revenu deviendra beaucoup plus favorable et, pour autant que les conditions agronomiques, socioculturelles et commerciales sont appropriées, les chances de succès augmenteront considérablement. Cependant, le secteur privé doit être convaincu des possibilités de partenariat avec les petits producteurs. Les petites entreprises sont, par nature, plus prêtes à accepter ce principe (les grandes entreprises peuvent trouver que, de toute façon, les coûts de transaction sont trop élevés quand il sagit de traiter avec des petits producteurs). De plus, seules les plus petites entreprises sont capables de bien identifier et dévaluer limportance des contraintes auxquelles elles auront à faire face pour mettre en place une production atomisée et des systèmes de commercialisation. Doù limportance de permettre aux petits et moyennes entreprises de jouer un rôle leader dans ce processus.
[267] Cette étude de
cas est condensée de Gulliver (2001). [268] Cette étude de cas doit beaucoup à Contreras, 1996 et Gulliver et al., 1996. [269] Voir Gulliver et al. (2001) pour une description plus complète du système dexploitation agricole maïs-haricot des collines dAmérique centrale. [270] Projet détat de la région, 1999. [271] Selon les données du recensement agricole national, le nombre dexploitations cultivant le maïs au Guatemala sest accru de 321 000 en 1964 à 667 000 en 1996, correspondant à un accroissement de plus de 100 pour cent en 32 ans. La taille moyenne des exploitations des producteurs de maïs était denviron 3,6 ha en 1996. [272] Les rendements moyens sont inférieurs à 1,5 tonne/ha pour le maïs et de 0,75 tonne/ha pour le haricot. [273] Projet détat de la région, 1999. [274] Les données concernant les coûts de production des opérateurs commerciaux au début des années 90 montrent quun coût du travail de 4 Q/pers./jour (correspondant approximativement à 1 dollar EU/pers./jour), entraînait une augmentation du coût du travail de 2 064 dollars EU/ha. [275] Les petits pois mange-tout surgelés nont jamais représenté plus de 10 pour cent de la production totale, contrairement aux brocolis qui sont presque entièrement exportés surgelés. [276] Au départ, ces taxes furent à 0,01 Q par livre, générant quelque 65 000 dollars EU par an. [277] Inversiones y Desarrollo Corp., 1995. [278] Toutefois, il est bon de rappeler que ce revenu ne prend pas en compte la valeur de la terre utilisée. [279] Samayoa Urrea, 1994. |