O.A. Idriss, K. Bidjeh, K. Ganda, a. Diguimbayeet
Y. Maurice
Laboratoire de Farcha
B.P. 433
N'Djaména
Tchad
Resume
Summary
Introduction
Matériels et méthodes
Résultats
Discussions
Conclusions
Remerciements
Références
Bien que la peste des petits ruminants soit largement répandue en Afrique, son identification n'a jamais été prouvée au Tchad. Cette étude réalisée sur de jeunes ovins et caprins de races locales montre que les caprins Kirdimi sont plus sensibles que les caprins du Sahel. Cette différence de sensibilité n'a pu être mise en évidence chez les ovins. Il a été également constaté que les moutons de race Sahel paraissent plus sensibles que les chèvres de race Sahel.
Although peste des petits ruminants is widespread in Africa, its identification has never been confirmed in Chad. This study, carried out on young local goats and sheep, shows that Kirdimi goats are more susceptible to the disease than Sahel goats. Sahel sheep, however, are more affected by PPR than Sahel goats.
La peste des petits ruminants (PPR) est une maladie infectieuse, inoculable et contagieuse qui affecte les chèvres et les moutons. Elle est due à un paramyxovirus proche sur le plan antigénique au virus de la peste bovine (PB). Le virus de la PPR est distinct de celui de la PB bien que partageant avec ce dernier une morphologie générale et des antigènes communs. La présence de la PPR est reconnue dans plusieurs pays d'Afrique, non seulement de l'ouest mais aussi du centre. La PPR était décrite en 1940 en Côte d'Ivoire (Gargadennec et Lalanne, 1942) puis au Bénin (Dahomey, 1941) chez les chèvres naines. Signalée pour la première fois au Sénégal pendant les années 50 (Mornet et al, 1956), elle est signalée 10 ans plus tard au Nigéria (Whitney et al, 1967) sous le nom local de "Kata".
Au Tchad un tentatif a été fait en 1974 afin d'isoler le virus de la PPR à partir des poumons des chèvres mortes de pneumonie et également de reproduire expérimentalement la maladie sur les ovins et les caprins Sahéliens (Tchad, 1974). Les tentatives de reproduction se sont soldées par des échecs.
Le présent travail essaie de comparer la sensibilité des différentes races locales en se basant surtout sur les symptômes cliniques et les résultats postmortem après reproduction expérimentale de la PPR et en étudiant statistiquement les différences observées.
Les animaux ont été achetés sur les 4 marchés de N'Djaména, Amdourman, Maïlot et Mandalia pour avoir des animaux de provenances différentes. Ils sont âgés de 7 mois à 18 mois car ces animaux sont censés être le plus sensible au virus (Benazet, 1973; Bourdin, 1976). Pendant la période de quarantaine de 45 j. 22 animaux sont morts. Pendant cette période les animaux ont été traités aux antibiotiques et déparasités. La séronégativité au virus de la peste bovine a été reconfirmée au démarrage de l'expérience sur les animaux à tester.
Des étables différentes indépendantes sont utilisées pour cette expérience, chacune d'elles abritant une race de mouton ou de chèvre. Dans chaque étable des box cloisonnés permettent de séparer les lots inoculés par voie souscutanée, intraveineuse ou intranasale. Chaque lot avait ses témoins contact correspondants (tableau 1). La répartition des animaux a été faite au hasard pour la constitution des lots, une fois séparées espèces et races. Les conditions d'abreuvement, d'alimentation et d'entretien ont été identiques pour tous les lots.
Préalablement au démarrage de l'expérience, l'absence d'anticorps neutralisant et l'absence d'hyperphermie pendant les 5 j précédant l'inoculation ont été vérifiées. Les animaux ont été gardés en observation pendant 2 mois, leurs températures relevées tous les jours et les symptômes notés au fur et à mesure de leur apparition, de même pour les lésions au moment du postmortem.
Tableau 1. Dispositif expérimental des petits ruminants au Tchad.
|
Etable |
Lot |
Espèce/race |
Voie d'inoculation |
Nombre d'animaux |
|
1
|
1 |
Caprine/Kirdimi
|
Souscutanée |
|
|
2 |
Intraveineuse |
4 inoculés |
||
|
3 |
Intranasale |
2 témoins |
||
|
2
|
4 |
Caprine/Sahélienne
|
Souscutanée |
|
|
5 |
Intraveineuse |
4 inoculés |
||
|
6 |
Intranasale |
2 témoins |
||
|
3
|
7 |
Ovine/Sahélienne
|
Souscutanée |
|
|
8 |
Intraveineuse |
3 inoculés |
||
|
9 |
Intranasale |
2 témoins |
||
|
4
|
10 |
Ovine/Kirdimi
|
Souscutanée |
|
|
11 |
Intraveineuse |
3 inoculés |
||
|
12 |
Intranasale |
2 témoins |
Le virus d'inoculation utilisé correspond à la souche PPR 75/2 VERO 10, origine IEMVT. Cette souche a subi 5 passages sur cellules de reins du mouton avant d'être utilisée. Son titre était de 104 DI 50/ml. Les animaux ont reçu 10 ml pour les voies souscutanée et intraveineuse et 6 ml pour la voie intranasale.
Avant le début de l'expérience et 1 mois après, l'analyse sérologique a été faite suivant la technique classique de séroneutralisation en tubes sur cellules rénales d'embryon de veau au 2ème passage, le virus utilisé étant la souche vaccinale RPKO du 99ème passage titrant 103 DI 50/ml. Les sérums sont dilués au 1/10 et décomplémentés au bain-marie à 56°C pendant 30 min. Le mélange sérum-virus (à partie égale) est placé à l'étuve pendant 1 h et ensuite inoculé à des tubes ayant un tapis cellulaire complet et vidés de leur milieu (0,2 ml par tube). Il est utilisé 5 tubes par sérum analysé. Chaque série de tubes comprend 5 tubes pour le témoin virus et 5 tubes pour le témoin cellules. Les tubes sont placés sur tambour roulant à 37°C pendant 1 h avant le rajout du milieu de culture. Les lectures ont été faites quotidiennement jusqu'au 10ème jour (Gilbert et Monnier, 1962; Laurent, 1988).
Les organes prélevés (ganglions, rate, poumons) sur 18 animaux ont été testés par la réaction d'immunodiffusion en milieu gélifié. La formule de gelose utilisée est: PBS (contenant merthiolate 0,2%), 100 ml; Agar noble, 1 g; pH, 7,4. L'antisérum est un sérum fabriqué sur lapin.
Signes cliniques et mortalités
Caprins Kirdimi. Le temps d'incubation du virus est très court (3-6 j) chez les animaux inoculés. Les signes caractéristiques de la PPR ont été observés tout au long de cette expérience. La température monte rapidement de 39,8°C à 41,3°C et l'état fiévreux persiste chez l'animal pendant quelques jours. Il est suivi d'écoulements nasaux, d'abord séreux puis mucopurulents. Il y a présence de stomatite ulcéreuse nécrotique chez certains animaux, larmoiement unilatéral ou bilatéral, diarrhée profuse et parfois sanglante apparaissant généralement 4-5 j après le début de la fièvre, amaigrissement et accélération des mouvements respiratoires. Sur 18 chèvres Kirdimi inoculées et témoins, 16 (88,8%) ont fait la maladie dont 14 (77,7%) sont mortes par la suite.
Caprins Sahéliens. La réaction thermique n'a été observée que chez 3 animaux. Les chèvres du Sahel n'ont pas présenté les symptômes cliniques caractéristiques de la PPR. Sur 18 chèvres, 9 ont présenté au moins un signe clinique parmi lesquelles 5 sont mortes suite à la maladie. D'une façon générale, la symptomatologie observée chez ces animaux a été beaucoup plus atténuée que celle observée chez les chèvres Kirdimi. Il semble bien exister une différence de sensibilité entre les 2 races caprines.
Ovins Kirdimi. La réaction thermique a été observée chez 11 des 15 animaux avec chez certains des signes cliniques caractéristiques de la PPR et 7 animaux sont morts.
Ovins Sahéliens. Sur 15 animaux utilisés, 12 ont présenté une élévation de la température parmi lesquels 4 sont morts
Animaux de contact. Sur 24 animaux témoin contact, 17 ont réagi positivement et 11 sont morts.
Lésions
Appareil digestif. Les lésions de la muqueuse buccale se localisent particulièrement sur la langue, la face interne des lèvres, les gencives et le palais. On note également la présence d'érosions ulcériques au niveau de l'oesophage chez les chèvres Kirdimi L'intestin apparait rouge violacé. Les ganglions mésentériques sont hypertrophiés, quelquefois noirs et de consistance molle. La muqueuse intestinale est fortement congestionnée et parfois pétéchiale.
Appareil respiratoire. En plus d'une rhinite et d'un laryngite séreuse ou muqueuse, on observe souvent un ou plusieurs foyers d'hépatisation rouge, rarement grise, à l'extrémité des lobes apicaux et cardiaques. Les ganglions lymphatiques trachéo-bronchiques et médiastinaux sont hypertrophiés et quelque fois noirs Souvent la trachée est recouverte de mucosités. De la masse pulmonaire s'échappe une sorte de mousse. Les poumons sont congestionnés.
Influence de la voie d'inoculation sur la transmission de la maladie
Le tableau 2 montre les résultats obtenus chez les différentes races de moutons et chèvres compte tenu de la voie d'inoculation utilisée. La transmission de la PPR chez les différentes races ne pose pas de problème quelque soit la voie utilisée. Toutes races et espèces confondues, les pourcentages de succès sont 71,4 pour la voie souscutanée, 64,3 pour la voie intraveineuse et 85,7 pour la voie intranasale.
Résultats sérologiques
Les sérums récoltés 1 mois après l'inoculation chez les animaux survivants et analysés avec les sérums de l'enquête sérologique petits ruminants ont montré une séroconversion au 1/10 contre le virus de la peste bovine.
Tableau 2. Influence de la voie d'inoculation sur la transmission de la peste des petits ruminants au Tchad.
|
Espèce |
Race |
Voie d'inoculation¹) |
||
|
Souscutanée |
Intraveineuse |
Intranasale |
||
|
Ovine |
Kirdimi |
2/3 |
2/3 |
2/3 |
|
Sahel |
23/3 |
/3 |
3/3 |
|
|
Caprine |
Kirdimi |
3/4 |
4/4 |
3/4 |
|
Sahel |
2/4 |
1/4 |
4/4 |
|
Note: 1. Le premier chiffre donne le nombre d'animaux ayant réagi positivement et le second le nombre d'animaux inoculés dans le groupe.
Immunodiffusion
Les résultats correspondant aux précipitations en gelose effectuées à partir des organes prélevés sur 14 animaux morts sont reportés dans le tableau 3. On peut constater que de 7 broyats de ganglions lymphatiques qui ont donné des résultats positifs, 6 correspondent à des animaux morts en état d'hyperchermie et que rates et poumons correspondent à 3 animaux dont les ganglions sont positifs se montrent négatifs.
Il est évident, compte tenu de la disposition des lots dans les étables, qu'il ne peut être fait de comparaison morbidité/inoculation et les effectifs engagés ne le permettent pas. La puissance du test devrait être augmentée en utilisant un plus grand nombre d'animaux et en les disposant de façon adéquate. Par contre, chaque étable indépendante abritant une seule race d'ovins ou caprins, il est possible de comparer les résultats morbidité étable/étable toutes voies d'inoculation confondues, les témoins contact correspondants, de même race et exposés au même risque peuvent être inclus dans les effectifs pour l'étude sensibilité.
Tableau 3. Résultats de la réaction d'immunodiffusion en gelose de la peste des petits ruminants au Tchad.
|
Température la veille de la mort (°C) |
Mortalité (jours post- inoculation) |
Broyats d'organes |
Immunodiffusion |
Début de la fièvre (j) |
|
39,8 |
7 |
Ganglions |
+ |
3 |
|
39,7 |
10 |
Ganglions |
+ |
3 |
|
38,0 |
8 |
Ganglions |
+ |
4 |
|
40,8 |
8 |
Ganglions |
+ |
4 |
|
40,8 |
14 |
Ganglions |
+ |
3 |
|
41,0 |
8 |
Ganglions |
+ |
3 |
|
41,1 |
8 |
Ganglions |
+ |
3 |
|
38,9 |
3 |
Ganglions |
- |
- |
|
36,9 |
14 |
Ganglions |
- |
6 |
|
40,3 |
16 |
Ganglions, râte poumons |
- |
14 |
|
38,1 |
15 |
Ganglions |
- |
13 |
|
38,6 |
9 |
Ganglions |
- |
3 |
|
36,9 |
11 |
Râte, poumons, ganglions |
- |
3 |
|
37,4 |
11 |
Râte, poumons ganglions |
- |
4 |
|
- |
- |
Râte, poumons |
- |
- |
|
- |
- |
Râte, poumons |
- |
- |
|
- |
- |
Râte |
- |
- |
|
- |
- |
Râte, poumons |
- |
- |
On peut mettre en évidence une différence significative de sensibilité entre la race caprine Kirdimi et la race caprine Sahel. Cette différence évidente au seul vu des résultats cliniques est confirmée par l'étude statistique, lorsqu'on s'adresse aux effectifs de 24 animaux et de 36 animaux chez lesquels l'inoculation a été faite respectivement par voie intraveineuse et intranasale d'une part et par voie souscutanée, intraveineuse et intranasale d'autre part.
Pour l'effectif correspondant aux voies intranasale, intraveineuse et témoins contact correspondants (24 animaux), le x² corrigé 4,68 (d.d.l. = 1, P < 0,05). Pour l'effectif correspondant à voie souscutanée, intraveineuse et intranasale avec les témoins contact correspondants (36 animaux) le x² 6,44 (d.d.l. 1, P < 0,05). Par contre, la différence de sensibilité race Kirdimi/race Sahel n'a pas pu être mise en évidence chez les ovins.
L'étude statistique effectuée pour comparer les différences de sensibilité de mouton Sahel/chèvre Kirdimi et mouton Kirdimi/chèvre Sahel ne montre pas de différence significative. Par contre, la comparaison mouton Sahel/chèvre Sahel est intéressante puisque l'on peut constater en tenant compte des effectifs animaux inoculés souscutanés, intraveineux, intranasals et leurs témoins contact correspondants 233 animaux) que la différence est significative (X² - 4,95, d.d.l. - 1, P < 0,05). Le mouton Sahel parait plus sensible à la PPR que la chèvre Sahel.
Les races locales ovines et caprines sont réceptives au virus de la PPR. La transmission par contact semble facile tout au moins dans le contact étroit de notre expérience. Les observations cliniques et postmortem décrites sont analogues à celles observées par d'autres auteurs (Gargadennec et Lalanne, 1942; Whitney et al, 1967; Benazet, 1973; Lefèvre, 1982). Ces résultats confirment la constatation que les chèvres naines sont nettement plus sensibles à la PPR que les chèvres du Sahel (Bourdin, 1973; Benazet, 1973; Nduaka et Ihemelandu, 1973). Le mouton de race Sahélienne parait plus sensible à la PPR que la chèvre du Sahel. Le test n'a pas été suffisamment puissant pour déceler d'autres différences. Un nombre plus grand d'animaux est nécessaire pour poursuivre l'étude comparée. Une connaissance plus précise de ces données serait utile s'il y avait à donner une priorité géographique à une campagne de vaccination. Le fait que la chèvre Kirdimi soit beaucoup plus sensible que la chèvre Sahel en fait l'animal de choix pour des études expérimentales plus spécifiques.
Ce travail a été réalisé avec l'appui de la Fondation Internationale pour la Science.
Benazet B. 1973. La peste des petits ruminants: Etude expérimentale de la vaccination. Thèse DMV. Ecole National Vétérinaire de Toulouse, Toulouse, France.
Bourdin P. 1973. La peste des petits ruminants et sa prophylaxie au Sénégal et en Afrique de l'Ouest. Revue d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux 26: 71-74.
Bourdin P. 1976. La peste des petits ruminants au Sénégal - Données nouvelles. Revue d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux 29: 199-204.
Dahomey 1941. s. Service de l'Elevage, Cotonou, Dahomey.
Gargadennec L et Lalanne A. 1942. La peste des petits ruminants. Bulletin des Services Zootechniques et des Epizooties de l'Afrique Occidentale Française 5: 16-21.
Gilbert Y et Monnier J. 1962. Adaptation du virus de la peste des petits ruminants aux culture cellulaires - Note préliminaire. Revue d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux 15: 321-335.
Laurent A. 1968. Aspects biologiques de la multiplication du virus de la peste des petits ruminants ou PPR sur les cultures cellulaires. Revue d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux 21: 297-308.
Lefèvre P C. 1982. Peste des petits ruminants et infection bovipestique des ovins et caprins. Monographie. Institut d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux, Maisons Alfort, France.
Mornet P. Orve J et Gilbert Y. 1956. La peste des petits ruminants en Afrique occidentale française - Ses rapports avec la peste bovine. Comptes Rendus de l'Académie des Sciences 1242: 2886-2889.
Nduaka O et Ihemelandu E C. 1973. Observations on the "Pneumonia-enteritis complex" in dwarf goats in the eastern states of Nigeria. Preliminary report. Bulletin of Epizootic Diseases in Africa 21: 87-98.
Tchad 1974. Rapport annuel. Laboratoire de Farcha, Ndjaména, Tchad.
Whitney J C, Scott G R et Hill D H. 1967. Preliminary observations on a stomatitis and enteritis of goats in southern Nigeria. Bulletin of Epizootic Diseases in Africa 15: 31-41.