par
Alioune Fall et Fadel Ndiamé
Chercheurs, Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA), Djibélor, Sénégal
Résumé
L'agriculture constitue l'activité principale de 51% des forgerons de la Basse Casamance. Seulement 7% d'entre eux ont reçu une formation spécifique, la transmission lignagère étant la méthode d'apprentissage la plus courante. Les ateliers sont en général très mal équipés, avec une forte demande en marteaux, soufflets, scies et enclumes. Les manières premières les plus utilisées sont les lames d'amortisseurs de camions, les fers de construction, et autres matériaux de récupération.
Trois types de forgerons apparaissent: les fabricants d'outils manuels (59%), les forgerons orientés vers la culture attelée (35%), et les forgerons capables de réparations complexes. 2% des forgerons recensés pouvaient faire une soudure. Le mode de facturation est en grande partie fonction du type de client.
L'avenir semble dépendre de la constitution d'un réseau opérationnel qui permettrait aux forgerons de devenir des membres à part entière des circuits de maintenance et d'autres organisations afférentes d la culture attelée. Un tel réseau contribuerait à améliorer la relation usine-forge et les relations commerciales nécessaires à l'approvisionnement en matières premières et en pièces détachées, ainsi qu'à la modification des équipements. Une formation adaptée aux besoins locaux et aux catégories de forgerons élèverait le niveau technique général, donnant aux forgerons un potentiel de gains financiers réels sur un marché structuré par le réseau.
Introduction
La Basse Casamance (région administrative de Ziguinchor), au sud du Sénégal, couvre une superficie de 7.300 km2. Deux grands systèmes de production prédominent (Equipe Systèmes, 1984). Le système diola dit "originel" est caractérisé par une division sexuelle du travail selon le type des opérations culturales. Les hommes s'occupent de la préparation du sol sur l'ensemble de la toposéquence, alors que les femmes exécutent les travaux physiquement moins exigeants (repiquage, semis sur les parcelles du plateau, entretien des cultures, etc.). L'outil manuel le plus caractéristique de ce système est le kayendo, utilisé par les hommes pour le billonnage, aussi bien sur le plateau que dans les rizières, et pour le déterrage de l'arachide. Dans les zones diola où la culture attelée est pratiquée, le matériel agricole est uniquement utilisé par les hommes sur les parcelles du plateau.
Le système mandingue dit "diola mandinguisé" est pratiqué dans les zones frontalières avec la Moyenne Casamance et la Gambie.
Carte 1: Le Sénégal et la position de l'agrandissement de la Basse Casamance en Carte 2
Carte 2: La Basse Casamance, ses situations agricoles et les zones en fonction du niveau d'équipement des exploitations. (Source: après rapports d'Equipe Systèmes de Djibelor, 1984/85)
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Zones du niveau d'équipement |
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A |
Zone à forte pénétration de la traction animale. La charrue est le matériel du culture attelée dominant (système de culture mandingue). |
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B |
Zone de pénétration moyenne de la traction animale. Le butteur-billonneur est le matériel du culture attelée dominant (système Diola). |
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C |
Zone présentant un fort potentiel pour l'implantation et le développement de la culture attelée (système Diola et Mandingue). |
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D |
La culture attelée existe dans les villages fondées par les immigrés. Des technologies alternatives doivent être envisagées (système Diola). |
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Zones des situations agricoles |
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1 |
Organisation sociale type Diola: riz repiqué dominant; pas de traction bovine. |
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2 |
Organisation sociale type Diola: riz repiqué, semis direct et céréals importants; pas de traction bovine. |
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3 |
Organisation sociale type Mandingue dominante: semis direct et céréals importants; peu de traction bovine. |
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4 |
Organisation sociale type Mandingue: semis direct et céréreals dominants; bien équipée en traction bovine. |
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5 |
Organisation sociale type Diola dominant: riz repiqué, semis direct et céréals importants; moyennement équipée en traction bovine. |
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Légende |
a) Banjikaki; b) Toukara; c) Talloum; d) Suel; e)Médieg; f) Tendimane; g) Martounda; h) Boulandor; i) Bemet; j) Ouonk; k) Loudia Ouolof; l) Boukitingo; m) Kabroussen; n) Maoua. |
Ce système de culture est caractérisé par une division sexuelle du travail par type de cultures: les hommes cultivent les terres de plateau alors que les femmes s'occupent des rizières. Les outils manuels utilisés sont tous d'origine mandingue: le donkotong (sorte de daba) exclusivement utilisé par les hommes pour le billonnage sur le plateau; le konkudu pour le semis de l'arachide utilisé par les hommes; et le fanting utilisé exclusivement par les femmes pour la préparation du sol des rizières. La culture attelée est très pratiquée dans ce système de culture. Toutefois, les hommes en sont les seuls utilisateurs. Les cultures de plateau (arachide, mil, mais, sorgho) dominent dans les divers assolements, à l'exception de la partie sud-est (département de Oussouye) où la riziculture prédomine. La culture attelée est assez pratiquée dans les zones où la culture de l'arachide couvre de grandes superficies (département de Bignona).
Malgré la conjoncture économique actuelle de l'agriculture en Casamance, marquée par un arrêt des différents crédits pour le matériel de traction animale, Programme Agricole (PA) et Projet Intégré de Développement de la Basse Casamance (PIDAC), et par le démarrage des activités de la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA), un certain nombre de paysans de la région persévèrent dans l'utilisation des équipements de culture attelée. En effet, certains équipements acquis depuis une quinzaine d'années sont préservés pour les avantages directs qu'ils procurent: meilleur respect du calendrier cultural, allègement du travail, etc.
Les inventaires effectués et les suivis des opérations mécanisées menés sur les différentes parcelles ont montré que les équipements agricoles connaissent des taux d'utilisation très élevés (Fall, 1988). Une partie importante de ces équipements se trouve en très mauvais état et devrait être réformée.
En effet, dans les conditions actuelles d'utilisation, les durées de vie réelle des matériels les plus utilisés sont les suivantes:
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charrue UCF: |
8 ans. |
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bâti Arara: |
10 ans. |
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charrette: |
10 ans. |
Dans l'ensemble, les paysans ne connaissent pas bien leurs équipements. Ils ignorent l'importance des différentes pièces d'usure et les principaux réglages à effectuer pour réaliser un travail correct. Ils sacrifient souvent la qualité du travail à la rapidité d'exécution de l'opération. Le parc connaît de sérieux problèmes de maintenance. Les paysans s'adressent généralement aux forgerons villageois pour les réparations. L'objectif de ce document est de diagnostiquer les problèmes de maintenance quotidiens des paysans et des forgerons.
Ce document se base sur une enquête menée en 1987 auprès de 85 forgerons répartis sur une soixantaine de villages de la région, et subdivisée en trois thèmes principaux:
· profil et itinéraires des forgerons;
· facteurs et moyens de production utilisés;
· activités de forge.
Environnement de la forge
Profil des forgerons
Les activités de forge sont assez développées au nord du fleuve Casamance, dans le département de Bignona qui regroupe 73% des forgerons de la Basse Casamance. La forge n'est pas une activité exercée à plein temps, même si elle est une tradition familiale pour 80% des forgerons. 83% d'entre eux sont aussi des agriculteurs, la forge seule ne suffisant pas aux besoins alimentaires des familles. 51% des forgerons enquêtés sont avant tout des agriculteurs a ors que pour 47% d'entre eux, l'agriculture reste une activité secondaire. C'est uniquement dans la zone A que la forge est une activité prédominante (64% des forgerons).
La transmission lignagère est le mode d'apprentissage le plus courant dans la région (93% des cas), confirmant l'importance de l'appartenance à une famille de forgerons pour la pratique de cette activité. Ainsi la majorité des forgerons (72%) a appris à forger entre 5 et 15 ans. Ils sont généralement des fils du terroir (61%) dont une faible proportion a suivi une formation complémentaire. Divers facteurs font obstacle à une formation normalisée: raisons de famille (54%), santé, isolement, problèmes de famille non explicités, et âge du forgeron (33%). En effet, 65% des forgerons recensés ont plus de 45 ans. Dans ces conditions, le recours aux petits apprentis est assez fréquent, mais pas systématique. Le volume et la complexité du travail, la scolarisation entre 5 et 15 ans (40% des réponses) sont autant de raisons qui expliquent que plus de la moitié des forgerons (58%) n'ont pas d'apprentis.
Un peu plus de 7% des forgerons rencontrés ont suivi une formation complémentaire, dont la durée n'excède pas six semaines, ou une formation spécifique d'une ou deux semaines portant sur un sujet très précis, comme la fabrication de pompes manuelles. Le CPA (Centre de Perfectionnement Artisanal) de Sédhioudes et l'association Environnement et Développement dans le Tiers Monde (ENDA) ont assuré 70% de ces formations, suivis par la SISCOMA (10%). La maintenance du matériel de traction animale a occupé une place très modeste lors de ces séances, puisque 35% seulement des forgerons formés déclarent avoir reçu un exposé à ce sujet. Les autres centres de formation de la région incluent le village artisanal de Niankitt et le centre de Guérina, dans le département de Bignona. Ces deux centres ont été créés grâce au financement apporté par le Bureau International du Travail (BIT). Celui de Guérina est davantage orienté vers l'utilisation du matériel de culture attelée. Des études antérieures ont mis en évidence une corrélation positive entre le niveau de formation des forgerons dans ces différents centres et leur départ vers les centres urbains. En général, les forgerons qui ont reçu une formation de haut niveau ne s'installent pas dans leur village d'origine (Fall, 1985).
Niveaux d'équipement et de compétences
L'inventaire des outils de forge montre que les forgerons de la Basse Casamance, indépendamment de leur catégorie, sont très ma équipés. Les outils de travail sont dans l'ensemble peu performants, bien qu'ils soient en assez bon état. Les outils les plus utilisés sont fabriqués par les forgerons. Seuls les outils tels que les clés de mécanicien, les limes et les tournevis sont achetés localement. L'inventaire a permis de classer les outils par ordre d'importance: les enclumes se classent en tête (53%). Viennent ensuite les marteaux de forge (20%), les soufflets de forge (16%, locaux ou importés), les aplatissoirs, les burins, les pinces de forge fabriquées par les forgerons, les limes, etc.
Cet ordre de priorité est révélateur d'une demande en outils de travail plus performants. En effet, le recensement des besoins en outils de forge indique à peu près le même ordre d'importance.
Ainsi pour réaliser correctement les travaux les plus courants, les forgerons ne cherchent pas à acquérir tous les types d'outils de forge. La liste des outils demandés est brève: 78 à 100% des forgerons souhaiteraient avoir jusqu'à cinq nouveaux outils a ors que 14% seulement demandent jusqu'à dix nouveaux outils. Les outils les plus demandés sont les marteaux (27%), les soufflets de forge (25%), les scies à métaux (8%) et les enclumes (8%).
Matières premières et acquisition
Les matières premières les plus utilisées sont les lames d'amortisseurs de camions. Elles servent essentiellement à la fabrication des lames d'outils manuels et des pièces travaillantes des équipements de culture attelée. Elles représentent au moins 43% du volume des matériaux utilisés.
Ces matériaux sont achetés au comptant auprès des mécaniciens des grandes villes comme Bignona et Ziguinchor ou en Gambie. Le prix est souvent fixé, après discussion avec le fournisseur, en fonction du nombre et de la longueur des lames. L'estimation du prix au kilogramme faite par les forgerons avoisine 1.800 FCFA kg-l.
Tableau l: Fréquence des pannes du matériel de traction animal en Basse Casamance
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Pannes |
Matériels |
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Charrue |
Butteur |
Semoir Super Eco |
Houe Sine |
Charrette |
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1. Usure de pièces travaillantes |
xxx |
xxx |
xx |
xxx |
x |
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2. Pertes de pièces démontables |
x |
x |
xx |
xx |
xxx |
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3. Problèmes de roue |
xx |
xx |
- |
xx |
xxx |
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4. Casse de pièces diverses |
- |
xx |
x |
x |
xx |
x = fréquente; xx = très fréquente; xxx = trop fréquente
Source: Fall, 1988
Fer de construction
Les fers de construction les plus utilisés sont les profilés et les fers à béton. Ces fers sont acquis auprès des commerçants (58%) ou par ramassage (28%). Dans les grandes villes (Bignona, Ziguinchor), l'achat se fait en général au comptant et souvent en fonction de la longueur et des dimensions. Le prix moyen pour le fer à béton de 6 mm avoisine 160 FCFA m-1.
Matériaux divers
D'autres matériaux utilisés sont souvent des chutes de menuiserie métallique, des pièces récupérées sur des carcasses de voitures ou ramassées au hazard. Ce dernier mode d'acquisition est généralement pratiqué par les forgerons qui font de petites réparations sur les équipements domestiques et de jardinage.
Il faut surtout noter le caractère important du flux monétaire dans les modes d'acquisition des différentes matières premières. Les forgerons peuvent ainsi acquérir de la matière de bonne qualité lorsqu'elle est disponible sur le marché local. En effet, aucun des forgerons rencontrés n'a critiqué la qualité intrinsèque de cette matière.
La majorité des forgerons s'approvisionne à Bignona, soit 46% du volume des ventes, suivi de Ziguinchor avec 31%. Cette différence est principalement liée aux facteurs d'implantation et de développement de la culture attelée (taux et niveau d'équipement des exploitations) dans le département de Bignona.
Activités de la forge
Types de réparations
Suivant la distribution géographique du matériel de traction animale, les forgerons se sont spécialisés (voir Tableau 1).
Changement des socs de charrue
C'est la pièce travaillante la plus fréquemment usée sur les corps de charrues (UCF ou Arara). Elle est victime des parcelles à haute densité de souches. Dans les conditions d'utilisation actuelle des charrues dans la zone A (72% des changements), le rythme de changement souhaitable peut aller jusqu'à un soc par campagne agricole.
Changement du contre-sep et/ou du talon
Protégeant les corps de charrues, le contre-sep est une pièce à taux d'usure très élevé, mais elle est aussi parmi celles qui sont le moins souvent remplacées. Ce manquement est dans une large mesure responsable des taux élevés de charrues à réformer signalés dans la littérature. C'est surtout dans la zone A (67% des changements) que ces taux de réforme sont alarmants.
Changement du soc sur corps-butteur Arara
La faiblesse du taux de changement des socs-butteurs dans la zone B (33% des changements) par rapport à la zone A (67%) est alarmante. Cette zone pratique le billonnage au butteur-billonneur, qui est la technique de préparation du sol la plus courante en culture attelée. Forgerons et paysans ignorent que le soc de ce corps-butteur est réversible. Généralement, le forgeron intervient tardivement sur un soc dont l'usure a déjà endommagé le système de fixation, compromettant la pièce entière. Cette situation explique en grande partie l'état actuel du parc de butteur-billonneurs.
Changement du soc sur butteur-billonneur gambien
Le butteur-billonneur gambien est très utilisé dans la zone B (85% des changements) et dans la partie comprise entre la zone B et la zone A. Ce type de soc est différent de celui du corps-butteur sur le bâti Arara. Les forgerons assurent difficilement sa maintenance qui exige plus de travail de conception que les autres équipements.
Réparation des étançons et des bagues d'usure des roues
Les paysans ne font pas toujours réparer les roues débaguées, car le matériau utilisé ne garantit pas la rentabilité de la réparation. Les forgerons de la zone A réalisent 67% des réparations de roues d'équipements de culture attelée contre 20% pour ceux de la zone B.
Fabrication de dents ou de rasettes
Les forgerons fabriquent très rarement des dents ou des rasettes, qui sont des pièces relativement rares sur le parc. A l'exception des semoirs Super Eco, les matériels dotés de ces pièces n'ont pas un taux d'utilisation élevé.
Réparation des charrettes
Sur l'ensemble du parc des équipements, les charrettes sont les plus utilisées et les moins entretenues par les forgerons villageois. Au niveau des villages, une simple crevaison devient un problème majeur causé par l'absence de petits outils (démonte-pneus, etc.) ou de produits de vulcanisation.
Les autres types de réparations sont hors de leur portée: soudure des timons cassés, pauvreté du marché local en roulements à rouleaux coniques ou en moyeux. Quelques exemples de soudures ont été recensés dans les environs des villes de Bignona et de Ziguinchor. Le coût de la soudure varie entre 2250 et 6000 FCFA, selon la position géographique par rapport à Ziguinchor: plus la forge est éloignée de Ziguinchor, plus la réparation est chère.
Typologie des forgerons
L'analyse de l'état du parc actuel des équipements agricoles, caractérisé par un taux élevé de matériels à réformer, démontre la faiblesse des forgerons villageois en matière de maintenance. Les équipements de préparation du sol sont les plus touchés, suivis des charrettes. En effet, vu leur taux élevé d'utilisation, une proportion importante de ces équipements devrait être renouvelée: 73% des charrues UCF et 84% des charrettes (Fall, 1988). Ces taux de renouvellement sont en étroite corrélation avec la durée de vie réelle de ces matériels dans le milieu, et avec la capacité de maintenance et d'entretien des forges locales.
En fonction des activités réelles de forge et de la fréquence des pannes enregistrées, les forgerons peuvent être répartis en trois catégories.
Catégorie 1
Forgerons villageois traditionnels fabriquant des outils manuels - Ils représentent la majorité dans la région, soit 59% de leur corporation. Ils sont localisés aussi bien dans les zones où la traction animale est fortement implantée (zones A et B) que dans celles où le système de culture est essentiellement manuel (zone D). Dans les zones à traction animale, ces forgerons ont des activités essentiellement agricoles, comme dans la zone A où ils représentent au moins 48% des artisans forgerons.
Catégorie 2
Forgerons orientés vers la maintenance des équipements de culture attelée - Ils ne représentent que 35% des forgerons recensés. Ils sont en majorité localisés dans les zones A et B. Leur nombre augmente avec la progression de la traction animale. On remarque une forte corrélation entre les types de réparations réalisées par les forgerons de cette catégorie et la diffusion géographique des différents types de matériels dans les zones à traction animale.
Tableau 2: Prix des réparations et des pièces fabriquées localement (FCFA)
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Zone |
Soc charrue |
Soc BBG |
Contre sep |
Roue CA |
Rassette dent |
Soudure timon |
Lame kayena |
Lame donk |
Lame fanting |
|
A |
2472 |
2750 |
1161 |
715 |
1033 |
6000 |
- |
977 |
674 |
|
B |
2250 |
2454 |
750 |
350 |
1000 |
- |
938 |
- |
680 |
|
C |
2667 |
- |
783 |
483 |
- |
2250 |
1227 |
1444 |
808 |
|
D |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
1250 |
- |
500 |
Source: Fall et al., 1988
Les forgerons de la zone A assurent essentiellement la maintenance des charrues (72% des charrues réparées) et des quelques équipements post-labours (90 à 100% des houes et des semoirs réparés). Ils procèdent à des changements de socs et de contre-seps et à la fabrication de rasettes et de pattes d'oie. Par contre, ceux de la zone B sont plutôt spécialisés dans la fabrication et le remplacement des socs usés des butteurs-billonneurs gambiens (85% des réparations). Toutefois, ils ne détiennent pas le monopole sur les corps-butteurs Arara. En effet, ceux de la zone A contribuent pour 67% au total des réparations sur ce type de butteur.
Catégorie 3
Forgerons réalisant les réparations les plus complexes - Ce niveau de maintenance exige souvent un certain niveau technique et la possession d'outils de forge plus sophistiqués. Seulement 2% des forgerons recensés dans les villages sont capables de faire des soudures. La majorité des forgerons ayant atteint ce niveau technique vit en milieu urbain.
Management des prestations
Modes de facturation
Les échanges entre paysans et forgerons comportent quatre modes de facturation:
· gratuité du service;
· facturation du service en nature;
· facturation normale du service;
· tarification préférencielle.
Dans une grande mesure, le mode de facturation est fonction du type de client. L'appartenance au terroir (forgerons originaires du village du client), le type d'agriculture (monétaire ou non) et l'activité dominante du forgeron (agriculture ou forge) sont des facteurs déterminants de la méthode de facturation.
Les forgerons reconnaissent quatre types de clients:
· clientèle ordinaire;
· clientèle "ami";
· clientèle "parent";
· tuteur du forgeron.
La clientèle ordinaire représente la source monétaire la plus importante.
Prix
La gratuité du service est exclue dans les relations entre les forgerons et les clients ordinaires. Deux modes de paiement sont en vigueur: le paiement en espèces et le paiement en nature. La combinaison de ces deux modes de paiement prédomine (44% des réponses). Le paiement en nature est révélateur de l'importance que revêt la production agricole pour les forgerons. Le paiement normal en espèce (40% des réponses) est très pratiqué, notamment dans les zones à traction animale. La ressource monétaire au niveau de la forge devient importante dans ces milieux, conditionnant l'achat de matières premières de bonne qualité.
Les prix varient selon les zones définies par les systèmes de cultures, et en fonction du taux d'utilisation de l'outil ou du matériel (Tableau 2). Dans la zone D, le prix de la lame du cayendo (outil manuel diola) avoisine 1.250 FCFA (ET = 353) alors que dans la zone B. ce prix varie autour de 938 FCFA (ET = 241). Le même phénomène est observé pour les équipements de traction animale. Le coût du changement de la même pièce sur le même matériel est plus élevé dans les zones où ce matériel est plus utilisé et varie aussi en fonction du mode de paiement (nature-espèce ou espèce).
La facturation des clients amis ou parents est généralement une combinaison de gratuité, de paiement en nature et autres préférences. Le paiement en nature peut se faire sous forme de travaux agricoles, ou par la cession d'une partie de la production à la récolte.
Planifier le progrès
Intégration des forgerons
Constitution d'un réseau opérationnel
Depuis l'avènement de la NPA, les paysans ont développé une certaine dynamique de création d'organisations paysannes orientées vers l'amélioration de la production agricole. Un des axes souvent développés est la création de conditions socio-économiques et juridiques favorables à la maîtrise des changements et des évolutions dernièrement intervenus dans le paysage agroclimatique. La maîtrise de l'aspect "intrants agricoles de haute productivité" (engrais, équipements agricoles, semences améliorées, etc.) est très privilégiée dans leur démarche. L'auto-assistance des paysans appartenant à ces structures doit nécessairement se traduire par l'amélioration des différents circuits de maintenance du matériel agricole. En d'autres termes, les forgerons doivent être considérés comme des membres à part entière de ces organisations.
L'objectif principal est de mettre sur pied un réseau opérationnel de forgerons qui assurerait efficacement la maintenance du matériel agricole. Le bon fonctionnement du parc est une condition essentielle des niveaux de production agricole projetés.
Relations usine - forge
La situation géographique très enclavée de la Basse Casamance devrait donner aux forgerons un rôle très important comme dépositaires de pièces détachées SISMAR dont la fabrication locale est impossible (roulements de charrettes, moyeux, écrous et ressorts des disques de semoirs, mécanismes de distribution des trémis, etc.). Actuellement, pour toute la Basse Casamance, un seul magasin de pièces détachées existe à Bignona et son existence dépend directement du projet PIDAC. Des études antérieures menées sur l'état du parc de matériels de culture attelée ont montré que 2% seulement des paysans équipés dans le département de Bignona ont réellement bénéficié de ses pièces de rechange (Fall, 1985).
Dans le cadre de la NPA actuelle, il convient de mieux responsabiliser les organisations paysannes, à tous les niveaux de la structure. La décentralisation de la distribution des pièces de rechange manufacturées par la SISMAR devrait passer par les forgerons villageois, par le biais du réseau.
Relations commerciales
L'approvisionnement en matières premières nécessite une organisation rigoureuse capable de contrôler les relations commerciales et de promouvoir une amélioration de la qualité des produits. Les tests d'homologation des matières premières peuvent être négociés plus facilement par une organisation que par un forgeron isolé. Une telle organisation pourrait aussi rationaliser l'approvisionnement en lames d'amortisseurs, matériau essentiel aux réparations les plus courantes.
Les forges centrales devraient jouer un rôle très important dans l'acquisition et la distribution des matières premières sur les circuits de communication mis en place par l'organisation commerciale. La forte demande exprimée par les forgerons peut être satisfaite par l'organisation régionale du commerce gérant les relations avec les fournisseurs des autres régions (Sine Saloum, par exemple) ou avec l'industrie automobile, au niveau national.
Formation
La typologie des forgerons montre la nécessité de donner aux forgerons de la catégorie 1, dans les zones à traction animale, le niveau technique de la catégorie 2. En fonction de leur position géographique, de leur responsabilisation au sein du réseau et du niveau d'outillage, certains forgerons de la catégorie 2 pourront être sélectionnés et formés aux techniques de la catégorie 3. Une approche différenciée pourrait éviter de voir, comme par le passé, les meilleurs forgerons émigrer vers les grandes villes. L'objectif est d'améliorer le circuit de maintenance actuel tout en le préservant. Cette amélioration marginale ne les empêchera pas d'exercer d'autres activités.
L'emplacement, les structures d'accueil et les conditions d'admission des centres de formation ont toujours été un obstacle au progrès des forgerons et des forges régionales. En offrant une formation souvent inappropriée, ces centres ont souvent renforcé l'exode rural. L'intégration des forgerons dans les organisations paysannes ouvre de nouvelles perspectives. La mise en place du réseau opérationnel doit servir de support à toute action de formation. Cette formation aura lieu dans le milieu même, c'est-à-dire en dehors des circuits constitués par les centres de formation trop coûteux. Les forgerons pourraient être regroupés, en petit nombre, au sein d'une forge centrale. Ainsi regroupés, ils recevraieont une formation axée sur les problèmes réels de la maintenance. Le nombre de sites de formation dépendra forcément de l'étendue de la zone géographique à couvrir et de la diversité des systèmes de culture.
Ce mode de formation devrait permettre aux forgerons ne souhaitant pas se déraciner d'accéder à des connaissances techniques nouvelles. La période de formation doit nécessairement tenir compte de la période de pointe des activités de forge et de l'importance que revêt la campagne agricole pour la majorité des forgerons. Le contenu des séances de formation est déterminé par les activités des différentes catégories de forgerons:
Catégorie 1
· Fabrication de pièces d'usure et travaillantes à partir de gabarits;
· Réparations des roues de matériels agricoles;
· Formation à l'utilisation de tarauds et de filières;
· Techniques de vulcanisation.
Catégorie 2
· Fabrication d'outils de forge performants;· Soudure électrique des timons de charrettes. Cette formation s'adressera à un nombre réduit de forgerons stratégiquement situés;
· Fabrication de souleveuses à arachide;
· Techniques de vulcanisation et fabrication de démonte-pneus simples.
Catégorie 3
Les forgerons de la catégorie 3 qui exercent dans le milieu n'ont pas réellement besoin de formation. Ceux qui sont dans les centres urbains doivent plutôt être impliqués dans la fabrication de matériels complets et simples comme les multiculteurs de type houe occidentale ou Sine. Ils pourront ainsi au niveau des villes créer des marchés de matériels de culture attelée d'occasion.
Equipement
La typologie des différentes forges et l'identification des principales tâches servira de référence pour la détermination des outils de forges nécessaires. A partir de ces considérations, il ne servirait à rien de fournir aux forgerons, comme dans le passé, des outils qu'ils n'utiliseraient pas dans leurs activités quotidiennes (impossibilité de rembourser le crédit) ou plus grave encore, qui les obligeraient à quitter leurs villages respectifs, pour mieux les rentabiliser dans les centres urbains.
L'analyse de la situation montre que la liste des principaux outils nécessaires aux forgerons pour pouvoir rester dans leur village et régler les problèmes de maintenance s'établit comme suit:
enclume (petit modèle);
marteaux (1 kg et 0,5 kg);
soufflet de forge à manivelle;
scie à métaux et lames;
tarauds et filières pinces de forge universelles;
jeu de limes, de clés (plates, à pipe et à mollette);
démonte-pneus;
chignole à main avec jeu de mèches.
Pour les forges centrales, il faut ajouter:
poste de soudure avec groupe électrogène;
enclume (grand modèle);
etau.
Conclusion
L'inexistence de structures adéquates pour l'entretien du parc de matériels de traction animale, le manque de pièces détachées, les lacunes de la formation des paysans expliquent le plus souvent l'état du parc actuel, caractérisé par un taux de réforme élevé. La moyenne d'âge des forgerons, la nécessité de revenus agricoles supplémentaires, les modes de rémunération pratiqués, constituent souvent des freins importants au progrès technique des forgerons. Un nombre relativement faible d'entre eux (7%) a pu suivre une formation complémentaire, qui d'ailleurs n'a pas toujours été en rapport avec la traction animale.
Les forgerons dans leur ensemble éprouvent d'énormes difficultés à s'approvisionner en matières premières de bonne qualité ou en outils de travail performants. Les matières premières principales utilisées sont les lames d'amortisseurs de camions et les chutes de menuiseries métalliques destinées à la fabrication des lames d'outils manuels et des pièces travaillantes des équipements de culture attelée. Suivant les activités de forge pratiquées, les forgerons peuvent être regroupés en trois catégories différentes:
Catégorie 1
Forgerons villageois traditionnels qui ne fabriquent que des outils manuels: 59% des forgerons.
Catégorie 2
Forgerons villageois traditionnels qui fabriquent des outils manuels, réparent le matériel de culture attelée et les pièces d'usure: 35% des forgerons.
Catégorie 3
Forgerons, pas toujours traditionnels, qui réparent tous les équipements agricoles et utilisent un poste de soudure électrique ou oxy-acétylènique: 2% en milieu rural et 4% en milieu urbain.
Les forgerons de la catégorie 2 qui travaillent sur la maintenance du matériel agricole sont généralement localisés dans les zones A et B. Pour améliorer la situation actuelle, certaines mesures d'urgence s'imposent pour empêcher l'effondrement total du parc et diminuer la fréquence des pannes.
Perspectives
Modifications des équipements
· Fourniture de socs beaucoup plus résistants;· Utilisation de bois résistant et dur, comme le Pterocarpus eraniceus (bois de vène) ou le Tectona grandis (bois de teck), séché au feu et huilé, pour les bagues d'usure des roues de guéret des équipements;
· Fourniture de timons articulés pour diminuer les casses.
Formation et équipement
La formation des forgerons doit nécessairement être adaptée aux systèmes de culture pratiqués localement. La formation des forgerons de la catégorie 1 nous semble être l'une des mesures les plus prioritaires. En effet, ils représentent la majorité et sont souvent attachés à leur terroir. Ces forgerons joueront le rôle le plus important dans le fonctionnement du réseau des forgerons villageois.
L'équipement en outils de forge doit aussi correspondre aux tâches réelles du forgeron. Il doit pouvoir régler les pannes courantes avec des outils simples et performants.
Approvisionnement en matières premières
La demande est telle que la création de sociétés régionales ou nationales d'approvisionnement et de distribution des matières premières aux artisans-forgerons se présente comme une possibilité commerciale viable.
Constitution du réseau fonctionnel
Avec l'avènement de la NPA, les organisations paysannes pourraient servir de cadre institutionnel et juridique pour la mise en place d'un réseau de forgerons. L'intégration d'un volet "maintenance du matériel agricole" devrait être une condition sine qua non de la reconnaissance d'une organisation agricole par les pouvoirs publiques et surtout, par la Caisse Nationale de Crédit Agricole. Un tel réseau opérationnel devrait servir de support à toute action de formation et de fourniture de matières premières aux forgerons. Par la même occasion, il pourra servir de dépositaire de pièces détachées des industries comme la SISMAR. Cette décentralisation permettra de mettre à la disposition des paysans les pièces difficiles ou impossibles à fabriquer localement.
Abstract
In Lower Casamance, 51% of the blacksmiths cultivate land as their main activity. Only 7% have received formal training the majority received their training from family members. Workshops are generally very poorly equipped, with a strong demand for hammers, fans, saws and anvils. Lorry leaf springs are the most commonly used raw material, along with steel reinforcing rods and pieces of scrap metal.
Three categories of blacksmiths can be considered. Those who manufacture hand tools (59%), those whose activities are clearly orientated towards animal traction equipment repair (35%) and those who are able to carry out complex repairs. Two per cent of the blacksmiths contacted could perform welding. The pricing method depends largely on the type of customer.
Future progress could be accelerated by the development of a structured production and maintenance network involving blacksmiths and relevant animal traction organizations. Such a network could improve relations between factories and workshops, improve trade in raw materials and spare part supplies, and facilitate improvements in equipment. Training facilities adapted to both local needs and blacksmith categories would raise the general technical level, and allow blacksmiths greater potential income in a market structured by the network.
Références
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Systèmes Djibélor 1984. Rapport d'activités - campagne agricole 1982/83: Equipe Systèmes de Djibélor. Département Systèmes, Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA), Dakar, Sénégal. (F).