J. HardouinInstitut de Médecine Tropicale
Nationalestraat 155
B-2000 Anvers
Belgique
Malgré l'existence d'Instituts de recherche chargés d'effectuer des investigations en matière d'élevage à l'échelle nationale, peu de pays en développement possèdent la documentation et l'expertise nécessaires, les ressources pour lancer des programmes et encadrer les jeunes chercheurs et les moyens pour permettre la publication des résultats obtenus. Le risque existe dès lors d'entreprendre des investigations sur des questions pour lesquelles les réponses existent déjà dans les archives. Une autre approche pour la formation de jeunes chercheurs était nécessaire. Elle vient de trouver son illustration par une collaboration entre une institution nationale d'un pays africain, une université européenne et un centre international de recherche. Cette forme de collaboration triangulaire mérite d'être citée et développée à côté d'autres procédures bilatérales ou internationales déjà établies avec des aides à la recherche locale sans oublier l'appui nécessaire pour la publication et la diffusion des résultats.
In spite of the existence of specialised institutions with responsibility for national livestock research, few developing countries have the necessary documentation and experience for starting research and for training young scientists. There is a risk that research will therefore be undertaken to solve problems to which the solutions are already known. Another method of training young scientists is therefore required. One possible solution has just been demonstrated by collaboration among an African national research organisation, a European university and an international research centre. This tripartite form of collaboration deserves to be recognised and further developed, in addition to already established procedures, to assist national research efforts. Publication and distribution of research results is an important aspect of any collaborative effort.
Les progrès en matière de recherche vent partout la mesure des hommes qui s'y adonnent et des moyens qui leur vent disponibles. L'investissement dans la formation est donc capital et même prioritaire. Un homme bien formé mais dépourvu de moyens importants peut néanmoins faire avancer les connaissances s'il a de l'imagination et de la volonté alors qu'on ne doit rien espérer si les laboratoires ou les bâtiments d'élevage sont luxueux et bien équipés mais qu'on n'y trouve que de têtes vides.
La préparation à la recherche suppose que les candidats possèdent un diplôme de base de niveau universitaire et l'on admet comme hypothèse de travail que cette formation dite de 2ème cycle (licencié, ingénieur agronome, docteur vétérinaire) est adaptée aux besoins. Le jeune diplômé ignore cependant d'habitude ce que représente la recherche. Il est fréquemment engagé un peu par hasard, car il s'est présenté à de nombreux employeurs, a éventuellement participé à plusieurs examens et a probablement fait intervenir l'une ou l'autre pression. Le problème commence à se poser au moment où le candidat chercheur est disponible chez son employeur.
L'expérience acquise à travers divers pays montre que la formation spéciale doit porter sur 2 domaines au moins, à savoir la méthodologie scientifique et la présentation des résultats. L'attitude que le chercheur doit avoir en permanence est tout A fait opposée à celle que l'étudiant a dû adopter dans la plupart des cas au cours de ses études. L'université lui demande d'absorber la matière enseignée et de la restituer lors de l'examen avec le moins possible d'omissions ou de modifications et très souvent sans processus de digestion réelle dont la caractéristique est la transformation en quelque chose de plus utilisable. Après quelques années passées à peu réfléchir mais à enmagasiner beaucoup, le chercheur doit changer totalement d'attitude et rejeter en bloc ce dont il était cependant très fier: son savoir. La recherche est en effet basée sur le doute et l'imagination, deux attitudes totalement négligées voire récusées par les enseignants.
Une telle modification d'attitude sera d'autant plus facilement admise par l'intéressé qu'il devra être confronté à la réalité. Deux années passées à travailler sur le terrain d'une manière concrète, sous la houlette d'un scientifique chevronné, vont par exemple montrer tout ce qui diffère entre un cours de production laitière chez la chèvre et la traite quotidienne 7 j par semaine d'un troupeau mal logé, broûtant un pâturage dégradé, et pour qui la couverture sanitaire disponible n'est pas suffisante. La pratique du terrain est irremplaçable; elle apprend au jeune à relativer les choses.
Il est temps ensuite, lorsque les facultés intellectuelles du chercheur débutant sont encore en phase croissante et dans la lancée de sa formation universitaire, de passer au 3ème cycle. Il semble préférable de sortir l'intéressé de son milieu de travail habituel afin qu'il puisse se consacrer à ses nouvelles préoccupations. Mis sous la guidance d'un promoteur, les exigences de la rigueur scientifique vont peu à peu passer de l'un à l'autre car, en recherche, rien n'est évident qui n'ait été démontré et confirmé. Les événements doivent être décomposés, les variantes doivent être envisagées, les explications doivent être trouvées, les résultats doivent être analysés. Il faut plus de 1 an pour raisonner ainsi de manière spontanée. La meilleure façon pour y parvenir consiste à confier au jeune chercheur un thème de recherche qu'il devra mener lui-même à son terme, avec l'aide de son promoteur qui lui consacrera le temps nécessaire pour toutes les discussions avant, pendant et après les essais.
Il ne suffit cependant pas de chercher et peut-être de trouver. Il faut aussi communiquer ses résultats. A ce propos, il ne faudrait pas avoir peur de faire connaître des résultats négatifs qui restent trop souvent cachés. Du strict intérêt scientifique, un résultat négatif a autant de valeur qu'un résultat positif, et la même conclusion peut être tirée du point de vue économique pour éviter de s'engager à répétition dans les mêmes impasses. Il faut donc préparer à la rédaction. La carrière d'un scientifique se mesure, à tort ou à raison, en fonction de ses publications. Pas plus ici que pour le reste, le débutant n'a été instruit sur la manière de rédiger un article, ce qui est tout à fait différent de rédiger un rapport et même de rédiger un mémoire ou une thèse. Les chercheurs confirmés savent qu'il est plus difficile de préparer un papier de 4 pages que de 20 pages.
A ce stade il faut regretter une très mauvaise maîtrise de la langue écrite, française ou anglaise, chez les jeunes chercheurs. C'est sans doute l'enseignement secondaire, voire primaire, qui est en cause. Ceci est grave car des erreurs de compréhension ou de rédaction sont fréquemment dues à des erreurs dans le sens attribué aux mots. Dans la très grande majorité des premiers articles soumis par les jeunes scientifiques, le texte mélange allègrement des informations scientifiques, des réflexions philosophiques, des formules dithyrambiques ampoulées, et des références bibliographiques limitées aux travaux ou mémoires de fin d'études de l'auteur et de ses collègues. Dans les meilleurs cas on trouve des citations antérieures à l'indépendance du pays ou au départ de l'institution scientifique de l'époque coloniale. Il s'agit là d'une confirmation supplémentaire de l'impérieux besoin d'une diffusion de l'information scientifique et technique.
Le débat entre recherche fondamentale et recherche appliquée se poursuit depuis des décades en Europe mais il n'est pas de mise dans notre contexte, où il faut répondre à des besoins. Il appartient au chercheur d'identifier des thèmes porteurs d'amélioration et de soumettre des protocoles d'investigation à ses instances compétentes. Les chercheurs de haut rang et les directeurs d'institutions se doivent de voir plus loin et identifier dès à présent les problèmes qui se présenteront dans quelques années, pour lancer les expérimentations afin de disposer des premières réponses au moment opportun. Mais il faut être réaliste et éviter des sujets de recherche apparemment intéressants mais où l'expérience étrangère montre que la réponse définitive n'est jamais atteinte. C'est le cas des croisements où les possibilités étant immenses (diverses races étrangères avec les races locales ou entre elles, absorption, back-cross, retrempe, ...), on n'aura jamais fini et il y aura toujours quelqu'un qui voudra ajouter une nouvelle variante. Il en est de même pour des études d'héritabilité bovine, où les délais de réponse sont tels qu'il faut 3 générations bovines: les chercheurs auront été mutés 5 fois ou seront morts avant les derniers résultats.
Une possibilité intéressante pour résoudre le problème de la formation adéquate de jeunes chercheurs réside manifestement dans la collaboration entre des institutions de recherche du Tiers-Monde et d'autres des pays industrialisés, à condition que ces dernières connaissent parfaitement la réalité des problèmes dans les pays en développement. Faire entreprendre une recherche] sur les moisissures liées à l'ensilage de la pulpe de betteraves sucrières par un jeune Gabonais peut apporter de nouvelles données scientifiques qui seront intéressantes pour le pays d'accueil mais pas pour le candidat ni pour son pays d'origine. Il faut aussi que l'institution d'accueil mette en rapport le nombre de candidats qu'il accepte avec ce que son personnel peut effectuer. Recevoir par exemple 40 personnes, quand on est une dizaine de scientifiques déjà engagés dans d'autres recherches, ne peut que conduire à des désillusions. La responsabilité des décideurs est donc grande dans le choix de formation.
Dans cet ordre d'idées, un exemple a été récemment vécu par l'Institut des Recherches Zootechniques du Cameroun d'où 3 candidats étaient envoyés pour obtenir un Master of Science après des recherches sur des petits ruminants à l'Institut de Médecine Tropicale d'Anvers. A cette époque, un seul pouvait être encadré convenablement. Les discussions ont cependant permis de mettre au point une formule qui s'est révélée très efficace à l'usage, à savoir l'envoi de 2 candidats dans une station du Centre International pour l'Elevage en Afrique au Mali après qu'un protocole expérimental ait été mis au point de commun accord entre le promoteur d'Anvers, un promoteur-délégué au Mali et le candidat. Les sujets de recherche se sont intégrés dans les programmes généraux du CIPEA et un excellent travail a été réalisé, entraînant des appréciations extrêmement flatteuses de la part des membres externes du jury qui a délivré les diplômes aux intéressés avec des mentions élogieuses.
D'autres formes existent évidemment, tant bilatérales qu'internationales. On n'oubliera pas non plus qu'une partie du travail peut souvent être effectuée sur le terrain dans les pays d'origine du candidat et qu'une aide matérielle extérieure comme celle de la Fondation Internationale pour la Science est particulièrement appréciée et efficace. Des contacts suivis avec un promoteur étranger, qui devra venir au moins une fois sur place, garantiront la bonne marche des travaux qui, dans notre cas, se termineraient à l'IMTA pour la partie rédactionnelle, les ressources bibliographiques indispensables, l'interprétation des résultats et la défense publique des travaux.
Cette expérience positive mérite d'être poursuivie. La collaboration scientifique établie de longue date entre l'IRZ et l'IMTA a trouvé une nouvelle dimension triangulaire à laquelle d'autres pays ou institutions concernés par l'élevage tropical pourraient participer, pour le plus grand bénéfice des générations nouvelles de chercheurs sur qui reposera demain l'avenir de la recherche animale.