ANNEXE 1: ÉTUDE DE CAS
N° 4
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INTRODUCTION
La plupart des ruraux des pays en développement dépendent dune économie de subsistance utilisant des produits végétaux et animaux (Agarwal et Narain, 1989). Cependant, une grande proportion des ruraux pauvres du monde vit aujourdhui sur des terres et dans des environnements très dégradés. La pauvreté écologique peut être décrite comme le manque de ressources de base écologiquement saines nécessaires à la survie et au développement de la société humaine. Des terres et des écosystèmes sains peuvent fournir la richesse nécessaire à une vie économiquement viable, en bonne santé et digne.
Le défi daujourdhui consiste à mobiliser et à responsabiliser les populations pour leur permettre déchapper à leur pauvreté écologique en créant une richesse naturelle et en développant une économie locale forte. Lexpérience de lInde et de lAfrique a montré de nombreuses fois quun changement économique important sest toujours produit lorsque les communautés rurales se sont organisées elles-mêmes afin de régénérer et gérer leurs ressources naturelles de base (Tiffen et al., 1994). Cependant, les systèmes de gestion technocratique des ressources imposés de lextérieur ont invariablement échoué ou se sont montrés non rentables et donc non adaptés pour répondre aux contraintes financières des pauvres du monde.
CONSERVATION DE LEAU DE PLUIE ET RÉGÉNERATION DE LENVIRONNEMENT
Au cours des cent dernières années, la gestion de leau a connu dans le monde des changements très importants. Pendant la plus grande partie du siècle dernier, les individus et les communautés abandonnèrent leur rôle de gestion de leau à létat. La simple technologie de stockage et dutilisation de leau de pluie perdit de son importance et lexploitation des rivières, et particulièrement de leau souterraine devint prédominante. Cependant, lattention majeure portée à leau des rivières et à leau souterraine, qui ne représentent quune faible partie du total des précipitations, conduisit inévitablement à une surexploitation de ces deux origines. Dans de nombreux cas, les gouvernements des pays aux ressources en eau limitées ont encouragé des interventions massives dans le cycle hydrologique mais ont fait peu de chose pour maintenir lintégrité du système hydrologique lui-même.
En réalité, la collecte de leau de pluie et lutilisation des sources deau souterraines sont complémentaires et non substituables. Au cours des années sèches, lorsque la pluie est rare et que les rivières sassèchent, leau souterraine devient une source importante deau à la fois pour leau potable et pour leau dirrigation (Agarwal, 2000). Cependant, si des systèmes efficaces de conservation de leau de pluie étaient mis en place, le recours à leau souterraine devrait être très limité dans de nombreux endroits en année normale, où il ne jouerait plus quun rôle de complément. La conservation de leau et leau souterraine peuvent, ensemble, mettre les pays à labri de la sécheresse et créer la sécurité alimentaire locale.
Dans le cas de lInde, par exemple, la moyenne annuelle de la pluviométrie est de 1 170 mm. Mais plus de 50 pour cent de cette pluie tombent sur une période de 15 jours environ et, dans la plupart des cas, en moins de 100 heures sur un total de 8760 heures par an. Il est donc très important de conserver cette ressource extrêmement éphémère avant quelle ne soit perdue pour lutilisation humaine (Agarwal et Narain, 1997). La conservation effective de leau de pluie offre la possibilité de réaliser cela. Il devrait être possible de garantir laccès à leau potable, en quantité suffisante, à tout le pays; de plus, leau devrait généralement être disponible pour pratiquer au moins les cultures les moins gourmandes en cet élément chaque année.
La conservation de l'eau de pluie peut aussi permettre aux agriculteurs dêtre moins dépendants des faibles institutions de létat. Dans le contexte africain, les tentatives de création de systèmes agricoles intensifs, à grande échelle et coûteux ont échoué dans la plupart des cas en raison de mauvaises gestions, des politiques encourageant une utilisation inadaptée et inefficace des ressources en eau et des problèmes financiers qui ont pénalisé lentretien et le personnel.
Cet article présente deux études de cas. Le premier cas, en Inde, décrit la transformation dune pauvreté écologique en richesse économique durable. Le second cas, au Niger en Afrique de lOuest, décrit lutilisation de technologies locales pour améliorer la conservation et lutilisation de leau. Ces études de cas sont importantes parce quelles montrent, non seulement comment des technologies simples peuvent radicalement améliorer la disponibilité en eau pour les agriculteurs pauvres, mais aussi parce quelles illustrent les impacts écologiques, sociaux et économiques quelles entraînent. Les expériences du village de Sukhomajri en Inde sétalent maintenant sur 20 ans. Lexpérience du cas du Niger est plus récente, mais reste très spectaculaire et importante.
Au cours des années 70 et 80, lInde a connu un certain nombre dexpériences à petite échelle de gestion communautaire réussie des ressources. Il est remarquable de voir quil est possible de transformer, en peu de temps, un village pauvre et en détresse, sans ressource et écologiquement très abîmé, en un lieu riche et vert.
Cela est vrai pour les deux exemples présentés dans ce rapport.
EXEMPLE 1: LEXPÉRIENCE DE SUKHOMAJRI - DE LA CONSERVATION DE LEAU AU DEVÉLOPPEMENT DUN BASSIN VERSANT EN INDE
Introduction
On a beaucoup félicité le village de Sukhomajri près de la ville de Chandigarh, en Inde, pour ses efforts davantgarde dans le développement des microbassins versants. En 1976, Sukhomajri, un petit hameau de 455 habitants situé dans les collines pré-himalayennes de Sivalik, avait un environnement végétal dispersé, une agriculture pauvre et une érosion des sols et un ruissellement très importants. Bien que la pluviométrie moyenne annuelle ait été denviron 1 137 mm, aucune eau souterraine nétait disponible à une profondeur raisonnable. Lérosion du sol et le ruissellement entraînaient une diminution continue de la superficie agricole. Lagriculture étant particulièrement peu sure, les villageois gardaient des troupeaux pour minimiser les risques. Ils cultivaient environ 50 ha de terre non irriguée et élevaient 411 têtes de bétail. Le pâturage continuel empêchait la régénération des plantes et maintenait les collines avoisinantes dénudées.
En 1979, devant faire face à une sécheresse sévère, les villageois construisirent un petit réservoir pour conserver leau de la mousson; ils se mirent aussi daccord pour protéger leur bassin versant afin dempêcher que leur réservoir ne se remplisse de sédiments. Depuis lors, les villageois ont construit quelques autres réservoirs et ont protégé la forêt dégradée qui sétend dans la zone de capture de leau (Mishra et al., 1980). Les réservoirs ont aidé à presque tripler la production des cultures, et la protection de la zone forestière a contribué à augmenter la disponibilité en herbe et arbres fourragers. Ces améliorations ont entraîné, à leur tour, un accroissement de la production laitière. La prospérité croissante est la cause de changements importants dans léconomie de Sukhomajri.
Impact économique
Les changements économiques et écologiques suivants se produisirent dans le village au fil des ans:
De 1977 à 1986, la production de blé et de maïs augmenta. Au milieu des années 1980, dimportateur de nourriture Sukhomajri est devenu exportateur (Sarin, 1996)
La protection du bassin versant a entraîné laugmentation de production de fourrage qui est passée de 40 kg/ha en 1976 à 3 tonnes/ha en 1993. Laccroissement de la production fourragère a conduit à une transformation des systèmes de production animale. Le nombre de chèvres chuta tandis que le nombre de buffles augmenta, entraînant une augmentation de la production laitière (même référence). Le village commença à gagner environ 350 000 Rs par la vente de lait.
La protection du bassin versant a aussi entraîné laccroissement de la production dune herbe très fibreuse que lon trouve communément dans la région appelée bhabhar (Eulialopsis binata). Cette herbe est un bon fourrage quand elle est jeune mais est aussi un très bon produit de base pour la production de pâte à papier quand elle arrive à maturité. Les villageois de Sukhomajri utilisent le bhabhar à la fois comme fourrage et pour la pâte à papier. La vente du bhabhar rapporte collectivement au village quelque 100 000 Rs par an (même référence).
La forêt de 400 ha de Sukhomajri possède aujourdhui plus de 300 000 khair (Acacia catechu), de grande valeur (Dhar 1997). Chaque arbre fournit environ 100 kg de bois vendus à 30 Rs/Kg (70 cents EU). Ainsi, chaque arbre vaut 3000 Rs et la forêt entière vaut 900 millions de Rs soit 21,08 millions de dollars EU. Lexploitation durable de la forêt, coupe denviron 10 000 arbres par an dun diamètre de plus de 60 cm, permet un revenu de 3 crore Rs (0,7 million de dollars EU) par an (Mittal 1998).
Dans le cas de Sukhomajri, ce sont les changements de politique du département des forêts qui ont stimulé les efforts des villageois pour les amener à protéger leur bassin versant. Auparavant, le département des forêts vendait aux enchères lherbe du bassin versant dégradé à un homme daffaire extérieur au village, qui exigeait ensuite des droits de récolte élevés des villageois. Les villageois expliquèrent quils protégeaient le bassin versant et quils devaient en retirer des bénéfices, et non pas lhomme daffaire. Le département des forêts tomba daccord pour donner les droits sur lherbe à lassociation du village, aussi longtemps que les villageois leur paieraient une rétribution équivalente au revenu moyen dont le département bénéficiait avant que ceuxci nentreprennent la protection du bassin. Les villageois paient à leur association villageoise une petite somme pour couper lherbe du bassin versant. Une partie de celui-ci est utilisée pour payer le département des forêts et une partie est utilisée pour générer des ressources communautaires pour le village.
Une institution au niveau villageois pour gérer les ressources naturelles
Dans tout cet exercice une institution villageoise, spécialement créée pour la protection du basin versant, a joué un rôle crucial. Cette institution a été appelée la Société de gestion des ressources des collines, elle est constituée dun représentant de chaque ménage du village. Elle sert de forum à tous les ménages pour discuter de leurs problèmes, gérer lenvironnement local et maintenir la discipline entre ses membres. La société sassure quaucun ménage ne fait pâturer ses animaux sur le bassin versant; en retour, elle a créé un cadre pour une juste répartition des ressources ainsi générées entre les ménages, principalement, leau, le bois et lherbe.
Futures stratégies opérationnelles dans le cas de lInde
En dépit du succès de Sukhomajri et dautres communautés qui ont mené des expériences semblables à Ralegan Siddhi et à Tarun Bharat Sangh, ladoption de ces pratiques a été très limitée dans le reste de lInde. Les critiques ont souvent prétendues que ces exemples ne pouvaient pas être répliqués car ils étaient le fait dindividus remarquables qui ont persévéré pour apporter un changement. Mais cela nest pas une description correcte de la réalité: ces exemples sont demeurés dispersés en raison de labsence dans le pays dun système de gouvernance capable dencourager le contrôle local des ressources naturelles. Les exemples actuels existent en dépit du système et non pas grâce à lui. Il faut donc que les individus soient particulièrement persévérants pour être capables de changer les choses au niveau de leur village. Cependant, ce changement sera plus facile, si le gouvernement permet aux communautés locales daméliorer et de prendre soin de leurs ressources de base. La Mission de développement du bassin versant de Rajiv Gandhi, du Gouvernement de Pradesh Madhya a montré que létat peut répliquer ces efforts communautaires lorsque la volonté politique est là et que la pression sur la bureaucratie administrative et technique est suffisamment forte.
Le mise en place dun cadre conceptuel qui prenne en considération les ressources privées et communautaires du village, ses divers besoins en biomasse ainsi que les intérêts et besoins des différents groupes socioéconomiques de la communauté villageoise, est le préalable au développement dun programme de gestion durable des ressources naturelles au niveau du village. Un tel programme met en route toute une série dopérations écologiques successives, commençant par laccroissement de la productivité et de la surface des terres arables résultant dune meilleure conservation de leau. Ces premiers résultats entraînent à leur tour laugmentation de la disponibilité en eau pour lirrigation, laccroissement de la production dherbe et, lentement, laugmentation de la production de fourrage et de bois de construction à partir des arbres et des forêts. Chacune de ces étapes écologiques successives génère ses propres impacts économiques sur la société villageoise qui se déploie lentement au fil des ans.
Leçons
Cette étude de cas nous enseigne quune bonne gestion des ressources naturelles ne peut se faire sans un ensemble de mesures politiques. Ces mesures incluent les changements des cadres institutionnel, légal et financier afin de créer une démocratie participative au niveau communautaire. Cest seulement lorsque cet ensemble de mesures politiques aura été mis en oeuvre que ces microexpériences isolées pourront sépanouir dans «un million» de villages.
Structures de conservation de leau et processus social
Les changements écologiques ont démarré à Sukhomajri avec la collecte de leau. La construction de structures de conservation de leau est une tâche assez facile. Mais le début dun processus dautogestion des communautés villageoises est beaucoup plus difficile. Il nest possible que si chaque structure de conservation de leau est le résultat dun processus social coopératif. Un processus social fort doit précéder la construction de chaque structure afin de bâtir un «capital social». Cest un domaine où les résultats des agences gouvernementales sont littéralement inexistants et où les règlements gouvernementaux rigides jouent contre le principe même de mobilisation sociale. La mobilisation sociale signifie, dabord, la prise de conscience et la confiance des personnes qui travaillent à la conservation de leau. Il est nécessaire de créer ensuite des institutions villageoises qui décideront où, quand et comment les structures de conservation de leau devront être construites, qui les construira, et quelle sera la contribution des villageois aux coûts des constructions. Une fois que la structure est construite, il est essentiel de décider comment les bénéfices - cest-à-dire leau - seront partagés entre les villageois, spécialement durant les premières années lorsque leau est rare, et comment son utilisation sera réglementée. Toutes les composantes de la communauté - ceux qui ont de la terre, ceux qui sont sans terre et les groupes de femmes - devront tirer profit de lexercice. Aussi des efforts devront-ils être faits pour sassurer que les bénéfices vont à toutes les composantes de la communauté.
Cest pour cette raison que les travaux de conservation de leau fonctionnent mieux lorsquils ils sont associés au développement dun bassin versant. La nature même des structures de conservation de leau fait que ce sont dabord ceux qui ont de la terre qui en tirent profit, laissant les personnes sans terre sans aucun bénéfice et donc étrangères à lexercice. Le développement dun bassin versant, qui permet daméliorer à la fois la conservation de leau et des sols, et les productions herbacée sur les terres communales, profite ainsi grandement aux ménages sans terre. De plus, le processus prolonge la vie et lefficacité des structures au bénéfice de ceux qui ont des terres en réduisant le phénomène de sédimentation.
EXEMPLE 2: TASSAS - AMÉLIORATION DES TROUS DE SEMIS TRADITIONNELS AU NIGER
Introduction
Ce second exemple décrit lexpérience du sous-programme de conservation des sols et des eaux financé par le FIDA au Niger et son succès dans la promotion de la technique tassa, une technique bon marché de conservation de leau et du sol. La pratique des tassas est une technique agricole qui permet dameublir les couches profondes du sol et denrichir leur contenu en matière organique; la technique consiste à creuser de petits trous et à disposer les semences sur les bordures formées par la terre retirée des trous. Lutilisation de techniques simples et peu coûteuses comme les tassas permet de récupérer des terres dégradées et abandonnées et de les transformer, par des actions individuelles et de groupe, en terres productives. Il existe de nombreux exemples semblables en Afrique (Reij et al., 1996).
Le projet de conservation des sols et de leau (PCSE), financé par le FIDA, commença en 1988 dans le district de Illéla (400 mm pluviométrie moyenne), au sud de Tahoua. La pression démographique et une série de sécheresses catastrophiques (1972-1973 et 1982-1985) avaient entraîné la dégradation des terres cultivées (raccourcissement et, dans certains cas, abandon des périodes de jachère), des pâturages et des ressources en bois, ainsi que la fragilité croissante des systèmes de production. Les agriculteurs sédentaires (surtout Haoussa) sont largement majoritaires dans le district dIllela. Le projet FIDA a principalement concentré ses activités sur 77 villages abritant une population denviron 100 000 habitants. Lagriculture pluviale domine; les principales productions sont le mil, le sorgho et le niébé. Cependant, la plupart des gens sont incapables de survivre de leurs seules cultures. Lélevage et le commerce représentent dimportantes sources de revenu. La migration saisonnière des jeunes gens est aussi commune.
Le programme fut conçu comme une action pilote. En fait, le programme couvrit une superficie totale de 6 350 ha, plus du double de ce qui avait été prévu au départ. Les activités se répartirent sur 585 ha de zones sylvopastorales, à partir dinitiatives collectives, et sur 5 800 ha de terres cultivées (actions collectives). Les activités de contrôle dérosion à grande échelle (construction de banquettes en pierre) furent peu satisfaisantes, mais les tassas - qui nétaient pas prévus à lorigine parmi les techniques du PCSE - connurent un immense succès, et leur utilisation continue de sétendre sur des parcelles individuelles, après la clôture du projet.
Les techniques mirent surtout laccent sur la réhabilitation des terres productives et sur la réduction de la variabilité interannuelle des productions, renforçant ainsi la résistance des systèmes agricoles aux risques climatiques. La technique des tassas, en particulier, sétend très rapidement, couvrant 2 à 3 ha de plus par an sur certaines exploitations. Les tassas conviennent particulièrement lorsque la main-duvre familiale est abondante ou quil est possible de recruter de la main-duvre salariée. Le développement des tassas a donné naissance à un réseau de jeunes journaliers qui maîtrisent bien cette technique et qui, plutôt que de migrer, vont de village en village pour répondre à la demande croissante des agriculteurs. Il y a même eu des cas où la terre a été rachetée par des agriculteurs qui avaient compris dès le début le profit quils pourraient tirer de cette technique. On peut considérer que le sous-programme du PCSE dIlléla est une des actions les plus réussies du FIDA en matière de développement de lagriculture pluviale en zone semi-aride et damélioration de la sécurité alimentaire. La disponibilité alimentaire des ménages participant augmenta en moyenne de 20 à 40 pour cent, selon les conditions pluviométriques locales.
Une nouvelle approche: techniques peu coûteuses pouvant être reproduites
A linverse de ce qui sétait fait précédemment, un des principaux objectifs du projet a été lintroduction de techniques de conservation des sols et de leau simples et peu coûteuses, qui pouvaient être aisément maîtrisées par les agriculteurs. Les principaux objectifs du projet étaient de construire des banquettes en pierre sur 2 300 ha en quatre ans et de développer 320 ha avec des demi-lunes. Le projet modifia ses objectifs dès la seconde année. Dix agriculteurs furent envoyés dans la région du Yatenga au Burkina Faso où ils observèrent divers types de techniques de CSE, y compris les trous de semis traditionnels améliorés (zai). Ceux-ci leur rappelèrent une technique traditionnelle (appelée tassa en haoussa) utilisée dans leur propre région, qui avait été plus ou moins abandonnée. Le tassa traditionnel consiste à faire des petits trous à la houe pour casser la croûte superficielle du sol avant le début des pluies. Les améliorations de la technique zai ont consisté à augmenter leur dimension (diamètre de 10 cm à 20-30 cm et profondeur de 5 cm à 10-25 cm) pour recueillir plus deau de pluie et à mettre de la matière organique dans les trous pour améliorer la fertilité du sol. La matière organique attire les termites qui la digère et rendent ainsi ses éléments nutritifs plus facilement assimilables par les plantes. Les termites creusent aussi des galeries qui accroissent linfiltration de leau dans le sol.
A leur retour, les tassas améliorés furent essayés sur 4 ha dans le village de Nadara. Limpact fut spectaculaire. Quelque 70 ha de terre dégradée furent ainsi réhabilités en 1990. Seuls les trous des tassas permirent un rendement correcte au cours de la sécheresse de 1990. Ce fait convainquit les agriculteurs du grand intérêt de cette technique, de sorte quen 1991 ils lutilisèrent sur 450-500 ha et en 1992 sur 1 000 ha de plus. A la fin de 1995, quelque 3 800 ha avaient été ainsi traités dans le seul district dIlléla. Ces chiffres sousestiment les réalisations des agriculteurs car ils ne tiennent compte que des relevés des agents de vulgarisation. Aucun chiffre nest disponible pour les autres districts, cependant des observations de terrain indiquent un nombre croissant dadoptions un peu partout.
Le système de vulgarisation
Le projet a organisé des échanges de visites entre les villages, pour leur permettre de partager leurs expériences et pour former les villageois aux divers aspects des travaux de CSE. Ces échanges de visite sont devenus une des activités essentielles très appréciées des agriculteurs, qui ont eu un impact important sur laccélération de la diffusion des technologies de CSE.
Impact
Le projet financé par le FIDA a mesuré limpact des tassas, des demi-lunes et des contours en banquettes de pierre sur un grand nombre de parcelles de démonstration gérées par les agriculteurs. Une comparaison des différentes techniques de CSE sur les rendements du mil montrent quen année de sécheresse, les demi-lunes ont une performance légèrement supérieure à celles des tassas car les demi-lunes ont une zone de capture de leau plus importante, de sorte que plus deau de ruissellement est disponible pour les plantes. En revanche, lorsque la pluviométrie est bonne, les performances des tassas sont légèrement supérieures à celles des demi-lunes, quand on nutilise que du fumier. Ces résultats montrent que la conservation de leau a, en ellemême, un impact important sur les rendements et que laddition de fumier augmente encore les rendements. La réhabilitation des terres nues dégradées par la technique des tassas est clairement rentable car les agriculteurs et les commerçants achètent de plus en plus de terres dégradées.
Impact sur la sécurité alimentaire: lorsque la pluviométrie est bonne, la plupart des familles du district dIllela produisent des quantités plus ou moins suffisantes de cultures vivrières, toutes les autres années, en particulier les années de faible pluviométrie, ces familles ont de sérieux problèmes alimentaires. Pour satisfaire leurs besoins en céréales, elles sont alors obligées de vendre leur bétail ou de migrer pour gagner de largent. Les familles qui ont investi dans la CSE manquent encore de céréales en année sèche, mais moins quavant. En stockant un peu des surplus dune bonne année, elles pourront satisfaire leurs besoins céréaliers même les années de faible pluviométrie.
Gestion des sols réhabilités: Le maintien en bon état des travaux de conservation et de fertilité des sols est nécessaire pour assurer la durabilité des niveaux de rendements. Une enquête menée en décembre 1998 a montré que les agriculteurs recreusent rarement les trous des tassas chaque année. Ils continuent généralement à utiliser les mêmes trous. Les demi-lunes ont besoin dêtre nettoyées et leurs bordures réparés tous les deux ou trois ans. Lentretien de ces structures nest généralement pas fait de façon régulière, plus particulièrement celui des demi-lunes qui est plus contraignant.
Lélevage étant une composante importante des systèmes de subsistance des régions semi-arides, la plupart des agriculteurs ont suffisamment de fumier. Le transport du fumier jusquaux champs représente la principale contrainte. Seule une minorité dagriculteurs fume chaque année ses tassas. La majorité ne le fait quune année sur deux. Dans les circonstances économiques actuelles, la majorité des agriculteurs du Niger na pas accès aux engrais minéraux dont lusage ne serait, de toute façon, pas rentable sur le mil.
Rôle du travail salarié: La réhabilitation des terres dégradées à laide des tassas représente un investissement considérable en travail. La main-duvre familiale est généralement insuffisante, aussi les agriculteurs doivent-ils embaucher de la main-duvre ou organiser des travaux de groupe traditionnels. Dans plusieurs cas, des jeunes gens se sont organisés eux-mêmes en petits groupes de cinq à dix personnes qui peuvent être embauchés par des agriculteurs pour conduire des activités spécifiques de CSE. De nombreuses familles ont de plus en plus recours au travail salarié. De nombreux analystes pensent que les agriculteurs pauvres en ressources bénéficient particulièrement de ce nouveau marché du travail. Cette nouvelle source de revenu en liquide leur évite de vendre la totalité ou la quasi-totalité de leur bétail en cas de mauvaise récolte ou de devoir migrer.
Apparition dun marché de la terre: Dans le cas du projet dIllela, les agriculteurs ont pu réhabiliter des terres sur lesquelles ils avaient des droits dusage grâce à lutilisation de techniques simples et efficaces de CSE quils pouvaient mettre en oeuvre par eux-mêmes. Cette situation est très différente de celle dautres opérations de CSE où la réhabilitation de grandes parcelles de terre a presque toujours entraîné des conflits fonciers.
Les terres très dégradées du plateau dIlléla sont à nouveau devenues productives et un marché de la terre a vu le jour. Les agriculteurs achètent et vendent les terres dégradées à des prix qui ont considérablement monté entre 1992 et 1994. Lapparition dun marché des terres dégradées montre que les agriculteurs croient que la technique des tassas est un moyen efficace et rentable pour réhabiliter des terres.
Recommandations pour les futures stratégies opérationnelles et actions
Cest lidentification et ladaptation de technologies locales qui ont permis le succès des tassas au Niger. Les agriculteurs décident eux-mêmes dadopter ou non et de reproduire une technique particulière de CSE en fonction de sa facilité de mise en uvre, de son insertion dans le calendrier cultural et, surtout, de son impact immédiat sur la production. En dehors des tassas, dautres mesures, telles que les contours de pierre et les demi-lunes, ont aussi été largement adoptées en Afrique de lOuest. Elles ont été très appréciées par ceux qui étaient intéressés à la réhabilitation des terres dégradées. Elles ont provoqué un ralentissement important de lexode rural car elles offrent des possibilités alléchantes de revenus immédiats et de travail salarié.
Les débuts dun programme stratégique de conservation adapté sont généralement modestes et lents à mettre en uvre. Les gouvernements et les agences de financement doivent savoir quils pourront être amenés à réexaminer le contenu et les budgets des programmes après un certain temps. Il est essentiel de combiner les perspectives à court terme et les vues à long terme sur la façon de continuer à soutenir les accroissements de productivité et la conservation. Dans ce contexte, il semble plus indiqué de développer des «programmes» plutôt que des «projets» pour intégrer convenablement les activités de CSE aux efforts à long terme de développement de la production agricole.
Le projet du Niger montre que lon doit commencer par renforcer les mécanismes didentification et danalyse des technologies et de savoir-faire local. Léquipe du projet doit être encouragée à entreprendre cette espèce «dinventaire». Cela signifie aussi que les agents de vulgarisations devront être formés aux méthodes de diagnostic participatif dans leurs différents domaines. Ladaptation des technologies appropriées implique une étroite coopération entre les agriculteurs et les chercheurs afin de guider ceux-ci dans lajustement et ladaptation locale de principes testés ailleurs.
La plupart du temps, le potentiel de recherche et dinnovation (non seulement pour les pratiques traditionnelles) des agriculteurs eux-mêmes na pas été suffisamment reconnu et exploité. La recherche institutionnelle ayant des moyens trop limités pour répondre à la diversité (et souvent même pour percevoir cette diversité) des besoins en matière dinnovation, seule la mobilisation des capacités de recherche et dexpérimentation des petits agriculteurs peut permettre de répondre à ces besoins.
Il est très important, lorsquune technologie prometteuse a été identifiée et adaptée par les agriculteurs, daider les systèmes locaux capables dassurer sa diffusion dagriculteur à agriculteur. Cette méthode de diffusion est peu coûteuse et produit généralement de très bons résultats; elle crée aussi un réseau informel entre les agriculteurs, pouvant être à lorigine dautres initiatives.
CONCLUSIONS
La gestion locale des sols et de leau est le facteur clé de la transformation de la base écologique et économique des communautés dépendant des ressources naturelles. Ces deux exemples illustrent le besoin de changements fondamentaux des politiques et des stratégies actuelles de la gestion de leau.
Ces deux exemples montrent aussi lutilité et lefficacité de combiner les connaissances et les énergies des individus et des collectivités pour la conservation de leau.
[266] Cet article est une
synthèse détudes de cas préparés par Agarwal
(2001) et Mascaretti (2001). |